Hop là, nous vivons!

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Hop là, nous vivons!
DE ERNST TOLLER
ADAPTATION ET MISE EN SCENE
CHRISTOPHE PERTON
TRADUCTION CESAR GATTEGNO ET BEATRICE PERREGAUX
La version utilisée est un libre montage du texte. Le prologue et l'épilogue sont tirés de
Une Jeunesse en Allemagne; les rêves sont empruntés à L'Homme et la masse.
La pièce d'origine a été publiée en 1927 et jouée pour la première fois le 3 septembre 1927 à Berlin
DU 24 AVRIL AU 5 MAI 2007
HORAIRES
mardi, vendredi, samedi à 20h
mercredi, jeudi à 19h
dimanche à 17h
lundi relâche
CONTACT
Dominique Perruchoud
directrice administrative et financière
T + 41 22 809 60 79
F + 41 22 320 00 76
Email : [email protected]
www.comedie.ch
Stéphanie Chassot
communication&diffusion
T + 41 22 809 60 73
F + 41 22 320 00 76
[email protected]
DISTRIBUTION
Metteur en scène
Scénographie
Assistanat, maquettes et suivi
Lumières
Son
Conception et réalisation vidéo
Création costumes
Assistante à la mise en scène
Dramaturgie
Relecture de la traduction
Construction décor
Christophe Perton
Malgorzata Szczesniak
Diane Thibault
Thierry Opigez
Frédéric Bühl
Bruno Geslin et Clément Martin
Paola Mulone
Aurélie Edeline
Pauline Sales
Silvia Berutti
Ateliers du TNP Villeurbanne
JEU
Gauthier Baillot
Yves Barbaut
Juliette Delfau
Anne Durand
Aurélie Edeline
Ali Esmili
Vincent Garanger
Frédéric Jacot-Guillarmod
Pauline Moulène
Anthony Paliotti
Nicolas Pirson
Samuel Theis
Roland Vouilloz
Co-Production : La Comédie de Valence / CDN Drôme-Ardèche - La Comédie de Genève
avec la collaboration du : Théâtre de la Ville, Paris – TNP de Villeurbanne
avec le soutien de Pro Helvetia et la participation artistique de L'ENSATT.
La pièce
"Dans une prison, cinq révolutionnaires condamnés à mort (Karl Thomas, Wilhelm Kilman, Albert
Kroll, Eva Berg et Mme Meller) attendent depuis dix jours l'exécution de la sentence. L'attente qui
épuise leurs forces les exaspère à tel point que, le dixième jour, lorsqu'on leur annonce à
l'improviste qu'ils sont graciés, l'un d'eux ne peut résister à l'ébranlement nerveux dont il est victime
et devient fou. A sa sortie de l'asile, Karl Thomas, le héros du drame, reprend contact avec la vie.
Huit ans se sont écoulés. Pour lui le temps de la folie a été celui d'un long sommeil. Mais il s'aperçoit
que tout a changé autour de lui. De ses anciens compagnons, Kilman s'est vendu à l'adversaire et il
est devenu ministre; les autres ont continué de lutter, mais dans un esprit différent: ils ont appris à
calculer froidement, à attendre, à user de ménagements avec eux-mêmes et à se servir de
combinaisons politiques dont Thomas ne voit que le côté négatif sans vouloir en reconnaître la
nécessité. Eva Berg elle-même, dont il était aimé jusqu'alors, ne répond plus qu'avec un froid
cynisme à ses sentiments. En fin de compte elle accepte d'être sa maîtresse. Karl Thomas est
bouleversé, anéanti; il lui semble être le dernier représentant d'une génération ensevelie dans la
tombe. Aux prises avec le doute, il ne sait plus de quel côté se trouve l'erreur. Employé comme valet
de chambre au Grand Hôtel, il est témoin de la corruption où vivent, en trafiquant pour leur propre
compte, Kilman et ses complices. Aussi décide-t-il d'exécuter Kilman, le traître. Mais au même
moment, un autre individu tue le ministre. Néanmoins, toutes les preuves étant contre Thomas, il est
arrêté."
Il se retrouve enfermé avec "les compagnons d'autrefois, soupçonnés de complicité. Malgré cela,
Thomas se sent désespérément seul, épuisé,...".
Extraits tirés du Nouveau dictionnaire des œuvres,
Editions Robert Laffont, coll. Bouquins, 1994
© Don McCullin
Propos de Ernst Toller
Hop là, nous vivons! est la première pièce que j'ai écrite « en liberté ». C'est à nouveau le choc
d'un homme qui veut à tout prix réaliser l'absolu dès aujourd'hui, avec les énergies de l'époque,
avec ses contemporains, parmi lesquels certains renoncent à agir, par faiblesse, par traîtrise, par
lâcheté, alors que d'autres engagent leur force, leur foi, leur courage, pour atteindre ce but dans
l'avenir. Karl Thomas ne comprend ni les uns ni les autres, considère leurs actes et leurs motifs
comme équivalents et succombe. De nos jours, plusieurs critiques et spectateurs, éloignés de l'art
véritable par la mode américaine infantile du happy end, exigent de l'auteur dramatique ce qui n'est
pas sa tâche - qu'il termine sa pièce par ces dictons naïfs que nos parents faisaient peindre sur des
coussinets, des assiettes, des insignes, du genre: « Sois toujours honnête et fidèle», « Ignore ce
que les autres font, occupe-toi de tes oignons », « Porte le soleil dans ton cœur », ou comme
Durus l'écrivait dans le numéro 134 du Drapeau rouge (année 1934) : «Allons avec l'air vivifiant de
la lutte des classes dans l'air vivifiant de la nature». Les fonctionnaires du culte prolétaire et les
critiques feuilletonistes des journaux capitalistes, que leur mauvaise conscience et leur désir
éternel de passer dans toutes les rubriques du journal rendent plus exigeants en matière de
révolution que ceux qui agissent en révolutionnaires, jugèrent que la fin de la pièce (qui dans la vie
réelle s'est produite plusieurs fois et se reproduira encore) n'est pas «révolutionnaire» parce qu'elle
ne comporte pas de petits pamphlets moraux ni d'appel du genre: «Vive la ligne politique No 73 ! »
Aujourd'hui je regrette d'avoir, sous l'influence d'une mode, modifié la conception de l'œuvre
originale pour complaire au metteur en scène. La forme vers laquelle elle tendait à l'origine était
plus forte que celle qui fut montrée. C'est moi seul qui en porte la responsabilité, mais j'ai compris
la leçon, et je préfère aujourd'hui que le metteur en scène tire trop peu d'une œuvre plutôt que d'en
rajouter. D'ailleurs Piscator n'a vraiment aucun motif de se plaindre de moi et de mon style comme
il le fait dans Le Théâtre politique 4.
Lorsque nous avons adapté la pièce, trois fins me paraissaient possibles, mais en aucun cas le
«retour en prison de plein gré» que ce livre m'attribue sans scrupule. Dans la première version,
Thomas, désemparé face au monde de 1927, court dans un asile voir un psychiatre et s'aperçoit
lors de son entretien avec le médecin qu'il existe deux genres de fous dangereux, les uns enfermés
dans dès cellules, les autres, politiciens et militaires, se déchaînant contre l'humanité. Alors, il
comprend ses anciens camarades qui mènent pour l'idée une lutte tenace de tous les jours, il veut
quitter l'asile d'aliénés; mais parce qu'il a compris, parce qu'il a, face à la réalité, acquis le
comportement d'un homme mature, le fonctionnaire psychiatrique ne le laisse plus partir, sous
prétexte que c'est maintenant seulement qu'il est devenu un «danger public»; auparavant, il n'était
qu'un rêveur gênant.
Ernst Toller
Ernst Toller - biographie
Ernst Toller (1893-1939) élabore un théâtre où la révolution politique ne
se conçoit pas sans la transformation intérieure des individus.
Né en Prusse orientale en 1893, Ernst Toller fut l'une des figures de
proue de l'expressionnisme politique. Engagé volontaire en 1914,
démobilisé à l'automne 1916, il milita dès 1917 pour la paix, et défendit
un socialisme non autoritaire. Il participa à l'éphémère République des
Conseils de Munich (avril 1919), en présida même pour un temps, contre
son gré, le Conseil Central Provisoire, et fut, après sa chute, condamné
à cinq ans de forteresse. C'est en détention qu'il écrivit ses six premiers
drames politiques, dont L'Homme et la masse (1920) et Hinkemann
(1922), ainsi que trois recueils de poèmes.
Dès ses débuts (La Conversion, 1918), le théâtre de Toller se caractérise par un messianisme
politique et un idéalisme humaniste, dont Brecht se distancera nettement. En son centre se trouve
posée la question de la légitimité de la violence politique.
Libéré le 15 juillet 1924, Toller poursuivit une intense carrière d'agitateur. De meetings en congrès,
d'articles de presse en émissions de radio, il ne cessa pas de combattre l'ascension du nazisme et
de prêcher pour une révolution de la société et des mentalités. Contraint à l'exil en 1933, Toller,
dont les livres furent brûlés le 10 mai, partit pour Londres, puis New York, où il se suicida le 22 mai
1939.
On ne saurait trop conseiller, en ces temps troublés par l'esprit guerrier, de lire le théâtre de Toller
pour son appel au pacifisme et à la transformation nécessaire de l'humanité.
Extraits d'un article paru dans le Matricule des Anges n°44 (mai à juillet 2003)
"Mon ami Toller"
par Erwin Piscator
Le 22 mai 1939, moins de deux mois après la fin de la guerre civile en Espagne, survint à New
York, le suicide de Ernst Toller, l'écrivain allemand connu. Ce jour-là, j'avais une réunion hors de
New York. Le matin, lorsque je descendis l'escalier de l'hôtel, il me vint à l'esprit que je pourrais
appeler mon ami Ernst Toller et lui demander s'il voulait m'accompagner. Je savais qu'il ne se
sentait pas dans un climat favorable, et qu'il souffrait d'un état dépressif. La veille encore il était
chez moi, il se plaignait de son isolement dans une grande ville étrangère, et du manque de
perspectives auquel était condamnée l'émigration. Mais, préoccupé par la préparation de mon
petit voyage, j'oubliai ce que je m'étais proposé de faire. Je ne téléphonai pas à Toller.
L'après-midi, de retour à New York, j'allai à la New Schoolfor Social Research (où j'avais créé le
Dramatic Workshop, une sorte d'académie d'art théâtral). Une connaissance commune, un avocat,
m'apprit que Toller s'était pendu. Il avait (fuite devant lui-même) voulu quitter New York. Ses
valises étaient faites. Il dit à sa secrétaire qui l'avait aidé à ces préparatifs : « Nous allons d'abord
manger ensemble, attendez-moi en bas, je vous rejoins tout de suite.» Il ne vint pas. La secrétaire
retourna à l'appartement pour le chercher. Lorsqu'elle ouvrit la porte de la salle de bains, elle
trouva Toller pendu avec la ceinture de son peignoir de bain.
Sinclair Lewis, que je mobilisai, prononça l'oraison funèbre. Mais dix ans plus tard, personne
encore n'avait retiré l'urne contenant ses cendres.
Toller avait présagé sa fin amère et désespérée dans Hop là, nous vivons!. A cette époque, Karl
Thomas, le héros de la pièce, se brise; l'évolution historique est devenue pour lui un mécanisme
absurde dont il s'évade par le suicide. En 1927, lorsque la pièce fut écrite pour la Piscator-Bühne
à Berlin, nous étions opposés à cette fin, car elle nous apparaissait trop défaitiste. La conclusion,
comme la montra Toller dans son œuvre, devait selon notre opinion s'orienter dans une direction
positive. L'aveu d'être dans une impasse — car c'est cela le suicide du héros — nous apparut
inacceptable pour des raisons idéologiques. A un moment où les nazis exerçaient leur terreur
dans la rue, où la République de Weimar était déchirée par des conflits intérieurs et des luttes
d'influence, nous avons considéré que l'objectif de notre politique théâtrale devait être d'appeler le
public à des activités de maturité, et de ne pas se laisser aller à la résignation.
A ce propos, j'écrivais en 1929 dans mon livre « Le théâtre politique » : «Thomas est tout sauf un
prolétaire ayant une conscience de classe. Il n'a en effet pas plus de contact avec le prolétariat
qu'avec la bourgeoisie. Le thème n'est pas une démonstration de la voie qui débouche sur des
principes non encore définis de révolution. De ce point de vue, le suicide serait une faute. Thomas
est en réalité le type d'un anarchiste sentimental, qui se brise inévitablement. C'est une preuve « a
contrario ». Le personnage démontre l'absurdité de l'ordre bourgeois universel.»
Tout cela me vint tout à coup à l'esprit, quand j'appris la fin de Toller. Nos discussions à propos de
la «vraie» fin de Hop là, nous vivons!, m'apparurent sous un autre jour. Nous avions toujours
critiqué Toller, en ce qu'il n'était pas assez « objectif », beaucoup trop "lyrique" dans ce qu'il
écrivait, et en ce que ses personnages étaient le reflet de lui-même.
Et pourtant, Toller nous avait clairement montré que ce qui l'emprisonnait, c'était le drame de la
vie, ou mieux, de la réalité quotidienne. Il ne cherchait qu'à se soustraire à ses conséquences
absurdes. Il avait enfin pris position en écrivant cette fin épouvantable.
C'est le paradoxe de la vie de Toller, d'être partagé entre la volonté révolutionnaire et la
résignation, entre la fuite devant le monde et la lutte, tout en les mêlant. Encore étudiant, il occupa
une place très importante au printemps 1919, au milieu du désordre politique. Il joua un rôle
dirigeant dans la République Soviétique de Munich, poussé par la force des choses plus que par
conviction.
Ce rôle lui valut cinq ans de travaux forcés, lorsque la social-démocratie prit le pouvoir dans toute
l'Allemagne grâce à l'appui des militaires de droite. Lorsqu'il revint dans la société le 16 juillet
1924, à l'âge de trente et un ans, sans avoir bénéficié d'une remise de peine, c'était un homme
célèbre. En 1919 avait eu lieu la sensationnelle première de son ancienne pièce « Die Wandlung »
(La métamorphose), mise en scène par Kerlheinz Martin (Théâtre Tribune, à Berlin), et en 1921,
première tout aussi importante, de l'œuvre écrite durant son emprisonnement « Masse-Mench » «
Pièce de la révolution sociale au xxe siècle », mise en scène par Jiirgen Fehling (Volks-biihne,
Berlin). Trois mois avant sa libération de la citadelle de Niedershônenfeld en Bavière, la pièce la
plus connue peut-être de Toller fut créée à Berlin (Residenz-Theater) le 19-4-1924 : la tragédie
«Hinkemann », dont le thème rappelle celui du livre postérieur de Hemingway The sun also rises.
La célébrité de Toller devint légendaire. Pendant les années 1920 elle dépassa de loin celle de
Bertolt Brecht par exemple. Toller devint le représentant culturel le plus fêté de cet après-guerre.
De ces grandes hauteurs, cette vie mouvementée est tombée dans une autre « incarcération » ;
l'immigration. Et il faut se souvenir que la majorité de l'élite culturelle allemande y fut acculée. La
lutte pour une vie meilleure, une vie de justice sociale, de liberté et de paix, semblait pour le moins
perdue en Allemagne. De sa prison, Toller écrivait le 13-6-1923, à Stefan Zweig, qui lui aussi se
suicida de désespoir en 1942 au 'Brésil :
« Je vous ai beaucoup de reconnaissance pour ce que vous avez écrit à propos de « Hinkemann
». J'ai écrit cette pièce à une époque où j'ai mesuré douloureusement les limites tragiques de
toutes possibilités de bonheur de la révolution sociale. La limite au-delà de laquelle la nature est
plus forte que la volonté de chaque homme, plus forte que la volonté de la société. C'est pour cela
que la tragédie n'aura jamais de fin. Il y aura toujours des individus dont le mal restera sans
solution. Et s'il existe un individu dont le mal est sans fin, la tragédie d'un seul devient en même
temps la tragédie de la société dans laquelle il vit. L'antiquité connaissait le héros-Prométhée qui
pensait maîtriser le destin et supprimer toutes les peines. A notre époque, à la place d'un héros
nous trouvons toute une classe. Ce n'est pas par résignation que je le dis. Le faible se résigne
lorsqu'il se voit incapable de réaliser totalement un rêve désiré. Mais quand le fort prend
conscience, cela n'entame en rien son vouloir passionné. Aujourd'hui, nous n'avons pas besoin
d'hommes aveuglés par les grands sentiments, mais d'hommes qui acceptent d'être conscients.
Le Bien absolu, « le paradis sur terre » ne constituera pas un système de société. Il s'agit
uniquement de lutter pour l'amélioration relative dont l'homme pourra se contenter, et qu'il sera
capable de réaliser. Un système basé sur l'injustice sociale, l'inégalité, le manque de liberté ne
peut se défendre en face de la raison.»
1939. Quand la dictature triompha en Espagne (Toller venait de terminer une importante collecte
pour les républicains espagnols), la « conscience » dont il parlait était devenue trop forte, et le «
vouloir » trop faible. La déraison, le contre-toute-raison, avait pris le pouvoir en Europe. C'est
l'époque qui le tua par sa propre main.
Son œuvre n'est peut-être pas la plus importante que Von doive à sa génération. Mais son destin
est typique d'une génération déracinée par sa conscience, puis éparpillée à travers le monde
entier. Une génération qui attachait plus d'importance au fait d'être fidèle à cette conscience, qu'au
développement de son talent. L'œuvre de Toller est celle d'un artiste qui renonce à se parachever.
Une œuvre brisée, un fragment.
Erwin Piscator Berlin, décembre 1965
Entretien avec Christophe Perton – metteur en scène
Christophe Perton, comment avez-vous découvert Ernst Toller?
C.P: J’ai découvert Ernst Toller au travers d’une autobiographie, Une Jeunesse en Allemagne, un
livre publié aux éditions de l’Age d’homme et qui n’est plus disponible aujourd’hui. Voilà un livre
que l’on devrait rendre obligatoire à l’école! Toller était un homme rempli d’une foi, d’une énergie
et d’une vision aiguës; une sorte de résistant avant l’heure, résistant à la montée du fascisme mais
aussi ardent défenseur d’une véritable idée de ce que pourrait être une Europe humaniste. Toller a
sans cesse mêlé la lutte politique à une lutte poétique, son travail d’écrivain à son engagement
dans la république. J’ai été extrêmement frappé par la force, la virulence et l’audace de ce jeune
homme qui écrit le jour où les nazis brûlent ses livres sur la place publique : « j’ai trente ans, mes
cheveux deviennent gris, je ne suis pas fatigué ». Je me suis très vite intéressé à son œuvre
théâtrale. Et ainsi, j’ai commencé à lire tout ce qui était disponible de cet auteur. En 1999 j’ai
monté au théâtre une adaptation de son Hinkemann, sous le titre La Chair empoisonnée.
Qu’est ce qui vous a attiré plus particulièrement dans cette pièce, Hop là, nous vivons!
C. P: La pièce relate le parcours d’un individu, Karl Thomas, qui partage avec d’autres un moment
d’histoire, celui de la révolution. Cet individu, suite à un choc émotif violent, se retrouve plongé
hors du temps pendant une dizaine d’années. La pièce montre alors comment, en sortant de cette
période, il est devenu totalement étranger au monde, un monde qui a évolué à une vitesse
fulgurante. Et surtout comment cet homme n’arrive plus à reprendre le train en marche. La
distance ainsi créée lui permet d'appréhender autrement la marche de l’histoire : il voit le train en
question partir droit dans le mur, tente d’alerter ses contemporains, crie à la folie du monde, mais
passe évidemment lui-même pour fou. C’est un texte bouleversant, qui nous touche, au-delà de la
problématique révolutionnaire, par son humanisme, sa capacité à nous interroger sur notre propre
rôle, notre propre conduite, et sur notre conscience face à la marche du monde.
Ce qui frappe à la lecture de la pièce, c'est la façon dont Toller manie un ton cocasse et des
situations parfois burlesques, dans un récit pourtant très sombre et désenchanté. La
construction même de la pièce, en tableaux parfois simultanés, comporte un aspect
ludique. Allez-vous jouer avec cela dans votre mise en scène?
C. P: Difficile de répondre. Il n’y a vraiment que l’épreuve du plateau qui puisse apporter une
réponse satisfaisante. Il est vrai que par certains côtés Toller révèle une veine tragi-comique. C’est
quelqu’un qui a, en tout cas, une grande capacité d’auto dérision et cela se ressent dans son
écriture.
Vous avez un peu adapté la pièce en lui ajoutant certains morceaux empruntés à d'autres
écrits de Toller. Vous introduisez notamment un prologue et un épilogue issus d'Une
jeunesse en Allemagne, son roman autobiographique. Ce faisant vous donnez la parole à
Toller lui-même et amenez un point de vue rétrospectif puisque l'auteur met le point final au
roman en 1933, "le jour où l'on a brûlé mes livres en Allemagne" précise-t-il, alors que la
pièce date de 1927. Vous ajoutez aussi des rêves, empruntés à une autre pièce de Toller,
L'Homme et la Masse.
Pourquoi ce montage?
C. P: Les propositions d’ajouts forment avant tout un matériau théâtral. C’est une matière qu’il
nous faut éprouver. L’Homme et la masse est une pièce antérieure à Hop-là et qui comporte des
traits plus spécifiquement expressionnistes. On pourrait même dire que L'Homme et la masse est
le pendant expressionniste d’Hop là : on y retrouve en effet les mêmes personnages et une
situation presque similaire. Il était tentant d’envisager cette confrontation pour donner une
dimension plus onirique et plus intérieure aux personnages principaux.
Quant à la présence des discours politiques tirés de l'autobiographie de Toller, elle est à la base de
ce projet. J’ai toujours envisagé Hop là comme une pièce auto fictionnelle. Selon moi c’est moins
une pièce sur la révolution qu’une épopée sur un révolutionnaire humaniste : Toller.
Toller prévoit dans son texte des intermèdes cinématographiques. Il a été en cela un
précurseur. Des ces intermèdes, il mélange les images documentaires et les personnages
de sa fiction. Allez-vous suivre les indications de Toller?
C. P: Cette proposition formelle de Toller est en effet une petite révolution: il est, à ma
connaissance, l’un des premiers auteurs de cette époque à faire une proposition aussi radicale
quant à l’utilisation du cinéma et de l’image dans une dramaturgie théâtrale. Nous allons
rigoureusement suivre les indications de Toller en veillant à ne pas alterner un fonctionnement
systématique de l’image et du théâtre, mais en essayant de fondre les deux médias dans une
conception qui laissera toute sa prépondérance à l’acteur.
Vous avez demandé à Bruno Geslin de tourner ces images, un jeune cinéaste dont la
pratique de l'image est forcément différente de celle de l'époque de Toller…
C. P: Toller a utilisé le cinéma dans sa dramaturgie, car il avait une véritable fascination pour le
cinéma (il était scénariste à New York vers la fin de sa vie). C’est une fascination que je partage,
mais je ne crois pas que nous aurions le moindre intérêt à circonscrire l’utilisation de l’image dans
le fonctionnement qu’elle avait en 1927. Il s’agira d’inscrire l’image dans la scénographie pour
qu’elle devienne un élément concret de l’action et non pas une illustration anecdotique.
Comment expliquez-vous qu'après sa mort, Toller soit tombé dans l'oubli?
C. P: De son vivant, Toller était l’un des auteurs les plus connus, les plus célébrés dans le monde
entier, et le plus traduit. L’homme et la masse a été jouée dans le monde entier. Pourquoi cette
disparition ? D’une part, il a été persécuté et poursuivi par les nazis. Il a dû fuir comme tant
d’autres. En 1938, il s'est réfugié aux Etats-Unis sans aucun argent, sans aucune situation, avec
très peu de soutien. Il s’est donné la mort à New York après que Franco a définitivement écrasé et
muselé la révolution en Espagne, qui était, depuis son exil, un nouveau combat pour lequel Toller
consacrait toute son énergie. Son suicide n’a fait qu’entériner sa disparition sur le plan de l’écriture.
Pourquoi a-t-il ensuite été aussi peu lu, aussi peu monté ? Je crois d’abord qu’en Allemagne, Toller
est encore joué régulièrement. C’est plutôt en France qu’il a été peu monté. Mais au fond, c’est le
destin de pas mal d’auteurs allemands. Pour Toller, on a l’impression que son engagement
politique était au fond beaucoup plus important que son engagement d’écrivain, même s’il a dit et
répété à quel point la poésie et la culture étaient des forces d’avenir pour la démocratie.
Christophe Perton – metteur en scène
En 1987 Christophe Perton fonde sa compagnie à Lyon et présente d'année en année, Play Strindberg de
Dürrenmatt, Architruc de Robert Pinget, Roulette d'escroc d'Harald Mueller, l'Anglais de Jakob Lenz, l'Exil
de Jacob de Philippe Delaigue.
En 1993 il s'installe à Privas en tant qu'artiste associé au théâtre que dirige Francis Auriac et partage ses
activités entre un travail de création décentralisé dans les communes rurales de l'Ardèche, le «Théâtre de
parole» qui verra notamment les créations de Une vie violente d'après Pier Paolo Pasolini, Conversation sur
la Montagne d'Eugène Durif, Paria de Strindberg, Le Naufrage du Titanic d'Enzensberger, Mon Isménie de
Labiche et de nombreuses créations diffusées sur le réseau national avec notamment, Les Soldats de
Jakob Lenz, Faust de Nikolaus Lenau, Affabulazione de Pasolini, La Condition des soies d'Annie Zadek,
Médée et Les Phéniciennes de Sénèque.
En 1998 Les Gens déraisonnables sont en voie de disparition de Peter Handke en co-production de la
Maison de la Culture de Bourges et le Théâtre National de la Colline à Paris marque la fin de sa résidence à
Privas.
Christophe Perton poursuit alors son parcours artistique en fidélité avec quelques théâtres en France.
En 1999 il crée La Chair empoisonnée de Kroetz au Théâtre des Abesses à Paris et à la M.C.B de Bourges.
En 2000 il met en scène une pièce inédite d'Andreï Platonov, Quatorze Isbas rouges au Théâtre de la
Colline à Paris et à la M.C.B de Bourges. Avec Simon Boccanegra de Verdi à l'Opéra de Nancy et Didon et
Enée de Purcell à l'Opéra de Genève (automne 2001) il aborde l'univers du théâtre lyrique.
La création du Lear d'Edward Bond en janvier 2001 à la Comédie de Valence, au
Théâtre National de la Ville à Paris, et à la MCB de Bourges marque le début de son
travail à Valence.
Il est nommé en janvier 2001 aux côtés de Philippe Delaigue à la direction de la
Comédie de Valence devenue à cette occasion Centre dramatique national Drôme
Ardèche.
En 2002 il a créé dans le cadre de la Comédie itinérante Notes de cuisine de Rodrigo Garcia. En novembre
2002 il présente Monsieur Kolpert de David Gieselmann avec les acteurs de la nouvelle troupe permanente
de la Comédie de Valence ainsi qu'en janvier 2003 le Woyzeck de Georg Büchner.
En mai 2003 il a mis en scène Préparatifs pour l'immortalité de Peter Handke avec les élèves sortants de la
63ème promotion de l'ENSATT à Lyon. En mai 2004, dans le cadre du «Cartel » il présente Douleur au
membre fantôme d'Annie Zadek.
A l'automne 2004 il crée Le Belvédère de Ödön von Horvath à la Comédie de Valence, au Théâtre de la
Ville à Paris, à la Maison de la Culture d'Amiens, à la Maison de la Culture de Loire-Atlantique.
En mars 2005 il crée L'enfant froid de Marius von Mayenburg à la Comédie de Valence, au Théâtre du
Rond-point et à la Comédie de Genève, ainsi que Pollicino un opéra inédit en France de Hans Werner Henz
à l'invitation de l'Opéra National de Lyon.
En octobre 2005, il crée Hilda, de Marie NDiaye, pour la Comédie Itinérante. Le spectacle sera repris à
l'automne 2006 au Théâtre du Rond Point à Paris et en tournée en France.
Après Acte de Lars Norén en décembre 2006, il créera en avril 2007 Hop là nous vivons! d'Ernst Toller, en
co-production avec la Comédie de Genève.
Le Grand Théâtre de Genève lui demande par ailleurs de mettre en scène en janvier 2007 une création
originale du compositeur français Jacques Lenot à partir de l'oeuvre de Jean-Luc Lagarce, J'étais dans ma
maison et j'attendais que la pluie vienne.
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