Mise au point À quoi servent les édulcorants ? Which are the use of intense sweeteners? Jean-Michel Lecerf* »»Les édulcorants intenses permettent d’alléger la teneur en Intense sweeteners facilitate the reduction of food carbohydrate content, although they maintain a sweet taste. glucides des aliments, car ils n’apportent pas de calories, tout en ayant un goût proche du sucré. »»En théorie, ils apportent une réponse à la consommation Theorically they are a response to the increasing sweet-foods and drinks consumption. »»Les études montrent que leur consommation n’engendre qu’une Studies show that their consumption induces only a partial compensation which is lower than the energy deficit they create. »»Ils n’entretiennent pas l’appétit pour le goût sucré et, au contraire, They do not sustain the attirance for sweet taste, but inversely they allow a better adhesion to the regimen in case of weightloss program. compensation partielle, inférieure au déficit énergétique qu’ils entraînent. permettent une meilleure adhésion à la diététique en cas de tentative de contrôle du poids. »»La plupart des études montrent qu’ils ne stimulent pas l’insulino­ sécrétion. In vivo, ils ne stimulent pas la sécrétion de GLP1. »»Ils peuvent donc être utiles dans la gestion du poids. Ils ne sont cependant pas indispensables. Highlights P o i nt s f o rt s croissante d’aliments et de boissons sucrés. Mots-clés : Édulcorants – Aspartame – Sucralose – Stévia – Glucides – Insuline – Poids – Obésité – Goût. L * Service de nutrition, institut Pasteur de Lille. 262 es édulcorants sont nés d’une bonne idée : réduire l’apport énergétique glucidique. Deux familles de produits existent : ✓✓ les édulcorants massiques, qui se substituent aux glucides en gardant un volume et une masse équivalents, le plus souvent 2 fois moins caloriques et de goût non sucré (polyols, polydextrine, etc.) ; ✓✓ les édulcorants intenses, qui ont un pouvoir sucrant très élevé, voire extrêmement élevé, de sorte que leur apport quantitatif peut être très faible et leur apport énergétique négligeable. Les édulcorants intenses ont plus d’un siècle pour certains (saccharine) ; d’autres datent de quelques décennies (aspartame ou cyclamates) ou sont d’introduction plus récente (saccharose, néotame, rebaudioside A [stévia]). Le plus souvent de synthèse, mais parfois aussi “naturels” (rebaudioside A), ils sont régulièrement remis en cause, soit pour des raisons de sécurité – que nous n’aborderons pas –, soit Most of the studies show that they do not stimulate insulin secretion, nor in vivo GLP1 secretion. They may be useful in weight management but are not indispensable. Keywords: Non nutritive sweeteners – Aspartame – Sucralose – Stevia – Carbohydrates – Insulin – Weight – Obesity – Taste. parce que leur bien-fondé sur le plan nutritionnel est discuté, voire critiqué. Le contexte L’épidémie d’obésité est une pandémie. Ses causes ne sont pas connues avec certitude. Cependant, pour un individu donné, la prise de poids peut survenir lorsque l’apport énergétique est chroniquement plus élevé que le niveau des dépenses énergétiques. L’apport en glucides peut contribuer à positiver la balance énergétique, même s’il ne peut être considéré comme causal dans l’épidémie d’obésité. Le goût sucré étant universellement apprécié, car source de plaisir, voire de récompense, c’est l’inflation des aliments sucrés qui est davantage incriminée. Les boissons sucrées sont particulièrement concernées, car leur consommation a Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XVI - n° 9 - novembre 2012 À quoi servent les édulcorants ? considérablement augmenté depuis 20 ans, en France, aux États-Unis et partout dans le monde (1). Outre leur apport énergétique, on invoque, en ce qui concerne les boissons sucrées, une altération de la régulation de la prise alimentaire, avec une perte de la compensation négative suivant une collation (2-4), bien que cela soit encore contesté ; on invoque également pour les soft drinks outre-Atlantique la présence de fructose libre issu de l’hydrolyse du maïs, en raison de l’utilisation de High Fructose Corn Syrup (HFCS) [5, 6]. Alors que, à faible dose, le fructose a un avantage métabolique et réduit la glycémie, à forte dose, il est très lipogénique, notamment au niveau hépatique, mais aussi au niveau adipocytaire ; il est hypertriglycéridémiant, hyperuricémiant et induit un stress oxydatif (7, 8). Une consommation élevée de boissons sucrées, surtout riches en fructose, est considérée comme un facteur pouvant jouer un rôle dans l’épidémie d’obésité, et donc responsable de syndrome métabolique et de diabète (9, 10). En France, la consommation de boissons sucrées reste faible : en moyenne, 2 verres par semaine chez l’adulte, 1 cannette tous les 3 jours entre 3 et 14 ans, 1 verre tous les 2 jours à l’adolescence. Il peut être intéressant, en termes de santé publique, de réduire l’apport en glucides, mais celui-ci s’assortit souvent d’un apport lipidique accru (en pourcentage de l’apport énergétique total [AET]). Chez la personne en surpoids, la réduction de l’apport énergétique s’impose, mais la réduction de l’apport glucidique a des limites, car le plaisir du goût sucré, d’une part, et l’effet des glucides sur l’humeur, d’autre part, peuvent induire des phénomènes de manque, voire de compensation. Les édulcorants intenses, du fait de leur goût sucré, pourraient a priori faciliter la réduction de l’apport en glucides, si celle-ci est nécessaire. ✓✓ Peuvent-ils être une aide à la perte de poids ou, au Les critiques Les édulcorants stimulent-ils l’insulinosécrétion ? En dehors des aspects “sécuritaires”, que nous n’aborderons pas et qui sont régulièrement réexaminés par les agences nationales et internationales (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail [Anses], Autorité européenne de sécurité des aliments [Efsa]), dont nous partageons les conclusions rassurantes pour les produits actuellement disponibles en France, se posent les questions nutritionnelles, métaboliques et comportementales suivantes : ✓✓ Ne favoriseraient-ils pas une prise de poids paradoxale, voire ne joueraient-ils pas un rôle dans l’épidémie d’obésité ? ✓✓ N’induisent-ils pas une sécrétion d’insuline ? contraire, empêchent-ils la perte de poids ? ✓✓ N’induisent-ils pas une augmentation de l’appétit ? ✓✓ N’entraînent-ils pas des phénomènes de compensation liés au déficit énergétique ? ✓✓ N’entretiennent-ils pas l’appétit pour le goût sucré ? Ne pourraient-ils pas faire grossir ? Il y a longtemps que certains esprits chagrins ont mis en parallèle la courbe de progression de l’obésité et celle de la consommation d’édulcorants, considérant que la seconde était responsable de la première. Mais la relation pourrait aussi bien être inverse. Toutefois, dès 1985, T. Blundell avait observé que les édulcorants ne réduisaient pas le désir de manger et avait souligné cet effet paradoxal possible. S.P. Fowler et al. (11), plus récemment, constatant que les consommateurs d’édulcorants sont plus gros, a repris ce discours, mais cette simple observation n’a pas de valeur scientifique. L’hypothèse serait confirmée sur la base d’expérimentations chez l’animal (12, 13). Des rats de 24 jours, recevant une précharge sucrée inconstamment calorique, lors d’une phase d’entraînement, consomment plus de nourriture de laboratoire ensuite. Chez des rats adultes, la manipulation de la viscosité d’un supplément (faible ou forte viscosité mais apport énergétique identique) fait prendre plus de poids. Ces manipulations diététiques sont en réalité l’expression de l’effet connu de modifications de l’apprentissage alimentaire par un mécanisme pavlovien qui perturbe le rassasiement conditionné : dans ce cas, en raison de la mauvaise perception des effets post-ingestifs, l’animal a des difficultés à ajuster ses apports. Ces conditions expérimentales ne peuvent être extrapolées à l’homme, mais elles ont le mérite de soulever des questions. De nombreuses études se sont intéressées à l’insuline, puisque l’hyperinsulinémie déclenchée par la prise orale de glucose est considérée comme favorisant la prise de poids, en présence d’un apport lipidique, stimulant alors la lipogenèse. Si les édulcorants favorisaient la sécrétion d’insuline, ils pourraient être une des causes de l’épidémie d’obésité. Les études les mieux conduites (14-16) montrent que la consommation d’une boisson contenant des édulcorants intenses n’induit pas de sécrétion réflexe d’insuline et ne stimule pas la phase céphalique d’insuline. Une étude (17), cependant, a montré que le simple fait de Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XVI - n° 9 - novembre 2012 263 Mise au point boire une boisson sucrée à la saccharine sans même l’avaler suffisait à déclencher une sécrétion d’insuline, ce qui témoigne du rôle propre du goût sucré dans la phase céphalique de la sécrétion d’insuline. Dans la mesure où la sécrétion d’insuline lors de l’alimentation orale passe par la mise en jeu du GLP1 et/ou du GIP, ces entérohormones ont été mesurées : après la consommation d’un soda aux édulcorants (aspartame), leur concentration plasmatique, l’aire sous la courbe et l’insulinémie diminuent, comme avec la prise d’eau, et sont nettement plus basses qu’après la consommation d’un soda sucré (4). De même, le sucralose n’a pas d’effet significatif in vivo sur l’insulinosécrétion (16, 18) et n’a pas d’effet sur la phase céphalique de sécrétion du GLP1 (16), alors qu’un effet avait été observé in vitro. Perdre du poids avec ou sans édulcorants Perdre du poids convenablement nécessite 4 conditions : négativer durablement l’équilibre énergétique grâce à une adhésion au régime adapté ; promouvoir un réapprentissage et une véritable rééducation alimentaire ; ne pas induire de troubles du comportement alimentaire ; maintenir au mieux la masse maigre. L’étude PREMIER (19) est intéressante parce qu’elle a l’avantage de la simplicité et de la qualité. Huit cent dix adultes de 25 à 79 ans consommant au départ en moyenne 356 kcal sous forme de calories liquides (soit 19 % de l’apport énergétique total) ont reçu des conseils pour réduire leur consommation de boissons sucrées. Toute réduction de 100 kcal de calories liquides a induit une réduction de 0,25 kg à 6 mois, identique à 18 mois, de façon plus efficace que la réduction des calories solides. Mais faut-il remplacer les calories sucrées liquides par de l’eau, des boissons édulcorées ou rien ? L’étude CHOICE (20) tente de répondre à cette question. Trois cent dix-huit sujets adultes en surpoids ou obèses consommant en moyenne plus de 280 kcal sous forme de soft drinks ont remplacé 200 kcal par des boissons light (aux édulcorants) ou par de l’eau, ou ont reçu une éducation comportementale : la probabilité d’avoir une perte de poids d’au moins 5 kg à 6 mois était 2 fois plus forte dans le groupe édulcorants, qui servait de témoin, et plus élevée que dans le groupe eau. N’y a-t-il pas une augmentation de l’appétit ou de la sensation de faim ? Plusieurs études ont été menées chez des sujets de poids normal. 264 Sur le court terme, une étude avec l’aspartame et avec la saccharine dans des boissons a montré une augmentation de la sensation de faim et du désir de manger (21). Une autre étude avec l’aspartame dans un aliment solide a également fait état d’une augmentation de l’envie de manger (22). Dans un protocole très rigoureux et très complexe, V. Van Wymelbecke (23) a montré que la sensation de faim était identique à moyen terme, que l’on consomme des boissons aux édulcorants ou des jus de fruits. Deux études très récentes ont été menées sur le court terme avec un autre édulcorant, le sucralose. La première (16) a montré l’absence de différence sur le score d’appétit et une absence d’augmentation du GLP1, du peptide YY et de l’insuline ; l’autre étude (18) n’a pas mis non plus en évidence de différence concernant la ghréline plasmatique. Mais la question est de savoir si ce goût sucré est perçu de façon identique à celui du glucose au niveau du cerveau : en résonance magnétique nucléaire (RMN) fonctionnelle mesurant l’activité cérébrale, il apparaît que l’aspartame a le même effet que la maltodextrine (non sucrée) et un effet nettement moindre que le glucose, seul à modifier l’activité de l’hypothalamus (14). Le goût sucré de l’édulcorant ne leurre donc pas le cerveau. Il est plaisant mais n’a pas ses effets psychotropes, ce qui pourrait faire penser qu’il n’entraîne pas le même plaisir. Quels que soient ces résultats, en partie hétérogènes, y a-t-il une différence sur la prise alimentaire à court et à moyen terme ? N’y a-t-il pas des phénomènes de compensation ? La régulation très fine de notre comportement alimentaire conduit à des adaptations permanentes visant, grâce à des corrections permanentes de nos apports, en fonction de ce que nous avons mangé, de nos dépenses et de l’état de nos réserves, à maintenir un poids stable. Ainsi, une compensation positive est envisageable face à une réduction des apports : celle-ci prend la forme d’un véritable rattrapage calorique physiologique lorsqu’elle est inconsciente ; mais elle peut aussi être consciente : “parce que l’on a mangé moins”, voire perverse : “on mange moins pour manger plus”. Dès 1991, D.J. Canty et M.M. Chan (21) avaient montré que le désir de manger était plus élevé sur le très court terme après la prise d’une boisson aux édulcorants ou d’eau, mais qu’il n’y avait pas de différence significative sur l’apport énergétique du repas ad libitum 1 heure Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XVI - n° 9 - novembre 2012 À quoi servent les édulcorants ? après cette consommation, même si la tendance était à la hausse comparativement à une boisson sucrée. Afin de considérer les conséquences de l’adaptation sur la totalité de la journée alimentaire, une étude (24) a soumis des sujets à une précharge solide (fromage blanc) à l’aspartame produisant un déficit énergétique de 400 kcal : une compensation partielle (111 kcal) a été observée sur le repas du midi, mais, sur la journée totale, il persiste un déficit de 420 kcal. Cependant, la question est de savoir s’il n’y a pas des adaptations sur le plus long terme, ce qui annulerait l’effet à court terme : pour cela, un protocole (25) a comparé l’effet d’un apport de 1 150 g de soda au fructose ou de soda à l’aspartame et de l’absence de soda, sur 3 semaines : l’apport en calories alimentaires et en calories liquides était plus faible dans le groupe aspartame que dans le groupe sans soda (tant chez les hommes que chez les femmes), indiquant qu’il n’y avait pas de compensation : le groupe soda au fructose avait le même niveau d’apport en calories alimentaires, mais un apport calorique total beaucoup plus élevé, bien entendu. Une méta-analyse (26) de 16 études sur la perte de poids associée à la prise d’édulcorants, randomisées et contrôlées, avec un suivi de la consommation alimentaire pendant au moins 24 heures, montre qu’il existe une compensation partielle de 32 % pour les aliments solides et de 15,5 % pour les aliments liquides, mais que le déficit énergétique global est de 10 %, soit 1 560 kcal/semaine ; la perte de poids prédite est de 200 g/semaine, identique à celle observée. Qu’en est-il chez les sujets obèses, en termes d’appétit et surtout en termes de poids ? Une étude ayant inclus à la fois des sujets obèses et des sujets de poids normal a montré qu’une précharge à l’aspartame ou au stévia, produisant un déficit de 200 kcal par rapport au saccharose, avant les repas du midi et du soir, ne modifiait ni la faim, ni la satiété, engendrait un déficit énergétique total de 300 à 330 kcal et n’induisait donc pas de compensation significative (27). Sur le court terme, une étude très récente menée par une excellente équipe danoise (4) a comparé l’effet de 500 ml de lait demi-écrémé, d’un soda sucré, d’une boisson aux édulcorants ou d’eau chez des sujets obèses. D’une part, le lait diminue la faim, accroît le rassasiement et la satiété ; d’autre part, les boissons caloriques n’entraînent pas de réduction des apports au repas suivant ; enfin, la boisson aux édulcorants n’augmente pas l’appétit ni l’apport énergétique comparativement au repas suivant. Chez des sujets en surpoids, sur le moyen terme (10 semaines), la prise de boissons et d’aliments aux édulcorants (240 kcal) ou au saccharose (815 kcal) induit respectivement un déficit de compensation sur les autres aliments de − 23 et − 58 %, mais les apports réels totaux sont respectivement de − 105 et + 359 kcal, de sorte que l’évolution pondérale est respectivement de − 1,0 et + 1,6 kg et celle de la masse grasse de − 0,3 et + 1,3 kg (28). Il est clair que la plupart des protocoles se sont attachés à savoir si les édulcorants induisaient une compensation susceptible d’annuler l’effet de la réduction d’énergie qu’ils produisent : la réponse est non. L’étude CHOICE (20) est la seule qui montre que, chez le sujet obèse, le choix d’une boisson édulcorée permet une réduction du poids à 6 mois plus importante que la simple éducation non moins importante que le choix de l’eau. Y aurait-il plus de satisfaction ? Qu’en est-il à long terme ? L’étude de G.L. Blackburn (29) a consisté en un programme de perte de poids de 19 semaines, soit avec des aliments et des boissons à l’aspartame soit sans ces produits, suivi d’un programme de maintien pendant 1 an et avec un suivi de 2 ans supplémentaires. La perte de poids est identique à 19 semaines, puis la reprise de poids survient dans les 2 groupes, mais elle est 2 fois plus importante (en pourcentage) dans le groupe sans aspartame. En outre, elle est corrélée à l’activité physique et au contrôle alimentaire. Cette différence pourrait-elle s’expliquer par l’acquisition de meilleures habitudes alimentaires par les sujets ayant reçu de l’aspartame ? Pourtant, l’on dit habituellement que la prise d’édulcorants entretient l’appétit pour le goût sucré. Les édulcorants entretiennent-ils l’appétit pour le goût sucré ? A. Mahar et L.M. Duizer ont montré qu’une exposition répétée à une boisson au saccharose ou aux édulcorants n’entraînait pas de différence dans la préférence pour le sucré (30). Une étude très originale (31) s’est attachée à comparer les habitudes alimentaires dans 2 groupes de sujets de poids normal et équivalent (21 à 22 kg/m2) : 172 sujets ayant maintenu plus de 10 % de perte de poids depuis 11,5 ans et 131 sujets ayant toujours eu un poids normal. Le premier groupe consommait significativement moins de lipides, de boissons sucrées, plus de sauces allégées, de produits laitiers allégés, d’eau et de boissons aux édulcorants. Ainsi, la prise de boissons aux édulcorants fait partie des stratégies pour le maintien du poids à long terme chez les sujets en surpoids initial. Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XVI - n° 9 - novembre 2012 265 Mise au point L’étude SU.VI.MAX (32), en France, a montré que les utilisateurs de produits allégés en sucre avaient un IMC et un rapport taille/hanche plus élevés que les sujets qui n’en utilisaient pas, et consommaient parallèlement moins de glucides et moins de glucides simples. Il est clair que leur attirance pour les glucides simples n’est pas accrue et qu’ils consomment plus de produits allégés parce qu’ils sont en surpoids. C’est donc probablement l’obésité qui entraîne la consommation d’édulcorants et non l’inverse. On peut rapprocher cela du fait que, dans une étude épidémiologique, la consommation de boissons aux édulcorants est associée au risque de diabète (9). D’ailleurs, les consommateurs de boissons light avaient plus souvent des variations pondérales, avaient plus souvent tenté un régime basses calories et avaient plus souvent un IMC élevé avant leur entrée dans l’étude (9). Une enquête (33) sur les habitudes alimentaires de 50 000 ménages a montré que les consommateurs de boissons aux édulcorants achetaient davantage de versions allégées pour les autres aliments (lait, crèmes glacées, plats surgelés, sauces de salade), de fruits et de yaourts et moins d’aliments très caloriques (jus de fruits et boissons aux fruits, frites, sucre) et qu’il existait une relation positive entre les quantités de boissons aux édulcorants achetées et la consommation de légumes. Enfin, une enquête (34) sur les achats de 9 000 adultes a confirmé que les consommateurs d’aliments et boissons allégés en sucre avaient de meilleures habitudes alimentaires (plus de fruits, moins de graisses et de sucres ajoutés, plus de yaourts) et que leurs apports en micronutriments ajustés sur l’apport énergétique étaient plus élevés. Ainsi, non seulement les consommateurs de produits allégés en sucre et aux édulcorants ne consomment pas plus de produits sucrés, mais ils ont également de meilleures habitudes alimentaires. Il semblerait que ce choix alimentaire soit le reflet, ou la cause, d’une meilleure adhésion à la diététique et d’un meilleur comportement alimentaire. Conclusion Face à l’épidémie d’obésité, il est nécessaire de réduire la part de l’apport énergétique fournie par les boissons et aliments sucrés (au même titre que l’apport lipidique s’il est excessif). Éduquer les populations, apprendre à manger moins sucré, à boire de l’eau est, bien sûr, une priorité. Mais les édulcorants peuvent-ils être une aide pertinente ? Les études chez l’adulte montrent que les édulcorants ne stimulent qu’inconstamment l’appétit, n’entraînent pas de compensation sur les apports journaliers totaux, n’entretiennent pas l’appétit pour le goût sucré et ne stimulent pas l’insulinosécrétion. Ils peuvent faciliter une perte de poids et réduire le risque de reprise de poids en facilitant l’adhésion aux changements alimentaires. Ainsi, ils peuvent être utiles, n’induisent pas d’effet métabolique ou comportemental nocif, mais ils ne sont pas indispensables. Cependant, les avis sont encore très partagés en France (35, 36). Enfin, ainsi que le rappelaient très récemment (37) l’American Heart Association et l’American Diabetes Association, leur utilité sur le plan nutritionnel et pondéral ne peut se comprendre que s’ils s’inscrivent dans une diététique globale soutenue par une éducation alimentaire. Chez l’enfant, des données complémentaires sont nécessaires pour préciser la place des boissons aux édulcorants dans la prise en charge de l’obésité (38). Chez l’adulte, il sera intéressant d’évaluer leurs effets sur le risque cardiométabolique. Contribution modeste mais réelle, les édulcorants ne peuvent être rejetés ; ils ont leur utilité dans la gestion de l’alimentation et du poids. ■ et physiopathologiques. Obésité 2012;7:10-7. 2. Cassady BA, Considine RV, Mattes RD. Beverage consumption, appetite, and energy intake: what did you expect? Am J Clin Nutr 2012;95:587-93. 3. Fantino M. Boissons caloriques sucrées et prise de poids : quel mécanisme d’action ? Cahiers de nutrition et de diététique 2012;47:72-7. 4. Maersk M, Belza A, Holst JJ et al. Satiety scores and satiety hormone response after sucrose-sweetened soft drink compared with isocaloric semi-skimmed milk and with non-caloric soft drink: a controlled trial. Eur J Clin Nutr 2012;66:523-9. 5. White JS. 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