Mise au point mt 2013 ; 19 (3) : 179-88 Carence en vitamine C et scorbut Olivier Fain Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 04/06/2017. Université Paris-13, Assistance publique-Hôpitaux de Paris, hôpital Jean-Verdier, service de médecine interne, avenue du 14-Juillet, 93143 Bondy cedex, France <[email protected]> La carence en vitamine C est fréquente en cas de dénutrition et dans les populations à risque. Elle est sous-évaluée dans la population générale. Les principales sources alimentaires de vitamine C sont les légumes et les fruits frais. La carence totale en acide ascorbique entraîne la survenue de manifestations cliniques, caractéristiques du scorbut. L’asthénie, les myalgies, les arthralgies, un purpura vasculaire, un syndrome hémorragique et, plus tardivement, des manifestations stomatologiques – gingivorragies et perte de dents – surviennent après trois mois de carence totale d’apports. Les signes biologiques sont non spécifiques : anémie, hypocholestérolémie, hypoalbuminémie. La suspicion clinique est confirmée par la baisse de l’ascorbémie (< 2,5 mg/L). Celle-ci doit être interprétée en fonction des paramètres biologiques de l’inflammation. Le dosage de l’acide ascorbique leucocytaire, témoin des réserves de l’organisme, est plus fiable. Le traitement consiste en l’administration de 1 g de vitamine C par jour pendant 15 jours. Les déplétions en vitamine C (ascorbémie de 2 à 5 mg/L) pourraient être à l’origine de complications à long terme. Les apports nutritionnels conseillés en vitamine C tiennent compte de ces risques. Mots clés : scorbut, vitamine C, carence vitaminique L a carence en vitamine C reste d’actualité. Des observations de scorbut sont régulièrement rapportées [1-13] et la détection d’état de déplétion vitaminique dans la population générale a été incriminée comme facteur de risque d’un certain nombre de pathologies [14]. Cette carence peut s’intégrer dans le cadre d’une dénutrition globale ou de carences multiples en vitamines et en oligoéléments [15]. doi:10.1684/met.2013.0414 Historique mt Tirés à part : O. Fain Le scorbut est connu depuis l’Antiquité. L’une de ses premières descriptions est attribuée à Hippocrate : « Ceux qui sont attaqués ont une haleine puante, les gencives mollasses et sont sujets à l’hémorragie du nez ; ils ont parfois des ulcères de jambe. ». Entre le XVe et le XVIIIe siècle, le scorbut décime les équipages des navigations au long cours ; la mortalité est estimée entre 50 et 80 %. En 1593, le capitaine d’un navire anglais prévient la survenue de la maladie en faisant boire chaque jour quelques gouttes de jus de citron à son équipage en route vers les Indes. C’est en 1753 que James Lind, chirurgien de la marine britannique, publie un traité du scorbut mettant en évidence le rôle curatif de la consommation d’oranges et de citrons, à partir d’une des premières études cliniques comparant chez 12 scorbutiques l’effet du cidre, du vinaigre, de l’eau de mer, du vitriol, des oranges et des citrons. En 1795, d’après ses travaux, les matelots anglais reçoivent préventivement du jus de citron ; les Français ne bénéficieront de cette mesure qu’en 1856 [16]. En 1907, Holst et Frolisch provoquent un scorbut expérimental chez les cobayes qui reçoivent un régime carencé en légumes frais. En 1912, Zylva extrait du citron un principe actif contre le scorbut. En 1932, Pour citer cet article : Fain O. Carence en vitamine C et scorbut. mt 2013 ; 19 (3) : 179-88 doi:10.1684/met.2013.0414 179 Mise au point la structure précise de la vitamine C est établie par Haworth qui propose de lui donner le nom d’acide ascorbique. La synthèse est réalisée par Reichstein quelques mois plus tard. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 04/06/2017. Métabolisme et physiologie de la vitamine C 180 La vitamine C ou l’acide ascorbique est une vitamine hydrosoluble, sensible à la chaleur, aux ultraviolets et à l’oxygène [16]. Le pool total de l’organisme est de 1 500 à 2 500 mg. Le turnover quotidien est de 45 à 60 mg par jour (soit 3 % du pool total). La demi-vie est de dix à 20 jours. L’absorption de la vitamine C s’effectue au niveau de l’iléon par un mécanisme de transport actif saturable au-delà de 180 mg par jour. Le coefficient d’absorption est de 85 %. Après ingestion, la vitamine C passe rapidement dans le sang, puis diffuse de façon variable dans tous les tissus. Dans le sang total, on retrouve principalement l’acide ascorbique (80 à 95 %) ; l’acide déhydroascorbique ne représente que 5 à 20 % de la vitamine C circulante. La concentration est basse (5 à 15 mg/L) dans le plasma et les globules rouges, et très élevée dans les plaquettes et les globules blancs (80 fois supérieure). La concentration leucocytaire reflète celle des tissus. La vitamine C est réabsorbée à plus de 90 % au niveau tubulaire rénal après filtration glomérulaire. L’élimination urinaire se fait sous la forme native et de métabolites dont le principal est l’acide oxalique (55 %). Lorsque la concentration plasmatique dépasse 14 mg/L, la vitamine C absorbée est éliminée dans les urines. L’hypophyse et la corticosurrénale sont les organes les plus riches en acide ascorbique alors que le muscle et le foie ont les concentrations les plus faibles. Il n’existe ni synthèse ni stockage de la vitamine C dans l’organisme. Cela est une particularité de l’homme, du singe et du cobaye, du fait de la mutation du gène codant pour la L-gluconolactone oxydase nécessaire à la transformation du gluconate en acide ascorbique. Un apport quotidien minimal d’origine alimentaire est donc nécessaire, celui-ci provient essentiellement des fruits et des légumes frais (tableau 1). Le lait, la viande et les poissons n’en contiennent qu’une très faible quantité (0 à 2 mg/100 g). En France, les principales sources alimentaires de vitamine C sont les légumes et les fruits frais (70 %) et en quantité moindre les pommes de terre, le pain et les céréales (20 %). Le besoin minimal prévenant le scorbut est de 10 mg par jour, il suffit à maintenir un pool total de 350 mg [17]. La vitamine C intervient dans de nombreuses réactions biochimiques par un mécanisme d’hydroxylation. Son rôle dans la synthèse du collagène est important. Elle est un cofacteur indispensable à la proline et à la lysine oxydase qui interviennent dans la biosynthèse du procollagène et sont responsables de la formation d’hélices de collagène stables. La carence en vitamine C induit une altération de la structure du collagène [14]. Cela explique les manifestations cliniques du scorbut : altération de la formation de dentine et perte de dents, atteinte de la paroi vasculaire et purpura avec syndrome hémorragique, œdèmes, altération cutanée par atteinte de la kératine, remaniements osseux du fait de l’incapacité des ostéoblastes à former la bordure ostéoïde chez l’enfant. L’action de la vitamine C sur les dioxygénases, qui interfèrent dans le métabolisme de la carnitine et donc celui des acides gras à longue chaîne de la mitochondrie, explique la fatigue décrite au cours du scorbut. La vitamine C a un rôle de cofacteur dans la synthèse des catécholamines, notamment dans la transformation de la Tableau 1. Prévalence de la carence en vitamine C. Auteurs Contexte Nombre Ascorbémie < 2 mg/L DHSS [18] Royaume-Uni 1970 Personnes âgées à domicile ? 50 % Hercberg et al. [19] Région parisienne 1994 Sujets non hospitalisés 1 108 5 % des femmes (15 % après 65 ans) 12 % des hommes (20 % après 65 ans) Johnston et Thompson [20] États-Unis 1998 Classe moyenne 494 6% Fain et al. [21] Région parisienne 1997 Malades hospitalisés 184 16,9 % Malmauret et al. [28] Région parisienne 1999 Sans domicile fixe 87 72 % ayant des taux inférieurs au seuil de détection mt, vol. 19, n◦ 3, juillet-août-septembre 2013 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 04/06/2017. dopamine en norépinéphrine, ce qui peut rendre compte des troubles du comportement et de l’humeur observés au cours du scorbut. D’autres actions sont décrites : – une intervention dans le catabolisme de la phénylalanine et du cholestérol vers les acides biliaires ; – une augmentation du métabolisme des toxiques et carcinogènes par le cytochrome P450 hépatique. L’acide ascorbique favorise l’absorption du fer non héminique (réduction des ions ferriques en ions ferreux et chélation des ions ferriques) et joue un rôle dans la mobilisation du fer d’un compartiment à l’autre (fer circulant lié à la sidérophiline et fer de réserve lié à la ferritine). La vitamine C est un des quatre antioxydants de l’alimentation avec la vitamine E, le bêtacarotène et le sélénium, et participe à la dégradation des radicaux libres oxygénés, ce qui assure une protection contre les agents toxiques pour la cellule. Quelle est la prévalence de l’hypovitaminose C ? Les études réalisées dans les années 1970 au Royaume-Uni montraient que 50 % des personnes âgées vivant à domicile avaient une ascorbémie inférieure à 2 mg/L (tableau 1) [18]. Dans une étude réalisée sur 1 108 sujets (non hospitalisés) en région parisienne (Val-de-Marne 1994), Hercberg et al. [19] mettaient en évidence une ascorbémie inférieure à 2 mg/L chez 5 % des femmes et 12 % des hommes, pourcentage atteignant 15 % des femmes et 20 % des hommes après 65 ans. Johnston et Thompson [20] notaient 6 % de sujets carencés (< 2 mg/L) et 30,4 % de sujets déplétés dans une population « en bonne santé » de la classe moyenne américaine en 1998. Nous avons objectivé, dans une étude prospective de 184 patients hospitalisés dans un service de médecine interne de Seine-Saint-Denis [21], une hypovitaminose C dans 47,3 % des cas (ascorbémie < 5 mg/L) et une carence (ascorbémie < 2 mg/L) dans 16,9 %. Plus de 100 000 cas de scorbut ont été répertoriés dans les années 1990 parmi les réfugiées de la corne de l’Afrique [22]. Les taux d’ascorbémie varient en fonction de la saison avec des valeurs plus basses pendant les périodes hivernales où il est plus difficile de se procurer des fruits et des légumes frais [23]. Quelles sont les circonstances qui favorisent la carence en vitamine C ? Diminution des apports Elle est la conséquence du mode de vie ou de conditions socio-économiques particulières. Les hommes seuls, les personnes âgées, les éthyliques et les sujets ayant des régimes alimentaires volontairement restrictifs sont principalement atteints (tableau 2). Un certain nombre de facteurs de risque de carence ont été identifiés dans notre étude menée en milieu hospitalier ; en analyse univariée (le sexe masculin, le fait d’être retraité ou chômeur, d’avoir une maladie infectieuse et une consommation alcoolotabagique excessive) et en analyse multivariée : la retraite et la consommation excessive d’alcool et de tabac [21]. La prédominance masculine de l’hypovitaminose C est notée également par Jacob et al. [24] alors que Johnston et Thompson [20] ne trouvent pas de différence entre les deux sexes. Le tabac diminue l’absorption et augmente le catabolisme de la vitamine C avec un turnover journalier de vitamine C pour les gros fumeurs (plus de 20 cigarettes par jour), 40 % supérieur à celui enregistré chez les non-fumeurs [25]. Schectman [26] montre que les fumeurs ont trois fois plus de carence en vitamine C et considère que leur apport quotidien doit être supérieur à 200 mg par jour. L’influence du tabac n’est pas retrouvée par Lowik et al. [27] mais ils étudient une population très sélectionnée de femmes âgées. Dans notre étude, c’est la consommation excessive de tabac et d’alcool qui était significativement associée à l’hypovitaminose C. Kallner et al. [25] montrent également que l’alcool augmente les besoins. Tableau 2. Carence en vitamine C : populations à risque et facteurs favorisants. Diminution des apports Hommes seuls Sujets âgés Sans domicile fixe Consommation excessive d’alcool et de tabac Troubles psychiatriques : psychose, anorexie mentale. . . Maladies cachectisantes : cancer, sida. . . « Fast-fooder » et autres régimes déséquilibrés Alimentation parentérale exclusive non supplémentée Augmentation du métabolisme Fumeurs Diabétiques Hémodialyse et dialyse péritonéale Diminution de l’absorption Maladie de Crohn Maladie de Whipple Maladie cœliaque Augmentation des besoins Surcharges en fer Croissance, grossesse, allaitement Fausses carences (redistribution de la vitamine C plasmatique vers les leucocytes) Syndromes inflammatoires mt, vol. 19, n◦ 3, juillet-août-septembre 2013 181 Mise au point Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 04/06/2017. Une étude réalisée à Paris chez 87 sujets sans domicile fixe (depuis plus de deux ans) a recensé 95 % de sujets déplétés et 72 % ayant des taux inférieurs au seuil de détection ; 84 % d’entre eux consommaient régulièrement de l’alcool (175 ± 167 g par jour) et 75,5 % fumaient [28]. Des pathologies et certaines situations favorisent la carence : les troubles psychiatriques (psychose, anorexie mentale), les affections cachectisantes (cancer [29], sida par diminution des apports et augmentation des besoins), la nutrition parentérale non supplémentée, les sujets en hémodialyse ou en dialyse péritonéale. Diminution de l’absorption La carence peut être liée à une diminution de l’absorption au cours de pathologies intestinales : la maladie de Crohn [30], la maladie de Whipple [31] et la maladie cœliaque [32]. Augmentation des besoins Les besoins sont augmentés pendant la croissance, la grossesse, l’allaitement et au cours du diabète. Cunningham et al. [33] montrent que le taux d’acide ascorbique leucocytaire est plus bas chez les diabétiques insulinodépendants malgré des apports quotidiens conformes aux recommandations, ce que confirment Johnston et Thompson [20] pour des valeurs plasmatiques. Enfin, une augmentation de l’élimination est possible dans les surcharges en fer. Quelles sont les manifestations de la carence en vitamine C ? Le modèle de scorbut expérimental a montré le délai d’apparition des signes cliniques (tableau 3). Si le régime restrictif débute à J0, l’ascorbémie devient nulle à J41, la déplétion cellulaire à J121 et les premiers signes cutanés à J132. Les anomalies dentaires n’apparaissent qu’au bout de six mois. Le tableau clinique se constitue en un à trois mois de carence absolue en acide ascorbique quand le pool total de l’organisme est inférieur à 300 mg et que l’ascorbémie s’abaisse en dessous de 2 [20] à 2,5 mg/L [21]. Hodges et al. [34] montrent, en créant un scorbut expérimental chez cinq patients, que les premiers signes cliniques de scorbut apparaissent lorsque l’ascorbémie est entre 1,3 et 2,4 mg/L. Manifestations cliniques Les manifestations cliniques associent des signes généraux (asthénie, anorexie, amaigrissement) et des manifestations articulaires (arthralgies des genoux, des chevilles, des épaules, des poignets, des myalgies et des 182 Tableau 3. Manifestations cliniques et biologiques du scorbut. Signes généraux Asthénie Anorexie Manifestations ostéoarticulaires Arthralgies Myalgies Hémarthrose Chez l’enfant - Douleurs osseuses (hémorragies sous-périostées) - Radiographies (manchon périostéodiaphysaire, élargissement de l’extrémité antérieure des côte)s Syndrome hémorragique Purpura Ecchymoses Hématomes Hémarthrose Hémorragies des gaines des nerfs Hémorragies cérébrales, gynécologiques Manifestations stomatologiques Gingivite hypertrophique et hémorragique (absente en cas d’édentation) Parodontolyse Chutes des dents Manifestations cutanées Hyperkératose folliculaire Ichtyose pigmentée Œdèmes des membres inférieurs Atteinte des phanères : « cheveux en tire-bouchon », alopécie Autres Syndrome sec Hypertrophie parotidienne Troubles psychiatriques : dépression Déficit de l’immunité cellulaire et troubles de la phagocytose Convulsions Atteintes cardiaques - Modifications du segment ST et des ondes T - Morts subites Signes biologiques Anémie Leucopénie Hypocholestérolémie Hypoalbuminémie Ascorbémie inférieure à 2 mg/L ; baisse de l’acide ascorbique leucocytaire hémarthroses). Le syndrome hémorragique se traduit par un purpura pétéchial des membres et du tronc centré sur les follicules pileux, des ecchymoses, des hématomes (figure 1) mais également des hémorragies des gaines des nerfs (« paralysie douloureuse du scorbut »), des hémorragies intramusculaires pouvant être à l’origine de syndromes des loges, des hémarthroses responsables mt, vol. 19, n◦ 3, juillet-août-septembre 2013 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 04/06/2017. Manifestations cliniques chez l’enfant Le scorbut peut survenir chez l’enfant (maladie de Barlow) principalement entre six et 18 mois en cas d’alimentation artificielle exclusive non supplémentée [36]. Les manifestations sont principalement ostéoarticulaires : douleurs osseuses secondaires aux hémorragies sous-périostées. Les radiographies montrent un manchon périostéodiaphysaire et un élargissement de l’extrémité antérieure des côtes. Figure 1. Hématomes spontanés et œdèmes au cours du scorbut. Figure 2. Atteinte gingivale et chute de dents au cours du scorbut. parfois d’ostéolyses, des hémorragies digestives, voire des hémorragies gynécologiques ou cérébrales. Ce syndrome hémorragique est secondaire à une altération de la synthèse du collagène ; des anomalies des fonctions plaquettaires (troubles de l’agrégation) ont été toutefois détectées. Les manifestations stomatologiques (figure 2) ne sont pas toujours présentes bien qu’elles soient caractéristiques. La gingivite hypertrophique et hémorragique est d’autant plus intense qu’existe un mauvais état dentaire mais est absente en cas d’édentation. Une parodontolyse peut survenir secondairement entraînant une mobilité dentaire accrue et parfois une chute des dents. Sur le plan cutané, en dehors du purpura et des ecchymoses, les autres signes sont l’hyperkératose folliculaire, l’ichtyose pigmentée, les œdèmes des membres inférieurs et l’atteinte des phanères : « cheveux en tire-bouchon » et alopécie. Un syndrome sec associé à une hypertrophie parotidienne sont décrits. Enfin, des troubles psychiatriques à type de dépression ne sont pas rares. L’association d’arthralgies, de syndrome sec, de purpura peut égarer à tort vers un syndrome de Sjögren [35] ou une vascularite [7], un syndrome hémorragique vers une hémopathie. Manifestations biologiques Il existe le plus souvent une anémie hypochrome, normo- ou macrocytaire et multifactorielle. Elle peut être secondaire aux hémorragies, à une hémolyse intravasculaire mais elle est essentiellement liée à des carences associées en fer et en folates. Les folates ont la même origine alimentaire que la vitamine C et la vitamine C est nécessaire à l’absorption du fer. La leucopénie, l’hypoalbuminémie (témoin de la malnutrition globale) et l’hypocholestérolémie sont fréquentes. Le taux de cholestérol plasmatique évolue parallèlement à l’ascorbémie. Le diagnostic est établi par le dosage de l’ascorbémie, qui reflète plus les prises récentes d’acide ascorbique que le statut vitaminique réel de l’organisme. Les normales varient entre 5 et 16 mg/L. Cependant, ces valeurs ne peuvent être interprétées qu’en fonction de l’existence ou non d’un syndrome inflammatoire. Le syndrome inflammatoire favorise le transfert de la vitamine C du sérum vers les leucocytes, à l’origine d’une baisse de l’ascorbémie mais d’une augmentation de l’acide ascorbique leucocytaire, sans modification du pool total de l’organisme [37]. Le dosage de l’acide ascorbique leucocytaire est plus fiable car il représente mieux les stocks de l’organisme mais il n’est pas réalisé en pratique courante. L’évolution, en l’absence de diagnostic et de traitement, peut être dramatique : aggravation du syndrome hémorragique, risque infectieux majoré lié au déficit de l’immunité cellulaire et à des troubles de la phagocytose, convulsions, voire atteintes cardiaques. Les modifications du segment ST et des ondes T ne sont pas rares et il a été décrit des morts subites [38]. Durant la dernière guerre d’Afghanistan, 40 décès dus au scorbut ont été recensés par l’OMS en quelques semaines dans la région de Taiwara [39]. Déplétions asymptomatiques en vitamine C À côté des carences symptomatiques (scorbut) correspondant à des valeurs d’ascorbémie inférieures à 2 mg/L, des états de déplétion (entre 2 et 5 mg/L) peuvent être délétères s’ils se pérennisent : augmentation de risque d’infarctus du myocarde [40], de la sévérité des infections mt, vol. 19, n◦ 3, juillet-août-septembre 2013 183 Mise au point Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 04/06/2017. [41, 42] et par l’intermédiaire de la diminution de l’effet antioxydant, augmentation du risque de cancer [43], de cataracte [44] et de mortalité chez les hommes [45]. Vitamine C et cancer Plusieurs études épidémiologiques rapportent un effet protecteur de la consommation de fruits et légumes sur le risque de décès par cancer [14]. L’effet chez l’homme semble plus important que chez la femme [46]. Les cancers pouvant être favorisés par une carence en vitamine C sont ceux de la cavité buccale, du pharynx, de l’œsophage, de l’estomac et du pancréas [43]. Une relation avec les cancers colorectaux, pulmonaires et les cancers du sein a également été suggérée mais les études semblent contradictoires [47]. L’effet antioxydant de l’acide ascorbique pourrait inhiber les processus oxydatifs et les radicaux libres qui jouent un rôle dans l’initiation et la promotion du processus néoplasique. Cependant, les aliments riches en fruits et légumes ne comportent pas uniquement de la vitamine C, l’effet bénéfique peut être lié à d’autres micronutriments ou aux fibres alimentaires. L’analyse Cochrane [48] ne trouve pas d’arguments convaincants pour une supplémentation en vitamines antioxydantes dans la prévention des cancers digestifs. Vitamine C et cataracte Le cristallin contient des concentrations élevées de vitamine C et d’autres antioxydants, la baisse de la concentration de ces substances chez le sujet âgé favoriserait la survenue de la cataracte. Plusieurs études ont montré l’intérêt d’une supplémentation en vitamine C à des doses (120 à 500 mg par jour) et pendant des durées variables (jusqu’à dix ans) dans la prévention de la survenue d’une cataracte [14]. Deux études randomisées récentes sont discordantes. La première (n = 4 757) ne montre pas d’effet préventif à sept ans d’une supplémentation par 500 mg de vitamine C, 400 UI de vitamine E et 15 mg de bêtacarotène par jour sur la survenue ou la progression de la cataracte [49] ; la seconde (n = 158) met en évidence un ralentissement de la progression de la cataracte sur trois ans dans le groupe de patients recevant 750 mg de vitamine C, 600 mg de vitamine E et 18 mg de bêtacarotène [50]. L’analyse Cochrane, publiée en 2012 [51], conclut à l’absence d’intérêt d’une supplémentation en vitamines antioxydantes (bêtacarotène, vitamine C et vitamine A) pour prévenir ou ralentir la progression de la cataracte. Vitamine C et maladies cardiovasculaires L’étude MONICA [52] a montré qu’un taux plasmatique bas de vitamine C était un facteur de risque indépendant de décès par ischémie cardiaque ou cérébrale. Une autre étude [53] a mis en évidence une relation 184 inverse entre le taux plasmatique d’acide ascorbique et le risque de développer une angine de poitrine. Deux grandes études de cohortes américaines, la Health Professionals Follow-Up Study [54] et la Nurses’ Health Study [55, 56], n’ont pas pu établir de lien entre les apports en vitamine C et le risque de pathologie coronarienne. Ce résultat négatif a été attribué aux apports élevés de vitamine C dans les populations étudiées [57]. Toutefois, la Nurses’ Health Study a mis en évidence une protection coronaire accrue chez les femmes consommant des suppléments en vitamine C [56]. L’étude NHANE I (First National Health and Nutrition Examination Survey) [58] a montré l’existence d’une corrélation inverse entre les apports de vitamine C et la mortalité, notamment cardiovasculaire, des sujets masculins et à un moindre degré, féminins. Enfin, une étude prospective récente sur quatre ans [46] a montré que le taux plasmatique d’acide ascorbique était inversement corrélé à la mortalité cardiovasculaire, aussi bien chez l’homme que chez la femme, indépendamment de l’âge, de la pression artérielle, de la cholestérolémie et de la consommation de tabac. Vitamine C et troubles cognitifs Perrig et al. [59] ont montré une association entre les capacités de mémoire du sujet âgé et des taux élevés d’acide ascorbique. Deux études signalent que les patients atteints de la maladie d’Alzheimer présentaient des taux bas d’acide ascorbique et que la supplémentation en vitamine C semblait diminuer le risque de maladie d’Alzheimer [60, 61]. Tableau 4. Apports nutritionnels conseillés en acide ascorbique. Terrain mg/jour Nourrissons 20 Enfants de 1 à 3 ans 60 Enfants de 4 à 6 ans 75 Enfants de 7 à 9 ans 90 Enfants de 10 à 12 ans 100 Adolescents de 13 à 19 ans 110 Adultes de 20 à 60 ans 110 Femmes enceintes 120 Femmes allaitantes 130 Personnes âgées 120 Fumeurs 140 Diabétiques 140 mt, vol. 19, n◦ 3, juillet-août-septembre 2013 Tableau 5. Teneur des aliments crus en vitamine C (source : CIQUAL). Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 04/06/2017. Teneur en vitamine C (mg/100 g) Céréales Produits carnés Fruits, légumes et autres végétaux 200 Cassis 160-200 Poivron rouge cru 100-150 Poivron vert cru Poivron rouge cuit 70-100 Kiwi Poivron vert cuit 60-70 Fraise Litchi Cresson Ciboulette fraîche Orange Citron Jus d’orange frais Chou-fleur cru Chou rouge cru Chou de Bruxelles cuit Brocoli cuit 40-50 Oseille crue Mangue Groseille Citron vert Clémentine Mandarine Épinard cru Groseille à maquereau 35-40 Pomelo Jus de citron frais Mâche Laitue Cerfeuil frais Chou-fleur cuit Chou de Bruxelles appertisé Soupe aux légumes Jus de pamplemousse frais 30-35 Chou rouge cuit à l’eau Ail frais Mûre noire 50-60 Céréales enrichies (petit-déjeuner) Ris de veau cuit Persil frais Radis noir cru 25-30 Foie de veau cuit Jus d’orange à base de concentré Jus de pamplemousse à base de concentré Melon Framboise Ratatouille niçoise Fruit de la passion Oseille cuite à l’eau 20-25 Foie de génisse cuit Myrtille Radis Mûre Chou vert cuit Nectarine Jus de citron pasteurisé Courgette crue Les données Cochrane ne montrent pas d’intérêt d’une supplémentation en antioxydants sur la survie de sujets sains et de malades, la supplémentation en bêtacarotène et en vitamine E pouvant même augmenter la mortalité [62]. Quel traitement et quelle prévention ? Le traitement du scorbut consiste en l’administration de 1 g de vitamine C réparti en plusieurs prises quotidiennes (l’absorption intestinale et l’excrétion rénale sont saturables à partir de 100 mg d’apport), durant 15 jours, per os le plus souvent, par voie parentérale en cas de malabsorption. Le syndrome hémorragique disparaît en 48 heures et l’amélioration globale se fait en 15 jours. La reprise d’une alimentation normale est nécessaire. Les contre-indications à l’utilisation de la vitamine C sont exceptionnelles : l’oxalose, le déficit en G6PD (de fortes quantités de vitamine C peuvent déclencher une hémolyse) et les situations qui sont aggravées par une charge acide (goutte, acidose tubulaire rénale, cirrhose, hémoglobinurie paroxystique nocturne). Les consommations de grandes quantités de vitamine C au long cours peuvent favoriser l’apparition de calculs rénaux et de diarrhée. La prévention du scorbut est simple. Elle se fait mt, vol. 19, n◦ 3, juillet-août-septembre 2013 185 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 04/06/2017. Mise au point grâce à une alimentation équilibrée et riche en fruits et légumes. Les apports quotidiens recommandés en vitamine C étaient de 60 mg par jour pour un adulte, ils ont été augmentés aussi bien en France (110 mg par jour) (tableau 4) [63] qu’aux États-Unis (120 mg par jour) [14]. Ces recommandations tiennent compte de la prévention du scorbut (10 mg par jour suffisent) mais également des concentrations plasmatiques nécessaires à la diminution du risque de maladies cardiovasculaires, de cancer et de cataracte soit entre 9 et 12 mg/L [63]. Ces apports sont modulés en fonction de l’âge et du terrain (tableau 2). Les recommandations actuelles du comité pour la santé précisent qu’une consommation d’au moins cinq fruits et légumes par jour est nécessaire, ce qui correspond à 150 à 200 mg de vitamine C par jour, ces 200 mg par jour sont d’ailleurs recommandés par certains auteurs [64]. Malgré des apports quotidiens adaptés aux recommandations, un scorbut peut survenir dans certaines circonstances notamment en réanimation post-chirurgicale [65]. Cela a conduit à proposer des apports de 2 000 mg par jour d’acide ascorbique pour les patients séjournant en réanimation et ayant une alimentation entérale ou parentérale [66]. Les apports en vitamine C peuvent être déterminés à partir de tables alimentaires (tableau 5 ), toutefois ces valeurs sont faussées du fait de la dégradation rapide de la vitamine C. Birlouez-Aragon et al. évaluent le statut vitaminique C d’étudiants parisiens : sur 12 étudiants, 5 avaient des apports quotidiens inférieurs à 80 mg par jour de vitamine C suivant les données calculées à partir des tables alors que lorsque ces apports étaient mesurés, le nombre de sujets passait à 10 [67]. Les comparaisons entre les teneurs en vitamine C mesurées et répertoriées trouvaient des différences allant du simple au double. Cette différence était liée essentiellement à la sensibilité de la vitamine C à l’oxydation largement influencée par les conditions de stockage et de cuisson. 3. Ghorbani AJ, Eichler C. Scurvy. J Am Acad Dermatol 1994 ; 30 : 881-3. 4. Sherlock P, Rothschild EO. Scurvy produced by a Zen macrobiotic diet. JAMA 1967 ; 199 : 130-4. 5. Ellis C, Vanderveen E, Rasmussen J. Scurvy. A case caused by peculiar dietary habits. Arch Dermatol 1984 ; 120 : 1212-4. 6. Gabay C, Voskuyl AE, Gadiot G, Mignon M, Kahn MF. 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