La communication des soignants avec les malades chroniques

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La communication des soignants avec les
malades chroniques
Marchal Serge 2015
+ De la pathologie aigue réversible à la maladie
chronique létale
La plupart des maux qui nous frappent sont marqués par la chronicité.
La perspective d’une guérison n’est pas poursuivie. C’est la
prolongation de la vie du patient atteint d’une maladie chronique,
mais aussi à terme létale
La demande sociale et les réponses de la médecine entretiennent le
mythe d’une continuité de l’existence
Derrière la médicalisation de termes « maladies chroniques » c’est
aussi la mort qui est évincée.
+
L’annonce de mauvaises nouvelles
+
L’annonce de mauvaises nouvelles
! 
M.
Je passais. Donnez-moi du whisky et prenez-en aussi.
! 
P.
Mais je n'aime pas cela!
! 
M.
Du gin alors, ou du cognac. Ordre médical. Je n'apporte pas de bonnes nouvelles.
! 
Vous allez passer un mauvais moment. J'ai libéré ma soirée, je resterai avec
vous, si vous voulez.
! 
P.
Cher monsieur, cela ne fait pas un si mauvais moment que ça, vous êtes trop
modeste.
! 
M.
Je ne plaisante pas. Ma petite, vous êtes dans de mauvais draps.
! 
P.
Alors?
! 
M.
Je vous ai dit que votre poumon droit est très vilain n'est-ce pas? Il est pire que
ça.
! 
P.
A en juger par votre air malheureux, c'est grave. Buvez, et quand vous en aurez la
force, achevez la sentence.
Récit de la dernière année (J. Harpman)
+
L’annonce de mauvaises nouvelles
! 
M.
C'est inopérable. Tout le médiastin est engagé. Il faudra une biopsie pour
confirmer, mais je n'ai aucun doute, c'est typiquement la situation de
l'adénocarcinome des glandes à mucus. Cela ne répond pas à la chimiothérapie.
! 
P.
Combien de temps?
! 
M.
De six mois à un an
! 
P.
Des souffrances?
! 
M.
A peu près pas, sauf malchance, et vous les aurez déjà eues.
! 
P.
Comment meurt-on?
! 
M.
D'épuisement. D'abord l'organisme consomme toutes ses forces dans la lutte,
puis il abandonne.
! 
P.
! 
M.
Je veux que vous commenciez tout de suite la radiothérapie. Cela ne vous
guérira pas, ne vous stabilisera même pas, mais vous évitera quelques désagréments
mineurs dont on peut se passer.
! 
P.
Oui, je crois que je pourrai me passer des désagréments mineurs. Je ne suis pas
essoufflée.
! 
M.
Pourquoi me l'avez-vous dit?
C'est progressif. On s'adapte. Je suis désolé.
+
+
L’annonce de mauvaises nouvelles
M. Voilà donc le docteur z a demandé que vous passiez me voir pour les résultats de notre heu
biopsie qu’il a faite l ’autre jour, et malheureusement heu le test est inquiétant et… il y a
probablement une tumeur maligne dans la petite masse. Donc il faudra vous faire une
opération pour enlever cette masse complètement et en fonction des résultats qui, je crains
seront … défavorables pour vous, on devra enlever également les ganglions du…, qu’il y a
en dessous du bras, et en fonction des résultats de tous ces examens un traitement
complémentaire, mais…
Qui ne peut pas être précisé à ce stade.
P. C ’est un cancer quoi?
M. Je crains très fort, oui. Je crois ici dans votre dossier que votre maman, est décédée d ’un
cancer du sein et je suppose que ça a un impact particulièrement pénible pour vous. Mais il
faut bien vous dire que, qu’on a fait des tas de progrès dans les traitements du cancer du
sein et que dans votre cas particulier nous ne savons pas encore très bien si c ’est vraiment
malin. C ’est très probable donc je crois, il faut parler comme si c ’était, mais nous ne savons
pas du tout si on aura besoin de faire un traitement complémentaire.
P. Pffffff... c ’est vraiment la dernière chose qui pouvait m ’arriver
.
L’annonce de mauvaises
nouvelles
+
M. Bonjour. Comment allez-vous ?
P. Ça va.
M. Ça va ? C'est la première fois qu’on se voit heu. Vous êtes envoyée par le docteur heu Z, Je
pense heu. Qu’est-ce qu’il vous a déjà dit ?
P. Rien il m’a dit que, heu, enfin il m’a fixé le rendez-vous par rapport aux examens qu’on a faits,
la biopsie
M. Oui il vous avait déjà donné des nouvelles à ce niveau-là ou pas encore ?
P. Non .
M. Donc moi, j’ai les résultats, moi, ici heu, malheureusement on a vu au niveau de cette
biopsie qu’il y avait des cellules cancéreuses… Ce qui est un petit peu embêtant,…Je ne
sais pas si vous vous y attendiez…
P. Ça veut dire que c’est un cancer du sein ça ?
M. Oui, c’est un cancer du sein, débutant mais c’est un cancer du sein…
P. Et ça, on le sait ?
Med. 2
+
L’annonce de mauvaises nouvelles
M. Bonjour madame, bonjour monsieur.
P. Bonjour.
M. Je me présente. On ne s ’est jamais vus. Vous venez chercher les résultats?
Comment allez-vous?
P. Ça va, un peu fatiguée ces derniers jours, mais ça va.
M. Un peu stressée aussi?
P. Un petit peu.
M. Bien voilà. Les nouvelles sont ce qu’elles sont. Il faut, heu, il y a des cellules cancéreuses dans la
lésion qu’on a prélevée.
Ça veut dire, heu, que ce qui vous attend c ’est traitement, heu, chirurgical d ’abord un
P. C’est un cancer du sein ?
M. C ’est ça, c ’est ça.
X. C ’est bénin enfin je veux dire, …c ’est donc la boule qu’il faut enlever juste?
M. Non.
X C ’est comme un kyste?
M. Non, il faut enlever tout le sein, tout le sein qu’il faut enlever chez madame.
MED 3
Une rencontre entre deux individus : mais une
situation toujours asymétrique
•  Médecin :
• 
• 
• 
• 
• 
Connaissance scientifique
Situation habituelle (routine)
Relation professionnelle
Rationnelle
Indépendante
•  Patient :
• 
• 
• 
• 
• 
Ignorance
Situation exceptionnelle
Relation émotionnelle
Subjective
Dépendante
+
Médecin et les patients sont à la recherche
de différentes informations
Connaître et comprendre
Trouver le bon diagnostic
! 
Quels sont les symptômes?
! 
Quel est le problème?
! 
Quand a t-il commencé?
! 
Est-ce grave?
! 
Avez-vous eu avant?
! 
A t-il un nom?
! 
Est-il continu ou intermittent?
! 
Quelles sont mes perspectives?
! 
Avez-vous d'autres symptômes?
! 
Puis-je continuer à travailler?
! 
Y a t-il des facteurs psycho-sociaux
impliqués?
! 
Que puis-je faire moi-même pour
soulager la souffrance?
+
L’annonce de mauvaises
nouvelles
! 
Annoncer c’est faire don à l’autre d’une information : Voila ce que je sais
et que tu dois savoir.
! 
L’annonce n’est pas qu’une information, elle ne rend pas l’autre
simplement plus savant, elle dérange le chemin de vie, elle bouleverse
le destin.
! 
Cette annonce crée toujours une violence.
! 
Le médecin qui annonce est confronté à la souffrance de son patient.
Tous deux deviennent intimement lié par la soudaine intensité du
message délivrer.
! 
La parole, l’annonce doivent être utiles à l’autre, elles doivent servir le
présent pour faire vivre l’avenir.
+
L’annonce de mauvaises
nouvelles
! 
L’annonce d’une mauvaise nouvelle est « moralement nécessaire et
nécessairement immorale ».
! 
Moralement nécessaire parce que chacun est en droit de savoir à quels
bouleversements il va devoir accommoder son existence future.
! 
Nécessairement immorale parce que la mauvaise nouvelle requiert de
l’annonciateur qu’il dise à un autre ce que pour rien au monde il ne
voudrait s’entendre dire.
+
Les conflits des injonctions éthiques
! 
Le médecin doit consentir à sacrifier à une des deux règles éthiques qui
se télescopent.
! 
Ne pas faire subir à autrui la souffrance qu’il ne voudrait pas qu’on lui
fasse endurer. Cette règle incline au mensonge par omission, à
l’édulcoration compassionnelle de la vérité.
! 
L’autre l’enjoint à ne pas dissimuler à autrui une information qui le
concerne directement. Il faut savoir faire preuve d’une loyauté sans faille.
! 
Il se voudrait aimable et il se rend sciemment détestable.
+
Faire mal et se faire mal
! 
Plaquer un nom sur la maladie diagnostiquée, annoncer la maladie létale est
une mission ingrate.
! 
A quoi bon mettre des gants, lorsqu’il s’agit de toute façon d’appuyer sur la
gâchette ?
! 
A répéter que le médecin est dans une position de force, insister sur la
dissymétrie de la relation médecin /malade, on en oublierait à quel point il est
difficile d’annoncer une mauvaise nouvelle.
!  La
mauvaise nouvelle c’est ce qu’un médecin n’a pas envie de
dire à un patient, qui n’a pas envie de l’entendre. (N. Alby)
+
Le risque de «mal faire» au
moment de «faire mal»
! 
La manière forte, enfoncer le clou d’un seul coup plutôt que par petites
touches.
! 
Transmettre l’information à la hâte
! 
Mettre son angoisse entre les mains de l’autre.
! 
Violence fondamentale inhérente à la condition humaine : c’est lui ou moi
(Bergeret, 1983)
! 
Mal faire = ajouter à la violence du contenu, la maladresse de mise en
forme.
! 
C’est être vrai sans avoir été vrai.
Ptacek JT, Eberthardt TL, JAMA, 1996, 276: 496 - 505
+
L’implacable souveraineté du
langage
!  Toutes
les connotations qui gravitent autour d’un mot qui a
mauvaise presse (cancer) vont s’abattre sur lui telle une
chape de malheurs.
!  Cette
malédiction (dire le mal) nous dit quelque chose de
la transcendance du langage.
!  Heidegger
fait remarquer que « l’homme se comporte
comme s’il était le créateur et le maître du langage, alors
que c’est celui-ci ,au contraire, qui est et demeure son
souverain »
+
L’implacable souveraineté du
langage
! 
Un mot prononcé n’est jamais isolé. Il vient prendre place dans un
système de phrases, sans que le locuteur puisse totalement contrôler le
processus déclenché. Les mots s’évoquent mutuellement.
! 
On ne peut pas faire ce que l’on veut avec les mots : ils se prêtent main
forte ! 
C’est ce dont nous faisons l’expérience lorsque nous disons que nous
nous enfonçons, lors d’une bévue en essayant de se rattraper.
! 
Les bafouillages disent bien cette sensation déplaisant que lâcher un
mot c’est lâcher une bombe.
+
Enjeux de la relation soignant - soigné
Les patients et les proches sont demandeurs d’une prise en charge globale
qui tienne compte de leurs multiples problèmes
Cette prise en charge implique :
Une communication soignant - soigné performante
Un travail inter-disciplinaire efficace
Ces deux facteurs déterminent :
La satisfaction des patients et de leurs proches
La satisfaction professionnelle des intervenants
+ Les attentes en informations
Une grande majorité des patients :
•  veulent connaître leur diagnostic (79%)
•  désirent recevoir autant d’informations que possible (96%)
•  veulent connaître leurs chances de guérison (91%)
•  veulent être informés des effets secondaires des traitements
(94%)
+
Le langage: un nécessaire malentendu
! 
Chapman et al (2003) liste les difficultés de communication en
cancérologie
! 
Les organes importants peuvent ne pas être localisés. 99% et 94% des
patients positionnent correctement seins et poumons ; 46 et 37%
seulement le foie et la prostate. Les femmes localisent mieux que les
hommes la prostate.
! 
Pas au clair avec les notions de bénin et malin ; ne savent pas si leur
cancer est localisé ou évolué/métastasé et ne peuvent pas dire non plus
si leur traitement est curatif ou retarde simplement l’avancée du cancer
et ce malgré les explications dûment fournies.
! 
Le vocabulaire médical utilisé ne revêt pas la même signification pour
les interlocuteurs et ce davantage encore si des métaphores ou des
euphémismes sont utilisés.
Relation
Contenu
Relation
Relation
Contenu
Dépersonnalisation
Relation
Accomplissement
Epuisement
Relation
Contenu
Insatisfaction
Relation
Adaptation
Dépendance
« Que dire et comment ? »
« Quelles conséquences pour moi et pour lui ? »
« Suis-je capable de le dire ? »
« Qu’en penseront les autres ? »
COMMUNICATION
OUVERTE
DIFFICULTES DE
COMMUNICATION
+
+
Soutien
Évaluation
Information
+
L’introduction
Sollicitation de l’agenda du patient
•  Question ouverte invitant à l’expression
•  Omise dans 25 % des consultations
•  Éviter d’interrompre le patient
•  Interruption de 18 à 23 sec après la prise de parole
•  Sans interruption, le patient parle en moyenne 1 min 30
•  78% des patients ne parlent pas plus de 2 min
•  Solliciter l’ensemble des préoccupations
•  Définir l’ordre des priorités avec le patient
+
L’évaluation
Objectifs
Représentation du patient
Imprécise
Générale
Stéréotypée
Rechercher
Clarifier
Vérifier
Synthétiser
Représentation du patient
Précise
Particulière
individualisée
+
L’annonce de mauvaises nouvelles
Phases de l’information
Évaluation
Connu et souhaité
Incompréhension ou
compréhension partielle
Transmission de
l’information
Pas de signe de
détresse chez le patient
Vérification de la
compréhension
Patient en état
d ’entendre la suite
Signes de détresse
chez le patient
Évaluation de l’état
émotionnel
Patient « débordé »
Poursuivre
SOUTIEN
+
+
E
N
O
N
C
E
S
80
70
60
50
40
30
20
10
0
L’évaluation
+
Gestion des émotions
PATIENT
E
M
O
T
I
O
N
E
X
P
R
I
M
É
E
SOIGNANT
PATIENT
Évite
Rassure
Conseille
SENTIMENT
D’ÊTRE
INCOMPRIS
BLOCAGE DE
L’EXPRESSION
ÉMOTIONNELLE
SENTIMENT
D’ÊTRE
COMPRIS
FACILITATION DE
L’EXPRESSION
ÉMOTIONNELLE
Informe
Reconnaît
Explore
+ La transmission d’informations
Limites
LES FILTRES
Prise de décision
Transmission
d’informations
C
O
N
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X
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C
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T
I
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N
E
L
S
Adhésion au
traitement
Satisfaction
+
La transmission d’informations
Limites cognitives et émotionnelles
Détresse
émotionnelle
Limites
cognitives
+
Les crises existentielles en oncologie
PHASE DE
DIAGNOSTIC
PHASE DE
FOLOW-UP
TRAITEMENT
INITIAL
“Je
pourrais
en
mourir.”
PHASE DE
RECHUTE
REMISSION
“J’ai survécu
-Vais-je
rechuter?”
PHASE DE
PROGRESSION
TRAITEMENT
PALLIATIF
“Je risque
de mourir” -déprimé;
anxieux
DECES
PHASE
TERMINALE
“Je suis en
train de
mourir.”
Adapted from McCormick & Conley, 1995
+ La transmission d’informations
Recommandations actuelles
•  Evaluer les représentations, attentes, valeurs
• Adapter l’information
• Recommander l’information sur Internet
• Former les patients à la communication
•  Aider les patients à prendre des decisions sûres et
informées
+ Le soutien
Techniques facilitatrices
•  Écouter
•  Faciliter l’expression
•  Se montrer empathique
•  Rassurer
•  Interpréter le comportement et les dires du patient
•  Rappeler à la réalité
•  Confronter le patient à l’ambivalence
+
La clôture de l’entretien
•  Faire une synthèse (reformulation organisée) de ce qui a été dit:
But : - Contrôler la compréhension de l’information
- Donner l’occasion de revenir sur ce qui a été dit
- Mettre en évidence les oublis
•  Vérifier qu’aucun autre point majeur n’a été oublié
•  Négocier la suite de la prise en charge
+
Rencontrer un médecin qui est supposé
savoir
! 
Le médecin est censé lui apprendre ce qui le fait souffrir et
potentiellement le débarrasser de cette souffrance.
! 
Renvoie à la question du sujet supposé savoir et du transfert en
psychanalyse.
! 
La non maîtrise de sa propre mort renvoie à la position psychique du
petit enfant qui ne maîtrise pas le monde .
! 
Il ne viendrait d’ailleurs à personne de chercher à autonomiser un petit
enfant. Qui plus est face aux événements réels les plus durs et les plus
inouïs, le mouvement psychique spontané de l’humain est de protéger et
de sécuriser le plus faible.
! 
Le mouvement spontané à l’égard du tout petit enfant face à un grave
danger n’est-il pas de tenter de maintenir une illusion ?
+
Parler du pronostic
! 
La médecine parfois, lorsqu’elle donne au malade en fin de vie des
informations médicales rationnelles et objectives, lui intime l’ordre moral
de réfléchir à ce qu’il voudrait pour lui-même, ne le force -t-on pas à
s’engager sur cette voie qui consiste à s’envisager lui-même comme un
cas clinique.
! 
Pour appréhender la question du savoir médical encombrant qui amène
le patient à vivre au-dessus de ses moyens psychiques. (Ferenczi : le
nourrisson savant)
! 
L’adulte a délibérément ou à son insu imposé à l’enfant une souffrance
insupportable qui le condamne à vivre au-dessus de ses moyens
psychiques. Ce mécanisme a lieu lorsque l’adulte ne prend pas
suffisamment la mesure de la détresse de l’enfant.
+
Parler du pronostic
! 
Un drame similaire se joue, lorsque le médecin nome la possibilité
de mort ou de manière plus nuancée lorsqu’il nomme les choses à
partir de l’anticipation de la mort ?
! 
En forçant un savoir impossible, irreprésentable pour le patient, la
parole du médecin ne transforme-t-il pas le malade en patient savant,
en patient séduit par ce point énigmatique et fascinant ?
! 
Ce processus iatrogène se produit justement parce que le soignant
méconnaît le fait que c’est plus à de l’infantile qu’à l’adulte qu’il a à
faire. Peut-être est-ce le point aveugle nécessaire pour le médecin
dans l’exercice de son métier aujourd’hui ?
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