A C T U A L I T É Onzième Journée d’étude du CEGORIF Table ronde : “Informer sans terroriser” Paris, 9 avril 1999 " St. Saint-Léger* C ette table ronde présidée par madame le Dr Joëlle Belaïsch-Allart et le docteur Saint-Léger, malgré l’heure tardive, a été fort animée par les différents intervenants sur un thème douloureux et d’actualité : quelle est la bonne formule : informer sans terroriser ou informer et terroriser ? Là est tout le dilemme, bien informer restant pour l’instant souvent du domaine de l’utopie. ! Le Dr Jean-Alain Cacault, représentant le Conseil national de l’Ordre des médecins, a rappelé tout d’abord quelques notions élémentaires sur la nécessité d’informer. Autrefois, un praticien disait : “le nécessaire a été fait”. Cette information laconique suffisait. Aujourd’hui, il est nécessaire d’en dire plus, d’informer le malade, sa famille et d’éviter ainsi tout paternalisme afin de favoriser une certaine autonomisation des patients. Le serment d’Hippocrate rappelle : “j’informerai les patients des décisions envisagées, de leur raison et de leur conséquence ; je ne tromperai jamais leur confiance”. L’article 29 du Code de déontologie stipule : “le médecin doit s’efforcer d’obtenir l’accord du malade avant l’exécution du traitement”, ce que confirme un autre arrêt : “la volonté du malade doit toujours être respectée dans la mesure du possible”. Toute relation entre médecin et patient est une relation de confiance, et avant tout une relation contractuelle ; or, qui dit contrat dit information. Ainsi, l’article 16.3 du Code civil (loi de bioéthique) confirme : “il ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité thérapeutique pour la personne après avoir recueilli le consentement de l’intéressé”. Cette intégrité physique et psychologique concerne les actes thérapeutiques et d’investigation. L’article 36 du Code de déontologie nous rappelle que “le médecin doit respecter le refus après avoir averti le malade des conséquences de ce refus”. Il s’agit d’un consentement éclairé qui doit réunir plusieurs conditions : obtenir la permis- * CHI André-Grégoire, 56, bd de la Boissière, 93105 Montreuil Cedex. 10 sion ou l’autorité pour intervenir sur la personne d’autrui, respecter la dignité individuelle, respecter la liberté individuelle, reconnaître que les individus sont les meilleurs maîtres de leurs intérêts, établir une relation de confiance entre médecin et patient. Consentement appelle information. Cette information, d’après l’article 35 du Code de déontologie, doit être claire (c’est-à-dire ni formelle, ni scientifique, ni bâclée), loyale (complète et exacte) et appropriée (c’est-à-dire personnalisée selon le patient, le traitement ou l’évolution de la maladie) en tenant compte de la personnalité du patient et de sa capacité de compréhension. Cependant, depuis l’arrêt du 25 février 1997 sur le renversement de la charge de la preuve, c’est au médecin d’apporter la preuve de l’information. Ce mode de preuve reste libre, il n’existe pas d’obligation de preuve écrite. En conclusion, le Dr Cacault nous rappelle un dicton sage : “les paroles s’envolent et les écrits restent”, ou encore, plus simplement, “les mots pour le dire (la relation contractuelle de confiance et le dialogue entre le médecin et le patient), les écrits pour le prouver”. ! M. Jean Guigue, président du tribunal de grande instance de Bobigny, confirme également le changement d’époque : “on est passé du paternalisme au consumérisme. On demande au malade son avis.” La relation médecin-malade étant déontologiquement contractuelle, pour qu’il y ait contrat, il faut qu’il y ait équilibre : l’information doit donc être compréhensible. M. Guigue paraît cependant optimiste, malgré l’arrêt du 25 février 1997. Il précise qu’il n’y a pas eu de véritable explosion de jurisprudence négative à l’égard des médecins. La jurisprudence actuelle repose encore sur la présomption. Afin d’y parvenir, le juge qui n’a pas la preuve de l’information va tirer du dossier un certain nombre d’éléments indirects en faveur de cette information : un dossier médical bien tenu, les circonstances de dialogue entre le médecin et le patient, le délai entre la proposition d’une intervention et le jour de l’intervention. Pour conclure, M. Guigue constate que le contrat médical médecin-patient se “judiciarise” inéluctablement : il propose la rédaction de documents qui seront appropriés et personnalisés, comportant les risques graves, les risques mineurs et les risques éventuels encore inconnus. La Lettre du Gynécologue - n° 246 - novembre 1999 ! Le troisième intervenant de la table ronde, M. Nicolas Gombault, a fait part du point de vue des assureurs. Il a d’abord précisé que l’information est obligatoire (c’est une obligation légale, déontologique et jurisprudentielle), que l’excès d’information tue l’information (le juste milieu est difficile à trouver), que l’information doit porter sur l’ensemble des risques, quels qu’ils soient et, enfin, que cette information doit être claire et appropriée au regard des patientes mais également au regard de la compréhension de certains magistrats... Quant à informer sans terroriser, il propose quatre pistes de réflexion : – Ne pas se focaliser sur l’information et sur les risques. L’information doit porter sur l’état de santé du patient, sur son évolution possible, sur la nature exacte des thérapeutiques proposées et leurs conséquences éventuelles. – Le colloque singulier qui nécessite dialogue et écoute permet de diminuer le caractère anxiogène d’une annonce. – La possibilité, dans certains cas, d’utiliser une dérogation à l’obligation d’information, quand on juge que l’information prodiguée aux patients peut provoquer un trouble trop important (arrêt du 7 octobre 1998), sous réserve de pouvoir en justifier ultérieurement. – L’information est-elle obligatoire quand il n’y a pas d’autre alternative ? L’exemple type dans notre spécialité est la césarienne pour souffrance fœtale. Dans ce cas, il n’y aura pas faute, mais préjudice. Ce dernier point est important, car M. Gombault anticipe les dérives actuelles de la judiciarisation de la médecine après deux décisions récentes de cours d’appel donnant aux médecins une obligation de sécurité-résultat : en cas de confirmation par la Cour d’appel et de cassation, la responsabilité du praticien sera retenue, même en l’absence de toute faute technique. C’est donc reconnaître un droit à l’indemnisation pour tout patient, dès lors qu’il a subi un dommage à l’occasion d’un acte, d’un soin ou d’une hospitalisation, et ce même si aucune faute médicale n’a pu être démontrée. La responsabilité médicale devient un véritable enjeu économique et juridique. Si la Cour de cassation confirme l’obligation de sécurité à la charge des praticiens, trois spécialités deviendront immédiatement inassurables : l’anesthésie, la chirurgie et l’obstétrique. ! Le Pr Gérard Levy, représentant le ministère de la Santé, constate comme les précédents interlocuteurs une augmentation constante de la judiciarisation de la médecine. Il souligne La Lettre du Gynécologue - n° 246 - novembre 1999 même que les gens les plus terrorisés à l’heure actuelle sont les médecins, et non les patients. Cependant, il émet plusieurs remarques : l’information doit-elle être complète ? Où doit-elle commencer et où doit-elle finir ? Il prend l’exemple suivant : faut-il avertir toute femme enceinte en début de grossesse du risque potentiel d’embolie amniotique, alors qu’elle n’a pas d’autre choix qu’accoucher ? L’information complète concerne-t-elle les interventions ou les actes pour lesquels il existe une alternative, ou concerne-t-elle la prise en charge générale de toute personne malade quelle qu’elle soit ? L’irruption de l’argent dans le débat est évidente : de plus en plus de patients, même s’ils ont été informés correctement et même s’il n’y a pas de faute professionnelle, portent plainte pour obtenir une indemnisation, c’est-à-dire de l’argent. Cependant, il paraît normal qu’en l’absence de toute faute grave, un patient qui a subi un dommage important ait droit à une indemnisation : il s’agit d’une “catastrophe individuelle”. C’est répondre à l’aléa thérapeutique. Ce dernier point aura un retentissement financier très important, et il est clair qu’une solution globale au problème de l’indemnisation sans faute de tous les individus devra être trouvée. “L’indemnisation doit venir de l’extérieur”, de la création d’un fonds de solidarité nationale ou d’une fiscalisation indexée en vue de réparer les dommages en cas de préjudice sans faute. ! Mme Joliot, représentant l’Union des consommateurs, exprimait sa crainte que l’existence d’une lettre d’information expose le patient à ne plus pouvoir aller en justice ; ce doute bien légitime a été rapidement levé par M. Guigue. En guise de conclusion, les différents orateurs ont confirmé la judiciarisation de la médecine, nécessitant, après information claire et appropriée, le recueil (preuve ?) du consentement éclairé du patient avant tout acte ou investigation. Le débat sur l’information risque d’être dépassé par la tendance actuelle à “l’obligation de sécurité-résultat”, à laquelle sera tenu le médecin, amenant la nécessité de création d’un fonds d’indemnisation pour tout préjudice sans faute. Enfin, l’ensemble de la table ronde a invité la profession à mieux communiquer avec les patients et la justice mais également avec le quatrième pouvoir, c’est-à-dire la presse, en recherche constante de sensationnel. La responsabilité médicale, les fautes virtuelles et la détresse des victimes se vendent très bien ! Ce sera le thème d’une prochaine table ronde. # 11