IEP DE TOULOUSE Mémoire présenté par Mlle Marie FRANCONY

publicité
IEP DE TOULOUSE
Mémoire présenté par Mlle Marie FRANCONY
Directeur du mémoire : M. Didier BOUVET
Date : 2012
IEP DE TOULOUSE
Mémoire présenté par Mlle Marie FRANCONY
Directeur de mémoire : M. Didier BOUVET
Date : 2012
REMERCIEMENTS
Mes premiers remerciements vont naturellement à M. Didier Bouvet, mon directeur de
mémoire sans qui cette entreprise n’aurait pas été possible. Merci pour sa disponibilité, ses
conseils avisés, sa patience et sa bonne humeur contagieuse.
Un grand merci à mes parents pour leur écoute, leur relecture attentive et leur soutien
de tous les instants.
Je remercie également Mme Delphine Espagno, directrice du parcours Carrières
Administratives pour son encadrement efficace et ses remarques parfois sans concessions
mais toujours bénéfiques pour progresser.
A Mme François Perrin, ma maître de stage au tribunal administratif de Toulouse,
toute ma gratitude pour l’aide qu’elle m’a apportée bien au-delà des délais du stage.
Enfin je remercie toutes les personnes qui ont fait de ces cinq années à Sciences Po ce
qu’elles ont été, mes meilleures années, et tout particulièrement Lydie A. pour sa présence et
son réconfort au quotidien.
Avertissement : L’IEP de Toulouse n’entend donner aucune approbation, ni
improbation dans les mémoires de recherche. Ces opinions doivent être
considérées comme propres à leur auteur(e).
ABREVIATIONS
ADH……………………………………………………... Association des directeurs d’hôpital
AFSSAPS………………………. Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé
AMP…………………………………………………….. Assistance médicale à la procréation
ANAES…………………………… Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé
ANSM……………………………...Agence nationale du médicament et des produits de santé
AP-HP…………………………………………….. Assistance publique des hôpitaux de Paris
ARS………………………………………………………………… Agence régionale de santé
CAA……………………………………………………………... Cour administrative d’appel
Cass. ass. plén……………………………………… Cour de Cassation en assemblée plénière
Cass Civ………………………………………….. Cour de Cassation dans sa formation civile
Cass crim………………………………………...Chambre criminelle de la Cour de Cassation
CDM…………………………………………………………… Code de déontologie médicale
CE……………………………………………………………………………… Conseil d’État
CESDH……………………….. Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme
CH…..……………………………………………………………………… Centre Hospitalier
CHI………………………………………………………....Centre hospitalier intercommunal
CHU…………………………………………………………....Centre hospitalier universitaire
CIVI…………………………………..Commission d’indemnisation des victimes d’infractions
CJA…………………………………………………………….. Code de justice administrative
CMV…………………………………………………………………………..Cytomégalovirus
CRCI……...Commission régionale de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux
CSP…………………………………………………………………… Code de Santé Publique
DH………………………………………………………………………… Directeur d’hôpital
EBM……………………………………………………………….....Evidence Based Medicine
FFSA………………………………………….Fédération française des sociétés d’assurances
HAS…………………………………………………………………… Haute autorité de santé
IPP……………………………………………………………..Incapacité permanente partielle
ITT………………………………………………………………...Incapacité temporaire totale
IVG…………………………………………………….....Interruption volontaire de grossesse
MACSF…………………………………….. Mutuelle d’assurance du corps de santé français
MSA………………………………………………………………… Mutuelle sociale agricole
ONIAM……………………………...Office national d’indemnisation des accidents médicaux
RAPO……………………………………………. Recours administratif préalable obligatoire
RMO………………………………………………………... Références médicales opposables
SHAM…………………………………………… Société hospitalière d’assurances mutuelles
TC………………………………………………………………………... Tribunal des Conflits
TGI……………………………………………………………….. Tribunal de grande instance
SIDA……………………………………………….. Syndrome de l’immunodéficience acquise
VHC……………………………………………………………………….Virus de l’hépatite C
VIH…………………………………………………..….Virus de l’immunodéficience humaine
SOMMAIRE
INTRODUCTION ...................................................................................................................... 1
PREMIERE PARTIE : UN DUALISME ORIGINEL DES REGIMES DE
RESPONSABILITE, MOTEUR DE L’ACCROISSEMENT DES CONTENTIEUX ............. 9
CHAPITRE 1 : Les régimes de nature réparatoire, un objectif d’indemnisation de la
victime ............................................................................................................................................. 11
CHAPITRE 2 : Les régimes de nature sanctionnatrice, un objectif théorique de punition
des responsables de dommages.................................................................................................... 24
DEUXIEME PARTIE : L’INFLATION JURIDIQUE COURONNÉE PAR LA LOI DE 2002,
VERS UNE JUDICIARISATION DU CHAMP DE LA SANTÉ .......................................... 35
CHAPITRE 1 : De grandes évolutions dictées par une logique de rapprochement des deux
juridictions ...................................................................................................................................... 38
CHAPITRE 2 : La loi du 4 mars 2002, quel impact sur la tendance à la judiciarisation de la
santé ? .............................................................................................................................................. 50
TROISIEME PARTIE: L’APPROFONDISSEMENT DE LA JUDICIARISATION DE LA
SANTE PAR LA PENALISATION, ENTRE MYTHE ET REALITE ................................. 62
CHAPITRE 1 : L’importance de la perception des acteurs d’une pénalisation de la
responsabilité.................................................................................................................................. 64
CHAPITRE 2 : Quelle réalité pour la pénalisation ? ................................................................ 73
CONCLUSION ........................................................................................................................ 85
ANNEXE 1 : SCHEMA DU FONCTIONNEMENT DE LA CRCI ........................................... 91
BIBLIOGRAPHIE.............................................................................................................................. 92
INTRODUCTION
Le stage effectué au sein du tribunal administratif de Toulouse est à l’origine de
l’écriture de ce mémoire. Ce stage de deux mois s’est déroulé au sein de la deuxième
chambre, consacrée au traitement du contentieux fiscal et de la santé. Il visait essentiellement
à acquérir les compétences juridiques nécessaires à la préparation du concours de directeur
d’hôpital, tout en améliorant la compréhension des enjeux juridiques propres au champ du
droit de la santé. Cette compréhension est d’autant plus importante pour un directeur qu’il
endosse, à travers son établissement ou même parfois de manière personnelle, la
responsabilité pour les fautes commises par son personnel. Que ce soit la responsabilité
administrative pour laquelle la responsabilité de l’établissement se substitue à celle de l’auteur
de la faute ou la responsabilité pénale dans le cadre de laquelle la responsabilité indirecte des
dirigeants est de plus en plus souvent engagée, la maîtrise de ces concepts est nécessaire pour
tout directeur.
Le choix de la juridiction administrative n’était pas anodin non plus dans la mesure où
cette juridiction est en mutation constante. Les tribunaux administratifs, par l’interprétation et
l’application des règles de droit par le juge, ainsi que par leur ancrage dans la réalité tant
juridique que sociale et économique, permettent d’appréhender dans son ensemble la relation
entre juges et justiciables. Car face aux attentes de plus en plus fortes que les citoyens et les
acteurs publics placent dans les juridictions administratives, la justice administrative doit
s’adapter à l’évolution du droit et de la société. Le contentieux administratif est en effet en
forte croissance. Depuis le début des années 2000, il progresse chaque année de 6,5% pour les
tribunaux administratifs et de 10% pour les cours administratives d’appel. Il faut donc
répondre à un flux croissant de requêtes. A ce titre, le tribunal administratif de Toulouse est
particulièrement emblématique des nouveaux enjeux de la justice administrative. Le
contentieux porté devant cette juridiction a progressé de près de 50% entre 2003 et 2008, ce
qui a eu la conséquence inévitable d’accroître le délai moyen de jugement. Ce dernier est
passé à 1 an et 10 mois à la fin de l’année 2008. Cependant la juridiction administrative
1
toulousaine reste le tribunal administratif français le plus en retard en termes de dates des
dossiers traités.
Cette forte augmentation du contentieux a éveillé ma curiosité, et je me suis interrogée
sur la factualité de ce phénomène dans le contentieux de la santé. C’est pourquoi mes
premières recherches ont porté sur l’éventualité d’une judiciarisation des relations entre
acteurs de santé.
Il est vite apparu que cette tendance, si elle en est, devait être replacée dans un contexte de
juridicisation de la société, que je m’attacherai d’ores et déjà à définir et à distinguer de la
judiciarisation.
Nous reprendrons ici les définitions très pertinentes proposées par le procureur général
près la Cour de Cassation Jean-François Burgelin, dans sa note sur la judiciarisation de la
médecine1. Pour lui la juridicisation signifie « que les rapports humains sont plus souvent
réglés par le droit que par d’autres types de relations telles que la lutte, l’hostilité, la courtoisie
ou la prévenance. Une société se juridiciarise2 quand le droit devient la règle d’or des
relations entre les êtres humains. » Difficile de dire si le droit est « la règle d’or » des relations
entre Français, mais il est néanmoins impossible de nier que la réglementation juridique est
présente dans tous les milieux professionnels, que ce soit pour la régulation des relations entre
dirigeants et salariés comme pour celle du secteur dans son ensemble. De plus en plus, la
France est soumise à des règlementations européennes et le droit international a également
une position importante dans la hiérarchie des normes, ce qui multiplie nécessairement les
ressources juridiques déterminant le droit applicable.
Mais lorsque le droit a une place si importante, comment le faire respecter ? Le
recours au contentieux est une des solutions, mais également une des caractéristiques de la
judiciarisation selon Jean-François Burgelin : « Tout autre chose est la judiciarisation de la
société. Il ne s’agit plus seulement de considérer le droit comme constituant le lien social
ordinaire. La société se caractérise par un appel au juge comme un recours nécessaire à la
régulation des rapports humains. Le procès devient un moyen habituel non seulement
d’obtenir la reconnaissance de son droit, mais de le faire mettre en application par une
intervention de l’État, dont le juge n’est qu’une émanation ». Partant de cette définition, on
1
2
J-F Burgelin, « La judiciarisation de la médecine », base documentaire de l’INSERM, mars 2003, 11 p.
Nous utiliserons plus volontiers l’autre formulation plus répandue et limitant les confusions : « juridicise »
2
peut considérer que la judiciarisation d’une société ou d’un secteur précis peut être évaluée à
l’aune d’un critère quantitatif, celui de l’augmentation du nombre de recours contentieux,
mais aussi d’un critère qualitatif, celui d’une dégradation du lien social assez forte pour
nécessiter le recours à un juge.
La problématique de la judiciarisation de la santé n’est pas nouvelle, pas plus que celle
de la juridicisation qui semble être déjà ressentie depuis longtemps dans le monde de la santé.
J-F Burgelin note ainsi que « les médecins des plus anciennes générations déplorent souvent
les tendances modernes à la juridicisation de notre société et regrettent une époque révolue où
leurs relations avec leurs patients étaient fondées sur la confiance et sur les clauses d’un
contrat ». Si ces deux mouvements complémentaires de juridicisation et de judiciarisation
inquiètent les acteurs du champ de la santé, cela suffit pour en venir à s’interroger sur leur
factualité.
On utilise indifféremment depuis le début de cet exposé le concept de droit de la santé.
Il est important de préciser que la notion est très peu définie par la doctrine. Toutefois on
retiendra une définition de Gérard Mémeteau, fondateur de la revue générale de droit médical,
selon lequel le droit de la santé comprend « d’une part, la règlementation des actions
concernant l’objectif de santé, interdiction, incitation, « police » administrative de la santé ;
d’autre part, l’organisation des services publics et des professions intervenant en matière de
santé ( D.A.S.S, hôpitaux publics, professions) et, enfin, les relations entre individus relatives
à la santé (ex type : le contrat médical et ses suites telles que la responsabilité médicale), ainsi
qu’une partie du droit de l’urbanisme (hygiène publique), de l’environnement […] »3. Dans le
cadre de cette étude, nous retiendrons en particulier le droit des relations entre individus
relatives à la santé, à proprement parler les régimes de responsabilité applicables aux
professionnels de santé. Il est à noter que l’étude de ces régimes concerne également en partie
l’organisation des services publics dans la mesure où la responsabilité administrative engage
celle de l’établissement hospitalier tout entier et non de l’agent.
Il s’agit maintenant d’imbriquer entre elles les notions de judiciarisation, et de
responsabilité en santé. En effet, on se concentrera ici sur l’éventualité d’une judiciarisation
dans le sens d’un engagement croissant de la responsabilité des professionnels de santé, même
3
G. Mémeteau, « Cours de droit médical », Les études hospitalières, 2ème édition, Bordeaux, 2003, p. 68
3
si l’expression « judiciarisation du droit de la santé » pourra être occasionnellement utilisée
comme synonyme de ce phénomène.
Or, nous allons voir que cette théorie n’a rien d’évident. En effet, même si certains préceptes
ont été consacrés dès les débuts de la pratique de la médecine, la responsabilité au sens où on
l’entend ici n’a été consacrée que récemment (19ème siècle). De plus, même après sa
consécration, il fallut bien longtemps pour que cette responsabilité permette la mise en cause
d’un soignant dans un contentieux, justice et santé entretenant jusque là des rapports
d’indifférence mutuelle.
Le code d’Hammourabi, édicté en 1750 avant Jésus-Christ, est la plus ancienne trace
de responsabilité médicale que l’on puisse trouver, même si à cette époque la responsabilité
du médecin tenait plutôt du précepte biblique « œil pour œil, dent pour dent ». Ainsi, ce code
prévoit : que si le patient meurt ou a les yeux crevés au cours d’un acte médical, le médecin
sera amputé des deux mains, si le patient a un œil crevé par un poinçon de bronze au cours de
l’acte, le médecin n’aura qu’une main amputée4. Dans l’Égypte antique du 6ème siècle avant
JC, c’est au code de Darius que doivent se fier les médecins, d’autant plus important qu’il
consacre pour la première fois le principe d’évaluation des actes du praticien en fonction de
règles établies : ainsi, si en suivant les règles du livre sacré le médecin perd son malade, il est
innocent, mais s’il s’est écarté de ces règles alors il est coupable et peut être condamné à
mort5. C’est finalement en 406 avant JC, dans la Grèce antique, que l’on retrouve les
fondements de la responsabilité médicale moderne (dont la responsabilité disciplinaire en
particulier est encore très empreinte) puisque c’est la date de rédaction du serment
d’Hippocrate sur lequel les jeunes médecins continuent à prêter serment aujourd’hui. Dans sa
version actuelle abrégée, il dispose : « En présence des Maîtres de cette École, de mes chers
condisciples et devant l’effigie d’Hippocrate, je promets et je jure d’être fidèle aux lois de
l’honneur et de la probité dans l’exercice de la médecine. Je donnerai mes soins gratuits à
l’indigent et je n’exigerai jamais un salaire au dessus de mon travail. Admis à l’intérieur des
maisons, mes yeux ne verront pas ce qui s’y passe ; ma langue taira les secrets qui me seront
confiés, et mon état ne servira pas à corrompre les mœurs ni à favoriser le crime. Respectueux
et reconnaissant envers mes Maîtres, je rendrai à leurs enfants l’instruction que j’ai reçue de
leurs pères. Que les hommes m’accordent leur estime si je suis fidèle à mes promesses. Que je
4
5
J. Marty, Médecine générale : responsabilité et urgence, thèse de médecine, université de Toulouse, 1997
P. Meyer, « L’irresponsabilité médicale », Paris, Bernard Grasset, 1993, 218 p.
4
sois couvert d’opprobre et méprisé de mes confrères si j’y manque. »6. Plusieurs dispositions
législatives actuelles se retrouvent déjà dans ce serment, comme par exemple la notion de
secret médical. De même, le principe du lien de causalité sera reconnu à partir de la lex aquila
consacrée au IIème siècle avant JC : si le médecin est jugé coupable d’une culpa gravis (faute
grave littéralement, l’équivalent de la faute lourde aujourd’hui),et que la victime apporte la
preuve d’un manquement du médecin à ses obligations, ce dernier sera condamné. On
identifie également ici l’origine de la charge de la preuve au plaignant.
Pourtant, l’arrêt du 26 juin 1696 du Parlement de Paris sonne comme un retour en arrière,
puisqu’il dispose qu’une victime ayant choisi elle-même son docteur ne peut se plaindre et
doit supporter les inconvénients du traitement7. La responsabilité civile est donc inexistante à
ce moment. Rappelons ici que la responsabilité administrative l’est tout autant en vertu du
principe selon lequel « le roi ne peut mal faire ».
Pendant longtemps donc, le médecin a bénéficié d’une forme d’immunité, notamment
grâce à l’omniprésence de la religion. En vertu de croyances religieuses, les décès de patients
étaient plus généralement dus à la fatalité religieuse qu’à une erreur du soignant. Ambroise
Paré, grand chirurgien et anatomiste français du XVIème siècle, disait ainsi avec humilité « Je
le pansai et Dieu le guérit »8. Plus récemment, on retrouve cette idée dans la phrase de JeanFrançois Casimir Delavigne, poète et dramaturge français : « Mauvaise ou bonne, on prend la
santé comme Dieu nous la donne »9.
Il faut donc attendre le XIXème siècle pour que médecine et santé publique soient
soumises progressivement au droit commun. Le premier cas connu d’engagement de la
responsabilité civile d’un médecin remonte à l’année 1825. Le 23 septembre, le Docteur Hélie
rate un accouchement ce qui occasionnera d’importants handicaps à l’enfant né. Et c’est le
tribunal civil de Domfront, dans l’Orne, qui aura à connaître de ce contentieux après la plainte
déposée par les parents. Or le tribunal demande un avis à l’Académie de Médecine sur cette
affaire, qui ne manquera pas l’occasion d’exprimer son opinion sur le sujet, illustrant ainsi le
6
Plusieurs versions de ce serment circulent actuellement, celle-ci est la version utilisée à l’université de
médecine de Montpellier I
7
J. Marty, Médecine générale : responsabilité et urgence, op. cit.
88
Paré écrivit cette phrase, dans un cahier de notes, au sujet des soins qu'il donna au capitaine Le Rat, lors de la
campagne de Piémont de 1537-1538. Il utilisera cette formule tout au long de sa carrière. J-P Poirier, Ambroise
Paré, Paris, Pygmalion, 2006, p. 42
9
J-F Casimir Delavigne, Louis XI, Paris, 1832
5
conflit perdurant entre Esculape et Thémis10 : « Nul doute que les médecins demeurent
légalement responsables des dommages qu’ils causent à autrui, par la coupable application
des moyens de l’art, faite sciemment avec préméditation et dans de perfides desseins ou de
criminelles intentions. Mais la responsabilité des médecins, dans l’exercice consciencieux de
leur profession, ne saurait être justiciable de la loi. Les erreurs involontaires, les fautes hors de
prévoyance, les résultats fâcheux hors de calcul, ne doivent relever que de l’opinion publique.
[…] Le Médecin ne reconnaît pour juge, après Dieu, que ses pairs et n’accepte point d’autre
responsabilité que celle, toute morale, de sa conscience. »11. Malgré cette prise de position
affirmée de l’Académie, le tribunal condamnera le Docteur à verser une rente viagère à
l’enfant. Dans l’affaire Thouret-Noroy contre Guigne, en date du 18 juin 1835, et qui
condamne un médecin pour faute lourde, le procureur Dupin répondra tout en subtilité à
l’Académie, affirmant par cette déclaration la position que les juges ne cesseront de défendre
par la suite : « Le médecin, le chirurgien ne sont pas indéfiniment responsables, mais ils le
sont quelquefois : ils ne le sont pas toujours mais on ne peut pas dire qu’ils ne le soient jamais
[…]. C’est au juge à déterminer dans chaque espèce ».
Après ces débuts tardifs de l’engagement de la responsabilité devant les tribunaux, il faudra
encore attendre la seconde guerre mondiale pour que soient créés les conseils de l’Ordre, qui
jugeront de la responsabilité disciplinaire du médecin, et la fin de cette guerre pour qu’un
décret transfère définitivement la définition des devoirs du médecin au législateur.
Le Littré définit la responsabilité comme l’obligation de répondre, d’être garant de
certains actes. Or on a pu constater que l’émergence d’une possibilité d’obliger le soignant à
répondre de ses actes devant les tribunaux a été passablement laborieuse. Une fois cette
possibilité acquise, les juges et le législateur ont peu à peu construit des régimes juridiques
entourant cette responsabilité, parfois forts différents selon l’ordre juridictionnel. Ainsi le
droit s’est peu à peu immiscé dans l’exercice de la médecine, au grand dam des personnels de
santé qui y ont vu là une baisse de la confiance du profane. Cette immixtion ne s’est pas
arrêtée là. En effet, les juges ayant peu à peu réalisé que les différends entre juridictions
administratives et judiciaires étaient sources d’inégalités, une harmonisation progressive a été
réalisée, à travers la sécrétion d’un droit nouveau et abondant.
10
11
Editorial, Sève, hiver 2004, pp. 3-4
J-F Burgelin, « La judiciarisation de la médecine », base documentaire de l’INSERM, mars 2003, p. 3
6
Mais la production de droit nouveau n’entraîne pas nécessairement son application, et
encore moins son invocation devant les tribunaux. C’est pourquoi il est légitime de
s’interroger sur la thèse largement défendue d’une judiciarisation du régime de responsabilité
en droit de la santé. Cette étude s’attèlera donc à démontrer, non seulement que cette
judiciarisation est effective, mais aussi, et à contrepied de l’avis d’une partie de la doctrine,
qu’elle se perpétue.
Les premières recherches sur ce sujet d’étude ont cependant fait remonter une autre
problématique intrinsèquement liée à celle de la judiciarisation, à savoir celle de la
pénalisation. En effet, lorsque l’on soutient qu’une judiciarisation du droit de la santé existe,
comment ne pas parler de l’impact différencié qu’il pourrait y avoir sur les divers régimes
juridiques ? La question de la judiciarisation en entraîne donc une autre : peut-on parler d’une
« judiciarisation ciblée », en l’occurrence sur le recours aux tribunaux judiciaires et au régime
de la responsabilité pénale ? Cette judiciarisation est-elle plus globale ? Oou à l’inverse va-ton vers une « administrativisation » du contentieux ? Il est à noter que beaucoup d’auteurs
étudiés ici, professionnels de santé comme juristes, penchent en faveur de la thèse d’une
pénalisation, c’est pourquoi l’impact sur ce régime juridique sera étudié tout particulièrement.
Mais la rigueur nous défendra de conclure de l’absence de pénalisation un renforcement
automatique du régime de responsabilité administrative. Ce dernier sera étudié à la lumière
des conclusions tirées des recherches sur la pénalisation.
Dès lors, ce mémoire sera problématisé comme suit : dans quelle mesure peut-on
parler d’une « judiciarisation ciblée » des régimes de responsabilité des personnels de santé ?
Il sera nécessaire dans un premier temps d’examiner les constructions législatives et
jurisprudentielles parallèles des différents régimes de responsabilité applicables aux
soignants, afin de comprendre pourquoi les juges administratifs et judiciaires, par une volonté
d’harmonisation de leurs contentieux, ont été à l’origine d’une véritable inflation juridique
dans les années 1990.
Une attention toute particulière sera apportée à la loi du 4 mars 2002 relative aux
droits des malades et à la qualité du système de santé dans la mesure où la doctrine est très
partagée à son sujet : participe-t-elle d’un renforcement de la judiciarisation ou au contraire
d’une déjudiciarisation de la responsabilité des soignants ? La volonté du législateur ainsi que
7
les implications concrètes de ce texte seront analysés l’un après l’autre pour conclure à une
participation au mouvement de judiciarisation déjà identifié en première partie.
Dans un dernier temps, la question du ciblage de la judiciarisation sera évoquée sous
l’angle de la pénalisation : la judiciarisation concerne-t-elle tous les régimes de responsabilité
ou peut-on relever en particulier un phénomène d’accroissement du recours au contentieux
pénal comme le considère la doxa ? Encore une fois la doctrine est partagée sur le sujet,
certains auteurs évoquant même à l’inverse une dépénalisation du droit de la santé. Sans aller
jusqu’à ce point, nous expliquerons comment s’est construite la perception par la doxa d’une
pénalisation, et nous relèverons les signes indicatifs d’une limitation de l’engagement de la
responsabilité pénale. Cela nous amènera à conclure à une judiciarisation globale des régimes
de responsabilité des personnels de santé, avec un succès croissant de la juridiction
administrative pour le recours contentieux.
8
PREMIERE PARTIE : UN DUALISME
ORIGINEL DES REGIMES DE
RESPONSABILITE, MOTEUR DE
L’ACCROISSEMENT DES
CONTENTIEUX
« Notre liberté est menacée par le besoin
de sécurité et la sécurité elle-même est
menacée par le souci obsédant qu’on en
a » Norbert BENSAÏD12
Le régime juridique de l’activité de soins est fondé sur des principes stables, à
l’origine propres aux diverses juridictions impliquées dans le processus. La médecine libérale
est ainsi caractérisée par une relation contractuelle entre médecin et patients, tandis que la
pratique hospitalière est régie de manière statutaire. On constate néanmoins de nombreuses
mutations dans le traitement juridique des soins médicaux, dues à une multiplicité de facteurs.
Certaines explications sont intrinsèquement liées aux évolutions de la pratique médicale : le
progrès a toujours été source d’espoir mais aussi de méfiance, en médecine comme ailleurs.
La juridicisation de la société est également un facteur de ces grands bouleversements,
juridicisation qui, comme nous l’avons vu, consacre le droit comme moyen légitime de
règlement des conflits de la société. Cela va de pair avec d’autres évolutions sociétales ayant
un impact sur le domaine de la santé : de l’aspiration à plus de confidentialité mais
paradoxalement à une information du public toujours plus large, jusqu’à la tendance de notre
pays, de tout temps, à être effrayé par la prise de risques et à lui préférer la certitude (même en
médecine où cela semble discutable) ces mouvements de fond de la société se ressentent sur le
mouvement général du droit de la santé. Enfin, certains constats inévitables ont été faits, en
France au moins, au cours des décennies 1980-1990. Les risques sériels ont été découverts
12
N. Bensaïd, La lumière médicale, Paris, Seuil, 1981, p.33.
9
avec l’épidémie de SIDA (syndrome de l’immunodéficience acquise), et face à
l’augmentation du nombre de recours la dualité des ordres a fait apparaître plusieurs limites,
dont la lenteur des procédures contentieuses et les divergences exprimées par les deux ordres
de juridiction dans leur jurisprudence. Nous reviendrons sur la construction de ce droit
aujourd’hui encore hétérogène du fait de sa dichotomie initiale.
Deux types de régimes juridiques sont à distinguer dans le cadre du contentieux de la
responsabilité en droit de la santé, en fonction de l’objectif recherché et par le plaignant et par
le juge. On différencie alors les régimes ayant une vocation de réparation du préjudice de
ceux visant plutôt à la sanction du fautif (médecin, personnel soignant, voire directeur de
l’établissement). Du fait de la complexification du droit en vigueur, l’identification des
différents régimes est aujourd’hui permise par la distinction entre les différentes obligations
qui pèsent sur l’équipe médicale13. On analysera dans cette partie ce qui peut être qualifié
d’obligation principale de soin.
Il est à préciser avant de débuter ce raisonnement que les régimes juridiques
applicables se décident également en fonction du patient concerné. A ce titre, on observe
quatre grandes catégories de patients : les mineurs, pour lesquels les actes de soins sont
généralement placés sous l’assentiment de leurs parents ou d’un autre représentant légal.
Cependant, il est possible dans de rares cas de se contenter de la décision prise par le mineur.
Pour les majeurs, la loi est claire : il faut systématiquement rechercher leur consentement, ils
ont droit à une information éclairée et a priori personne ne peut consentir à leur place. On
identifie ensuite deux types particuliers de majeurs : les majeurs sous tutelle et les majeurs
non protégés et non communicants. Les premiers doivent consentir aux soins, leur tuteur
prenant la relève uniquement lorsqu’ils ne sont plus en état d’exprimer leur consentement.
Pour les soins portés aux seconds, seule la personne de confiance désignée au préalable peut
consentir à leur place. Mais encore une fois la jurisprudence a nettement fait évoluer ces
quatre catégories.
13
P. Coursier, « Bilan et perspectives du droit de la responsabilité médicale en matière civile et administrative »,
Revue médicale de l’assurance maladie, n°3, juillet-septembre 2000, pp. 55-63.
10
CHAPITRE 1 : LES REGIMES DE NATURE REPARATOIRE,
UN OBJECTIF D’INDEMNISATION DE LA VICTIME
Deux types de responsabilité existent pour engager un processus d’indemnisation du
plaignant au cours d’un contentieux de santé : la responsabilité administrative et la
responsabilité civile. Ces deux types sont le résultat d’un double travail de construction
jurisprudentielle et doctrinale sur le sujet14. C’est en effet la jurisprudence qui va répartir entre
l’ordre administratif (pour la responsabilité administrative) et l’ordre judiciaire (pour la
responsabilité civile) les cas de contentieux qui vont répondre soit d’un exercice hospitalier
public pour le premier soit d’un exercice libéral de la médecine pour le deuxième. On dénote
alors deux distinctions essentielles entre ces deux responsabilités : une première distinction
tient à la nature des obligations qui lient le médecin et son patient, définies par la doctrine et
la jurisprudence, ainsi qu’au fondement de la responsabilité, qui est personnelle pour
l’exercice libéral alors que la responsabilité de l’établissement public est impliquée pour le
cas d’un contentieux liant un personnel de santé qui y exerce15. Ce sont ces distinctions qui
sont à l’origine du dualisme interne aux régimes réparatoires dans le cadre du contentieux de
santé.
Section 1 : La responsabilité administrative, une construction
progressive dans le cadre du droit de la santé
La responsabilité des personnels de santé exerçant en établissement public est
traditionnellement soumise au droit public, et a donc peu à peu été soumise au contrôle de la
juridiction administrative, conformément à un lien consacré en droit français entre droit public
et juridiction administrative. Nous verrons comment le traitement de ce type de contentieux a
progressivement été entièrement délégué à cette juridiction avant d’examiner
les
composantes intrinsèques et celles construites par la jurisprudence de ce régime de
responsabilité.
14
P. Coursier, « Bilan et perspectives du droit de la responsabilité médicale en matière civile et administrative »,
Revue médicale de l’assurance maladie, n°3, juillet-septembre 2000, p. 55-63.
15
N. Pillerel, « Le contentieux médical dans l’ordre administratif et dans l’ordre judiciaire : convergences et
divergences », Centre de documentation du Conseil d’Etat, Service de recherches juridiques, Paris, 2008, 55 p.
11
1. Historique de l’attribution de ce contentieux à la juridiction administrative
« Considérant que la responsabilité, qui peut incomber à l’État pour les dommages causés
aux particuliers par le fait des personnes qu’il emploie dans le service public, ne peut être
régie par les principes qui sont établis dans le code civil, pour les rapports de particulier à
particulier ; que cette responsabilité n’est ni générale, ni absolue ; qu’elle a ses règles
spéciales qui varient suivant les besoins du service et la nécessité de concilier les droits de
l’État avec les droits privés ; que, dès lors, aux termes des lois ci-dessus visées, l’autorité
administrative est seule compétente pour en connaître… » : par cet arrêt Blanco du 8 février
1873, le Tribunal des Conflits reconnaît l’existence d’une responsabilité de l’État dans le
cadre de l’exercice de ses missions de service public, et en confie le traitement contentieux à
la juridiction administrative. Il semble logiquement en découler que les dommages
occasionnés par les personnels de santé exerçant en établissement public relèvent de ce type
de responsabilité, et la réparation de ces dommages de la juridiction administrative.
Pourtant, les juridictions judiciaires ont tenté à plusieurs reprises d’affirmer leur
compétence sur ce type de contentieux16. La logique retenue était alors la suivante : les
juridictions judiciaires considéraient que le médecin, en libéral comme dans le cadre d’un
exercice en établissement hospitalier, ne recevait pas d’ordre sur la manière d’exercer son art
de la part des autorités hospitalières et, à ce titre, était jugé complètement indépendant 17. Les
deux responsabilités (celle de l’établissement et celle du médecin) ne pouvaient donc pas être
amalgamées et ainsi la juridiction judiciaire se présentait comme la seule compétente pour
connaître d’un dommage occasionné par un médecin sur un de ses patients. La Cour de
Cassation dans sa formation civile
avait admis dans un arrêt du 15 janvier 195718 ce
raisonnement qui appliquait le même régime de responsabilité au médecin exerçant en libéral
qu’à celui exerçant dans le public. Cependant, cette interprétation restait une réelle source de
débats dans la mesure où la juridiction administrative se déclarait aussi régulièrement
compétente pour connaître de ce type de litige.
Le Tribunal des Conflits mettra un terme à cette concurrence entre les deux ordres avec
l’arrêt Chilloux et et l’arrêt Issad Slimane du 25 mars 1957. M. Isaad se blesse en tombant
16
P. ex. Paris, 16 janvier 1950, D. 1950, 169 ; Paris, 15 février 1955, Gaz Pal., 1955, I, 270.
J-M. Auby, « La responsabilité médicale en France (aspects de droit public) », Revue internationale de droit
comparé, vol.28, n°3, juillet-septembre 1976, p. 514
18
Cass. Civ. 15 janvier 1957, J.C.P. 1957, II, 9287, note R. Savatier.
17
12
d’un arbre et est admis dans un premier hôpital où on lui diagnostique une « simple »
contusion lombaire. Une quinzaine de jours plus tard, un second hôpital va l’examiner et
relever la présence d’une fracture vertébrale. Slimane Issad décide donc d’attaquer le médecin
du premier hôpital, et ce devant les juridictions civiles. M. Chilloux décide quant à lui
d’attaquer deux médecins ayant pratiqué une césarienne sur sa femme, acte médical ayant
conduit à la mort, également devant le tribunal civil. Dans les deux cas, le tribunal s’est
déclaré incompétent quant à la question de la responsabilité des hôpitaux, c’est pourquoi le
contentieux a été élevé au Tribunal des Conflits. Pour l’arrêt Issad, le Tribunal déclare que
« les faits allégués, s’ils sont établis, ne constitueraient pas une faute personnelle détachable
de l’accomplissement du service public dont le docteur M a la charge » et de même pour
l’arrêt Chilloux, « les fautes imputées aux deux médecins, si elles sont démontrées, se
rattacheraient à l’exécution du service public dont ils ont la charge, les juridictions judiciaires
sont donc incompétentes ». Cet arrêt consacre donc à la fois la compétence des juridictions
administratives pour les contentieux portant sur des dommages occasionnés par des praticiens
hospitaliers sur leurs patients, mais aussi la faute personnelle du médecin détachable de son
exercice de service public qui relèvera alors des juridictions judiciaires.
Cependant, même si la Cour de Cassation s’est rangée à cette interprétation en 196019, il
demeure des difficultés d’interprétation de la nature d’une faute personnelle détachable du
service. Ainsi, si la Cour de Cassation en a une vision très large20, la juridiction administrative
s’est très vite attachée à en proposer une définition plus restrictive à travers la distinction de
deux types de faute. La faute contre l’humanisme médical, c'est-à-dire celle qui traduit une
méconnaissance de la part du médecin des droits de son patient en sa qualité de personne
humaine, est à distinguer d’une faute uniquement liée à la mauvaise pratique de techniques
médicales. A l’intérieur de ces deux grandes catégories, on retrouve donc des fautes d’ordre
médical21 et des fautes d’ordre administratif22.
Il est à noter que ces deux derniers types de fautes peuvent être qualifiés ou non de fautes
personnelles, mais que la jurisprudence va amener progressivement des éclaircies sur le sujet.
On peut cependant considérer qu’à partir de 1960 il y a un consensus sur l’attribution du
19
Cass. Civ. 7 juillet 1960, Gaz Pal. 1960, II, 180.
CCass 9/10/1956 docteur J c/ Melle Sitina ; CCass 15/01/1957 docteur J c/ Chantin ; CCass 15/01/1957
docteur V c/Ramey.
21
P. ex. l’intervention chrirugicale, le diagnostic…
22
Lors de la réception du patient, de sa surveillance, de l’administration de traitements…
20
13
contentieux concernant les praticiens hospitaliers à la juridiction administrative, et par
exception à l’ordre judiciaire en cas de faute personnelle.
2. Les fondements de la responsabilité administrative en droit de la santé
Dans la mesure où le régime de responsabilité administrative est un régime réparatoire, il
vise à protéger les individus qui auraient subi des dommages physiques du fait d’une activité
de soins. Comme il a été déterminé que les juridictions administratives étaient compétentes
pour les dommages occasionnés par les personnels de santé hospitaliers, il en découle
logiquement que ces juridictions sont chargées de gérer les intérêts des usagers du service
public d’une manière générale.
Le raisonnement de fond pour juger de la recevabilité d’une plainte repose à l’origine sur
3 éléments essentiels : l’existence d’une faute, l’existence d’un dommage, et la possibilité de
mettre en lumière un lien entre les deux. La faute initiale peut être intervenue dans trois
cadres : dans le cadre d’un acte de soin qui peut être alors accompli soit par un médecin soit
par du personnel paramédical, la faute simple suffit à engager la responsabilité. Dans le cadre
d’un acte médical qui a nécessité l’intervention d’un médecin, il faut originellement une faute
lourde du praticien pour engager la responsabilité de l’établissement hospitalier, comme
rappelé dans l’arrêt Rouzet du Conseil d’État du 26 juin 1959 qui définit ce type d’acte
comme celui « qui ne peut être exécuté que par un médecin ou chirurgien ou encore un des
actes qui ne peuvent être exécutés par un auxiliaire médical que sous la responsabilité et la
surveillance directe d’un médecin dans des conditions qui lui permettent d’en contrôler
l’exécution et d’intervenir à tout moment ». Pour pouvoir déterminer la nature médicale d’un
acte, les juges doivent alors se référer aux textes23 qui peuvent fixer la liste des actes ne
pouvant être pratiqués que par un médecin ou au moins sous sa surveillance. Enfin, dans le
cadre d’une mauvaise organisation ou d’un mauvais fonctionnement du service, une faute
simple suffit.
Comme il a déjà été mis en lumière, le principe consacré et reconnu par la jurisprudence
est celui de la substitution de l’administration hospitalière à son personnel en ce qui concerne
la réparation des dommages. En effet, les médecins et autres personnels médicaux ou
23
Arrêté ministériel régulièrement modifié, prévu par l’article L.4161-1 du Code de Santé Publique
14
paramédicaux sont soumis au statut administratif d’agent public ou, plus rarement, de
collaborateur du service public. Les prestations fournies par ce service et ses agents sont donc
régies par le principe qui oblige les administrations à faire fonctionner correctement les
services publics : à partir du moment où une administration entreprend une activité, elle est
tenue aux obligations qu’implique la gestion de cette activité. En l’occurrence, pour le service
public hospitalier, on parle de fonctionnement normal du service, auquel va s’opposer le
défaut d’organisation du service alors considéré comme fautif.
La procédure d’engagement de la responsabilité des établissements hospitaliers devant les
tribunaux a peu changé depuis l’attribution de ce type de contentieux à l’ordre administratif.
Ainsi, il est de jurisprudence relativement constante que c’est à la victime de prouver
l’existence d’une faute24 et du lien de causalité entre la faute et le dommage supposé. Une
requête est ensuite déposée devant le tribunal administratif dont dépend géographiquement le
plaignant, qui va examiner la recevabilité du dossier. L’évaluation de l’existence d’une faute,
de l’existence et de la nature du dommage, et même du lien de causalité entre les deux
peuvent ensuite être soumis à une expertise médicale, dont les conclusions ne lient cependant
pas le juge. Il est à noter que les frais d’expertise engagés sont traditionnellement supportés
par la partie perdante, sauf situation particulière. Sauf disposition contraire, l’article R 811-2
du Code de Justice Administrative (CJA) prévoit un délai de 2 mois pour faire appel de la
décision rendue par le tribunal. L’appel se déroule alors devant la Cour Administrative
d’Appel dont dépend le tribunal de première instance25. Enfin si l’une des parties souhaite
encore faire appel du jugement rendu par la cour administrative d’appel, l’affaire est alors
jugée devant le Conseil d’État dont la décision ne pourra plus être contestée26. Il est à noter
que la prescription en matière de contentieux de la responsabilité administrative a longtemps
été de quatre ans, avant d’être augmentée à 10 ans par la loi du 4 mars 2002. Pour finir sur les
questions de procédure, une des conditions de recevabilité de ce type de dossier au tribunal
administratif est l’existence d’un recours administratif préalable, qui se trouve être obligatoire
dans ces cas (RAPO). En effet, afin de limiter le recours aux tribunaux, le plaignant doit avant
tout faire une demande d’indemnisation à l’établissement hospitalier qu’il estime fautif, en lui
précisant la nature de ses dommages et la faute présumée, ainsi qu’en faisant une estimation
24
Sauf cas des infections nosocomiales, responsabilité sans faute… qui seront examinés plus tard
Il y a 8 cours d’appel en France : Paris, Lyon, Nancy, Nantes, Bordeaux, Marseille, Douai, Versailles.
26
En droit interne en tout cas. Les plaignants peuvent cependant, après avoir épuisé les voies de recours interne
de leur pays, présenter un recours devant la Cour européenne des Droits de l’Homme s’ils considèrent qu’un de
leurs droits fondamentaux a été bafoué.
25
15
des indemnités qu’il souhaite obtenir. C’est uniquement suite à un refus ou une acceptation
seulement partielle de l’établissement que le plaignant pourra présenter une requête au
tribunal27, et ce dans un délai de deux mois après la notification de la décision de rejet de sa
demande indemnitaire.
La question de l’indemnisation du préjudice enfin, est particulièrement épineuse dans la
juridiction administrative. En effet, le juge administratif a longtemps été jugé plus
« restrictif » voire « avaricieux »28 que le juge judicaire quant aux montants d’indemnités
accordées. Or, cette question est un des arguments les plus fréquemment repris par les
détracteurs du dualisme juridictionnel. Mais on observera par la suite qu’au cours des années
1990, le juge administratif a fait d’importants efforts pour rapprocher ses grilles indemnitaires
de celles de l’ordre judiciaire, jusqu’à finir par parfois le dépasser en termes de « générosité
indemnitaire ».
3. Exceptions et évolutions dans le régime de la responsabilité administrative
Depuis sa création, la responsabilité administrative des personnels de santé connaît des
limitations. La jurisprudence a également collaboré à l’évolution de ce régime, plutôt dans le
sens d’une facilitation de l’engagement de cette responsabilité.
On recense trois facteurs d’exclusion de l’application de la responsabilité administrative
en cas de dommages occasionnés par un personnel de santé sur un patient. De manière
logique, la classification pénale de la faute suffit à exclure le régime administratif. En effet,
dans ce cadre, l’administration ne se substitue plus à son personnel et le contentieux créé par
la faute est du ressort du tribunal correctionnel. Il sera détaillé un peu plus loin les critères
permettant de justifier une faute pénale.
Comme vu précédemment, la faute personnelle détachable du service est d’une manière plus
globale la première exception à l’engagement de la responsabilité administrative. La faute
pénale en fait évidemment partie, mais la faute personnelle n’inclut pas uniquement la faute
pénale.
27
NB : le silence gardé durant deux mois par l’administration est une décision implicite de rejet.
P. Sandevoir, « Unité et diversité du contentieux administratif et du contentieux judiciaire dans le droit de la
responsabilité hospitalière », in L’unité du droit, mélanges en hommage à Roland Drago, 1996
28
16
Enfin, les consultations privées dispensées par un praticien hospitalier ne peuvent
certainement pas être couvertes par l’administration hospitalière dans la mesure où le patient
n’est alors plus un usager du service public hospitalier mais plutôt une partie à une relation
contractuelle qui n’engage que le médecin et son patient. Dans ce cadre le médecin hospitalier
se comporte comme un médecin libéral et sa responsabilité en cas de dommages ne pourra
être engagée que devant les juridictions judiciaires.
Ces différents cas constituent les exceptions d’engagement de la responsabilité administrative,
qui sont demeurées inamovibles depuis l’établissement des fondements de ce régime
juridique. Cependant, l’exigence d’une faute lourde pour les actes médicaux, sans laquelle
cette responsabilité ne pouvait être engagée non plus, a connu des évolutions
jurisprudentielles qui ont conduit la faute simple à être suffisante pour tous les contentieux
relevant de la responsabilité administrative.
Selon le dictionnaire juridique de Pierre Guiho29, la faute peut être définie comme un
comportement anormal, une erreur de conduite, que n’aurait pas eu « un bon père de
famille ». Cela n’est guère suffisant pour expliciter la différence longtemps consacrée par les
juridictions administratives entre faute simple et faute lourde. A peine P. Guiho se contente-til de préciser que la faute lourde est celle requise par l’ordre administratif et qu’elle présente
une certaine gravité. D’autres auteurs la décrivent un peu plus précisément. Ainsi, pour
Lachaume30, elle désigne une erreur grossière, une maladresse inexcusable. Pour Jean
Carbonnier, la faute lourde « traduit un impéritie ou une incurie poussée à un degré étonnant.
Il n’y a point d’intention de nuire, ni malhonnêteté ; mais c’est à s’y méprendre : " on dirait
qu’il l’a fait exprès " »31. Ulpien, juriste romain du début du IIIème siècle, présentait la faute
lourde comme « l’omission des précautions que les personnes les moins soigneuses ont
coutume de prendre »32. Enfin, le conseil d’État, à travers sa jurisprudence a certes consacré
des différences entre faute lourde et faute simple, mais n’a jamais donné de définitions
véritables de ces deux termes. A titre d’exemple de faute lourde, on peut citer : la prescription
d’un traitement sans recherche de contre-indications33, la délivrance de produits sanguins
29
P. Guiho, Dictionnaire juridique, Lyon, l’Hermès, 1996, 318 p.
J-F. Lachaume, Les grandes décisions de la jurisprudence, droit administratif, 9ème édition, Paris, PUF
Thémis, 1995, 572 p.
31
J. Carbonnier, Les obligations, Tome 4, 1996, n°156
32
Ulpien in J-C. Etienne, J. Dionis du Sejour, « Les télécommunications à haut débit au service du système de
santé », annexe 3 « Note sur la responsabilité médicale », rapports du Sénat, Paris, 2004, tome 2, 131 p.
33
CE 12/12/1975, Ministre de la coopération c/Lérat
30
17
pouvant être contaminés34, l’oubli d’agrafes35… En revanche, la faute simple résulte, comme
nous l’avons vu, d’un défaut d’organisation du service ou d’un acte de soin, mais aussi du
défaut de surveillance d’un malade, comme l’est par exemple la fuite puis le suicide d’un
patient ayant échappé à la surveillance du personnel d’un hôpital psychiatrique36. La mauvaise
organisation du service a été notamment une faute dans le cas d’un patient entré aux urgences
à 18 heures et décédé à minuit sans avoir été examiné par un médecin 37. Enfin, pour la faute
lors de l’acte de soin, on peut citer la mauvaise réalisation d’une piqûre ayant provoqué une
paralysie du bras38.
Face à ces difficultés d’interprétation et à l’absence de cette distinction dans l’ordre
judiciaire, la Haute Juridiction a cependant fini par s’orienter vers une simplification du
régime d’engagement de la responsabilité administrative. Ainsi elle consacre l’abandon de la
faute lourde dans son arrêt Époux V du 10 avril 1992. Madame V a subi une césarienne le 9
mai 1979, sous anesthésie péridurale. Or, durant l’intervention, de nombreuses complications
sont apparues, notamment des chutes de tension conclues par un arrêt cardiaque. Madame V a
survécu mais est ressortie de cette opération avec divers troubles neurologiques et physiques
(troubles de la mémoire, séquelles aux bras et aux jambes…), ce qui l’empêche notamment de
reprendre son activité professionnelle. Elle réclame donc une indemnisation réparatrice pour
le dommage subi. Une expertise fut diligentée par le juge nota alors plusieurs erreurs dans
tout le processus de soin de Madame V : l’injection d’une quantité trop importante de produit
ayant un effet hypotenseur notablement connu, la perfusion d’un plasma trop froid, l’injection
d’un produit anesthésique malgré les premières chutes de tension… L’enchaînement de ces
erreurs constitue alors une faute médicale d’après les experts. Cet arrêt aura une portée très
importante pour plusieurs raisons. Tout d’abord, le Conseil d’État va abandonner l’exigence
de faute lourde pour l’engagement de la responsabilité de l’établissement à l’occasion de
dommages occasionnés par un acte médical. De plus, il va considérer « l’enchaînement d’une
série d’imprudences, d’imprévisions et d’erreurs d’ordre médical, qui par leurs effets
conjugués ont constitué une faute médicale ». La juridiction reconnaît donc une faute
médicale dans le cas de cette patiente, qui n’est cependant pas une faute lourde, et va donc
34
CAA Paris, 16/06/1992, Ministre des affaires sociales c/X
CE 09/01/1957 AP de Marseille
36
CE 22/12/1936 Apard
37
CE 12/12/1941 hôpital civil d’Antibes
38
Ces 09/01/1957 hospices civils de Blois
35
18
être consacrée comme faute simple. La faute simple est donc par cet arrêt comme « unifiée »39
dans la mesure où le fondement de la faute simple sera valable pour les actes de soin et les
défauts d’organisation du service, mais aussi pour les actes médicaux.
Par cette décision, le Conseil d’État exprime clairement une volonté de rapprochement du
traitement de ce contentieux par les deux juridictions (administrative et judiciaire), comme
l’expose
le commissaire de gouvernement Legal dans ses conclusions : «
l’acte
thérapeutique n’est pas complètement incorporé dans une logique administrative : il est
semblable à celui qu’exerce le médecin d’exercice privé ; il est cerné de règles particulières
d’ordre technique et d’ordre éthique… Saisi de pouvoirs plus nombreux et plus étayés, le juge
administratif a été conduit à rechercher plus précisément les causes possibles d’engagement
de la responsabilité de l’hôpital, comme le faisait dans le même temps le juge civil s’agissant
de la responsabilité contractuelle des médecins non hospitaliers publics ». Le but était donc en
partie l’harmonisation de ce contentieux pour permettre une équité dans la réparation des
dommages occasionnés par des personnels de santé. Cependant, il est à noter que le Conseil
d’Etat a également cherché à préserver un particularisme de fonctionnement pour la
juridiction administrative en ne faisant pas de ce principe une vérité générale, mais plutôt en
invitant le juge administratif à faire du cas par cas40.
En résumé, la responsabilité administrative est applicable pour les personnels de santé
exerçant dans le service public hospitalier.
Mais qu’en est-il des personnels soumis au droit privé ? Comment leur responsabilité peutelle être engagée ? De plus, cette question peut être élargie à ce que le doyen Savatier
désignait comme « les îlots de droit privé »41 au sein de l’hôpital public (consultations privées
dans l’hôpital, praticiens du public exerçant parfois dans des établissements privés…). Quel
régime juridique à vocation indemnitaire permet de couvrir ces cas ?
39
J-C Etienne, J Dionis du Sejour, « Les télécommunications à haut débit au service du système de santé, op.
cit.
40
« à tenir compte, dans son appréciation de la faute, des difficultés particulières, de l’urgence, de l’état des
connaissances et des moyens » CE 10/04/92 Époux. V
41
Jurisclasseurs responsabilité civile, fascicule XXX, n°87
19
Section 2 : La responsabilité civile, une reconnaissance tardive
des obligations des personnels de santé soumis au droit privé
La responsabilité civile est le deuxième régime permettant à un patient d’obtenir une
indemnisation en réparation de dommages occasionnés par un acte de soin ou un acte médical.
Mais la responsabilité civile est bien plus ancienne et on peut considérer que son principe a
été posé en 1810 dans l’article 1382 du code civil qui dispose : « tout fait quelconque de
l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le
réparer ». Mais il faut pourtant attendre le 18 juin 1835 avec l’arrêt Thouret Noroy contre
Guigne de la Cour de Cassation pour voir un médecin condamné pour ce que le Procureur
Général Dupin a considéré comme une faute « crasse », qui présume la responsabilité civile
dite délictuelle. Par la suite, la Cour de Cassation développera le régime juridique de la
responsabilité civile médicale en s’opposant dès 1963 à l’ordre administratif dans la mesure
où la Cour de Cassation retient la possibilité d’engager systématiquement la responsabilité du
médecin pour une faute simple. Elle suit ainsi les principes de base du droit civil en disposant
que « toute faute engage la responsabilité du médecin »42. Cette partie visera à présenter les
principes fondamentaux régissant aujourd’hui la responsabilité civile des personnels de soin.
1. Le régime français de responsabilité civile
Nous commencerons par préciser quelques généralités au sujet de la responsabilité
civile. Il est tout d’abord à noter que dans la juridiction civile, les procès se font entre
particuliers ; c’est pourquoi dans le droit médical la responsabilité civile engage les
personnels de santé exerçant en libéral. Les procès se déroulent donc devant les juridictions
judiciaires qui se reposent généralement sur les dispositions du Code Civil ainsi que sur la
jurisprudence. Le principe est ensuite le même que pour la juridiction administrative : le juge
doit pouvoir constater l’existence d’une faute, d’un dommage, et d’un lien de causalité entre
les deux. On terminera cette rapide introduction en précisant que la responsabilité civile est
assurable.
42
Cass. Civ. 1ère, 30 octobre 1963
20
Dans le droit civil français, on distingue trois types de responsabilité : la responsabilité
civile à base de faute prouvée, la responsabilité sur présomption de faute et la responsabilité
civile contractuelle.
Si l’on détaille la responsabilité sur faute prouvée, il faut préciser que l’on peut qualifier cette
responsabilité de délictuelle ou quasi-délictuelle en fonction de la nature de la faute. Si la
faute est directe et volontaire, c’est l’article 1382 du Code Civil (cf. précédemment) qui
s’applique et une réparation est due à la victime du dommage par le responsable direct de la
faute. En revanche, si la faute est indirecte et involontaire, on parle de responsabilité quasi
délictuelle qui est alors soumise à l’article 1383 du Code Civil qui dispose : « Chacun est
responsable du dommage qu’il a causé, non seulement par son fait, mais encore par sa
négligence ou son imprudence ».
Le Code Civil précise que l’on ne peut pas forcément se dégager de l’engagement de sa
responsabilité en prouvant que l’on n’a pas commis de faute (et revient par la même sur la
nécessité de l’existence d’une faute pour engager la responsabilité). En effet, l’article 1384
précise que l’ « on est responsable du dommage que l’on cause par son propre fait, mais
encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses
que l’on a sous sa garde ». On notera que le délai de prescription pour ces deux premiers types
de responsabilité est de 10 ans, sachant que les délais ne courent qu’à compter de la
connaissance du dommage. Les responsabilités civiles à base de faute prouvée et avec
présomption de faute sont des responsabilités extracontractuelles.
Par opposition, le Code Civil reconnaît également l’existence d’une responsabilité civile
contractuelle, qui sera engagée pour la faute consistant à l’inexécution d’une des obligations
nées du contrat43.
Le Code Civil définit le contrat dans son article 1101 comme une
« convention par laquelle une ou plusieurs personnes s'obligent, envers une ou plusieurs
autres, à donner, à faire ou à ne pas faire quelque chose » et consacre sa valeur obligatoire
dans l’article 1134 qui précise « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à
ceux qui les ont faites ». Ce type de responsabilité bénéficie d’un délai de prescription
beaucoup plus long que les précédents puisqu’il est de 30 ans.
Dans tous les cas, le juge judiciaire doit interpréter et qualifier les faits soumis à son
examen. Il peut s’appuyer pour cela sur les textes réglementaires mais aussi sur toute autre
obligation que la loi, l’équité ou l’usage pourraient rattacher au contrat (dans le cadre de la
43
Article 1147 du Code Civil
21
responsabilité civile contractuelle). Le juge devra également préciser quelle conduite aurait dû
adopter le responsable du dommage occasionné. Nous allons voir comment ce régime dense
peut s’appliquer au droit médical.
2. Quelles adaptations de ce droit pour le régime de responsabilité des
personnels de santé ?
Nous avons vu que la responsabilité civile médicale a longtemps reposé (à partir de
1835) sur les articles 1382 et 1383 du Code Civil. Cependant, l’arrêt Mercier rendu par la
Cour de Cassation en date du 20 mai 1936 a bouleversé ce fonctionnement et est aujourd’hui
le fondement juridique principal de l’application du régime de responsabilité civile aux
personnels de santé soumis au droit privé. En effet, il met en place la nature contractuelle de
la responsabilité pour les personnels libéraux et les établissements privés. En l’espèce, Mme
Mercier était atteinte d’une affection nasale pour laquelle elle eut à subir en 1925 un
traitement aux rayons X. Malheureusement, cette thérapeutique occasionna chez elle le
développement d’une radiodermite du visage. Elle attaqua donc le praticien ayant pratiqué cet
acte car elle le considérait comme responsable de sa nouvelle affection. La Cour de Cassation
a alors reconnu la responsabilité du praticien en concluant « […] qu’il se forme entre le
médecin et son client un véritable contrat comportant, pour le praticien, l’engagement, sinon
bien évidemment, de guérir le malade, ce qui n’a d’ailleurs jamais été allégué, du moins de lui
donner des soins, non pas quelconques, mais consciencieux, attentifs et, réserve faite des
circonstances exceptionnelles, conformes aux données acquises de la science ; que la
violation, même involontaire, de cette obligation contractuelle, est sanctionnée par une
responsabilité de même nature, également contractuelle». La juridiction judiciaire a donc
avant tout consacré l’existence d’un contrat médical entre le praticien et son client, contrat
qualifiable en droit privé d’intuitu personae44, et a par la même transformé le régime juridique
de la responsabilité civile médicale en la faisant passer d’une responsabilité délictuelle à une
responsabilité contractuelle. On considère alors que le médecin commet une faute dès lors
qu’il ne respecte pas les termes de son contrat, et ce quelque soit l’importance de la faute. Il a
été précisé plus tard par la jurisprudence que l’appréciation de la faute sera faite in abstracto
en se demandant ce qu’aurait fait à sa place, dans les mêmes circonstances, un autre praticien
44
Contrat conclu en considération de la personne avec laquelle il a été passé
22
de la même spécialité, consciencieux et averti45, souvent désigné après par l’expression
« Bonus medicus ». Dans un second temps, l’arrêt Mercier consacre également l’obligation de
moyens pour le médecin par opposition à l’obligation de résultat qu’elle juge ne pas être
applicable aux problématiques de santé.
Il est à noter que l’ordre judiciaire consacrera environ trente ans après, dans un arrêt de la
Cour d’Appel d’Aix-en-Provence du 22 décembre 1962, un nouveau type de contrat : le
contrat d’hospitalisation, qui unit le patient à l’établissement de santé privé dans lequel il est
pris en charge, et qui relève cette fois d’une obligation de sécurité de résultat en ce qui
concerne l’activité « hôtelière » de l’établissement.
Parallèlement au développement de cette responsabilité civile médicale reposant sur
des bases contractuelles, on constate qu’il demeure des formes de responsabilité civile
médicale qui ne rentrent pas dans ce cadre. Ainsi, les tiers au contrat peuvent également
engager la responsabilité du médecin lorsque l’acte médical qu’il a pratiqué leur a occasionné
un dommage (physique ou moral). Mais les patients eux-mêmes peuvent attaquer leur
médecin en cas de nullité du contrat (c'est-à-dire que le médecin ne remplit pas ses conditions
d’exercice, auquel cas il n’avait pas le droit de contracter en ce sens) ou lorsque le préjudice
est survenu hors du cadre contractuel. Enfin il peut arriver dans certains cas particuliers qu’il
n’existe pas de contrat entre le médecin et le patient qu’il a soigné, soit parce qu’il l’a soigné
dans une situation d’urgence et que le patient n’était pas nécessairement en état de consentir,
soit parce que la relation entre les deux parties est déjà régie par des dispositions
réglementaires (c’est le cas des experts, médecins du travail ou encore médecins de contrôle
envoyés par l’assurance sociale). Dans toutes ces situations, qui se présentent globalement
comme des exceptions à la règle, c’est une responsabilité civile extracontractuelle du médecin
qui est invoquée.
Enfin, la responsabilité du médecin peut être engagée pour d’autre fait que son fait
personnel, comme le prévoit notamment l’article 1384 du Code Civil. Ainsi, la responsabilité
du fait d’autrui, appelée dans ce cas responsabilité des maîtres et des commettants, s’applique
lorsque le médecin délègue une tâche à un subordonné auquel il a le pouvoir de donner des
ordres. Si le subordonné a agi dans la limite de ses fonctions et des ordres donnés par son
commettant (et non hors compétence), la responsabilité du médecin peut être engagée. On
45
Paris, 18 octobre 1949, J.C.P., 1950 5716, obs.Brunet
23
parle donc ici des actes médicaux qui ne peuvent être effectués par des personnels de santé
que sous la surveillance d’un praticien et non des actes de soins pour lesquels ils ont une
certaine autonomie.
Le deuxième volet de l’article 1384 prévoit également une responsabilité du fait des choses,
en vertu duquel le médecin est responsable des dommages causés par le matériel qu’il utilise,
dans la mesure où il est censé en avoir vérifié le bon fonctionnement avant de procéder à un
quelconque acte en impliquant l’utilisation. Cette responsabilité sera étayée par la loi46 et la
jurisprudence.
CHAPITRE
2:
LES
REGIMES
DE
NATURE
SANCTIONNATRICE, UN OBJECTIF THEORIQUE DE PUNITION
DES RESPONSABLES DE DOMMAGES
Dans une logique de protection des victimes de dommages occasionnés par des
personnels de santé, les régimes sanctionnateurs visent plus précisément à condamner ces
personnels en cas de manquement flagrant à une de leurs obligations, qu’elles soient
déontologiques ou législatives. Il est difficile d’analyser les facteurs conduisant les victimes à
recourir à ce type de régimes plutôt qu’aux régimes indemnitaires (ou en complément des
régimes indemnitaires) : certes l’efficacité du régime pénal est avérée, la responsabilité
disciplinaire du médecin l’engage à se faire juger par ses pairs, ce qui peut être vécu comme
très dur moralement pour certains praticiens… Cependant, ne peut-on pas également y voir
une forme de désir de vengeance, ou au moins une volonté d’être reconnu comme une victime
à part entière au-delà de l’indemnisation qui peut en être retirée ? Toujours est-il que les
plaignants continuent d’y recourir, fortifiant par la même ces régimes à la fois concurrents
mais aussi complémentaires des régimes indemnitaires.
Section 1. La responsabilité disciplinaire, un régime tombé en
désuétude ?
La responsabilité disciplinaire des personnels de santé, bien que pouvant être considérée
comme sanctionnatrice, ne constitue pas un régime juridique à proprement parler. Elle peut
46
Voir par exemple la loi du 19 mai 1998 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux
24
impliquer des décisions ayant une force juridique, mais rendues par des juridictions
administratives.
De plus, on ne recherche pas clairement une faute mais plutôt un manquement aux
dispositions du Code de Déontologie Médicale (CDM), qui constitue le texte de référence sur
la base duquel sont sanctionnés les professionnels médicaux. On notera également ici que le
code de déontologie est d’ordre réglementaire, en vertu du décret du Premier Ministre Alain
Juppé du 6 septembre 1995.
Nous allons voir comment sont constituées les juridictions disciplinaires pour les divers
personnels de santé et comment s’enclenche une procédure disciplinaire. Précisons que nous
laisserons volontairement de côté les questions de responsabilité disciplinaire devant
l’employeur pour se concentrer uniquement sur les infractions déontologiques, plus
éloquentes dans le cadre d’une interrogation sur la judiciarisation du système de santé.
1. Les ordres professionnels
Bien que l’idée d’une institution ordinale médicale remonte au « Congrès Médical de
France » de 1844, les ordres professionnels ne furent réellement institués qu’en 1940 par le
gouvernement de Vichy, et confirmés à la Libération. On comptait au début quatre ordres
nationaux « historiques » : celui des médecins47, celui des chirurgiens-dentistes, des sagesfemmes et des pharmaciens. Cependant les ordres professionnels ont été grandement réformés
depuis 2002, notamment par l’apport en 2004 de l’ordre des masseurs-kinésithérapeutes et
celui des pédicures-podologues et en 2006 de l’ordre national des infirmiers.
Les ordres professionnels, personnes morales de droit privé, n’ont pas tous exactement
la même structure mais partagent globalement un fonctionnement pyramidal. On retrouve des
conseils départementaux, élisant des conseils régionaux (ou centraux) qui à leur tour élisent
les conseils nationaux.
La juridiction disciplinaire a vocation à s’appliquer à tout professionnel inscrit au tableau
départemental de l’ordre, quelque soit son mode d’exercice. On notera cependant que la
plupart du temps les médecins militaires ou ceux n’exerçant pas la médecine ne sont pas
inscrits. Plus précisément, la chambre disciplinaire de première instance, la première donc à
juger de l’atteinte portée par un professionnel à des dispositions déontologiques, siège auprès
47
On dénombre aujourd’hui un peu plus de 275 000 médecins inscrits à l’Ordre.
25
du conseil régional de l’Ordre (interrégional pour les sages-femmes). Elle est présidée par un
magistrat de l’ordre administratif. L’appel de ses décisions se fait devant la chambre
disciplinaire nationale, présidée par un conseiller d’État, chambre qui siège en toute logique
auprès du conseil national de l’ordre. Enfin les décisions de cette dernière peuvent faire
l’objet d’un recours devant le Conseil d’État.
On finira en remarquant l’imbrication étroite entre les divers régimes juridiques : une
action disciplinaire peut se doubler d’une action devant les juridictions judiciaires ou
administratives et l’engagement de poursuites pénales n’empêchera pas l’ordre de statuer. A
fortiori une condamnation pénale entraînera même obligatoirement la mise en place d’une
procédure disciplinaire. Mais en revanche un acquittement au pénal n’entraîne pas
l’annulation de la faute disciplinaire et la procédure se poursuit devant cette juridiction. On
précisera néanmoins que la juridiction disciplinaire juge au regard des règles de déontologie,
mais ne peut en aucun cas contester les décisions du pénal qui bénéficient de l’autorité de la
chose jugée.
2. Attributions des ordres et procédure disciplinaire
Il est utile de préciser en premier lieu que l’inscription au tableau de son ordre est
obligatoire pour un praticien, et que cette inscription relève de la compétence de son conseil
départemental. Cela permet par la suite aux ordres de connaitre des manquements à la
déontologie. Notons que dans ce cas les chambres disciplinaires sont considérées comme des
juridictions administratives et bénéficient du principe d’indépendance des poursuites (comme
nous l’avons vu précédemment, il n’existe pas de règle de non cumul des poursuites
disciplinaires avec d’autres types de poursuite).
Les règles de saisine de la juridiction disciplinaire sont globalement les mêmes pour
tous les ordres médicaux : l’action disciplinaire contre un praticien ne peut être introduite en
première instance que par le conseil national ou départemental, agissant spontanément ou
suite à la réception d’une plainte qui peut émaner d’un patient, de l’assurance maladie ou
depuis plus récemment d’une association de défense des droits des patients. De plus, le
ministre, le préfet, le directeur de l’Agence Régionale de Santé (ARS) ainsi que le procureur
de la République peuvent engager des poursuites d’ordre disciplinaire. Enfin un syndicat ou
26
une association de praticiens ont également ce pouvoir. Deux formes d’exception subsistent à
cette procédure de saisine : d’une part, lorsque la procédure concerne un praticien participant
au service public de santé au sein d’un établissement hospitalier, la plainte ne peut être
déposée que par le ministre, le directeur de l’ARS, le procureur et le préfet. D’autre part, pour
les pharmaciens, les plaintes ne peuvent venir des usagers du système de santé mais leur
responsabilité disciplinaire peut en revanche être engagée par le directeur de l’AFSSAPS.
La procédure doit ensuite se dérouler dans un délai de six mois de manière écrite et
contradictoire. L’audience est publique et les parties peuvent se faire aider d’un avocat (ou
d’un confrère pour le praticien poursuivi).
La juridiction disciplinaire n’a de compétences que pour condamner à des sanctions de nature
professionnelle, qui vont de l’avertissement à la radiation du tableau de l’ordre en passant par
les interdictions d’exercer (temporaire ou permanente, pour une ou plusieurs fonctions).
Cependant, comme toute décision à caractère juridictionnel, la décision doit être motivée et
peut faire l’objet d’un appel (comme vu précédemment). De plus, la juridiction disciplinaire
ne peut infliger que l’une des sanctions prévues par la loi, la gravité de cette sanction devant
être proportionnelle à celle des faits.
En conclusion, les ordres de professionnels médicaux, en tant qu’ils sont dans la droite
ligne des corporations momentanément interdites au moment de la Révolution, sont l’objet
d’importantes critiques du fait de leur action jugée trop autoritaire, amenant même certains
auteurs à s’interroger sur la nécessité de leur existence48. Pourtant, la création assez récente de
l’ordre des infirmiers par exemple témoigne de la volonté du législateur de conserver ces
organismes corporatifs. Il n’en reste pas moins que les critiques qui leur ont été portées ont
rendu les ordres plutôt discrets dans le champ médical, tendant plutôt à se replier sur leur rôle
juridictionnel et ne pesant que peu sur les évolutions juridiques du champ. Comme nous le
verrons dans la deuxième partie, la loi de 2002 a même encore réduit leur champ d’action,
laissant ainsi la part belle à la responsabilité pénale dans le domaine des régimes
sanctionnateurs de la faute médicale, permettant alors de considérer ce repli comme un facteur
explicatif de la juridicisation du champ de la santé.
48
ALFANDARI E., « Faut-il, au nom des droits de l’homme, supprimer l’ordre des médecins ? », Revue de droit
sanitaire et social, janvier-février 1977, p. 1
27
Section 2 : La responsabilité pénale semble avoir une place de
plus en plus prégnante au sein des régimes sanctionnateurs
La Cour de Cassation a très tôt décidé de l’application des dispositions du Code pénal
aux professions de santé49. L’arrêt Mercier a par la suite consacré la nature contractuelle des
obligations du médecin, mais cela n’a pas pour autant eu pour effet de limiter l’engagement
de sa responsabilité pénale. En effet, la Cour de Cassation a rapidement éclairci la situation en
précisant que la responsabilité contractuelle du praticien ne faisait pas obstacle à sa
responsabilité pénale si le manquement aux obligations relevait de la classification pénale de
délit50. Afin de comprendre ces analyses de la haute juridiction judiciaire, nous reprendrons
les bases de la responsabilité pénale afin d’en saisir les applications au droit de la santé.
1. Le régime français de responsabilité pénale
La responsabilité pénale en droit français peut être décrite comme l’obligation de
répondre des infractions commises et de subir la peine prévue par les textes qui les
répriment51. Selon l’article 121-1 du nouveau Code pénal, « nul n’est responsable pénalement
que de son propre fait ». Cette règle générale est cependant nuancée par plusieurs cas
particuliers pouvant engager la responsabilité pénale d’une personne pour une faute pénale
d’une autre personne placée sous son autorité. Il s’agit également de distinguer la sanction
pénale prévue par les textes de celle effectivement retenue par le juge qui, comme dans tous
les régimes juridiques, bénéficie d’une importante marge d’appréciation. Cependant, la peine
applicable dépendra de la classification de l’infraction en fonction du cadre juridique de ce
régime qui distingue les crimes, les délits et les contraventions.
Les crimes représentent l’infraction la plus grave du droit pénal, et sont passibles d’une peine
de 10 ans de prison au minimum assortis de peines complémentaires (amendes, privations de
biens…). Les délits, punis par un emprisonnement maximum de 1à 10 ans et par une amende
minimum de 3750 euros, sont la catégorie d’infraction pour laquelle les pouvoirs
d’individualisation du juge sont les plus importants au vu de la large palette de peines à sa
disposition. Il peut alors avoir recours au sursis, à la mise à l’épreuve… Enfin les
49
Cass Crim, 28/05/1891, Bull. n° 210
Cass Crim., 12 décembre 1946, Bull. n° 231 ; Cass Crim 5 juin 1958, Bull. n° 443
51
G. Cornu (dir.), Vocabulaire juridique, op. cit.
50
28
contraventions désignent les formes d’infraction les moins graves, où la peine principale est
nécessairement une amende inférieure à 3000 euros.
Le Parquet, encore appelé ministère public, poursuit les infractions à la loi pénale. Les
magistrats qui le composent reçoivent les plaintes et procès-verbaux et décident ensuite de
renvoyer l’affaire devant la juridiction de jugement, d’ouvrir une instruction ou de classer le
dossier sans suite. Pour ce qui est de la procédure elle-même, on va retrouver des critères
généraux et semblables à ceux d’autres régimes juridiques. Ainsi, l’engagement de la
responsabilité pénale nécessite-t-elle l’existence d’un dommage, d’une faute, et d’un lien de
causalité constaté entre les deux. De plus, elle bénéficie également d’exceptions à travers les
causes d’irresponsabilité ou d’atténuation de la responsabilité. Elles sont de quatre sortes : si
l’acte contesté est prescrit ou autorisé par la loi ou les règlements (article 122-4 du Code
Pénal) ; si l’acte est commandé par une autorité légitime (cependant, si l’acte est
manifestement illégal, il peut quand même être reproché à son auteur de ne pas s’être soustrait
au commandement de son supérieur) ; si l’acte a été commis sous la contrainte ou en état de
légitime défense ; si l’acte a été commis sous l’influence d’un trouble psychiatrique qui aurait
aboli de manière momentanée le discernement de l’auteur ( article 122-1 du Code Pénal).
Cependant, même si l’auteur d’un acte est jugé irresponsable au pénal, il peut toujours être
reconnu responsable civilement et verser une indemnité.
On notera cependant quelques particularités de la procédure pénale : tout d’abord elle
engage uniquement une responsabilité personnelle, qui n’est pas assurable. Ensuite, elle est
estimée plus rapide que d’autres procédures d’engagement de la responsabilité. Enfin, en droit
de la santé tout particulièrement, c’est sous ce régime juridique que se retrouve les
contentieux des affaires les plus graves.
2. La base légale de la responsabilité pénale en droit de la santé
Les personnels de santé et notamment le médecin sont des citoyens comme les autres
et à ce titre soumis à toutes les dispositions du Code pénal concernant l’engagement de la
responsabilité. Cependant, le code comprend également des types d’infractions où la
profession médicale est impliquée plus particulièrement. On distingue alors l’engagement de
29
la responsabilité pénale des soignants pour des délits de droit commun et pour des délits
professionnels.
Le monde de la santé est particulièrement exposé aux délits pénaux dans la mesure où
les dommages qu’on y constate sont la plu part du temps rattachables aux « atteintes à la
personne humaine » telles que comprises dans les articles 221-1 à 227-31 du Code pénal.
Pourront être poursuivies pour de tels délits à la fois les personnes physiques que sont les
professionnels de santé (article 121-3 du Code pénal), mais aussi, depuis 1994, les personnes
morales comme les établissements de santé publics et privés et certaines institutions de
prévention sanitaire. Cependant la condamnation de la personne morale n’exclut pas celle de
la personne physique, comme le prévoit l’article 121-2 du Code pénal. Ainsi, dans l’arrêt du
tribunal de grande instance de Paris en date du 3 septembre 2003, l’Assistance Publique des
hôpitaux de Paris a été condamnée en tant que personne morale à 1000 euros d’amende suite
au décès d’un enfant dans le service des urgences. Cependant la résidente, le chef de service
et la directrice de l’hôpital ont également été condamnés pour ces mêmes faits, parfois à des
peines d’emprisonnement.
Parmi les délits de droit commun particulièrement fréquents dans le milieu médical, on
retrouve en toute logique l’atteinte à l’intégrité corporelle. Celle-ci peut être involontaire, elle
est alors encadrée par les articles 221-6 à 221-9 du Code pénal, et est définie comme suit : « le
fait de causer par maladresse, imprudence, inattention, négligence, ou manquement à une
obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les règlements, … ». En cas de
décès du patient, on parlera donc d’homicide involontaire. Cependant, cette atteinte peut
également être volontaire et tombe alors sous le coup des articles 222-7 à 222-13 du code
pénal. Dans le contentieux médical, on y trouve les exemples d’euthanasie volontaire, de
stérilisation abusive ou encore d’expérimentations ou actes thérapeutiques pratiqués contre le
consentement de la personne.
Cependant, il était évident que les personnels médicaux devaient être protégés dans la mesure
où l’atteinte corporelle volontaire est nécessaire dans certaines circonstances. Ainsi, la loi du
27 juillet 1999 est venue nuancer ce régime en indiquant qu’ « il ne peut être porté atteinte à
l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité médicale pour la personne ». Le
consentement de la personne est également nécessaire , dans la mesure du possible, mais eil
ne pourra néanmoins jamais constituer une justification pour désengager la responsabilité du
personnel médical si l’intervention sur le corps était illicite (mutilations sexuelles, clonage…)
30
Le Code pénal prévoit également des sanctions pour l’omission de porter secours,
aussi dite « abstention fautive », et connue plus communément sous l’expression « non
assistance à personne en danger ». A ce titre, l’article 223-6 du Code pénal prévoit que
« Quiconque s’abstient volontairement de porter à une personne en péril l’assistance que, sans
risque pour lui ou pour les tiers, il pouvait lui prêter soit par son action personnelle, soit en
provoquant les secours sera puni ». Il est à noter qu’il est encore plus difficile pour les
personnels de santé de dégager leur responsabilité dans ce genre d’implication. En effet, le
risque de contagion ne justifierait pas l’absence d’intervention dans la mesure où cela est
considéré comme un risque normalement encouru par ces professions. La justification d’un
danger pour les tiers ne vaudra également que si le patient dont s’occupait le médecin était
dans un état si grave que toute interruption du processus de soin pour provoquer les secours
ou porter assistance à une autre victime mettrait sa vie en danger.
Enfin certains délits dits professionnels, et ainsi propres aux personnels de santé, sont
prévus dans les textes. L’exercice illégal de la médecine ainsi que les certificats mensongers
sont condamnés, le second plus lourdement puisqu’il peut occasionner un emprisonnement de
cinq ans ainsi que 75 000 euros d’amende.
La violation du secret professionnel est également prévue dans le Code pénal, bien que
soumise à des dérogations prévues par la loi. La violation de cette obligation générale et
absolue est passible d’un an d’emprisonnement et d’une amende de 15 000 euros. Mais
paradoxalement, le défaut de réponse à une réquisition des autorités judiciaires ou
administratives (article R 642-1) est également puni (par contravention uniquement). Ces
deux dernières obligations sont parfois difficiles à articuler pour les professionnels, la
conciliation entre les deux pouvant être complexe.
De nombreux autres petits délits ou contraventions existent, que nous ne détailleront
pas tous ici. Il suffira de retenir que le juge pénal dispose d’un large panel d’infractions
permettant d’engager la responsabilité des médecins. Cependant, la jurisprudence puis les
textes de loi ont également commencé à dégager une nouvelle tendance, à savoir
l’engagement de la responsabilité pénale des dirigeants.
31
3. La responsabilité pénale des dirigeants d’établissements à vocation sanitaire
L’hôpital, la clinique privée, les institutions de prévention et de contrôle, et leurs
gestionnaires, au premier rang desquels le directeur, sont de plus en plus impliqués dans des
procédures pénales, que ce soit pour la mauvaise conduite générale et financière de
l’établissement comme pour des actions en responsabilité engagées par les usagers. Peu à peu,
la gestion du risque judiciaire s’impose donc comme une composante du management
hospitalier52.
Le problème posé pour l’engagement de ce type de personnes physiques réside dans le
fait qu’un directeur est rarement l’auteur direct d’une faute du type « atteinte volontaire à
l’intégrité » ou de toute autre faute. Or, si sa responsabilité est recherchée en tant qu’auteur
indirect du dommage, la faute simple ne suffit plus, le juge exige une faute qualifiée, qui peut
alors prendre deux formes. Elle peut être constituée par une violation manifestement délibérée
d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement
(c’était le cas dans l’arrêt du TGI de Paris de 2003 vu précédemment, et condamnant entre
autres la directrice de l’établissement hospitalier). Est également une faute caractérisée
l’attitude exposant autrui à un risque d’une particulière gravité qu’on ne pouvait ignorer.
La loi Fauchon du 10 juillet 2000 relative aux délits non intentionnels (qui sera
présentée plus en détail ultérieurement) vient apporter des limitations à l’engagement de cette
responsabilité, notamment en exigeant la faute caractérisée. Cependant, on ne peut
s’empêcher de constater un accroissement du nombre de requêtes allant dans le sens de
l’engagement de la responsabilité des dirigeants. Ainsi, suite à la mise en examen d’un
directeur d’hôpital et de plusieurs de ses collaborateurs au début de l’été 2011, dans le cadre
d’une instruction sur l’amiante et pour les chefs de « blessure involontaire » et « homicide
involontaire », l’ADH (Association des Directeurs d’Hôpital) a publié un communiqué le 7
septembre.
Dans ce texte, l’ADH dénonce une « judiciarisation de l’environnement professionnel » en
démontrant ainsi la pression pesant sur les directeurs du fait de la croissance très rapide des
lois et règlements qu’ils sont censés appliquer. Dans ce cadre, l’ADH invite les pouvoirs
52
BARRÉ S et son groupe de travail., « Responsabilité pénale des directeurs d’établissement », Réflexions
hospitalières, n° 496, janvier-février 2004, pp. 34-56
32
publics à « mettre en œuvre une réflexion sur les limitations à apporter à la responsabilité
pénale des DH, ou d’envisager des dispositifs de protection plus efficaces comme il en existe
pour d’autres professions dans l’exercice de leurs fonctions ». L’inquiétude est donc palpable
chez les dirigeants face au recours accru à cet engagement de la responsabilité.
Mais ce phénomène ne s’arrête pas là : en effet, le nombre de plaintes déposées au
pénal et visant à faire condamner des personnels de santé est en constante augmentation. On
peut s’interroger sur les raisons poussant les usagers à recourir à ce régime juridique
particulier. Cela relève-t-il uniquement d’une volonté de sanction du médecin ? Il apparaît
plutôt que c’est encore une fois l’indemnisation qui soit recherchée, bien que la responsabilité
pénale rentre plus généralement dans le cadre des régimes de nature sanctionnateurs. En effet,
la justice pénale prend en charge la plupart des frais résultant du déclenchement de l’action
publique. De plus, cette responsabilité « bénéficie » d’une perception de simplicité par les
requérants dans la mesure où, contrairement aux dommages examinés par les juridictions
administratives ou civiles, ce n’est pas au plaignant qu’incombe la charge de la preuve mais
au juge d’instruction qui dispose alors d’un arsenal d’outils pour la rechercher (autopsie,
saisies, audition de témoins…). Enfin, en cas d’échec devant la justice pénale, rien n’empêche
le requérant d’intenter une action devant les juridictions civiles.
Il faut nuancer en notant que le nombre de condamnations reste stable (autour d’une
vingtaine par an53). Cependant, la juridicisation de la société ne s’évalue pas à l’aune du
nombre de condamnations effectives mais plutôt à celle de la tendance générale à recourir au
droit pour régler ce genre de conflits. Face au développement croissant des divers régimes
juridiques venant d’être présentés, nul doute que cette juridicisation est effective. Cependant,
ne pourrait-on pas également parler de judiciarisation, dans la mesure où le recours aux
tribunaux semble également grandissant ? La deuxième partie visera à apporter une réponse à
cette question plus particulièrement, et ce grâce à l’examen des grandes évolutions
réglementaires, législatives et jurisprudentielles du droit de la santé sur la question de la
responsabilité.
53
ALT-MAES F., « Esquisse et poursuite d’une dépénalisation du droit médical », la Semaine Juridique Edition
générale, n° 184, 2004
33
Pendant longtemps, on a dénoté une forte ignorance mutuelle entre médecine et
justice, dans un premier temps pour la simple et bonne raison que la guérison semblait
dépendre de Dieu. Avec la philosophie des Lumières, les raisonnements plus scientifiques et
rationnels se sont développés, les médecins ont approfondi leurs connaissances et réalisé des
expériences pour mieux comprendre le fonctionnement du corps humain. Signalons à cet
égard le rôle fondamental de Claude Bernard, considéré comme père de la médecine
expérimentale, et qui soutenait que « la théorie est l’hypothèse vérifiée après qu’elle a été
soumise au contrôle du raisonnement et de la critique. Une théorie, pour rester bonne, doit
toujours se modifier avec le progrès de la science et demeurer constamment soumise à la
vérification et la critique des faits nouveaux qui apparaissent.»54. Ainsi, la médecine est
demeurée longtemps sous le seul contrôle des lois de la science, après avoir été sous celui des
lois divines. Il faut attendre le XIXème siècle pour voir apparaître les premières
condamnations, qui donnèrent alors lieu à la création des premières assurances et mutuelles
médicales55. Mais c’est réellement à partir de l’arrêt Mercier de 1936 et de la création de la
notion de contrat entre le médecin et son patient que l’on peut parler d’une responsabilité
(civile) du médecin. Cet arrêt consacre aussi l’obligation de mise en en œuvre de tous les
moyens conformes aux données acquises de la science, ce qui va conférer au juge un véritable
pouvoir d’évaluation de la pratique médicale. De là peut être daté le passage de rapports
d’ignorance mutuelle à des rapports d’incompréhension mutuelle entre justice et santé56.
Cette tension initiale ne s’est pas améliorée avec l’immixtion progressive du droit pénal dans
le domaine de la responsabilité de personnels de santé. Même si les condamnations sont plutôt
rares, leur nombre a tout de même doublé en une décennie (54 entre 1980 et 1989 à 102 entre
1990 et 199957). Et l’inflation législative et jurisprudentielle de ces régimes juridiques ne
semble pas prête de s’arrêter. Cependant, la question à se poser est celle de la tendance de
fond amenée par ces nouveaux textes : va-t-on vers une facilitation de l’engagement du
médecin ou au contraire est-il de plus en plus difficile pour les plaignants d’obtenir gain de
cause ? Cette réflexion fera l’objet de notre deuxième partie.
54
C. Bernard, Introduction à l'étude de la médecine expérimentale, Paris, Garnier-Flammarion, 1966 (réédition),
p. 176
55
Exemple du Sou médical : un sou par jour et par médecin pour financer cette protection
56
M-O Bertella-Geoffroy, « L’évolution des rapports justice-santé », Sève, hiver 2004, pp. 21- 29
57
Ibid.
34
DEUXIEME PARTIE : L’INFLATION
JURIDIQUE COURONNÉE PAR LA
LOI DE 2002, VERS UNE
JUDICIARISATION DU CHAMP DE
LA SANTÉ
« Diversité des raisonnements, unité de
l’intention, ainsi apparaît le dualisme
juridictionnel dans toute sa dimension,
celle de force créatrice de droits »
Marie-Laure MOQUET-ANGER58
Dans le champ du droit de la santé, la concurrence entre juridictions a présenté des
mérites comme des limites. En effet, les deux juridictions ont peu à peu consacré de nouvelles
obligations pour l’équipe médicale, dans une logique de convergence tout d’abord, mais
surtout de convergence vers une meilleure indemnisation des victimes. Cependant, sur
certaines questions que l’on pourrait juger de nature plus éthique, les juridictions peinent
encore à s’accorder, et c’est souvent le législateur qui prend alors la relève. Toujours est-il
que l’on constate, à travers les textes législatifs comme à travers la jurisprudence, une volonté
d’extension de la protection des personnes, qui se traduit notamment par un élargissement des
possibilités de recours au contentieux. Or, même si l’accroissement des possibilités de recours
n’en signifie pas pour autant l’augmentation, les chiffres sont là pour en témoigner.
Même s’il est difficile d’obtenir un point de vue objectif sur les statistiques concernant
le risque médical, dans la mesure où ces chiffres sont généralement fournis par les assureurs
des professionnels de santé, et ce uniquement pour leurs assurés, on peut considérer qu’en
58
M-L Moquet-Anger, « Droit de la santé, unité ou dualité de l’ordre juridique », in Le dualisme juridictionnel,
limites et mérites, Paris, Dalloz, 2006
35
combinant les chiffres de la SHAM59 et ceux du Sou médical60, on obtient une vue
d’ensemble assez réaliste de la situation. Ainsi, si l’on se place dans la dernière décennie, la
SHAM a constaté une augmentation des réclamations relatives aux préjudices corporels de
5% par an entre 1999 et 2003, augmentation qui passe à 20% entre 2003 et 2004, avec plus de
16 réclamations pour 1000 lits assurés. Ci-dessous, le graphique SHAM présente le nombre
de décisions des juridictions administratives et judiciaires pour les sociétaires du secteur
public depuis 1999 :
Dans le privé, la proportion de médecin ayant fait l’objet d’une réclamation est passé de 3% à
6% entre 1990 et 2000, avec, il est intéressant de le noter, une proportion sans commune
mesure de réclamations contre les chirurgiens libéraux (passée de 15% à 45% dans le même
temps). Dans le dernier rapport d’activité du Sou médical (2010), on retrouve les chiffres des
décisions de justice (responsabilité civile), rassemblés dans le tableau suivant :
59
Société Hospitalière d’Assurances Mutuelles, premier assureur en responsabilité civile en termes de nombre de
sociétaires, son rapport annuel recouvre plus de 50% de l’activité des juridictions administratives
60
Le Sou Médical – groupe MACSF ( Mutuelle d’Assurance du Corps de Santé français), principal groupement
d’assurance du secteur libéral
36
Année
2002
2003
2004
2005
2006
2007
2008
2009
Nombre de
décisions de
justice
146
294
377
400
450
402
596
618
Si l’on compare les données de ces deux assureurs, les conclusions sont globalement les
mêmes : les chiffres de la SHAM nous présentent une multiplication par 4 du nombre de
contentieux entre 1999 et 2009, juridictions administratives et civiles confondues ; le sou
Médical confirme cette tendance, ses chiffres prouvant une multiplication par 4 du nombre de
contentieux entre 2002 et 2009, pour les seules décisions de responsabilité civile.
Dès lors, la judiciarisation du champ médical semble bien entamée.
Cependant, il apparaît nécessaire de s’interroger sur l’impact de la loi du 4 mars 2002,
dite « loi Kouchner », sur ce processus. En effet, elle enrichit les droits des malades et usagers
du service public, et par là, encouragerait a priori la tendance à la systématisation du recours
contentieux. Cependant, elle développe également des solutions parallèles à la judiciarisation
des conflits, notamment à travers des procédures de conciliation. Dès lors, cette loi porte en
son sein un paradoxe qu’il conviendra d’analyser au regard de l’impact produit sur la
problématique qui nous intéresse.
37
CHAPITRE 1 : DE GRANDES EVOLUTIONS DICTEES PAR
UNE LOGIQUE DE RAPPROCHEMENT DES DEUX JURIDICTIONS
On évoquait en première partie une obligation principale de soins, théoriquement
dérivée du contrat médical pour le médecin, mais qui peut aisément être étendue à tous les
personnels de santé. Or, les lois et la jurisprudence ont progressivement consacré des
obligations supplémentaires pour l’équipe médicale, globalement sur des questions
d’information du patient et de sécurité dans les soins. Dans l’idée où cette consécration a été
en partie amorcée du fait des difficultés liées au dualisme juridictionnel, on peut considérer
que ces difficultés ont été un facteur moteur de l’évolution du droit positif. Or, la direction
prise par cette harmonisation progressive des solutions proposées par les juridictions semble
être celle d’un élargissement des droits (et, de fait, de l’indemnisation) des patients. Ainsi,
comme le souligne Louis Dubouis, « en trois décennies, on est passé d’une responsabilité
soumise à des régimes de conditions strictes, différentes selon qu’ils relevaient du droit privé
ou du droit public, à un système de très large indemnisation quasi identique qu’il s’agisse de
la responsabilité de l’hôpital public ou de celle qu’encourent les médecins libéraux et les
établissements de soins privés »61. Il peut être cependant utile de noter que malgré ces
rapprochements, des divergences ponctuelles subsistent, et « témoignent de la persistance
d’un indéniable particularisme de la responsabilité administrative par rapport à la
responsabilité judiciaire »62.
Il n’en demeure pas moins que le dialogue des juges, tout comme les attentions du législateur,
tracent une évolution favorable au malade.
Section 1 : L’importance du champ législatif dans le
développement du contentieux de la responsabilité
Dans un premier temps, nous observerons les extensions des divers régimes de
responsabilité menées par le législateur dans le but d’une meilleure protection des usagers.
61
L. Dubouis, « La distinction droit public-droit privé à l’épreuve de l’évolution de la responsabilité médicale »,
in Gouverner, administrer, juger : liber amicorum Jean Waline , Paris, Dalloz, 2002
62
P. Sandevoir, in l’unité du droit, mélange en hommage à Roland Drago, op. cit
38
1. La question de la responsabilité en cas de vaccinations obligatoires
Cette question se pose dans la mesure où de nombreux textes ont peut à peu rendu
certaines vaccinations obligatoires, dans une tentative d’affirmation de ce que Franck
Moderne désigne comme « la volonté déterminée des pouvoirs publics de préserver le capitalsanté de la nation, élément non négligeable de la puissance étatique »63. De plus des effets
indésirables voire des complications pathologiques graves ont pu être remarqués après des
vaccinations, ce qui implique alors la nécessité d’indemniser les victimes de ces dommages,
d’autant plus que celles-ci n’ont pas forcément consenti à la prise de risque impliquée par
cette vaccination.
La question du régime juridique applicable en l’espèce a longtemps été épineuse pour
les juges, ce qui explique l’intervention du législateur. En effet, la vaccination est sans
conteste un acte médical, justification qui permettait à l’origine aux victimes d’attaquer le
médecin ayant pratiqué l’injection devant les juridictions judiciaires pour faute personnelle
détachable du service. Cependant, la responsabilité indirecte de l’État, en cas de défaut de
fonctionnement du service public de vaccination, pouvait être retenue par les juridictions
administratives si la victime ramenait la preuve de la faute dans le fonctionnement. Il est à
noter que la victime pouvait également se retourner contre le département étant donné son
étroite coopération à l’organisation de la vaccination obligatoire64.
La loi du 1er juillet 1964 va élargir l’engagement de cette responsabilité et inscrire dans
l’article L.10-1 du Code de la santé publique qu’il suffit d’un lien établi entre dommage et
vaccination pour engager la responsabilité de l’État. Cependant, cette mise en jeu de la
responsabilité ne peut se faire que dans le cas des vaccinations pratiquées en centres agréés. Il
est également toujours possible d’intenter des actions directement contre le vaccinateur en cas
de faute personnelle. On peut ici considérer que la loi formule la possibilité d’une
indemnisation pour risque social, ce qui est sans conteste une novation dans le droit de la
santé français.
Enfin, la loi du 18 avril 1875 parachève cette évolution en étendant encore le droit à
réparation à toute vaccination obligatoire, même pratiquée hors des centres agréés. La seule
condition d’engagement de la responsabilité en cas d’accident post-vaccination est la
63
64
F. Moderne, « Le régime juridique des vaccinations obligatoires », AJDA, 1965, p.195
CE 13/07/1962, Ministre de la santé publique et de la population c/ Lastrajoli
39
nécessité de prouver la vaccination qui doit à cet égard, et comme la loi le précise, être
déclarée par le vaccinateur.
Le législateur a par ce dernier texte reconnu la nécessité de protéger les usagers contre
un risque dont la cause n’est pas toujours identifiable. En effet, même si la plupart du temps
les accidents post-vaccination sont dus à une faute médicale ou à un défaut d’organisation du
service,
on
peut
parfois
constater
des
réactions
physiques
et
physiologiques
disproportionnées, sans qu’aucune faute ne puisse être relevée. Les victimes de ce genre de
conséquences dramatiques devaient également être protégées.
2. La loi Huriet-Sérusclat et son impact sur la recherche biomédicale
Il est important de relever que la responsabilité des personnels de santé peut être
soulevée même lorsque les dommages subis par un patient ne relèvent pas d’un acte de soin
lié à sa maladie. En effet, ces personnels sont également confrontés à des usagers s’exposant,
certes volontairement, à un risque, mais ne méritant pas moins qu’on les protège en cas
réalisation de ces risques ou de fautes pouvant se produire au cours du suivi de leur
participation aux recherches biomédicales.
A ce titre, la loi n° 88-1138 du 20 décembre 1988 a révolutionné la responsabilité dans
la recherche biomédicale. Elle est la première à instaurer la faute présumée et la responsabilité
sans faute dans le contexte de la recherche biomédicale. En effet, elle organise la protection
des personnes qui se prêtent à ce type de recherche en répondant aux lacunes présentes
jusqu’alors dans ce domaine. Toute la difficulté de ce texte repose sur la nécessité de concilier
protection des êtres humains avec liberté de la recherche. De plus, dans sa proposition de loi,
le sénateur Claude Huriet soulignait les difficultés que faisait peser sur notre industrie
pharmaceutique les différences de réglementation avec les autres pays européens : « Ce
retard, pris par rapport aux autres pays industrialisés est dû à de multiples facteurs,
notamment notre insuffisante règlementation concernant les essais de médicaments, qui
freinent la reconnaissance de cette profession. Ceci, on le devine, est très pénalisant pour
l’industrie pharmaceutique »65.
65
Proposition de loi n° 286, relative aux essais chez l’homme d’une substance à visée thérapeutique ou
diagnostique, C. HURIET, Sénat, 21 juin 1988, p. 4
40
Nous ne détaillerons pas toutes les nouvelles dispositions de cette loi ni ses motifs. Nous
retiendrons en revanche l’objectif de protection des droits humains à travers l’introduction
d’une responsabilité présumée au regard de laquelle ce n’est plus au patient mais aux gérants
des recherches d’apporter une preuve (celle de l’absence de faute en l’occurrence). Cette loi
va même plus loin en consacrant une responsabilité sans faute dans le cadre des essais sans
bénéfice individuel direct. Elle instaure l’obligation d’assurance des responsables de
recherches biomédicales, tout en alourdissant en parallèle les sanctions pénales, offrant par là
de nouvelles ouvertures pour l’engagement de la responsabilité pénale de ces meneurs devant
les tribunaux. Enfin présume-t-elle du développement législatif ultérieur en consacrant
l’obligation d’information du patient, de recueil du consentement, ainsi que la possibilité de
retirer ce consentement à tout moment.
L’obligation d’assurance avait alors vocation à s’assurer que les promoteurs des
expérimentations auraient les moyens d’indemniser les éventuels victimes, et les sanctions
pénales plus lourdes un moyen de les condamner fréquemment. Nul doute que cette loi a
participé à une judiciarisation de la médecine, ce qui peut expliquer les fortes réticences du
milieu de la recherche à son adoption.
3. Les lois de bioéthique, une participation en demi-teinte au développement du
contentieux
Les trois lois de juillet 1994 constituent le socle de base de l’encadrement législatif de
la bioéthique, et ont été à cette occasion longuement débattues.
L’objectif des lois de bioéthique, dans la droite lignée de la loi Huriet-Sérusclat, était
de réussir la difficile conciliation entre dignité de la personne humaine et exigences du
progrès scientifique et médical. Nous nous intéresserons particulièrement ici au socle
fondateur, c'est-à-dire aux trois textes de 1994 : la loi du 1er juillet 199466 sur le traitement des
données nominatives dans le domaine de la recherche en santé ; la loi du 29 juillet sur le
respect du corps humain67 et la deuxième loi du 29 juillet sur le don et l’utilisation des
éléments et produits du corps humain, l’assistance médicale à la procréation (AMP) et le
66
67
Loi n° 94-548 du 1er juillet 1994
Loi n° 94-653 du 29 juillet 1994
41
diagnostic prénatal68. C’est essentiellement ce dernier texte que l’on qualifie de l’appellation
« loi de bioéthique ». Nous ne détaillerons pas toutes les dispositions de ces textes, mais
retiendrons les plus importantes, qui sont celles qui se place dans la même perspective que la
loi sur la recherche biomédicale : protéger l’intégrité physique et la dignité de l’être humain.
Ainsi, en ce qui concerne le don d’organes (ou autres produits du corps humain), le but était
de protéger le donneur et le receveur : le donneur par l’obligation de recueil du consentement
et le receveur par une garantie d’égalité d’accès aux dons et de qualité sanitaire de la
transplantation. Plus généralement, le but indirect était de redonner respect et confiance en la
médecine à la population, que ce soit en promouvant la moralité par l’interdiction de
marchandisation des organes (gratuité et anonymat du don), mais aussi en insistant sur la
sécurité sanitaire afin d’effacer des mémoires collectives les récents scandales de
contamination ayant fortement nui à la confiance envers le corps médical.
Pour l’assistance médicale à la procréation, l’ambition législative était de mettre en place un
encadrement juridique strict. Cependant, cela ne fut que partiellement efficace. En effet,
même si le législateur a pris la peine de définir la hiérarchie des intérêts dans le cadre de cette
aide médicale en soulignant qu’il ferait toujours passer l’intérêt de l’enfant à naître avant de le
droit à l’enfant des parents, cette protection de l’embryon n’est pas suffisante dans la mesure
où législateur comme juge ont toujours eu des réticences à définir son statut juridique.
Ces textes élargissent la protection du corps humain, proposent une interprétation au
juge s’il avait à faire appliquer cette loi, mais ne participent pas à proprement parler d’une
judiciarisation de la santé ; ce d’autant moins que ces lois prévoyaient déjà au moment de leur
publication, ce qui est très rare, un dispositif de réexamen du texte, sachant que les textes
juridiques deviendraient vite obsolètes face au développement rapide des connaissances
scientifiques. Le réexamen devait avoir lieu cinq ans plus tard69 mais il faut attendre la loi du
6 août 200470 pour observer un renouveau des lois de bioéthique.
4. La réforme Juppé de 1996, un texte paradoxal
L’ordonnance n° 96-346 du 25 avril 1996 (une des trois ordonnances du « plan
Juppé ») portant réforme de l’hospitalisation publique et privée, a eu un rôle que l’on peut
68
Loi n°94-654 du 29 juillet 1994
La première révision n’aura finalement lieu qu’en 2001
70
Loi n° 2004-800 du 6 août 2004
69
42
qualifier de paradoxal dans l’évolution législative de la question de la responsabilité des
personnels de soins. En effet, ce texte inscrit, dans l’article 710-2 du Code de la santé
publique, l’obligation de la création d’une commission de conciliation dans chaque
établissement hospitalier. Ce dispositif s’inscrit dans une démarche d’accompagnement
exacerbé du patient, et la vocation intrinsèque de cet article est alors de veiller à ce que les
plaignants obtiennent des réponses concrètes lorsqu’ils s’estiment victimes d’un préjudice,
tout en évitant autant que faire se peut le recours juridictionnel. Dans la série de textes
législatifs évoquée jusqu’ici, c’est donc le premier prenant le contrepied de la judiciarisation.
Cependant, d’autres dispositions de la loi n’oublient pas pour autant la vocation de
protection des malades qui est en partie à l’origine de l’ordonnance. Ainsi, par la circulaire
DGS/DH/95 n° 22 du 6 mai 1995, le gouvernement avait entamé la mise à jour de la Charte
du patient hospitalisé71. Cette charte fait l’état des lieux des droits des patients dans les
établissements de santé, et à ce titre se positionne dans la lignée de la tendance de l’époque à
la protection renforcée de leurs intérêts.
On peut également considérer que la création des RMO (références médicales opposables)
ainsi que de l’ANAES (agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé). En effet,
cette dernière ayant pour tâche l’accréditation des établissements de santé, elle répondait alors
à une logique d’amélioration de la qualité des soins combinée à une satisfaction accrue de la
clientèle ; les RMO de leur côté, bien que n’ayant pas de valeur juridique forte, permettait
d’assurer aux patients que les personnels soignants étaient soumis au respect des bonnes
pratiques, décrites alors par l’Assurance Maladie. Cette logique a d’ailleurs perduré
aujourd’hui avec les bonnes pratiques qui sont élaborées par l’HAS (Haute autorité de santé).
On ne peut nier que certaines considérations économiques sont à la source des
réformes du plan Juppé, doublées d’un souci accru de développer des alternatives au
contentieux. Toujours est-il que le résultat produit est un meilleur accompagnement des
patients dans leur volonté de faire respecter leurs droits et une surveillance accrue de l’activité
médicale pour pallier tout problème.
Ainsi, s’il apparaît que le mouvement impulsé par le législateur participe globalement
d’une judiciarisation du domaine de la santé, certains textes semblent toujours rechercher
71
Créée par le décret n°74-27 du 14 janvier 1974
43
l’alternative au contentieux. L’évolution jurisprudentielle est beaucoup plus uniforme sur ce
point : la tendance qui se dégage est celle d’une simplification de l’engagement de la
responsabilité des personnels de soins, pour faute comme, peu à peu, en l’absence de faute.
Section 2 : Par leur jurisprudence, les deux juridictions visent à
pallier le manque de cohérence initial en matière de responsabilité
médicale
Les conséquences du dualisme juridictionnel en matière médicale ont souvent été
considérées comme problématiques, voire même « désastreuses » selon certains auteurs72.
C’est pourquoi l’idée d’unifier le contentieux de la responsabilité des soignants entre
juridictions administratives et judiciaires s’est peu à peu imposée.
La décennie 1990 a ainsi vu se développer la pensée sociale sur le risque. Dans ce
contexte marqué par la volonté d’annihiler au maximum le risque73 (doublé de la situation de
la France, pays historiquement averse au risque), les juridictions ont du déployer de nombreux
efforts pour parvenir à surmonter un paradoxe. D’une part le développement de nouvelles
thérapeutiques ou techniques médicales prometteuses mais parfois risquées est encouragé par
les patients ; mais d’autre part le risque n’est plus accepté comme le pendant de l’intervention
médicale, ce qui conduit à l’augmentation des demandes de compensation indemnitaire que
nous avons vue précédemment.
Quelle position ont adopté les juges ? Se sont-ils réellement accordés à ce sujet ? Ce
sera l’objet de cette section.
1. L’information du malade, une obligation déjà ancienne considérablement
élargie par le concours des deux juridictions
La loi n° 91-748 du 31 juillet 1991 consacre le droit à l’information en disposant :
« les établissements de santé, publics ou privés, sont tenus de communiquer aux personnes
recevant ou ayant reçu des soins, sur leur demande et par l’intermédiaire du praticien qu’elles
72
73
Sandevoir P, in L’unité du droit, mélanges en hommage à Roland Drago, op.cit
Conseil d’Etat, « Responsabilité et socialisation du risque », rapport annuel, 2005, 398 p.
44
désignent, les informations médicales contenues dans leur dossier médical ». Néanmoins, le
code de déontologie médicale prévoyait déjà cette obligation pour les médecins. Mais le
contentieux autour du droit à l’information est surtout la meilleure illustration des tentatives
d’harmonisation des jurisprudences des deux juridictions pour parvenir à une protection
optimale des droits des patients.
Ainsi l’obligation d’information du malade a-t-elle été nettement étendue. En effet,
dans un premier temps, l’ordre administratif74 et l’ordre judiciaire75 n’imposait au médecin
d’informer le malade que sur les risques « normalement prévisibles ». Mais la Cour de
Cassation va impulser un élargissement de l’appréhension de l’obligation d’information avec
son arrêt Madame Castagnet du 7 octobre 1998, en incluant dans l’information tous les
risques graves, même ceux dont la réalisation reste exceptionnelle. La haute juridiction
administrative n’a pas tardé à s’aligner sur la position de la Cour de Cassation avec l’arrêt
Consorts Telle du 5 janvier 2000. Il est à noter que les exceptions à cette obligation
d’information restent les mêmes : urgence, impossibilité et refus du patient d’être informé.
En cas de remise en cause de l’information préalable au cours d’un contentieux, les
deux juridictions ont également fini par adopter des positions similaires. A ce titre l’arrêt
Consorts Telle a renversé le fonctionnement de la charge de la preuve alors en vigueur76 pour
confier au médecin le soin d’apporter la preuve de l’information préalable. Mais ce
contentieux va par la suite être particulièrement illustratif du phénomène de rapprochement
des deux juridictions par la voie de raisonnements différents. En effet, l’arrêt Hédreul de la
Cour de Cassation en date du 25 février 1997 confirme ce renversement de la charge de la
preuve mais ne s’est assurément pas fondée sur les mêmes bases que le Conseil d’État pour en
arriver à cette conclusion. Pour ce faire, les juges judiciaires ont mené un raisonnement en
trois temps. Du point de vue procédural, ils ont tout d’abord considéré que même si le
plaignant ne rapportait pas la preuve de ce qu’il avançait, le juge pouvait toujours ordonner
une mesure d’instruction. En matière déontologique ensuite, la Cour a tenu à rappeler dans cet
arrêt qu’il est inscrit dans le code de déontologie que le médecin doit dûment informer son
74
CE 12/06/1970 Dame Nercam ; CE 01/03/1989 Gelineau
Cass Civ 23/05/1975, JCP 1975 ; Cass Civ 1ère 20/01/1987
76
C’était au plaignant d’apporter la preuve de la faute et, ainsi, celle de la non-information préalable sur les
risques.
75
45
patient. Enfin, dans la perspective contractuelle77, et sur le fondement de l’article 1315 du
Code civil, la Cour déclare que « celui qui est légalement ou contractuellement tenu d’une
obligation particulière d’information doit rapporter la preuve de l’exécution de cette
obligation ». Cependant l’objectif des deux juridictions demeure le même : assurer au patient
une protection identique de sa liberté de consentir à l’acte de soin78.
La théorie de la perte de chance est utilisée de manière plutôt ancienne par les deux
juridictions79 et, dans le cadre de l’obligation d’information, est fondée sur la supposition que
le patient, s’il avait été correctement informé de tous les risques corrélés à l’acte qu’il
s’apprêtait à subir, aurait peut-être refusé l’intervention. Auquel cas une information
incomplète ou manquante lui a fait perdre une chance d’échapper au préjudice qu’il a subi au
cours de l’acte finalement réalisé. Cependant, c’est sur les questions d’indemnisation que les
interprétations jurisprudentielles divergeaient : étonnamment, le juge administratif, pourtant
considéré comme moins généreux que le juge judiciaire, indemnisait le préjudice total ; en
revanche l’ordre judiciaire ne faisait qu’une indemnisation partielle calculée sur la base du
pourcentage de chances d’éviter le préjudice en question. Le Conseil d’État s’est cependant
rallié à l’interprétation judiciaire, réduisant ainsi le montant des indemnités jusque là
accordées. Mais la juridiction administrative garde un particularisme dans la mesure où elle
applique aussi la théorie de la perte de chance aux fautes médicales, et n’a que très récemment
adopté le régime d’indemnisation partiel également pour ce contentieux80.
Une conclusion à tirer de l’élargissement global du droit à l’information du malade
serait l’évolution qualitative du droit positif par la jurisprudence. En effet, on ne parle pas tant
dans ce cas de la création de nouveaux droits, ou d’augmentation des indemnités81 mais plutôt
de la portée juridique consacrée de ces droits fondamentaux et des outils juridiques
développés pour être au service des patients et leur permettre de faire respecter ces droits,
dans un cadre contentieux.
77
On rappellera ici que pour la juridiction judiciaire la responsabilité du médecin est basée sur le fait qu’un
contrat l’unisse à son patient depuis l’arrêt Mercier de 1936.
78
N Pillerel, « Le contentieux médical dans l’ordre administratif et dans l’ordre judiciaire : convergences et
divergences », op.cit. p 9 ;
79
CE 24/04/1964 Hôpital de Voiron ; Cass Civ 14/12/1965, JCP 1966, II, 14753
80
CE 21/12/2007 Centre hospitalier de Vienne
81
Ce serait même plutôt le contraire avec l’arrêt Consorts Telle
46
2. Le régime de la présomption de faute, encore source de débats entre les deux
ordres
Le principe de la présomption de faute avait été en quelque sorte déjà affirmé par les
lois et arrêts concernant la vaccination obligatoire, mais l’affaire Cohen a relancé le débat et a
conduit à une solution généralisée du Conseil d’État sur le sujet. En effet, en 1988, la
juridiction administrative a voulu reconnaître aux victimes des infections nosocomiales
contractées en établissements publics un droit à indemnisation par le mécanisme de la
présomption de faute, et réfléchissait ainsi : « […]alors qu’aucune faute lourde médicale,
notamment en matière d’asepsie, ne peut être reprochée aux praticiens qui ont exécuté
l’intervention, le fait qu’une telle infection ait pu se produire révèle une faute dans
l’organisation ou le fonctionnement du service hospitalier à qui il incombe de fournir au
personnel médical un matériel et des produits stériles »82. Après quelques résistances, la Cour
de Cassation s’est finalement alignée dans une décision de 1996 83 dans laquelle elle précise
« une clinique est présumée responsable d’une infection contractée par un patient lors d’une
intervention pratiquée dans une salle d’opération, à moins de prouver l’absence de faute de sa
part ».
Mais la Cour de Cassation a également poussé plus loin ce raisonnement en créant
pour le médecin une obligation de sécurité de résultat. En effet, dans son arrêt du 29 juin
1999, elle justifie son raisonnement comme suit : « le contrat d’hospitalisation et de soins
conclu entre un patient et un établissement de santé met à la charge de ce dernier, en matière
d’infections nosocomiales, une obligation de sécurité de résultat dont il ne peut se libérer
qu’en apportant la preuve d’une cause étrangère ». Ce renversement de la charge de la preuve
introduit par l’arrêt constitue un premier bouleversement dans le milieu médical. Ce
bouleversement implique un dépassement de l’obligation de moyens selon laquelle le
praticien doit simplement employer les meilleurs moyens à sa disposition pour arriver au
résultat escompté. Avec cet arrêt84, la haute juridiction considère que les médecins doivent
obtenir le résultat promis, à savoir celui d’un acte médical ou d’une intervention dans les
meilleures conditions sanitaires qui soient pour prévenir toute forme de contamination. C’est
pourquoi le terme d’ « obligation de sécurité de résultat » est plus généralement retenu, dans
82
CE 09/12/1988 Cohen
Cass Civ 1ère 21/05/1996, JCP 1996
84
Et l’arrêt Cass Civ 1ère 15/02/2001 qui élargit le principe aux cabinets libéraux
83
47
la mesure où il n’est pas demandé au médecin de guérir ses patients systématiquement, mais
de prévenir la contraction d’infection au cours de l’acte médical réalisé au sein de
l’établissement. Cependant, une autre dimension de cet arrêt est intéressante à retenir : en
l’état, ce n’est pas l’absence de faute qui va exonérer l’établissement privé mais la preuve
d’une cause étrangère. Alors même que les deux ordres convergent sur la finalité de
protection des patients et sur la volonté de simplifier le contentieux pour le plaignant, leurs
raisonnements demeurent encore une fois différents.
3. L’émergence d’un régime de responsabilité sans faute
Dans la construction progressive de ce régime, il faut noter la percée réalisée par la
cour administrative d’appel de Lyon dès le début des années 1990. Serge Gomez, adolescent
de 15 ans au moment des faits, a eu à subir une opération à cause de la déviation de sa
colonne vertébrale, qui a été mis en œuvre selon une technique nouvelle encore peu éprouvée,
sans que les parents sachent au préalable qu’il existait d’autres protocoles opératoires plus
classiques et aux risques mieux cernés. Or, Serge est resté paralysé des jambes à la suite de
cette intervention, ce qui a poussé le tribunal à indemniser ce patient en menant un
raisonnement très novateur et consacrant la notion de « risque spécial » et d’aléa
thérapeutique : « Considérant que l’utilisation d’une thérapeutique nouvelle crée lorsque ses
conséquences ne sont pas entièrement connues, un risque spécial pour les malades qui en sont
l’objet ; que lorsque le recours à une telle thérapeutique ne s’impose pas pour des raisons
vitales, les complications exceptionnelles et anormalement graves qui en sont la conséquence
directe, engagent même en l’absence de faute la responsabilité du service public hospitalier ».
Cependant, il faut attendre encore trois ans pour que la haute juridiction administrative
se positionne elle aussi en ce sens. Par l’arrêt Bianchi du 9 avril 2003, le Conseil d’État a
reconnu la possibilité de condamner un établissement hospitalier à indemniser la victime d’un
préjudice même en l’absence de faute de l’établissement ou de son personnel. En
l’occurrence, M. Bianchi avait subi une intervention sous anesthésie générale au sortir de
laquelle il était resté paralysé des quatre membres. Aucune faute n’a été repérée par les
experts dans le déroulement de l’examen. L’hôpital de la Timone (Marseille) sera pourtant
condamné à indemniser son patient.
48
Cet arrêt se présente donc comme un bouleversement du droit médical. Néanmoins, il
ne faut pas oublier que le Conseil d’État a listé des conditions cumulatives qui doivent être
réunies pour entrer dans le cadre de ce régime d’indemnisation : le risque de l’acte médical
qui s’est finalement réalisé devait être connu, mais sa réalisation exceptionnelle, il faut qu’il
n’y ait aucune raison de penser que la victime pouvait y être sensible en particulier, le
dommage doit être la cause directe de l’acte médical en question, et surtout ce dommage,
d’une certaine gravité, doit être sans rapport avec l’état du patient avant l’acte contesté.
Bien que ce régime d’indemnisation des patients soit plutôt restreint d’application, il a
au moins le mérite d’exister, ce qui semble être plus compliqué au sein de l’ordre judiciaire.
En effet, dans son arrêt Destandeau contre Tourneur et MSA du 8 novembre 2000, la Cour de
Cassation a estimé que le principe d’un régime de responsabilité sans faute ne pouvait être
rendu compatible avec les fondements de la responsabilité civile que sont la nécessité de la
faute et le principe des obligations contractuelles. Ainsi la Cour a considéré que la réparation
du risque ou de l’aléa thérapeutique ne rentrait pas dans les obligations contractuelles du
médecin. Cependant, consciente des inégalités de traitement des justiciables qui en résultaient,
et de la nécessité de protéger les patients de manière effective contre ce risque, la Cour a
appelé de ses vœux une intervention du législateur sur le sujet, révélant par là même une
limite à l’unification du contentieux des deux juridictions.
Les deux juridictions, par leur tentative d’harmonisation du traitement des demandes
des justiciables en santé, ont nettement élargi les droits de ces derniers et, plus ou moins
directement, leurs possibilités de recours. La plupart des grands textes de loi de la décennie
1990 ont également eu un fort impact sur l’élargissement de l’accès aux contentieux pour les
victimes de dommages en milieu médical. Ces deux constats vont dans le sens des chiffres
analysés en début de partie et confirment ainsi la judiciarisation récente du domaine de la
santé.
De plus, dans le traitement des affaires, les deux juridictions ont pu encore une fois se
révéler incitatives dans le recours aux contentieux dans la mesure où les indemnisations se
sont révélées de plus en plus favorables aux patients. Ainsi, si à l’origine le Conseil d’État
n’indemnisait que la douleur physique exceptionnelle85, il a rapidement accepté d’indemniser
85
CE 24/04/1942 Morel
49
toute douleur physique « de nature à ouvrir droit à réparation »86, telle qu’explicitée par
l’arrêt. Enfin, depuis 196187, le Conseil d’État reconnaît également l’existence d’un préjudice
moral indemnisable, et qui prévoit même l’existence d’un éventuel préjudice esthétique88
qu’il convient également de réparer.
Mais la loi du 4 mars 2002 mérite de se reposer la question. En effet, la loi du 4 mars
apparaît, tout comme le plan Juppé de 1996, assez paradoxale quant à l’impulsion qu’elle
souhaite donner au droit de la santé : elle approfondit le système de conciliation instauré par
la loi Juppé et renforce parallèlement le droit des malades. C’est pourquoi son étude fera
l’objet du prochain chapitre.
CHAPITRE 2 : LA LOI DU 4 MARS 2002, QUEL IMPACT SUR
LA TENDANCE A LA JUDICIARISATION DE LA SANTÉ?
« Le rapport entre patient et médecin ou chirurgien s’est largement modifié au cours
de ces dernières années. De l’ère d’une toute puissance médicale qui s’exerçait sans contrôle
et dans un climat d’extrême confiance, le patient s’en remettant totalement à son thérapeute,
nous sommes passés graduellement à une nouvelle ère : celle du patient consommateur de
soins et acteur décidé de son destin médical. » Ainsi s’exprimait le docteur Hervé Olivier au
78ème congrès de la société française de chirurgie orthopédique et traumatologique au mois de
novembre 2003, congrès dont il est le président89. Ce discours est largement exportable dans
les autres spécialités et probablement dans le corps médical tout entier. Il expose l’inquiétude
des professions du corps médical face à un texte de loi qui, bien que développant des solutions
parallèles à la judiciarisation du conflit, semble être vécu comme un renforcement de « bien
des angoisses, des doutes et des insomnies »90, déjà inhérents à la pratique de n’importe quel
acte médical.
Il s’agira donc ici d’analyser plus en détail ce texte source de nombreux débats : quelle
était la volonté du législateur à l’origine de la création de cette loi ? Quelle interprétation les
86
CE 06/06/1958 Commune de Grigny
CE 24/11/1961 Ministre des travaux publics c/ consorts Letisserand
88
« l'ensemble des disgrâces dynamiques et statiques imputables à l'accident et persistant après la consolidation»
89
En ligne sur le site de la société française de chirurgie orthopédique et traumatologique
90
Ibid.
87
50
juges ont-ils fait du texte ? Quelles failles peut-on identifier dans le texte ? Et dans sa mise en
place ? En définitive, quel impact a eu ce texte sur la responsabilité en droit de la santé ? Cette
série de questions guidera l’analyse de la loi du 4 mars 2002 dite « loi Kouchner » présentée
dans ce chapitre.
Section 1 : La loi Kouchner œuvre pour une déjudiciarisation
de la santé
Par un double travail de restructuration de l’engagement de la responsabilité en droit
de la santé et de développement de solutions alternatives à la judiciarisation du conflit, la loi
de 2002 avait pour ambition de réduire les dérives liées au dualisme juridictionnel tout en
proposant d’autres formes d’indemnisation pour pallier la restriction qu’elle imposait en
matière de contentieux. En effet, la Cour de Cassation dans son arrêt Destandeau contre
Tourneur et MSA comme la littérature du champ91 avaient largement invité à légiférer sur
cette restriction des indemnisations liée au refus de reconnaissance de la responsabilité sans
faute par la juridiction judiciaire. Dès lors, dans quelle mesure est-il parvenu à concilier cette
consécration d’un droit unique en matière de contentieux médical avec le développement de
procédures non-contentieuses ?
1. Tentative d’unification du contentieux : un objectif quantitatif de diminution
Dans la logique d’unification du contentieux en matière médicale, le législateur a dû
trancher entre des interprétations parfois divergentes des deux juridictions sur un même point.
Or, cet arbitrage fut l’occasion de tenter de donner une nouvelle impulsion au mouvement à
l’œuvre au sein du droit de la santé. Ainsi, comme nombre d’auteurs et juges l’appelaient de
leurs vœux, la loi du 4 mars 2002 se prononce sur la question du régime de la responsabilité
sans faute. Et c’est du côté de la Cour de Cassation et de son arrêt Tourneur contre
Destandeau que s’est placé le législateur. En effet, il revient sur l’avancée proposée par l’arrêt
Bianchi pour décider que la responsabilité d’un professionnel ne pourra être engagée sans
faute. Le nouvel article L 1142-1 du CSP précise alors « la réussite des actes de prévention, de
diagnostic ou de soins, comportant toujours une part de risque ne peut être garantie ».
91
G. Viney, P. Jourdain, « L’indemnisation des accidents médicaux : que peut faire la Cour de cassation ? »,
JCPG, n°181, 1997
51
Cependant, cette loi connue pour élargir les droits des patients et promouvoir la démocratie
sanitaire ne pouvait laisser les victimes d’accidents médicaux sans ressources. C’est pourquoi
elle fonde l’indemnisation de ces cas sur la solidarité nationale. Cette indemnisation sera
organisée en coordination par la CRCI et l’ONIAM, la CRCI92 ayant alors pour tâche
d’orienter les victimes soit vers les juridictions si le préjudice qu’elles ont subi est fautif, soit
vers l’ONIAM s’il résulte d’un accident. Cependant, la victime conserve le droit de recourir
au juge si elle n’est pas satisfaite du montant de l’indemnisation, et peut même mener ces
deux procédures en parallèle. Cette disposition législative se veut rassurante pour les
médecins, dont la responsabilité personnelle ne pourra plus être engagée en l’absence de
faute.
La loi Kouchner est aussi revenue sur l’arrêt Perruche qui avait constitué un
bouleversement du monde du contentieux en santé. En effet, le 17 novembre 2000, la Cour de
Cassation avait reconnu à un enfant handicapé un préjudice du seul fait de sa naissance, qui
mériterait d’être indemnisé. Elle s’était opposée par cet arrêt à la doctrine mais aussi aux
juridictions administratives qui, de jurisprudence constante, avaient toujours refusé de
reconnaître un préjudice à l’enfant, se contentant d’indemniser celui de ses parents. Dans son
arbitrage entre les deux conceptions, l’article premier de la loi du 4 mars 2002 va encore une
fois prendre le parti de la limitation du recours au contentieux en affirmant que « nul ne peut
se prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance ». Mettant ainsi fin aux polémiques sur
la question du régime juridique du handicap congénital, la loi du 4 mars 2002 a nettement visé
à opérer une unification du contentieux des deux juridictions par l’arbitrage de plusieurs
divergences, et notamment la suppression de la responsabilité sans faute. Mais elle est même
allée plus loin dans la volonté de protéger les personnels soignants de la systématisation du
contentieux.
2. La volonté de recentrage de la faute
Il ressort de la judiciarisation opérée au cours des années 1990 et mise en lumière
précédemment deux tendances en ce qui concerne la faute : d’une part, la conception même
de la faute est devenue de plus en plus judiciaire dans un objectif de réparation, s’éloignant
92
Son fonctionnement sera détaillé dans la seconde partie
52
par là du sens médical de la notion93 ; d’autre part les juges ont opéré un renversement de la
charge de la preuve de la faute, compliquant ainsi la tâche des personnels et établissements de
santé pour s’ « innocenter ». On peut également évoquer ici le développement des obligations
de sécurité de résultat à partir de l’affaire Cohen (1988), souvent vécues comme de véritables
obligations de résultats par les personnels soignants. C’est sur ces points que le législateur a
souhaité revenir.
L’appréciation de la faute s’est élargie de manière conséquente ces dernières années.
Si l’on prend l’exemple du contentieux lié à la lésion d’organes autres que celui opéré au
cours d’une intervention94, on constate que la jurisprudence a très vite reconnu ce dommage
comme faute sauf dans le cas d’atteinte inévitable95, excluant ainsi le principe du risque
inhérent à toute activité médicale pourtant maintes fois rappelé par les experts.
Cependant, il est nécessaire de se replacer dans le contexte. On parle principalement ici de
l’appréciation faite par le juge judiciaire de la faute. Or, avant la loi de 2002, la Cour de
Cassation avait déjà refusé l’aléa thérapeutique et aucun mécanisme de solidarité nationale ne
permettait d’indemniser les victimes. Il est donc légitime de penser que c’est en ce sens que la
loi de 2002 a eu un impact sur l’appréciation de la faute96 : par la consécration d’une
indemnisation ouverte à tous au titre de la solidarité nationale, elle a apparemment rendu les
juges plus enclins à apprécier la faute de manière plus médicale97, à reconnaître l’existence
d’un risque inhérent à l’acte médical, tout en mettant fin à l’indemnisation massive basée sur
la crainte que les victimes ne reçoivent jamais réparation.
La loi a aussi visé à limiter le foisonnement des obligations de sécurité de résultat. En
renvoyant le contentieux des infections nosocomiales et des accidents médicaux à l’ONIAM,
et en rappelant parallèlement la responsabilité pour faute des personnels soignants, la loi de
2002 a déjà exclu une large partie des cas où l’on pourrait retrouver le moyen de l’obligation
de sécurité de résultat invoqué à l’appui d’une condamnation. Or les juridictions se font fort
d’appliquer à la lettre cette volonté du législateur. Ainsi, dans un arrêt du 4 janvier 2005, la
Cour de Cassation a cassé une décision de la cour d’appel qui se basait sur une obligation de
sécurité « accessoire » à une obligation de moyen pour condamner le praticien. La haute
93
D. Berthiau, « La faute dans l’exercice médical depuis la loi du 4 mars 2002 », Revue de droit sanitaire et
social, n° 5, septembre-octobre 2007, p. 773
94
D. Berthiau, « la faute dans l’exercice médical depuis la loi du 4 mars 2002 », op. cit.
95
Cass. Civ 1ère 23/05/2000
96
D. Berthiau, ibid.
97
Cass. Civ 1ère 29/11/2005
53
juridiction a rappelé que l’existence d’une faute est obligatoire pour l’engagement de la
responsabilité, que la faute ne se présumait pas, et que la loi du 4 mars 2002 ne pourrait être
contournée par la découverte d’obligations de sécurité de résultat accessoire à celle de
moyens, dans la mesure où la loi revient strictement à un régime de faute prouvée.
Tel qu’il ressort de cette analyse, l’esprit de la loi de 2002 semble donc être une
volonté de limitation quantitative du contentieux. Le développement de solutions alternatives,
constituées de la solidarité nationale déjà évoquée et des processus de conciliation, révèle
alors une prise en copte accrue de l’aspect qualitatif du traitement des plaintes des usagers.
3. Le développement de solutions parallèles à la judiciarisation du conflit
La mise en place d’un système de solidarité nationale vaut essentiellement pour les
infections nosocomiales (contractées dans un établissement de santé), iatrogènes (résultant
d’un traitement médical) et les accidents médicaux, même si elle peut également prendre la
relève dans d’autres cas98. La loi a ainsi créé les CRCI (Commissions régionales
d’indemnisation et de conciliation), qui dépendent de l’ONIAM (office national
d’indemnisation des accidents médicaux), lui aussi mis en place par la loi de 2002. Cela
n’exclut cependant pas les possibilités de contentieux mais les limite. Ainsi la responsabilité
des établissements de santé demeure pour les infections nosocomiales, et ils doivent toujours
amener la preuve de l’absence de faute ; mais pour les médecins la loi a assoupli le régime en
vigueur en considérant que la présomption de faute ne valait plus pour eux et que c’était dans
ce cas au plaignant de prouver la faute.
Le partage de l’indemnisation entre ONIAM et établissements est ensuite un peu plus
complexe. Retenons d’abord que la victime saisit la CRCI qui considérera son dossier comme
recevable si l’accident ou l’infection est directement imputable à un acte médical, qu’il a eu
des conséquences anormales au regard de l’état de santé initial du patient comme au regard de
l’évolution prévisible de cet état, et qu’il présente un degré de gravité certaine, en
l’occurrence une IPP (incapacité permanente partielle) supérieure à 25% ou une ITT
(interruption temporaire de travail) supérieure à 6 mois, des troubles dans les conditions
d’existence ou enfin une aptitude définitive. Si le dossier est recevable, la CRCI va ensuite
98
On pense notamment à la CIVI pour les victimes d’infractions dont l’auteur n’est pas solvable ou inconnu.
54
mener un travail d’expertise pour déterminer l’existence ou non d’une faute. L’annexe 1
présente très clairement la procédure après recevabilité du dossier. On rappellera simplement
ici que ce n’est qu’en cas de faute prouvée que la victime négociera directement avec
l’assureur de l’établissement ou du praticien fautif. Dans tous les autres cas, l’ONIAM se
chargera de l’indemnisation. Cependant, la diminution du recours au contentieux n’est pas
évidente dans la mesure où la victime peut refuser l’indemnisation proposée par l’assureur ou
par l’ONIAM et saisir le juge. De plus, même si la victime accepte le montant versé par
l’ONIAM, ce dernier est subrogé dans les droits de la victime et peut à son tour saisir le juge
afin d’obtenir un remboursement par l’assureur du fautif. Pour autant, l’intervention
systématique de l’ONIAM pour des IPP importantes demeure un moyen d’alléger la charge
financière des assureurs, moyen qui est à relativiser dans la mesure où, en 2001 par exemple,
3% des infections nosocomiales seulement avaient entraîné une IPP supérieure à 20%.
La loi du 30 décembre 2002 va compléter le mécanisme de solidarité nationale
enclenché par la loi du 4 mars en élargissant l’indemnisation au titre de la solidarité nationale
à deux autres cas : les individus contaminés par la maladie de Creuzfeldt-Jakob transmise par
l’hormone de croissance d’origine humaine et les dommages résultant de l’intervention d’un
personnel soignant hors de son champ de qualification (par exemple lorsqu’un soignant est
intervenu en urgence pour assister une personne en danger).
De manière générale, la création des CRCI, outre la participation à l’indemnisation au
titre de la solidarité nationale, semble surtout répondre à un désir de procédures amiables et de
conciliation pour venir à bout des conflits opposant parfois patients et personnels soignants. Si
l’on prend l’exemple de la solidarité nationale, tout dossier jugé irrecevable par la CRCI sera
alors traité selon une procédure de conciliation devant la commission. Un membre de la
commission, un médiateur indépendant ou la commission dans son entier peuvent entendre le
patient et le professionnel de santé séparément, dans le but de production d’un document
consignant les griefs des deux parties et l’éventuelle solution amiable à laquelle ils sont
parvenus.
On peut également attribuer la création des comités d’usagers à cet esprit de
conciliation.
La loi de 2002 instaure ainsi dans chaque établissement de santé « une
55
commission des relations avec les usagers et de la qualité de la prise en charge »99. Elles
succèdent ainsi aux commissions de conciliation installées par le plan Juppé, qu’on a déjà
jugé précédemment comme tentant de freiner une judiciarisation progressant alors à toute
allure. Ces commissions d’usagers sont en effet chargées, outre l’amélioration de la qualité de
la prise en charge, de la protection des droits fondamentaux des patients réaffirmés par la loi.
Cependant, ces comités peuvent être subrogés dans les droits des victimes lors d’un
procès, et peuvent également voir leur responsabilité engagée par les professionnels de santé,
les industries pharmaceutiques et même les patients, devant des tribunaux. Ainsi, malgré les
tentatives de cette loi, le recours au contentieux n’est jamais loin, freinant par la même la
déjudiciarisation qu’elle semblait entreprendre.
Section
2:
L’objectivation
du
texte :
participation
au
renforcement de la judiciarisation
Face à des patients devenus de plus en plus procéduriers dans les années 1990, les
soignants ont rapidement tiré la sonnette d’alarme pour que les pouvoirs publics prennent
conscience des conséquences de l’accroissement des contentieux sur la pratique de leur
profession. Cela n’empêche pas pour autant la loi de 2002 d’élargir le champ des droits des
patients et des usagers, ce qui répondait à la demande de ces derniers. Cependant, au vu de
l’expérience de la décennie 1990, il est difficile de penser que des usagers qui se sont déjà
révélés procéduriers n’envisagent pas ces nouveaux droits comme de nouvelles « armes » à
brandir devant les tribunaux. De plus la participation de ce texte à la judiciarisation n’aurait
pas été si prédominante si les tentatives de déjudiciarisation parallèles à la mise en place de
ces nouveaux droits avaient fonctionné.
1. Élargissement des droits des malades et usagers : de nouvelles armes pour le
recours contentieux
La charte du patient hospitalisé issue de la circulaire du 6 mai 1995 prévoyait déjà la
plupart des droits fondamentaux du malade, la loi du 4 mars 2002 les systématise. De plus, le
99
Article 114.1 du CSP
56
texte inscrit à l’article L 1110-1 que « le droit fondamental à la protection de la santé doit être
mis en œuvre par tous moyens disponibles au bénéfice de toute personne ». Dans son titre II
intitulé « démocratie sanitaire », la loi entreprends alors de recenser dans un premier temps les
droits des malades en tant que personne, mais aussi plus largement les droits des usagers du
système de santé.
Les droits des malades présentés dans des textes dispersés sont donc synthétisés dans
cette loi en trois grands thèmes : la dignité, la non discrimination, et le droit au respect de la
vie privée et du secret médical. Sur la non discrimination, la loi inscrit à l’article L 1110-3 du
CSP que « nul ne peut faire l’objet de discriminations dans l’accès à la prévention et aux
soins ». La question de la vie privée et du secret médical est plus délicate dans la mesure où
elle doit être adaptée aux cas particuliers. C’est pourquoi le secret médical n’empêche pas la
communication entre deux professionnels, dans la mesure où cela permet une meilleure prise
en charge du patient. De plus, « le secret médical ne fait obstacle à ce que des informations
concernant la personne décédée soient délivrées à ses ayants droits » (article 1110-4 du CSP).
Parallèlement au rappel de ces droits fondamentaux, des droits complémentaires, parfois déjà
présents aussi dans la législation ou dans la jurisprudence, sont consacrés. On y retrouve
notamment le droit de recevoir les soins les plus appropriés, ce qui regroupe l’utilisation de
thérapeutiques à l’efficacité reconnue, qui répondent aux critères sanitaires en vigueur, et ce
en fonction des données acquises de la science. En guise de présage de la loi Leonetti de
2005, on retrouve aussi dans celle de 2002 le droit de recevoir des soins visant à soulager la
douleur100. Enfin, des droits moins spécifiques au milieu de la santé sont également
proclamés, comme le droit à un suivi scolaire adopté au cours de l’hospitalisation ou le droit
au respect de la confession religieuse, témoignant de l’étendue que souhaite donner ce texte à
la notion même de droit du malade.
Les droits des usagers regroupent eux aussi des droits élémentaires qui ne sont pas
nouveaux mais auxquels la loi de 2002 donne un nouveau souffle. Ainsi en est-il du droit à
l’information pour le malade comme sa famille, a priori et a posteriori (ce dernier droit
revenant ainsi à l’accès au dossier médical). « Toute personne a accès à l’ensemble des
informations concernant sa santé détenues par des professionnels de santé » (article L 11117) : se pose à partir de là la question de l’étendue de ce droit, toutes les informations sont-elles
100
La loi Leonetti se concentrant plus particulièrement sur les droits des personnes en fin de vie
57
concernées ? A priori oui selon le texte, mais cette interprétation reviendra en dernier lieu au
juge. Cette loi réajuste également le cadre normatif du principe du consentement (et par
opposition refus) aux soins : « aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué
sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout
moment ». mais le véritable bouleversement (théorique du moins) de la loi repose sur la
prééminence du refus du patient sur la décision thérapeutique du médecin. En effet, même si
ce dernier doit tout faire pour convaincre son patient, il doit a priori respecter sa volonté s’il
refuse l’acte thérapeutique. Cependant le texte de loi comme la jurisprudence ont peu à peu
consacré des dérogations, notamment celui des personnes majeures sous tutelle ou des
mineurs. Pour ces deux cas, en cas d’urgence vitale, le médecin peut aller à l’encontre de la
décision prise par le titulaire de l’autorité sur le patient. L’urgence et l’engagement du
pronostic vital du patient ont peu à peu été aussi acceptés par la jurisprudence comme des
justifications pour les actes allant à l’encontre du consentement.
Aujourd’hui, le jeu a changé de main : les médecins sont descendus de leur piédestal et
ne sont plus « les maîtres du secret » (médical au moins), comme les désigne Yvonne
Lambert-Faivre101. La dernière limite à la toute-puissance du malade résidait dans la limite
d’accès au dossier médical, cette dernière a sauté. Pour sortir de ce vocabulaire un peu acerbe,
on peut résumer ce mouvement des trente dernières années par l’idée de Lambert-Faivre102
qui parle de « démocratisation du pouvoir médical ». Le patient et plus largement l’usager est
à présent un acteur à part entière de son système de santé.
2. L’échec du recentrage de la faute
Comme nous l’avons vu, l’accroissement du pouvoir des patients résulte indirectement
d’une volonté du législateur de réaffirmer dans un socle inamovible l’ensemble des droits
fondamentaux et facilement opposables pour les usagers. Cependant, la loi du 4 mars 2002
participe également paradoxalement à l’élargissement de l’accès au contentieux à travers les
échecs de la limitation de l’accès qu’elle tentait d’imposer. Ainsi, de nombreuses
contestations qui laissent alors une place prégnante à l’interprétation des juges sur
l’application de la loi ont vu le jour.
101
102
Y. Lambert-Faivre, Le droit du dommage corporel : systèmes d’indemnisation, Paris, Dalloz, 2002
Y. Lambert-Faivre, ibid.
58
A ce titre, l’amendement anti-Perruche (développé précédemment) contenu dans la loi
de 2002 a été source de protestations, limitées par ailleurs par l’interprétation large des juges.
Notons tout d’abord que la Cour de Cassation a fait preuve d’un zèle peu ordinaire en
appliquant l’article 1 du protocole n° 1 de la CESDH à cet amendement, refusant par là la
rétroactivité de la loi aux instances en cours alors que des dispositions transitoires de ce texte
l’avaient prévue. Mais la principale zone d’ombre de ce traitement du handicap congénital
réside dans l’appréciation de la faute lors du contentieux. En effet, la loi prévoit la nécessité
d’une faute caractérisée pour engager la responsabilité du praticien, c'est-à-dire différente
d’une faute simple, sans pour autant en donner une définition précise. Dès lors, les juges se
sont fait fort d’interpréter la notion à leur manière103, laissant alors supposer que dans la
pratique cette faute pourrait être appréciée de manière très large comme toute autre faute104.
La loi a ajouté une autre dimension dans laquelle le juge a une large marge d’appréciation. En
effet, la loi ne se prononce pas sur le cas des victimes par ricochet. Or, même si par ce silence
la volonté du législateur était de limiter la possibilité de leur indemnisation, toujours est-il que
les juges se sont engouffrés dans cette brèche et prennent une direction opposée en
commençant progressivement à reconnaître un droit à indemnisation aux tiers105.
Enfin, même si la tentative d’unification du contentieux des juridictions
administratives et judiciaires était louable, elle est fortement limitée et encadrée par les
évolutions de la responsabilité pénale. En effet contentieux civil et contentieux pénal sont liés,
et la faute pénale l’emporte sur la faute civile. C’est pourquoi, malgré les tentatives de réduire
l’engagement de la responsabilité civile des personnels soignants, la loi du 4 mars 2002 se fait
« court-circuiter »
106
par le régime de responsabilité pénale. Or, Denis Berthiau voit un
double mouvement dans l’évolution de l’engagement de la responsabilité pénale. Tout
d’abord, rappelons que le droit de la responsabilité pénale en matière médicale fait la
distinction entre le lien direct et le lien indirect que l’on peut trouver entre un acte, médical ou
de soins, et les dommages occasionnés. La faute simple est suffisante pour le premier, la faute
qualifiée est nécessaire pour le deuxième. Or, le juge judiciaire a des facilités à reconnaître le
lien direct
entre acte et dommage en partant du principe que l’acte en question est le
103
CA Nîmes, 10/01/2006
D. Berthiau, « La faute dans l’exercice médical depuis la loi du 4 mars 2002 », op. cit.
105
TGI Reims, civ, 19/07/2005 Pastini c/ Pia
106
D. Berthiau, ibid.
104
59
« paramètre fondamental » des dommages occasionnés au patient107. Dans un deuxième
temps, il faut reconnaître que même si le lien est qualifié d’indirect, les juges ont également
une tendance à accepter facilement la faute qualifiée. C’est de cette manière que Denis
Berthiau conclut son raisonnement : « […] plus le système développé par le droit pénal dans
l’appréciation de la faute est lâche, plus il devient attrayant d’y avoir recours et plus le
système voulu par la loi du 4 mars 2002 sera inutilisé. Dès lors, peu importe que le traitement
de la faute civile recouvre une certaine rigueur si le système pénal n’en trouve pas à son
tour »108.
Dans son discours au congrès de la société française de chirurgie orthopédique et
traumatologique, le docteur Hervé Olivier titrait une de ses pistes de réflexion : « une loi
positive avec des effets secondaires pernicieux ? ». Si l’on se place du point de vue du corps
médical, il est simple de comprendre le malaise que la loi du 4 mars 2002 a pu instaurer. En
effet, on reconnaît que la volonté du législateur était bien, à travers le recentrage de la faute et
le développement de procédures amiables, de limiter autant que faire se peut les contraintes,
risques et inquiétudes pesant sur les personnels soignants. Mais la lecture analytique des
conséquences de la loi en révèle ses failles et les médecins n’en sont pas dupes, comme le
résume le docteur Hervé Olivier : « Si la loi Kouchner a représenté une avancée significative
en matière d’affirmation des droits des patients, notamment en matière d’information et de
communication, elle a parallèlement ouvert la boîte de Pandore de la responsabilité civile
professionnelle des professionnels de santé, en élargissant le champ de leurs
responsabilités. ».
Selon Philippe Coursier109, la responsabilité médicale aurait aujourd’hui trouvé un
équilibre qui reposerait sur trois piliers. Le premier serait la définition rationnelle de
l’obligation principale de soins (évoquée plus haut), devant reposer sur les données acquises
de la science, cela permettant de sanctionner facilement les médecins manquants à cette
obligation. Le deuxième pilier concerne la définition rationnelle de ce que l’on a défini
précédemment comme étant les obligations complémentaires du médecin, progressivement
consacrées par le législateur et la jurisprudence. Il considère à ce titre que la mise en jeu de la
107
Cass Crim 23/10/2001 : le médecin a été condamné pour le décès d’un patient ayant eu lieu deux ans après
l’intervention !
108
D. Berthiau, « La faute dans l’exercice médical depuis la loi du 4 mars 2002 », op. cit, p. 779
109
P. Coursier, « Bilan et perspectives du droit de la responsabilité médicale en matière civile et
administrative », op. cit.
60
responsabilité des personnels soignants par rapport au manquement à ces obligations
supplémentaires est plus limitée puisque les patients n’obtiennent que rarement une réparation
intégrale (on peut penser ici à la théorie de la perte de chance). Mais c’est certainement sur
son dernier pilier que l’on peut émettre le plus de doutes, ou qu’en tout cas les débats sont le
plus vifs. En effet, il écrit « […] la beauté du dernier pilier réside dans la noblesse de
l’objectif qu’il poursuit : permettre l’indemnisation des victimes d’un aléa thérapeutique
lorsque les conséquences de celui-ci sont (trop) intolérables. Certes, la reconnaissance d’une
responsabilité sans faute est condamnable sur le plan des principes. Mais le souci de justice
n’appelle-t-il pas une telle solution ? »110. La loi du 4 mars 2002 a répondu non à cette
dernière question en tentant de circonscrire la responsabilité des soignants à l’existence d’une
faute. Cependant, comme démontré dans cette dernière partie, le juge reste largement maître
de l’application de cette disposition et, en dépit des protestations des personnels médicaux,
c’est effectivement le troisième pilier évoqué par Philippe Coursier qui s’applique.
De plus, la double tendance relevée par Denis Berthiau dans la responsabilité pénale
est particulièrement inquiétante pour le corps médical. En effet, si la judiciarisation de la santé
apparaît aujourd’hui indéniable, des mécanismes de solidarité nationale ont aussi été mis en
place pour favoriser l’indemnisation des victimes sans faire peser tout ce poids sur les
assureurs des personnels soignants et ainsi, indirectement, sur les soignants eux-mêmes. Mais
si c’est à présent la mise en jeu de la responsabilité pénale qui se systématise, ce n’est plus
l’indemnisation du patient mais la condamnation du soignant qui est en jeu, pour des
sanctions pouvant aller de l’amende à l’emprisonnement. Dès lors, il est légitime de
s’interroger sur cet aspect : au-delà d’une judiciarisation de la santé, va-t-on vers une
pénalisation à outrance de la responsabilité médicale ?
110
P. Coursier, ibid.
61
TROISIEME PARTIE:
L’APPROFONDISSEMENT DE LA
JUDICIARISATION DE LA SANTE
PAR LA PENALISATION, ENTRE
MYTHE ET REALITE
« L’humeur des juges n’entre pas
dans le code pénal » François
Mitterrand111
« Dans le contexte actuel de grande médiatisation des accidents médicaux et des
risques sanitaires, la tentation est grande de voir les victimes céder à la spectaculaire du
procès pénal. Beaucoup de victimes se voient ainsi encouragées dans la criminalisation des
responsabilités médicales par esprit de vengeance et la recherche d’une satisfaction dans une
sanction pénale éventuelle ». Dans cet entretien accordé à Gesica112, Yves Lachaud, avocat au
barreau de Paris et ancien membre du Conseil de l’Ordre des médecins, met en lumière deux
mécaniques actuellement à l’œuvre dans le domaine de la santé : une médiatisation accrue des
moindres dérapages des professionnels, doublée d’une recherche accrue de punition de ces
derniers par la mise en jeu de leur responsabilité pénale. Or, ces deux composantes sont
étroitement liées à la question qui se pose ici : y a-t-il une pénalisation du droit de la santé ?
La médiatisation d’abord, car elle a une influence déterminante sur la perception des
contentieux médicaux, pour les professionnels de santé comme pour le grand public. Ainsi,
Yves Lachaud pense que la médiatisation accrue des procès pénaux en matière de
responsabilité médicale a conduit les plaignants à préférer ce type de contentieux à
l’indemnisation proposée par les régimes réparatoires, notamment pour son aspect plus
symbolique de punition. Parallèlement, les membres du corps médical, du fait de
l’accroissement de la médiatisation de ces procès, peuvent avoir l’impression que le recours
111
Interview de François Mitterrand par André fontaine, Jacques Amalric et Jean-Marie Colombani dans Le
Monde du 20 juin 1990
112
Réseau international d’avocats, entretien consultable sur leur site internet
62
au pénal par les victimes de dommages se systématise, ce qui statistiquement n’est pas
nécessairement le cas.
Ce qui est certain, comme le mettent en avant Jacques Lansac, professeur en
gynécologie obstétrique et Michel Sabouraud, procureur113, c’est que la première souffrance
du soignant est sa perte de statut. Après avoir retracé les grands progrès de la médecine en
moins d’un siècle, ils constatent « Malgré ces procès fulgurants, sont apparues les années
sombres des « affaires » et des jugements qui ont fait passer le médecin d’un statut de deus ex
machina à celui de mauvais génie coupable de malversations, de technicien incapable d’une
production parfaite […] ». Plusieurs analyses peuvent expliquer ce phénomène, nous avons
défendu celle de la judiciarisation de la responsabilité en santé. Cependant, n’y-a-t-il pas
d’autres facteurs qui ont pu influencer ce changement de perception des soignants par la
population ? La médiatisation de ces fameuses « sombres affaires » semble en être un. Or, ces
grands procès sont la plupart du temps des procès pénaux. Dès lors, la médiatisation de ces
affaires est-elle la seule explication au changement de paradigme concernant la médecine en
général ? Ou y-a-t-il réellement une pénalisation, soit un recours accru au contentieux pénal,
qu’il soit justifié ou non, qui expliquerait ces soupçons sur les personnels de santé et leurs
actes ?
113
L. Lansac, M. Sabouraud, « Les conséquences de la judiciarisation de la médecine sur la pratique médicale »,
Sève, hiver 2004, p. 47
63
CHAPITRE 1 : L’IMPORTANCE DE LA PERCEPTION DES
ACTEURS D’UNE PENALISATION DE LA RESPONSABILITE
Les grandes affaires médiatiques en santé publique se sont multipliées ces dernières
années. De l’affaire du sang contaminé au Médiator et, plus récemment, celle des prothèses
mammaires PIP, en passant par le problème des hormones de croissance, ces nombreux
scandales éclaboussent le monde médical par l’intermédiaire de ses dirigeants et
représentants. Cependant, le malaise est prégnant aussi bien au sein des membres de direction
administrative que parmi les personnels soignants, bien que leur implication respective dans
un procès pénal ne se fasse pas pour les mêmes raisons. Pourquoi le monde de la santé
tremble-t-il face aux implications pénales ? Ces grandes affaires ont-elles vraiment tout
changé ? Quelles conséquences ont-elles eu sur la pratique de l’acte de soins et de l’acte
médical ?
Section 1 : Médiatisation et influence sur la perception
1. La perception des professionnels médicaux
Jacques Lansac et Michel Sabouraud114 analysent le rôle de la médiatisation sur les
perceptions des professionnels de santé. Ils expliquent ainsi qu’il est rare que les soignants
prennent connaissance directement des jugements rendus dans le cadre de procès pénaux.
D’abord parce que le langage juridique dans lequel sont rédigés ces arrêts ne les rend pas
forcément accessible au « profane ». Mais également car ils ont des sources indirectes leur
relayant ce genre d’informations : les conseils de l’ordre effectuent une veille juridique afin
de relayer l’information à leurs membres, certains collèges de spécialistes réalisent aussi ce
travail de veille. Or, l’existence de ces intermédiaires a une influence sur la manière dont le
corps médical va recevoir l’information. Mais, et comme son nom et son étymologie
l’indique, le principal médiateur de l’information pour le soignant, ce sont les médias115. C’est
donc le prisme de lecture choisi par le média concerné qui va déterminer pour le personnel de
santé la compréhension d’une affaire.
114
J. Lansac, M. Sabouraud, « Les conséquences de la judiciarisation de la médecine sur la pratique médicale »,
op. cit.
115
Du latin media, pluriel de medium, qui signifie milieu, intermédiaire
64
Laurence Helmlinger et Dominique Martin116 s’inquiètent quant à eux de la
perception, que peuvent avoir les personnels de santé de toute réclamation faite par un patient,
compte tenu de cette médiatisation à outrance des affaires pénales. Il est indéniable que la
pression sur le corps médical augmente, de par une demande accrue de transparence mais
aussi de résultat des patients. Cette pression, couplée à la sensation d’un risque de
condamnation pénale permanent du fait de la médiatisation accrue de toutes les affaires,
jouent un rôle important sur le sentiment du soignant qui subit une procédure de réclamation,
de quelque nature qu’elle soit. Si l’on ajoute à cela la judiciarisation de la santé qui conduit
effectivement de plus en plus de membres du corps médical à être engagés dans une
procédure contentieuse, il en ressort, selon l’analyse de Laurence Helmlinger et Dominique
Martin, qu’un soignant qui s’identifie systématiquement à ses quelques confrères (encore bien
rares !) « traînés » devant les tribunaux pénaux, se convint ainsi lui-même de cette
pénalisation systématique exagérément mise en scène par les médias. Rappelons ici que
statistiquement pourtant, il y a peu de risque pour un soignant d’être confronté ne serait-ce
qu’une seule fois à une procédure pénale au cours de sa carrière. Mais cette médiatisation des
affaires pénales développent chez les personnels de santé une aversion pour toute forme de
réclamation, les poussant ainsi à se protéger autant que possible, par des moyens parfois
contestables. En effet, que penser de ces médecins qui, pour se couvrir contre le risque du
défaut d’information, font signer à leur patient des protocoles comportant parfois des dizaines
de pages, auxquelles ces derniers ne comprennent que peu de choses ?
On peut reprendre un des exemples de Lansac et Sabouraud pour illustrer ces phénomènes
qu’on pourrait identifier comme étant de la « protection compulsive » ; celui de la
médiatisation des cas d’infections nosocomiales, notamment les plus graves (alors que l’on
rappellera ici que seules 3% des infections nosocomiales entraînaient en 2001 des IPP de plus
de 25%). Cette médiatisation a ainsi conduit à une généralisation du matériel à usage unique
et des produits hyper stériles, alors que les conditions de stérilité du matériel classique n’ont
jamais réellement été remises en cause. Pour eux, la nécessité reposait plutôt sur une
meilleure hygiène des locaux à vocation médicale, parfois très vétustes, qui reposait sur un
meilleur entretien, soit, pour eux, « un simple ménage ». Des sommes importantes ont été
investies pour l’achat de matériel à usage unique ou hyper stérile, afin de donner l’impression
116
HELMLINGER L, MARTIN D., « La judiciarisation de la médecine, mythe et réalité », Sève, hiver 2004,
pp. 39-46
65
de faire face au problème. En effet, les solutions apportées par les professionnels de santé aux
problèmes soulevés lors de ces affaires pénales sont également très médiatisées, les
conduisant alors à réagir par anticipation à cette médiatisation. Et il est vrai qu’un
investissement conséquent reste plus médiatique que ce simple ménage.
Il est également important de remarquer que dans les affaires pénales les plus
médiatiques, c’est rarement un médecin seul qui fait l’objet d’une mise en cause. En effet,
nous sommes plutôt dans l’ère de la responsabilité collective, comme la nomme Marie-Odile
Berthella-Geoffroy117. Et elle souligne ainsi que dans la plupart des affaires pénales très
médiatiques, ce sont plus souvent les responsabilités des dirigeants politiques et administratifs
qui sont mises en cause ; la responsabilité du soignant étant plutôt reléguée au second rang et
évoquée dans le cadre de leur responsabilité nationale (informer les autorités sanitaires de
dysfonctionnements constatés, décider eux-mêmes de protections sanitaires à mettre en place
s’ils en ont le pouvoir…). On se rend alors compte que, si pénalisation il y a, il semblerait
qu’elle soit plus tournée vers la responsabilité des dirigeants, ce qui amène à se poser la
question de leur perception de ce phénomène.
2. La perception des dirigeants d’établissements
La revue Hôpital d’Ile de France, dans son numéro de juin 2007, présentait une
interview réalisée auprès d’un avocat118 et d’un directeur d’hôpital119 sur le thème de la
responsabilité pénale des chefs d’établissement. Or, entre juriste et professionnel, les points de
vue s’affrontent mais ne s’accordent pas nécessairement. En effet, selon maître Holleaux,
l’avocat interviewé, même si on peut avoir l’impression avec les affaires récentes médiatisées
que la responsabilité pénale du directeur d’établissement est souvent recherchée, cela demeure
« une illusion d’optique ». Et d’ajouter que c’était d’ailleurs l’objectif de la loi Fauchon de
veiller à la limitation de l’engagement de cette responsabilité. Surtout, il insiste sur le fait que
les affaires très médiatiques donnent un prisme de lecture mais qu’il faut bien comprendre que
la responsabilité pénale du dirigeant peut être engagée dans de nombreux types d’infractions
(infractions au droit du travail, au droit des marchés publics…) et que dans ces procès pénaux,
117
BERTELLA-GEOFFROY M-O., « L’évolution des rapports justice-santé », op. cit.
118
G. Cotellon, « Entretien avec maître Georges Holleaux, avocat au barreau de Paris », Hôpital d’Ile de France,
n° 41, juin 2007, pp. 7-8
119
G. Cotellon « Point de vue d’un directeur d’établissement », ibid.
66
les scandales médicaux représentent une bien faible part. Il concède cependant que la
jurisprudence actuelle a tendance à s’écarter de la loi Fauchon pour faire une lecture moins
favorable aux directeurs d’établissements. Il admet également que, comme on l’a évoqué
précédemment pour les personnels de santé, la pression sur le directeur est constante et
renforcée par l’inflation législative et l’afflux permanent de nouvelles législations qu’il se doit
de mettre en application. C’est notamment ce vent de panique que reflétait le communiqué de
l’ADH évoqué plus haut, et qui faisait suite à la mise en examen d’une partie de l’équipe de
direction d’un hôpital public du fait de leur non respect des dispositions concernant la
présence d’amiante dans les bâtiments. Comme exposé dans ce communiqué ainsi que dans
l’interview de M. Jean-Louis Feutrie, directeur du CHI Le Rancy-Montfermeil, à travers les
retours qu’ils ont de ces procès pénaux, ils ont la sensation que la responsabilité de la
personne physique, et donc de la personne du directeur, est plus souvent recherchée que la
responsabilité de la personne morale qu’est l’hôpital. Ainsi, on pourrait parler selon leur point
de vue d’une personnalisation de la pénalisation, qui serait encore plus à craindre pour ces
derniers que la pénalisation en soi. Cependant, conscients que la responsabilité pénale ne sert
pas qu’à obtenir une sanction du personnel de santé, ils ont également l’impression via le
traitement particulier de l’information réalisé par les médias, que les procès pénaux sont
surtout l’occasion pour les victimes de réellement faire entendre leur voix.
Même si le directeur d’hôpital reconnaît que l’établissement et parfois son personnel
ont une part de responsabilité, ne serait-ce qu’à travers l’existence d’une faute, il admet
surtout que l’engagement de la responsabilité pénale peut aussi être un moyen de pallier
l’absence de réponse de l’hôpital aux sollicitations, et insiste à ce titre sur l’importance de
bien gérer les plaintes des patients. Il n’en reste pas moins que ses mots sont très forts pour
décrire l’épreuve que constitue la procédure pénale : « La mise en cause de la responsabilité
pénale des chefs d’établissement est toujours une affaire très douloureuse pour la personne
mise en cause avec son cortège d’humiliation, de solitude, voire de dépression […] ».
Mais concrètement, cette peur qui semble sourdre dans le cœur de tout praticien et
même aujourd’hui dans le cœur de tout personnel de l’hôpital, les a-t-elle conduit à
transformer leurs pratiques pour limiter le risque ?
67
Section 2 : Les conséquences de facto d’une pénalisation
factice ?
Il apparaît que les acteurs du monde de la santé ont opéré une intériorisation du risque
d’engagement de la responsabilité pénale qui les conduit à transformer leurs pratiques
professionnelles. Cela pourrait-il prouver que cette pénalisation n’est pas factice ? Cette
transformation des pratiques ne pourrait-elle pas, en s’inscrivant dans un cadre plus global,
être le signe avant-coureur d’une pénalisation réelle du monde de la santé ?
1. Les transformations des usages professionnels
Les transformations des pratiques relevées sur le terrain sont souvent à remettre en lien
avec une affaire pénale très médiatisée, qui a conduit à réfléchir sur la manière d’exercer les
professions de santé et ainsi à faire évoluer les procédures.
L’affaire du sang contaminé est un exemple frappant de la mobilisation du monde de
la santé dans les cas d’affaire pénale « à scandale ». En 1991, l’opinion publique est informée
du fait que le centre national de transfusion sanguine a transfusé entre 1984 et 1985 du sang
contaminé par le virus du sida à des personnes hémophiles. En tout, près de 2000 personnes
auraient été contaminées par ce virus, soit près d’un hémophile sur deux. Même si quatre
médecins ont été mis en cause dans cette affaire, il faut retenir que c’était au nom de leurs
responsabilités nationales, et que l’affaire du sang contaminé a finalement plutôt été le procès
de dirigeants politiques. Mais ce qui a beaucoup ému le monde médical, c’est la qualification
juridique retenue pour la faute : « tromperie sur la qualité substantielle du produit ». En 1994,
sous
la
pression
de
l’opinion
publique,
le
nouveau
procès
ouvert
parle
d’ « empoisonnement ». Cet évènement illustre bien également l’impact de la médiatisation
sur les perceptions que la population se fait du monde médical, qui participent elles aussi à
l’incompréhension mutuelle entre société civile et société médicale. Cette affaire a
grandement fait muter les mentalités dans le domaine de la santé, avec par exemple la création
des agences du sang et du médicament et de l’établissement français des greffes. Mais elle a
également entraîné de profondes modifications dans les techniques scientifiques à proprement
parlé. Ainsi, suite à ce procès, on a progressivement systématisé la recherche de
contamination virale avant les résultats éventuellement positifs de la sérologie classique. Le
68
problème réside dans le fait que le procédé utilisé pour cette recherche est coûteux et
médicalement contesté, d’autant plus qu’il ne permet de dépister « que » un donneur de sang
infecté par le VIH par an en France et 1 donneur infecté par le VHC tous les 2,5 ans 120. De
plus, ce procédé coûte 150 millions d’euros par contamination évitée. Il ne semble donc pas
correspondre à des objectifs très rationnels du point de vue d’une analyse coûts/avantages.
Même s’il n’est pas question ici d’évaluer la valeur d’une vie humaine, on notera juste que,
investi différemment, dans d’autres actions de santé publique, ces sommes auraient pu sauver
plus de vies.
L’affaire Perruche apparaît comme une autre grande affaire ayant eu des conséquences
nettement préjudiciables dans le monde de la santé. Ainsi, la condamnation initiale du
gynécologue obstétricien de Mme Perruche du fait de son échec dans la détection d’un
handicap congénital a entraîné de nombreux bouleversements dans cette profession. En effet,
la médecine fœtale progresse énormément, mais ne peut avoir de certitudes de résultats, et ne
comporte d’ailleurs théoriquement qu’une obligation de moyens121. L’autre débat, plus
éthique, soulevé par l’arrêt Perruche concerne la question de la gravité du handicap : quelles
pathologies justifient un arrêt de la grossesse ? Finalement, cet arrêt a incité les médecins à ne
plus utiliser la technique échographique de peur d’une erreur de diagnostic. Ils ont alors
tendance à prescrire des actes qui ne sont pas toujours nécessaires et présentent eux aussi des
risques, comme l’amniocentèse. En effet, le taux d’amniocentèse pratiqué en France est de
11% alors qu’il devrait être en moyenne de 5%122. Or celle-ci peut occasionner des
avortements non désirés du seul fait de la pratique du geste, sans qu’il n’y ait de faute du
médecin. On retrouve là un problème rencontré fréquemment aux États –Unis, où la pratique
défensive de la médecine est la règle. Une étude menée dans ce pays a révélé que 30% des
accouchements par césarienne n’étaient pas justifiables par des arguments médicaux mais
relevaient plus de la crainte médicolégale123. Sans que la France ne tombe dans cet extrême, la
réalité de certaines professions médicales est alarmante.
120
PILLONEL J, LAPERCHE S., « Risque résiduel de transmission du VIH, du VHC, et du VHN par
transfusion sanguine entre 1992 et 2002 en France », Bulletin épidémiologique hebdomadaire, n° 48, 2003, pp.
233-236
121
J. Lansac, M. Sabouraud, « Les conséquences de la judiciarisation de la médecine sur la pratique médicale »,
op. cit., p 53
122
Ibid.
123
L. Duhag, R. Koestrer, J. Waidmann, “ The impact of malpractice fear on cesarean section”, Journal of
Health Economics, n° 18, 1999, pp. 491-522
69
On observe au niveau assurantiel un double mouvement préjudiciable aux personnels
de santé : une augmentation importante des primes d’assurance couplée à un refus progressif
des assureurs de prendre en charge les professionnels de santé, et principalement les
médecins. Encore une fois l’exemple des gynécologues-obstétriciens est flagrant : le peu de
compagnies d’assurance les acceptant encore ont multipliées par huit à dix le montant des
primes d’assurance en deux ans, jusqu’à être évaluées aujourd’hui à 17 000 euros, soit
l’équivalent des honoraires de 130 accouchements124. Ainsi ces accoucheurs préfèrent
transformer leurs pratiques et ne faire que de la consultation, beaucoup plus rentable et
permettant d’éviter les accouchements de nuit ou de week-end.
Mais dans cette discipline particulièrement, la combinaison des risques médicolégaux à la
pratique de l’échographie et de l’accouchement, le montant exorbitant des primes d’assurance
et la pénibilité des conditions de travail (nuit et week-end compris) ont des conséquences
encore plus importantes.
On constate en effet une vraie « crise des vocations »125 dans ces professions
considérées comme beaucoup plus à risques. En 2004, au concours de l’internat de médecine,
les postes de gynécologie-obstétrique ont été choisis en dernier, les étudiants leur préférant la
biologie traditionnellement peu attrayante pour eux.
L’article de Lansac et Sabouraud évoque encore bien des conséquences techniques et
souvent coûteuses de cette peur du procès, chez les dirigeants comme chez les soignants. On
peut citer le dépistage du CMV chez les donneurs de sperme pratiqué alors même que cet
examen ne prouve par la contamination du sujet et que 50% des français sont séropositifs au
CMV sans que cela n’ait aucun impact. Mais plus édifiant encore selon les deux auteurs, est la
pratique systématique du caryotype chez les donneurs de spermes. En effet, l’arbre
généalogique des maladies génétiques semblait bien suffisant dans la mesure où les études ont
prouvé que sur 10 000 donneurs, seuls 57 vont avoir une anomalie alors qu’ils sont sains avec
des enfants sains126. Cette pratique ne permet même pas d’éliminer les porteurs d’anomalies
géniques. C’est pourquoi les auteurs concluent sur cette phrase tranchante « On a donc
dépensé 1, 35 millions d’euros pour un résultat nul en termes de sécurité sanitaire ou de vies
sauvées. ».
124
J Lansac, M. Sabouraud, ibid. p. 55
L. Helmlinger, D. Martin, « La judiciarisation de la médecine, mythe et réalité », op. cit., p. 40
126
J-P Siffroi, « Le caryotype systématique chez les donneurs et les donneuses de gamètes : utilité réelle ou
simple sécurité ? », Gynécologie Obstétrique Fertilité, n° 32, 2004, pp. 803-812
125
70
Pénalisation, factice ou non, là n’est plus la question. La perception d’une pénalisation
a suffi aux acteurs pour bouleverser leurs pratiques, cherchant par là à éviter à tout prix cette
mise au pilori que semble être l’engagement de la responsabilité pénale. En effet, on peut
comprendre dans ce sens la phrase lancée par Georgina Dufoix, ancienne ministre des affaires
sociales et mise en examen dans l’affaire du sang contaminé, lorsqu’elle se reconnaît
« responsable mais pas coupable ». Il semble clair que ce n’est pas, à l’origine du moins,
l’engagement de sa responsabilité que le professionnel de santé conteste, mais plutôt (et
toujours du fait de certaines perceptions biaisées par la médiatisation) l’image associée aux
affaires pénales en santé. L’opinion publique est, dans ce cadre, particulièrement virulente, et
la peur de cette « humiliation », comme il a été dit plus haut, suffit à rendre les professionnels
averses à toute remise en cause de leur activité. Mais si tous les actes sont désormais
conditionnés par l’anticipation de cette pénalisation, ne finit-elle pas par se concrétiser ?
2. Des signes avant-coureurs d’une pénalisation de la responsabilité en santé ?
Nous avons vu l’important impact de la perception d’une pénalisation sur les primes
d’assurance et sur les pratiques des soignants. On peut lire ce phénomène de deux manières :
soit il est la preuve définitive que la médiatisation a eu un retentissement important sur les
perceptions des acteurs qui sont traumatisés par la perspective d’une procédure pénale, soit,
en l’inscrivant dans un contexte plus large, on pourrait considérer que ce phénomène est un
signe avant-coureur d’une possible pénalisation de la responsabilité en santé.
Les États-Unis ont un système de santé en crise, notamment à cause de la gestion
juridique de la faute médicale. Dans ce pays l’engagement de la responsabilité professionnelle
et très fréquent, à tel point que les détracteurs de l’évolution juridique du système de
responsabilité à la française parlent de « dérive à l’américaine ». Il s’agira ici d’examiner les
points communs de notre système avec le fonctionnement américain afin de « mesurer notre
place » sur l’échelle du degré de pénalisation. Précisons avant d’entrer dans le vif du propos
que statistiquement, la situation aux États-Unis n’est pas la même. En effet, dans ce pays,
entre 44 000 et 98 000 décès par an sont causés par une faute médicale, ce qui fait davantage
de morts que les accidents de la route ou le sida127. Les juges américains connaissent
également beaucoup plus de recours, d’où le fait qu’un médecin sur six fera l’objet d’un
127
L.T Kohn, J-M Corrigan, M.S Donaldson, « To err is human: building a safer healthcare system”, Institute of
Medicine, Washington, 1999
71
recours au cours de sa vie. Même si ce chiffre est loin du cas français, on remarque une
similarité dans la mesure où, aux États-Unis aussi, les chirurgiens et plus particulièrement les
obstétriciens sont les plus concernés. Cependant, il est compréhensible dans le cas américain
que les plaignants aillent plus facilement au recours dans la mesure où les indemnités
accordées par les juges sont très élevées. Ceci révèle une des menaces encore inhérentes au
dualisme juridictionnel à la française : comme nous l’avons déjà évoqué, les indemnisations
sont plus élevées dans l’ordre judiciaire que dans l’ordre administratif, et ce décalage fait
tendre les usagers vers les juridictions judiciaires lorsqu’ils recherchent principalement
l’indemnisation (dans la mesure du possible évidemment).
Nous allons suivre le raisonnement de Jacques Drucker et Marianne Faessel-Kahn
dans un article étudiant l’exemple américain128, pour comprendre si les racines de la crise
américaine sont identifiables en France, et ce que cela présage pour notre système de santé.
Les deux auteurs notent trois facteurs responsables de la situation américaine actuelle. Tout
d’abord, l’innovation médicale importante a également amenée avec elle un accroissement
des risques potentiels. Nul doute que cet aspect est bien présent aussi en France, puisque les
juges ont progressivement décidé d’indemniser l’aléa thérapeutique et le risque thérapeutique,
deux notions créées par cette innovation. Même si la loi de 2002 a rétabli le principe de
responsabilité pour faute, nous avons vu précédemment que cela ne constituait pas un obstacle
pour les juges lorsqu’ils souhaitaient tout de même indemniser la victime. Le deuxième
facteur d’augmentation des contentieux aux États-Unis est lié
au développement des
référentiels de bonne pratique. Par l’élaboration de standards nationaux et de critères de
compétences sur lesquels reposent les textes législatifs, ces référentiels limitent le jugement
au cas par cas, défavorisant ainsi le soignant se retrouvant face à des juges pensant maîtriser
l’aspect médical du dossier. Et la France n’est pas en reste de ce point de vue : dès 1996 est
créée l’ANAES, chargée d’établir ces référentiels de bonne pratique. Les concepts
d’évaluation et d’accréditation se répandent de plus en plus, et aujourd’hui c’est la HAS qui
est chargée d’élaborer ces référentiels. Or, on ne peut nier l’utilisation faite par les juges de
ces documents puisqu’un récent arrêt du Conseil d’État admet la recevabilité d’un recours
dirigé contre les recommandations de bonne pratique professionnelle de la haute autorité de
santé129. Par cette décision, le conseil d’État reconnaît indirectement la portée juridique de ces
128
DRUCKER J, FAESSEL-KAHN M., “L’exemple américain”, Sève, hiver 2004, pp. 31-38
129
CE 16/03/2011 Association pour une formation médicale indépendante
72
documents et admet ainsi que le juge se repose dessus pour contrôler l’attitude des soignants.
Enfin le dernier symptôme de la crise du système de santé américain se trouve dans le marché
assurantiel. En effet, le système d’assurance professionnelle longtemps efficace aux ÉtatsUnis, qui assurait alors la solvabilité de tous les professionnels de santé, ne fonctionne plus.
Mais la judiciarisation du système, qui a occasionné une explosion du nombre de contentieux
et une augmentation du montant des indemnisations, a contraint les assureurs à augmenter
leurs primes de manière exorbitantes, Et encore une fois ce phénomène n’est pas inconnu en
France, où l’on a évoqué un peu plus haut les difficultés que rencontrent les soignants,
particulièrement en gynécologie obstétrique, face à l’importance de ces primes.
Aux mêmes causes les mêmes effets, on constate une difficulté de recrutement dans
les spécialités dites à risque (chirurgie et particulièrement obstétrique) aux États-Unis depuis
des années. Or, là encore, ce phénomène commence à apparaître en France avec un choix des
jeunes médecins orienté vers des spécialités présentant moins de risques médicolégaux. Un
chiffre, pour finir, viendrait compléter le dangereux rapprochement de la France vers le
modèle américain, s’il n’était pas déjà démontré. On commentait précédemment les 30% de
césariennes prescrites aux États-Unis sans fondements médicaux, notons qu’en France la
fréquence de césarienne est passée de 15% (taux recommandé par l’OMS) à 20% en quelques
années sans aucun phénomène médical ne pouvant l’expliquer130. La pratique défensive de la
médecine en France est donc aujourd’hui une réalité.
CHAPITRE 2 : QUELLE REALITE POUR LA PENALISATION ?
« La responsabilité pénale est devenue l’épicentre de ce qui est dénoncé par certains
comme la judiciarisation de la société, l’américanisation du droit, le risque pénal,… et les
professions médicales s’alarment des risques de poursuite. La responsabilité croissante du
monde médical est-elle une réalité ou un épouvantail essentiellement utile aux assureurs
inflationnistes ? »131. Cette citation extraite d’un article de M. Wester-Ouisse, maître de
conférence en droit à l’université européenne de Bretagne, résume parfaitement l’idée
directrice de ce chapitre. En effet, nous avons démontré que la pénalisation est bien présente
130
Lansac J, Sabouraud M, « Les conséquences de la judiciarisation de la médecine sur la pratique médicale »,
op. cit
131
WESTER-OUISSE, « Dépénalisation du droit médical », Revue générale de droit médical, Hors série juillet
2008, p. 245
73
selon les perceptions des acteurs, et que cela a eu de nombreuses conséquences, notamment
sur le milieu des assurances comme le souligne ce professeur de droit. Cependant, il est
légitime de s’interroger sur la factualité de cette pénalisation. Certains indicateurs
pencheraient en faveur d’une dérive à l’américaine, pourtant, sous d’autres aspects, le
législateur semble s’être opposé à cette dérive. On réalise également de plus en plus que le
régime pénal n’est pas adaptable à tous les contentieux, comme c’est le cas pour la question
de la fin de vie, débat hautement sensible au sein de la société française. Dès lors, quels
éléments permettraient de relativiser cette impression de pénalisation ? Et en allant plus loin,
comme le propose M. Wester-Ouisse et d’autres auteurs, ne peut-on pas voir un mouvement
de dépénalisation à l’œuvre ?
Section 1 : La factualité de la pénalisation
« La langue est tout simplement fasciste » : pour Roland Barthes, critique et
sémiologue français, la langue et le choix des mots que l’on fait ont une dimension aliénante
qu’il convient de dépasser en déconstruisant les mots. Ainsi, si l’on revient à la définition de
la pénalisation, elle apparaît d’abord comme le fait d’être sanctionné, puni, notamment dans
les compétitions sportives. Mais l’on retiendra dans notre étude la définition proposée par
Olivier Sautel dans sa thèse132, que l’on adaptera au propos. Selon lui, la pénalisation est donc
« le processus de création […] ou de renforcement des incriminations […] mais aussi, de
façon plus générale, l’augmentation du recours au droit répressif ». Il s’agit donc de
s’interroger sur les modifications qui ont été apportées au droit pénal médical, et sur la
proportion de recours supplémentaires qui ont découlé de ces modifications. Cependant, il
convient également de se questionner sur la volonté du législateur ainsi que sur celle des
plaignants : d’une part, le législateur a-t-il tenté de renforcer le droit pénal ? N’a-t-il
aucunement agi dessus, ce qui signifierait que l’on parle d’une pénalisation du droit médical
uniquement pour désigner un recours accru au contentieux pénal ? ou au contraire est-il allé
dans le sens d’une dépénalisation, ce qui nous écarterait alors définitivement de la théorie de
la pénalisation ? D’autre part, les plaignants : pour quelle raison ont-ils recours au contentieux
pénal ? Qu’est-ce que ce contentieux représente à leurs yeux ? Est-ce réellement dans un
132
SAUTEL O., « Le double mouvement de dépénalisation et de pénalisation dans le nouveau code pénal »,
thèse de doctorat de droit privé, université Montpellier I, 1998
74
objectif de répression voire de condamnation du médecin ? Si ce n’est pas le cas, peut-on
encore parler de pénalisation ?
1. Une pénalisation à relativiser
Nous avons relevé précédemment plusieurs indices qui pourraient faire penser à une
pénalisation. Il s’agit ici de modérer ces propos. On évoquait l’augmentation démesurée des
primes d’assurance pour les professionnels : dans les faits cette augmentation est incontestée.
Les données recueillies par Laurence Helmlinger et Dominique Martin133 sont très éloquentes
à ce sujet : ils relèvent que les primes de certaines spécialités ont augmenté de 200 à 300% en
quelques années. Pour autant, dans son rapport annuel d’activité de 2002-2003134, la
Commission de contrôle des assurances a évalué à 40% du chiffre d’affaires les pertes
techniques de la branche responsabilité civile (pour la période 1999-2001). Le rapport
souligne que cette perte de chiffre d’affaires est imputable aux évolutions jurisprudentielles
qui ont alourdi la charge des sinistres pour les professionnels de santé, et particulièrement les
spécialistes. Mais les auteurs, s’inspirant d’une note de la FFSA, analysent la raison de
l’augmentation de ces primes : elle tiendrait en effet plus à un problème de l’équilibre
financier interne des assurances que d’une réelle augmentation des contentieux. La crise
boursière, par exemple, a empêché la compensation des pertes techniques par les produits
financiers habituels. La tension qui règne dans la finance au niveau international limite
également les possibilités de transférer les risques aux réassureurs. Or, les assureurs,
notamment français, ont mis longtemps à prendre conscience de la difficulté de la situation, ce
qui les a conduit, une fois lucide sur la chose, à augmenter de manière inconsidérée les primes
pour compenser les pertes des années précédentes. Il ne s’agit donc pas ici de nier
l’augmentation du nombre de contentieux, qui est effective, mais de prouver que
l’augmentation des primes professionnelles ne lui est pas parfaitement corrélée et que par
conséquent elle ne peut être le signe d’une pénalisation.
S’agissant de la volonté du législateur de faire évoluer le régime de la responsabilité, il
apparaît également qu’une pénalisation n’est pas vraiment envisagée. Ainsi la loi Fauchon du
133
HELMLINGER L, MARTIN D., « La judiciarisation de la médecine, mythe et réalité », Sève, hiver 2004,
pp. 39-46
134
Commission de contrôle des assurances, rapport d’activité, 2002-2003, 81 p.
75
10 juillet 2000 prévoit-elle la notion de délits commis « sans intention de les commettre ». Il
est vrai que les débats engagés sur ce point répondaient à l’inquiétude d’une exposition
injustifiée des dirigeants, et ce face à l’accroissement de la mise en cause de responsables.
Sans revenir sur cette partie, il est certain que l’exposition médiatique des procès pénaux
impliquant des dirigeants est pour quelque chose dans cette inquiétude diffuse parmi les élus
et les hauts fonctionnaires. Par la différenciation entre faute directe et faute indirecte et
l’exigence d’une faute caractérisée et non simple, la loi Fauchon visait clairement à limiter
l’engagement de la responsabilité pénale des dirigeants.
La loi de 2002 bien que moins tranchée sur la question particulière de la pénalisation, met
néanmoins en place des procédures amiables qui influent sur cette question de l’engagement
pénal. En effet, par la procédure de conciliation, les victimes peuvent obtenir une
indemnisation et éviter l’engagement dans une procédure complexe. Même si le montant
n’était pas assez satisfaisant, il demeure la possibilité d’ouvrir un contentieux administratif ou
civil.
Dès lors, il convient de s’interroger sur la raison qui pousse les victimes à engager des
contentieux en responsabilité pénale. Nous avons déjà évoqué les questions de perception du
procès pénal comme permettant d’accéder plus facilement au statut de victime, comme étant
plus rapide (!!)… Mais nous partagerons plus particulièrement la vision de certains auteurs
comme Marie-Odile Bertella-Geoffroy sur le sujet : le recours au contentieux pénal serait
plutôt un des nombreux symptômes de la crise de confiance de la population envers le monde
médical. En effet, avec les scandales comme le sang contaminé ou l’hormone de croissance, la
remise en cause ne se situe plus seulement au niveau de la relation dichotomique
médecin/patient. Il est vrai que l’on constatait déjà des dégradations de cette relation,
profondément ressentie par les médecins, notamment avec le développement de l’obligation
d’information. Cette obligation est certes déjà prévue par le code de déontologie médicale,
mais son renforcement par la loi et la jurisprudence a été difficilement vécu par le monde
médical, qui a souvent eu la sensation de devoir plus se justifier et d’avoir ainsi perdu son
statut de deus ex machina, comme on l’a évoqué plus tôt. De plus, le régime de responsabilité
pénale a cela de particulier qu’il s’applique au soignant comme à tout autre citoyen, avec
même des délits particuliers pour ces professions, tandis que les autres régimes de
responsabilité sont plus spécifiques et dérogatoires pour les personnels de santé. Les grandes
affaires sus-citées ont donc occasionné un déplacement de la crise de confiance vers les
autorités publiques, dans le cadre de leur mission de protection de la santé publique et de la
76
vie humaine. La combinaison entre toute forme de procédure pénale particulièrement mal
vécue par les soignants avec cette crise de la confiance qui gagne le niveau national encourage
certes une perception d’une pénalisation omniprésente, qui pourtant n’est pas réelle. A ce
stade de rejet de la dimension pénale, il devient en effet difficile pour les personnels de santé
de faire la différence entre le nombre de mises en cause dans des affaires pénales, qui certes a
augmenté, et le nombre de condamnations effectives qui demeure en revanche stable. Il
apparaît donc que c’est cette confiance perdue que les plaignants cherchent surtout à exposer
en place publique, et qui est ainsi vécue comme une humiliation par les soignants. Alphonse
de Lamartine faisait valoir que l’« On n’écrit pas la législation de la conscience publique ; on
la lit dans l’opinion et dans les mœurs ; le déshonneur en est la pénalité »135. Appliquée à
notre propos, elle illustre bien ce qui vient d’être démontré : la pénalisation n’existe pas dans
les textes, mais ne nions pas qu’elle existe dans les esprits, des soignants comme des victimes.
2. L’exemple de la fin de vie
Le droit applicable aux patients en fin de vie a toujours été source de nombreux
débats, autant éthiques que juridiques. Cette question fait explicitement référence au cas
particulier de l’euthanasie, autorisée par plusieurs de nos voisins européens mais à ce jour
encore interdite en France, qui représente le cas principal dans lequel le juge pénal est
confronté à cette question de la fin de vie. Dans notre vision très tranchée de ce débat,
l’euthanasie volontaire et active rentre dans la catégorie des homicides et relève à ce titre du
droit pénal. Pourtant, souvent ponctuée par de nouvelles affaires venant émouvoir la classe
politique, il devient de plus en plus évident que la pénalisation de ces situations n’est pas le
meilleur remède qui soit. C’est pourquoi cet exemple a été choisi pour illustrer notre propos :
il expose les limites à la pénalisation, encore une fois posées par l’opinion publique, voire
même ce qui semble être un recul de la pénalisation de ce régime.
Frédérique Dreifuss-Netter dans sa réflexion sur le traitement juridique de la fin de
vie136 fait une habile comparaison entre la question de l’avortement et celle de la fin de vie.
Elle rappelle ainsi qu’à l’époque du débat sur l’IVG, certains magistrats s’acharnaient de
manière disproportionnée sur les femmes qui avaient subi ces interventions et, qu’aujourd’hui
135
136
A. de Lamartine, « De la propriété littéraire », rapport fait à la chambre des députés, mars 1841, 32 p.
DREIFUSS-NETTER F., « Les juges et la fin de vie », Sève, hiver 2004, pp. 65-75
77
avec la question de la fin de vie, c’est de nouveau par l’intermédiaire des tribunaux que le
débat est placé sur la scène publique, et notamment par le biais des affaires pénales très
médiatisées. L’auteure relève toute l’animosité à l’encontre des soignants pratiquant
l’euthanasie, qui, selon elle, sont présentés comme délinquants. Les contentieux pénaux sur
cette question sont donc accusés de stigmatiser les professionnels médicaux et de dramatiser
par la mise en scène un phénomène qui ne serait qu’une pratique médicale contestable. Cette
assertion est cependant discutable dans la mesure où, théoriquement, on ne retrouve aucun
texte juridique spécialement centré sur la fin de vie, le législateur renvoyant donc le juge aux
incriminations générales existantes protégeant la vie humaine.
Dans la mesure où il n’existe aucune disposition propre à la fin de vie, le juge doit se reporter
aux articles du Code pénal en vigueur. Pour cela, il s’agit déjà de distinguer l’euthanasie
active (par injection de chlorure de potassium par exemple) de l’euthanasie passive, qui
consiste à cesser les soins permettant de garder le malade en vie. Si le professionnel a eu un
geste actif (ou « positif »), le juge aura tendance à se reposer sur les infractions portant
volontairement atteinte à la vie humaine, tandis qu’on pensera plutôt au refus d’assistance à
personne en danger pour les attitudes d’abstention. L’article 222-1 du Code pénal prévoit le
meurtre, qui est le fait de donner volontairement la mort. Il peut de plus être réalisé avec
préméditation. Il suffit d’un geste positif du professionnel de santé pour entrer dans cette
catégorie (débrancher un respirateur par exemple), sachant que l’injection de substances
létales possède une qualification spécifique qui est celle d’empoisonnement. On précisera ici
que les juges français ne prennent en considération ni le mobile 137, ni le consentement
éventuel de la victime pour décider de la qualification pénale. En ce qui concerne l’omission
de porter secours, elle n’est encore une fois pas spécifique au soignant, mais est dans leur cas
utilisé de manière relativement restrictive. En effet, même si la cour de Cassation n’a pas
hésité à condamner un médecin ne s’étant pas rendu au chevet de son malade138, les juges ne
condamnent pas pour autant le passage du curatif au palliatif, c'est-à-dire l’absence de
tentative de prolongement de la vie. De plus, les « acharnements judiciaires », comme les
nomme l’auteure, sont limités par les nouvelles lois entrées dans le corpus législatif sur le
quel repose la question de la fin de vie.
La loi du 4 mars 2002 a ainsi fait inscrire dans l’article L 1111-4 du CSP : « Le
médecin doit respecter la volonté de la personne après l’avoir informée des conséquences de
137
138
En Suisse, un mobile « égoïste » (article 115 du Code pénal) est une circonstance aggravante.
Cass. Crim 04/02/1998
78
ses choix. Si la volonté de la personne de refuser ou d’interrompre un traitement met sa vie en
danger, le médecin doit tout mettre en œuvre pour la convaincre d’accepter les soins
indispensables. Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le
consentement libre et éclairé de la personne.». Ainsi, le refus d’une personne de poursuivre un
traitement pouvant lui sauver la vie suffit à protéger le médecin de toute incrimination pénale,
à condition qu’il ait effectivement tenté par tous les moyens possibles de convaincre son
patient de suivre ce traitement.
La loi n° 2005-370 du 22 avril 2005, dite loi Léonetti, vient prolonger cette réflexion tout en
conservant la posture traditionnelle de la France sur l’euthanasie. Ainsi, si elle réaffirme
l’interdiction fondamentale de donner délibérément la mort à autrui, elle énonce en revanche
l’interdiction de l’obstination déraisonnable dans son article premier. Le respect de la volonté
des patients, tout comme dans la loi de 2002, est encore une fois au première plan : le patient
peut évaluer le caractère « déraisonnable » de la poursuite de ses soins et ainsi la refuser ;
sinon c’est le médecin qui en prend la décision, après avoir recherché quelle pouvait être la
volonté du patient, que ce soit à travers l’existence de directives anticipées (possibilité pour
un malade de faire connaître sa position en matière de suivi, de limitation ou d’arrêt du
traitement, au cas où il ne puisse plus l’exprimer par la suite), d’une personne de confiance ou
par l’intermédiaire de la famille. Encore une fois le médecin doit avoir une position active de
recherche du consentement, mais sa responsabilité pénale ne saurait être engagée suite à
l’arrêt d’un traitement dans ces conditions.
Le législateur tend donc vers une limitation progressive de l’engagement de la responsabilité
pénale des soignants dans le contexte des contentieux de la fin de vie.
Les juges suivent de leur côté cette même logique de limitation de la pénalisation,
dans la mesure où ils restent souverains quant à la qualification juridique d’un délit ou d’un
crime. Par exemple, dans l’affaire Humbert, où Marie Humbert avait délibérément injecté une
substance létale à son fils, Vincent, tétraplégique à la suite d’un accident de la route, et ce sur
sa demande, en septembre 2004. Alors qu’elle aurait pu être poursuivie pour empoisonnement
avec préméditation, le juge a retenu la qualification d’ « administration de substances
toxiques » (article 222-15 du Code pénal). Même si Marie Humbert ne fait pas partie du corps
des personnels de santé, ce cas laisse de l’espoir quant à l’appréciation au cas par cas par les
juges des contentieux sur la fin de vie. Elle avait en tout cas ému la classe politique et suscité
une réflexion publique sur le sujet, qui a conduit à la loi Leonetti.
79
« Le contentieux pénal, fondé sur des incriminations générales contre la vie humaine
ou la personne, est inadapté par la gravité des infractions qui entraîne une dramatisation
excessive. A l’inverse, le contentieux non pénal, devant les tribunaux de l’ordre administratif,
semble connaître un certain succès ». Frédérique Dreifus-Netter résume ainsi parfaitement le
recul de la pénalisation à l’œuvre dans le champ de la fin de vie. Mais en allant plus loin,
pourrait-on parler d’un recul de la pénalisation dans le contentieux de la responsabilité en
droit de la santé ?
Section 2 : Peut-on parler d’une dépénalisation du régime de
responsabilité du professionnel de santé ?
A l’évocation du terme dépénalisation, on pourrait penser avant tout à une suppression
de certaines incriminations. Mais dans la mesure où le même droit s’applique à tout citoyen et
que peu de délits spécifiques aux personnels de santé sont prévus, la dépénalisation du droit
de la santé va passer par d’autres facteurs. Le législateur et les juges ont ainsi opté pour des
formes moins visibles de dépénalisation, à travers une interprétation très restrictive de
l’imprudence mais aussi en prévoyant de nombreuses dérogations à l’engagement de la
responsabilité en matière pénale.
1. Une mise en cause de moins en moins fréquente de la responsabilité pour
homicide involontaire ou imprudence
Depuis la loi Fauchon du 10 juillet 2000, le législateur prévoit une distinction entre
causalité directe et indirecte entre l’imprudence, voire la faute du soignant et le dommage
occasionné à la victime. Ainsi, comme l’explique V. Wester-Ouisse139, une faute ne sera
sanctionnée que si la causalité entre cette faute et le dommage a un caractère certain. Or, la
jurisprudence a renforcé ses exigences quant au lien de causalité directe, excluant par là dans
de nombreux cas l’engagement de la responsabilité pénale du soignant. Mais avant tout, les
juges recherchent une certitude du lien de causalité. Nous prendrons en exemple un arrêt de la
Cour de Cassation en date du 22 mai 2007, dans lequel la chambre criminelle statuait sur un
cas de 1998. A cette date, une jeune fille était reçue par un interne en gynécologie pour une
excroissance qui l’inquiétait mais avait disparu avant la consultation. L’interne s’est révélé
139
WESTER-OUISSE, « Dépénalisation du droit médical », op. cit.
80
plutôt moqueur et désinvolte puisqu’il n’a opéré aucun contrôle sur cette jeune fille, qui est
décédée quelques mois plus tard d’un cancer de l’utérus. Les juges de la haute juridiction
judiciaire ont alors considéré qu’il n’était pas établi que si l’interne avait alors examiné la
jeune fille et fait un diagnostic exact, elle aurait pu être sauvée : « si la négligence du prévenu
a pu priver la victime d’une chance de survie, il n’est pas démontré qu’elle soit une cause
certaine du décès »140. Retenons ici que la théorie de la perte de chance, si souvent appliquée
par la juridiction administrative, n’a pas sa place dans le droit pénal médical.
Sur la question du caractère direct ou indirect, la différence n’étant pas claire dans la loi, ce
fut encore aux juges de trancher et de dégager un faisceau d’indices cohérent permettant de
déterminer la nature de la causalité. Or, il ressort de la jurisprudence que ce qui guide les
juges dans l’évaluation de ce lien est l’état initial du patient. Dans un arrêt du 12 septembre
2006, la chambre criminelle de la Cour de Cassation a ainsi considéré que l’imprudence d’un
médecin ayant reçu en consultation une femme diabétique présentant les symptômes d’un
risque de coma et s’étant borné à lui prescrire une prise de sang sans en mentionner l’urgence
et sans faire de lui-même aucun contrôle, était la cause indirecte du décès de cette patiente
quelques heures plus tard. En effet, le patient était déjà en danger vital et l’imprudence du
soignant n’a qu’aggravé son état déjà critique. En revanche, dans le cas de deux patients
victimes d’une intoxication au monoxyde de carbone et placés en caissons hyperbares, leur
décès suite à une décompression trop rapide menée par un médecin et un infirmier les ayant
auparavant laissé sans surveillance a été directement causé par l’imprudence des deux
soignants141. Les juges ont considéré que la vie de ces patients n’était pas en danger et que
seule l’imprudence du médecin et de l’infirmier expliquait leur décès.
Le législateur participe également à cette restriction des notions de faute et
d’imprudence avec la loi du 13 mai 1996 relative à la responsabilité pénale pour des faits
d’imprudence ou de négligence. Dans ce texte, il souhaite que soient recherchés par le juge les
moyens d’action réels de l’auteur direct d’un dommage, ce qui encore une fois évite la
sanction automatique. Or, dans le cadre du droit médical, les juges se sont reposés sur les lois
et règlements mais aussi sur les bonnes pratiques médicales. Ces obligations étant établies par
des membres du champ de la santé, cela semble être à leur avantage, et ainsi entraîner une
nouvelle limitation des procédures pénales à leur encontre. La loi de 2000 prévoira ensuite
que les sanctions pénales ne concernent que les auteurs indirects de fautes ou imprudences
140
141
Cass Crim, 22/05/2007, n° 06-84034
Cass Crim 16/01/2007
81
graves, intégrant dans cette catégorie les fautes délibérées (viol intentionnel d’obligations de
sécurité ou de prudence) et les fautes caractérisées dont l’auteur: « exposait autrui à un risque
d’une particulière gravité qu’il ne pouvait ignorer ». Ainsi dans le cas précédent du médecin
ayant reçu en consultation une femme diabétique présentant les signes avant-coureurs d’un
coma, la faute caractérisée a été retenue (après que la certitude du lien de causalité ait été
affirmée et reconnue comme directe). V. Wester-Ouisse résume ainsi la tendance actuelle en
matière de dépénalisation : « La multiplication des conditions posées par la loi et la
jurisprudence en matière de faute d’imprudence permet de considérer que la plupart des fautes
médicales d’imprudence sont désormais dépénalisées. Seules les désinvoltures aux
conséquences dramatiques sont toujours susceptibles de sanction pénales ».
2. Création de dérogations aux principes du droit pénal pour les soignants
Il conviendra de rappeler ici que ce qui différencie l’atteinte à l’intégrité physique et
les violences de l’acte médical, c’est l’intérêt thérapeutique, élément fondateur de la
médecine. Les prélèvements d’organes par exemple ne peuvent être réalisés que dans un
objectif de soins, et de manière gratuite, ceci pour limiter les dérives vers le commerce
d’organes. L’IVG a été considérée comme une atteinte à l’intégrité physique avant d’être
finalement dépénalisée en 1975 par la loi Veil. Plus récemment, les opérations chirurgicales
sur les transsexuels souhaitant changer de sexe sont passées du statut de coups et blessures
volontaires à celui d’intervention à visée thérapeutique142. Le but visé demeure donc le
premier critère d’appréciation de l’acte médical ou de l’acte de soins.
Comme cela a déjà été évoqué dans l’exemple de la fin de vie, la consécration par la
loi du 4 mars 2002 du consentement obligatoire et éclairé a eu des retentissements sur
l’engagement de la responsabilité pénale des personnels de santé. En effet, le consentement
justifie quasiment à lui seul l’acte de soins, dans la limite de la légalité de l’acte. Et c’est
notamment dans le cas de la fin de vie que l’argument du consentement a épargné le plus de
condamnations pénales aux personnels soignants.
142
Cass. Ass. plén, 11/12/1992 : est reconnu « le traitement médico-chirurgical subi dans un but thérapeutique
d’une personne présentant le syndrome du transsexualisme »
82
On retrouve ensuite une cause classique d’échec aux principes du droit : l’urgence. En
droit médical, elle se présente comme une limitation aux obligations d’information et de
consentement. On notera tout de même que dans le cas où le patient n’est pas en état
d’exprimer son consentement, il y a une forme de « subsidiarité » du consentement dans la
mesure où le médecin doit essayer de recueillir celui d’une personne de confiance désignée ou
d’un représentant légal, et à défaut de la famille. Mais l’urgence peut également lui permettre
de passer au dessus de ces demandes. Cela est valable également dans le cas des mineurs pour
qui le consentement du détenteur de l’autorité parentale est a priori nécessaire, sauf urgence
vitale pour l’enfant. L’urgence a été consacrée par le législateur comme « une nécessité
évidente ou un danger immédiat », qui devra être démontrée par l’auteur des faits
dommageables en cas de procédure pénale. Cette dérogation de l’urgence a peu à peu
été étendue au champ des prélèvements sanguins (article L 1221-5 du CSP), des
hospitalisations d’office de personnes présentant des troubles mentaux (article L 3113-1 du
CSP)…
L’intérêt thérapeutique comme présenté au début de cette partie peut également être
utilisé comme limite au consentement. V. Wester-Ouisse143 en donne un exemple éloquent :
l’identification génétique à des fins médicales peut être réalisée sans le consentement
lorsqu’elle est dans l’intérêt du patient. Cet acte peut cependant constituer une infraction
punie par une peine d’emprisonnement, c’est pourquoi l’intérêt thérapeutique semble ouvrir
« toutes grandes les portes des dérogations » selon l’auteur. Ainsi, il peut également être
invoqué lorsque qu’un parent refuse les soins pour son enfant mineur. L’article 43 du Code de
déontologie médicale protège ainsi le médecin en précisant qu’il « doit être le défenseur de
l’enfant lorsqu’il estime que l’intérêt de sa santé est mal compris ou mal préservé par son
entourage ». Un exemple plus anecdotique se trouve dans les recherches en psychologie pour
lesquelles on peut se contenter d’une information au patient très succincte dans la mesure où
une information plus détaillée serait susceptible de fausser les résultats de l’étude. On
retrouve également dans le cadre de cette dérogation tous les soins qui peuvent être rendus
obligatoires : pour les délinquants et personnes sous contrôle judiciaire (article 138 10° du
code de procédure pénale), pour les toxicomanes (article L 3423-1 du CSP), pour les
délinquants sexuels (article 131-36-4 du Code pénal)… On peut même trouver des cumuls
143
WESTER-OUISSE, « Dépénalisation du droit médical », Revue générale de droit médical, Hors série juillet
2008, p. 245-257
83
entre plusieurs dérogations, comme « l’urgence thérapeutique » que peuvent revêtir certains
prélèvements.
Enfin, le législateur a franchi un grand pas dans l’ouverture des dérogations à la
procédure pénale en acceptant que seul l’intérêt scientifique justifie une recherche,
notamment sur les embryons humains. Même si sa volonté n’est pas claire dans la mesure où
l’article L 2151 -5 du CSP qui énonce le principe selon lequel la recherche est interdite sur les
embryons humains, prévoit au deuxième alinéa qu’elle est possible sous le contrôle d’une
autorité administrative et si elle permet des « progrès thérapeutiques majeurs ». Ces
recherches sont autorisées en France depuis 2004, et, actuellement, le clonage humain semble
être la dernière limite que le législateur peine à franchir en matière de liberté de la recherche
et de dérogation au régime pénal.
L’ensemble de ces textes législatifs et de ces jurisprudences montre que du côté des
juges comme de celui du législateur, les volontés convergent : on peut légitimement penser, si
ce n’est à une dépénalisation stricto sensu de la responsabilité en droit de la santé, du moins à
une forte limitation de la pénalisation de cette dernière. A tel point que certains auteurs sont
aujourd’hui convaincus de cette nouvelle tendance qui succéderait à la judiciarisation massive
des années 1990. Ainsi V. Wester-Ouisse144 considère que « les principes, additionnés de
conditions, retranchés d’exceptions, complétés de cas particuliers… sont réduits à de simples
alibis pour une dépénalisation massive ». D’autres vont plus loin en estimant que ces textes
législatifs « reconnaissent à chacun le droit de faire ce qu’il est techniquement possible de
faire dès lors que ce comportement n’entraîne pas de scandale insupportable pour la
sensibilité courante »145. Pour eux en tout cas, cette dépénalisation ne fait aucun doute.
144
145
WESTER-OUISSE, « Dépénalisation du droit médical », op. cit.
B. Seillier, « Éthique ou anti-éthique », les petites affiches, n° 149, 1994, p. 5
84
CONCLUSION
Depuis l’attribution des différents types de contentieux de la responsabilité des
personnels de santé aux juridictions administratives et judiciaires selon la nature du droit
engagé (public ou privé), les deux ordres n’ont eu de cesse que de faire évoluer les régimes de
responsabilité, parfois de manière similaire, parfois de manière très différente. Or, ces
contradictions ont été sources d’injustice et d’inégalités pour les victimes, dans la
reconnaissance de la faute du praticien comme dans le montant des indemnités accordées. Ce
constat a conduit le juge administratif et le juge judiciaire à harmoniser le droit relatif à ces
régimes de responsabilité et cette uniformisation s’est faite largement en faveur des
plaignants, dans une logique de protection accrue des droits du malade et d’extension de la
responsabilité des personnels soignants. Cette étape marque le début d’une inflation
législative et jurisprudentielle qui a transformé le monde de la santé dans les années 1990. Le
patient s’est retrouvé au cœur du système de santé, avec d’importantes possibilités de recours
contentieux contre ses soignants. Et en effet, on constate un fort accroissement du nombre de
ces recours, qui ne laisse plus de doutes sur l’existence d’une judiciarisation du régime de
responsabilité en droit de la santé. Les personnels de santé commencèrent alors à émettre
inquiétude et réserve face à cette tendance de fond, raison pour laquelle la loi du 4 mars 2002
dite loi Kouchner tente de freiner cette progression qui semble inexorable vers un monde du
tout-contentieux. Mais malgré la mise en place de procédures non contentieuses et le rappel
du principe de responsabilité pour faute des personnels de santé, ce texte législatif a tout de
même contribué à ce mouvement de judiciarisation ; que ce soit volontairement à travers
l’extension des droits du malade et de l’usager comme involontairement à travers
l’exploitation de ses failles par les tribunaux. S’est ensuite posée la question de l’impact
différencié de cette judiciarisation sur les différents régimes de responsabilité. Or, entre les
scandales médicaux très médiatisés et les perceptions négatives des acteurs d’une tendance à
la mise en cause personnelle, on pourrait penser qu’au-delà d’une judiciarisation, c’est une
pénalisation de la responsabilité en santé qui se dessine. Mais même si l’on constate des
transformations des usages professionnels en réponse à cette pénalisation supposée, et que
l’on peut relever dans le droit de la santé français des signes d’une dérive « à l’américaine »,
85
nous ne pouvons par pour autant parler de pénalisation. En effet, ni la volonté du législateur,
ni celle des juges, ni celle des victimes ne semblent aller en ce sens, bien au contraire. On peut
relever des signes d’une dépénalisation du contentieux de la responsabilité des personnels de
santé, qui laissent penser que le contentieux administratif a de beaux jours devant lui.
Nous avons vu que les soignants étaient particulièrement inquiets de l’éventuelle
pénalisation de leur régime de responsabilité, mas il en va de même pour la judiciarisation
dans son entier. En effet, même si l’on a pu identifier une certaine crise de confiance de
l’opinion publique envers les praticiens, cette judiciarisation est également due à la
juridicisation croissante de notre société, qui a accordé une place de plus en plus grande à la
justice dans notre vie quotidienne et a ainsi systématisé le recours aux tribunaux en cas de
conflit. Physiquement parlant, il est certain que cette solution est préférable au règlement des
différends par la violence, mais il faut noter la violence symbolique que représente
aujourd’hui pour un soignant l’engagement de sa responsabilité devant la justice. Il n’est pas
question ici d’en supprimer l’existence, mais simplement de réfléchir à des solutions qui
permettraient d’en limiter l’accès.
Ainsi, beaucoup de professionnels, parmi lesquels Jacques Lansac (professionnel de
santé) et Michel Sabouraud (procureur)146, considèrent que l’évaluation des techniques
médicales ne doit pas être faite par les juges au cours d’une instance mais par des organismes
indépendants et professionnels comme l’AFFSAPS (remplacée par l’ANSM) ou l’ANAES
(regroupée avec d’autres structures au sein de la HAS). Ce sont à eux d’établir les bonnes
pratiques, les rapports coût-efficacité des actes et les intérêts qu’ils présentent pour la santé
publique. Le juge doit alors se cantonner à son rôle de sanction des fautes et n’a pas vocation
à développer de nouveaux référentiels par sa jurisprudence. La judiciarisation est déjà
suffisant présente dans ce domaine selon les auteurs, ce qui est toujours effectif depuis la date
de publication de l’article (2004) puisque le Conseil d’État a récemment autorisé, comme on
l’a vu précédemment, les recours administratifs contre les référentiels de bonne pratique
édictés par la HAS147. Se passer de la justice n’est pas possible, mais limiter la portée de ses
actions sur le droit de la santé et plus largement sur le monde de la santé semble être essentiel
.
146
J. Lansac, M. Sabouraud., « Les conséquences de la judiciarisation de la médecine sur la pratique médicale »,
op. cit.
147
CE 16/03/2011 Association pour une formation médicale indépendante
86
Certaines procédures non contentieuses sont instaurées par la loi de 2002, et reposent
essentiellement sur la conciliation. Or, lorsque la conciliation a échoué, il existe depuis 2001
une possibilité à mi-chemin entre le contentieux et la conciliation. En effet, la loi du 15 mai
2001 a sorti l’arbitrage de son champ restrictif des contrats entre commerçants pour
l’appliquer à tous les contrats « conclus à raison d’une activité professionnelle »148. Selon
Pierre Borra, membre du Comité d’arbitrage de la Chambre nationale d’Arbitrage des
médecins, cette solution présente de nombreux avantages comparée à l’élévation du conflit au
niveau contentieux149. Elle est beaucoup plus rapide que la justice d’État (du moins tant
qu’elle sera peu importante en termes de volume, cette procédure étant encore peu utilisée),
plus souple, Pierre Borra mettant en avant l’affranchissement par les juges du cadre strict de
la loi, et également plus juste dans la mesure où la compétence de l’arbitre ne saurait être
remise en question, ce dernier étant choisi en fonction de la matière que concerne le litige.
Enfin, il insiste sur la confidentialité du processus, précisant même qu’elle est
« particulièrement appréciable à une époque où la moindre information peut être diffusée par
les médias ». Avec un coût et une durée raisonnables et la garantie d’un arbitre impartial, cette
solution semble être idéale pour la plupart des conflits, Pierre Borra la prescrivant même
comme un remède à la « dérive vers la « judiciarisation ». Ce mot barbare exprime bien la
contagion des lourdeurs procédurales de l’institution judiciaire ». Gageons que ces éléments
seront très convaincants aux yeux des professionnels de santé, qui seront à peine retenus par
les deux limites que trouve l’auteur à cette pratique : tous les différends ne sont pas arbitrables
et certains procès peuvent se révéler constructifs au niveau politique, social, juridique. Il
rappelle ainsi ce que l’on ne peut perdre de vue dans cette quête de solutions pour limiter la
judiciarisation : « Dire le droit demeure la mission de service public de la justice ».
La judiciarisation s’est peu à peu imposée comme le facteur moteur de l’éloignement
de la justice et de la médecine, comme la cause principale de l’incompréhension mutuelle
entre juges et médecins. C’est sur ces données qu’il est possible d’agir a priori pour limiter
les impacts négatifs de la judiciarisation sur les pratiques. A ce titre, Jean-François Burgelin,
procureur général près la Cour de Cassation, fait des propositions intéressantes150. Il note un
certain déficit dans la formation continue des médecins en termes d’information juridique,
148
Loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques
P. Borra., « Un mode plus simple de règlement des contentieux médicaux », pour la Chambre nationale
d’Arbitrage des médecins, juin 2005, 2 p.
150
J-F. Burgelin, « La judiciarisation de la médecine », base documentaire de l’INSERM, mars 2003, 11 p.
149
87
déficit qui ne devrait plus exister au vu de l’augmentation des recours contentieux selon
laquelle il est possible de dire que de nombreux praticiens seront confrontés à des
réclamations de patients au cours de leur carrière. L’auteur dénonce un nombre excessif de
matières, ayant fait disparaître les modules portant sur la culture générale, la déontologie, l’art
de l’écriture, et ne laissant guère de place à d’autres modules qui porteraient sur les grandes
questions de santé publique ou sur la relation du praticien aux institutions publiques. Cela a
pour lui des conséquences évidentes sur la judiciarisation de la médecine dans la mesure où la
mauvaise rédaction de documents médicaux ainsi qu’un manque de communication orale et
écrite entre médecins et patients sont aujourd’hui des sources de contentieux potentiels. Ces
nouvelles contraintes, et notamment celle de l’obligation d’information du patient, sont à
prendre en compte et à intégrer dans la formation initiale afin d’éviter les dérives déjà
évoquées de rédaction de documents divers et multiples dans le but de s’assurer une
protection juridique. De plus, une meilleure connaissance du fonctionnement de la justice
quant aux contentieux en droit de la santé ne peut qu’aider à réduire ce fossé qui s’est creusé
entre médecine et justice.
Parallèlement, la formation des juges semble elle aussi indispensable, et surtout beaucoup
plus maîtrisable dans la mesure où, pour les juges du judiciaire du moins, ils sont formés dans
un seul et même lieu, l’École nationale de la magistrature. Ce que préconise alors l’auteur,
c’est la meilleure compréhension par les juges de la spécificité des enjeux de santé. En effet,
le fossé vient aussi de là : tandis que les soignants proclament en permanence la spécificité de
leur profession et de leurs devoirs, les juges tendent à essayer de rapprocher les problèmes de
responsabilité médicale des problèmes de responsabilité rencontrés par d’autres professions.
Cependant, cela nous ramène à la troisième prescription inscrite en filigrane de ce texte : il
faut dépassionner le débat public autour des thématiques de la santé. En effet, les juges sont
pris entre une tendance à la compassion face à des victimes en souffrance et une pression
sociale et médiatique très forte lorsque l’opinion publique est émue. Sensibiliser dès l’étape
de la formation initiale les futurs juges aux difficultés qu’ils risquent de rencontrer lors des
contentieux en responsabilité médicale, c’est aider à rétablir une confiance mutuelle, si ce
n’est entre la médecine et l’opinion publique, du moins entre justice et santé.
L’application de ces principes ne doit pas non plus rencontrer de cadre temporel
défini. En effet, c’est tout au long d’une carrière qu’un professionnel construit son éthique, et
c’est en ce sens que l’on peut signaler l’initiative de l’AP-HP dont « l’espace éthique », en
collaboration avec le président du tribunal de Paris, organise des colloques sur le thème de
88
l’éthique entre personnels judiciaires et personnels soignants. D’une manière générale, MarieOdile Bertella-Geoffroy souligne l’importance d’une réflexion éthique commune au monde de
la justice et au monde de la santé151. Elle apporte à ce titre une proposition complémentaire à
celle de son collègue Jean-François Burgelin en insistant sur la nécessité de formation des
experts judiciaires qui, selon elle, peuvent être les intermédiaires de l’amélioration des
relations justice/santé. Leur formation doit inclure également des modules sur la bioéthique, le
progrès médical et la place de la santé humaine dans ce contexte.
M-O Bertella-Geoffroy se concentre en particulier sur la question de la pénalisation de
la responsabilité en santé. Elle analyse ce phénomène comme une conséquence du manque de
transparence sur les grandes affaires de santé publique, qui a conduit les victimes à se saisir
systématiquement de l’autorité pénale dans la mesure où l’expertise judiciaire permettra de
faire la lumière sur ces scandales. Pourtant, des experts « institutionnels » existent, qui
émettent des avis sur les connaissances actuelles pour aider les autorités sanitaires (créées
elles aussi après ces grands scandales, on pense notamment à l’AFFSAPS) à prendre des
décisions. Cependant, là encore la transparence n’est pas toujours au rendez-vous dans la
mesure où il a plusieurs fois été relevé que les experts pouvaient avoir des liens avec des
industries pharmaceutiques. Dans un contexte de crise de confiance déjà prédominante de la
population envers la médecine, nul doute que cette transparence est encore loin d’être
optimale. Ainsi, l’auteure plaide pour l’établissement systématique de commissions
d’enquête, bien que la version française de la commission ait des pouvoirs d’investigation
nettement limités par rapport aux commissions de nos voisins anglo-saxons. C’est pourquoi
elle propose également d’entamer une réflexion sur la création d’experts institutionnels, qui
devraient être entièrement indépendants pour éviter les conflits d’intérêt et dont l’action
devrait reposer sur une grande transparence comme dans le cadre de l’expertise judiciaire.
La plupart de ces propositions serait applicable à court terme, et soulagerait la tension
prédominante entre justice et santé. Cependant, cela n’empêche pas des réflexions à plus long
terme sur la manière dont est pratiquée la médecine en France. Tout d’abord, certaines
réflexions vont vite se révéler incontournables, comme la question du régime juridique
applicable à la télémédecine152, pratique qui connaît un essor important dans notre pays. Quid
151
M-O Bertella-Geoffroy, « L’évolution des rapports justice-santé », op. cit.
152
Acte médical à distance qui implique généralement l’utilisation de la vidéo et du son
89
du consentement, de l’obligation d’information, de la responsabilité en cas d’intervenants
multiples, du secret médical dans cette nouvelle donne ? Ces questions devront trouver une
réponse dans les années à venir au vu de l’explosion des nouvelles technologies dans notre vie
quotidienne.
Plus loin encore se situe la réflexion sur de nouvelles formes de médecine. Ainsi, nos voisins
anglo-saxons commencent à développer l’EBM (Evidence Based Medicine) qui consiste,
après la formulation claire d’un problème clinique donné suite à la description par le patient
de ses symptômes, à rechercher dans des bases de données médicales toutes les recherches
cliniques ayant un rapport avec le problème du patient. Au vu des résultats de la recherche, il
s’agit ensuite d’identifier une étude où le patient serait exactement semblable aux individus
testés, afin de pouvoir avoir une certitude de diagnostic et des perspectives de traitement.
Cette nouvelle pratique de la médecine censée accroître la confiance du praticien lors de sa
prise de décision clinique, pourrait-elle s’intégrer dans la pratique française de la médecine ?
Si le praticien est plus sûr de lui, cela signifie-t-il pour autant que l’EBM permette de
diminuer le nombre de fautes médicales ? Et si c’est le cas, permettrait-elle à terme de mettre
un frein à la judiciarisation de la responsabilité des professionnels de santé ?
90
ANNEXE 1 : SCHEMA DU FONCTIONNEMENT DE LA CRCI
91
BIBLIOGRAPHIE
OUVRAGES
BENSAID N., La lumière médicale, Paris, Seuil, 1981
BERGOIGNAN-ESPER C., DUPONT M., PAIRE C., Droit hospitalier, Paris, Dalloz, 8ème
édition, 2011, 962 p.
BERNARD C., Introduction à l'étude de la médecine expérimentale, Paris, GarnierFlammarion, 1966 (réédition), 318 p.
DE BERNARDINIS C., Les droits du malade hospitalisé, Paris, Heures de France, 2006,
145 p.
CARBONNIER J., Les obligations, Tome 4, Paris, PUF, 2000, 665 p.
CORNU G (dir.)., Vocabulaire juridique, 8ème édition, Paris, PUF, 2007, 986 p.
DUBOUIS L., « La distinction droit public-droit privé à l’épreuve de l’évolution de la
responsabilité médicale », in Gouverner, administrer, juger : liber amicorum Jean Waline,
Paris, Dalloz, 2002, 826 p.
GUILHO P., Dictionnaire juridique, Lyon, l’Hermès, 1996, 318 p.
LACHAUME J-F., Les grandes décisions de la jurisprudence, droit administratif, 9ème
édition, Paris, PUF Thémis, 1995, 572 p.
LAMBERT-FAIVRE Y., Le droit du dommage corporel : systèmes d’indemnisation, Paris,
Dalloz, 2002, 577 p.
MARTY J., Médecine générale : responsabilité et urgence, thèse de médecine, université de
Toulouse, 1997
MEMETEAU G., Cours de droit médical, 2ème édition, Bordeaux, Les études hospitalières,
2003, 550 p.
MEYER P., L’irresponsabilité médicale, Paris, Bernard Grasset, 1993, 218 p.
POIRIER J-P., Ambroise Paré, Paris, Pygmalion, 2006, 345 p.
SANDEVOIR P., « Unité et diversité du contentieux administratif et du contentieux judiciaire
dans le droit de la responsabilité hospitalière », in L’unité du droit, mélanges en hommage à
Roland Drago, Paris, Economica, 1996, 503 p.
SAUTEL O., Le double mouvement de dépénalisation et de pénalisation dans le nouveau
code pénal, thèse de doctorat de droit privé, université Montpellier I, 1998
92
TRUCHET D., Droit de la santé publique, 7ème édition, Paris, Dalloz, 2009, 270 p.
VAN LANG A., Le dualisme juridictionnel, limites et mérites, Paris, Dalloz, 2006, 262 p.
TEXTES JURIDIQUES
Jurisclasseurs responsabilité civile, fascicule XXX, n°87
Loi n° 88-1138 du 20 décembre 1988 relative à la protection des personnes qui se prêtent à la
recherche biomédicale
Loi n° 98-389 du 19 mai 1998 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux
Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de
santé
Loi n° 2002-1577 du 30 décembre 2002 relative à la responsabilité civile médicale
Proposition de loi n° 286, relative aux essais chez l’homme d’une substance à visée
thérapeutique ou diagnostique, C. HURIET, Sénat, 21 juin 1988
REVUES
ALFANDARI E., « Faut-il, au nom des droits de l’homme, supprimer l’ordre des
médecins ? », Revue de droit sanitaire et social, janvier-février 1977, p. 1
ALT-MAES F., « Esquisse et poursuite d’une dépénalisation du droit médical », la Semaine
Juridique Edition générale, n° 184, 2004
AUBY J-M., « La responsabilité médicale en France (aspects de droit public) », Revue
internationale de droit comparé, vol.28, n°3, juillet-septembre 1976, pp. 511-529
BARRÉ S et son groupe de travail., « Responsabilité pénale des directeurs d’établissement »,
Réflexions hospitalières, n° 496, janvier-février 2004, pp. 34-56
BERTELLA-GEOFFROY M-O., « L’évolution des rapports justice-santé », Sève, hiver 2004,
pp. 21- 29
BERTHIAU D., « La faute dans l’exercice médical depuis la loi du 4 mars 2002 », Revue de
droit sanitaire et social, n° 5, septembre-octobre 2007, pp. 772-779
COTELLON G., « Entretien avec maître Georges Holleaux, avocat au barreau de Paris »,
Hôpital d’Ile de France, n° 41, juin 2007, 19 p.
COTELLON G., « Point de vue d’un directeur d’établissement », Hôpital d’Ile de France, n°
41, juin 2007, 19 p.
93
COURSIER P., « Bilan et perspectives du droit de la responsabilité médicale en matière civile
et administrative », Revue médicale de l’assurance maladie, n°3, juillet-septembre 2000, pp.
55-63
DREIFUSS-NETTER F., « Les juges et la fin de vie », Sève, hiver 2004, pp. 65-75
DRUCKER J, FAESSEL-KAHN M., “L’exemple américain”, Sève, hiver 2004, pp. 31-38
DUHAG L, KOESTRER R, WAIDMANN J., “ The impact of malpractice fear on cesarean
section”, Journal of Health Economics, n° 18, 1999, pp. 491-522
HELMLINGER L, MARTIN D., « La judiciarisation de la médecine, mythe et réalité »,
Sève, hiver 2004, pp. 39-46
LANSAC J, SABOURAUD M., « Les conséquences de la judiciarisation de la médecine sur
la pratique médicale », Sève, hiver 2004, pp. 47-56
MODERNE F., « Le régime juridique des vaccinations obligatoires », AJDA, 1965, p.195
PILLONEL J, LAPERCHE S., « Risque résiduel de transmission du VIH, du VHC, et du
VHB par transfusion sanguine entre 1992 et 2002 en France », Bulletin épidémiologique
hebdomadaire, n° 48, 2003, pp. 233-236
SEILLIER B., « Éthique ou anti-éthique », Les petites affiches, n° 149, 1994, p. 5
SIFFROI J-P,. « Le caryotype systématique chez les donneurs et les donneuses de gamètes :
utilité réelle ou simple sécurité ? », Gynécologie Obstétrique Fertilité, n° 32, 2004, pp. 803812
VINEY G, JOURDAIN P., « L’indemnisation des accidents médicaux : que peut faire la Cour
de Cassation ? », la Semaine Juridique Edition générale, n° 181, 1997
WESTER-OUISSE, « Dépénalisation du droit médical », Revue générale de droit médical,
Hors série juillet 2008, p. 245-257
RAPPORTS
Commission de contrôle des assurances, rapport d’activité, 2002-2003, 81 p.
Conseil d’État, « Responsabilité et socialisation du risque », rapport annuel, 2005, 398 p.
DE LAMARTINE A., « De la propriété littéraire », rapport fait à la chambre des députés,
mars 1841, 32 p.
ETIENNE J-C., DIONIS DU SEJOUR J., « Les télécommunications à haut débit au service
du système de santé », annexe 3 « Note sur la responsabilité médicale », rapports du Sénat,
Paris, 2004, tome 2, 131 p.
94
KOHN L.T, CORRIGAN J-M, DONALDSON M.S., « To err is human: building a safer
healthcare system”, Institute of Medicine, Washington, 1999
MACSF – le Sou Médical, « Rapport d’activité, le risque des professionnels de la santé en
2010 », Paris, 2011, 96 p.
PILLEREL N., « Le contentieux médical dans l’ordre administratif et dans l’ordre judiciaire :
convergences et divergences », Centre de documentation du Conseil d’État, Service de
recherches juridiques, Paris, 2008, 55 p.
SHAM, « Panorama 2009 du risque médical des établissements de santé », Lyon, 2010, 98 p.
SUPPORTS DE COURS
CIANFARANI
F.,
« Responsabilités
médicales
pénale,
civile,
administrative
et
disciplinaire », Module d’apprentissage de l’exercice médical, Faculté de médecine de
Marseille, 2005, 15 p.
DUGUET A-M., AGNES T., « Responsabilités médicale pénale, civile, administrative et
disciplinaire », Module d’apprentissage de l’exercice médical, Toulouse, Université Paul
Sabatier, 2005, 8 p.
MIRAS A., « Responsabilité médicale », séminaire faculté de médecine Paris Descartes, mai
2006, 50 p.
RODAT O., « La responsabilité chirurgicale : évolution des concepts et des mentalités »,
PCEM 1, Université de Nantes, 2008
COMMUNICATIONS
ADH, communiqué, Paris, 7 septembre 2011, 1 p.
BORRA P., « Un mode plus simple de règlement des contentieux médicaux », pour la
Chambre nationale d’Arbitrage des médecins, juin 2005, 2 p.
BURGELIN J-F., « La judiciarisation de la médecine », base documentaire de l’INSERM,
mars 2003, 11 p.
SITES INTERNETS
http://www.gesica.org/fr/mpg2-401429--Entretien-avec-Yves-Lachaud.html
http://www.sofcot.fr/03-espace-grand-public/publication/304.asp
95
http://www.eleves.ens.fr/pollens/seminaire/seances/perruche/suites_arret.html
LITTÉRATURE
CASIMIR DELAVIGNE J-F., Louis XI, Paris, 18
96
TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION ...................................................................................................................... 1
PREMIERE PARTIE : UN DUALISME ORIGINEL DES REGIMES DE
RESPONSABILITE, MOTEUR DE L’ACCROISSEMENT DES CONTENTIEUX ............. 9
CHAPITRE 1 : LES REGIMES DE NATURE REPARATOIRE, UN OBJECTIF
D’INDEMNISATION DE LA VICTIME ........................................................................... 11
Section 1 : La responsabilité administrative, une construction progressive dans le cadre
du droit de la santé ............................................................................................................ 11
1. Historique de l’attribution de ce contentieux à la juridiction administrative ............ 12
2. Les fondements de la responsabilité administrative en droit de la santé .................. 14
3. Exceptions et évolutions dans le régime de la responsabilité administrative............ 16
Section 2 : La responsabilité civile, une reconnaissance tardive des obligations des
personnels de santé soumis au droit privé ......................................................................... 20
1. Le régime français de responsabilité civile ............................................................... 20
2. Quelles adaptations de ce droit pour le régime de responsabilité des personnels de
santé ? ............................................................................................................................ 22
CHAPITRE 2 : LES REGIMES DE NATURE SANCTIONNATRICE, UN OBJECTIF
THEORIQUE DE PUNITION DES RESPONSABLES DE DOMMAGES ...................... 24
Section 1. La responsabilité disciplinaire, un régime tombé en désuétude ? .................... 24
1. Les ordres professionnels .......................................................................................... 25
2. Attributions des ordres et procédure disciplinaire.................................................... 26
Section 2 : La responsabilité pénale semble avoir une place de plus en plus prégnante au
sein des régimes sanctionnateurs ...................................................................................... 28
1. Le régime français de responsabilité pénale.............................................................. 28
2. La base légale de la responsabilité pénale en droit de la santé.................................. 29
3. La responsabilité pénale des dirigeants d’établissements à vocation sanitaire ......... 32
DEUXIEME PARTIE : L’INFLATION JURIDIQUE COURONNÉE PAR LA LOI DE 2002,
VERS UNE JUDICIARISATION DU CHAMP DE LA SANTÉ .......................................... 35
CHAPITRE 1 : DE GRANDES EVOLUTIONS DICTEES PAR UNE LOGIQUE DE
RAPPROCHEMENT DES DEUX JURIDICTIONS.......................................................... 38
Section 1 : L’importance du champ législatif dans le développement du contentieux de la
responsabilité .................................................................................................................... 38
1. La question de la responsabilité en cas de vaccinations obligatoires ........................ 39
2. La loi Huriet-Sérusclat et son impact sur la recherche biomédicale ......................... 40
3. Les lois de bioéthique, une participation en demi-teinte au développement du
contentieux .................................................................................................................... 41
4. La réforme Juppé de 1996, un texte paradoxal ......................................................... 42
Section 2 : Par leur jurisprudence, les deux juridictions visent à pallier le manque de
cohérence initial en matière de responsabilité médicale ................................................... 44
1. L’information du malade, une obligation déjà ancienne considérablement élargie par
le concours des deux juridictions .................................................................................. 44
2. Le régime de la présomption de faute, encore source de débats entre les deux ordres
....................................................................................................................................... 47
3. L’émergence d’un régime de responsabilité sans faute............................................. 48
CHAPITRE 2 : LA LOI DU 4 MARS 2002, QUEL IMPACT SUR LA TENDANCE A LA
JUDICIARISATION DE LA SANTÉ? ............................................................................... 50
Section 1 : La loi Kouchner œuvre pour une déjudiciarisation de la santé ....................... 51
1. Tentative d’unification du contentieux : un objectif quantitatif de diminution ........ 51
2. La volonté de recentrage de la faute .......................................................................... 52
3. Le développement de solutions parallèles à la judiciarisation du conflit .................. 54
Section 2 : L’objectivation du texte : participation au renforcement de la judiciarisation 56
1. Élargissement des droits des malades et usagers : de nouvelles armes pour le recours
contentieux .................................................................................................................... 56
2. L’échec du recentrage de la faute .............................................................................. 58
TROISIEME PARTIE: L’APPROFONDISSEMENT DE LA JUDICIARISATION DE LA
SANTE PAR LA PENALISATION, ENTRE MYTHE ET REALITE ................................. 62
CHAPITRE 1 : L’IMPORTANCE DE LA PERCEPTION DES ACTEURS D’UNE
PENALISATION DE LA RESPONSABILITE.................................................................. 64
Section 1 : Médiatisation et influence sur la perception ................................................... 64
1. La perception des professionnels médicaux .............................................................. 64
2. La perception des dirigeants d’établissements .......................................................... 66
Section 2 : Les conséquences de facto d’une pénalisation factice ? ................................. 68
1. Les transformations des usages professionnels ......................................................... 68
2. Des signes avant-coureurs d’une pénalisation de la responsabilité en santé ? .......... 71
CHAPITRE 2 : QUELLE REALITE POUR LA PENALISATION ? ................................ 73
Section 1 : La factualité de la pénalisation ....................................................................... 74
1. Une pénalisation à relativiser .................................................................................... 75
2. L’exemple de la fin de vie ......................................................................................... 77
Section 2 : Peut-on parler d’une dépénalisation du régime de responsabilité du
professionnel de santé ? .................................................................................................... 80
1.Une mise en cause de moins en moins fréquente de la responsabilité pour homicide
involontaire ou imprudence ........................................................................................... 80
2. Création de dérogations aux principes du droit pénal pour les soignants ................. 82
CONCLUSION ........................................................................................................................ 85
ANNEXE 1 : SCHEMA DU FONCTIONNEMENT DE LA CRCI .................................. 91
BIBLIOGRAPHIE............................................................................................................... 92
Cette étude est née du double constat d’une juridicisation accrue de la société et d’une
augmentation conséquente des déclarations de sinistre par les assureurs des personnels de
santé. Il convenait ainsi de se questionner sur l’interprétation à donner à ce double
mouvement. Les Français ont-ils plus recours aux tribunaux pour régler leurs conflits avec
leurs soignants ? La mise en cause d’un professionnel de santé passe nécessairement par
l’engagement de sa responsabilité, civile, administrative, pénale ou disciplinaire, devant un
tribunal (ou une instance disciplinaire). Dès lors, peut-on parler d’une judiciarisation, dans le
sens d’un recours accru au contentieux, des régimes de responsabilité des personnels de
santé ? Et cette judiciarisation serait-elle ciblée sur un régime de responsabilité en
particulier ? Le constat d’une inflation juridique dans les années 1990 couronnée par la loi du
4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, mène à la
validation de cette hypothèse de la judiciarisation du régime de responsabilité en santé. Quant
au ciblage de cette tendance, le lieu commun d’une pénalisation du régime de responsabilité
du soignant est décrypté, sans en conclure pour autant que l’accroissement au recours pénal
est effectif. Au contraire, cette analyse conclura à une aspiration à la limitation de la mise en
cause pénale et au développement d’un régime de responsabilité administrative de plus en
plus riche.
Mots clés : juridicisation, judiciarisation, pénalisation, responsabilité, santé
Téléchargement