Mondialisation et progres social (2. ed.)

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Mondialisation et progrès social:
Rôle et portée des normes
internationales du travail
par Werner Sengenberger
Programme
Syndical Global
Mondialisation et progrès social
Rôle et portée des normes
internationales du travail
Rapport préparé à l’intention
de la Friedrich-Ebert-Stiftung
par Werner Sengenberger
2e édition révisée
Bonn, juillet 2006
ISBN 3-89892Publisher:
Author:
Layout:
Printed by:
Friedrich-Ebert-Stiftung
Dr. Heinz Bongartz
Coordinateur des questions relatives au travail
Godesberger Allee 149
D-53170 Bonn
Tel. +49 228 883-518
Fax +49 228 883-575
[email protected]
Dr. Werner Sengenberger
Pellens Kommunikationsdesign GmbH, Bonn
bub Bonner Universitäts-Buchdruckerei
Printed in Germany 2006
INTERNATIONALES DU TRAVAIL
3
Table des matières
Préface
5
Lise des abréviations
6
Résumé analytique
7
1. Introduction
2. Le contexte de la mondialisation
18
20
a) Les déficits économiques et sociaux dans un monde divisé
21
b) Caractère ambivalent de la mondialisation
32
3. Les normes internationales du travail, un sujet contesté
a) Qu’est-ce que les NIT (normes internationales du travail)?
40
40
b) Opinions contradictoires concernant les effets
économiques des normes internationales du travail
c) Le problème de l’universalité
4. Normes internationales du travail et développement
41
54
63
a) Pourquoi a-t-on besoin de normes internationales du travail (NIT)? 64
b) Dividendes économiques, sociaux et politiques
70
c) Les NIT à la fois objectifs et outils de développement
95
5. Comment faire progresser les normes es internationales du travail
a) Principaux obstacles
b) Un cadre propice à la promotion des NIT
98
99
112
c) Mesures internationales d‘encouragement et de dissuasion
120
d) Diversification des intervenants, multiplicité des responsabilités
125
6. Conclusions
135
Références
141
PRÉFACE
Préface
Depuis l’adoption en 1998 de la Déclaration relative aux principes et droits fondamentaux au travail par les membres de l’Organisation internationale du travail
(OIT), la discussion sur l’application des normes internationales du travail au
niveau national et leur intégration dans le commerce mondial et les régimes financiers n’a cessé de s’intensifier. Mais en dépit de l’importance que cette question a
prise aux niveaux politique et académique, elle n’a guère d’impact sur la réalité des
pays en développement.
Les institutions concernées par la conduite des affaires mondiales, comme
l’Organisation mondiale du commerce (OMC), ou les institutions financières internationales (IFI), quant à elles, considèrent encore qu’un certain nombre de normes
relatives au travail adoptées au niveau international n’ont guère de rôle à jouer
dans leurs activités, lesquelles sont souvent de nature essentiellement économique
et consistent, par exemple, à encourager la libéralisation du commerce ou la croissance économique.
Pour examiner ces problèmes, la Friedrich-Ebert-Stiftung (Fondation FriedrichEbert a demandé à M. Werner Sengenberger, qui a travaillé longtemps comme
économiste auprès de l’Organisation internationale du travail, de rédiger un rapport sur le rôle des normes internationales du travail et leur portée sur le développement social et économique, ainsi que sur la possibilité qu’elles offrent de concilier
mondialisation et progrès social. Ce rapport examine si le respect de ces normes
par les économies nationales et les régimes internationaux a un impact sur le
développement économique et quels sont les liens entre l’application des normes
généralement admises et la concurrence, les investissements étrangers, la productivité, l’efficience et la croissance.
Nous espérons que ce rapport, aussi fouillé que détaillé, contribuera à un débat
plus équilibré et moins marqué idéologiquement sur la nécessité de mettre en
œuvre les normes internationales du travail pour parvenir à la croissance et au
développement social.
Au nom de la Fondation Friedrich-Ebert, je tiens à exprimer ma profonde
gratitude à Werner Sengenberger pour son travail et ses efforts, ainsi qu’à toutes
les personnes qui ont formulé des commentaires sur les premiers états de son
rapport.
Bonn, décembre 2002
Erwin Schweisshelm
Friedrich-Ebert-Stiftung
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
5
6
LISTE DES ABRÉVIATIONS
Liste des abréviations
BM
CES
CISL
CLS
CMT
CNUCED
CSC-OCDE
CSLP
CSR
DGB
FES
FIJ
FIOM
FITBB
FITTHC
FMI
GATT
ICEM
IED
IFI
ISP
ITF
NIT
NNT
OCDE
OIM
OIT
OMC
ONG
PAS
PIB
PMD
PNB
PNUD
PPP
R&D
RMS
SPG
STN
TIC
UE
UITA
UNI
USM
ZFE
Banque mondiale
Confédération européenne des syndicats
Confédération internationale des syndicats libres
Normes fondamentales du travail
Confédération mondiale du travail
Conférence des Nations Unies pour le commerce et le développement
Commission syndicale consultative auprès de l’OCDE
Cadre stratégique de lutte contre la pauvreté
Responsabilité sociale des entreprises
Confédération allemande des syndicats
Friedrich-Ebert-Stiftung (Fondation Friedrich-Ebert)
Fédération internationale des journalistes
Fédération internationale des organisations de travailleurs de la métallurgie
Fédération internationale des travailleurs du bâtiment et du bois
Fédération internationale des travailleurs du textile, de l’habillement et du cuir
Fonds monétaire international
Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce
Fédération internationale des syndicats des travailleurs de la chimie, de l’énergie,
des mines et des industries diverses
Investissement étranger direct
Institutions financières internationales
Internationale des services publics
Fédération internationale des ouvriers du transport
Normes internationales du travail
Normes nationales du travail
Organisation pour la coopération et le développement économiques
Organisation internationale pour les migrations
Organisation internationale du travail
Organisation mondiale du commerce
Organisation non gouvernementale
Programme d’ajustement structurel
Produit intérieur brut
Pays les moins développés
Produit national brut
Programme des Nations Unies pour le développement
parité de pouvoir d’achat
Recherche et développement
Réseau mondial des syndicats
Système de préférence généralisé
Société transnationale
Technologies de l’information et de la communication
Union européenne
Union internationale des travailleurs de l’alimentation, de l’agriculture,
de l’hôtellerie-restauration, du tabac et des branches connexes
Union Network International
Union syndicale mondiale
Zone franche d’exportation
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
RÉSUMÉ ANALYTIQUE
7
Résumé analytique
1. Les normes internationales du travail
(NIT)
la sécurité sociale et les services sociaux; le
règlement des conflits du travail; le plein emploi;
l’emploi productif et le libre choix de l’emploi;
Il existe déjà un ensemble très complet de NIT
les services pour l’emploi et le développement
adoptées …
des ressources humaines.
Depuis la création de l’Organisation internatio-
d’autres sources d’accords internationaux ap-
nale du travail (OIT) en 1919, plus de 180 con-
plicables dans le monde entier qui concernent
ventions et plus de 190 recommandations ont
les normes du travail et de l’emploi. Citons no-
été adoptées par la Conférence internationale
tamment le Pacte international relatif aux
du travail. La Déclaration de 1998 relative aux
droits civils et politiques, le Pacte international
principes et droits fondamentaux du travail et
relatif aux droits économiques, sociaux et
son suivi mentionnent huit conventions fonda-
culturels, la Convention de l’ONU sur l’élimina-
mentales que tous les Etats membres de l’OIT,
tion de toutes les formes de discrimination à
en vertu de leur appartenance à cette institu-
l’égard des femmes et la Convention de l’ONU
tion et de leur acceptation de sa Constitution,
relative aux droits de l’enfant.
Outre les instruments de l’OIT, il existe
ont décidé de respecter, de promouvoir et de
mettre en oeuvre en toute bonne foi. Ces con-
… mais un grand nombre de ces normes ne
ventions comportent des normes concernant la
sont pas respectées ou appliquées
liberté d’association et le droit de négociation
collective, l’élimination de toute forme de tra-
Si la grande majorité des pays membres de
vail forcé, l’égalité de traitement en matière
l’OIT ont maintenant ratifié les conventions
d’emploi et de profession, l’égalité de rémuné-
fondamentales, le taux de ratification des nor-
ration entre hommes et femmes pour un travail
mes concrètes est nettement moins élevé. Mais
de même valeur; l’âge minimum d’embauche
la ratification ne signifie pas forcément qu’une
et l’élimination des pires formes du travail des
convention est respectée ou appliquée, et cela
enfants. Ces normes expriment certains droits
vaut même pour les conventions fondamenta-
de la personne universellement reconnus et
les. Au nombre des pires violations des droits
leur respect constitue une obligation morale.
fondamentaux des travailleurs figurent le non-
Les autres conventions de l’OIT concernent des
respect des droits syndicaux, qui va de la dis-
normes concrètes, appelées également droits
crimination et des brimades au harcèlement
sociaux, et portent sur le salaire minimum et le
des syndicalistes, voire à leur élimination; la
paiement du salaire; la durée du travail; les
discrimination fréquente à l’égard des femmes
congés et périodes de repos; la protection des
et des minorités ethniques; la pratique du tra-
travailleurs avec des besoins spécifiques –
vail forcé, obligatoire et sous contrainte et le
comme les femmes enceintes et celles qui vien-
recours fréquent au travail des enfants. Les
nent d’accoucher; les travailleurs migrants; les
droits sociaux demeurent souvent lettre morte,
travailleurs à domicile; les populations autoch-
comme en témoignent notamment le taux élevé
tones et tribales; la sécurité et la santé au travail;
de chômage et de sous-emploi, les bas salaires,
l’inspection du travail; la sécurité de l’emploi;
le non-paiement des salaires, la protection so-
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
8
RÉSUMÉ ANALYTIQUE
ciale insuffisante, la fréquence des accidents et
Définir et appliquer les NIT revient à inter-
des maladies dus au travail et d’autres lacunes
venir sur les marchés du travail, en vue de pré-
en matière de travail décent.
venir les sous-enchères néfastes,de diminuer
Fondée sur le volontariat, l’OIT ne dispose
la vulnérabilité des travailleurs et de leur per-
que de moyens juridiques limités pour faire
mettre d’exercer leur pouvoir pour améliorer
respecter ses dispositions par les pays membres.
leurs conditions de travail et bénéficier des
Elle ne peut guère que recourir à la persuasion
fruits d’une productivité accrue. Dès ses dé-
et offrir un soutien technique pour faciliter
buts, l’OIT a toujours insisté sur le fait que la
l’adoption et l’application des NIT.
croissance économique ne suffit pas à elle seule
à assurer l’amélioration des conditions de tra-
2. Nécessité des NIT: arguments classiques
vail et d’existence des travailleurs. En outre,
les marchés du travail ne fonctionnent pas
Divers motifs sont invoqués en faveur de l’appli-
comme les autres, parce que «le travail n’est
cation universelle des NIT. On peut citer no-
pas une marchandise». Ces positions sont vive-
tamment le renforcement de la paix sociale, la
ment contestées par les économistes favorable
promotion de la justice sociale, les objectifs
à la libéralisation du marché, qui affirment que
sociaux et humains du développement écono-
le niveau des salaires et des conditions de tra-
mique et le renforcement de la législation na-
vail est déterminé par celui de la productivité
tionale du travail. Un autre argument en faveur
d’un pays et que les uns et les autres ne peu-
de cette application est lié à ce que l’on appelle
vent être améliorés que grâce à la croissance
tantôt le «commerce non équitable», le «dum-
économique. En outre, les économistes «ortho-
ping social» ou encore la «course à la sous-
doxes» estiment que toute intervention dans le
enchère», phénomènes dus à la concurrence
fonctionnement concurrentiel du marché du
internationale non réglementée qui se traduit
travail ne peut qu’être néfaste parce qu’elle
par la baisse des salaires et la dégradation des
débouche sur une mauvaise répartition des
conditions de travail, qui imposent à leur tour
ressources, la diminution de l’efficience et de la
des privations aux travailleurs. Pour empêcher
croissance économique, le chômage et la baisse
que cela se produise, tous les pays en concur-
des salaires réels.
rence sur les marchés internationaux devraient
respecter le code international du travail sur
lequel ils se sont mis d’accord. L’OIT est d’avis
3. Les NIT dans le contexte de la
mondialisation économique
que les NIT de base n’entraînent pas de coûts
supplémentaires et peuvent donc être appliquées
Au cours des trois dernières décennies, qui ont
dans leur intégralité, quel que soit le stade de
vu s’accélérer la mondialisation de l’économie,
développement d’un pays. Au contraire, les
le débat sur la valeur et la portée des NIT a pris
normes concrètes peuvent avoir des consé-
une intensité accrue. L’ouverture des marchés
quences financières et doivent donc être appli-
nationaux à l’économie internationale a inten-
quées progressivement, compte tenu des con-
sifié la concurrence, tandis que grâce aux nou-
ditions économiques locales. Par exemple, si
velles technologies de l’information, de la com-
l’OIT demande à ses pays membres de fixer un
munication et des transports, il est devenu plus
salaire minimum, que ce soit par une règle de
facile, plus avantageux et plus rapide de faire
droit, un arrêté ou à la suite d’une convention
du commerce et de déplacer la production au-
collective, elle ne prescrit pas – contrairement
delà des frontières nationales et régionales.
à ce que l’on prétend parfois – un salaire minimum mondial uniforme, qui serait irréaliste.
Au vu de ce processus de mondialisation,
on pourrait avancer que la nécessité d’appli-
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
RÉSUMÉ ANALYTIQUE
9
quer des NIT universelles est devenue plus forte
Ce n’est pas dans la correction de normes
parce qu’il y a plus de possibilités de tourner ces
«excessives» qu’il faut chercher le remède aux
normes: en effet, non seulement un plus grand
maux actuels de l’économie mondiale. Il s’agit
nombre de pays sont maintenant en concur-
bien plutôt de revoir les politiques de mondia-
rence sur les marchés internationaux pour les
lisation malencontreuses au nom desquelles on
mêmes produits, mais encore les inégalités con-
réclame à grands cris et de manière indifféren-
sidérables au niveau du développement et des
ciée la libéralisation du marché et des privati-
revenus se sont renforcées tant à l’intérieur
sations généralisées et rapides, alors qu’en fait
des pays qu’entre eux – alors qu’on prédisait
les institutions juridiques, politiques et sociales
que la libéralisation des marchés allait favo-
nécessaires au bon fonctionnement des mar-
riser la convergence économique. Au cours des
chés n’ont pas été mises en place. L’ouverture
trois dernières décennies, sauf dans quelques
des économies nationales a eu des conséquen-
rares pays, la croissance économique s’est
ces néfastes, voire désastreuses, là où de telles
ralentie, le chômage s’est accru et le nombre
institutions font défaut, mais au contraire des
des personnes vivant dans la pauvreté extrême
effets favorables là où elles existent.
n’a pas diminué. Dans cette situation, la
L’intégration et l’interdépendance écono-
concurrence mondiale et le nationalisme éco-
miques internationales ont fait réapparaître les
nomique ont augmenté, ce qui a renforcé la
objections aux NIT souvent formulées au cours
nécessité de soustraire le travail à une concur-
de l’histoire de l’OIT. L’une d’elles affirme que
rence destructrice, tout en rendant plus difficile
les NIT ne sont pas applicables à l’économie
la réalisation de cette mesure. De nombreux
informelle, ou, pire encore, qu’en appliquant
pays ont cédé aux pressions exercées sur les
des normes on encouragerait la croissance de
salaires, ont fait des concessions en matière de
ce type d’économie. Une autre objection souvent
législation du travail ou d’application des nor-
entendue prétend que les NIT expriment des
mes et ont offert des allégements fiscaux pour
valeurs occidentales et qu’elles sont donc étran-
s’assurer des avantages en matière de com-
gères aux pays qui se réclament d’autres
merce et d’investissements étrangers.
valeurs, traditions et cultures. En fait, on met
Tant les pays développés que ceux en dé-
en question le caractère universel des NIT alors
veloppement font l’objet de pressions en vue
qu’aucun des instruments de l’OIT n’aurait
de l’assouplissement des normes. Les pays en
jamais pu être adopté sans une majorité des
développement font valoir qu’ils ne peuvent
deux tiers des pays membres. A côté de l’«inté-
pas se permettre d’appliquer les normes tant
grisme du marché», le relativisme culturel
qu’ils n’ont pas atteint un niveau de développe-
constitue le plus grand obstacle aux progrès
ment plus élevé. Ils estiment que tout effort
des NIT, et il en va de même pour les normes
dans ce sens risquerait de leur faire perdre
fondamentales.
leurs avantages par rapport aux pays où les
Aucune des objections formulées à l’égard
salaires sont élevés. Non sans ironie, les pays
des NIT ne résiste à un examen attentif. Si cer-
riches avancent ce même type d’argument pour
taines de ces normes peuvent en effet engendrer
abaisser leurs normes nationales ou ralentir
des coûts de production plus élevés, au moins
leur application: la concurrence des pays aux
au début, l’ampleur de cette augmentation est
faibles coûts de main-d‘œuvre ne leur permet
souvent exagérée hors de toute proportion. En
pas d’améliorer ou même de conserver leurs
général, ces coûts supplémentaires sont com-
normes du travail et de la sécurité sociale. On
pensés par l’accroissement de la productivité,
assiste presque partout à un blocage du pro-
la multiplication des innovations et d’autres
grès social dû à des attitudes particularistes.
améliorations des résultats économiques, si
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
10
RÉSUMÉ ANALYTIQUE
bien que les coûts salariaux réels par unité –
droits essentiels de la personne et n’ont donc
facteur décisif de la capacité concurrentielle –
pas besoin d’autre justification, il est possible
n’augmentent pas mais, au contraire, diminuent
de favoriser leur progrès en démontrant qu’il
avec l’application des normes. Les investisse-
n’y a pas d’opposition entre les arguments mo-
ments dans les ressources humaines accrois-
raux et économiques, mais au contraire une
sent les chances d’innover au niveau des pro-
convergence.
duits et des processus, donnant ainsi aux pays
un plus grand avantage concurrentiel. Loin
Les NIT, biens publics internationaux
d’être la cause du non-respect des normes, l’économie informelle en est plutôt la conséquence.
Pour examiner les NIT dans une perspective
Les pays de l’Est et du Sud-Est asiatiques qui
élargie et positive, il faut les considérer comme
affirment que leurs valeurs sont incompatibles
des biens publics internationaux auxquels cha-
avec la culture matérialiste ont en fait adopté le
cun peut avoir accès librement et gratuitement
capitalisme et les cultures fondées sur la con-
et qui ne nuisent à personne. En général, on for-
sommation avec autant de zèle que ceux de
mule des NIT lorsqu’un nombre considérable
l’Occident. Les véritables raisons de refuser les
de pays membres de l’OIT rencontrent des pro-
NIT sont rarement économiques ou culturelles,
blèmes similaires en matière de travail, tandis
mais relèvent de la politique. Par exemple, les
que simultanément certains pays ont déjà dé-
droits syndicaux sont souvent violés parce que
fini des directives et des mesures capables de
les syndicalistes font partie de l’opposition poli-
résoudre ces problèmes. Les instruments nor-
tique aux régimes autoritaires.
matifs de l’OIT définissent des objectifs et les
moyens propres à les atteindre. Ils sont béné-
4. Les avantages des NIT considérés dans
une perspective élargie
fiques pour le développement économique et
social des pays parce qu’ils reposent sur des
connaissances et des expériences pratiques
La partie principale de ce rapport présente une
venues du monde entier. Pour être adoptées,
conception plus large des NIT et entend démon-
les normes de l’OIT doivent être approuvées
trer que tous les pays, quels que soient leur
par les gouvernements, les employeurs et les
niveau de développement, leur culture et leurs
travailleurs qui constituent les organes de prise
traditions, ne peuvent que retirer des avantages
de décisions de l’Organisation. Cette triple in-
de l’adoption et de l’application de ces normes.
stance veille à ce que lors de l’élaboration des
Au lieu d’insister sur leur coût et sur les préten-
normes, de leur mise à l’épreuve par des essais
dues restrictions qu’elles imposent au fonc-
pratiques et de leur perfectionnement au cours
tionnement du marché de l’emploi et à la crois-
de leur application dans les pays membres, on
sance économique, ce texte met l’accent sur les
prenne en compte des critères et intérêts très
avantages qui découlent des NIT aux niveaux
divers, dont l’amélioration du bien-être des
économique, politique et social. Il montre que
travailleurs, la faisabilité économique et l’aspect
non seulement ces normes – conformément à
pratique.
la théorie économique classique – empêchent
L’avantage que ces normes présentent pour
toute concurrence néfaste sur le marché du tra-
les pays réside dans le fait qu’ils peuvent ainsi
vail mais encore qu’elles encouragent une con-
bénéficier des expériences d’autres pays qui
currence constructive. Elles peuvent susciter et
ont résolu ces problèmes. En d’autres termes,
favoriser une «course à l’excellence» entre les
les NIT constituent une véritable accumulation
entreprises, ainsi qu’un développement global
de connaissances sur des thèmes récurrents
et durable des pays. Si les NIT, et notamment
du monde du travail et les conflits qui y surgis-
les normes fondamentales, font partie des
sent. Le processus d’apprentissage internatio-
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
RÉSUMÉ ANALYTIQUE
11
nal sur lequel reposent l’établissement, l’appli-
satisfaire à ces normes seront éliminées du
cation et la surveillance des NIT fait que ces
marché au profit d’autres, plus efficientes,
normes permettent de parvenir à de meilleurs
qui prendront leurs parts de marché.
résultats que ceux qu’on obtiendrait si chaque
• La participation des travailleurs fondée sur
pays élaborait son code du travail indépen-
la liberté d’association, les négociations col-
damment des autres. Elles constituent une
lectives et le dialogue favorise la coopération
économie de temps et d’argent, considération
et la confiance mutuelle qui, à leur tour,
totalement absente des débats mesquins et uni-
améliorent les performances au niveau micro-
quement pécuniaires dont elles font l’objet.
et macro-économique. Ces effets s’opèrent
Parmi les exemples de l’utilité du savoir-faire,
de diverses manières: les travailleurs con-
des activités de défense et de l’offre de services
tribuent à améliorer les prises de décisions
que comportent les instruments de l’OIT, on
par leurs connaissances et leur expérience;
peut citer l’aide offerte aux pays qui affrontent
la recherche commune du compromis tend
des changements structurels dus au commer-
à élargir la gamme des solutions straté-
ce, la mise au point de systèmes de sécurité
giques aux problèmes d’orientation et con-
sociale en faveur des travailleurs et l’expérience
tribue souvent à en découvrir de meilleures;
des mesures que les pays doivent prendre pour
les intérêts divergents peuvent être conciliés
lutter contre le travail des enfants.
sans heurts grâce à la concertation et à la
négociation; les conflits non déclarés, in-
Avantages spécifiques des NIT
contrôlables et créateurs de chaos peuvent
être évités; les conventions collectives créent
L’application des NIT peut entraîner des avan-
des conditions économiques prévisibles et
tages économiques, sociaux et politiques con-
stables, ce qui permet de décider d’investir
sidérables. Plus il y a de normes combinées en
en toute connaissance de cause; la négocia-
faveur de la participation, de la protection et
tion collective rend les accords salariaux
de la promotion des travailleurs, plus leurs
plus transparents, ce qui évite le méconten-
effets seront positifs.
tement et le sentiment d’injustice; elle peut
• Les normes minimales engendrent une dyna-
aussi concilier les aspirations au progrès
mique de l’efficacité. En fixant des salaires
social et le potentiel productif des entre-
minimaux et d’autres normes essentielles,
prises et des secteurs économiques; une or-
on modifie le régime concurrentiel des entre-
ganisation forte du marché de l’emploi et la
prises. S’il n’est plus possible de fonder la
coordination des négociations collectives
compétitivité sur des salaires inférieurs à la
tendent à contenir la pression de l’inflation
norme et de mauvaises conditions de travail,
plutôt qu’à l’accentuer, mieux que ne le
il faudra faire des efforts pour être concur-
feraient des négociations décentralisées; la
rentiel de manière plus constructive. Les
concertation et la négociation tripartites au
industries doivent atteindre un niveau de
niveau national facilitent la stabilisation des
productivité suffisant pour verser un salaire
conditions macro-économiques, condition
minimum et assurer de bonnes conditions
préalable indispensable d‘un taux d’emploi
de travail. Le fait est que les normes mini-
élevé, et ont également facilité le passage
mum d’emploi et de salaire constituent pour
des économies planifiées aux économies de
les employeurs une incitation à améliorer
marché.
leur gestion, leur technologie, leurs produits,
• Les normes de santé et de sécurité au tra-
leurs méthodes de fabrication, l’organisa-
vail ne constituent pas seulement un élé-
tion du travail et les compétences de leurs
ment fondamental du travail décent et de la
employés. Les firmes qui sont incapables de
sécurité mais contribuent aussi à améliorer
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
12
RÉSUMÉ ANALYTIQUE
la productivité. En général, les investisse-
et la main-d‘œuvre à des activités prémo-
ments dans la sécurité au travail sont très
dernes qui ne survivraient pas sans lui;
productifs. Par exemple, il y a une relation
dans certains cas, le travail des enfants peut
statistique étroite entre les normes de santé
assurer la survie de leurs familles, mais le
et de sécurité au travail d’un pays et la place
prix à payer est celui de la diminution de
qu’il occupe dans le classement internatio-
l’espérance de vie et des années d’activité.
nal de la compétitivité. Des estimations font
Il fait obstacle à l’éducation et à la forma-
apparaître que les accidents du travail et les
tion, ce qui, à long terme, abaisse la pro-
maladies professionnelles entraînent toutes
ductivité et entrave le développement. En
sortes de pertes considérables pour les
outre, le travail des enfants augmente les
entreprises et diminuent la croissance éco-
capacités en main-d‘œuvre et empêche donc
nomique dans une mesure sensible.
la hausse des salaires.
• La sécurité de l’emploi et des revenus peut
• L’égalité de traitement et des chances en
avoir divers effets positifs: les travailleurs
matière d’emploi évite les conflits sociaux
qui se sentent en sécurité sont plus disposés
et favorise une meilleure croissance écono-
à prendre des risques et à faire bénéficier
mique. La discrimination revient à exclure
leurs collègues et supérieurs de leur ex-
des travailleurs de l’emploi en général ou
périence; ils collaboreront plus volontiers
de certaines activités, ce qui réduit les res-
aux changements techniques et structurels.
sources humaines. Elle débouche sur le
Loin de constituer des objectifs antagonis-
gaspillage et la sous-utilisation de talents
tes, la sécurité sociale et la souplesse du
utiles sur le marché du travail. Tant la dis-
marché du travail se renforcent mutuelle-
crimination que le refus d’offrir un salaire
ment. La protection des travailleurs contre
égal pour un travail de valeur égale sont des
la perte des emplois et des revenus prend
facteurs de démoralisation et de démotiva-
une importance accrue dans les économies
tion, qui peuvent entraîner des conflits la-
ouvertes, susceptibles d’être soumises à des
tents ou ouverts sur les lieux de travail.
pressions concurrentielles accrues, à des
• Les NIT peuvent contribuer à mettre en œu-
changements structurels plus rapides et plus
vre un degré équitable d’égalité de salaire
imprévisibles et à des crises extérieures con-
et de revenus, ce qui favorise le développe-
tagieuses. Dans de telles situations, pro-
ment, la cohésion sociale et la démocratie.
téger les travailleurs des risques et des con-
Les différences de salaires sont en général
flits sociaux constitue une option de rechange
moindres lorsque les syndicats ont une in-
positive au protectionnisme du marché par
fluence sur les structures salariales et les
le recours aux restrictions des importations
système de paiement; les systèmes de trans-
et aux subventions censées protéger cer-
fert social, les filets sociaux de protection et
tains secteurs de l’emploi. C’est là une des
les services sociaux tendent à faire dimi-
raisons pour lesquelles les pays en dévelop-
nuer les disparités de revenus, à renforcer
pement qui cherchent à améliorer leur ac-
la demande agrégée, à éviter ou à réduire la
cès aux marchés du Nord devraient mani-
pauvreté et à prévenir tant la passivité que
fester pour les NIT le même intérêt que les
les soulèvements politiques.
pays développés.
• Les efforts en vue de promouvoir le plein
• L’abolition du travail forcé et du travail des
emploi, productif et librement choisi, jouent
enfants n’est pas seulement un impératif
un rôle crucial dans toute procédure de
moral; elle débouche également sur des avan-
développement. Les excédents de main-
tages économiques. Le travail forcé freine le
d‘œuvre importants constituent un obstacle
développement parce qu’il lie les capitaux
considérable à l’application des NIT. Ils faus-
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
RÉSUMÉ ANALYTIQUE
sent considérablement l’équation du pou-
13
opinion répandue, les pays n‘ont pas besoin
voir sur le marché du travail en faveur des
d‘atteindre un niveau de développement avancé
employeurs et rendent la main-d‘œuvre plus
avant de s‘engager à améliorer les normes du
docile et plus facile à exploiter. Ils font qu’il
travail. L‘argument selon lequel il faut d‘abord
est difficile, voire impossible, de relever le
créer des emplois et ensuite seulement de bons
niveau des salaires et il n’y a guère d’incita-
emplois ne repose sur aucune base solide. Com-
tion à investir dans la main-d‘œuvre pour la
me le montre le présent rapport, la quantité
rendre plus productive. Le risque de créer un
des emplois ne doit pas être opposée à leur
cercle vicieux de bas salaires, de pauvreté et
qualité. La lutte contre le chômage ne saurait
de forte croissance démographique est con-
servir d‘excuse au refus d‘accorder des condi-
sidérable. Le chômage de masse est l’une
tions de travail raisonnables à ceux qui ont un
des raisons fondamentales de l’expansion
emploi. Dans une perspective plus large, les
de l’économie informelle dans de nombreux
droits des travailleurs ne limitent pas la liberté
pays en développement. Les excédents de
d‘action; au contraire, ils élargissent le champ
main-d‘œuvre peuvent être causés ou con-
des libertés aussi bien de l‘individu que de la
ditionnés par l’absence de normes du tra-
collectivité. Ils offrent des possibilités d‘action
vail. Le travail des enfants ou des prison-
individuelle et multiplient les choix en matière
niers, les bas salaires et les lacunes de la
de solutions aux problèmes du travail.
sécurité sociale ont pour effet d’augmenter
la masse de main-d‘œuvre, ce qui entraîne
5. Les dividendes des NIT sont une réalité
une nouvelle baisse des salaires et donc
l’augmentation de la pauvreté et du travail
Les résultats de recherches empiriques récentes
des enfants: on se trouve ainsi pris dans un
sur les NIT concordent dans une large mesure
engrenage sans fin d’excédent de main-
avec l‘opinion que ces normes ont des effets
d‘œuvre et de normes du travail insuffisan-
positifs sur le développement. En particulier,
tes ou inexistantes. Pour stopper cette des-
les récentes études économétriques faites par
cente et faire de ces cercles vicieux des
l‘OCDE, l‘OIT et divers milieux universitaires
spirales de développement ascendantes, il
montrent que ces normes peuvent augmenter
faut appliquer des mesures concertées
la productivité, favoriser la croissance du PIB,
macro-économiques et pratiquer une poli-
du commerce, des investissements étrangers
tique active du marché du travail qui per-
directs et de l‘emploi. Ces recherches ont exa-
mette d’harmoniser l’offre et la demande,
miné les liens entre l‘application des normes
sans oublier l’application de mesures de sé-
fondamentales du travail (CLS) et les résultats
curité sociale et le versement de salaires
de l‘économie dans un nombre assez élevé de
minimum.
pays, dont plusieurs en développement. Les
NIT limitent les effets négatifs de l‘ouverture
Les NIT, à la fois objectifs et outils du
des économies nationales et facilitent l‘adapta-
développement
tion à la libéralisation du marché. On a constaté
que la force des syndicats ne constitue pas un
Les NIT font partie intégrante du développe-
obstacle à une intégration réussie dans l‘éco-
ment. Etant donné leurs effets positifs avérés
nomie internationale. Les pays qui respectent
sur le plan économique, social et politique,
les droits civiques – notamment la liberté d‘asso-
elles doivent être considérées à la fois comme
ciation et les négociations collectives – sont aussi
les objectifs et les outils du développement éco-
ceux où les salaires représentent une plus large
nomique. Elles alimentent le développement et
part du revenu total; en outre, le secteur formel
en profitent également. Contrairement à une
y est plus fortement représenté que l‘informel.
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
14
RÉSUMÉ ANALYTIQUE
Au contraire, les pays qui ne respectent
les résultats des études méthodologiques appro-
pas les normes fondamentales du travail reçoi-
fondies montrent que l’application des normes
vent une part très restreinte des apports d‘in-
entraîne des avantages économiques certains.
vestissements mondiaux. Le fait est que le plus
La meilleure preuve en est fournie par l’étude
fort volume du commerce et des investisse-
des pays de l’Europe du Nord. Ils se placent
ments étrangers directs (IED) se trouve dans
tous en tête ou dans le groupe de tête en ma-
les pays les plus développés qui, en général,
tière de respect des NIT et de réussite écono-
appliquent des normes du travail strictes. Tou-
mique. Des organisations d’employés et d’em-
tefois, cette règle connaît quelques exceptions.
ployeurs fortes, les négociations collectives,
Certains pays émergents de l’Asie du Sud-Est,
une sécurité sociale efficace, des salaires réels
dont on sait qu’ils violent les droits élémentai-
élevés et l’égalité des sexes vont de pair avec
res des travailleurs, ont bénéficié d’investisse-
une croissance économique forte, un taux d’em-
ments étrangers importants. Si, d’une manière
ploi élevé, des technologies de pointe, une forte
générale, on ne constate pas de «course au
capacité concurrentielle au niveau mondial,
minimum», des indices montrent que ce risque
des balances commerciales, fiscales et com-
est présent dans certaines régions et certains
ptables positives et une grande stabilité sociale
secteurs, notamment dans les industries de
et politique. Ces pays figurent parmi les moins
transformation à coefficient élevé de main-
protectionnistes qui soient.
d‘œuvre. L’examen des critères en matière
d’IED confirme ces conclusions: on remarque
que la majorité des investisseurs accordent
6. Qu’est-ce qui fait obstacle à
l’application plus rapide des NIT?
une grande importance à la taille et à la croissance des marchés, prennent également en
Malgré les preuves des effets positifs des NIT,
compte la stabilité politique et sociale des pays
leur application se heurte à des obstacles con-
d’accueil ainsi que les qualifications de la main-
sidérables. On peut citer le manque de connais-
d‘œuvre, tandis que le coût de celle-ci ne figure
sances au sujet de leurs avantages, le dogma-
pas parmi les critères décisifs.
tisme économique, les intérêts sectoriels et les
Des études empiriques sur la portée des
préjugés des milieux économiques, l’oppor-
normes concrètes individuelles ne donnent pas
tunisme local ou individuel qui s’oppose aux
de résultats très concluants. Par exemple, on
objectifs supérieurs du développement et les
constate que la protection contre le licencie-
préoccupations immédiates qui l’emportent sur
ment a un effet négatif sur l’emploi en Améri-
les orientations à long terme. Dans le système
que latine, tandis que cet effet est négligeable
multilatéral, de nombreux gouvernements et
dans les pays de l’OCDE. Des études portant
certaines organisations tendent à placer les
sur les salaires minimum font également appa-
buts économiques de leurs politiques avant les
raître des effets aussi bien positifs que négatifs.
objectifs sociaux, et les organisations interna-
L’évaluation économique des normes indivi-
tionales se sont montrées en général impuis-
duelles doit être faite avec précaution, car il est
santes à coordonner ces politiques. Ce n’est
facile de négliger l’ensemble du tableau et les
que tout dernièrement que les institutions
effets croisés des normes.
financières internationales, dont la Banque
Il convient de poursuivre la recherche, en
mondiale et le Fonds monétaire international
particulier aux niveaux des pays, des secteurs
ont adopté les conventions fondamentales de
économiques et des entreprises, pour détermi-
l’OIT, car elles continuent à considérer les cri-
ner plus précisément la portée des normes et
tères sociaux comme des entraves plutôt que
découvrir les liens de cause à effet. On peut
comme des facteurs favorables aux marchés
néanmoins dire sans risquer de se tromper que
de l’emploi et au développement en général.
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
RÉSUMÉ ANALYTIQUE
15
Enfin, le déclin de l’affiliation syndicale dans
lénaire pour le développement. Mais dans
bien des régions et la suppression des syndi-
la pratique, il faut admettre que les décisions
cats dans de nombreux pays en développement
et les mesures prises sont demeurées en deçà
ont affaibli les moyens de pression du principal
de cet engagement. Il faut redoubler d’efforts
protagoniste de l’application des NIT. Une bonne
pour agir de manière plus crédible et plus
partie de l’érosion du pouvoir syndical peut être
énergique en vue de l’application des objec-
attribuée aux effets de la mondialisation écono-
tifs internationaux du développement, et les
mique, qui a ouvert de nouvelles options straté-
NIT doivent occuper une place prépondéran-
giques favorables au capital, comme la délocali-
te dans la conduite des affaires mondiales.
sation de la production et des services par delà
• Dans notre système multilatéral, il convient
les frontières nationales. La diminution des
de parvenir à une politique plus cohérente
taux de croissance, la montée du chômage et
et à des actions mieux coordonnées pour
l’expansion de l’économie informelle dans une
encourager le respect des NIT. Les institu-
grande partie du monde en développement ont
tions financières internationales, aussi in-
également affaibli les syndicats.
fluentes que puissantes, que sont la Banque
mondiale et le Fonds monétaire internatio-
7. Comment favoriser le respect des NIT
dans le monde entier?
nal ont la responsabilité de promouvoir les
NIT. Si elles ont maintenant adopté toutes
les conventions fondamentales de l’OIT,
L’identification des obstacles à l’application
elles n’ont pas encore manifesté leur sou-
généralisée des NIT nous fournit des indica-
tien à ces normes en faisant de leur respect
tions sur les politiques et mesures propres à les
une condition de l’attribution de prêts et de
encourager plus efficacement. Ni les lois ni la
ressources. Il conviendra d’accorder la même
croissance économique ne suffisent à les faire
importance aux objectifs économiques et
progresser. Ce qu’il faut, c’est un cadre institu-
sociaux et d’harmoniser les politiques au
tionnel, la volonté d’agir et des pressions poli-
niveau international, tout en veillant à ce
tiques. Un milieu favorable devrait comporter
que des décisions similaires soient prises
les éléments suivants:
par les gouvernements nationaux.
• Il faut encourager une connaissance plus
• Défenseurs par excellence des NIT, les syn-
approfondie et plus large du contenu, du
dicats doivent bénéficier de meilleures pro-
rôle et des effets des NIT si l’on veut influen-
tections légales et d’une plus grande in-
cer les preneurs de décisions et conscienti-
fluence aux niveaux national et international.
ser l’opinion publique. On y parviendra par
La liberté d’association, le droit de s’organi-
des recherches plus approfondies et une
ser et de négocier collectivement doivent être
meilleure défense de cette cause. Les effets
reconnus et défendus dans les pays où ils ne
positifs des normes peuvent être prouvés en
sont pas respectés ou le sont insuffisam-
se référant à des exemples concrets au ni-
ment. Les organisations de travailleurs et
veau des entreprises, des secteurs et des
d’employeurs doivent participer de manière
pays.
plus directe à la formulation et à l’applica-
• Les NIT doivent devenir une priorité poli-
tion des politiques, par exemple en matière
tique aux niveaux international et national.
de stratégies de réduction de la pauvreté et
La majorité des pays se sont engagés à réa-
de mesures coordonnées au niveau interna-
liser ces objectifs dans le cadre d’accords
tional en faveur de la croissance et de l’em-
internationaux et lors de diverses réunions,
ploi. Les syndicats ont étendu leurs cam-
comme le Sommet mondial du développe-
pagnes et leurs activités au niveau mondial
ment social de 1995 et les Objectifs du Mil-
et sont intervenus auprès des organisations
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
16
RÉSUMÉ ANALYTIQUE
internationales ainsi que dans les négocia-
du travail – comme le font essentiellement
tions avec les compagnies transnationales.
les Etats-Unis et l’Union européenne – et en
Il existe un nombre croissant d’accords
fournissant des services de conseils et un
cadres internationaux entre ces compagnies
soutien technique aux pays qui souhaitent
et les fédérations syndicales mondiales, qui
améliorer leurs politiques sociale et du tra-
concernent notamment la surveillance com-
vail.
mune de l’application des normes fonda-
• Il convient d’élargir le nombre et la diversi-
mentales dans les réseaux de production.
té des milieux responsables de faire pro-
Les syndicats peuvent encore étendre leur
gresser les NIT. Si les gouvernements ne
influence en formant des alliances et en
doivent pas être relevés de l’obligation qui
coordonnant leurs actions avec d’autres
est la leur d’assurer des conditions de tra-
ONG présentes dans les domaines du tra-
vail conformes aux NIT, d’autres instances
vail et de l’économie.
doivent assumer leur part de responsabi-
• Dans de nombreux pays en développement,
lité. Des mesures ont déjà été prises dans ce
l’application des NIT est entravée par le
sens, sous forme de campagnes d’organi-
manque de ressources administratives et
sations de consommateurs ou d’autres
financières et de compétences profession-
groupes de la société civile; elles ont abouti
nelles. Dans une certaine mesure, ces man-
notamment à l’étiquetage de certains pro-
ques sont dus à de malencontreuses poli-
duits, tandis que des compagnies ont adopté
tiques d’ajustement financier, notamment à
des codes de conduite. Ce type d’actions du
des privatisations sans conditions, qui ont
secteur privé peut s’étendre pour toucher
eu pour effet de réduire plus que de raison
davantage d’entreprises et tous les fournis-
le secteur public, dont les salaires ne sont
seurs et entrepreneurs faisant partie d’une
plus concurrentiels. La mise en place ou la
chaîne de création de valeur. Si les initia-
restauration de l’administration et des ser-
tives au titre de la «responsabilité sociale
vices publics et la formation des fonction-
des entreprises» se sont multipliées ces
naires et des partenaires sociaux consti-
dernières années, il faudra voir dans quelle
tuent des étapes essentielles de l’application,
mesure il s’agit là de véritables engagements
de la surveillance et du contrôle des NIT. Il
en faveur des NIT ou de simples tactiques
faut aplanir les obstacles financiers à la
publicitaires ou cosmétiques. Pour avoir un
réalisation de politiques sociales dans les
véritable effet, les actions des entreprises
pays pauvres, notamment en demandant
devraient être soumises à un suivi et à un
aux pays riches de s’engager à restructurer
contrôle indépendants pour veiller au res-
et à abolir la dette.
pect des normes de l’OIT. Des accords inter-
• Il convient de promouvoir les NIT grâce à
nationaux offrant des lignes directrices de
des mesures d’encouragement matériel et
conduite et de surveillance des entreprises
institutionnel. Les sanctions comme le refus
ont été élaborés par l’OIT, l’OCDE et les
d’avoir des relations commerciales et d’in-
Nations Unies. Les normes fondamentales
vestir doivent être appliquées en dernier
du travail devraient faire partie intégrante
recours et seulement en cas de violations
des «investissements éthiques», y compris
permanentes et sérieuses des droits fonda-
ceux des fonds de pension.
mentaux des travailleurs. Les mesures posi-
En dernière analyse, le progrès social, à
tives peuvent prendre la forme de soutiens
l’époque de la mondialisation, dépend de la
financiers et de préférence commerciale ac-
motivation et de la mobilisation des individus
cordés aux pays qui respectent les normes
dans le monde entier, inspirées par une plus
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
RÉSUMÉ ANALYTIQUE
17
forte prise de conscience et une meilleure com-
dialisation nous donne les moyens d’être mieux
préhension de la nécessité de disposer de
informés sur ce qui se passe dans les diverses
règles et de principes communs. Ce qui pré-
parties du monde, qu’il s’agisse d’abus ou de
domine actuellement, c’est le sentiment que la
pratiques louables en matière de travail. La
mondialisation est sous l’emprise de quelques
facilité d’accès actuelle aux relations de réseau
personnes qui en tirent profit. Pourtant il n’y a
favorise l’organisation des actions politiques
rien dans la mondialisation qui rende cette
nécessaires à assurer partout le respect des
conséquence inévitable ou immuable. La mon-
normes universelles du travail.
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
18
INTRODUCTION
1. Introduction
Le présent rapport est consacré essentielle-
Les partisans des normes internationales
ment au rôle que les normes internationales du
(fondamentales) du travail, ou NIT, font valoir
travail (NIT) peuvent jouer en matière de pro-
que celles-ci constituent des droits humains et
motion du progrès social dans le contexte de la
devraient être respectées à ce titre, sans égard
mondialisation de l’économie. Il expose les
aux avantages économiques qu’elles apportent,
arguments pour et contre les NIT et montre
car elles n’ont pas besoin d’autres raisons
comment celles-ci peuvent favoriser le dévelop-
d’être. Pourtant, si on s’accorde largement à
pement économique, social et politique. Il exa-
reconnaître les bases morales des normes du
mine les avantages qui découlent de l’appli-
travail, le fait que nombre d’entre elles sont
cation de ces normes, tant pour les pays
considérées comme un frein à l’efficience, à la
développés que pour ceux en développement,
croissance économique, à l’emploi et à la capa-
ainsi que les obstacles qui freinent les progrès
cité concurrentielle constitue un obstacle ma-
en matière de respect des normes, et évoque le
jeur à la généralisation de leur application.
cadre institutionnel requis pour en tirer pleine-
Bien que ce jugement négatif ne soit pas nou-
ment avantage.
veau, il connaît un regain de vigueur dans le
Il est important d’examiner les buts et les
contexte du renforcement de la concurrence
conséquences de l’application des NIT, du fait
internationale et de l’augmentation de l’inéga-
que tout le monde n’est pas convaincu qu’elles
lité entre les pays depuis quelques décennies,
constituent la meilleure manière d’améliorer
conséquence de la libéralisation des marchés
où que ce soit les conditions de vie et de travail
des produits, des capitaux et de la finance. Les
des gens. Certains économistes classiques sou-
disparitions d’emplois sont imputées à leur
tiennent que la croissance économique dirigée
coût «excessif» et aux dépenses de la sécurité
par le marché est la voie la plus directe, voire
sociale. Les entreprises demandent aux gou-
la seule, vers l’amélioration du sort de la popu-
vernements d’abolir les normes sociales et me-
lation laborieuse. D’autres ont tempéré leur
nacent de se délocaliser. Les gouvernements se
hostilité à l’égard des NIT, et les institutions
trouvent ainsi devant un dilemme: comment
financières internationales ont manifesté leur
exercer un contrôle sur les entreprises pour
volonté d’instaurer un dialogue. Pourtant, on a
éviter la dégradation des conditions sociales
tendance à approuver certaines normes mais à
sans risquer de favoriser la délocalisation de la
en rejeter d’autres, mettant ainsi en question le
production et de voir la croissance économique
caractère universel et la cohérence du code
diminuer? De nombreux gouvernements, re-
international du travail. Les critiques les plus
doutant la fuite des capitaux, ont choisi de
véhéments vont plus loin: ils affirment que
céder à ces pressions. Ils ont assoupli les nor-
l’application des NIT se fera au détriment du
mes du travail, réduit les dépenses sociales et
bien-être des travailleurs parce qu’elles entra-
accordé des avantages fiscaux sur les revenus
veront le marché et empêcheront la croissance
des capitaux, forçant du même coup d’autres
économique, privant ainsi les pays en dévelop-
pays à leur emboîter le pas. En 2001, plus de
pement de leurs avantages comparatifs na-
100 pays offraient des allégements fiscaux aux
turels.
investisseurs étrangers, dans l’espoir d’attirer
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
INTRODUCTION
19
leurs capitaux et de stimuler les exportations
possible d’augmenter les salaires ni d’amélio-
(Hansen, 2001). Les désavantages pour le dé-
rer les conditions de travail, la sécurité sociale,
veloppement à long terme sont évidents: on voit
etc., ou encore que de tels ajustements coûtent
diminuer les recettes fiscales nécessaires aux
trop aux pays pauvres. Si tel est le cas, pour-
investissements publics dans les infrastructures
quoi donc poursuivre sur la voie de la mondia-
matérielles et sociales et au renforcement des
lisation économique? Qui en retirera des avan-
institutions nationales, qui sont autant de
tages? Il est évident qu‘il convient de revoir les
conditions préalables à toute tentative plus
modalités actuelles de la mondialisation et les
constructive d’attirer de nouveaux capitaux.
idées préconçues sur lesquelles elles reposent
En outre, la réduction de l’assiette fiscale limite
si l’intégration économique internationale doit
les chances de mettre en place des politiques
être un instrument de progrès social.
de redistribution, ce qui, à son tour, réduit la
croissance économique intérieure.
Le présent rapport repose sur l’affirmation que les NIT doivent faire partie d’un
Convaincus des effets économiques néga-
système de règles à l’échelle mondiale, aptes à
tifs des NIT, certains responsables politiques
déterminer un développement qui profite à la
rechignent à favoriser leur application. C’est
majorité de la population. Les chances de voir
pourquoi il importe d’examiner les aspects éco-
des normes communément acceptées jouer ce
nomiques de ces normes et de lutter contre les
rôle dépendront d’une compréhension correcte
conceptions erronées. Les réticences à respec-
des réglementations, des raisons de les appli-
ter les NIT ont de multiples raisons, parmi les-
quer, des objectifs qu’elles peuvent atteindre et
quelles on trouve la volonté de maintenir les
de la manière de les rendre efficaces. La crois-
chasses gardées, les stratégies commerciales à
sance économique est certes essentielle, mais
courte vue, les idéologies antisociales et le dog-
elle ne suffit pas à elle seule à assurer le pro-
matisme économique. Trop souvent on affirme
grès social pour tous, la justice sociale et l’éli-
que vu la concurrence mondiale, il n’est pas
mination de la pauvreté.
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
20
LE CONTEXTE DE LA MONDIALISATION
2. Le contexte de la mondialisation
On s’entend généralement pour reconnaître
puis la fin des années 1980, on constate une
que les éléments de la mondialisation écono-
tendance mondiale à l’intégration rapide des
mique comportent la libéralisation du com-
marchés financiers. La libéralisation financière
merce international, l’expansion des investis-
implique l’abolition des contrôles sur les attri-
sements étrangers directs (IED), l’organisation
butions de crédits et l’ouverture des comptes
de la production à l’échelle mondiale et l’appa-
de capitaux nationaux. Les nouvelles technolo-
rition d’importants flux financiers transfron-
gies de l’information et de la communication
taliers. Tout cela débouche sur l’intégration
(TIC) rendent plus faciles et plus rapides les
accrue des marchés et le renforcement de la
transferts de capitaux et transports de mar-
concurrence internationale. La mondialisation
chandises par delà les frontières. Le coût des
résulte de la combinaison de deux forces sous-
transports et des communications a diminué
jacentes: les décisions politiques d’abolir les
considérablement au cours des 75 dernières
obstacles économiques nationaux (tarifaires et
années: en 1970, le coût moyen du fret mari-
non tarifaires) et l’application des nouvelles
time représentait 44% de ce qu’il était en 1930,
technologies de l’information et de la commu-
et ce rapport était passé à 32% en 2000, tandis
nication (TIC).
que les coûts du fret aérien représentaient 24%
Depuis les années 1970, le commerce
et 14% respectivement, et ceux des télécom-
mondial connaît une croissance rapide, bien
munications 14% et 2% respectivement, tou-
supérieure à celle de la production. Exprimé
jours par rapport à 1930.
en pour-cent du produit intérieur brut (PIB), le
Les sociétés transnationales (STN) consti-
commerce est passé de 28% au début des an-
tuent les principaux moteurs de la mondialisa-
nées 1970 à 58% à la fin des années 1990. Les
tion économique; elles en sont venues à domi-
IED ont connu une accélération au cours des
ner le commerce, les investissements et la
années 1980, tant en valeur absolue qu’en pour-
technologie au niveau international et elles
cent du PIB. Ils ont atteint un sommet en 2000
assurent le fonctionnement des chaînes de créa-
lorsque leurs apports ont été supérieurs à 50%
tion de valeur. La libéralisation des marchés
de la totalité du PIB. Ils ont ensuite décliné
des produits et des capitaux ainsi que les pro-
jusqu’en 2004, date à laquelle la tendance s’est
grès des TIC constituent des incitations à or-
inversée. Dans toutes les régions, la composi-
ganiser la production à l’extérieur des pays
tion des IED s’est modifiée en faveur des ser-
d’origine des sociétés. Cette délocalisation se
vices. En 2002, 60% des IED entrants et 67%
fait par la création de filiales étrangères (appe-
des IED sortants concernaient les services, tan-
lée parfois «délocalisation captive») ou par
dis que la part relative à la production n’était
l’externalisation de la production ou des ser-
plus que de 34% et 29% respectivement. De-
vices auprès de tiers («délocalisation externali-
*
Sauf indication contraire, les données statistiques fournies dans ce chapitre proviennent des rapports périodiques d’organisations
internationales, notamment les Rapports sur le développement humain du PNUD, les Rapports sur les investissements mondiaux de
la CNUCED, les Rapports sur le développement mondial de la Banque mondiale, les Perspectives économiques mondiales du Fonds
monétaire international et les Rapports mondiaux sur l’emploi et sur le travail de l’OIT.
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
LE CONTEXTE DE LA MONDIALISATION
21
sée»), qu’il s’agisse d’une société locale, d’une
nets, même si, à l’intérieur d’un pays, il y a des
filiale étrangère ou d’une autre STN. Selon la
perdants et des gagnants. Avec la libéralisation
CNUCED, le nombre des STN est estimé à
du commerce extérieur et des investissements,
quelque 65 000 sociétés mères avec environ
les fonds afflueront vers les pays pauvres où
870 000 filiales étrangères et une multitude de
les capitaux sont rares et par conséquent, les
réseaux intersociétés couvrant pratiquement
retours sur investissements seront plus élevés
tous les pays et toutes les activités écono-
que dans les pays industrialisés développés.
miques. En 2001, les filiales étrangères repré-
Les apports en capitaux peuvent prendre la
sentaient 54 millions d’employés, contre 24 mil-
forme de prêts ou d’investissements en titres,
lions en 1990. Trois STN sur quatre sont origi-
qui viennent s’ajouter à l’épargne intérieure et
naires des Etats-Unis, du Japon ou de l’Europe.
assouplir les contraintes financières qui pèsent
A l’exception d’une STN de la République de
sur les budgets nationaux et sur les investisse-
Corée, les cent plus grandes sociétés ont leur
ments supplémentaires des sociétés locales.
siège dans les pays de l’OCDE. La capacité éco-
Ces apports peuvent également prendre la
nomique des plus grandes multinationales
forme d’investissements étrangers directs (IED),
dépasse celle de bien des Etats. Parmi les cent
qui sont censés améliorer la productivité par le
plus grandes entités économiques mondiales
biais d’une concurrence accrue, d’une spéciali-
figurent 51 sociétés privées et 49 pays, et le
sation en fonction des avantages comparatifs
pouvoir économique combiné des 5 plus gran-
locaux, du transfert de technologies et de
des STN dépasse celui des 46 pays les plus
l’amélioration des techniques de gestion. Si un
pauvres.
pays développé qui fabrique des produits
Les chiffres qui suivent montrent la rapi-
impliquant une technicité élevée fait du com-
dité de l’intégration des marchés mondiaux:
merce avec un pays moins développé dont la
entre 1985 et 2002, le produit intérieur brut
production ne nécessité pas le même technici-
mondial a été multiplié par 2,5, les exporta-
té, on affirme que l’un et l’autre en retireront
tions de biens et de services par 3,4, les investis-
des avantages. Selon la théorie du commerce
sements en titres par 5,3 et les apports d’IED
en vigueur – élaborée d’abord par David Ricardo
par 10,9 (tableau 2.1). Les mouvements de
et, plus récemment, affinée par les théorèmes de
capitaux transfrontaliers ont atteint une ampleur
Heckscher-Ohlin et Stolper-Samuelson – le com-
sans précédent. Les transactions financières
merce débouche sur une égalisation des fac-
quotidiennes des banques et des courtiers en
teurs de coûts qui fera diminuer les inégalités
devises atteignent plus de 1 500 milliards de
économiques entre les pays, lesquels finiront
dollars EU, en grande partie sous forme de
par bénéficier des mêmes niveaux de revenus.
spéculations sur les changes. Du point de vue
Mais à l’heure actuelle, la réalité est bien
économique, le monde est plus étroitement con-
loin de ces belles promesses. Après trois dé-
necté et plus interdépendant qu’il ne l’a jamais
cennies au cours desquelles les IED et les inves-
été.
tissements en bourse ont augmenté plus rapidement que le commerce, lequel, à son tour, a
a) Les déficits économiques et sociaux
dans un monde divisé
crû plus rapidement que la production, les
résultats économiques et sociaux sont mitigés,
dans le meilleur des cas. Certes, des pays de
La sagesse économique communément admise
l’Asie de l’Est et du Sud-Est ont fait un grand
enseigne que la mondialisation économique va
bon en avant en matière de développement
favoriser la croissance économique et l’emploi
économique. En 20 ans, grâce essentiellement
et enrichir tous les pays qui y participent. L’inté-
à la forte croissance des économies émergen-
gration économique se traduit par des gains
tes de l’Asie du Sud-Est, de la Chine et de l’In-
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
22
LE CONTEXTE DE LA MONDIALISATION
de, le taux de pauvreté en Asie a diminué de
1,4%. En conséquence, le nombre des chômeurs
plus de la moitié, et plus de 350 millions d’ha-
est passé de 100 à 160 millions durant cette
bitants sont sortis de l’indigence. Au cours des
décennie. En 2003, l’OIT estimait que leur
années 1990, selon les chiffres de la Banque
nombre total était de 180 millions, soit un taux
mondiale, la pauvreté extrême a diminué dans
de chômage de 6,3%. Près de la moitié des per-
le monde, passant de 29% à 23%. Cependant,
sonnes sans emploi sont des jeunes entre 15 et
le nombre des pauvres dans le monde demeure
24 ans. Le taux de chômage mondial des jeunes
presque égal. Les pays industrialisés, grâce à
atteint le taux sans précédent de 14,4%, soit
leurs capitaux abondants, à leur pouvoir politi-
plus du double du taux de chômage général.
que et à celui de leurs marchés, ainsi qu’à leur
Les pays de l’OCDE, dont les statistiques de
domination technologique, ont eux aussi profi-
l’emploi sont le plus fiables, ont vu le chômage
té de la mondialisation.
passer de 3% en moyenne dans les années
Il n’en demeure pas moins que le bilan du
1960 à 7,4% dans les années 1990, et l’aug-
développement économique mondial est défici-
mentation a été encore plus marquée dans les
taire et que de nombreux indicateurs économi-
pays de l’Union européenne.
ques et sociaux sont à la baisse, notamment en
Mais le taux de chômage déclaré ne reflète
ce qui concerne les populations actives du Sud
qu’une partie de la réalité. Cette notion n’a
et du Nord. La croissance mondiale du PIB
qu’une application limitée dans de nombreux
s’est ralentie, passant de 5,3% en moyenne
pays en développement où l’emploi indépen-
dans les années 1960 à 3,5% dans les années
dant occupe une large place. Le taux d’emploi
1970, à 3,1% dans les années 1980 et à 2,3%
indépendant par rapport à l’ensemble de la
dans les années 1990. Pour l’ensemble de l’éco-
main-d’oeuvre non agricole s’élève à 53% en
nomie mondiale, le rendement individuel n’a
Afrique subsaharienne, à 43% en Amérique du
augmenté que de 33% dans les années 1980 et
Sud, à 55% dans les Caraïbes et à 50% en Asie
1990, alors que ce taux était de 83% dans les
du Sud. Au Pakistan, par exemple, où la pro-
années 1960 et 1970. Le taux d’amélioration
portion des employés était de 34,6% en 1999,
de la productivité a décliné partout, sauf dans
le taux de chômage mesuré selon les méthodes
certaines régions de l’Asie. Dans les années
traditionnelles était de 5,9%, tandis que le chô-
1990, le taux moyen d’accroissement de la pro-
mage des employés atteignait 14,7%. Pour les
ductivité ne dépassait pas 1,1%. De nombreux
pays en développement, un meilleur indicateur
pays de l’Afrique subsaharienne, d’Amérique
du surplus de main-d‘œuvre est fourni par le
latine, du Moyen-Orient, de l’Europe orientale
sous-emploi, c’est-à-dire le fait de ne pas avoir
et de l’Asie centrale ont connu le déclin ou la
autant de travail qu’on le souhaiterait. L’OIT
stagnation économique et l’augmentation de la
estime qu’il y a actuellement près d’un milliard
pauvreté.
de personnes – soit environ un tiers de la maind‘œuvre mondiale – sans emploi ou sous-em-
Chômage, sous-emploi et pauvreté
ployées.
Mais le monde n’est pas seulement peuplé
La situation de l’emploi est fort insatisfaisante.
de travailleurs sous-employés, il compte aussi
Dans le monde, le chômage et le sous-emploi
une multitude de gens surmenés ou surem-
ont augmenté en même temps que le taux
ployés. Dans de nombreux pays, les horaires
moyen de croissance économique déclinait dès
de travail sont non seulement longs mais en-
le début des années 1970. Dans les années
core en augmentation, et cela est aussi le cas
1990, la main-d‘œuvre mondiale a connu une
des pays à revenus élevés. Par exemple, l’Amé-
augmentation annuelle moyenne de 1,7%, tan-
ricain moyen accomplissait en 1999 83 heures
dis que celle du taux de l’emploi n’était que de
de travail annuelles de plus qu’en 1980, soit
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
LE CONTEXTE DE LA MONDIALISATION
23
une augmentation de 4% (Olson, 1999). Les
loppés et en transition sont sous-alimentés.
problèmes de santé psychique au travail, liés
L’espérance de vie à la naissance dans les pays
en particulier au stress, sont en augmentation
les moins avancés est inférieure à 50 ans,
dans les pays industrialisés (Gabriel & Liima-
tandis qu’elle est de 77 ans dans les pays dé-
tainen, 2000).
veloppés.
Une grande partie de la population mon-
La pauvreté relative est mesurée par la
diale est pauvre. Dans les pays en développe-
proportion de la population vivant en dessous
ment, la proportion des gens vivant dans la
d’un certain niveau national de revenus ou de
pauvreté est d’environ 40%. On définit en géné-
consommation. Si l’on prend pour seuil un tiers
ral la pauvreté absolue comme le niveau de
de la consommation nationale moyenne en
revenus qui ne permet pas de se nourrir ni de
1993, la pauvreté atteignait 32% dans l’en-
satisfaire d’autres besoins élémentaires com-
semble des régions en 1998, 37% si l’on exclut
me la santé, l’habillement, le logement et les
la Chine. Les chiffres régionaux étaient les
transports. En 2001, 21% de la population mon-
suivants: 51,4% pour l’Amérique latine et les
diale, soit 1,1 milliard de personnes, vivaient
Caraïbes, 40,2% pour l’Asie du Sud et 50,5%
avec moins de 1,08 dollar EU par jour, chiffre
pour l’Afrique subsaharienne (Chen & Ravillon,
utilisé le plus souvent par la Banque mondiale
2000). Les bas salaires sont l’une des causes
pour mesurer la pauvreté absolue. (La Banque
principales de la pauvreté. On estime que 550
a été accusée de sous-estimer la pauvreté. On
millions de travailleurs font partie des working
trouvera une critique de la méthodologie utili-
poor ou travailleurs pauvres (pour cette notion,
sée dans Wade, 2004.) En 1987, le chiffre était
cf. Majid, 2001). Ils ne peuvent pas gagner suf-
encore de 28,6% et l’estimation pour 2003 se
fisamment pour se hisser, eux et leurs familles,
monte à 19,5%. Cependant, ces chiffres ne sont
au-dessus de la limite absolue de la pauvreté,
pas si encourageants si l’on considère égale-
soit 1 dollar EU par personne et par jour. Dans
ment les faits suivants: le nombre réel des gens
le monde, près de la moitié de la main-d‘œuvre
extrêmement pauvres n’a que faiblement dimi-
gagne moins de 2 dollars EU par jour.
nué au cours des années 1990. La diminution
de la pauvreté est plus lente que la croissance,
Inégalité croissante
ce qui signifie que l’inégalité règne toujours
davantage dans le monde. La réduction de la
Les deux dernières décennies ont été marquées
pauvreté n’a pas atteint tous les pays. En 2005,
par l’élargissement du fossé économique entre
54 pays étaient plus pauvres qu’en 1990. La
les régions et les pays. Le tableau 2.1 montre
plus forte proportion de pauvres se trouve en
qu’entre 1985 et 2002, le revenu moyen me-
Asie du Sud (40%) et en Afrique subsaharienne
suré en PIB a augmenté considérablement en
(46,3%). Ensemble, ces deux régions abritent
Chine et en Inde et dans les pays à revenus
environ 70% de la population vivant avec moins
élevés, beaucoup moins dans les pays à revenus
d’un dollar EU par jour. Dans 8 pays d’Afrique,
moyens et très peu dans les pays à bas revenus.
plus de la moitié des habitants vivent dans la
Bien que les habitants des pays à revenus élevés
pauvreté absolue. Entre 1987 et 1998, la pro-
ne constituent que 14% de la population mon-
portion des pauvres est demeurée constante en
diale, leur part de revenus est passée à plus de
Afrique subsaharienne, a légèrement augmenté
80% du total mondial, tandis que celle des pays
en Amérique latine et a plus que triplé en
à bas revenus a diminué de 4,5 à 2%. La Chine
Europe orientale et en Asie centrale. En Asie
et l’Inde ont augmenté leur part du volume
du Sud et de l’Est, cette proportion a diminué.
commercial et des mouvements de capitaux
En tout, 799 millions d’habitants des pays en
mondiaux, mais les pays à revenus élevés gar-
développement et 41 millions des pays déve-
dent la part du lion, tandis que les pays à reve-
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
24
LE CONTEXTE DE LA MONDIALISATION
TABLEAU 2.1:
revenus mondiaux et régionaux, exportations et mouvements de
capitaux, 1985–2002
Indicateur
milliards $ EU
Augmentation
% des parts
1985-2002
1985
2002
1985
2002
Chine et Inde
559
1922
Pays à bas revenus, sauf Inde
579
635
multipliée par 3.4
4.4
6.0
multipliée par 1.1
4.5
2.0
Pays à revenus moyens, sauf Chine
2 234
3 703
multipliée par 1.7
17.5
11.5
Pays à revenus élevés
9 393 25 867
multipliée par 2.8
73.6
80.5
12 765 32 127
multipliée par 2.5
100.0
100.0
Produit intérieur brut
Monde
Exportations de biens et de services
Chine et Inde
79
685
multipliée par 8.7
3.4
8.7
Pays à bas revenus, sauf Inde
83
215
multipliée par 2.6
3.6
2.7
334
1 227
multipliée par 2.8
18.7
15.6
Pays à revenus élevés
1 719
5 733
multipliée par 3.3
74.3
72.9
Monde
2 314
7860
multipliée par 3.4
100.0
100.0
Chine et Inde
1.7
62.0
multipliée par 37
2.9
9.8
Pays à bas revenus, sauf Inde
1.9
7.1
multipliée par 3.7
3.3
1.1
Pays à revenus moyens, sauf Chine
9.7
79.1
multipliée par 8.1
16.8
12.5
44.7
484.3
multipliée par 10.8
77.1
76.8
58
633
multipliée par 10.9
100.0
100.0
2.3
49.8
multipliée par 22.0
1.7
6.9
0.05
0.07
multipliée par 1.3
0.04
0.009
Pays à revenus moyens, sauf Chine
Apports d’IED
Pays à revenus élevés
Monde
Total des investissements en bourse
Chine et Inde
Pays à bas revenus, sauf Inde
Pays à revenus moyens, sauf Chine
9.1
30.0
multipliée par 3.3
6.7
4.2
Pays à revenus élevés
123.9
639.9
multipliée par 5.2
91.6
89.9
Monde
135.2
719.8
multipliée par 5.3
100.0
100.0
Source: Gunter & van der Hoeven, 2004, p. 10.
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
LE CONTEXTE DE LA MONDIALISATION
25
nus bas et moyens connaissent de lourdes per-
pauvres ont reçu 1% seulement de la totalité
tes qui se sont traduites par une répartition
des investissements extérieurs américains (The
encore plus inégale du commerce et des mou-
Economist, 29 septembre 2001). Au cours des
vements de capitaux entre les régions. Tant les
années 1990, les pays en développement ont
IED que les investissements en bourse sont
vu leur part des IED augmenter quelque peu,
restés concentrés dans les pays de l’OCDE. Le
mais si ces investissements transfrontaliers
groupe des pays les moins avancés n’ont béné-
sont mesurés à l’échelle de leur population, ces
ficié que de 1,25% du total des IED. Pour com-
pays restent gravement désavantagés. Tandis
prendre toute la portée du commerce sur la
que dans l’ensemble, les pays en développe-
fortune économique relative d’un pays donné,
ment sont importateurs de capitaux, il existe
il faut également examiner les changements au
aussi des cas d’exportation du Sud vers le Nord,
niveau des prix et des quantités. Entre 1985 et
notamment en Afrique subsaharienne où les
2002, les termes de l’échange, c’est-à-dire le
pays consacrent jusqu’à la moitié de leurs bud-
rapport entre les prix des importations et des
gets nationaux au service de la dette.
exportations, se sont nettement modifiés en fa-
En 2002, le total des IED atteignait envi-
veur des pays à revenus élevés et moyens et au
ron 7000 milliards de dollars EU. Comme le
détriment des pays à bas revenus (cf. indica-
montre le tableau 2.1, le volume des transferts
teurs du développement de la Banque mondia-
transfrontaliers de capitaux par le biais des in-
le, 2003).
vestissements en bourse est supérieur à celui
La plupart des échanges commerciaux et
des IED. En 1999, quelque 90% de toutes les
des mouvements de capitaux entre pays restent
fusions et acquisitions (F&A) transfrontalières,
à l’intérieur des frontières régionales ou s‘effec-
y compris la plupart des mégamarchés portant
tuent entre des pays dont le niveau de dévelop-
sur des valeurs de transaction supérieures
pement est similaire. Ainsi, par exemple, les
à 1 milliard de dollars EU, ont eu lieu dans les
importations et exportations entre les pays
pays développés. Ce sont eux dont les PIB ont
membres de l’Union européenne (UE) représen-
bénéficié le plus des fusions et acquisitions et
tent en moyenne 25% du PIB, mais les échanges
qui ont vu augmenter parallèlement les mouve-
à l’extérieur de l’UE ne se montent qu’à 8%
ments d’IED.
du PIB. En 2000, quelque 90% des IED mon-
La répartition des IED entre les pays hôtes
diaux provenaient des pays développés et 70%
est très inégale. En général, les investissements
avaient ces mêmes pays pour destination. Dix
vont en majorité vers les régions les plus déve-
pays développés ont reçu à eux seuls 74% de
loppées et celles qui sont proches des capitales,
l’ensemble des IED en 1999, et dix pays en
tandis que les régions moins avancées ou moins
développement ont bénéficié de 80% de l’en-
prospères sont ignorées, ce qui aggrave les dis-
semble des IED destinés au monde en dévelop-
parités régionales en matière de développe-
pement. Plus de 40% des IED sont allés aux
ment.
Etats-Unis; principal pays investisseur, celui-ci
La diminution des échanges commerciaux
a placé la plus grande partie de son argent
internationaux et des apports en capitaux nets,
dans le monde riche. En 2000, sur un total
ainsi que les fluctuations imprévisibles des mar-
d’IED extérieurs de 1210 milliards de dollars
chés financiers se sont traduites par un grave
EU, 81% ont été placés dans des pays à reve-
recul économique de l’Afrique subsaharienne
nus élevés, en particulier au Canada, au Japon
et de l’Amérique latine au cours des deux der-
et en Europe occidentale, et la presque totalité
nières décennies. Malgré la libéralisation rapide
du reste est allée à des pays à revenus moyens
des prix et des marchés, les privatisations,
comme le Brésil, le Mexique, l’Indonésie et la
l’essor du commerce et des IED, seuls de rares
Thaïlande. Les pays en développement les plus
pays en transition d’Europe centrale et orien-
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
26
LE CONTEXTE DE LA MONDIALISATION
TABLEAU 2.2: prospérité, inégalité des revenus et pauvreté dans quelques pays
Pays
PIB par tête
(PPP $ en 2001)
Inégalité des revenus
Coeff.
de Gini
Pauvreté
10% plus riches/ < 50 % de
10% plus pauvres
moyenne
Travailleurs
< 1$
<2$
par jour
par jour
pauvres
Pays à revenus élevés
Luxembourg
53,780
30,8
7,7
3,9
0,3*
Etats-Unis
34,320
40,8
16,6
17,0
13,6*
Danemark
29,000
24,7
8,1
9,2
Allemagne
25,350
38,2
14,2
7,5
7,3*
Suède
24,180
25,0
5,9
6,6
6,3*
Royaume-Uni
24,160
36,1
13,4
12,5
15,7*
République tchèque
14,720
25,4
5,2
4,9
Afrique du Sud
11,5
35,8
18,4
4,2
Pays à revenus moyens
11,290
59,3
65,1
Pologne
9,450
31,6
7,8
12,6
Chili
9,190
57,5
20,7
Fédération russe
7,100
48,7
20,3
7,0
25,1
Brésil
7,360
59,1
65,8
9,9
25,3
Roumanie
5,830
28,2
7,2
2,8
27,5
5,1
Pérou
4,570
46,2
22,3
15,5
41,4
Ukraine
4,350
29,0
6,4
2,9
45,6
16,8
Chine
4,020
40,3
12,7
18,5
53,7
19,1
Egypte
3,520
28,9
8,0
3,1
52,7
3,3
Indonésie
2,940
31,7
7,8
7,7
55,3
15,7
Honduras
2,830
59,0
49,1
23,8
44,4
41.8
Inde
2,840
37,9
9,5
34,7
79,9
45,4
Bangladesh
1,610
33,6
6,8
29,1
77,8
30,0
Népal
1,310
36,7
9,3
37,7
82,5
38,9
Kenya
980
44,5
15,6
26,5
62,3
27,3
Pays à bas revenus
Nigeria
850
50,6
24,9
70,2
90,8
72,4
Mali
810
60,5
26,2
72,8
90,5
75,1
Tanzanie
520
38,2
10,8
19,9
59,7
20,5
Sierra Leone
470
62,9
87,2
57,0
74,5
56,1
OCDE
23,363
Monde
7,376
Sources: PNUD, Rapport sur le développement humain, 2003; OIT Tendances mondiales de l’emploi, 2003; Majid 2001.
*Pourcentage de la population disposant de moins de 11 dollars E.-U. par jour
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
LE CONTEXTE DE LA MONDIALISATION
27
tale ainsi que d’Asie centrale ont commencé à
au cours des années 1990 (FMI, 2000). Entre
se rapprocher du niveau de prospérité que
1960 et 2000, les différences de revenus ont
connaît l’Europe occidentale, et la plupart
augmenté dans 48 pays sur 73 pays suivis, re-
continuent à en être très loin (UNECE, 2001, p.
présentant 80% de la population mondiale. Les
49).
différences sont demeurées les mêmes dans 16
Le tableau 2.2 illustre l’incroyable inéga-
pays et elles ont diminué dans 9 paye (PNUD,
lité économique et sociale existant entre les
2002, p. 20). Même en Chine et en Inde où,
pays à l’aube du 21e siècle. Il montre le fossé
selon les statistiques de la Banque mondiale, la
béant entre les revenus moyens des pays les
pauvreté absolue a diminué, on assiste à une
plus riches et les plus pauvres. Le PIB moyen
polarisation marquée des revenus individuels.
par tête au Luxembourg représente 114 fois
Alors que près de 90% des familles chinoises
celui de la Sierra Leone. Au Luxembourg, seul
urbaines indiquaient que leurs revenus et leur
0,3% de la population ne dispose que de 2 dol-
consommation avaient augmenté depuis l’en-
lars EU par personne et par jour, tandis que
trée du pays dans l’OMC, les familles rurales
dans certains pays africains, cette proportion
voyaient leurs revenus diminuer de 0,7%. Les
s’élève à 90%. Dans les pays à bas revenus, la
plus défavorisées parmi ces dernières avaient
part des travailleurs pauvres, c’est-à-dire des
même subi une diminution notable – 6% – de
gens frappés par la pauvreté bien qu’ils aient
leur niveau de vie (Banque mondiale, 2005 b).
du travail, atteint 75%.
Dans le monde industrialisé, les inégalités en
La disparité des revenus entre pays riches
et pauvres ne cesse de s’accentuer. En 1960, le
matière de salaires et de revenus étaient particulièrement marquées (voir encadré 2.1).
PIB par tête dans les 20 pays les plus riches
L’inégalité des salaires s’est accrue dans
était 18 fois supérieur à celui des 20 pays les
les années 1980 et 1990, renversant ainsi une
plus pauvres. En 1995, le fossé s’était élargi et
tendance constatée dans de nombreux pays
ce chiffre était passé à 37. L’évolution à long
entre les années 1950 et 1970. On constate que
terme confirme cette tendance: le rapport entre
dans les deux tiers des 77 pays pour lesquels
les 20% les plus riches de l’humanité et les 20%
on dispose de données fiables, cette inégalité
les plus pauvres était de 3 à 1 en 1820; en 1913,
va croissant (Cornia, 1998). Dans de nombreux
il était de 11 à 1, de 30 à 1 en 1970 et de 86 à 1
pays d’Afrique et d’Amérique latine, la part
en 1990, ce qui signifie qu’à cette date les 20%
des salaires dans la valeur ajoutée des indus-
les plus riches de la population mondiale dispo-
tries était plus basse dans les années 1990 que
saient de 86% de la richesse totale (PNUD,
dans les années 1970 (van der Hoeven, 2000).
1999). Le niveau de vie des gens et des pays ne
Les différences de salaires entre les pays pour
s’était pas égalisé, contrairement à ce qu’affirme
des activités similaires se sont également accrues,
la théorie de la mondialisation.
compte tenu des taux de change (Freeman &
Le tableau 2.2 montre également les gran-
Oostendorp, 1991). Les inégalités entre indi-
des différences de revenus à l’intérieur des pays,
vidus ont elles aussi augmenté plus fortement
indiquées par le rapport entre les 10% les plus
au cours des dernières décennies que durant la
riches et les 10% les plus pauvres, le pour-
première partie du 20e siècle (Bourguignon &
centage d’habitants disposant de moins de la
Morrisson, 1999). Au cours des années 1990,
moitié du revenu moyen et le coefficient de
ces disparités ont pris une ampleur sans précé-
Gini, qui mesure le degré d’inégalité dans la
dent dans de nombreux pays en transition. En
répartition des revenus sur une échelle de 0 à
Russie, par exemple, le coefficient de Gini des
1. Si l’on prend tous les pays pour lesquels on
revenus par habitant est passé à 48,7%, soit
dispose de données fiables, la valeur moyenne
plus du double de ce qu’il était en 1989. Dans
du coefficient de Gini est passée de 0,40 à 0,48
de nombreux pays, les salaires réels des tra-
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
28
LE CONTEXTE DE LA MONDIALISATION
ENCADRÉ 2.1: Stagnation des salaires réels et inégalités croissantes des revenus
et des salaires dans les pays industrialisés
Dans les pays industrialisés, et notamment au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, les inégalités en matière de salaires ont
augmenté au cours des 20 dernières années. Aux Etats-Unis, pas exemple, les salaires réels moyens ont diminué de 2,8%
au cours des années 1980, mais cette diminution a été de 16,9% pour la main-d‘œuvre non qualifiée, tandis que pour les
emplois situés dans le tiers supérieur de l‘échelle des salaires, ceux-ci augmentaient de 1,1% (John & Murphy, 1995). A la
fin des années 1990, le salaire réel moyen était considérablement inférieur à son niveau de 1973, année qui marque le
début de l‘évolution négative. En 1999, l‘augmentation moyenne nominale des salaires, soit 3,6%, était considérablement
plus modeste qu‘elle ne l‘était pendant les années 1960 et le début des années 1970, également marquées par la pénurie
d‘offre de main-d‘œuvre (Mishel, Bernstein & Schmitt; The Economist, 2000). Le travailleur moyen n‘a pas profité de la
croissance économique des 25 dernières années du 20e siècle. Ce tableau est très différent de celui des 27 années précédentes, appelées parfois «l‘âge d‘or du capitalisme», au cours desquelles le salaire moyen augmenta de près de 80% en
termes réels. Pendant les 20 dernières années, la répartition des revenus des ménages aux Etats-Unis est devenue nettement
plus inégale. Le rapport entre les revenus des 5% des ménages à revenus élevés et ceux des 20% à bas revenus est passé
de 11:1 à 19:1 (Schäfer, 2002). Les 13 000 familles les plus riches des Etats-Unis disposent de revenus presque égaux à ceux
des 20 millions les plus pauvres, et les revenus de ces 13 000 familles représentent 300 fois ceux de la famille moyenne
(Krugman, 2002, p. 65).
Les différences de revenus ont également augmenté en Europe continentale (Schulten, 2001). En Allemagne, par exemple,
la part nette des salaires dans les revenus est passée de 53% en 1980 à 44% en 2001, tandis que le taux de profit net
s‘élevait de 25% à 30%. Simultanément, la proportion des personnes touchant des bas salaires passait de 30% en 1975 à
36% actuellement, tandis que le groupe des revenus moyens baissait de 8 points pour atteindre 48%. Ces tendances,
combinées à des charges fiscales accrues frappant les employés, ont débouché sur une baisse de la demande en maind‘œuvre, de l‘épargne et des investissements publics dans les années 1990 (Schäfer, 2002). En Europe, en outre, l‘inégalité
croissante s‘est également manifestée dans le taux élevé de chômage frappant les emplois peu qualifiés de manière
disproportionnée.
Les disparités salariales accrues et le taux de chômage élevé de la main-d‘œuvre peu qualifiée constatés dans les pays
industrialisés ont incité les chercheurs à se demander si ces inégalités croissantes étaient le résultat du commerce Nord-Sud
et si elles confirment le théorème de Stolper-Samuelson qui affirme que le commerce entraîne l‘égalisation des salaires
entre les pays. Selon une étude effectuée aux Etats-Unis, le commerce explique 15 à 20% de l‘accroissement de l‘écart
entre les salaires (Cline, 1997). Une autre étude montre qu‘à la suite de l‘expansion du commerce avec les pays en développement, la demande en main-d‘œuvre peu qualifiée dans le Nord a baissé de quelque 20% au cours des années 80. Les
marchandises importées par les pays développés présentent un coefficient de main-d‘œuvre plus élevé que celles qu‘ils
exportent, si bien qu‘il y a une perte d‘emplois même en l‘absence de déficit commercial (Wood, 1994; Wood, 1995).
Cependant, d‘autres experts contestent l‘importance des rapports entre le commerce et les salaires ou le commerce et la
demande, en soulignant le faible volume (2% du PIB des pays de l‘OCDE) du commerce entre pays industrialisés et pays en
développement. Ils considèrent que les disparités salariales croissantes sont dues à l‘évolution de la technique qui entraîne
une demande accrue en travailleurs plus qualifiés (Krugman, 1995; Lee, 1996). Mais les pays recourant aux mêmes technologies connaissent des degrés de disparité différents, ce qui laisse supposer que les influences institutionnelle jouent aussi
un rôle. La diminution des salaires réels et l‘accroissement des disparités peuvent aussi résulter de la montée du chômage
et de l‘affaiblissement des syndicats au cours de cette période. Pour les Etats-Unis, on estime que la diminution de la syndicalisation expliquait 20% des disparités salariales touchant les hommes (van der Hoeven, 2000). Récemment, l‘économiste
Paul Krugman attribuait la forte augmentation des disparités salariales aux Etats-Unis à l‘évolution des normes sociales
dans le pays. Le New Deal avait imposé certaines normes d‘égalité en matière de salaires et de revenus qui sont demeurées
en vigueur pendant plus de 30 ans, créant ainsi une forte classe moyenne. Mais ces normes ont commencé à s‘affaiblir dans
les années 1970 et ont continué à le faire à une cadence accrue (Krugman, 2002).
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
LE CONTEXTE DE LA MONDIALISATION
29
vailleurs de l’industrie stagnent ou même dimi-
(57%) et le Népal (86,5%). Dans les pays où ces
nuent, tandis que les écarts s’accentuent. En
données ont été relevées pendant un certain
Amérique latine, par exemple, les salaires réels
temps, on constate que l‘économie informelle a
sont actuellement inférieurs de 4% à ce qu’ils
augmenté au cours des années 1990 (OIT
étaient en 1980, tandis que le salaire minimum
2002b, p. 12–14). Son augmentation a été par-
en termes réels a diminué de 30%.
ticulièrement rapide dans les pays en transi-
A cause du chômage, de la pauvreté et des
tion d‘Europe orientale et centrale et d‘Asie
grandes différences de revenus entre les pays,
centrale. En pour-cent du PNB, l‘économie in-
de nombreuses personnes cherchent un em-
formelle dépasse actuellement l‘économie for-
ploi à l‘étranger. L‘OIT estime qu‘à l‘heure ac-
melle en Azerbaïdjan, en Georgie et en Ukraine
tuelle le nombre total des travailleurs migrants
et elle lui est presque égale en Arménie, au
dans le monde s‘élève à quelque 120 millions,
Belarus, en Moldavie et en Russie.
y compris les membres de leurs familles, soit
75 millions de plus qu‘en 1965. Selon l‘Organi-
Déficits de «travail décent»
sation internationale pour les migrations (OIM),
le nombre des personnes qui résident tempo-
Divers indicateurs signalent de graves problè-
rairement ou définitivement en dehors de leur
mes ou lacunes en matière de conditions socia-
pays d‘origine est de quelque 180 millions. Entre
les ou de travail, ainsi que le non respect des
1970 et 1990, le nombre des pays connaissant
NIT. L’OIT parle à ce sujet de «déficits de travail
une émigration de main-d‘œuvre d‘une certaine
décent» (Cf. OIT 2001, p. 7 ss). Par exemple,
ampleur est passé de 29 à 55, et celui des pays
seuls 20% de l’ensemble de la population mon-
d‘immigration de la main-d‘œuvre de 39 à 76.
diale bénéficient d’une forme de sécurité so-
Tout indique que dans de nombreuses régions,
ciale et 75% des chômeurs ne reçoivent aucune
les pressions migratrices vont s‘aggraver
compensation. Dans de nombreux pays à bas
(Stalker, 2000). Un grand nombre d‘immigrants
revenus, les mesures d’assurance contre la
permanents et de réfugiés, ainsi que de travail-
vieillesse et l’invalidité ou contre la maladie ne
leurs migrants, qui cherchent une activité ré-
touchent qu’une infime proportion de la popu-
munérée et joignent les rangs de la main-d‘œu-
lation. Un récent rapport de l’OIT montre que
vre sont victimes de la discrimination et de la
la très grande majorité des gens connaissent la
xénophobie dans leurs pays de destination.
précarité économique. Près des trois quarts de
La croissance du chômage, du sous-emploi
tous les travailleurs vivent dans des pays où la
et de la pauvreté est aussi largement respon-
sécurité économique est faible; seuls 8% habi-
sable de l‘augmentation de l‘économie infor-
tent des pays qui garantissent une sécurité
melle dans de nombreux pays, notamment en
économique digne de ce nom (OIT 2004b).
Afrique et en Amérique latine. On dispose d‘in-
Le travail forcé, qui s’oppose au travail
formations sur la relation entre l‘emploi infor-
décent, fait l’objet d’une condamnation univer-
mel et le total de l‘emploi dans 42 pays. Sur ce
selle. Pourtant il ne s’agit pas d’un vestige
nombre, 17 connaissaient un secteur informel
d’époques révolues; il existe bel et bien de nos
de l‘emploi représentant plus de la moitié du
jours et présente un visage nouveau mais tout
total, et dans quatre pays seulement l‘emploi
aussi repoussant. Dans le monde, 12,3 millions
informel représentait moins de 10% de l‘en-
de personnes sont soumises au travail forcé,
semble. Parmi les pays avec un secteur informel
dont 9,8 millions sont exploitées par des privés
particulièrement développé figurent le Pérou
(OIT 2005b). Dans certaines régions, on pratique
(60,6%), le Brésil (43,4%), l‘Ethiopie (64,8%), la
toujours les formes traditionnelles de travail
République unie de Tanzanie (85,3%), l‘Inde
forcé, comme l’esclavage par chosification et le
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
30
LE CONTEXTE DE LA MONDIALISATION
travail sous contrainte, mais les principales
Asie et dans le Pacifique que se trouve le plus
formes actuellement en vigueur comprennent
grand nombre d’enfants exerçant une activité
l’esclavage, les enlèvements, la participation
économique, tandis que c’est l’Afrique sub-
obligatoire aux travaux d’utilité publique, le
saharienne qui compte la plus forte proportion
travail agricole forcé dans certaines régions
de travailleurs enfants par rapport à la popula-
rurales reculées (systèmes de recrutement coer-
tion. Contrairement à une opinion répandue, le
citif), le travail domestique forcé, le travail sous
travail des enfants n’est pas l’apanage des pays
contrainte et le travail forcé imposé par les mili-
pauvres ou en développement. On compte 2,5
taires. Les pauvres et les illettrés, particulière-
millions de travailleurs enfants dans les écono-
ment vulnérables à la manipulation et à l’ex-
mies développées et 2,5 millions également
ploitation, se retrouvent souvent dans de telles
dans les économies de transition. Près des trois
situations. Dans le contexte des marchés mon-
quarts des travailleurs enfants sont soumis aux
diaux, d’autres formes, comme les trafics de
pires formes d’exploitation – esclavage, trafic,
personnes, apparaissent un peu partout (OIT
servitude pour dettes, exploitation sexuelle,
2001c). Selon des estimations de l’OIT, le nom-
conflits armés, travaux dangereux. En 2002 au
bre des personnes subissant le travail forcé à
moins 5 gouvernements de pays développés re-
la suite de trafics atteint 2,45 millions, dont de
connaissaient devant l’OIT que l’une ou l’autre
nombreux enfants et femmes exploités dans
des pires formes de travail des enfants exis-
l’industrie du sexe (OIT 2005b).
taient chez eux. Bien que la part du travail des
En 2004, l’OIT estimait que 246 millions
enfants varie en fonction du niveau des reve-
d’enfants entre 5 et 14 ans étaient des travail-
nus par tête, la croissance économique n’en-
leurs enfants. Dans le monde actuel, un enfant
traîne pas automatiquement sa disparition.
sur six doit travailler, accomplissant des tâches
Malgré les législations condamnant cette forme
qui entravent son développement mental, phy-
de travail adoptées par de nombreux pays en
sique et psychique. 73 millions de travailleurs
développement, les chiffres qui la concernent
enfants ont moins de 10 ans. Le tableau 2.3
ont augmenté au cours des dernières décen-
montre les effectifs et les pourcentages de ré-
nies. Cela est dû en partie au déplacement du
partition du travail des enfants en fonction du
travail des enfants du cadre informel de la
niveau de développement et des régions pour
famille à celui des emplois rémunérés, plus
l’année 2000. D’après ces chiffres, c’est en
visible (Gunter & van der Hoeven, 2004). Si le
TABLEAU 2.3: Estimation du nombre d’enfants de 5 à 14 ans ayant une
activité économique en 2000
Région
Nombre d’enfants ayant une
% du total
% du nombre
une activité économique (millions)
mondial
total des enfants
Economies développées
2.5
1
2
Economies de transition
2.4
1
4
127.3
60
19
17.4
8
16
48
23
29
Moyen-Orient et Afrique du Nord
13.4
6
16
Total
211
-
16
Asie et Pacifique
Amérique latine et Caraïbes
Afrique subsaharienne
Source: OIT 2002, p. 19
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
LE CONTEXTE DE LA MONDIALISATION
31
TABLEAU 2.4: Inégalité entre les sexes dans divers pays – proportion des femmes
ayant un emploi et leur part des revenus en 2002
Pays
Taux d’activité
Femmes occupant
Administratrices
Rapport entre
économique des
des postes
et managers
les revenus des
femmes en %
(% des femmes)
celui des hommes
des hommes
de ministériels
femmes et ceux
(% du total)
(estimation)
Suède
89
55.0
31
0.83
Finlande
87
44.4
28
0.70
Canada
83
24.3
34
0.63
Etats-Unis
82
31.8
46
0.62
Japon
68
5.7
10
0.46
Argentine
48
7.3
26
0.37
Mexique
48
11.7
25
0.38
82
–
37
0.64
Venezuela
54
0.0
2.7
0.41
Arabie Saoudite
29
–
1.0
0.21
Chine
86
5.1
–
0.66
Sri Lanka
56
–
4
0.57
Namibie
59
16.3
67
0.51
Pakistan
44
–
9
0.33
Yémen
37
–
4
0.30
Tanzanie
93
–
–
0.71
Sierra Leone
54
8.1
–
0.41
Pays fortement développés
Pays moyennement développés
Russie
Pays peu développés
Source: PNUD, Rapport sur le développement humain 2004, indicateurs 25 et 27.
plus grand nombre de travailleurs enfants se
due à la discrimination en matière d’emploi et
trouvent dans l’économie informelle, ils sont
d’activité. Les inégalités de traitement fondées
également nombreux dans l’agriculture, la pêche,
sur la race, la caste, l’origine ethnique, la cou-
la manufacture, le tourisme, le travail de maison,
leur de la peau, la religion, la santé et les han-
la construction, les mines et les carrières.
dicaps constituent un phénomène généralisé.
Presque partout dans le monde, on constate
Dans de nombreuses régions, la liberté d’as-
l’inégalité entre hommes et femmes en ce qui
sociation est bafouée. En 2003, par exemple, la
concerne la qualité des emplois et le niveau des
Confédération internationale des syndicats libres
salaires, mais le degré d’inégalité varie forte-
(CISL) recensait des violations des droits syndi-
ment en fonction des pays (Cf. tableau 2.4). Une
caux dans 134 pays – fermeture ou pillage de
grande partie de l’inégalité entre les sexes est
bureaux de syndicats, confiscation des fichiers
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
32
LE CONTEXTE DE LA MONDIALISATION
par des représentants du gouvernement, en-
disparités sociales persistantes, voire croissan-
trave au droit de grève, discrimination, intimi-
tes, à l’intérieur des pays et entre eux, d’une
dation, harcèlement, persécution politique,
part, et la circulation sans précédent des capi-
emprisonnement voire meurtre de syndicalis-
taux privés, des marchandises et des services
tes. Rien qu’en Amérique latine, pas moins de
connue sous le nom de mondialisation, d’autre
206 syndicalistes ont été assassinés en 2002
part. Il y a là un paradoxe, car on s’attend –
(CISL 2003). Dans les zones franches d’expor-
comme le fait notamment l’économie classique
tation (ZFE), on empêche souvent les travail-
– à ce que l’intensification du commerce et de
leurs d’être représentés et de bénéficier de né-
la circulation des capitaux améliore le niveau
gociations collectives. Dans la grande majorité
de la productivité, la croissance du PIB, l’em-
des pays, seule une petite partie de la main-
ploi et les revenus. Il est évident que la libéra-
d‘œuvre bénéficie de conventions collectives
lisation du commerce a offert de nouvelles pos-
de travail.
sibilités à certains groupes, en particulier aux
Dans le monde entier, la moyenne annuelle
milieux du commerce et aux consommateurs,
des accidents du travail s’élève à 250 millions.
et à certains pays. En même temps, d’autres en
Chaque année, plus de 2 millions de personnes
ont pâti, notamment les nombreux travailleurs
décèdent à la suite d’accidents liés à leur tra-
qui ont perdu leur emploi. En bien des endroits,
vail ou de maladies professionnelles. Dans de
les créations d’emplois n’ont pas compensé les
nombreux pays en développement, le taux de
disparitions. Le sentiment d’insécurité en ma-
mortalité des travailleurs est cinq à six fois plus
tière d’emploi et les inquiétudes au sujet des
élevé que dans les pays industrialisés. Chaque
chances offertes à l’avenir par le marché du
année, plus de 160 millions de travailleurs tom-
travail s’intensifient presque partout, même
bent malades à la suite des risques que présen-
aux Etats-Unis durant la longue période de
te leur lieu de travail. Parmi les plus touchés
croissance économique et de faible chômage
figurent les plus pauvres et les moins protégés
des années 1990. De récents sondages mon-
– souvent les femmes, les enfants et les mi-
trent que les travailleurs américains redoutent
grants.
davantage – et non pas moins – de perdre leurs
L’évolution défavorable de l’économie et la
emplois. Tout indique que cette insécurité per-
détérioration des conditions sociales tendent à
manente des travailleurs dépend dans une
se renforcer mutuellement. Par exemple, dans
large mesure de l’augmentation rapide de
de nombreux pays l’affaiblissement du syndi-
l’ampleur et de la fréquence des déplacements
calisme a des conséquences néfastes sur les
de capitaux et des restructurations qu’ils en-
conditions de vie des travailleurs. Une étude
traînent. Plus de la moitié des entreprises exa-
sur l’inégalité en Amérique latine réalisée pour
minées dans le cadre d’une étude américaine
l’OCDE montre que les attaques politiques
menacent de fermer leurs usines et de se dé-
contre les syndicats et les institutions démo-
placer dans un autre pays face aux campagnes
cratiques sont la cause d’une grande partie de
des syndicats. Dans certains secteurs, cette
l’augmentation des inégalités de revenus dans
proportion s’élève à 68%. L’étude montre aussi
cette région (Robinson, 2001).
que seul un petit nombre d’usines (5%) ont été
fermées et déplacées, mais la manière de per-
b) Caractère ambivalent de la
mondialisation
cevoir la réalité devient partie intégrante de
celle-ci (Bronfenbrenner, 2000). Le sentiment
largement répandu de l’insécurité de l’emploi
Toujours plus nombreuses sont les personnes
peut expliquer la montée des réactions protec-
qui voient une relation entre le marasme éco-
tionnistes. Un sondage effectué aux Etats-Unis
nomique et social où se trouve le monde et les
en 2000 par NBC pour le Wall Street Journal
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
LE CONTEXTE DE LA MONDIALISATION
33
montre que 58% des Américains interrogés es-
(Dessing, 2002). En outre, une étude portant
timent que le commerce extérieur fait perdre
sur l’industrie de l’équipement montre qu’à la
des emplois et baisser les salaires. Selon un
suite des délocalisations la part du travail dans
sondage de Harris pour Business Weeks, lors-
la valeur ajoutée a diminué: alors qu’elle était
qu’on demande aux Américains leurs vues sur
de 60 à 80% dans les pays développés, elle
le commerce, seuls 10% mentionnent «le libre
n’est plus que de 20 à 50% dans les pays en
échange», 50%, «le commerce équitable» et
développement (OIT 1997a; OIT 1998b).
37% «le commerce protectionniste» (Weisbrot
Dans de nombreux secteurs économiques,
et al., 2000). Depuis le milieu des années 1970,
la délocalisation de l’emploi vers le Sud a en-
selon Eurobarometer, on a vu grandir constam-
gendré des conditions de travail plus dures. On
ment l’insécurité des travailleurs et des con-
citera par exemple les rapports consacrés aux
sommateurs européens.
épouvantables conditions de travail des marins
En outre, il est évident que la montée de la
employés sur des bateaux naviguant sous des
mondialisation contribue à l’extrême inégalité
pavillons de complaisance de pays à bas sa-
des chances entre les pays. Certains d’entre
laires. La concurrence entre les armateurs de
eux ont progressé, mais beaucoup ont reculé.
bateaux ne répondant pas aux normes s’est
Le Botswana est le seul des pays les moins
intensifiée à un tel point au cours de la dernière
avancés qui soit passé dans le groupe des pays
décennie que même les compagnies maritimes
à revenus moyens. Dans le monde en dévelop-
qui souhaitent employer des équipages quali-
pement, de nombreux pays sont marginalisés
fiés ne peuvent résister aux pressions de celles
économiquement.
qui recourent à des équipages non qualifiés en-
L’aspect négatif de la mondialisation se
gagés à bas prix. Un autre exemple est fourni
manifeste également lorsqu’on considère les
par la destruction des bateaux hors d’usage,
secteurs économiques. La production a été dé-
qui s’est déplacée des ports européens et nord-
placée du monde occidental au tiers-monde,
américains vers ceux de la Chine et de la Ré-
où elle est censée améliorer les possibilités
publique de Corée, puis vers ceux de l’Inde, du
d’emploi et les revenus. Dans ce domaine pour-
Pakistan et du Bangladesh. Dans ces derniers
tant, on parvient à des conclusions pour le
pays, le démontage des navires est effectué à la
moins ambiguës: souvent, la mondialisation a
main par des travailleurs qui sont forcés d’ac-
aboli les emplois existants en éliminant les
cepter ces tâches aussi sales que dangereuses.
compagnies autochtones. Il n’est pas non plus
Le démontage des navires est ainsi devenu
confirmé que la croissance induite par les expor-
l’une des industries les plus «sauvages» qui
tations favorise l’emploi dans ce secteur et le
soient, laissant dans son sillage des amoncelle-
déplace dans les secteurs des importations. Une
ments de débris et de détritus et de nombreux
récente étude économétrique de la CNUCED
cas d’accidents graves, voire mortels (cf. OIT
portant sur 18 pays en développement, plus la
2000e).
République de Corée, montre que l’augmenta-
Certains observateurs s’attendaient à ce
tion des exportations ou des importations n’a
que les profondes disparités économiques dans
guère d’effet sur les emplois industriels., du
le monde s’atténuent avec la généralisation des
fait que les pays en développement adoptent
technologies de l’information et de la communi-
des technologies «modernes» à coefficient éle-
cation (TIC), mais ces espoirs étaient préma-
vé de capitaux pour être compétitives sur les
turés. La révolution technologique n’a pas tou-
marchés mondiaux, tout en renonçant aux im-
ché tout le monde, mais a bien plutôt creusé un
portations à bas prix, et que ces deux tendan-
«fossé numérique» à l’intérieur des pays et
ces ont pour effet de délocaliser les entreprises
entre eux (Castells, 1999; OIT 2001b). Les dis-
locales à coefficient élevé de main-d‘œuvre
parités entre pays industrialisés et pays en
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
34
LE CONTEXTE DE LA MONDIALISATION
développement en matière de mise à disposi-
sus en cours de mondialisation économique
tion des TIC, d’accès à Internet et de conditions
pourra se poursuivre. Si la technologie moder-
favorables au progrès technologique sont ex-
ne de l’information et de la communication
trêmement fortes.
poursuivra certainement ses progrès, la libéra-
La libéralisation des marchés financiers a
lisation du marché pourrait bien connaître un
créé des flux financiers instables et suscité
recul brutal, à moins que les effets de ce pro-
l’insécurité dans de nombreux pays, tout en
cessus ne soient modifiés pour qu’un nombre
aggravant les problèmes de l’emploi et les ris-
accru de pays et de personnes en profitent.
ques subis par les employés. Les mouvements
L’aggravation des inégalités, de l’injustice et de
de capitaux à grande échelle et à court terme,
l’insécurité risquent de déboucher sur une
occasionnés par l’abolition prématurés des con-
désintégration sociale susceptible de provo-
trôles sur les comptes, ont engendré la crise
quer des explosions sociales et politiques. Dans
financière qui a frappé en Asie du Sud-Est des
une enquête, The Economist décrit comme suit
pays comme la Corée, la Thaïlande, l’Indoné-
les réactions de l’opinion publique à la mon-
sie, la Malaisie et Taiwan. Les assauts spécula-
dialisation: «Les gens sont troublés, inquiets et
tifs contre les devises de ces pays ont aboli une
soupçonneux. Cette tendance de l’opinion est
partie de leurs gains antérieurs, tout en profi-
nuisible à la démocratie et au développement
tant aux banques occidentales (pour une dis-
économique» (The Economist, 29 septembre
cussion détaillée des origines et des effets de la
2001). Le fait est que l’histoire nous enseigne
crise asiatique, cf. Stiglitz 2002a, chapitre 4).
que le développement inégal menace la démo-
Parmi les autres pays touchés par d’importan-
cratie et la cohésion sociale. Au cours du 20e
tes crises financières au cours des années 1990
siècle, le chômage élevé et les grandes inégali-
et au début du 21e siècle figurent la Russie, le
tés entre les pays européens ont engendré
Mexique, le Brésil et l’Argentine. Depuis l’effon-
l’extrémisme politique, tant de droite que de
drement en 1973 du système de Bretton Woods,
gauche. Vers la fin de ce même siècle, les clas-
avec ses comptes de capitaux fermés et ses
ses moyennes des pays asiatiques, frappées
taux de change fixes, les crises financières se
par la dérégulation des mouvements financiers
sont multipliées. Il y a des indices toujours plus
et la crise économique qui en a résulté, ont per-
nombreux de l’existence d’un lien entre la libé-
du confiance dans le système financier mon-
ralisation et les crises financières. Le FMI
dial. Or ces classes avaient été le soutien des
estime qu’entre 1980 et 1996, les deux tiers de
mouvements démocratiques et de la réforme
ses pays membres ont connu des crises notables
économique. En l’absence d’une plus grande
dans le secteur monétaire ou bancaire (Lind-
justice sociale, on pourrait bien voir se dessi-
gren et al., 1996), les unes conduisant souvent
ner à l’horizon de nouveaux mouvements de
aux autres et ayant des effets de contagion sur
radicalisation et des désordres politiques dif-
les pays voisins. Les taux de change instables
ficilement maîtrisables.
menacent le libre échange du fait qu’ils peu-
Malgré l’insécurité, l’inégalité et les condi-
vent facilement abolir les avantages compara-
tions de travail inacceptables liées directement
tifs au niveau des coûts. Ils suscitent une con-
ou indirectement à la mondialisation, ce serait
currence indésirable entre les pays, au lieu
pourtant une tragique erreur que de faire por-
d’une saine concurrence entre les entreprises.
ter la responsabilité des maux économiques et
Les problèmes des fluctuations de grande
sociaux actuels aux moyens de cette mondiali-
ampleur des taux de change n’ont pas pu être
sation, à savoir le commerce et les mouvements
résolus dans le système multilatéral.
de capitaux internationaux. La source princi-
Les promesses non réalisées de la mon-
pale du problème se trouve dans les politiques
dialisation incitent à se demander si le proces-
malencontreuses qui déterminent le processus
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
LE CONTEXTE DE LA MONDIALISATION
35
de mondialisation, ou plus précisément l’ab-
tives plus modestes sont obligés de se déplacer
sence de contrôle social. Là où l’augmentation
et de s’endetter. La concentration et la centralis-
du commerce et des IED a été accompagnée
ation de la production agricole va en augmen-
d’une protection sociale et du soutien insti-
tant. Plus de 50% de la production des Etats-
tutionnel aux ajustements nécessaires, les
Unis provient de 2% seulement des exploitations,
résultats ont été en grande partie positifs.
tandis que 9% de la production provient de
L’élargissement du fossé entre les pays et plus
73% des exploitations (UITA 2003).
particulièrement la marginalisation des pays
A la suite notamment de la pression des
les moins avancés résultent du fait qu’ils n’ont
institutions financières internationales, un grand
pas accès aux marchés internationaux, qu’ils
nombre de pays pauvres ont ouvert rapidement
sont laissés de côté par les investissements
leurs marchés et ont assisté ainsi à la dispari-
étrangers ou encore qu’ils sont victimes de ter-
tion de leurs industries indigènes. L’un des
mes de l’échange extrêmement injustes et de
exemples les plus frappants nous est donné
flux d’investissements très irréguliers. L’aug-
par l’industrie zambienne du textile, qui a dis-
mentation de la part des pays en développe-
paru à la suite de la libéralisation rapide des
ment dans les exportations mondiale provient
importations, imposée par le FMI comme con-
de la concentration de cette croissance dans 13
dition à ses prêts (cf. encadré 2.2).
pays seulement, dont 10 d’Asie et 3 d’Amé-
L‘industrie zambienne du textile n‘est pas
rique latine (Ghose, 2000). Les pays riches im-
la seule qui ait disparu presque entièrement à
posent des droits assez élevés aux fabricants et
la suite du commerce des vêtements usagés
aux producteurs agricoles des pays en dévelop-
en provenance des pays industrialisés. Dès le
pement. Dans les pays développés, les subven-
milieu des années 1980, le marché du vête-
tions à l’agriculture sont supérieures au PIB
ment au Kenya a été lui aussi submergé d‘im-
total des pays subsahariens. La Banque mon-
portations de marchandises usagées cassant
diale estime que rien qu’aux Etats-Unis et en
les prix des produits indigènes. Des conteneurs
Europe, les subventions aux agriculteurs s’élè-
de 135 tonnes de vêtements usagés d‘une
vent à 300 milliards de dollars EU par année,
valeur de 17 200 dollars EU sont périodique-
ce qui cause une perte de ressources annuelle
ment déchargés dans le port de Mombasa à
de 19,8 milliards de dollars EU aux pays en
destination du marché de Gikomba, près de
développement. Ensemble, les tarifs douaniers
Nairobi, où la marchandise est prise en charge
et les subventions font augmenter de manière
par des grossistes qui réalisent des bénéfices
excessive les importations dans les pays en
considérables. Il en est résulté une chute des
développement et opposent des obstacles con-
emplois dans le secteur indigène du textile et
sidérables à leurs exportations. On ne saurait
de la confection, qui sont passés de 80 000 à
parler ici de «libre échange» ni de «commerce
10 000. En plus des emplois de l‘industrie,
équitable».
ceux de la culture indigène du coton ont égale-
Il convient de noter que les subventions
ment souffert. Entre-temps, l‘importation de
agricoles ne causent pas seulement du tort aux
vêtements usagés bon marché a été déclarée
paysans des pays en développement, mais aussi
illégale en Egypte et en Afrique du Sud (DGB/
qu’elle nuisent aux droits des consommateurs
IG Metall 2001).
et à la sécurité de l’alimentation dans les pays
Dans la pratique, il n‘est pas toujours fa-
développés qui subventionnent leurs exporta-
cile de distinguer entre les effets de la mon-
tions. En effet, les subventions sont générale-
dialisation économique et ceux de l‘évolution
ment attribués aux grandes exploitations agri-
des modèles économiques vers ce que l‘on ap-
coles et à ce que l’on appelle l’agrobusiness,
pelle la «doctrine néolibérale» ou «Consensus
tandis que bien des petits paysans et coopéra-
de Washington», car ces deux tendances se
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
36
LE CONTEXTE DE LA MONDIALISATION
ENCADRÉ 2.2: Le dépotoir: désireuse d‘accéder aux marchés occidentaux, la Zambie
est submergée de marchandises usagées
La Zambie possédait naguère une industrie textile florissante. Mais lorsque les responsables du gouvernement, il y a une
dizaine d’années, se mirent à ouvrir l’économie au commerce étranger, des tonnes de vêtements d’occasion bon marché et
pratiquement exemptés de droits de douane déferlèrent sur le pays. Pas très efficientes, les fabriques de vêtements
zambiennes subirent la concurrence de commerçants en gros qui pouvaient livrer des vêtements passables et peu coûteux,
sans devoir payer les prix demandés par les fabricants ni s’acquitter des droits de douane naguère imposés pour protéger
l’industrie du pays. C’est ainsi que l’industrie textile de la Zambie disparut presque entièrement. En 8 ans, près de 30 000
emplois passèrent à la trappe, remplacés par un réseau informel de nombreux vendeurs ambulants qui, au bord des routes
ou sur les marchés, encouragent les clients à «fouiller dans le tas», ou salaula, comme se nomme cette activité en langue
bemba. [...] L’expansion du commerce mondial postérieure à la fin de la Guerre froide a fait de l’Afrique le dépotoir de ce
que le monde industrialisé ne veut plus ou n’utilise plus: c’est un déferlement de vêtements usagés, de voitures d’occasion,
de vieux meubles, outils et armes.
[….] Les responsables de la Banque mondiale reconnaissent que l’effondrement de l’industrie textile zambienne est une
conséquence involontaire et regrettable des politiques de libre échange préconisées par cette organisation. Depuis 1999, la
Banque collabore avec la Zambie et d’autres pays pour intégrer des «stratégies de réduction de la pauvreté» dans leurs
conceptions traditionnelles. «Le commerce international est en évolution constante», déclare Raymond Toye, porte-parole
de la Banque mondiale, «et il existe toutes sortes de contraintes en matière de commerce avec l’Afrique dont nous n’avons
peut-être pas toujours tenu compte.» «Nous avons commis l’erreur de confondre libre échange et développement», déclare
Fred M’membe, éditeur de The Post, unique journal indépendant du pays. «Je ne dis pas que nous devrions nous tenir à
l’écart du monde, comme nous le faisions auparavant, mais nous ne considérons pas comment développer notre pays, Nous
considérons comment nous pouvons le vendre à des gens de l’extérieur pour qu’ils le développent à notre place. Nous en
revenons à cette vieille situation coloniale où nous, Africains, ne possédons rien, ne contrôlons rien et ne dirigeons rien dans
le pays qui est le nôtre. Nous serons bientôt étrangers dans notre propre pays.»
Source: extraits d’un article de Jon Jeter dans The Washington Post, 20 avril 2002.
manifestent conjointement depuis une trentaine
nal, tout en maintenant la réglementation des
d‘années. Dans une large mesure, les effets né-
importations et les subventions. La Chine n‘a
fastes mentionnés plus haut sont dus beaucoup
pas encore libéralisé ses comptes de capitaux.
plus au nouveau régime de libéralisation et de
De même, les pays d‘Asie orientale ne se sont
privatisation rapide et sans contrainte qu‘à
pas contentés de profiter de leurs «avantages
l‘intégration économique en soi. Les pays en
comparatifs» mais ont commencé à développer
développement présentant la plus forte crois-
leur propre potentiel industriel. Les activités
sance du PIB dans les années 1990, y compris
des STN étrangères sont soumises à des contrô-
la Chine, la République de Corée, le Vietnam, la
les pour veiller à ce qu‘elles soient conformes
Malaisie et l‘Inde, n‘ont pas été les seuls à
aux objectifs nationaux visant le transfert et
appliquer strictement les principes du libre
l‘amélioration des technologies et la mise en
échange et de la privatisation. Ils ont profité
place de règles tendant à faire en sorte que les
des chances offertes par le marché internatio-
industries indigènes bénéficient le plus pos-
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
LE CONTEXTE DE LA MONDIALISATION
37
sible des retombées technologiques et écono-
ment la meilleure – de réaliser l‘intégration éco-
miques. Les pays industrialisés les plus déve-
nomique et le développement. Il existe d‘autres
loppés, et notamment les Etats-Unis, les pays
solutions qui ne considèrent pas que la mon-
de l‘UE et le Japon, ont acquis leur prospérité
dialisation est synonyme de libéralisation des
grâce à des économies mixtes et soumises à de
marchés. D‘autres approches ne comptent pas
nombreuses réglementations, et leur ouverture
seulement sur l‘abolition des barrières et des
s‘est faite de manière sélective, lente et pru-
contrôles et sur le démantèlement de l‘Etat pro-
dente. Ils ont décidé de protéger leurs indus-
vidence, mais tentent de réglementer à nouveau
tries «au berceau» et de limiter les investisse-
l‘économie pour prendre en compte les inté-
ments étrangers. En vertu de quoi interdirait-on
rêts de tous ses acteurs. On prend peu à peu
aux pays en développement d‘adopter ces mê-
conscience, dans le système multilatéral, que
mes procédés? Qu‘est-ce qui justifie d‘imposer
pour que la mondialisation profite à la majorité
les dispositions de l‘OMC sur les investisse-
de la population mondiale, il faut que le com-
ments, inspirées par les pays du Nord, aux
merce repose sur un système de protection
pays du Sud, procédé dans lequel deux obser-
cohérent, dont font partie les institutions finan-
vateurs voient l‘illustration du principe «Faites
cières internationales (IFI), l‘Organisation mon-
comme je dis, mais non comme je fais» (Chang
diale du commerce (OMC), l‘Organisation inter-
& Green, 2003)?
nationale du travail (OIT) et d‘autres instances
De nombreux partisans de la mondialisa-
internationales. En 2002, M. Supachai, direc-
tion, ainsi que de nombreux adversaires, sem-
teur général de l‘OMC, a souligné que «les poli-
blent croire qu‘il s‘agit là d‘une force naturelle
tiques commerciales n‘existent pas dans le
ou irrésistible contre laquelle on ne peut rien.
vide; elles ont besoin d‘autres politiques qui
Cette manière de voir sous-estime gravement
leur assurent un soutien et un accompagne-
le rôle de la politique et de ses options. La mon-
ment mutuels». La Banque mondiale en est
dialisation n‘arrive pas «sans crier gare», et
venue à reconnaître qu‘il faut des réformes des
elle n‘est pas non plus guidée par une main
institutions et des réglementations «derrière
invisible, «elle est rendue possible par des
les frontières» pour que les avantages de la libé-
hommes et des femmes qui ont de grands inté-
ralisation soient maximisés (Banque mondiale,
rêts à protéger et beaucoup d‘argent à leur dis-
2003). Les politiques et les structures éco-
position» (Ministère danois des Affaires étran-
nomiques et sociales doivent être équilibrées
gères, 1996, p.35). Il convient de faire des
aux niveaux national et mondial, et les deux
efforts politiques non pas pour stopper ce pro-
composantes du développement social et éco-
cessus mais pour le diriger vers des résultats
nomique doivent être intégrées, synchronisées
largement acceptables. Nous devons apprendre
et placées sur un pied d‘égalité
à saisir les chances économiques et sociales
Ce serait faire preuve de myopie que de
offertes par une économie ouverte, en évitant
nier les chances de progrès social inhérentes à
ses retombées défavorables ou en les limitant.
la mondialisation. Il ne faut pas oublier que
Le processus de mondialisation doit être civilisé
l‘ouverture d‘Etats naguère protégés et de mar-
et soumis à un contrôle démocratique. Telle est
chés non explorés ont mis en lumière un grand
également la conclusion fondamentale du rap-
nombre d‘abus. L‘un des effets les plus évidents
port de la Commission mondiale sur la dimen-
de la mondialisation réside dans le fait que les
sion sociale de la mondialisation, publié en
gens ne se comparent plus seulement à leurs
2004.
concitoyens mais aussi aux habitants d‘autres
Il doit être clair que la voie néolibérale ne
pays. Cela est manifeste dans le domaine du
représente qu‘une manière – et pas nécessaire-
travail. La prise de conscience de l‘existence
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
38
LE CONTEXTE DE LA MONDIALISATION
largement répandue du travail des enfants, du
31,7% dans les pays de l’UE, et de 37,6% à
travail forcé et des activités très dangereuses
30,8% dans ceux de l’OCDE (Commission mon-
– par exemple de l‘utilisation de substances
diale, 2004). La part des revenus du travail
toxiques sur les lieux de travail – s‘est généra-
dans le total des revenus a diminué, tandis que
lisée au fur et à mesure que les barrières inter-
celle des bénéfices et des actifs capitalisés aug-
nationales tombaient. Pour lutter au niveau
mentait pratiquement partout.
international contre les abus liés au travail, il
Au vu de telles inégalités, il n’est pas éton-
est indispensable d‘en avoir connaissance. Les
nant que les prétendus bénéfices de la mondia-
conditions de travail les plus déplorables ne se
lisation soient mis en doute dans l’opinion
trouvent en général pas dans les entreprises
publique – et jusque dans certains conseils
liées aux investissements étrangers, mais dans
d’administration. Des centaines de milliers de
les secteurs protégés de l‘économie indigène.
personnes, dont de nombreux syndicalistes,
Les pays en développement ne doivent pas être
ont manifesté contre la politique de mondiali-
tenus à l‘écart des bénéfices potentiels du com-
sation, par exemple lors de la Réunion ministé-
merce, de même qu‘il ne faut pas refuser aux
rielle de l’OMC à Seattle en 1999 et à l’occasion
sociétés multinationales la possibilité de trans-
de réunions du Fonds monétaire international,
férer dans ces pays leurs connaissances et
de la Banque mondiale, du G-8 et des sommets
leurs pratiques en matière de réglementation
de l’UE. Les critiques et opposants de la mon-
du travail.
dialisation ont été toujours plus nombreux à se
La mondialisation doit acquérir «un visage
réunir à plusieurs reprises dans la ville de Porto
humain» (Kofi Annan). La réalisation de cet
Alegre, au Brésil, pour exprimer leur mécon-
objectif exige une volonté politique claire, la
tentement face aux décisions irresponsables et à
modification des modèles de politique écono-
la gestion aberrante de l’économie mondiale.
mique existants et une meilleure conduite des
Les premiers pas en direction d’un chan-
affaires mondiales. Elle exige également que la
gement de politique ont été accomplis. Lors de
politique et la conduite des affaires évoluent au
plusieurs sommets mondiaux des années 1990,
même rythme que l’intégration économique
on a fixé les objectifs du développement à
internationale, ce qui n’est guère le cas actuel-
atteindre d’ici à 2015, appelés Objectifs du Mil-
lement. Il n’est pas surprenant que, dans les
lénaire pour le développement. Ils comprennent
pays en développement en particulier, les de-
la réduction de moitié de l’extrême pauvreté et
mandes de ralentir le processus d’intégration
de la faim d’ici à 2015; l’égalité des sexes et
économique se fassent toujours plus insistan-
l’autonomisation des femmes; l’accès généra-
tes. Les coûts et les bénéfices de la mondialisa-
lisé à l’éducation primaire et aux services de
tion devront être répartis plus équitablement.
santé; la réduction de la mortalité infantile;
Souvent, les travailleurs sont doublement dé-
l’amélioration de la santé maternelle; la lutte
favorisés: non seulement ils perdent leurs
contre le VIH/sida et d’autres maladies; la réa-
emplois et leurs revenus mais encore ils assu-
lisation d’un environnement durable et la mise
ment en grande partie les coûts de l’aide à
en place d’un partenariat mondial pour le dé-
l’ajustement en s’acquittant d’une part tou-
veloppement. Toutefois, étant donné la gravité
jours accrue des impôts, tandis que la charge
des maux économiques et sociaux évoqués plus
fiscale des sociétés transnationales est réduite
haut et la lenteur des réformes, il est douteux
pour les inciter à rester dans le pays. Par
que ces objectifs soient atteints. Pour diminuer
exemple, entre 1996 et 2003, le taux d’imposi-
de moitié la pauvreté extrême d’ici à 2015, il
tion moyen des sociétés est passé de 39% à
faudrait que le nombre des pauvres tombe à
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
LE CONTEXTE DE LA MONDIALISATION
39
658 millions. Or, si les tendances actuelles ne
«Le processus actuel de mondialisation en-
se modifient pas, on estime que ce nombre
gendre un déséquilibre des revenus, tant entre
sera de 968 millions à cette date (Oxford Analy-
les pays qu’à l’intérieur de ceux-ci. On crée de
tica, 27 janvier 2005).
la richesse, mais trop nombreux sont ceux qui
Pour résumer ce chapitre, la mondialisation
n’en profitent pas et n’ont rien à dire en matière
s’est énormément développée au cours des der-
de détermination de ce processus (Commission
nières décennies, mais pour le moment, ses ef-
mondiale sur la dimension sociale de la mon-
fets économiques et sociaux sont défavorables
dialisation, 2004, p. x).
pour la majorité des pays et de leurs habitants.
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
40
LES NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL, UN SUJET CONTESTÉ
3. Les normes internationales du travail, un sujet contesté
En quoi les NIT peuvent-elles contribuer à améliorer le sort des travailleurs dans le monde?
a) Qu’est-ce que les NIT
(normes internationales du travail)?
Comment aideront-elles à atteindre les objectifs de l’agenda international du développe-
Le terme de «norme du travail» a deux sens
ment? Quel rôle joueront-elles en tant qu’élé-
distincts, ce qui a provoqué des malentendus et
ment d’un cadre de règles universelles conçu
des confusions. Le premier sens renvoie aux
pour canaliser le processus de la mondialisa-
termes et conditions effectives d’emploi, de
tion dans une direction plus tolérable?
travail et de santé des travailleurs en un lieu et
Telles sont les questions qui seront traitées
en un temps donnés. Il désigne la situation ef-
dans ce chapitre et le suivant. Nous esquisse-
fective de la main-d’œuvre, en recourant habi-
rons ci-dessous les principales controverses
tuellement aux statistiques indiquant le niveau
concernant le rôle, la portée et l’impact des NIT.
national moyen de l’instruction et de la forma-
Nous présenterons et évaluerons en particulier
tion professionnelle, des salaires, horaires de
les arguments en faveur et contre la définition
travail, santé et sécurité au travail, sécurité
de normes. Les controverses portent sur les su-
sociale, etc.. Nous parlerons ici de «conditions
jets suivants:
de travail». Le second sens de «norme du tra-
I) Impact économique des NIT. Contrairement
vail» est normatif ou prescriptif. Ces normes-là
aux partisans des NIT qui mettent l’accent
fixent ce que devraient être les termes et condi-
sur la nécessité d’appliquer des règles re-
tions du travail. Elles spécifient les droits fon-
connues internationalement pour améliorer
damentaux des travailleurs: liberté d’associa-
les conditions de travail et d’existence des
tion, négociation collective, interdiction du
travailleurs, les économistes classiques esti-
travail forcé ou obligatoire, interdiction du tra-
ment que les conditions de travail s’amélio-
vail des enfants, interdiction de la discrimina-
rent «naturellement» grâce à et par la crois-
tion en matière d’emploi et de profession. Elles
sance économique. Ils croient qu’intervenir
définissent aussi les normes sociales, appelées
dans les marchés nationaux de l’emploi en
également doits économiques et sociaux, com-
imposant des NIT est inefficace, voire con-
me celles régissant l’emploi et l’apprentissage,
treproductif.
la fin de l’emploi, la santé et la sécurité au tra-
II) Universalité des NIT. L’OIT proclame que
vail, le salaire minimum, l’horaire maximum
ses instruments normatifs sont valables
par jour ou par semaine, les heures de repos
universellement pour tous les travailleurs et
minimum, les vacances payées, le congé de ma-
secteurs économiques du monde. Ce postu-
ternité, la protection des travailleurs en situa-
lat a été contesté sous prétexte que les NIT
tion particulière, comme les migrants et les
sont impraticables pour une partie de la
domestiques, la sécurité sociale, et les règles
main-d’œuvre, pour les pays moins dévelop-
s’appliquant à la résolution des conflits. Ces
pés (pris dans leur ensemble ou par seg-
règles normatives sont établies aux niveaux
ments), et pour les pays dotés de cultures et
aussi bien international que national. Elles se-
traditions particulières.
ront désormais désignées respectivement par
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
LES NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL, UN SUJET CONTESTÉ
41
«normes internationales du travail» (NIT) et
de travail limités, aux vacances payées, le droit
«normes nationales du travail» (NNT).
de se syndiquer et faire la grève, le droit à l’orien-
Les NIT sont consignées dans les Conven-
tation professionnelle et technique, à l’appren-
tions de l’OIT, qui imposent des obligations in-
tissage, enfin le droit de jouir de conditions de
ternationales aux Etats qui les ratifient, et dans
vie convenables. La Convention des Nations
les Recommandations de l’OIT, qui fournissent
Unies sur l’élimination de toutes les formes de
des directives à l’action gouvernementale. A ce
discrimination à l’égard des femmes astreint
jour, plus de 180 conventions et plus de 190
les Etats à abolir les discriminations faites aux
recommandations ont été adoptées par la
femmes en matière d’emploi et à leur assurer
Conférence internationale du travail de l’OIT
des conditions de travail saines et sûres, ainsi
(une révision et une consolidation est actuelle-
que des congés de maternité payés. La Conven-
ment en cours). Pris ensemble, ces instruments
tion relative aux droits de l’enfant astreint les
forment le «code international du travail». Les
autorités nationales à protéger les enfants de
huit conventions clés de OIT sont incorporées
la violence, des abus ou de l’exploitation.
dans la Déclaration relative aux principes et
droits fondamentaux au travail de l’OIT de
1998 et dans son suivi. Celle-ci déclare qu’en
vertu de leur adhésion à l’OIT et de leur accep-
b) Opinions contradictoires concernant
les effets économiques des normes
internationales du travail
tation de la constitution de celle-ci, tous les
membres de l’OIT ont accepté l’obligation de
Bien que peu de gens objectent à ce que la
respecter, de promouvoir et de réaliser en toute
main-d’œuvre voie s’améliorer ses conditions
bonne foi les droits fondamentaux inscrits dans
de travail et d’existence, on s’est demandé s’il
les conventions. Leurs principaux objectifs et le
était possible ou s’il fallait y parvenir par le biais
nombre de pays à les avoir ratifiés sont énu-
des NIT. Pendant longtemps, la question de
mérés au tableau 3.1.
savoir si les normes internationales aideraient
En mai 2005, le nombre total de conven-
la population laborieuse ou lui nuiraient a été
tions ratifiées par les 175 Etats membres de
chaudement discutée. On présentera ici les ar-
l’OIT était de 7290, celui des conventions fon-
guments en faveur et en défaveur des NIT.
damentales ratifiées de 1236.
A part les instruments de l’OIT, les sources
«La concurrence internationale nécessite une
du droit international du travail comprennent
réglementation internationale du marché de
d’autres accords internationaux, comme le Pac-
l’emploi»
te international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits
Dès les débuts de l’OIT, et même avant, on
économiques, sociaux et culturels des Nations
avançait que, par une sorte de «dumping in-
Unies. Le premier interdit l’esclavage, la servi-
humain», la concurrence internationale non
tude, le travail forcé et les discriminations. Le
réglementée pouvait aggraver les conditions de
second interdit la discrimination sexuelle; il
travail et créer des injustices vis-à-vis des tra-
protège le droit au travail et au choix de l’em-
vailleurs. Les normes médiocres pourraient re-
ploi, et le droit à des conditions équitables de
fouler les bonnes. En refusant aux travailleurs
travail (y compris un salaire permettant de
les droits nécessaires pour améliorer leurs
mener une vie convenable), à l’égalité de paie-
conditions d’existence, la concurrence devient
ment, à la santé et à la sécurité au travail, aux
«injuste». Le remède: une action internationale
périodes de repos, aux loisirs, à des horaires
en vue de faire appliquer des normes du travail
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
42
LES NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL, UN SUJET CONTESTÉ
TABLEAU 3.1: Conventions fondamentales (clés) de l’OIT et Nombre de ratifications
Convention
N°
Titre et objet de la
Ratifications
(janvier 2005)
N° 29
Convention sur le travail forcé (1930)
Impose la suppression de toutes les formes de travail forcé ou obligatoire.
Certaines exceptions sont tolérées, comme le service militaire, le travail
des prisonniers à condition d’être surveillé correctement, et les situations
d’urgence comme les guerres, incendies et tremblements de terre.
161
N° 87
Convention sur la liberté syndicale et la protection
du droit syndical (1948)
Etablit le droit de tous les travailleurs et employeurs à former et adhérer
à des organisations de leur choix sans autorisation préalable; fixe une série
de garanties pour le fonctionnement libre de ces organisations, sans
interférence de la part des autorités.
142
N° 98
Convention sur le droit d’organisation et de négociation collective (1949)
Assure la protection contre la discrimination anti-syndicale, la protection des
organisations de travailleurs et d’employeurs contre les ingérences respectives,
et celle des mesures encourageant la négociation collective.
154
N° 100
Convention sur l’égalité de rémunération (1951
Demande l’égalité de rémunération entre la main-d’œuvre masculine
et la main-d’œuvre féminine pour un travail de valeur égale.
161
N° 105
Convention sur l’abolition du travail forcé (1957)
Interdit le recours à toute forme de travail forcé ou obligatoire en tant que
mesure de coercition ou d’éducation politique, de sanction pour l’expression
d’opinions politiques ou idéologiques, comme méthode de mobilisation
de la main-d’œuvre à des fins économiques, en tant que mesure de discipline
du travail, de punition pour avoir participé à des grèves, ou en tant que
mesure de discrimination.
160
N° 111
Convention concernant la discrimination
(emploi et profession) (1958)
Demande une politique nationale pour éliminer toute distinction, exclusion ou
préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la religion, l’opinion politique,
l’ascendance nationale ou l’origine sociale, qui a pour effet de détruire ou d’altérer
l’égalité de chances ou de traitement en matière d’emploi ou de profession.
160
N° 138
Convention sur l’âge minimum (1973)
Vise à abolir le travail des enfants en stipulant que l’âge minimum d’admission
à l’emploi ne sera pas inférieur que l’âge de la fin de la scolarité obligatoire.
135
N° 182
Convention sur les pires formes de travail des enfants (1999)
Demande des mesures immédiates et efficaces pour interdire et éliminer les
pires formes de travail des enfants, y compris toutes les formes d’esclavage,
l’utilisation des enfants aux fins de prostitution, de pornographie, d’activités
illicites, et pour des travaux susceptibles de nuire à la santé, à la sécurité ou
à la moralité des enfants.
150
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
LES NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL, UN SUJET CONTESTÉ
43
minimum reconnues universellement et d’ins-
vail justes et humaines, aussi bien à l’intérieur
taurer par là une concurrence «juste». Ainsi,
d’un pays que dans ceux avec lesquels il entre-
interdire les syndicats, pratiquer la discrimina-
tient des relations commerciales et industriel-
tion en matière d’emploi ou appliquer des nor-
les». Quant à la constitution de l’OIT, elle
mes médiocres de sécurité et de santé ne sont
déclare en préambule que «la misère et les pri-
pas admis comme des politiques légitimes dans
vations […] engendre[nt] un tel mécontente-
le jeu de la concurrence internationale.
ment que la paix et l’harmonie universelles
Pour contenir efficacement les forces qui
sont mises en danger» et que «la non-adoption
déprimeraient le marché de l’emploi, il faut
par une nation quelconque d’un régime de tra-
une règle commune, soit un plancher pour les
vail réellement humain fait obstacle aux efforts
salaires et autres conditions d’emploi, un pla-
des autres nations désireuses d’améliorer le
fond pour les horaires de travail, et un système
sort des travailleurs dans leurs propres pays».
de droits fondamentaux des travailleurs qui
La notion de concurrence équitable implique
permette d’établir et de contrôler de règles et
celle d’une harmonisation mondiale par le haut,
règlements. Le champ d’application des normes
aboutissant à la convergence au plus haut niveau
du travail doit être congruent avec la taille des
des normes de travail et de vie. Cela peut être
marchés du travail, des produits et des capi-
réalisé en laissant par exemple les pays qui
taux. Les normes doivent s’appliquer à tous les
connaissent des normes inférieures progresser
fournisseurs et acheteurs actuels ou potentiels,
plus rapidement que ceux dotés de normes su-
pour prévenir les violations et le débordement
périeures. Les normes d’un pays ne seront pas
de conditions de travail infra-normes d’un pays
améliorées en abaissant celles d’un autre pays
à un autre. Elles sont censées inciter les pro-
ou les normes internationales. L’art. 19, al. 8
ducteurs à s’assurer que les coûts sociaux des
de la constitution de l’OIT déclare expressément
adaptations à n’importe quelle sorte de restruc-
qu’«en aucun cas, l’adoption d’une [norme OIT]
turation d’ordre commercial ne sont pas exter-
ne devr[a] être considérée comme affectant toute
nalisés, mais traités «à la source», c’est-à-dire
loi, toute sentence, toute coutume ou tout ac-
qu’ils sont assumés par le producteur là où ils
cord qui assurent des conditions plus favorables
se produisent. En outre, les normes doivent
aux travailleurs intéressés». L’harmonisation
être contraignantes et applicables. Les écono-
par le haut exclut toute stratégie d’égoïsme
mistes reconnaissent ces exigences quand ils
sacré ou de nivellement par le bas, soit un pro-
parlent de «problème de l’ouvrier non syndi-
cessus diffus, continu et potentiellement infini
qué», de «problème de l’action collective», ou
de dégradation des conditions de travail du fait
de «concurrence à couteaux tirés». Elles sont
de la concurrence entre pays à normes élevées
également évidentes pour tout syndicaliste im-
et pays à normes médiocres.
pliqué dans des négociations collectives concer-
L’argument selon lequel le progrès social
nant les termes de l’emploi et qui souhaite que
exige que tous les concurrents obéissent aux
les contrats de travail soient efficaces. En outre,
mêmes règles a une longue histoire. Au 18e
ces exigences sont familières aux employeurs
siècle déjà, Jacques Necker, ministre des finan-
qui souhaitent que les conventions collectives
ces de Louis XVI, estimait que le travail domi-
de travail fournissent des certitudes et la prise
nical ne pouvait être aboli unilatéralement en
en compte des coûts du travail pour eux-mêmes
France sans que d’autres nations commercia-
et pour leurs concurrents. Ces exigences occu-
les d’Europe ne s’alignent. La vaste expansion
pent donc une place cruciale dans la philoso-
du commerce et des investissements étrangers,
phie de l’OIT. Le Pacte de la Société des Nations,
à la veille de la Première Guerre mondiale, ac-
qui a fondé le BIT, stipule à l’art. 23, lettre a
centua la prise de conscience des dommages
que «seront appliquées des conditions de tra-
que la libéralisation du commerce pouvait infli-
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
44
LES NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL, UN SUJET CONTESTÉ
ger au personnel d’exécution. Il y avait eu
cette libéralisation fait peser sur l’emploi et les
Europe de nombreux cas où l’utilisation de
revenus est triple: 1° les produits fabriqués par
substances toxiques, nocives pour la santé des
la main-d’œuvre bon marché envahissent les
travailleurs (comme le phosphore blanc dans
marchés des pays riches; 2° dans la pays à
la fabrication d’allumettes), permettait aux
hauts salaires, les bas salaires et les normes
producteurs d’abaisser leurs coûts et de gagner
sociales médiocres sapent les efforts des syndi-
des parts de marché au détriment de pays où
cats pour améliorer les termes et les conditions
les substances toxiques étaient interdites. Pour
du travail; 3° enfin les normes médiocres inci-
empêcher ces avantages «injustes», il fallait
tent les entreprises des pays à hauts salaires à
que les pays conviennent de bannir l’usage de
délocaliser la production et les services.
tels produits. Dès la conception même de l’OIT,
Il n’existe pas de définition universelle de
le lien entre normes du travail et concurrence
termes tels que «commerce injuste» et «dum-
sur les marchés internationaux joua un rôle
ping social», et l’impact de ces pratiques est
important en tant qu’argument en faveur d’une
matière à controverse. L’Accord général sur les
politique d’élaboration de normes. D’autres
tarifs et le commerce (GATT), qui traite des
motifs importants furent la contribution des
mesures anti-dumping et des droits compensa-
normes à la paix, la justice sociale, les objectifs
toires, ne les définit pas. A part les biens pro-
sociaux et humains du développement écono-
duits en prison (art. XX.e), aucune règle n’a été
mique, enfin la consolidation des législations
élaborée pour le dumping social, qui n’est
nationales en matière de travail (Valticos 1979,
d’ailleurs pas une notion reçue en politique du
pp. 20-36). Mais en dernière analyse, la contro-
commerce. Selon l’art. VI du GATT, il y a dum-
verse se concentra sur l’effet des NIT sur la
ping lorsque un produit est vendu dans un
concurrence internationale.
autre pays en dessous de sa «valeur normale»
Le spectre de la dégradation des conditions
(en général, le prix du produit sur le marché du
de travail et la nécessité consécutive d’une
pays exportateur) et que ces exportations bra-
réglementation internationale du marché de
dées lèsent l’industrie du pays importateur. La
l’emploi s’accentuèrent au cours de la vague de
«valeur normale» est définie entre autres com-
mondialisation qui commença dans les années
me «les coûts de production raisonnables».
1970. Premièrement, par rapport à l’expan-
L’art. VI du GATT ne mentionne pas explicite-
sion précédente du commerce et des investisse-
ment les coûts du travail. Néanmoins, du fait
ments transfrontaliers avant la Première Guerre
que le travail est indispensable à la produc-
mondiale, un beaucoup plus grand nombre de
tion, on pourrait argumenter que les «coûts
pays étaient entrés en concurrence dans l’éco-
raisonnables du travail» sont ceux qui résul-
nomie mondiale, d’où une dispersion con-
tent de conditions dans lesquelles les travail-
sidérable des niveaux de revenu, salaires, coûts
leurs peuvent exiger une «valeur raisonnable»
du travail et conditions de travail, et une con-
pour le travail accompli. Ce sera normalement
currence accrue en matière de coûts et de «sys-
le cas – pourrait-on poursuivre le raisonnement
tèmes». Grâce à l’accessibilité de la technologie
– si le recours à la main-d’œuvre est conforme
moderne, les pays rivalisent désormais de plus
aux normes reconnues du travail. Le commer-
en plus sur les mêmes marchés avec les mêmes
ce de biens produits en violation des NIT pour-
produits. Deuxièmement, en plus de l’expansion
rait donc être taxé de dumping social. En fait,
du commerce, les marchés financiers et ceux
même s’il n’y a pas de prix différent pour le
des capitaux ont été libéralisés, d’où une vague
produit vendu au pays et à l’étranger, les termes
d’investissements étrangers directs et de trans-
de «commerce injuste» et «dumping social»
actions financières transfrontalières, spécula-
sont souvent utilisés dans ce sens dans les dis-
tion sur les changes comprise. La menace que
cussions sur la politique du travail.
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
LES NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL, UN SUJET CONTESTÉ
45
Une interprétation plus large du dumping
merce devraient être empêchées ou amorties
social englobe la pratique fréquente de niveaux
en recourant à des mesures d’assistance, y
de rétribution qui ne sont pas congruents avec
compris des politiques actives du marché de
les niveaux de productivité, de sorte que les
l’emploi et de protection sociale, c’est une autre
coûts unitaires du travail sont artificiellement
question (voir chap. 5).
bas, ou inférieurs à ce qu’ils seraient si les NIT
étaient respectés. Parmi les procédés répandus
«L’amélioration des conditions de travail est
pour comprimer les coûts du travail, on citera
fonction de la croissance économique»
la fixation du salaire minimum statutaire à un
niveau très bas, la renonciation générale aux
L’économie classique s’oppose à l’idée de régle-
salaires minimum, la restriction de la liberté
mentation internationale du marché du travail.
syndicale et des négociations collectives, le re-
La doctrine était qu’une action internationale
cours au travail forcé et la réduction des dé-
pour améliorer les conditions de travail serait
penses pour la sécurité au travail, la protection
futile, voire nuisible. Elle contrevenait aux «lois
sociale et les services sociaux. Parfois, la con-
de l’économie». L’outil permettant de hisser
currence injuste affectant les conditions de
chaque pays au niveau suprême de prospérité
travail est comprise encore plus largement, par
était la concurrence économique incondition-
exemple quand un pays est accusé de mainte-
nelle et illimitée, tant à l’intérieur d’un pays
nir la valeur extérieure de sa monnaie à un
qu’entre pays. Ainsi, l’injonction faite à la poli-
niveau faible pour améliorer ses exportations,
tique économique était exactement à l’opposé
ou de se procurer une longueur d’avance en
de ce que préconisait l’OIT, qui jugeait que le
accordant des subsides à l’exportation à ses
travail devait être exclu de la concurrence. En
producteurs. Les effets sur le marché importa-
outre, la doctrine économique classique pos-
teur de produits subventionnés ou bradés peu-
tulait que les conditions de travail et d’existen-
vent être les mêmes.
ce dépendaient du revenu réel de chaque pays:
Il faudrait souligner cependant que des
même en admettant des variations dans la
coûts du travail bas ne constituent pas automa-
répartition du produit, les horaires de travail
tiquement une concurrence injuste ou du dum-
seront inexorablement longs, les salaires bas,
ping social. La sous-traitance ou la délocalisa-
et les conditions de travail pénibles, si le revenu
tion de production ne sauraient non plus être
réel total du pays est bas par rapport au nombre
considérées comme injustes en elles-mêmes.
des habitants, alors que le contraire se produira
Ces pratiques peuvent valoir un avantage com-
si l’effort économique du pays est plus efficace.
paratif légitime aux pays à coûts inférieurs,
Les conditions de travail ne pouvaient être
pourvu qu’elles ne résultent pas d’une volonté
améliorées «artificiellement» au-delà de ce que
d’ignorer les règles et règlements du droit na-
permettait la croissance économique. Là en-
tional et du code international du travail. De
core, il y avait désaccord manifeste avec l’OIT.
nos jours, presque tous les pays du monde –
Dès l’entrée en fonction d’Albert Thomas, son
dont les grandes nations commerçantes – sont
premier directeur général, celle-ci affirma en
membres de l’OIT. En vertu de leur qualité de
effet que les conditions de travail ne s’amélio-
membre, ils ont accepté de se plier aux NIT
reraient pas simplement dans la foulée du pro-
fondamentales. De ce point de vue, il n’y a pas
grès économique, mais qu’elles exigeaient une
de base morale ou juridique permettant de se
méthode active, fondée sur des droits juridi-
livrer au commerce injuste socialement. Quant
ques et des accords internationaux.
à savoir si les violations des normes universel-
Confrontée aux assertions persistantes
les du travail justifient le blocus des exporta-
selon lesquelles toute action de l’OIT contre-
tions ou si les injustices sociales dues au com-
viendrait aux grands principes économiques,
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
46
LES NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL, UN SUJET CONTESTÉ
l’OIT invita en 1927 l’économiste américain
vail de se dégrader. Mais ils peuvent provoquer
Herbert Feis à donner son avis «impartial» sur
des pertes économiques s’ils empêchent certains
la «désirabilité» économique des NIT. Le profes-
changements fondamentaux de se réaliser dans
seur Feis conclut que le conflit entre le dogme
les conditions de la concurrence entre pays,
économique et les arguments en faveur des
auquel cas les changements peuvent entraîner
NIT pouvait être résolu (Feis 1927). Il argu-
une hausse des prix. Les accords internatio-
menta que, dans le commerce, la recherche du
naux peuvent aussi rendre le progrès industriel
«plus grand avantage comparatif» aboutirait à
plus difficile pour les pays où les conditions
une spécialisation mondiale, qui augmenterait
sont les pires. Enfin, la prospérité de certains
à son tour le revenu réel de tous les pays. Il
groupes de travailleurs et de capitalistes enga-
souligna cependant que les bénéfices du com-
gés dans les industries de différents pays peut
merce reviendraient largement aux consom-
être affectée négativement faute de liberté per-
mateurs [sous forme de prix plus bas pour les
mettant de réviser les normes à la baisse pour
marchandises et d’accès à une plus grande va-
affronter les changements temporaires ou per-
riété de biens et services, WS], alors que les
manents de leur situation face à la concurrence.
effets sur les producteurs, et en particulier sur
Feis ajoute ensuite que le fait que les gains
les travailleurs, pourraient être destructeurs.
retirés des NIT compensent ou non les pertes
Le modèle économique classique postulait que
subies dépend de trois facteurs: premièrement,
les travailleurs et les capitaux déplacés par la
des chances d’améliorer l’efficacité des indus-
délocalisation de la production pourraient
tries par la coopération et les efforts communs
changer rapidement d’affectation, quitter une
dans le pays même; deuxièmement, de la répar-
industrie où les concurrents étrangers étaient
tition équitable du produit entre capital et tra-
capables de vendre à moindre prix et entrer
vail; et troisièmement, de la volonté de quelques
dans une autre industrie où l’avantage compa-
pays d’améliorer les conditions de travail, l’ab-
ratif serait plus grand. Le capital et la main-
sence de cette volonté pouvant en dissuader
d’œuvre retrouveraient ainsi vite un nouvel
d’autres à rechercher des améliorations.
emploi. Or ce ne devait être que rarement le
Les débuts de la controverse à propos des
cas, en réalité. Plusieurs des industries soumi-
NIT sont bien illustrés par la question de la
ses à la concurrence internationale travaillent
réduction des horaires de travail. Avant la Pre-
à une échelle gigantesque, avec d’énormes in-
mière Guerre mondiale, réduire les horaires de
vestissements fixes. Leurs travailleurs ne peu-
travail – souvent excessivement longs – était
vent trouver d’emploi ailleurs qu’au prix de
jugé irréaliste presque universellement. Puis, à
grandes difficultés et pour autant que l’écono-
la première Conférence internationale du tra-
mie soit dans une phase élevée d’activité indus-
vail (Washington D.C., 1919), un accord fut
trielle et d’expansion. Les déplacements de la
conclu limitant l’horaire journalier à 8 heures
concurrence internationale peuvent donc pro-
et l’horaire hebdomadaire à 48. Cet accord
voquer le chômage et une grave dégradation des
devint la première convention de l’OIT. Mais
conditions de travail, en dessous des normes
comme nous le savons par les écrits d’Albert
supportables par la productivité de tous les pays
Thomas, un retour de bâton se produisit peu
ou de quelques-uns. Ces effets peuvent perdurer
après, atténuant les chances de ratification et
considérablement et compromettre indirecte-
de mise en œuvre de la convention. On craignait
ment toute la situation industrielle d’un pays.
des pertes de production et un boycott de la part
Une fois que les conditions de travail d’un pays
des consommateurs à cause des prix élevés in-
sont médiocres, elles tendent à se perpétuer.
duits par les normes, ce qui découragea les
Les accords internationaux sur les normes du
autorités nationales de les mettre rapidement
travail peuvent empêcher les conditions de tra-
en pratique (Thomas 1921, p.11).
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
LES NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL, UN SUJET CONTESTÉ
47
Depuis les années 1920, le contexte poli-
Il peut être instructif de citer quelques éco-
tique et économique a considérablement changé
nomistes orthodoxes contemporains. Dans une
et les arguments pour et contre les normes ont
conférence publique donnée à l’OIT en 1996,
été modifiés. Les problèmes fondamentaux de-
Jeffrey Sachs, qui dirigeait alors le Harvard
meurent, néanmoins. Nous assistons toujours
Institute for International Development et avait
à l’opposition entre
été le conseiller illustre de plusieurs gouverne-
• ceux – avant tout des syndicalistes et des
ments d’Amérique latine et d’Europe de l’Est,
économistes non orthodoxes, mais aussi
déclarait
quelques représentants du monde des af-
«Les pires ennemis de la croissance sont
faires – qui agitent la menace du dumping
les normes de travail généralisées, qui imposent
social et du nivellement par le bas, et qui
soit des normes, soit des conditions minimum
demandent des mesures pour faire respec-
pour des salaires plus élevés et plus justes, ou,
ter le droit international du travail et em-
pire encore, qui prévoient de généraliser les sa-
pêcher ainsi les réfractaires de se procurer
laires à toute l’économie» (Sachs 1996, p. 14).
un avantage injuste, et
• ceux – avant tout des économistes clas-
Comme politique face à la mondialisation,
Sachs préconise ce qui suit.
siques et des politiciens partisans du pro-
«Il nous faut rechercher de meilleurs systè-
gramme néo-libéral – qui avancent que les
mes fiscaux – imposition zéro ou autre mécanis-
fondamentaux économiques plus ou moins
me –, mais non imposer des conditions minimum
déterminants ne laissent aucune place aux
de travail ou même des stratégies institution-
actions injustifiées, économiquement par-
nelles de négociation collective aux pays en dé-
lant. Pour eux, l’amélioration des termes de
veloppement. A mon avis, le coût de telles condi-
l’emploi et des conditions de travail est dé-
tions et stratégies pourrait être tout à fait
terminée intrinsèquement par le rythme de
substantiel pour les pays en développement et
la croissance économique et ne peut être in-
ne procurer que des gains modestes – pour
duite par des accords internationaux. L’en-
autant qu’il y en ait – aux pays avancés» (Sachs
treprise, le secteur ou le pays qui viole la
1996, p. 13).
logique économique ne verra pas ses condi-
Les économistes contemporains du com-
tions de travail s’améliorer réellement. Pire,
merce ont toujours affirmé que le développe-
il risque d’être puni par un niveau plus faible
ment économique – et la prospérité consécutive
d’emploi, de revenu du travail et de prospé-
des travailleurs – profiteraient le plus d’un
rité. Vu l’effet négatif des NIT sur le rende-
régime commercial libéral (Srinivasan 1990,
ment et la croissance, les pays en dévelop-
Bhagwati 1994, etc.). De ce point de vue, les
pement frappés de pauvreté auront plus de
pays en développement peuvent attirer les in-
difficulté à rattraper les pays économique-
vestisseurs étrangers et locaux en esquivant les
ment avancés du nord.
NIT, en particulier dans les secteurs d’expor-
Les deux écoles de pensée admettent explicite-
tation gourmands en main-d’œuvre. Quelques
ment ou implicitement que le respect des NIT
économistes ont argumenté que l’imposition
augmentera provisoirement ou définitivement
des NIT, en particulier celle des normes liées
le coût de la main-d’œuvre. Mais alors que les
au commerce, pourraient devenir une forme
néo-libéraux croient que ce coût ne sera pas
de protectionnisme masqué de la part des pays
compensé par les bénéfices retirés des normes
industriels avancés en privant les pays en dé-
du travail imposées, les partisans des normes
veloppement de leurs avantages comparatifs, à
affirment que leurs bénéfices dépassent leurs
savoir le faible coût de la main-d’œuvre (voir
coûts.
Bhagwati et Hudec 1999, Brown 2000, Singh
et Zammit 2000, etc.). Cette opinion a été re-
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
48
LES NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL, UN SUJET CONTESTÉ
prise par les gouvernements de plusieurs pays
venu total qui revient à la main-d’œuvre – que
en développement.
de la répartition des revenus individuels, mon-
D’après Ajit Singh et Ann Zammit (2000),
tre que les travailleurs peuvent être désavan-
ce n’est pas par méchanceté ou perversité des
tagés. Il est indéniable que le niveau des salai-
gouvernements que les NIT ne sont pas mis en
res dépend de celui de la productivité nationale,
œuvre dans les pays du tiers-monde; il peut y
et que ce dernier est un tremplin vers l’amélio-
avoir de bonnes raisons, liées à des circonstan-
ration des conditions nationales de travail. De
ces et structures économiques particulières –
récentes études empiriques ont établi que, d’un
notamment la taille de l’économie informelle –
pays à l’autre, 80 à 90 % des variations de la
de ne pas respecter les normes obligatoires du
rémunération nationale pouvaient être expli-
travail. Les auteurs insistent sur le fait que les
quées par des différences de productivité du
bas salaires ne donnent pas d’avantage injuste
travail (Rodrik 1999a, Flanagan 2002). Il y a
aux pays du sud par rapport à ceux du nord. Le
cependant des pays, comme le Mexique ou la
commerce avec les pays en développement
Turquie, où les salaires ont crû, mais avec un
n’est donc pas la première cause des problèmes
décalage, ou ont pris du retard par rapport à
qui affectent un grand nombre de travailleurs
l’augmentation de la productivité. Contraire-
du nord. Pour étayer leur thèse, les auteurs no-
ment à ce qu’affirment Singh et Zammit, c’est
tent que les salaires croissent plus rapidement
aussi le cas des pays exportateurs d’Asie (OIT
que la productivité dans les nouveaux pays in-
2005, p. 90). Il est évident qu’à long terme, les
dustriels d’Asie du sud-est, phénomène rendu
salaires moyens ne peuvent être relevés au-des-
possible, à leur avis, par l’absence de syndi-
sus du taux d’amélioration de la productivité
cats. En outre, l’excédent de produits manufac-
sans provoquer des conséquences négatives
turés des pays industriels vendus aux pays en
graves, comme une inflation. Mais l’histoire ne
développement montre que les travailleurs du
s’arrête pas là. La question est de savoir ce qui
nord ne souffrent pas du commerce. Si les con-
détermine l’amélioration de la productivité,
ditions de travail se détériorent, au nord ou au
donc quel est le facteur principal de la crois-
sud, il faut l’attribuer à la liberté du commerce,
sance économique. A-t-il un lien quelconque
à la mobilité des capitaux et à la souplesse du
avec les normes du travail, qu’elles soient na-
marché de l’emploi au sein même des nations.
tionales ou internationales? Si les normes – les
La réaction correcte consisterait à stimuler la
fondamentales et les concrètes – ont un effet
croissance économique et les mutations struc-
positif sur la performance économique d’une
turelles, tout en veillant à prendre des mesures
nation, comme le montre plus loin le chapitre
pour réduire la misère et les inégalités, y com-
4, elles sont alors non seulement un résultat
pris sur le marché de l’emploi (Singh et Zam-
(output) de la croissance, mais aussi un intrant
mit 2000).
(input). En fait, les NIT pourraient être encore
Il n’y a aucun doute que la croissance éco-
plus importantes pour les pays en développe-
nomique favorise l’amélioration des conditions
ment, où la raison principale de la pauvreté est
de travail, mais elle ne la garantit pas. C’est
la faible productivité des activités économiques.
une condition nécessaire, mais non suffisante.
Ne pas tenir compte de ce lien et postuler que
Comme le dit Feis, cela dépend de la réparti-
la causalité ne va que dans le sens croissance
tion du produit entre travail et capital. En ma-
économique – conditions de travail, et non
tière de répartition, la croissance n’est pas
dans les deux sens (= causalité circulaire), est
neutre. L’inégalité accrue, ces dernières décen-
peut-être la faiblesse majeure de l’argumen-
nies, sur le plan tant de la répartition des re-
tation économique classique contre les NIT.
venus fonctionnels – c’est-à-dire la part du re-
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
LES NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL, UN SUJET CONTESTÉ
«Les NIT faussent le marché du travail»
49
autres restrictions de la concurrence qui créent
des distorsions du marché du travail et institu-
En évaluant le dogme économique classique,
tionnalisent la sclérose de toute l’économie. Ils
Feis reconnaît que les NIT sont nécessaires
renchérissent la production en élevant le ni-
pour brider les dommages que la concurrence
veau des salaires au-dessus du point d’équili-
peut infliger aux travailleurs et que la répartition
bre fixé par le marché, empêchent l’efficacité
des gains contribue à faire accepter les boule-
et brident la souplesse requise pour les adapta-
versements industriels. A l’opposé, la doctrine
tions; ils créent des rentes de situation privilé-
économique néoclassique est catégorique: la
giées (membres d’un syndicat), excluent les
concurrence illimitée, les forces sans entraves
outsiders moins chanceux (travailleurs non syn-
du marché et une répartition des revenus
diqués) et accroissent donc les inégalités; ils
dictée uniquement par le marché produisent
découragent les investissements, bloquent la
nécessairement les meilleurs résultats écono-
croissance économique et interdisent ou frei-
miques, y compris en matière d’emploi et de
nent les adaptations urgentes du marché pour
travail. Les NIT fausseraient les mécanismes
répondre aux chocs extérieurs. Le résultat de
du marché et l’empêcheraient de produire des
ces «mauvaises» normes du travail, affirment
résultats optimaux.
les avocats du marché libre, est d’une part un
En partant d’une concurrence et d’une in-
gaspillage, dû à une affectation fautive des res-
formation parfaites, le modèle néoclassique du
sources, provoquée elle-même par une distor-
marché du travail affirme que le jeu libre des
sion des structures salariales, et de l’autre des
forces de l’offre et de la demande entraîne un
pertes résultant du chômage induit (pour un
état d’équilibre, une affectation optimale des
résumé de la critique néoclassique des normes,
ressources productives. Ce libre jeu induit aussi
voir Freeman 1992 et Wilkinson 1995). La
la répartition équitable des recettes économiques
théorie étaie l’acte d’accusation dressé contre
en fonction de la contribution de chaque facteur
le soutien statutaire aux syndicats, les conven-
de production et de la productivité marginale
tions collectives de travail et l’Etat-providence.
de chaque travailleur. Ainsi, les écarts de salaire
D’après Gary Fields, les politiques égalitaires
reflètent les variations d’habileté et de zèle
sont
d’un travailleur à l’autre, donc les différences
contre-productives dans les pays en dévelop-
entre leur contribution à la valeur ajoutée.
pement où, à cause de la pléthore de main-
Pour Alfred Marshall, c’est le marché libre qui
d’œuvre, n’importe quel travail, à n’importe
instaure la «normalisation véritable» du travail
quelles conditions, est tenu pour meilleur que
et des salaires (Marshall 1982, p.558). La con-
pas de travail du tout. Cette vue des choses im-
currence oblige les entreprises à être de «bons»
plique que les pays en développement ne peu-
employeurs et à vouer toute leur attention aux
vent vouloir à la fois davantage de travail et de
facteurs de rendement des postes de travail –
meilleurs emplois (Fields 1990).
particulièrement
considérées
comme
des conditions de travail à l’organisation du
La thèse des économistes classiques selon
travail et à l’implication des travailleurs dans
laquelle les NIT sont un obstacle plutôt qu’une
les prises de décisions.
aide au progrès social a repris de la vigueur ces
Ne pas «laisser les choses évoluer en toute
deux ou trois dernières décennies, où la concur-
liberté» entraîne une normalisation «fausse»
rence internationale s’est intensifiée dans la
du travail et des salaires (Marshall, ibidem).
foulée des privatisations généralisées et de la
Les syndicats, les négociations collectives, les
libéralisation des marchés des biens et des
salaires minimum, l’Etat-providence, etc. sont
capitaux. La réglementation du marché du
considérés comme des monopoles, cartels et
travail et les dispositions trop généreuses en
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
50
LES NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL, UN SUJET CONTESTÉ
matière de sécurité sociale sont considérées
négatif. Si l’on relativise l’hypothèse de la con-
comme des handicaps pour un pays qui veut
currence parfaite au niveau des travailleurs ou
attirer des investissements étrangers directs.
des employeurs, ou qu’on admet que l’intro-
Les gouvernements agissant d’une façon qui
duction ou le relèvement du salaire minimum
déplaît aux marchés, par exemple en prélevant
peut affecter l’offre de main-d’œuvre domes-
des impôts ou des redevances sociales élevés,
tique et la demande globale, on ne peut plus pré-
sont pénalisés inexorablement par une dimi-
dire son impact sur l’emploi. La perte de rigueur
nution des capitaux entrants, une contraction de
et de la capacité prédictive est peut-être la rai-
la production, une augmentation du chômage et
son pour laquelle tant d’économistes préfèrent
des déficits de la sécurité sociale.
s’en tenir au modèle pur.
Les économistes néoclassiques n’ont tou-
D’autres économistes ont réagi en affirmant
tefois pas manqué de noter que le marché dé-
que les anomalies ne se produisaient que parce
bridé ne produit souvent pas les résultats op-
que les nouvelles politiques de dérégulation de
timaux promis par le modèle. Il y a eu des
l’emploi n’avaient pas été assez loin. Un exemple
«complications» et des «anomalies», comme la
récent est l’aggravation, en Pologne, des dispa-
persistance de niveaux très bas de salaire même
rités régionales en matière d’emploi. Les éco-
en période de manque de main-d’œuvre, de
nomistes néoclassiques en accusent le salaire
chômage même quand la demande globale de
minimum et préconisent d’y renoncer ou de
main-d’œuvre était forte, et de misère malgré
l’abaisser, même s’il ne représente pas plus de
la croissance économique. Ils ont également re-
45 % des salaires moyens et qu’il est toujours
levé que les emplois fastidieux, sales, dangereux
nettement inférieur au salaire des travailleurs
et peu sûrs étaient mal payés, alors que les mé-
non qualifiés, même dans les voïvodies les plus
tiers propres, sûrs et intéressants l’étaient bien
touchées par la dépression (Rutkowski et
– phénomène contraire à ce que prédisait la
Przybyla 2001).
théorie des sursalaires compensatoires.
Un troisième groupe de partisans du mar-
Ces contradictions entre la théorie et la
ché libre ne se donne même pas la peine d’ex-
réalité ont suscité diverses réactions de la part
pliquer ce que d’autres considèrent comme des
des économistes orthodoxes. Certains les ont
inconséquences. Pour eux, la faiblesse de l’em-
interprétées comme des imperfections et ont
ploi et les conditions de travail ne sont pas un
proposé différents ajustements pour mettre la
signe d’échec du marché. Elles devraient au
théorie en accord avec la réalité observée. A
contraire être comprises comme le résultat du
titre d’exemple, on citera une théorie du capital
rationalisme économique. Le chômage est inter-
humain qui renonce à postuler l’homogénéité
prété par exemple comme le résultat d’un choix
de la main-d’œuvre; une théorie des salaires
rationnel de la part des travailleurs, qui préfè-
au rendement qui admet que les travailleurs
rent l’inactivité au travail. Il est donc volon-
mieux payés sont plus productifs; enfin le con-
taire, et non involontaire, comme on pourrait
cept d’hysteresis, qui cherche à expliquer pour-
le croire.
quoi le chômage, une fois installé, tend à se
La controverse à propos de l’impact éco-
perpétuer, d’où abandon de l’idée de forces du
nomique des NIT pourrait ne pas devoir être
marché auto-correctrices. Quand on retranche
prise trop au sérieux si elle était de nature
ainsi les conditions de la concurrence parfaite
purement académique. Elle a cependant eu de
du modèle néoclassique, ou qu’on y introduit
profondes incidences pratiques. Le dogme éco-
un élément dynamique, il perd beaucoup de
nomique orthodoxe a en effet exercé une im-
ses qualités déterministes et prédictives. Par
mense influence sur l’élaboration et l’appli-
exemple, l’effet sur l’emploi de salaires mini-
cation des politiques. Il a été enseigné à des
mum obligatoires n’est plus si manifestement
générations entières d’étudiants en économie
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
LES NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL, UN SUJET CONTESTÉ
51
ou en gestion commerciale. Plusieurs d’entre
masse, le sous-emploi et la misère nécessitent
eux sont devenus patrons, politiciens ou fonc-
d’autres priorités politiques que des métiers
tionnaires. Les décideurs politiques se sont
qualifiés et de bonnes conditions de travail.
aussi vu conseiller – par exemple par les insti-
Vues sous cet angle, les normes du travail ne
tutions financières internationales – d’accepter
font pas partie intégrante du développement,
l’inévitabilité des lois économiques et de re-
elles y sont étrangères. Plusieurs clauses nor-
noncer à une législation protégeant la main-
matives de l’OIT sont considérées comme un
d’œuvre. L’octroi de crédits internationaux et
luxe que les pays pauvres ne peuvent se payer.
d’autres types d’aide a été lié à des réformes
Chose curieuse, le même argument a été utilisé
du droit du travail pour le dégraisser de ses
dans les pays industrialisés riches pour mettre
règlements «abusifs» et nuisibles (voir les dé-
en garde contre de nouvelles améliorations des
tails au chap. 5).
normes du travail. On a demandé le sacrifice
de certaines normes. Etant donné la férocité de
«Les NIT sont trop coûteuses»
la concurrence internationale sur les prix, les
coûts sociaux élevés associés aux normes ne
Tant dans la théorie que dans la pratique, la
sont pas réalisables, ou mèneront inévitable-
thèse selon laquelle les NIT sont nuisibles, éco-
ment à un taux inférieur de croissance et à des
nomiquement parlant, parce qu’elles augmen-
disparitions d’emplois.
tent les coûts de production et chassent les
Pour répondre à ces griefs, il faut com-
entreprises du marché a représenté l’un des
mencer par souligner qu’il existe effectivement
obstacles majeurs à leur progression. Cet argu-
des normes nationales du travail (NNT) qui
ment est populaire non seulement chez les éco-
créent apparemment des fardeaux indus pour
nomistes classiques, mais aussi dans une
les employeurs ou les gouvernements. Dans la
grande partie du monde des affaires. Il connaît
plupart des cas, cependant, ces normes natio-
plusieurs variantes. Pour les uns, toute politique
nales dépassent les NIT ou ce qui constitue la
qui augmente les coûts est nuisible. D’autres
pratique internationale. En cas de licenciement,
prétendent que même si appliquer les NIT peut
le Termination of Employment Act du Sri Lanka
procurer des gains, le coût en dépasse le béné-
accorde par exemple une compensation de 60
fice retiré. Ces deux dernières décennies, l’ar-
mois de salaire aux travailleurs employés pen-
gument du coût a pris du poids dans les pays
dant plus de 20 ans. Ce montant, dit-on, pro-
en développement. Leur avantage compétitif
voque des coûts supplémentaires du travail
naturel, dans l’économie mondiale, est de
beaucoup plus élevés que ceux des pays concur-
pouvoir offrir à moindre prix une main-d’œuvre
rents (OIT 2001a). Un autre exemple est le Re-
abondante et non protégée, et l’on ne saurait
gulation of Wages and Terms of Employment
les en priver en leur imposant les normes des
Act de la Tanzanie (1992), qui prévoit 28 jours
pays développés. La hausse du coût des expor-
de congé annuel payé à la charge de l’em-
tations – dont les pays en développement dé-
ployeur, ce qui dépasse de beaucoup le droit
pendent de façon cruciale – qui résulterait de
aux vacances payées de trois semaines prévu
l’introduction des NIT réduirait le taux de crois-
par la Convention OIT n°132. Le respect de cette
sance des exportations, à court aussi bien qu’à
prescription tanzanienne a compromis la via-
moyen terme, et compromettrait la balance
bilité des microentreprises, dit-on, et n’a donc
des paiements (Singh et Zammit 2000, p. 33).
pas été observé par les employeurs (Vargha
D’une façon générale, il serait prématuré pour
1992).
les pays en développement d’adhérer aux NIT
Il serait cependant erroné de prétendre
avant d’avoir atteint un meilleur niveau de dé-
que les normes du travail entraînent toujours
veloppement économique. Le chômage de
des coûts inadmissibles. Dans le cas des micro-
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
52
LES NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL, UN SUJET CONTESTÉ
entreprises tanzaniennes, il a été murmuré
maine de cinq à celle de quatre jours sans ré-
que les coûts auraient pu être absorbés par
duction de salaire, tout simplement parce que
une meilleure organisation du travail et de
la productivité des travailleurs augmentait plus
meilleurs processus de production. Les horaires
que proportionnellement. Le paramètre écono-
de travail auraient pu être réduits et les heures
mique décisif en matière de compétitivité des
de repos hebdomadaire respectées sans coût
coûts n’est pas le prix du travail, mais celui de
supplémentaire si l’organisation de la produc-
l’unité de travail, c’est-à-dire le rapport coût de
tion avait été adaptée. Le coût des équipements
la main-d’œuvre/productivité.
de sécurité aurait pu être compensé par la dimi-
Troisièmement, il ne faut pas croire que
nution des dépenses médicales. D’autres nor-
l’absence ou le non-respect des normes n’a pas
mes comme le salaire minimum ont apparem-
de coût. Ainsi, des employeurs peuvent devoir
ment pu être respectées par des petites
affronter des coûts élevés de procès en cas de
entreprises (Vargha 1992). Là où les petites et
licenciements, ce qu’il auraient pu éviter en
les microentreprises ne peuvent vraiment pas
respectant les clauses de prévention et de réso-
se payer le luxe de respecter certaines normes
lution raisonnable des conflits stipulées par la
du travail, comme en matière d’équipements
Convention OIT n° 158 sur le licenciement.
de sécurité, on peut encore atténuer la charge
Quatrièmement, les coûts de l’application
des employeurs en décrétant des mesures offi-
des normes évoqués dans la littérature spécia-
cielles comme les déductions fiscales sur les
lisée sont presque exclusivement ceux qui in-
investissements.
combent aux employeurs ou aux gouverne-
Deuxièmement, on peut se demander si
ments. Il est rare qu’on tienne compte des coûts
les employeurs qui respectent une norme inter-
assumés par les travailleurs en cas de non-
nationale du travail, comme la journée de huit
respect des normes. La protection contre le
heures ou une période minimum de repos heb-
licenciement, par exemple, qui est particulière-
domadaire, ou encore une norme de sécurité
ment visible en cas de licenciement collectif
au travail, sont vraiment désavantagés par
pour motifs économiques, est une intervention
rapport à ceux de leurs concurrents qui ne le
dans le marché justifiée par le vœu de minimi-
font pas. La même question vaut pour les pays
ser le coût du licenciement pour le salarié. Une
qui se lancent dans l’application d’une norme
prise en compte complète devrait englober ces
censée être coûteuse sans être sûrs que les
coûts, y compris la perte du travail et du revenu
autres feront de même. Ne se pourrait-il pas
et d’autres formes de dommages matériels et
que des horaires de travail plus courts et des
immatériels, parce qu’ils ont une incidence sur
périodes de repos régulières améliorent la pro-
la performance économique individuelle et na-
ductivité parce que les ouvriers font moins
tionale.
d’erreurs, et qu’il se produise moins d’acci-
Cinquièmement, il ne faudrait pas supposer
dents parce qu’ils sont moins fatigués? Il y a de
que le coût de l’application des normes du tra-
nombreux exemples que tel est bien le cas. Les
vail est assumé inévitablement par l’employeur.
normes améliorées peuvent s’autofinancer
Il existe en fait des preuves que le coût de plu-
puisque les bénéfices retirés dépassent le coût
sieurs indemnités réglementées est finalement
de leur introduction. Voilà pourquoi les emplo-
répercuté sur les travailleurs sous forme de
yeurs visionnaires qui ont appliqué de meil-
diminution du salaire. En tel cas, les coûts to-
leures normes du travail l’ont rarement regretté.
taux de la main-d’œuvre, donc la compétitivité
Il y a des rapports comme quoi des employeurs
internationale, ne sont pas affectés par les in-
finlandais ont trouvé profitable de réduire les
demnités.
horaires hebdomadaires en passant de la se-
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
LES NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL, UN SUJET CONTESTÉ
53
ENCADRÉ 3.1: Surestimation du coût de la réduction d’une substance dangereuse
En 1974, l’administration étasunienne de la santé et de la sécurité au travail (OSHA) proposa de durcir la norme concernant
l’exposition des travailleurs au chlorure de vinyle [ou chloréthylène] en en réduisant la teneur dans l’air de 500 à 1 ppm. Le
directeur de la plus grande fabrique du produit déclara que la norme révisée serait irréalisable sur le moment et pour tous
les temps. L’industrie estimait que deux millions d’emplois seraient perdus et que le coût pour l’économie américaine serait
de 65 milliards de dollars parce qu’on ne pourrait plus fabriquer de chlorure de vinyle et que les industries qui l’utilisaient
seraient incapables de trouver un substitut. Pourtant, une fois la norme adoptée, les fabricants mirent rapidement au point
une nouvelle technologie de contrôle du chlorure de vinyle et de récupération des résidus pour recyclage. L’industrie fut
bientôt en règle avec la norme et, en 1976, la production atteignit des niveaux records. De nouvelles usines furent créées,
aucun ouvrier ne fut licencié et le coût total de la transition fut à peu près 1/200e de ce qui avait été prédit (Witt 1979).
Sixièmement, on prétend souvent que les coûts
ont réussi à payer des indemnités de l’ordre de
d’application des normes OIT seraient d’un
40 à 50% du dernier revenu en cas de maladie,
montant prohibitif pour les pays en développe-
chômage, vieillesse, maternité, invalidité et sur-
ment. Une fois de plus, cette généralisation est
vivance. Les dépenses en faveur de la protec-
abusive. En Thaïlande, par exemple, une étude
tion sociale ne sont pas uniquement affaire de
de faisabilité de l’OIT a montré que l’introduc-
capacité économique, mais aussi de valeurs
tion d’un système d’assurance-chômage ne
sociales, de priorités politiques et de gouver-
coûterait pas grand-chose. Elle estimait que les
nance. Il a été relevé que des dépenses sociales
taux de contribution pour un système qui ver-
substantielles et bien allouées réduisaient le
serait pendant six mois des indemnités équiva-
taux de pauvreté sans affecter la performance
lant à 50% du dernier salaire seraient de 2.5%
économique (OIT 2002c). Le programme
de la masse salariale la première année et des-
SAFEWORK de l’OIT a révélé que les niveaux
cendraient ensuite progressivement jusqu’à
de santé et de sécurité au travail peuvent être
0.6% en six ans. Ce taux permettrait d’accu-
améliorés notablement moyennant des me-
muler une réserve équivalente à un an d’in-
sures relativement peu coûteuses. La plupart
demnisations (OIT 1998a). On a démontré éga-
des accidents se produisent parce qu’on a
lement que, contrairement à tel axiome de la
négligé de très simples règles de sécurité et des
théorie économique, les taux de dépense pour
précautions comme de garder les sorties de se-
la sécurité sociale par rapport au PIB varient
cours des usines dégagées en tout temps, de
largement dans les pays de même niveau de
maintenir les outils et l’équipement en bon
développement. La Jordanie, le Maroc, la Na-
état, ou d’instruire régulièrement le personnel
mibie, le Botswana et la Thaïlande ont connu
en matière de sécurité.
des dépenses de sécurité sociale relativement
Si les coûts induits par les NIT sont fré-
élevées et enregistré en même temps une
quemment exagérés, ou que les bénéfices re-
bonne croissance économique. Il y a des pays
tirés compensent, voire dépassent le coût de
riches et des pays pauvres disposés les uns et
normes plus sévères, pourquoi le monde des
les autres à admettre qu’une plus grande part
affaires hésite-t-il donc à les mettre en pra-
de leur revenu doit être redistribuée pour ré-
tique? Les raisons sont multiples. L’une est que
pondre aux aléas sociaux. En fait, on trouve
respecter les normes demande un effort sup-
tout à la fois des pays à haut et à bas revenu
plémentaire à l’employeur; une autre que les
qui, conformément à la convention OIT n° 102,
coûts liés à la mise en œuvre des normes du
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
54
LES NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL, UN SUJET CONTESTÉ
travail sont généralement directs, bien visibles
1990, où la sobriété des moteurs devint un fac-
et mesurables, immédiats, localisés, et qu’ils
teur important de la compétitivité des automo-
apparaissent immédiatement dans les comptes
biles, de nombreux fabricants européens de
des entreprises, alors que plusieurs des béné-
voitures demandèrent à leurs gouvernements
fices sont exactement le contraire: indirects,
de promulguer des normes nationales, voire
intangibles, plus difficiles ou impossibles à
internationales, sur la consommation de car-
mesurer, différés et débordant du cadre de
burant, ce qui aurait permis aux producteurs
l’entreprise. En conséquence, on tend à exagérer
innovants d’assumer les coûts élevés de déve-
les coûts d’introduction ou de durcissement
loppement de nouveaux moteurs sans subir de
des normes, mais à sous-estimer les bénéfices,
handicap indu face à ceux qui résistaient à la
en termes de rendement et d’innovation, retirés
nouveauté.
de normes plus sévères. Voyez le cas présenté
dans l’encadré 3.1.
Voici un autre exemple de incidences des
NIT sur les coûts. Respecter la liberté d’asso-
Cette expérience n’est de loin pas la seule.
ciation peut entraîner la formation ou le ren-
Elle se reproduit pratiquement partout, à inter-
forcement de syndicats, et le pouvoir accru des
valles réguliers. Elle montre aussi que la réti-
travailleurs en matière de négociation collective
cence à adopter des normes n’est pas spéci-
peut provoquer des hausses de salaire, ce qui
fique aux pays en développement, à cause de
pose naturellement un problème de compéti-
leurs moyens limités pour les dépenses socia-
tivité. Mais le défi n’est pas forcément négatif
les, mais qu’elle fleurit aussi dans les pays
en ce qu’il menacerait la profitabilité de l’entre-
prospères.
prise ou la position d’une économie nationale
Il peut évidemment arriver que la mise en
vis-à-vis de la concurrence. De meilleurs sa-
œuvre d’une norme occasionne des coûts de
laires peuvent stimuler les travailleurs et attirer
lancement notables aux employeurs. Installer
une main-d’œuvre plus qualifiée et plus moti-
par exemple des équipements de sécurité aux
vée; la productivité accrue compensera ainsi
postes de travail peut signifier qu’ils subiront
les surcoûts. Si les salaires augmentent à gran-
un handicap de compétitivité temporaire avant
de échelle, ils peuvent accroître la demande
d’engranger les bénéfices de leurs investisse-
domestique en relevant le pouvoir d’achat glo-
ments. Ces bénéfices peuvent se traduire par
bal. Au début du 20e siècle, Henry Ford fut l’un
un taux inférieur d’accidents, un meilleur zèle
des rares employeurs à saisir les effets sur la
des travailleurs, une diminution de l’absen-
demande de la hausse des niveaux de salaire.
téisme et une productivité accrue. Le rôle éco-
Il avançait qu’une paie de cinq dollars la jour-
nomique de NIT universelles est précisément
née, qui était bien supérieure au salaire cou-
de surmonter ce handicap en incitant les em-
rant à l’époque, serait bonne pour son entre-
ployeurs concurrents à suivre l’exemple donné,
prise parce qu’elle permettrait à davantage de
d’où harmonisation des termes sociaux de la
ses ouvriers d’acheter ses automobiles.
concurrence. Cette harmonisation réduira les
effets distributifs de l’amélioration de la sé-
c) Le problème de l’universalité
curité au travail et éliminera ainsi une des
obstacles à sa dissémination. Cela implique
Le second grand problème lié à l’application
que, contrairement à ce qu’affirme la doctrine
des NIT est de décider si elles sont vraiment
économique, les NIT ne sont pas une entrave à
valables et applicables universellement, com-
l’amélioration des conditions de travail, mais
me le prétend l’OIT. Est-il raisonnable de par-
un lubrifiant. Les marchés de produits connais-
ler de normes universelles dans un monde aux
sent de pareils effets d’amélioration du rende-
niveaux de développement, structures de l’em-
ment par harmonisation. Pendant les années
ploi, cultures, institutions sociales et financiè-
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
LES NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL, UN SUJET CONTESTÉ
55
res, ressources administratives, si diverses?
«non liées au développement». Les normes
Ou ne sont-elles pertinentes que pour un petit
fondamentales du travail sont habituellement
groupe de pays industriels avancés, comme on
considérées comme indépendantes des niveaux
le prétend souvent? En outre, les NIT visent-
moyens de productivité ou de revenu, alors que
elles tous les travailleurs, ou seulement les sa-
les normes concrètes, comme les horaires de
lariés, ou encore une fraction de ces derniers,
travail, les vacances, la sécurité sociale ou la
par exemple ceux qui travaillent dans le sec-
sécurité au travail seraient considérées comme
teur formel? Sont-elles limitées aux travailleurs
liées au niveau de développement.
bénéficiant d’un contrat d’emploi, ce qui n’est
Si les NIT ne doivent pas négliger la varié-
pas le cas de la plus grande partie des tra-
té locale des conditions économiques et socia-
vailleurs de la plupart des pays en développe-
les, il faut quand même qu’il y ait des limites
ment?
aux dérogations dans l’espace ou dans le
Dès sa naissance, l’OIT a été consciente –
temps, sinon les normes n’en sont plus. L’OIT a
et a tenu compte – de la grande variété des
résisté à la tentation de concevoir des normes
conditions géographiques ou économiques des
différentes selon les pays. Elle n’a jamais ap-
pays, ainsi que d’autres paramètres du déve-
prouvé ni recommandé de normes régionales,
loppement. L’art. 19, al. 3 de la constitution de
en invoquant toujours le principe de l’univer-
l’OIT déclare expressément: «En formant une
salité des NIT. Mais elle a permis que des pays
convention ou une recommandation d’une ap-
soient exemptés de l’application immédiate
plication générale, la Conférence devra avoir
d’une norme, comme le montre l’exemple de la
égard aux pays dans lesquels le climat, le déve-
convention OIT n° 1, et elle admet la ratifica-
loppement incomplet de l’organisation indus-
tion partielle des conventions. Elle a introduit
trielle ou d’autres circonstances particulières
la notion de mise en œuvre souple et offre son
rendent les conditions de l’industrie essentiel-
assistance technique pour permettre aux pays
lement différentes, et elle aura à suggérer telles
moins développés de remplir progressivement
modifications qu’elle considérerait comme
les conditions des NIT. Le stade auquel les pays
pouvant être nécessaires pour répondre aux
ratifient telle convention de l’OIT diffère. Cer-
conditions propres à ces pays.» Des clauses
tains attendent que leurs conditions de travail
spéciales ont été prévues pour une mise en œu-
soient au niveau requis par la convention ou
vre plus lente. Dès la convention n° 1 sur la
s’en rapprochent, et font ainsi de la ratification
durée du travail (1919), un régime d’applica-
un acte plus ou moins symbolique. D’autres les
tion différent fut autorisé au Japon et à ce qui
ratifient très tôt et demandent de l’aide pour
était alors les Indes Britanniques, et il fut dé-
combler le fossé entre la norme et la réalité. La
cidé que la convention ne s’appliquerait pas à
méthode appliquée n’a pas d’importance, vu
la Chine, à la Perse ou au Siam. Pour ces der-
que c’est la volonté politique et les efforts entre-
niers, la limitation des horaires de travail se-
pris pour remplir les critères de la norme qui
rait revue à une date ultérieure, non spécifiée.
comptent.
D’une façon plus générale, on peut dire qu’une
Vu la variété des stratégies employées
des caractéristiques fondamentales des conven-
pour adopter et mettre en œuvre les NIT, il
tions de l’OIT est qu’elles stipulent des normes
n’est guère surprenant que les études empi-
minimum et ne prescrivent pas des niveaux
riques des effets de la ratification des conven-
économiquement irréalistes.
tions OIT ne soient pas très conclusives. Rodrik
Pour tenir compte de la capacité variable
(1999a) a établi entre autres qu’après la pro-
des pays à ratifier et mettre en œuvre les nor-
ductivité, c’est sur les salaires que le nombre
mes internationales, on a proposé de distinguer
de ratifications de conventions de l’OIT et la
entre NIT «liées au développement» et NIT
syndicalisation avaient une influence significa-
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
56
LES NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL, UN SUJET CONTESTÉ
tive. Dans une autre enquête, les droits politi-
même en Suède et en Inde! La question est
ques passaient avant les libertés civiles pour ce
toutefois de savoir s’il est possible de trouver
qui est de l’effet direct et statistiquement signi-
une formule reconnue internationalement pour
ficatif sur les salaires. Dans une étude plus ré-
calculer partout ce salaire minimum. Pour les
cente, Flanagan n’a pas trouvé beaucoup de
normes concrètes, donc, l’universalité réside
preuves d’une corrélation statistique entre les
dans le processus de définition et de mise en
ratifications et les conditions effectives de tra-
œuvre des normes, mais pas forcément dans
vail (Flanagan 2002).
l’identité des résultats, et elle renvoie plus aux
Il n’y aucune raison de croire qu’un pays
pourrait ne pas aspirer à réduire le volume des
objectifs liés aux normes qu’aux moyens utilisés pour y parvenir.
mauvais emplois et des mauvaises conditions
Dans les sections ci-après, nous traiterons
de travail! Il existe en outre une fausse idée
des deux principaux problèmes qui concernent
très répandue, selon laquelle les NIT ne peuvent
actuellement le principe d’universalité des NIT,
prendre effet qu’à travers l’action législative.
à savoir l’économie informelle et le relativisme
S’il est vrai que les normes instaurent des
culturel par rapport aux normes du travail.
règles juridiques et qu’aucune politique sociale
ne peut être efficace sans être fondée en droit,
«Les NIT ne marchent pas dans l’économie
les normes de l’OIT ne nécessitent pas forcé-
informelle»
ment l’adoption de lois formelles spécifiques
au niveau national. Elles fournissent souvent
Il y a trente ans, à propos d’un projet d’emploi
de simples directives, que les Etats sont invités
au Kenya, l’OIT utilisa pour la première fois le
à suivre pour se rapprocher d’une cible qui ne
terme de «secteur informel» pour désigner les
sera peut-être jamais atteinte (Valticos 1996).
activités des travailleurs pauvres qui n’étaient
Pour cette raison et pour celle mentionnée plus
pas reconnues, enregistrées, protégées ou ré-
haut, il convient d’être prudent quand on prend
glementées par les pouvoirs publics (OIT 1972).
la ratification des conventions de l’OIT comme
On lui préfère aujourd’hui celui d’«économie
indicateur de l’application effective des normes
informelle», parce que les travailleurs et entre-
au niveau national.
prises impliqués n’entrent dans aucun secteur
Le but des de normes concrètes, comme
économique particulier, mais en chevauchent
celles sur les salaires minimum et la sécurité
plusieurs. En 1991, la Conférence internatio-
sociale, est d’arriver à l’universalité par l’équi-
nale du travail discuté du «dilemme» de l’éco-
valence, et non par l’uniformité. Rechercher
nomie informelle. L’OIT et ses composants de-
l’équivalence revient à coordonner l’élabora-
vaient-ils promouvoir l’économie informelle en
tion internationale des politiques plutôt qu’à
tant que fournisseuse d’emploi et de revenus,
niveler les termes effectifs de l’emploi, du
ou chercher à y étendre la réglementation et la
moins à court terme. Contrairement à ce qu’on
protection sociale, au risque d’en réduire la
croit souvent ou qu’on assène sans arrêt, les
capacité de fournir du travail et un gagne-pain
conventions de l’OIT concernant la fixation de
à une main-d’œuvre en expansion constante?
salaires minima ne cherchent pas à instaurer
Les salariés ou les indépendants travaillant
le même salaire minimum dans le monde en-
dans cette économie affrontent souvent un en-
tier. Elles stipulent plutôt que les pays mem-
vironnement précaire: les postes de travail ne
bres devraient introduire un salaire minimum,
sont pas définis, les conditions peu sûres et
tout en admettant que son niveau devra tenir
peu hygiéniques, les niveaux d’aptitude et de
compte des circonstances économiques loca-
productivité faibles, les revenus bas et irrégu-
les. Vu les énormes différences de PIB par ha-
liers, les horaires de travail longs, et on n’y a
bitant, le salaire minimum ne saurait être le
souvent pas accès à l’information, aux mar-
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
LES NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL, UN SUJET CONTESTÉ
57
chés, aux finances, à la formation ou à la tech-
sive des marchés domestiques de l’emploi.
nologie. La dépendance économique et la vul-
Forcer des pays à adopter «une panoplie de
nérabilité abondent.
normes du travail importées» ne garantira pas
Il a souvent été avancé que les NIT ne sont
qu’elles soient appliquées. Il faut donc cher-
pas applicables à l’économie informelle et que
cher des politiques qui tiennent effectivement
la manière dont l’OIT les traite se concentre
compte des conditions spécifiques régissant les
sur les travailleurs des secteurs organisés. Se-
économies moins développées à main-d’œuvre
lon un expert indien, «la situation … est tout à
pléthorique (Portes 1994).
fait paradoxale: les normes sont pertinentes et
Les accusations portées contre NIT doi-
adaptées essentiellement au secteur formel, où
vent être prises au sérieux, entre autres parce
il est plus facile de les respecter et où elles sont
que l’économie informelle ne s’est pas révélée
déjà appliquées dans une large mesure; elles
être un phénomène aussi passager ou résiduel
ne sont ni pertinentes ni adaptées – et plus dif-
que de nombreux théoriciens du développe-
ficiles à appliquer – dans le secteur informel,
ment – OIT comprise – ne l’avaient postulé
où elles seraient pourtant le plus nécessaires…
assez longtemps. En fait, dans plusieurs pays
Cela ne signifie pas que définir des normes ne
du tiers-monde, l’économie informelle s’est
soit plus utile, mais signale simplement qu’il
développée plutôt qu’elle n’a décru ces der-
faut élaborer des normes minimum plus faciles
nières décennies. La majorité des nouveaux
à mettre en œuvre pour les emplois dans le sec-
emplois, dans les pays en développement et les
teur informel» (Papola 1994, p.181). Des thèses
pays émergents, se sont créés dans le secteur
analogues ont été avancées par Singh et Zammit
informel (OIT 2002a). Les activités informelles
(2000), Gosh (2003) et Srinivasan (2004).
se sont aussi accrues dans les pays industriali-
D’autres critiques vont plus loin. Ils accu-
sés, quoiqu’à un niveau bien inférieur. Ale-
sent les NIT – et en particulier les normes con-
jandro Portes a décrit comment, sous la forte
crètes (protection de l’emploi et des revenu,
pression des organisations financières interna-
salaires minimum, mesures de sécurité au tra-
tionales, les pays d’Amérique latine pays ont
vail, protection de la maternité, etc.) – de favo-
rivalisé à qui libéraliserait les impôts et relâ-
riser, voire d’étendre le secteur informel, qui
cherait les normes du travail pour attirer les
n’est ni reconnu ni protégé par les cadres juri-
capitaux étrangers l (Portes 1994). Le secteur
diques et réglementaires. Ils prétendent aussi
informel traditionnel était fait de petits métiers
que les NIT encouragent les employeurs au tra-
– cireur de chaussures, vendeur ambulant, col-
vail clandestin. Dans un rapport de la Banque
lecteur d’ordures et autres petits emplois in-
mondiale sur l’Amérique latine, on avançait
dépendants à la marge de l’économie urbaine.
par exemple que l’étendue de l’emploi informel,
Aujourd’hui, en revanche, a surgi un nouveau
dans la région, est due en partie à «des poli-
genre de secteur informel, rattaché aux entre-
tiques du travail qui négligent le rôle d’aiguillon
prises formelles par divers arrangements de
et de signal des salaires et des conditions de
sous-traitance, et qui contribue à alimenter le
travail en réduisant le nombre d’emplois for-
marché à hauts revenus. Ces entreprises ne
mels et en favorisant le développement du sec-
produisent pas seulement pour le marché do-
teur informel» (Banque mondiale, 1996). Selon
mestique, mais de plus en plus pour l’exporta-
ces critiques, l’introduction de réglementations
tion. La tendance à augmenter les exportations
«coûteuses» du travail, dans les économies à
a conduit les pouvoirs publics à fermer l’œil
main-d’œuvre pléthorique, entraîne inévitable-
sur les violations systématiques, par les entre-
ment l’expansion du secteur informel. En outre,
prises exportatrices, des codes du travail en
elle encourage les gouvernements à favoriser la
vigueur. Souvent, on n’assiste pas à la suppres-
dérive informelle et la segmentation progres-
sion formelle des clauses de protection des tra-
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
58
LES NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL, UN SUJET CONTESTÉ
vailleurs, mais plutôt à un système d’omission
rant la productivité et en redistribuant le
sélective qui favorise la prolifération des entre-
revenu. C’est en tout cas ainsi que les pays ré-
prises informelles. Les employeurs ne propo-
cemment industrialisés du sud-est asiatique
sent plus de contrats formels aux ouvriers,
ont réduit la part des activités informelles. La
mais passent avec eux des contrats informels
Conférence a mis très clairement en lumière
qui en font des indépendants. On crée aussi
que la dérive informelle ne résultait pas de
des zones de production spéciales pour les ex-
l’application des NIT, mais plutôt de la non-
portations, dans lesquelles la taxation et les
promulgation et de la non-application des
contrôles du travail sont assouplis pour attirer
normes du travail. Elle a donc exhorté les
les entreprises étrangères.
membres de l’OIT à élaborer des lois, des poli-
En 2002, la Conférence internationale du
travail est revenue sur le sujet de l’économie
tiques et des institutions pour mettre les NIT
en œuvre.
informelle. Plusieurs délégués ont reconnu que
Pour répondre aux critiques des méthodes
l’OIT s’était rapprochée d’une vision plus large
de l’OIT, il faut commencer par rappeler qu’il
et plus approfondie de sa mission. La Confé-
n’est pas vrai que les NIT ont été instaurées
rence a conclu que le travail informel a des rai-
uniquement pour les travailleurs du secteur
sons variées et que les entraves barrant l’accès
formel, ou pour ceux en situation d’emploi dé-
à l’économie classique freinent directement ou
pendant; elles concernent bel et bien tous les
indirectement la création d’emplois dans le
travailleurs. Il s’agit aussi de savoir si tous les
secteur formel. Ces entraves comprennent l’ab-
travailleurs «indépendants» du secteur infor-
sence de bonne gouvernance, le manque d’em-
mel peuvent vraiment être considérés comme
plois adéquats dans le secteur formel, l’aug-
tels. En fait, comme c’était le cas dans le sys-
mentation du chômage, le sous-emploi et la
tème de sous-traitance qui a précédé l’indus-
misère, les inégalités frappantes de revenu, la
trialisation de l’Europe, de nombreux travail-
mise en œuvre inexistante ou inefficace de la
leurs indépendants du secteur informel dé-
législation et de la protection sociale idoines,
pendent d’un employeur pour leurs intrants,
de même que des politiques nationales inadap-
leur équipement, leur lieu de travail et la vente
tées, comme des lois restrictives sur l’homolo-
des produits finis (OIT, 1999). Dans de nom-
gation des sociétés ou des impôts élevés (OIT,
breux cas, d’anciens employés ont été priés
2002a). Les programmes d’ajustements struc-
par leur entreprise de se mettre à leur compte
turels recommandés par les institutions finan-
pour lui épargner des impôts et le coût des
cières internationales, en particulier la prépon-
assurances sociales. Ils restent donc «quasi-
dérance donnée à la stabilisation macroéco-
employés», particulièrement s’ils travaillent
nomique, ont leur part dans l’augmentation
pour un seul mandataire. Deuxièmement, plu-
des activités informelles (van der Hoeven, 2000).
sieurs instruments de l’OIT, comme la conven-
Attribuer la dérive informelle à la législation
tion n° 131 sur la fixation des salaires minima,
protégeant l’emploi est malhonnête parce que
prévoient explicitement ou implicitement que
ce phénomène s’est aussi produit et continue à
les normes seront mises en œuvre d’une façon
se répandre dans des pays où l’emploi n’est
adaptée aux circonstances locales, inégalités
pas protégé par la loi, où celle-ci n’est pas appli-
entre économie formelle et informelle compri-
quée, ou encore où l’application en a été relâ-
ses. Troisièmement, toute une série de normes
chée. Ceci fait penser que pour combattre l’ex-
OIT se concentrent sur les différentes catégo-
pansion du travail informel, il est nécessaire de
ries de travailleurs qui prédominent dans l’éco-
réduire la pléthore de main-d’œuvre par des
nomie informelle. Un exemple est l’adoption
mesures de politique macroéconomique et de
d’une convention et d’une recommandation sur
réduire en même temps la misère en amélio-
les travailleurs à domicile. Enfin, de nombreux
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
LES NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL, UN SUJET CONTESTÉ
59
instruments de l’OIT demandent des consul-
L’accroissement des activités informelles
tations et coopérations tripartites au niveau
peut aussi accentuer l’inégalité des salaires et
national et sectoriel. On peut y voir une précau-
des revenus, tant au sein d’un pays que d’un
tion destinée à garantir que les intérêts par-
pays à l’autre. Ceci pourrait impliquer qu’au
ticuliers, comme ceux des travailleurs organi-
lieu que ce soient les NIT qui posent des pro-
sés du secteur formel, ne prévalent pas au dé-
blèmes de convergence au sein des économies
triment des intérêts généraux de la société et
nationales et entre elles, la chaîne de causalité
de l’économie. La raison d’être même de la
serait en fait inverse: ce seraient les différen-
législation sur le travail est d’assurer un meil-
ces nationales et internationales de niveau de
leur équilibre des forces du marché de l’emploi
développement qui constitueraient un obstacle
et de fournir une protection et une voix aux
à l’application des NIT. Les vastes disparités de
groupes les plus faibles de la main-d’œuvre,
salaire pourraient stimuler la sous-traitance et
qui comprennent les travailleurs du secteur in-
la délocalisation vers les pays à bas salaires, et
formel.
si un gouvernement relâche la réglementation
Une étude empirique récente, basée sur
du travail local pour attirer les investisseurs
les années 1990 dans 14 pays d’Amérique la-
étrangers, les conditions de travail en souf-
tine, a mis en lumière un schéma cyclique évi-
friront – comme cela s’est passé en Amérique
dent en matière de distribution du travail in-
latine et ailleurs.
formel. Ce dernier sert d’amortisseur à l’emploi
formel pratiqué dans les grandes entreprises,
«Les NIT sont incompatibles avec les cultures
d’où un taux d’emploi solide et procyclique
locales»
dans le secteur privé formel, et un taux solide,
mais anticyclique, dans les petites entreprises
L’universalité des NIT a également été contes-
et chez les indépendants. Les pays dotés de
tée pour des motifs culturels. On a avancé
droits civiques plus marqués, notamment la
qu’elles sont le produit d’une culture et de tradi-
liberté d’association, les négociations collecti-
tions centrées sur l’Europe, le fruit du système
ves et les libertés civiles, de même que les pays
judéo-chrétien de valeurs et de croyances, ou
à salaires supérieurs, tendent à avoir un taux
l’expression de l’éthique protestante. On les dé-
plus élevé d’emplois formels et moindre d’em-
clare incompatibles avec les cultures, traditions
plois informels, même si l’on tient compte du
et religions d’autres pays, auxquels elles ne
PNB par habitant. Ce constat contredit l’affir-
sauraient donc être imposées ou qu’elles ne
mation selon laquelle des normes du travail
devraient pas pouvoir «polluer». Certains cri-
plus sévères dans l’économie formelle accrois-
tiques vont même jusqu’à faire des NIT une for-
sent la dérive informelle. Les auteurs con-
me d’impérialisme culturel. Voici comment Tho-
cluaient que pour augmenter la part de l’em-
mas Donahue expose leur cause: «Il s’agit d’un
ploi formel, il fallait à la fois renforcer les droits
cas où des nations riches et puissantes imposent
civiques et appliquer une politique macroéco-
leurs normes culturelles à d’autres qui sont
nomique de croissance (Galli et Kucera 2002).
pauvres et faibles. Elles refusent d’admettre que
Les résultats de cette étude confirment ceux
ce qui peut être approprié dans une culture peut
d’analyses empiriques plus anciennes, selon
être sans objet ou dangereux dans une autre».
lesquelles les libertés politiques, qui s’accom-
Donahue poursuit: «Il faut résister à la tentation
pagnent presque toujours de la liberté des syn-
de négliger cette objection comme étant ad homi-
dicats de s’organiser, sont associées à moins
nem. Nous nous la voyons opposer en général
de dualisme sur les marchés de l’emploi et à
par les élites des nations où l’exploitation des
un secteur formel plus étendu (Banque mon-
travailleurs est la plus flagrante, ou par leurs al-
diale 1995)
liés des multinationales» (Donahue 1994, p. 200).
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
60
LES NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL, UN SUJET CONTESTÉ
La contestation fondée sur le particularisme
publié un livre intitulé «Poverty – the Wealth of
culturel est surtout présente en Asie (Li 1996).
Peoples» (Tévoédjrè 1977). Inspiré en partie
Elle se manifeste en force par rapport aux NIT
par les idées de Gandhi sur la civilisation, in-
qui prescrivent la liberté d’association et l’in-
digné par le résultat des recettes occidentales
terdiction de toute discrimination. Les dogmes
concernant le développement de l’Afrique, et
religieux sont parfois invoqués pour justifier ou
se souvenant aussi du mode de vie extravagant
excuser la non-conformité vis-à-vis des NIT
des colons occidentaux dans cette région du
fondamentales. La référence à ces dogmes a
monde, il propose de distinguer la pauvreté de
servi de prétexte pour maintenir le pouvoir de
la misère. La seconde est regrettable, la pre-
certains individus ou groupes privilégiés. D’au-
mière ne l’est pas. La pauvreté n’empêche pas
tres refusent pourtant ce recours déplacé à la
la moralité ni même le bonheur. La simplicité
religion. Shirin Ebadi, par exemple, la juriste
des mœurs est au cœur du développement in-
iranienne lauréate du prix Nobel de la paix en
dividuel et social. Les modes de vie occidentaux,
2003, rejette avec insistance l’idée que l’islam
basés sur l’abondance matérielle et l’excès, et le
serait incompatible avec les droits humains. A
désir de biens matériels inutiles empoisonnent
ses yeux, il peut y avoir différentes manières
la société et la solidarité, et contribuent à ap-
de les mettre en œuvre, mais l’interprétation
pauvrir les esprits et à priver la vie de sens.
des droits humains doit être la même partout
L’industrialisation, l’urbanisation, la croissan-
et ne saurait servir les intérêts de tel ou tel
ce économique rapide et la course infernale à
groupe. De même, Hoda Elsadda, lettrée égyp-
l’emploi sont des signes de ruine sociale.
tienne et activiste du droit des femmes, avance
Souvenons-nous de la chanson populaire
que le statut socioéconomique des femmes ara-
dans Porgy and Bess (George Gershwin 1935):
bes n’est pas dû à la tradition islamique en tant
que telle, mais à divers obstacles sociaux et
«Oh! I got plenty o’ nuttin
politiques qui n’ont pas encore été tous sur-
An’ nuttin’s plenty for me
montés, y compris dans les sociétés occidenta-
I got no car, not no mule, got no misery»
les. Cet avis est étayé par le fait que les systèmes
d’emploi varient substantiellement d’un pays
On peut éprouver de la sympathie pour un style
arabe à l’autre. Ainsi, alors que les femmes sont
de vie simple et dépourvu de matérialisme. On
exclues de la carrière judiciaire en Egypte et en
peut aussi admettre qu’il existe des problèmes
Arabie saoudite, d’autres pays arabes – Syrie,
individuels et sociaux pires que la pauvreté.
Maroc, Tunisie, Algérie et Soudan – ont des
Confucius fait remarquer que l’insécurité est
femmes juges depuis plus de trente ans (Elsad-
pire que la pauvreté. Il y a effectivement une
da 2004, p. 48). D’une façon plus générale, on
différence entre la pauvreté et l’indigence. La
peut observer des analogies entre les principes
question reste pourtant de savoir si, étant don-
fondamentaux de l’OIT et les droits des tra-
né l’attrait des modes occidentaux de consom-
vailleurs, d’une part, et certains textes de la
mation et de vie pour la plupart des gens, et la
tradition islamique ou la Déclaration du Caire
puissance des médias qui propagent la société
(Shaheed 2004). Ailleurs, on a démontré la
de consommation dans le monde entier, il est
convergence entre les NIT fondamentales et
concevable, pour un pays démocratique, de
l’éthique ou les traditions spirituelles d’autres
s’isoler des réseaux de plus en plus mondiali-
grandes religions (Peccoud 2004).
sés de l’information et de la communication,
Une forme différente de critique culturelle
qui permettent aux gens de comparer leur
des NIT vise la soif occidentale de prospérité
conditions de travail et d’existence avec celles
matérielle. Un ancien fonctionnaire de l’OIT a
d’autrui. Il y a aussi des inconsistances entre le
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
LES NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL, UN SUJET CONTESTÉ
61
discours et l’action. On a vu qu’en Asie de l’est,
fondamentaux des travailleurs ou tolérer la ré-
où les gouvernements rejettent les droits
partition inéquitable des revenus ou les mena-
humains au nom de «valeurs asiatiques dis-
ces à la santé encourues au poste de travail.
tinctes», les dirigeants n’ont pas de scrupules à
Peut-on croire sérieusement, par exemple,
adopter le capitalisme et la société de consom-
qu’un ouvrier ghanéen, bangladeshi ou salva-
mation (Li 1996).
dorien soit moins avide que son collègue suisse
Récemment, un nouveau scepticisme est
ou étasunien d’éviter la perte d’un membre ou
apparu tant au nord qu’au sud à l’égard de la
de sa vie dans un accident du travail? Ne con-
modernisation à l’occidentale, basée sur la sé-
vient-il pas que tout le savoir et l’expérience
cularisation, la science, l’industrialisation et la
technique de l’OIT en matière de santé et sécu-
démocratie participative. On a fait remarquer
rité au travail, tel qu’il est consigné dans les
par exemple que si les notions de développe-
conventions correspondantes, soit appliqué
ment de la Banque mondiale avaient échoué en
sans tenir compte de la culture, des coutumes,
Afrique, c’est qu’elles y négligeaient les bases
de la religion et du niveau de revenu d’un pays?
culturelles locales du développement (Diawara
Les NIT n’ont pas pour but d’améliorer les
2000, p. 101).
revenus et la qualité du travail pour l’amour de
Il importe d’examiner et de jauger la vali-
la prospérité matérielle, mais bien de promou-
dité de ces opinions. Elles paraissent justifiées
voir la justice sociale et d’éliminer l’injustice. Il
d’un certain côté, mais non de l’autre. Les civi-
y a une immense différence entre une société
lisations diffèrent fortement, et ces différences
pauvre parce qu’elle manque des ressources
doivent être respectées. Il faut éviter tout mes-
créatrices de richesse et une autre qui en a les
sianisme visant à propager les schémas cultu-
moyens, mais ne les utilise pas, faute de bonne
rels et les modes de vie de l’Occident. Il est par-
gouvernance. Parfois la richesse est créée,
faitement légitime de mettre en question les
mais le produit national est réparti très inégale-
recettes occidentales du développement qui es-
ment; ou la richesse est créée au prix de tribu-
pèrent obtenir des résultats optimaux en trans-
lations imméritées et de sacrifices sévères de la
férant rapidement les ressources de l’agri-
part de la population. Il n’y a aucune excuse
culture vers l’industrie, ou en déplaçant les
pour ceux qui, par goût du lucre ou pour accé-
populations des campagnes vers les villes (voir
lérer la croissance économique, verrouillent de
par exemple le modèle de développement de
l’extérieur les portes d’une usine et exposent
Lewis, en 1954). En outre, on peut mettre en
les ouvriers aux incendies, ou ceux qui font
doute la sagesse de la Banque mondiale, qui
travailler des ouvriers dans des plantations
recommandait aux pays africains d’introduire
gravement polluées par des pesticides; ou qui
rapidement l’économie de marché et de s’inté-
envoient des mineurs dans des mines de char-
grer rapidement dans l’économie mondiale par
bon dangereuses.
le commerce et les IED, avant même d’avoir
Les buts des NIT ne sont pas d’ordre cultu-
bâti leurs infrastructures juridiques, commer-
rel et ne devraient pas non plus être confondus
ciales et sociales. Libéraliser à tout-va les im-
avec des modes de vie particuliers. Après tout,
portations sans s’assurer que les marchés aient
les conventions et recommandations de l’OIT
été dotés d’institutions convenables tend à être
ont été adoptées par la Conférence internatio-
contreproductif, qu’il s’agisse du marché de
nale du travail, qui est une assemblée de délé-
l’emploi, des marchandises ou des finances.
gués du monde entier, soit d’une majorité de
D’un autre côté, contester l’universalité
pays en développement. L’universalité des NIT
des NIT au nom de la diversité culturelle est
et les valeurs communes qui les sous-tendent
inacceptable si cela implique refuser les droits
se reflètent dans le fait que les gouvernements
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
62
LES NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL, UN SUJET CONTESTÉ
attachent beaucoup d’importance à la répro-
étaient meilleurs que les adultes. L’exemple
bation à laquelle ils s’exposeraient en violant
typique est la confection de tapis. Or les recher-
les normes de l’OIT.
ches de l’OIT ont fait voler en éclats le mythe
Pour prendre un autre exemple, le travail
selon lequel seuls les enfants pourraient tisser
des enfants a été justifié en invoquant d’une
des tapis à petits nœuds. Pendant longtemps,
part les cultures et traditions locales, de l’autre
les gouvernements d’Asie méridionale ont nié
la pauvreté oppressante des ménages, qui fait
l’existence du travail des enfants ou l’ont con-
de ce travail une nécessité économique. S’il est
sidéré comme un fait inexorable de la vie éco-
indéniable que le travail des enfants peut amé-
nomique. Ce n’est que progressivement qu’ils
liorer le revenu des familles, il tend aussi à
se sont rendu compte qu’il pouvait en fait frei-
perpétuer la pauvreté en amenuisant la capa-
ner le progrès économique.
cité productive des enfants qui travaillent et en
Qu’il y ait des lacunes dans les conditions
les empêchant de recevoir l’instruction qui
de travail est parfaitement manifeste, au sud
pourrait faire d’eux des adultes plus produc-
autant qu’au nord. Il serait fatidique que l’idée
tifs. Souvent, le travail des enfants n’améliore
de «conflit des civilisations» (Samuel Hunting-
pas vraiment le revenu d’un ménage, il ne fait
ton) masque les objectifs communs des pays, à
que se substituer au travail des adultes. On le
savoir pallier ces manques. En outre, la concur-
préfère fréquemment parce que les enfants sont
rence économique est aujourd’hui tout aussi
plus souples, plus dociles et moins exigeants que
acharnée, sinon plus intense, entre les pays du
les adultes. L’argument du relativisme culturel
sud qu’entre ceux du sud et du nord. En ce qui
tend à masquer le fait que, dans les pays en dé-
concerne les NIT, le conflit suprême ne se livre
veloppement, la pléthore de main-d’œuvre rend
pas entre pays de cultures différentes, mais en-
facile de dresser un ouvrier ou un groupe
tre partisans du marché libre et autres fonda-
d’ouvriers contre un autre. Enfin, le travail des
mentalistes, d’une part, et ceux qui revendi-
enfants a été défendu sous prétexte que seuls
quent et poursuivent des principes et droits
les enfants en étaient capables, ou qu’ils y
universels, de l’autre.
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL ET DÉVELOPPEMENT
63
4. Normes internationales du travail et développement
Le chapitre précédent relatait la controverse
nale du travail doit s’imposer aux pays, avec si
concernant les NIT, et passait en revue les prin-
nécessaire des sanctions pour les contrevenants,
cipaux arguments pour et contre l’adoption de
afin d’arriver à une observance générale. L’une
ces normes. L’un d’eux consiste à dire que dans
des hypothèses clés de ces théories affirme que
la perspective d’une sévère concurrence mon-
les NIT accroissent les coûts de production, et
diale découlant de la libéralisation des mar-
donc réduisent la compétitivité, annulant les
chés, des NIT universellement valides sont
avantages comparatifs naturels, ou dépassant
nécessaires pour empêcher une «course au mi-
la capacité de ressources d’un pays. Nous avons
nimum». C’est ce qui se passera si des prati-
réfuté, ou au moins émis des réserves sur ces
ques injustes sapent les normes nationales du
points de vue. Dans de nombreux exemples, les
travail et empêchent ainsi l’amélioration des
arguments de coûts sont très largement sures-
conditions de travail. Certains pays maintien-
timés. Le coût des NIT ne représente qu’une
nent artificiellement des coûts réduits du tra-
infime fraction du coût des conflits armés qui
vail et évitent ou assouplissent la législation
affligent de nombreux pays pauvres. Le coût
concernant la protection du travail en vue
des normes du travail comme la sécurité socia-
d’améliorer la compétitivité à l’export et d’at-
le ou la sécurité au travail est finalement assuré
tirer l’IED. L’argument inverse consiste à dire
par les travailleurs sous forme de gains réduits.
que les NIT vont gonfler artificiellement les
De plus, l’argument du coût n’est valable que
coûts du travail au-delà de l’équilibre du mar-
dans une analyse statique et non dynamique,
ché, et donc nuire à la situation des travailleurs
alors que le coût initial des normes doit être
en réduisant la croissance et l’emploi. Les con-
considéré comme un investissement qui débou-
ditions de travail sont largement et inévitable-
che sur une meilleure productivité et sur d’autres
ment fixées par les niveaux nationaux de
aspects comme la stabilité sociale et politique,
revenus. Elles ne peuvent être améliorées que
qui à leur tour débouchent sur des bénéfices
par la croissance économique, et non par une
économiques au second degré. Cela implique
intervention extérieure sur les marchés du tra-
qu’objectivement, les pays ne sont pas «obli-
vail des différents pays. Un troisième argument
gés» de baisser leurs normes afin d’exporter et
souvent rencontré consiste à dire qu’il est pos-
d’attirer les investissements étrangers, même
sible d’appliquer les NIT uniquement dans les
s’ils sont en concurrence avec des pays ou les
pays développés et industrialisés dont ils reflè-
normes sont basses. Néanmoins, il peut exister
tent le système de valeurs et où la grande majo-
de la part des acteurs un préjugé, une croyance
rité de la main-d’oeuvre est dans le secteur for-
subjective qu’avec les NIT, ils sont exposés à des
mel. Les NIT ne conviendraient pas à des pays
avantages concurrentiels. Selon nous, de tels
de cultures différentes avec une économie infor-
préjugés peuvent êtres surmontés par un dialo-
melle largement développée. Au final, tous ces
gue de politique sociale qui véhicule à la fois les
arguments s’appuient sur une base négative. Ils
expériences d’effets bénéfiques de ces normes et
partent du principe que les normes universel-
les conséquences négatives si elles ne sont pas
les sont indésirables, irréalisables, non bénéfi-
appliqués dans les entreprises, les différents
ques ou prématurées, ou que la loi internatio-
secteurs, les nations et les générations.
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
64
NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL ET DÉVELOPPEMENT
Le but du présent chapitre est d’approfon-
employeurs qui embauchent un travailleur
dir la nature, les objectifs et les avantages des
connaissent le prix du service du travail mais
NIT. Une meilleure compréhension du rôle et
ne savent pas exactement ce qu’ils vont obtenir
des impacts des normes qui soit fondée sur une
en échange. Le travail n’est pas un produit
approche politico-économique sera ainsi plus
conditionné mais un «potentiel de production»
juste pour elles. Ceci est dans l’esprit du Préam-
lié à un être humain mû par des besoins indi-
bule de la Constitution de l’OIT qui dit que la
viduels et sociaux. Le travailleur va devoir être
paix mondiale ne peut s’installer que si elle
motivé, alors que «l’acier ne se demande pas si
basée sur la justice sociale. Une perception plus
l’éclairage est suffisant, et ne s’inquiète pas de
globale des NIT dépasse les limitations étroites
savoir où sont les toilettes et s’il y a des fleurs
de la logique des coûts, et également les partis
dans la pièce» (Stiglitz 2001). Un travailleur va
pris qui sous-tendent la plupart des controver-
être plus ou moins productif, coopératif et pren-
ses sur les NIT. Elle se situe dans un cadre
dra des initiatives selon la façon dont il ou elle
conceptuel de développement. Elle part du prin-
est traité: tout dépend s’il considère que son
cipe que le traitement des travailleurs selon les
salaire est justifié par rapport aux exigences du
NIT peut se révéler déterminant pour la crois-
travail; si son salaire lui suffit pour vivre, ou
sance, le développement et la lutte contre la
s’il lui faut un deuxième ou troisième emploi
pauvreté. À partir de là, la question centrale
pour y arriver, auquel cas l’investissement qu’il
est comment les NIT peuvent rendre les res-
mettra dans son premier emploi sera proba-
sources du travail productif pour le bien com-
blement réduit; si le travailleur obtient un sa-
mun.
laire équivalent pour un travail équivalent; si le
salaire est réellement payé pour le travail ac-
a) Pourquoi a-t-on besoin de normes
internationales du travail (NIT)?
compli et s’il est versé à temps; si le travailleur
subit une discrimination au moment de trouver
un travail, d’obtenir une formation ou une pro-
Spécificités du travail et du marché du travail
motion; si le travail est sécurisé ou non; si
l’emploi est stable ou non; si les réclamations
Pour comprendre les origines et les objectifs
et les différends peuvent s’exprimer, et si, en
des normes du travail, il est nécessaire de bien
cas de conflit, il existe une protection légale et
appréhender la nature spécifique du travail et
un syndicat qui puisse fournir un appui; si ce
du marché de l’emploi. L’orthodoxie économique
syndicat est libre et indépendant ou non; si les
traite le travail comme n’importe quel bien com-
heures de travail sont normales ou excessive-
mercial, et le marché du travail est sujet aux
ment longues ; si le travailleur se sent inséré à
mêmes lois et principes que l’offre et la deman-
son arrivée et bénéficie d’une formation initiale;
de qui gouvernent n’importe quel autre marché.
si l’emploi est porteur d’opportunités d’avan-
En revanche, le paradigme économique insti-
cement professionnel; etc. En bref, ce que le
tutionnel et hétérodoxe adopte un point de vue
travailleur fournit dépend des termes du con-
fondamentalement différent. Dans sa Déclara-
trat, des conditions de travail, de l’environne-
tion de Philadelphie de 1944, l’OIT affirme que
ment au travail, de la représentation collective,
«le travail n’est pas un produit de base». Il
de la bonne application des règles, etc. Son
s’ensuit que le marché du travail est un mar-
comportement dépend de ce que l’OIT en est
ché spécifique. Il ne fonctionne pas comme le
venu à appeler «la décence» du travail, une no-
marché des pommes de terre, de l’acier ou des
tion inconnue dans les marchés des produits
ordinateurs. Une justification économique de ce
de base. Le contrat de travail ne s’intéresse pas
point de vue est que la contrepartie de l’échange
uniquement à l’efficacité attribuée (ce qui est la
dans un contrat de travail est incertaine. Les
préoccupation principale de la théorie écono-
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL ET DÉVELOPPEMENT
65
mique néo-classique), mais aussi à l’efficacité
l’économie est ouverte aux marchés internatio-
productive, qui dépend de l’équité et de la jus-
naux. Des options supplémentaires émergent,
tice sociale. Du moins c’est le cas dans un mar-
comme la possibilité de délocaliser la produc-
ché du travail «libre». Une autre façon de con-
tion et les services à l’étranger. L’option de la
traindre le travailleur à produire est la force,
migration internationale est bien sûr égale-
soit par le travail contraint, soit par la peur (de
ment valable pour au moins quelques travail-
la perte du travail et des ressources), ou par la
leurs, mais elle se paye souvent très cher en
faim.
relations sociales perturbées. En général, le ca-
Une deuxième spécificité du marché du
pital est plus mobile que le travail.
travail est l’asymétrie fondamentale de pouvoir
Assez bizarrement, l’idée de donner au tra-
entre les travailleurs et les employeurs, et les
vailleur plus d’autonomie d’action sur le marché
forts risques de marginalisation et d’exclusion.
du travail et de rendre les relations d’emploi
En l’absence de loi du travail et de protection
plus équilibrées est très rarement abordée par
sociale, les travailleurs sont dans une position
l’économie orthodoxe. On pourrait espérer
de faiblesse latente car ils n’ont pas d’autre
qu’un esprit néo-libéral verrait d’un bon œil
alternative pour gagner leur vie que l’emploi;
une plus grande symétrie de pouvoir dans les
et ils sont contraints de vendre leurs services
relations d’emploi car les libéraux mettent l’ac-
de travail à n’importe quelle condition et à n’im-
cent sur l’importance du libre-arbitre des entre-
porte quel prix. En revanche, les employeurs
preneurs et de l’autonomie des acteurs dans la
ont en général à leur disposition d’une plus
construction d’authentiques relations marchan-
large palette de ressources et de moyens d’ac-
des.
tion. Ils sont souvent mieux lotis en capital et
La vulnérabilité et la dépendance sont ex-
ont une certaine latitude par rapport à l’em-
trêmes quand les travailleurs sont sans éduca-
bauche. Ils peuvent remplacer un travailleur
tion, pauvres, sans terre ou ligotés par les det-
par un autre, sous-traiter le travail à une autre
tes, et quand ils n’ont pas accès au crédit et
entreprise, installer des procédés qui réduisent
aux possibilités d’épargne. La vulnérabilité
les besoins en personnel, ou investir leur capi-
n’est pas non plus réservée aux salariés en rela-
tal dans d’autres activités. Pour équilibrer cette
tion de dépendance avec un employeur. Elle
inégalité de pouvoir dans les relations d’em-
s’étend aussi à de nombreux travailleurs indé-
ploi, il est nécessaire d’intervenir sur le mar-
pendants, c’est-à-dire aux travailleurs qui sont
ché du travail pour renverser le pouvoir de né-
à leur compte, qui sont dans une relation con-
gociation du côté du travailleur, soit par le biais
tractuelle asymétrique avec un entrepreneur
de prestations publiques de protection, soit par
(maître d’oeuvre). Cela s’étend aux employeurs,
un système d’organisation collective et de né-
spécialement dans les petites ou micro-entre-
gociation collective. Mais même avec une telle
prises, qui sont déjà sous-traitantes d’autres
correction des inégalités de pouvoir sur le mar-
entreprises ayant plus ou moins la possibilité
ché du travail, il est admis que les travailleurs
d’imposer les termes des relations de travail.
sont toujours dans une position défavorisée.
Enfin, la vulnérabilité est un facteur intrinsèque
Comme le dit Stiglitz: «Il est bien plus facile
pour certains groupes de travailleurs, principa-
pour un employeur de remplacer des travail-
lement ceux qui ont des besoins spécifiques,
leurs récalcitrants que pour des employés de«
comme les femmes, les jeunes, les handicapés
remplacer »un employeur récalcitrant, surtout
et les migrants. Sans protection ou promotion
quand l’emploi abonde» (Stiglitz 2001).
spécifiques, ils sont sujets aux abus, et parfois
L’équation du pouvoir a tendance à pencher
encore davantage en faveur de l’employeur quand
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
exclus de l’emploi.
66
NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL ET DÉVELOPPEMENT
Les fonctions clés des NIT
En instaurant un plancher minimal ou un
plafond pour l’utilisation du travail, et en em-
Pour remédier aux déficiences structurelles du
pêchant ainsi le sous-paiement. la surutilisa-
marché du travail explicitées ci-dessus, les nor-
tion du travail, l’exploitation et le harassement,
mes du travail sont élaborées pour assurer les
les NIT peuvent empêcher une concurrence
trois fonctions suivantes (Sengenberger 1994):
destructrice sur le marché du travail. En même
Participation: les NIT assurent la liberté
temps, les normes peuvent promouvoir une
d’association des travailleurs et des employeurs;
concurrence constructive, c’est-à-dire une con-
le droit aux négociations collectives; la consulta-
currence parmi les employeurs sur la base de
tion tripartite au niveau national; et la partici-
pratiques de travail qui soient bonnes et effica-
pation et la coopération au niveau de l’entre-
ces («la course au sommet»). La concurrence
prise.
positive est facilitée par l’établissement de con-
Protection: Les NIT protègent les travail-
ditions requises pour coopérer en toute con-
leurs des abus de pouvoir des employeurs et de
fiance, pour examiner ensemble les récrimina-
l’État, et aussi d’une concurrence déloyale des
tions, pour apaiser sereinement les conflits, et
autres travailleurs. Ils interdisent le travail des
par le recours à des politiques et des mesures
enfants, le travail forcé ou obligatoire et la dis-
qui développent et utilisent pleinement les res-
crimination dans l’emploi et la profession; ils
sources du travail, en incluant des catégories
décident de nombres d’heures de travail maxi-
de travailleurs qui sont vulnérables ou qui ont
mum, de durées minimums pour les pauses de
des besoins particuliers.
repos, des congés payés et des congés mater-
Les normes de participation, de protection
nité. Ils accordent une protection spéciale aux
et de promotion se renforcent mutuellement.
femmes, aux jeunes, contre le travail de nuit, le
Le fait de respecter un type de normes rend plus
travail à la maison, aux travailleurs migrants,
facile la mise en place d’autres normes. Quand
autochtones ou tribaux et aux groupes profes-
les pays appliquent les trois types de normes,
sionnels spécifiques comme les marins, les
ils atteignent des résultats sociaux et écono-
dockers, les pêcheurs et les ouvriers agricoles.
miques satisfaisants. Les pays d’Europe du Nord
Ils déterminent les salaires minimums garan-
en sont une bonne illustration (encadré 4.1). L’in-
tis; ils réclament une périodicité fixe pour le
teractivité des normes fonctionne également
versement des salaires; ils protègent le travail-
dans un sens négatif. Ainsi, par exemple, quand
leur en cas d’insolvabilité de l’employeur; ils dé-
les syndicats sont faibles, la couverture en négo-
livrent une protection contre les accidents et les
ciations collectives et en salaires minimums
maladies professionnels, et une protection du
garantis a tendance à être faible et les presta-
travailleur en cas de maladie, d’invalidité, de
tions de sécurité sociale sont maigres ou absen-
cessation d’emploi, de chômage ou de vieillesse.
tes. Il arrive aussi qu’en l’absence de syndicats
Promotion: Les NIT définissent des politi-
et de négociation collective, le gouvernement
ques d’emploi pour tous, correctement rému-
pratique une sur-réglementation. Un déficit de
néré et librement choisi, le développement des
la sécurité sociale va souvent de pair avec de
ressources humaines par l’éducation et la for-
fortes inégalités sur le marché du travail et
mation professionnelles, par l’orientation et la
souvent aussi avec un fort taux de pauvreté, ce
réhabilitation professionnelle, l’emploi pour les
qui à son tour rend souvent difficile l’installa-
personnes handicapées, les services publics et
tion de beaucoup de normes sociales et de tra-
privés pour l’emploi, les services de soins et
vail. Une autre illustration peut être tirée du
autres services sociaux, les statistiques du tra-
domaine de la migration. On a appris qu’un
vail, l’inspection du travail et l’administration
manque d’application et de mise en oeuvre des
du travail.
normes du travail, dans les pays d’accueil com-
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL ET DÉVELOPPEMENT
67
ENCADRÉ 4.1: Intégrer les normes de participation, de protection et de promotion:
Économies à haute valeur ajoutée de l’Europe du Nord
Une étude de l’OIT a dévoilé que le Danemark et les autres pays nordiques ont efficacement mis en application toutes les
NIT et que leurs résultats économiques et sociaux sont supérieurs à ceux de tous les autres pays. Parmi les pays industrialisés, ils se situent en tête ou tout près de la tête sur pratiquement tous les indicateurs sociaux et économiques. Ils ont le plus
fort niveau d’organisation collective (syndicats, patronat et couverture en négociations collectives), des relations industrielles
et des dialogues sociaux solides, le plus fort salaire minimum garanti par rapport au salaire moyen, la plus faible inégalité
de salaires et de ressources, le plus haut niveau de protection du revenu, et le plus haut niveau de dépenses pour une
politique active en faveur du marché du travail. Leur efficacité supérieure au niveau économique et social se traduit également dans les plus forts taux de participation de la force de travail, des taux d’emploi maximums par rapport à la population
et des niveaux d’activité sur marché du travail similaires pour les hommes et pour les femmes, une égalité des genres, un
chômage et un sous-emploi bas, une pauvreté faible, un fort taux d’accroissement de la productivité horaire, une forte
hausse du PIB, des salaires effectifs élevés, une inflation faible, une balance commerciale positive et un équilibre des
comptes courants, une stabilité fiscale, une bonne imprégnation des technologies de l’information et de la communication,
et de faibles taux de criminalité, de corruption et d’autres pathologies sociales (Egger et Sengenberger, ed. 2002). De
récentes recherches de l’OIT ont confirmé que parmi 90 pays étudiés, la Suède, la Finlande, la Norvège et le Danemark sont
parmi les plus efficaces en matière de stabilité économique, évaluée selon un index composite qui recouvre la stabilité du
marché du travail, la protection de l’emploi et la stabilité de l’emploi, et la sécurisation des compétences, du travail, de la
représentation et du revenu. À l’exception du Canada, les 15 pays les plus performants dans ce domaine étaient tous
Européens (OIT, 2004b).
Contrairement aux prévisions du début des années 1990, les états-providence socialistes du nord de l’Europe ne se sont
pas encore écroulés, et font au contraire preuve d’une résistance remarquable. Les forts taux d’imposition servant à financer
les exigences du travail et l’Etat-providence n’ont eu aucune incidence négative sur l’économie. Le succès du développement des pays d’Europe du Nord se répercute également dans un classement élevé sur l’index du développement humain
du PNUD (HDI). Dans le dernier classement d’un total de 173 pays, parmi les 53 pays avec un fort taux de développement
humain, tous les pays d’Europe du Nord se situent dans le peloton de tête du groupe à indice élevé : la Norvège est première
mondiale, la Suède seconde, l’Islande se place en 7ème position, la Finlande est dixième et le Danemark quatorzième
(PNUD 2002).
me dans les pays d’origine, laisse libre cours à
Beaucoup considèrent les réglementations
l’exploitation des migrants et, finalement, au
associées aux NIT comme une camisole de force
travail forcé. La tolérance aux restrictions sur
pour les entreprises et l’économie en général.
la liberté de mouvement, les longues heures
Une telle vision néglige l’origine de l’établisse-
travaillées, des assurances maladies ou socia-
ment des normes. Au contraire, les normes du
les faibles ou inexistantes, le non-paiement des
travail peuvent être considérées comme un mé-
salaires, le logement insalubre, etc., tout cela
canisme institutionnel qui sert d’intermédiaire
contribue à l’expansion d’un marché de mi-
entre les intérêts stricts des entreprises et les
grants clandestins qui n’ont pas d’autre choix
intérêts plus larges des générations présentes
que de travailler dans des conditions qui se-
et futures de travailleurs; et enfin entre les in-
raient intolérables et inacceptables dans un
térêts des différents pays. Les normes sont la
emploi légal.
résultante d’efforts visant à concilier ces intérêts contradictoires.
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
68
NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL ET DÉVELOPPEMENT
Les normes ne sont pas créées sans néces-
si bien dans des bons ou mauvais contextes de
sité. Au sein de l’OIT, l’établissement de nor-
travail. Ils servent de bornes indicatives pour
mes commence avec la perception et la recon-
les économies émergentes qui sont confrontées
naissance d’un problème affectant le travail,
aux effets des échanges commerciaux sur le
qui est suffisamment urgent et répandu en
travail. La composition tripartite (employeurs,
terme de nombre de pays affectés pour être
travailleurs et gouvernement) des organes légis-
inscrit à l’ordre du jour des corps législatifs tri-
latifs et de contrôle de l’OIT garantissent qu’au
partites ad hoc de l’OIT. Après une discussion
cours de l’élaboration des normes, les contrain-
approfondie sur l’origine, la nature et les solu-
tes de faisabilité, d’adaptabilité et d’efficacité
tions possibles pour résoudre le problème dé-
sont bien prises en compte. La représentativité
tecté, la décision peut être prise de s’orienter
du monde entier dans ces organes permet
vers un instrument normatif de l’OIT, c’est-à-
d’examiner une grande diversité de situations,
dire soit une Convention, soit une Recomman-
d’institutions et de situations locales. Les pro-
dation. Si l’instrument est finalement adopté
cédures n’induisent pas forcément les mêmes
par la majorité des deux tiers de la Conférence
résultats dans tous les pays, mais elles garan-
Internationale du Travail, il est ensuite soumis
tissent l’universalité dans le processus d’élabo-
aux autorités législatives des différents pays
ration des normes et leur application.
pour être ratifié. Souvent, la mise en applica-
Les NIT peuvent être considérées comme
tion qui en découle dans les pays membres de
des biens publics internationaux. Ils sont le ré-
l’OIT, et le contrôle de cette mise en application
sultat de vastes compilations de connaissances
par des comités d’experts, améliore encore la
au niveau international, contenant les informa-
perception du problème et la façon de le gérer.
tions, la connaissance et les expériences con-
Quand un pays ne respecte pas une Convention
crètes qui remontent par l’OIT. Il est évident
de l’OIT, ses pratiques seront soumises à une
économiquement qu’en l’absence de réglemen-
enquête, dont découlent en général des recom-
tations nationales, les biens publics ne sont pas
mandations sur les façons de surmonter les
offerts, ou pas suffisamment. Les biens publics
problèmes qui sont la cause de la violation.
sont disponibles à tous, leur utilisation par une
La procédure d’établissement des normes
catégorie n’exclut pas leur utilisation par une
indique clairement que les NIT sont des outils
autre catégorie, et ils sont gratuits. Le Rapport
internationaux transmissibles pour une meil-
de la Banque mondiale sur Combattre la pau-
leure compréhension et résolution de problèmes
vreté conclut: « Beaucoup des défis que doivent
qui débordent des frontières. En règle générale,
relever les pays pauvres ont la possibilité d’être
les NIT promulguent un objectif général et pré-
résolus par la production de biens publics in-
cisent les moyens et instruments pour l’at-
ternationaux» (Banque mondiale, 2000).
teindre, reprenant souvent la synthèse des
En tant que biens publics internationaux,
expériences des pays qui ont rencontré le pro-
les NIT ajoutent de la valeur aux normes natio-
blème et ont trouvé une solution, ou au moins
nales du travail (NNT). Ils sont une source
une façon de le gérer. La collecte d’informa-
d’inspiration pour l’action nationale (Valticos
tions qui précède l’établissement de la norme
1979). Par exemple, la prescription de la Con-
de l’OIT, l’examen de son adéquation dans le
vention n°1 de l’OIT (1919), et de la Conven-
contexte du pays et le retour d’information à
tion n° 47 (1945) qui fixent un nombre maxi-
l’OIT constituent une mine de connaissances
mum d’heures de travail normal par jour et
internationales sur la façon de traiter ces pro-
par semaine a puisé dans l’expérience de plu-
blèmes. Ils incarnent la sagesse accumulée in-
sieurs pays où le temps de travail bien trop
ternationalement sur les usages en matière de
élevé éreintait les capacités des travailleurs jus-
travail, reprenant l’expérience accumulée aus-
qu’à affecter leur productivité, et jusqu’à pro-
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL ET DÉVELOPPEMENT
69
voquer même des départs à la retraite anticipé.
ne du travail peuvent occasionner de sérieuses
Des horaires excessivement longs affectent
entraves ou contraintes pour le développement
aussi bien l’individu que la collectivité, qui peut
à long terme. Une récente étude de l’OIT sur
avoir à prendre en charge le travailleur invali-
les impacts économiques du travail des enfants
de. Une norme générale limitant le nombre
illustre ce point. Il a été démontré qu’à court
d’heures travaillées peut donc être considérée
terme, le travail des enfants accroît le revenu
comme une indication utile pour des travail-
des ménages d’environ 20 pour cent, ce qui peut
leurs et des employeurs ayant eu la tentation,
augmenter leurs chances de survie; à plus longue
entraînés par une concurrence non contrôlée
échéance, cependant, le travail des enfants ren-
entre travailleurs, de pousser au maximum leur
force la pauvreté des ménages parce qu’il ralen-
capacité pour travailler quand ils sont jeunes,
tit à la fois la croissance économique à long
générant de graves conséquences pour l’avenir.
terme et le développement social en diminuant
Actuellement, il existe des rapports sur de jeu-
les chances de formation d’un capital humain
nes ingénieurs en informatique qui ne suppor-
(Galli, 2001).
tent aucune restriction sur la durée et sur l’or-
Un troisième exemple des enseignements
ganisation de leur temps de travail. À l’instar
transnationaux parle de la sécurité sociale.
des économistes libertaires, ils considèrent
Dans les sociétés traditionnelles, les mécanis-
l’absence de réglementation comme une sorte
mes de soutien interpersonnels en cas de mala-
de liberté – la liberté au-delà des règlements.
die, d’invalidité, de chômage et de vieillesse
Les normes du travail, comme cette limitation
sont basés sur les liens de parenté. La famille
du temps de travail, procure une autre sorte de
élargie comprenant deux ou trois générations,
liberté – la liberté de conserver sa capacité de
ou même un système plus large de consangui-
travail durant toute sa vie en âge de travailler.
nité, fournit le soutien collectif. Typiquement,
C’est pourquoi on ne doit pas considérer les
les jeunes travaillent pour l’entretien des plus
NIT comme antithétiques de la liberté, ni com-
âgés. Lors de l’industrialisation, les liens de la
me des instruments «anti-marché».
famille élargie tendent à s’affaiblir ou même à
Un autre exemple d’enseignements insti-
disparaître avec l’apparition de la cellule fami-
tutionnels transnationaux remontant par l’OIT
liale nucléaire. En conséquence, la protection
concerne la lutte contre le travail des enfants,
sociale basée sur les liens de parenté tend à ne
et l’élimination des pires formes de travail des
plus fonctionner, nécessitant de nouveaux sys-
enfants dont traitent les Conventions n° 138 de
tèmes de sécurité sociale organisés par l’état.
1973 et n° 182 de 1999. La collecte, la documen-
Dans les dernières décennies, de nombreux
tation et la diffusion d’informations et d’ex-
pays, principalement des économies émergen-
périences, ainsi que l’assistance technique de
tes, sont passés par cette mutation. Leurs gou-
coopération qui fait partie du Programme inter-
vernements ont examiné les expériences d’au-
national de l’OIT pour l’éradication du travail
tres pays ayant mis en place des systèmes de
des enfants, développent et soutiennent la bon-
protection sociale publics ou collectifs plus
ne volonté, les moyens et les possibilités des ac-
larges. Les organisations internationales ont
teurs locaux qui sont confrontés au problème.
apporté leur soutien et les Conventions de l’OIT
Cela permet au problème d’être reconnu plutôt
sur la sécurité sociale ont servi de fils direc-
que caché, en renforçant la conviction que l’on
teurs pour qu’ils effectuent des réformes dans
peut faire quelque chose, et en fournissant des
ce domaine.
conseils et des expériences concrètes pour
combattre le travail des enfants.
Les NIT apportent également une valeur
dans le sens où ils sont des outils de résorption
Les NIT renferment une sagesse qui dit
de conflits d’intérêts internationaux. Cela con-
que les bénéfices à court terme dans le domai-
cerne des actions dans un pays qui ont des
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
70
NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL ET DÉVELOPPEMENT
conséquences négatives sur d’autres pays. Des
politiques et les actions procurant des chocs
exemples de telles externalités négatives ou per-
négatifs sur les concurrents, à l’intérieur ou à
tes sur le plan social vont du maintien artificiel
l’extérieur des pays. Mais les NIT fournissent
des salaires et des coûts du travail à un bas ni-
également des retombées positives dans la me-
veau afin de remporter des avantages sur des
sure où – dans le cadre de l’OIT ou d’autres in-
pays concurrents, ou l’utilisation de matériaux
stitutions internationales – un processus d’ap-
toxiques mais peu coûteux, ce qui peut faire per-
prentissage international conduit à la diffusion
dre des marchés à un concurrent qui utilise des
d’expériences utiles et à la propagation de bon-
composants non dangereux, mais plus chers.
nes pratiques dans le domaine du travail. Les
Les syndicats ont l’habitude d’appeler cela des
deux fonctions des normes se mêlent pour amé-
«pratiques déloyales» ou du «commerce dé-
liorer par tout un processus de convergence
loyal». Si, en raison des échanges et des inves-
internationale les conditions de travail et les
tissements transfrontaliers, la nature du pro-
conditions de vie, en les entraînant dans la di-
blème concernant le travail est internationale,
rection des pays où les normes sont élevées.
la solution doit également être internationale.
À cet égard, les normes du travail fonctionnent
de la même façon que les normes environne-
b) Dividendes économiques, sociaux et
politiques
mentales. Un pays dont l’air se retrouve empoisonné par du dioxyde de carbone provenant
Dans les sections suivantes, nous abordons
de pays voisins, ou dont les rivières sont pol-
plus en détail les principaux bénéfices écono-
luées par des rejets toxiques de pays en amont,
miques, sociaux et politiques qui peuvent dé-
va devoir faire appel à un accord international
couler de l’adoption et de l’observance des dif-
s’il veut que le problème soit réglé pacifique-
férentes sortes de NIT.
ment. Des pollutions ou pertes trans-nationales similaires peuvent se passer dans le domaine
Débrider les forces productives
du travail. Lors de la seconde vague de mondialisation de la deuxième moitié du 20e siècle,
Après avoir augmenté la quantité d’emploi, la
l’ampleur des pertes transnationales, ou «pol-
nécessité d’améliorer la productivité du travail
lution sociale», s’est considérablement accrue.
est l’un des plus grands défis d’aujourd’hui. Un
Elles peuvent être traitées soit de façon curative
travail non efficace est un obstacle important à
quand le mal est fait, ou mieux de façon pré-
la croissance, encore plus dans le monde en dé-
ventive et anticipée par l’application d’une
veloppement, où les travailleurs pauvres repré-
norme du travail ou sociale acceptée et appli-
sentent environ 30 pour cent de la population.
quée internationalement. Pour une raison in-
Jusqu’à présent, y compris dans les pays indus-
déterminée, le principe de normes apparaît
trialisés, subsiste une marge d’amélioration signi-
parfois mieux accepté sur le terrain écologique
ficative pour la productivité. Un récent rapport de
que sur le terrain du travail. Une raison simple
la British Proufoot Consulting Company concer-
en est peut-être que la pollution environnemen-
nant neuf pays, dont l’Autriche, l’Australie, la
tale tend à affecter tout le monde, riches et
France, l’Allemagne, la Hongrie, l’Afrique du
pauvres, puissants et déshérités, de façon plus
Sud, l’Espagne, le Royaume-Uni et les États-
ou moins égalitaire, alors que les effets de la pol-
Unis, démontrait que 38 pour cent et 43 pour
lution sociale ont tendance à se concentrer sur
cent du temps de travail étaient perdus pour
les groupes les plus déshérités de la société.
cause de mauvaise organisation. Parmi les princi-
En conclusion, les NIT sont un outil pour
pales faiblesses étaient cités une planification et
prévenir les pays de débords sociaux négatifs,
un contrôle de gestion inappropriés, une supervi-
ou «externalités négatives». Ils préviennent les
sion inadéquate et une communication inefficace.
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL ET DÉVELOPPEMENT
Les NIT peuvent être considérées comme
71
prises plus efficaces et plus modernes d’accroître
un mécanisme et un outil pour améliorer l’effi-
leurs parts de marché. À l’inverse, quand il exis-
cacité de la production. Leur fonction économi-
te un salaire minium, la flexibilité descendante
que est d’instaurer un cadre légal et institution-
est stoppée. Les entreprises qui sont incapables
nel favorisant le développement de la ressource
ou ne souhaitent pas se mettre aux normes
humaine, de garantir l’égalité et la justice dans
sont expulsées du marché. Les entreprises doi-
le travail, en même temps qu’ils fournissent une
vent chercher des avantages concurrentiels dans
notion de certitude et de prévisibilité, afin d’en-
d’autres domaines plus constructifs et plus in-
courager le potentiel productif aussi bien des
ventifs, c’est-à-dire dans des conditions de tra-
travailleurs que des employeurs. Ils contribuent
vail se situant au-dessus du standard minimum.
à éviter les abus d’usage aussi bien que la sous-
Les salaires minimums améliorent l’efficacité
utilisation du potentiel de travail et l’exploitation
en incitant les employeurs à améliorer leur
des individus et des groupes les plus faibles sur
gestion, la technologie, les produits et les pro-
le marché du travail.
cédés, et en les poussant à mieux utiliser leurs
Les conséquences bénéfiques des NIT sur
employés par des politiques de ressources
la productivité sont de plus en plus reconnues.
humaines améliorées. Donc, les conséquences
En 2000, l’OCDE a publié les résultats d’une
économiques d’un plancher obtenu par des sa-
compilation d’études empiriques sur l’impact
laires minimums garantis sont à double tran-
des NIT fondamentales dans 75 pays dévelop-
chant. Ils rejettent la concurrence nocive en
pés ou en voie de développement. Elle a démon-
dehors du marché du travail, et ils transfèrent
tré que les pays qui renforcent leurs normes
la concurrence au niveau du marché du pro-
fondamentales du travail peuvent accroître leur
duit et de la qualité du produit. L’instauration
efficacité économique en élevant les niveaux de
d’un salaire minimum peut être envisagée
qualification de la main-d’œuvre et en créant un
comme une incitation à l’ «efficacité dynamique»,
contexte favorable à la productivité et l’innova-
bien supérieure à l’«efficacité statique» de la
tion (OCDE, 2000).
théorie conventionnelle. Il est intéressant de
Les NIT donnent aux entreprises une im-
constater que les fondamentalistes du marché,
pulsion afin de promouvoir la compétence et
qui d’ordinaire encensent les vertus du marché
l’utilisation rationnelle des ressources. Sans un
et de la concurrence qui l’accompagne, s’oppo-
plancher minimum salarial et d’autres garan-
sent à une mesure comme le salaire minimum
ties de l’emploi, peuvent exister des enchères
qui renforce la concurrence sur le marché au
inversées pour les salaires débouchant sur de
bénéfice de l’entreprise productive qui gagne
faibles salaires et des rémunérations en spirale
de l’activité et des emplois sur ceux qui sont
descendante. Il y a longtemps qu’on reconnaît
moins productifs sur le marché. Il est également
le besoin d’un plancher aux conditions de l’em-
étrange de noter que les mêmes personnes qui
ploi. Au milieu d’un débat sur ce manque de
d’habitude se battent contre la protection de-
salaire minimum garanti en Grande-Bretagne,
viennent «protectionnistes» quand elles défen-
et l’introduction du Trade Boards Bill à la Cham-
dent la persistance d’emplois à faible produc-
bre des députés anglaise en 1909, Winston Chur-
tivité.
chill a lancé la fameuse remarque, «…le bon
Les économistes traditionnels contestent
employeur est entraîné par le mauvais, et le
le salaire minimum, surtout s’il n’est pas fixé à
mauvais employeur par le pire». En l’absence
un niveau assez bas, au nom d’un effet de choc
d’un salaire minimum établi par statut ou par
négatif sur la croissance et l’emploi. Il a aussi
accord collectif, les entreprises à la traîne au ni-
été mis en avant que de hauts niveaux de sa-
veau technologique et dans leur gestion survi-
laire minimum par rapport au salaire moyen
vent sans difficulté, ce qui empêche les entre-
peuvent entraîner une fraude sur le paiement
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
72
NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL ET DÉVELOPPEMENT
des salaires minimums (Banque mondiale 2005,
fessionnelle et la définition de postes de travail
p. 144). Dans une étude empirique sur l’impact
qui fassent plein usage des capacités de la
des salaires minimum garantis, on concluait
main-d’oeuvre, et la spécialisation au cours de
que les inquiétudes sur leurs effets néfastes
l’emploi. Les qualifications spécifiques à l’entre-
n’étaient pas sérieusement fondées. Les salai-
prise se développent souvent automatiquement
res minimums ne pouvaient pas être tenus pour
dans le processus du travail, alors que la forma-
responsables d’une diminution de l’emploi ou
tion à des qualifications génériques qui soient
du chômage (Card et Krueger, 1995). Par suite
transférables à d’autres entreprises nécessite
de la sortie du marché des entreprises ineffica-
une réglementation. En son absence, les emplo-
ces, certains emplois peuvent disparaître. Mais
yeurs hésitent à engager des frais de formation
cela n’implique pas un déclin du niveau global
par crainte de perdre le retour sur investisse-
d’emploi, puisque la demande se déporte sur
ment.
les entreprises plus rentables. Le problème
Dans un système de production qui se ca-
d’un manque d’emplois productifs ne peut pas
ractérise par une forte division du travail, la
être résolu par de bas salaires mais plutôt par
productivité dépend beaucoup du degré de co-
une redistribution de la demande globale et
opération entre les travailleurs, et aussi entre
par des politiques adéquates sur le marché du
les travailleurs et la direction. Cette coopéra-
travail. En fait, les salaires minimums peuvent
tion, à son tour, influe sur le degré de confiance
renforcer la demande de travail, et donc l’em-
qu’a le travailleur dans son emploi. Les travail-
ploi, en redistribuant un revenu aux salariés
leurs qui sont en constante concurrence avec
pauvres qui dépensent une grande partie de leur
des collègues sur leur poste, ou qui se sentent
revenu (Wilkinson 1995). De plus, un fort taux
menacés par une redondance, n’auront pas ten-
d’emploi et un faible taux de chômage entraî-
dance à partager leurs connaissances et com-
nent de moindres dépenses de protection so-
pétences avec les autres, par peur de saper leur
ciale et génèrent des impôts sur le revenu plus
propre position concurrentielle. En revanche,
importants qui peuvent servir d’aiguillon sup-
les travailleurs qui sont protégés par des me-
plémentaire à la croissance.
sures de sécurité contre la perte d’emploi et la
Une étude reprenant des données de 30
perte de revenus auront plus tendance à être
pays développés, principalement en Afrique et
vraiment rentables et à participer à des inno-
en Amérique latine, a démontré que l’augmen-
vations dans l’organisation du travail.
tation du salaire minimum contribue à la ré-
La coopération à l’intérieur et entre les en-
duction de la pauvreté sans avoir d’effet néga-
treprises est capitale pour l’efficacité et la crois-
tif notable sur le niveau d’emploi. N’était pas
sance. Dans les économies institutionnelles, il
non plus démontré que le ratio entre le salaire
est désormais clairement admis que la coopéra-
minimum et le salaire moyen était susceptible
tion doit être basée sur la confiance, qui a be-
d’affecter la taille de l’économie informelle en
soin en général de relations stables, y compris
Amérique latine. L’étude concluait que dans cet-
de relations d’emploi qui soient stables. La co-
te région, la fixité des salaires sous la forme d’un
opération ne peut pas s’établir dans un régime
plancher salarial n’est pas la cause principale de
de marché purement concurrentiel, dans lequel
l’importante économie parallèle.
les acteurs sont guidés par des intérêts stricte-
La productivité est bien améliorée si
l’instauration de clauses minimums pour l’em-
ment personnels et font des «choix rationnels»
individuels.
ploi et le travail, supprimant la concurrence
La présence ou l’absence de coopération
nocive, est renforcée par des mesures visant à
lors de la production, et particulièrement la co-
promouvoir la concurrence constructive. Parmi
opération entre travailleurs, la coopération
les mesures importantes figure la formation pro-
entre travailleurs et direction et la coopération
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL ET DÉVELOPPEMENT
73
entre entreprises, peut expliquer pourquoi nous
Bénéfices issus d’une organisation collective,
observons une grande disparité de résultats éco-
de relations industrielles saines et d’un
nomiques, même avec les mêmes quantités d’ap-
dialogue social
ports à la production et l’usage de la même technologie. La productivité est plus qu’une question
Il est avantageux, pour un bon usage de la force
d’«efficacité de répartition», qui signifie une
de travail et la gouvernance du marché du tra-
combinaison optimisée des facteurs en accord
vail, que ceux-ci soient animés par à une partici-
avec les prix relatifs. Le modèle économique
pation ouvrière, un dialogue social et un accord
standard a tendance à considérer la production
collectif entre les syndicats et les organisations
d’une façon plutôt automatique. Comme dans
de travailleurs. La participation ouvrière est un
un hachoir à viande, le capital, le travail et les
droit fondamental et une composante impor-
matières premières sont placés à un bout et le
tante de la démocratie au travail. En même
tout transformé ressort à l’autre bout. Peu d’in-
temps, c’est un outil pour accroître la producti-
térêt est porté à ce qui se passe pendant la
vité, l’innovation, les résultats de l’entreprise
transformation des apports de ressource. Le
et la compétitivité. Le dialogue et la négocia-
processus de travail lui-même reste une incon-
tion peuvent améliorer les intérêts conflictuels
nue.
et les préoccupations économiques et sociales
Souvent, il ressort que les économies clas-
de façon civilisée et constructive à la fois socia-
siques sont insensibles aux fondements sociaux
lement et économiquement. L’histoire du tra-
de la productivité et de l’innovation. Lisez cette
vail a constamment montré que là où il n’existe
anecdote: Début 2001, des travailleurs chinois
pas de canaux formels pour une résolution des
ont commencé à démanteler une aciérie désaf-
conflits basée sur la loi ou sur un accord, les
fectée à Dortmund en Allemagne et lui ont fait
travailleurs ont tendance à exprimer leur mé-
faire un demi-tour de globe jusqu’en Chine où
contentement à ce qu’ils ressentent comme des
elle a été remontée en 2004. Les experts avaient
injustices au moyen d’actions informelles, clan-
jugé la transplantation insensée d’un point de
destines, souvent perturbantes et incontrô-
vue économique, estimant qu’en construire une
lables.
autre, plus moderne, était plus rentable. Les
Les accords collectifs fixent les conditions
chinois, cependant, étaient persuadés que l’opé-
de l’embauche et les conditions de travail, ren-
ration en valait la peine. Leur logique économi-
dant ainsi les termes de l’emploi prévisibles et
que se référait à l’énorme gain en termes de
comptabilisables. Les employeurs connaissent
connaissances pratiques et d’expérience opé-
les coûts du travail au moins pour la durée du
rationnelle pour faire fonctionner l’usine, un
contrat de travail et, élément important, ils
sous-produit du démantèlement commun de
connaissent les conditions de tous les concur-
l’usine par des travailleurs chinois avec des
rents qui sont couverts par cet accord. Tous ces
travailleurs allemands qui avaient fait fonc-
éléments sont stables, ce qui est essentiel pour
tionner l’usine pendant de nombreuses années.
prendre de bonnes décisions d’investissement.
Le rapide re-démarrage et le fonctionnement
La paix sociale est un atout inestimable pour la
sans encombre de l’aciérie dans sa nouvelle
production et l’investissement. La participation
implantation ont semblé accréditer leur thèse.
ouvrière peut améliorer la qualité de la prise
En somme, les normes du travail servent à
de décision au sommet; elle a tendance à stimu-
stimuler la productivité de deux façons: elles ont
ler l’intelligence et la créativité de plus de per-
un effet dissuasif sur les entreprises peu ren-
sonnes pour trouver la meilleure solution à des
tables, et un effet incitatif pour la productivité, le
problèmes d’ajustement ou d’innovation; si les
progrès, avec des exigences institutionnelles. Une
travailleurs ont droit à la parole dans l’organi-
des motivations principales est la coopération.
sation du travail et dans l’élaboration des clau-
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
74
NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL ET DÉVELOPPEMENT
ses de l’emploi, les conditions de l’accord se-
ment sévères dans beaucoup de pays qui ont ré-
ront encore mieux respectées et appliquées. La
primé les syndicats» (Banque mondiale, 1995).
négociation collective fait que la détermination
L’expérience dans différentes régions mon-
des salaires est un processus plus transparent,
tre que la négociation collective débouche sur
pour les parties directement concernées, mais
des résultats positifs dans le développement
aussi pour un public plus large. Ce que l’on con-
économique et social. Nous avons déjà men-
sidère souvent comme le rituel démodé et coû-
tionné le fait que les pays du Nord de l’Europe
teux de la négociation est le préalable pour arri-
qui ont la plus forte densité de syndicats et la
ver à un compromis basé sur une reconnaissance
plus large couverture en négociations collecti-
complète des circonstances économiques et so-
ves se situent au sommet de presque tous les
ciales. Quand on souhaite fixer un «salaire dé-
indicateurs de réussite économique. Une com-
cent» adapté, la négociation entre les travail-
pilation de 1996 d’études empiriques dans les
leurs et les employeurs et en général la meil-
pays développés et en cours de développement
leure façon de décider de la rémunération.
a conclu que l’impact économique de l’applica-
L’avantage est que les gens décident pour eux-
tion de la liberté d’association et des droits à la
mêmes de ce qu’ils considèrent juste et raison-
négociation collective était positif. En moyen-
nable. «La négociation collective est le meilleur
ne, le PNB augmentait de 3,8 pour cent par an
moyen à notre disposition pour réconcilier les
avant l’amélioration de ces normes, et de 4,3
aspirations de progrès social avec le potentiel
pour cent après l’amélioration. En même temps,
de production. C’est un processus extrêmement
les effets des normes étaient peu importants par
flexible qui peut prendre en compte des condi-
rapport à l’impact d’autres facteurs comme la
tions extrêmement variables entre et à l’inté-
technologie, le prix des matières premières et les
rieur des pays» (Pursey, 1995). Ceci s’applique
conditions des échanges commerciaux (OCDE,
spécialement aux structures de négociations
1996).
multi niveau – comprenant le niveau national,
Les preuves d’une amélioration du déve-
sectoriel et d’entreprise – où l’on peut adapter
loppement économique après l’introduction de
les accords aux cas spécifiques et au contexte
la négociation collective sont également décrites
économique prédominant à chaque niveau de
par des études de cas dans des pays en déve-
la négociation.
loppement (voir encadré 4.2).
Dans son rapport de 1995 intitulé: Wor-
Il existe de nombreux exemples de débou-
kers in an Integrating World (Travailleurs dans
chés économiques favorables en cas de dialo-
un monde d’intégration), la Banque mondiale
gue social tripartite au niveau national et sous
souligne le fait que quand il n’existe pas d’or-
national. Dans de nombreux cas, la concertation
ganisation collective sur le marché du travail
sociale tripartite a débouché sur des pactes de
dans les pays en développement, la réglemen-
stabilité, d’emploi et de compétitivité macro-
tation gouvernementale a tendance à être ex-
économiques. Par exemple, dans des pays
cessivement développée. «En l’absence de syn-
comme la Bulgarie, la République Tchèque, la
dicats libres et de négociation collective, de
Hongrie, la Pologne et la Slovaquie, la consul-
nombreux gouvernements se sentent obligés
tation tripartite et la négociation ont contribué
de tendre la main aux travailleurs du secteur
à l’obtention d’une transition douce vers le sys-
public avec des réglementations du travail et
tème de l’économie de marché et le pluralisme
des privilèges spéciaux. C’est particulièrement
politique. Elle a prouvé qu’elle pouvait être un
vrai quand le gouvernement a besoin d’un sou-
outil déterminant pour concilier les intérêts
tien politique de groupes urbains organisés afin
divergents des travailleurs, des employeurs et
de rester au pouvoir. Il en résulte de nombreuses
du gouvernement dans le domaine de la mise
distorsions du marché du travail, particulière-
en place d’un marché du travail et de politiques
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL ET DÉVELOPPEMENT
75
ENCADRÉ 4.2: Amélioration du statut du travailleur et de la compétitivité dans
l’industrie du fruit au Brésil
Un exemple frappant d’un processus et de débouchés à effet cumulatif positif, aussi bien pour les travailleurs que pour
les employeurs, a émergé dans les années 1990 au Petrolina-Juazeiro (PJ), région très pauvre du Nordeste du Brésil,
transformée par les efforts couronnés de succès dans l’exportation de fruits de bonne qualité vers l’Europe et les EtatsUnis. Dans le cas de PJ, le syndicat des travailleurs a obtenu un engagement formel des planteurs pour un processus
permanent de négociation collective, des contrats de travail officiels garantissant – après le premier accord – un salaire
minimum plus 10 pour cent, et l’engagement de respecter le travail des enfants et des clauses d’hygiène et de sécurité
(Daminani, 2002). Le modèle PJ s’est étendu à une autre zone de plantations pour l’exportation du Nordeste – des
melons dans l’état de Rio Grande do Norte – une extension qui sans l’exemple de PJ n’aurait pas pu se développer
seule, encore moins sans conflit. L’histoire PJ a induit des bénéfices significatifs pour les travailleurs, tout en améliorant
la compétitivité des planteurs sur le marché international.
Le cas PJ démontre également qu’on peut éviter un conflit stérile entre le capital et le travail en Amérique latine où des
réformes de la législation du travail ont souvent été dans l’impasse au niveau national, en partie à cause du manque
d’institutions durables pour gérer des conflits à ce niveau (Tendler 2002).
de protection sociale, la prévention ou la réso-
du travail, de nouvelles réglementations et une
lution de grèves et de manifestations, pour ar-
réforme de la politique de sécurité sociale né-
river à une stabilisation macro-économique
gociée entre les partenaires sociaux et le gou-
(Kyloh 1995). De très bénéfiques retombées
vernement ont ouvert la voie à une augmenta-
d’un dialogue social tripartite au niveau natio-
tion
nal sont rapportées de la Barbade (voir enca-
redémarrage de l’emploi (Auer 2000). En Fin-
dré 4.3). Le dialogue social national en Autri-
lande, les organisations de travailleurs et d’em-
che, au Danemark, en Irlande et aux Pays-Bas
ployeurs et le gouvernement attribuent les ma-
a réussi à entraîner une guérison économique
gnifiques succès économiques des pays durant
et à beaucoup diminuer le taux de chômage.
la dernière décennie à un dialogue social glo-
Contrairement à une dérégulation du marché
bal dans un cadre tripartite (Encadré 4.4).
de
la
capacité
d’ajustement
et
ENCADRÉ 4.3: Histoire d’une réussite aux Caraïbes: le dialogue social national
à la Barbade
À la Barbade, la concertation sociale entre le gouvernement et la confédération nationale des employeurs et des syndicats a conduit à la conclusion de « protocoles sociaux » dans le courant des années 1990, orientés sur une stabilisation
économique, une réduction des salaires, une amélioration de la productivité et la construction d’un partenariat social et
économique durable. Les résultats sont impressionnants. Non seulement le déclin des années 1980 s’est inversé, mais le
pays a été sur le chemin d’une croissance économique d’environ 4 pour cent pendant huit années consécutives après
1993. Le chômage est tombé de 21,9 pour cent en 1994 à 8,8 pour cent en 1998 ; l’inflation a chuté brutalement,
tombant à une moyenne annuelle de moins de trois pour cent depuis 1995 ; les salaires réels dans l’industrie ont
régulièrement progressé depuis 1996, depuis que le résultat de la productivité augmente ; et le nombre et l’ampleur de
l’absentéisme ont décru de manière significative (Fashoyin, 2001).
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
au
76
NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL ET DÉVELOPPEMENT
La négociation collective et le dialogue so-
sein de structures de négociation centralisées
ciale nécessitent des acteurs indépendants.
et coordonnées (Traxler et Kittel,1997). En pré-
Ainsi, la liberté d’association et la non-interfé-
sence de négociations éparpillées, toute aug-
rence dans les politiques et affaires internatio-
mentation de salaires d’un groupe de négocia-
nales des organisations de travailleurs et d’em-
tion entraîne, en effet, une hausse des prix de
ployeurs ou de n’importe quel autre parti sont
tous les autres groupes de négociation. Même
des pré requis absolument indispensables.
si chacun des groupes séparément réussit à
Le rôle et l’impact des syndicats n’ont pas
contenir l’inflation des salaires à court terme,
grand-chose à voir avec les effets néfastes qui
l’effet à long terme est une hausse générale et
leur sont attribués par les économistes ortho-
compensatoire des prix. D’un autre côté, si
doxes. À leurs yeux, les syndicats «prennent en
chaque groupe individuellement prévoit d’aug-
otage» le reste de l’économie, ils restreignent le
menter les salaires afin de contrer l’inflation,
marché du travail et la concurrence du marché
cela ne profitera qu’à peine à tous les groupes
des biens, parmi encore bien d’autres façons
au détriment des salaires réels de ses mem-
d’interférer avec la rentabilité de l’économie.
bres. On ne peut éviter cela que si la négocia-
Ils sont accusés de faire grimper les taux sala-
tion salariale est centralisée (Wilkinson 2000,
riaux au-dessus du niveau compétitif et de ré-
p. 667). Une étude de l’OIT corrobore ce raison-
trécir les différences de salaire, empêchant ainsi
nement. Elle a démontré que dans des pays à
le marché du travail de s’assainir. En réalité, il
faible degré de coordination, l’inflation des biens
se pourrait bien que la négociation collective
de consommation montait jusqu’à 250 pour cent
ait l’effet inverse sur les distorsions du marché.
en 1990-98, alors que dans les pays qui ont un
Elle peut améliorer l’assainissement du mar-
degré moyen de coordination, l’inflation mo-
ché et le processus d’ajustement. Quand la rela-
yenne était d’environ 25 pour cent, et dans les
tion entre travailleurs et employeurs est en con-
pays avec un fort taux de coordination, l’infla-
fiance et bien établie, aucune des deux parties
tion moyenne se situait en dessous de 5 pour
n’utilise son pouvoir sur le marché de façon
cent OIT, 2000).
opportuniste. Les deux ont tendance à respec-
Les syndicats et leur action ne doivent pas
ter les contraintes du marché. Les organisa-
être uniquement considérés dans une étroite
tions de travailleurs ne poussent pas les reven-
perspective économique. Quand la liberté d’as-
dications salariales jusqu’au point maximum
sociation est acquise, et que les syndicats se
où un marché du travail serré pourrait leur
sentent libres et représentatifs, ils ne sont plus
permettre d’aller dans une période de crois-
seulement un élément crucial de la démocratie
sance. Lors d’une mauvaise conjoncture éco-
économique, mais ils sont également actifs pour
nomique, les employeurs ne réduiront pas les
fonder et stabiliser la démocratie politique. En
salaires ou les effectifs autant qu’ils en auraient
développant un contrepouvoir, les syndicats peu-
la possibilité. Un tel comportement n’est ni le
vent empêcher ou contrôler le phénomène de
signe de l’imperfection du marché, ni celui d’une
copinage. Dans ce sens, ils contribuent à une
trop grande bienveillance, mais plutôt d’une
bonne gouvernance. Une étude empirique sur
économie saine qui sait utiliser les avantages de
plusieurs pays utilisant des données de la pé-
l’action collective et de la confiance mutuelle.
riode 1985-94 a démontré que la liberté d’asso-
Une forte organisation collective sur le
ciation est en lien avec une corruption réduite,
marché du travail a plutôt tendance à contenir,
mesurée par l’index international de transpa-
plutôt qu’à causer, des pressions inflationnis-
rence à la corruption. La preuve était égale-
tes. Une inflation des coûts provenant de déci-
ment donnée d’une relation statistique positive
sions salariales a beaucoup plus de chances de
entre les normes du travail, la démocratie et la
survenir lors de négociations décentralisés qu’au
liberté politique (Palley, 2000). À son tour, la
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL ET DÉVELOPPEMENT
77
ENCADRÉ 4.4: L’extraordinaire capacité d’innovation de la Finlande:
L’impact du dialogue social
En Finlande, le dialogue tripartite entre le gouvernement, les organisations d’employeurs et les syndicats aborde très
largement les sujets de politique du travail et de politique sociale, allant jusqu’à d’importants aspects de la politique
économique. Les trois parties, ainsi que des observateurs étrangers, admettent que ce dialogue a assez considérablement
avantagé l’économie globale du pays, son développement social et politique, et sa position dominante dans la communauté internationale. Par exemple, les syndicats et les associations d’employeurs se sont mis d’accord avec le gouvernement pour mettre en place ce qu’ils appellent des fonds régulateurs qui servent à stabiliser les recettes et les dépenses
du système de sécurité sociale nationale lors de perturbations économiques. Cela aide le pays à éviter des déficits publics
pendant les périodes de récession. Dans un autre domaine, les travailleurs et les employeurs font partie du comité national qui édicte les grandes lignes des politiques de l’éducation et qui décide des programmes scolaires et des conditions
d’examens. Ils ont la parole pour déterminer la politique industrielle, notamment en étant membres du Conseil national
des sciences et techniques. Leur aptitude à jouer un rôle dans la formulation de la politique nationale est améliorée par
des taux d’adhésion de l’ordre de 90 pour cent et par une très importante couverture de la négociation collective
Les négociations tripartites en Finlande ont permis d’utiliser à grande échelle le potentiel national d’innovation et de
modernisation de l’économie d’une façon qui renforce la cohésion sociale. La Finlande a été une pionnière des technologies de l’information et de la communication. Dans les années 1990, elle atteignait le plus fort taux annuel de productivité de tous les pays industrialisés. Selon une évaluation des pays membres de l’OCDE en 2003, ses élèves étaient les
plus compétents en lecture et en mathématiques. En 2002 et 2003, l’économie finlandaise a été déclarée la plus compétitive au monde par le Forum mondial de l’emploi.
démocratie a une influence positive sur les
de leur pouvoir de négociation dans une opti-
hauts salaires (Rodrik, 1999). La liberté joue
que opportuniste. La tentation est plutôt forte
un rôle dans le développement économique, et
de le faire quand le pouvoir de négociation des
le développement à son tour induit la liberté en
groupes de travailleurs provient du caractère
desserrant les contraintes et les charges éco-
unique de leurs métiers ou du fait que leurs pro-
nomiques. Le lien conceptuel entre les deux a
ductions sont périssables. Ont également eu lieu
été démontré de façon très convaincante
ce qu’on appelle des «pratiques restrictives»,
par la notion de «développement pour la liberté»
une «protection excessive des salariés» etc. De
d’Amartya Sen (Sen, 1999). Quels sont l’influ-
telles pratiques trouvent leur origine non pas
ence exacte et les effets respectifs de la démocra-
forcément dans la force du syndicat, mais dans
tie, des libertés civiques et de la liberté d’asso-
la faiblesse ou l’insécurité qui y règnent, com-
ciation sur les salaires et la répartition des
me il a été clairement expliqué par la Commis-
revenus, ceci doit encore être démontré. Nuan-
sion royale britannique sur les syndicats et les
çant l’étude de Rodrik, Palley a trouvé que les
associations d’employeurs (voir la Grande-Bre-
normes du travail avaient plus de réel pouvoir
tagne 1968), ou par la concurrence et la rivali-
que la démocratie. Il en concluait que les pays
té entre syndicats. L’économie orthodoxe tend
démocratiques payent effectivement des sa-
à généraliser ces pratiques pour discréditer les
laires plus élevés, mais que la démocratie agit
syndicats et les organisations qui utilisent à
indirectement au moyen de l’application des
mauvais escient leur pouvoir monopolistique
normes du travail (Palley, 2000).
afin d’obtenir un avantage ou biaiser le marché.
On ne peut pas nier que certaines organi-
Dans la plupart des cas, là où existe un pouvoir
sations et groupes de travailleurs se sont servis
monopolistique, il est dépassé par le pouvoir
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
78
NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL ET DÉVELOPPEMENT
monopsonique des employeurs. De plus, le pou-
vices à leurs membres. Au niveau d’une usine,
voir monopolistique des syndicats a beaucoup
les syndicats donnent une voix collective aux
rétrogradé durant les dernières décennies, à
travailleurs. En équilibrant la relation de pou-
cause d’une concurrence sur le marché des
voir entre les travailleurs et la direction, les
biens dans les économies ouvertes. Enfin, l’idée
syndicats peuvent empêcher l’employeur d’être
qu’il pourrait y avoir une absence de pouvoir
arbitraire, exploiteur ou d’exercer des repré-
dans les marchés du travail est tortueuse. Le
sailles. En mettant en place des procédures de
réalisme consiste plutôt à équilibrer les rela-
doléance et d’arbitrage, les syndicats réduisent
tions de pouvoir plutôt qu’à chercher à les éradi-
la rotation de personnel et promeuvent la stabi-
quer.
lité de la main-d’oeuvre – dans des conditions
Pour atteindre leurs buts, les syndicats ont
qui, quand elles sont couplées avec une amélio-
oscillé entre des stratégies «globales» ou «ci-
ration globale des relations industrielles, ac-
blées». Ils se sont appuyés sur leur «front com-
croissent la productivité des travailleurs (Ban-
mun» ou sur leur «point fort» pour obtenir des
que mondiale, 1995).
améliorations de salaires et de conditions de
travail. À des degrés divers, ils se sont concentré
Une autre source d’amélioration de la pro-
sur les groupes à bas salaire, les moins quali-
ductivité: la sécurité sur les lieux de travail
fiés, les laissés-pour-compte et les chômeurs.
Certains ont limité leur action à la négociation
Pour les travailleurs, l’hygiène et la sécurité
collective pendant que d’autres prenaient part
sur les lieux de travail fait partie intégrante de
au dialogue social avec le gouvernement, les
la sécurité humaine. En même temps, un tra-
employeurs et parfois avec d’autres groupe-
vail sécurisé et sain a des conséquences énor-
ments sur des enjeux plus larges. On a égale-
mes sur l’économie: sans cela, les coûts sont
ment démontré qu’une organisation unifiée et
très lourds pour les employés, les employeurs
une action collective organisée par plusieurs syn-
et la société en général. La réglementation pour
dicats débouchaient sur de meilleurs résultats
la prévention des accidents et des maladies
que la concurrence et la rivalité entre syndicats
professionnelles est donc profitable aux entre-
(Aidt et Tzannatos, 2002).
prises et à l’économie en général. Cela implique
En général, la contribution des syndicats au
que les coûts des normes d’hygiène et de sécu-
développement est mieux acceptée aujourd’hui.
rité soient internalisés dans les entreprises, au
La Banque mondiale, par exemple, qui a sou-
lieu d’être répartis sur les travailleurs ou le
vent jugé les syndicats d’un point de vue stric-
public.
tement économique et mettait en exergue leur
À l’extrême, le travail peut tuer. Selon les
comportement anti-monopolistique, est finale-
estimations de l’OIT, basées sur des statistiques
ment arrivée à une vision plus holistique et
de 1998, environ 2 millions d’accidents du tra-
équilibrée du rôle et de l’impact des syndicats.
vail mortels arrivent chaque année. Très pro-
En 1995, le Rapport sur le développement du
bablement, ce chiffre sous-estime l’importance
monde déclare: «Les syndicats libres sont la
réelle des accidents mortels au travail. Aucun
pierre angulaire de tout système efficace dans
pays au monde n’enregistre et dédommage
les relations industrielles afin de rechercher
tous les accidents et maladies professionnels.
l’équilibre entre les besoins des entreprises et
L’information statistique est rare dans les pays
les aspirations des travailleurs à être bien ré-
en développement où, en raison d’une produc-
munérés dans de meilleures conditions de tra-
tion plus consommatrice en hommes, la pro-
vail»; et «Les activités des syndicats peuvent
portion de travailleurs exposés est plus impor-
entraîner une plus grande efficacité et producti-
tante, les températures et autres conditions
vité. Les syndicats procurent d’importants ser-
climatiques plus difficiles, la connaissance et la
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL ET DÉVELOPPEMENT
79
prise de conscience des accidents et donc des
La perte considérable en hommes et en fi-
niveaux de prévention plus bas, les maladies
nances causée par les accidents et les maladies
transmissibles au travail (malaria, hépatite, infec-
professionnels suggère un besoin d’investir plus
tions virales et bactériologiques) considérable-
dans des mesures préventives. La stratégie de
ment plus fréquentes, et les populations travail-
l’OIT concernant l’hygiène et la sécurité au tra-
lant dans l’économie souterraine bien plus
vail implique l’application des Conventions res-
nombreuses et pratiquement privées de toutes
pectives de l’OIT, la mise en application des
mesures de protection. Les décès consécutifs
normes, la recherche, le développement d’indi-
au travail sont principalement causés par l’utili-
cateurs et de lignes directrices, le développe-
sation d’amiante, de produits chimiques et de
ment de systèmes d’inspection, des services
poussières cancérogènes, de matériaux radio-
d’information et de conseil, la prévention par
actifs, de fumées d’échappement au diesel et
la formation, la promotion et les partenariats et
par les maladies cardiovasculaires et circula-
la coopération technique. Les normes d’hygiène
toires. Les taux de décès au travail varient
et de sécurité professionnelles améliorent ré-
grandement d’une région à l’autre, passant de
ellement la sécurité au travail. C’est ce qu’on
21 morts pour 100 000 travailleurs en Afrique
découvre à cause des taux très différents d’in-
subsaharienne et dans des régions d’Asie à 4
cidents et d’accidents mortels dans différents
morts dans les pays hautement développés.
pays avec des structures économiques simi-
L’OIT a estimé que 4 pour cent du PNB
laires. Une étude de l’OIT a révélé que les pays
mondial est perdu à cause des accidents et des
émergents d’Europe centrale et de l’Est ont
maladies professionnelles. Ce calcul ne prend
deux fois plus d’accidents mortels qu’un pays
en compte qu’une partie de la charge économi-
moyen de l’UE et trois fois plus que les pays
que totale. La plus importante cause de perte
d’Europe du Nord.
financière est constituée par les troubles mus-
L’investissement dans la sécurité au tra-
culaires et osseux, comme les maux de dos, qui
vail est rentable au niveau de l’individu, de
entraînent des congés maladie relativement
l’entreprise et de la société. De récentes études
longs. Des estimations des coûts complets et
du Forum économique mondial et l’Institut de
détaillés des accidents, des blessures et des
gestion de Lausanne IMD ont démontré qu’il
maladies du travail existent au Royaume-Uni.
existe une corrélation très forte et positive entre
En 1996, le coût estimé pour les travailleurs
les dépenses d’une compagnie pour l’hygiène
était de 8 milliards de dollars E.-U., pour les
et la sécurité de leur main-d’oeuvre et les ré-
employeurs de 5 à 10 milliards, et pour l’éco-
sultats économiques, ainsi qu’entre les normes
nomie de 6,4 à 15,5 milliards. Les rubriques
de sécurité au travail et leur classification selon
détaillant les coûts visibles incluent les soins
un index de compétitivité international. Un té-
médicaux et la rééducation, les pensions d’in-
moignage d’Australie nous indique que les com-
validité, les frais en matériel, la déperdition de
pagnies qui prennent activement en compte la
matières premières, les services de police et
gestion de l’hygiène et de la sécurité au travail
d’incendie et les coûts administratifs. Les coûts
sont aussi celles qui présentent les meilleurs
cachés ou indirects comprennent la perte de la
résultats à la bourse australienne sur une pé-
capacité de travail et de l’employabilité, la perte
riode de huit ans. Dans la bouche d’un expert
en salaires et en bénéfices annexes, la perte de
sur la sécurité au travail, les conséquences posi-
production, la formation de nouveaux emplo-
tives des programmes d’hygiène et de sécurité
yés, les nouvelles embauches, l’absentéisme,
sur la productivité se résument en ces termes:
la perte de marchés et la baisse de moral de
«Si vous considérez une entreprise comme une
l’entreprise.
boîte noire fermée dans laquelle on introduit
d’un côté du travail et des matières premières,
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
80
NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL ET DÉVELOPPEMENT
et dont il ressort à l’autre bout des produits finis,
demande inhérentes aux marchés mondiaux.
alors ce qu’il vous faut faire quand vous vous
Sauf si les travailleurs sont raisonnablement
intéressez à l’hygiène et à la sécurité est d’ouvrir
protégés de l’impact négatif du changement, ils
la boîte et de bien regarder à l’intérieur ce qui
n’accepteront pas facilement de participer à
s’y passe – bien examiner chaque composant
cette ouverture. D’un point de vue positif, un
et chaque connexion. En faisant cela, vous ne
travailleur qui se sent en sécurité est plus apte
découvrez pas seulement des risques pour la
à prendre des risques et à participer au change-
sécurité et la santé, mais vous découvrez aussi
ment. Donc, les normes de protection du travail
des manques d’efficacité et des goulets d’étran-
ne sont pas un obstacle à une ouverture durable
glement dans le système qui réduisent la pro-
du marché, mais l’un de ses présupposés les
ductivité. Vous découvrez exactement où il y a
plus importants. La première étape de la mon-
des pertes en matières premières et là où arri-
dialisation s’est brutalement interrompue pour
vent les défauts de fabrications qui affectent la
la plupart des pays d’Europe durant les années
qualité du produit. Ainsi, la productivité et l’amé-
1920 parce que les gouvernements nationaux
lioration de la qualité sont des sous-produits
ne connaissaient pas d’autres moyens que les
automatiques virtuels du processus d’améliora-
mesures protectionnistes sur le marché des
tion de la sécurité» (Hoskin 2000). On peut ajou-
biens pour protéger leurs pays des effets né-
ter que la collaboration entre travailleurs et
gatifs des échanges commerciaux. Ce ne fut
direction est en général un excellent moyen pour
qu’après avoir construit une protection sociale
mieux détecter les risques pour la santé et le
dans leurs états providence que les risques
manque d’efficacité, ainsi que pour trouver les
sociaux de l’ouverture, comme l’émigration de
meilleures façons de s’en débarasser.
masse et le protectionnisme, ont pu être maîtrisés. À partir de là, on peut considérer la pro-
La protection sociale favorise la souplesse du
tection sociale comme une alternative positive
marché du travail et la capacité d’adaptation
au protectionnisme sous la forme de tarifications, de quotas et d’autres restrictions concer-
Les outils de l’OIT procurent une protection au
nant les importations sur le marché des biens.
travailleur au cas où son emploi prendrait fin,
Vus comme cela, les NIT ne peuvent plus être
et une garantie de ressources en cas de perte
accusés d’être des outils du protectionnisme.
de son emploi, de chômage, de maladie, de
«La revendication d’accords multilatéraux né-
handicap, de maternité et de vieillesse. La pro-
gociés sur les normes du travail doit être con-
tection de l’emploi et la garantie de ressources
sidérée comme le corollaire inévitable et naturel
sont des ingrédients essentiels pour la flexibi-
d’une politique du libre-échange. Si on adopte
lité dont a besoin le marché pour fonctionner.
ce point de vue, l’opposition entre les théori-
En même temps, la souplesse d’ajustement est
ciens du ‘libre-échange’ et du ‘commerce équi-
nécessaire pour générer des moyens écono-
table’ disparaîtra et le débat sur les ‘normes du
miques permettant de financer les fonds de
travail dans l’économie mondialisée’ progres-
sécurité. C’est pourquoi la sécurité et la flexibi-
sera en raison de ses propres mérites» (Lan-
lité dépendent l’une de l’autre.
gville 1995).
La protection sociale prend une importance
Il n’existe pas vraiment de preuve tangible
encore plus grande quand une économie natio-
que la protection de l’emploi et des ressources
nalisée s’ouvre aux marchés internationaux, et
produit des effets négatifs sur le marché du tra-
s’expose ainsi à des risques accrus de déséqui-
vail. En examinant des études (y compris l’une
libres (par exemple par contamination de crises
d’elles du Fonds monétaire international) qui
économiques ailleurs dans le monde), et égale-
attribuaient le chômage croissant dans les pays
ment à des modifications plus rapides de la
industrialisés aux soi-disant rigidités du mar-
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL ET DÉVELOPPEMENT
81
ché du travail, on a conclu à une faiblesse mé-
pour la sécurité de l’emploi dans cette région
thodologique de cette recherche et à des con-
diminuaient la quantité totale d’emplois, et
clusions contradictoires et peu probantes. «Ce
avait des effets nocifs sur l’emploi des jeunes et
n’est certainement à partir de ce genre d’évi-
des catégories défavorisées, augmentant ainsi
dence que les gouvernements peuvent construire
les inégalités sur le marché du travail (Heck-
leur politique publique» (Baker et.autres 2004,
man et Pagès-Serra, 2001). Les conclusions de
p. 159). L’une des études empiriques les plus
cette étude doivent être examinées avec pré-
achevées a été menée dans les pays industria-
caution. On doit garder à l’esprit que la sécuri-
lisés (OCDE, 1999). Elle analysait l’impact des
té sur les marchés du travail d’Amérique latine
prestations de sécurité de l’emploi, mesurées
repose presque entièrement sur des mesures
par le degré de restrictions de licenciements,
de protection contre le licenciement. Très peu
les déclarations obligatoires et les indemnités
de pays offrent une assurance-chômage ou une
de licenciement sur le marché du travail dans
aide en cas de chômage. Ceci peut expliquer
les pays membres. Contrairement aux attentes
les disparités de protection, qui ne proviennent
théoriques et également aux déclarations insis-
pas de la protection elle-même, mais qui résul-
tantes de l’OCDE elle-même sur les conséquen-
tent d’une insuffisante prise en charge de la
ces néfastes des réglementations de protection
main-d’oeuvre. Dans ce cas, une politique enga-
de l’emploi (OCDE, 1994), elle concluait que les
gée ne consiste pas à retirer la protection so-
mesures de protection n’avaient pas ou peu
ciale. À l’évidence, la suppression de la protec-
d’effets significatifs sur le niveau de l’emploi et
tion de l’emploi en Argentine dans les années
sur le chômage en général. D’un autre côté,
1990 n’a pas empêché l’effondrement du mar-
une protection plus stricte de l’emploi accrois-
ché du travail. Au contraire, la politique doit
sait le nombre d’emplois stables et les créations
compléter la sécurité de l’emploi avec la garan-
d’emplois individuels, et réduisait légèrement
tie de ressources afin de parvenir à un ensem-
les mouvements d’emploi. On peut considérer
ble plus efficace et plus équilibré de protection
favorablement cette dernière découverte, si on
sociale.
garde à l’esprit qu’un emploi plus stable incite
Contrairement à l’opinion des économistes
les employeurs à investir dans la formation du
traditionnels, la protection de l’emploi et des
travailleur. Un récent rapport de l’OCDE qui
ressources n’est pas un obstacle à la flexibilité
passait en revue les mérites de la réglementa-
et à l’emploi, mais plutôt un moyen d’encoura-
tion pour la protection de l’emploi concluait
ger les ajustements efficaces du marché du tra-
avec une appréciation positive sur les mesures
vail pour des améliorations quantitatives et
de protection de l’emploi: «La valeur sociale
qualitatives de l’offre d’emplois. La flexibilité
d’un travail peut être plus importante que sa
du marché du travail ne doit pas forcément
valeur individuelle… Un emploi peut donc de-
passer par l’embauche et le licenciement (‘flexi-
venir non productif pour un employeur, tout en
bilité numérique’). Dans une large mesure, les
générant quand même des ressources pour la
entreprises peuvent s’ajuster à la demande
société. Ainsi, sans l’intervention du gouverne-
fluctuante et aux adaptations de postes par la
ment, il y aurait beaucoup trop de laissés-pour-
«flexibilité fonctionnelle», qui comprend la for-
compte par rapport à ce qui serait socialement
mation professionnelle ou la mise à niveau, le
et économiquement souhaitable» (OCDE, 2004).
redéploiement interne, la réorganisation du
Les conséquences d’une titularisation ac-
travail, ou la recherche de nouveaux produits
crue ont également été décrites dans une étude
ou procédés. Un tel réajustement interne per-
récente sur les mesures de sécurité de l’emploi
met à l’entreprise de garder le‘capital humain’
en Amérique latine. Cependant, on arrivait par
intégré à la main-d’oeuvre expérimentée qui
ailleurs à la conclusion que les réglementations
est en place. Malheureusement, la science éco-
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
82
NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL ET DÉVELOPPEMENT
nomique standard a presque complètement
travail dans un tout autre sens. En l’absence
négligé l’adaptation importante des travailleurs
d’assurance-chômage, les travailleurs qui per-
et des postes de travail qui se construit par les
dent leur emploi sont souvent contraints de
changements continuels, qu’ils soient organisa-
prendre le premier poste disponible sans se
tionnels ou personnels, au sein de l’entreprise
soucier de savoir s’il correspond ou non à leur
et des effectifs. Ces adaptations constituent la
métier, leur niveau d’expertise, leur salaire ou
majeure partie du volume total des ajustements
leur lieu d’habitation. Ils se trouvent alors ra-
du marché du travail. En règle générale, elles
pidement un travail là où ils habitent, ou bien
se passent sans changement de niveau des
ils doivent déménager, ou ils quittent le marché
salaires, d’employeur, de profession ou de clas-
du travail. Les allocations permettent au sans-
sification industrielle, échappant ainsi aux
emploi de prendre le temps de chercher un tra-
analystes qui s’appuient uniquement sur les
vail, et donc, d’avoir une meilleure chance de
statistiques disponibles. Les micro-ajustements
trouver un emploi qui lui convienne. Les allo-
ne seraient pas possibles sans stabilité et conti-
cations peuvent éviter les coûts de la prestation
nuité dans la relation de travail. Si le salaire
pour apprendre une nouvelle qualification, et
devait être renégocié chaque fois qu’un tra-
les coûts d’un déménagement. Ils peuvent créer
vailleur est temporairement affecté à une autre
une meilleure adéquation entre l’offre et la de-
tâche ou remplace un collègue malade, le coût
mande. En d’autres termes, la sécurité sociale
de la transaction d’une telle pratique serait
pose un moratoire sur le besoin immédiat du
prohibitif.
travailleur de prendre n’importe quel emploi à
Il peut être bien plus rentable d’investir
n’importe quelles conditions. Cette améliora-
dans une main-d’oeuvre stable, permanente,
tion a été saluée comme un pas significatif vers
que dans une autre qui soit opportuniste, mo-
l’humanisation du marché du travail (Polany,
bile, simplement parce que le retour sur inves-
1944). Cela représente un progrès par rapport
tissement est bien meilleur. En fait, contraire-
au temps d’Adam Smith et de Karl Marx, qui
ment à la croyance populaire, la stabilité des
ont tous deux dépeint le marché du travail
relations de travail à long terme telle qu’on la
comme une réserve totalement élastique d’em-
mesure par la titularisation n’a pas baissé dans
plois, c’est-à-dire un nombre illimité de tra-
les pays de l’OCDE durant les années 1990. La
vailleurs en concurrence les uns avec les autres,
pérennité des emplois a même augmenté dans
avec la conséquence de réduire inévitablement
la plupart des pays, y compris aux Etats-Unis,
le revenu du travail à la subsistance minimum.
qu’on dépeint souvent comme l’eldorado de la
La sécurité sociale court-circuite le mécanisme
flexibilité numérique (Auer et Cazes, 2000). Il
dépressionnaire du marché du travail. Elle re-
existe également des macro-bénéfices prove-
dresse les inégalités de pouvoir dans le marché
nant des politiques qui stabilisent les postes et
du travail et apporte au travailleur une compo-
les façons d’embaucher, et aussi les transferts
sante de liberté et d’autonomie.
sociaux. Ils conduisent à un lissage de la con-
Les fondamentalistes du marché sont ob-
sommation, à une stabilisation de la demande
sédés par les «rigidités» du marché du travail
dans son ensemble dans les différents stades
que sont les codes et réglementations contenus
du cycle économique, et au maintien de la paix
dans les lois du travail ou les contrats collectifs.
sociale. Ainsi, il existe un circuit plus vaste
Ils réclament la «dérégulation» pour éliminer
dans l’économie de la protection sociale, qui
ce qu’ils considèrent comme des inflexibilités.
n’apparaît pas si on ne regarde que les effets
Cependant, il n’est pas du tout évident qu’un
localisés de la protection.
marché du travail sans interventions publiques
La protection sociale est également vitale
ou privées collectives procure plus de flexibili-
pour le fonctionnement propre du marché du
té. L’expérience nous dit que qu’en l’absence
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL ET DÉVELOPPEMENT
83
de codes et réglementations acceptés, nous
salariales, et leurs variations, sont un méca-
constatons soit l’émergence de pratiques défen-
nisme clé pour assainir les marchés du travail;
sives ou restrictives (comme la juridiction, l’af-
des rétributions et une richesse différentes sont
fectation ou d’autres procédés appelés «contrôle
considérées comme le résultat de contributions
de l’emploi»), ou des pratiques de gestion qui
légèrement différentes à la production; et la
ont tendance à créer une rigidité dans l’utilisa-
vitalité des échanges dépend de désavantages
tion du travail. Crozier a montré que les règles
comparatifs et compétitifs disparates dans les
qui restreignent la flexibilité dans l’organisa-
différents pays. Qu’importe l’ampleur de la dif-
tion sont celles que la direction a elle-même
férence de salaires et de revenus, on ne prend
créées (Crozier, 1963). Souvent, les règles d’an-
pas en considération l’équité tout simplement
cienneté ou les règles de protection de l’emploi
parce qu’on pense que les résultats du marché
transcrites dans les conventions collectives sont
sont à la fois rentables et justes. Une interfé-
apparues au cours de la codification de règles
rence «politique» avec ce mécanisme, comme
qui existaient déjà sous la forme de pratique de
au moyen de normes établies de l’extérieur, ne
gestion. Le fait est qu’il n’y a pas de marché du
ferait qu’aggraver les choses, à la fois en ter-
travail sans réglementations. Ce qui change,
mes de rentabilité de la production et de justice
c’est l’origine et la portée des réglementations,
sociale.
et si elles sont imposées unilatéralement ou
discutées.
D’importantes inégalités sociales, à l’intérieur et entre les pays, sont plus le résultat d’un
La protection sociale présente d’autres avan-
pouvoir inégal qu’une nécessité économique.
tages importants. Elle peut stimuler l’épargne, et
En réalité, le «libre marché» sans contrôle fonc-
soutient la demande globale par une redistribu-
tionne par la force économique. L’agent le mieux
tion plus équitable des ressources et la stabili-
nanti qui dispose le plus de réserves impose sa
sation du pouvoir d’achat des biens de consom-
loi au plus faible. La loi du plus fort règne sur
mation tout au long du cycle économique. Elle
le commerce. Ainsi, l’écart entre riche et pau-
réduit le niveau de pauvreté. Elle participe à la
vre s’accroît au fur et à mesure que le fort est
paix sociale, à la cohésion sociale et la stabilité
plus fort. « Comme le riche devient plus riche,
politique. Une étude examinant l’effet réducteur
il peut s’offrir beaucoup plus que des biens et
de pauvreté des transferts sociaux, en dehors des
des services. L’argent achète des influences
retraites, dans 13 pays de l’Union européenne a
politiques; bien utilisé, il achète également une
conclu que les transferts réduisaient le taux de
influence intellectuelle» (Krugman 2002). Ainsi,
pauvreté moyen de 26 pour cent à 17 pour cent
laisser les résultats de la distribution au jeu des
(Eurostat, 2001).
forces du marché produit encore plus d’inéga-
Égalité des salaires et des revenus et
pôts, simplement parce que les différentiels
croissance économique
dans l’attribution de ressources aux individus
lités de salaires, de profits, de revenus et d’im-
et aux groupes, y compris la terre, l’argent,
Comme nous l’avons vu au chapitre 2, à quel-
l’éducation, le pouvoir et les droits, donneront
ques exceptions près, l’inégalité des salaires et
aux nantis des avantages sur ceux qui le sont
des revenus à l’intérieur et entre les pays s’est
moins.
accrue durant les dernières décennies. Dans
La théorie économique conventionnelle à
certains pays, les écarts se sont dramatique-
propos de l’inégalité peut aussi être portée sur
ment creusés. Pour la théorie néo-classique,
le terrain empirique. Une étude récente sur des
l’inégalité économique est un phénomène nor-
recherches empiriques n’a pas trouvé de rap-
mal et naturel. Elle est considérée comme utile
ports statistiques significatifs entre l’inégalité
au fonctionnement des marchés. Les disparités
de revenu et la croissance économique (Kucera,
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
84
NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL ET DÉVELOPPEMENT
2002). D’un autre côté, Van der Hoeven a mon-
de hauts salaires. Cela explique aussi pour les
tré comment la distribution des revenus inter-
dirigeants arrivent fréquemment à recevoir des
fère dans la relation entre la croissance écono-
gains élevés et des bénéfices annexes quelle que
mique et la réduction de la pauvreté: «Avec un
soit la façon dont ils dirigent la compagnie.
taux de croissance par personne de 2 pour
Pour que la distribution des revenus et de
cent… un pays avec de fortes inégalités (coeffi-
l’emploi soit plus équitable, les relations de
cient Gini de 0,6) réduit sa part de population
pouvoir dans le marché du travail ont besoin
qui vit en dessous du seuil de pauvreté de 64
d’être contrebalancées par des organisations
pour cent à 60 pour cent. Dans le même temps,
collectives (permises par la liberté d’associa-
un pays avec de faibles inégalités (coefficient
tion et le droit aux négociations collectives), et
Gini de 0,3) réduit la proportion de pauvres de
aussi en fournissant une sécurité sociale et
40 pour cent à 33 pour cent. Ainsi, quand l’iné-
d’autres transferts de revenus. Une bonne part
galité est réduite, … la croissance réduit la
de l’inégalité existante peut être attribuée à
pauvreté plus vite que quand l’inégalité est
l’absence ou la faiblesse des syndicats. À l’in-
élevée (Van der Hoeven 2000b, p. 17).
verse, quand les syndicats sont forts et quand
Les liens entre la croissance économique
les négociations collectives sont largement ré-
et la distribution des revenus peuvent aussi
pandues, l’inégalité de salaires et de revenus
être éclairés d’un point de vue de politique éco-
sera moindre, quels que soient les rapports en-
nomique plus distant. Les différences de salai-
tre l’offre et la demande sur le marché du tra-
res et de revenus affectent la cohésion sociale.
vail. Dans beaucoup de pays, les syndicats se
Aux Etats-Unis, on a remarqué que les salaires
sont battus pour obtenir et maintenir des «sa-
relatifs baissant au bas de l’échelle des salaires
laires solidaires» qui réduisent les différences
empêchaient l’entrée des Latinos et d’autres
entre les travailleurs et entre les groupes de
groupes d’immigrants dans la classe moyenne
travailleurs. Dans une étude sur plusieurs pays,
américaine, et que la concurrence pour des sa-
la corrélation entre l’égalité de revenus et la
laires de plus en plus bas entre les derniers
coordination des négociations collectives a été
immigrants et les plus anciens mettait les grou-
démontrée positive (significative à 1 pour cent).
pes les plus récents en danger de xénophobie
Les pays avec un fort degré de coordination
et d’extrémisme politique (Purdy 2000). De
avaient un coefficient de Gini légèrement infé-
semblables constats ont été faits en Europe. En
rieur à 30 pour cent, alors que les pays avec un
conclusion, l’égalité n’est pas simplement un
faible degré de coordination avaient un index
instrument pour une meilleure efficacité éco-
de Gini moyen au-dessus de 45 (OIT, 2000 e).
nomique, mais également pour une intégration
Toujours dans le sens de ces constatations, une
sociale réussie, accompagné par une stabilité
récente étude de la Banque mondiale a conclu
politique.
que «la densité des syndicats est associée à
Les points de vue disparates sur l’égalité à
une compression de l’échelle des salaires et à
différents stades de la théorie économique peu-
une réduction des inégalités de revenus (…)
vent être retrouvés dans le rôle du pouvoir
Enfin, comme pour la densité des syndicats,
social, qui dans une perspective néo-classique
une forte couverture de négociations est asso-
dérange les marchés, mais qui en réalité est
ciée à une réduction des inégalités de salaires»
endémique à toutes les relations de marché. Il
(Aidt et Tzannato, 2001). En moyenne, les pays
est impossible d’éradiquer les relations de pou-
en développement ont de bien plus forts ni-
voir, on peut seulement les modifier. Les posi-
veaux d’inégalité que les pays développés, et
tions de pouvoir justifient pourquoi des tâches
l’inégalité semble s’aggraver dans de nom-
ennuyeuses, sales et dangereuses sont souvent
breux pays en développement (Betcherman,
mal payées, alors que de bons emplois gagnent
2002). À partir de ces constatations, il n’est
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL ET DÉVELOPPEMENT
85
pas étonnant que la Banque mondiale, dans
de prendre part à la vie politique. De grandes
son Rapport sur le développement mondial in-
disparités de revenus et de richesses, d’un
titulé Combattre la pauvreté, déclare qu’une
autre côté, ont tendance à provoquer une ins-
réduction efficace de la pauvreté demande à ce
tabilité politique, soit par des soulèvements po-
que les pauvres aient du pouvoir, une démo-
pulaires ou par une apathie et une passivité po-
cratie participative, des alliances entre les pau-
litiques, qui à leur tour entravent la croissance
vres et les non pauvres, et de fortes organisa-
économique. Une instabilité politique réelle ou
tions de société civile, parmi lesquelles les
présumée a un effet dissuasif important sur les
syndicats ont un rôle important (Banque mon-
investissements étrangers. Enfin, de grandes
diale 2001).
différences de salaires et de revenus sont sou-
Dans les pays en développement, il est né-
vent associées à de très bas niveaux d’épargne
cessaire que les travailleurs qui s’agglutinent
et d’investissements nationaux. Beaucoup de
tout en bas des marchés du travail se transfor-
pays en développement profiteraient d’une ré-
ment en groupes non compétitifs. Cela peut se
duction des inégalités car cela les aiderait à
faire en augmentant le niveau du salaire mini-
renforcer leurs économies nationales. Cela leur
mum social; en créant de nouveaux garde-fous
donnerait la possibilité d’épargner et d’investir
institutionnels pour les gens qui travaillent
plus, réduisant d’autant leur dépendance aux
dans des relations de marché flexible; et en of-
capitaux étrangers.
frant des chances équitables pour l’accès et la
mobilité au sein des marchés du travail. Les
Égalité de traitement et insertion sociale:
trois mesures ensemble correspondent à un
favorables pour l’économie et la croissance
plancher minimum absolu en termes de revenus
sociaux, de filets de sécurité et de chances pour
Une des meilleures possibilités inexploitées de
tous dans une économie mondialisée. La dé-
tirer en avant la croissance économique est de
pense sociale publique pour fournir des droits
donner des chances et conditions égales dans
sociaux minimums comme l’enseignement pri-
l’emploi et la profession en éliminant la discri-
maire, la couverture médicale primaire, des
mination (en accord avec la Convention n° 111
logements, des équipements municipaux et un
de l’OIT) et en garantissant un salaire égal pour
environnement sain devra fixer un «prix de ré-
une valeur égale (Convention n° 100 de l’OIT).
serve» en dessous duquel le travail ne peut être
Une étude de la Banque mondiale a révélé que
vendu, quelle que soit la pression de la deman-
pendant une période de 1960 à 1992, une édu-
de. Certaines régions dans le monde dévelop-
cation et une formation professionnelle équiva-
pé, comme l’état indien du Kerala, ont réussi à
lentes pour les hommes et les femmes et l’ab-
se déplacer dans cette direction et ont atteint
sence de discrimination dans l’emploi et la
des hausses significatives de gains réels pour
profession auraient engendré une croissance
la population rurale (Jose, 2002).
économique par personne plus élevée de 50
L’égalité de revenus et de richesse est in-
pour cent en Asie du Sud, et un taux de crois-
trinsèquement liée à la démocratie, aux nor-
sance de 100 pour cent plus important en Afri-
mes sociales et à la cohésion sociale. Elle est
que subsaharienne. Plus généralement, on a
propice à la formation d’une grande classe
trouvé dans l’étude que dans les pays en déve-
moyenne dans la société, qui devient la colon-
loppement, un meilleur accès des femmes à
ne vertébrale de la règle démocratique et de la
l’éducation, à la formation professionnelle, aux
stabilité politique. Des niveaux de revenus de
terres et au crédit avait pour conséquences de
masse suffisants pour assurer une vie décente
meilleurs résultats du marché du travail et une
libèrent les gens des tracas de la subsistance
plus forte croissance de la productivité (Ban-
quotidienne et de la survie, et leur permettent
que mondiale, 2000). La cause d’une croissan-
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
86
NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL ET DÉVELOPPEMENT
ce économique plus forte dans un régime
d’oeuvre; et sur le critère de l’âge, avec le vieil-
d’égalité des chances est évidente. Cela permet
lissement de la population. Et en conséquence,
une utilisation plus complète et meilleure des
le volume et le coût de l’exclusion ou des traite-
talents, connaissances, capacités disponibles,
ments dégradants selon la nationalité, le genre,
et l’effort que les travailleurs souhaitent four-
la race, l’ethnicité, la religion, la langue, etc.
nir augmente quand ils se sentent traités avec
sont en progression.
équité. De plus, un accès plus facile de certains
Cependant, il est également possible d’ac-
groupes, comme les femmes ou les travailleurs
cepter et de faire le meilleur usage de la diver-
handicapés, au marché du travail augmente le
sité de la main-d’oeuvre. Une bonne gestion
taux d’emploi, ce qui, avec la productivité, est
peut transformer les différences entre les em-
un déterminant majeur de la croissance du
ployés en atout pour l’entreprise. En fait, l’ex-
PNB.
périence montre qu’une main-d’oeuvre diversi-
La discrimination dans le travail ou la pro-
fiée est bénéfique pour les affaires. Elle entraîne
fession est définie dans la Convention n° 111
une rentabilité nettement plus importante. Une
de l’OIT de 1958. Selon l’article 1, «la discrimi-
entreprise qui emploie côte à côte des jeunes et
nation» comprend:
des vieux travailleurs, et qui mélange les gens
a) toute distinction, exclusion ou préférence
du pays avec les étrangers, ou des travailleurs
fondée sur la race, la couleur, le sexe, la
de milieux culturels différents, est plus à même
religion, l‘opinion politique, l‘ascendance
de rechercher de nouvelles idées, de nouveaux
nationale ou l‘origine sociale, qui a pour
clients, une plus grande motivation du person-
effet de détruire ou d‘altérer l‘égalité de
nel et une meilleure légitimité sociale. Une en-
chances ou de traitement en matière d‘em-
treprise peut trouver de nouveaux clients pour
ploi ou de profession;
ses produits quand les différentes nationalités
b) toute autre distinction, exclusion ou préfé-
représentées au sein de sa main-d’oeuvre faci-
rence ayant pour effet de détruire ou d‘al-
litent l’accès à de nouveaux marchés en cor-
térer l‘égalité de chances ou de traitement
respondant aux goûts différents de plus de con-
en matière d‘emploi ou de profession, qui
sommateurs dans plus de pays. «Accepter la
pourra être spécifiée par le Membre inté-
diversité non seulement élargit et enrichit le
ressé après consultation des organisations
gisement de talents disponibles dans l’entre-
représentatives d‘employeurs et de travail-
prise, mais cela donne aussi la possibilité d’élar-
leurs, s‘il en existe, et d‘autres organismes
gir l’horizon de l’entreprise par l’acquisition de
appropriés.
nouvelles façons de penser et de voir le mon-
La «chance» de discrimination contre les tra-
de», a écrit John Bond, président d’HSBC, la
vailleurs a beaucoup augmenté avec leur migra-
troisième banque mondiale (Financial Times,
tion. Comme nous l’avons vu au chapitre 2,
21 février 2005). Une entreprise qui s’organise
l’incitation à la migration va certainement con-
pour retirer des avantages des différentes apti-
tinuer dans un avenir proche. De nos jours,
tudes de ses travailleurs juniors et seniors sera
dans le monde entier, presque tous les pays
plus innovante et compétitive qu’une autre qui
sont devenus, ou deviennent des pays d’origine,
s’accroche à des stéréotypes condescendants.
de transit ou de destination pour les migrants.
La diversité raciale au sein de la main-d’oeuvre
Beaucoup sont les trois. Presque tous les pays
a aussi été assimilée à de meilleurs résultats et
sont devenus, ou deviennent, multiculturels,
des innovations, à condition qu’il y ait une
multiethniques, multiraciaux, multi langues et
bonne communication entre les différents tra-
multi religieux. Le potentiel de discrimination
vailleurs et les dirigeants. Quand cette commu-
sur le critère du genre augmente avec la plus
nication est défaillante, un conflit de groupe
grande participation des femmes à la main-
peut survenir. Par exemple, quand la rémuné-
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL ET DÉVELOPPEMENT
87
ration est indexée sur l’efficacité du groupe de
merciaux et de la production facilitent ou en-
travail, des problèmes de communication, pro-
travent le développement national, ou s’ils dé-
voqués par la langue ou d’autres différences
bouchent sur des convergences ou de divergences
peuvent entraîner une rémunération moindre,
entre les économies nationales, est une question
au moins pendant un temps. Mais les problè-
qui reste ouverte. L’IED n’est pas forcément fa-
mes de communication sont faciles à résoudre.
vorable à la croissance, à l’emploi ou aux con-
Ceci signifie que l’on doit créer les conditions
ditions de travail, et à l’éradication de la pau-
favorables pour tirer les avantages d’équipes
vreté. Ses résultats économiques et sociaux
de travail avec une mixité raciale, par compa-
dépendent des politiques et pratiques des inves-
raison avec des équipes homogènes. Qu’il y ait
tisseurs, et du régime politique du pays hôte.
ou non un argument commercial qui justifie
Ces politiques ont une influence sur les motiva-
une main-d’oeuvre mixte, et que la logique com-
tions de l’investissement étranger, et la posi-
merciale et la justification morale se combinent
tion favorable ou non d’un pays par rapport à
pour une main-d’oeuvre mixte, c’est d’abord
une production internationale générée par l’IED
l’affaire de l’équipe dirigeante. Il faut cepen-
dépend de divers éléments: si le flux financier
dant ajouter que les normes du travail, comme
transfrontalier est destiné à des fusions et ac-
l’égalité des chances et de la rémunération, ne
quisitions d’entreprises existantes, ou s’il est
sont pas là pour faire plaisir au monde des af-
destiné à créer un nouveau site de production
faires, qu’elles sont aussi créées pour avanta-
(«greenfield sites»); si l’investissement est des-
ger l’économie nationale. S’il n’existe pas de
tiné à une production à bas coût et faible va-
rentabilité financière pour que les entreprises
leur ajoutée, ou s’il génère une haute valeur
intègrent des minorités raciales ou des handi-
ajoutée et des stades de production générant
capés, leur intégration est peut-être justifiée
de hauts revenus; s’il génère des connexions
par une rentabilité pour la société en général.
locales en amont et en aval de la production; si
La réglementation peut aider à promouvoir l’ar-
les biens produits localement sont destinés à
gument macro-économique d’une main-d’oeuvre
l’export ou à la vente locale, et si les rémunéra-
mixte. En Europe, par exemple, les employeurs
tions sont suffisantes pour permettre qu’ils
sont soumis à une pression croissante pour ad-
soient consommés sur place. Tous ces facteurs
hérer à la thématique de la diversité. Depuis
sont importants pour le développement, car ils
2006, deux directives de la Commission euro-
placent les entreprises et les économies sur des
péenne stipulent que tous les pays membres de
courbes d’apprentissage plus ou moins dyna-
l’UE doivent intégrer six volets dans leurs lois
miques, et déterminent le degré d’autonomie
anti-discrimination: le genre, la race, le han-
et de dépendance des économies locales. L’IED
dicap, l’orientation sexuelle, la religion ou la
doit contribuer à l’amélioration industrielle si
croyance, et l’âge.
l’on veut que le pays récipiendaire y trouve un
avantage. Ceci implique que la production ini-
Rendre l’ouverture de l’entreprise acceptable
tiale à faible valeur ajoutée, par exemple l’as-
et durable
semblage pour l’export de pièces et de composants (importés) – comme c’était le cas dans les
Les échanges internationaux et les flux de capi-
premières zones franches d’exportation (ZFE)
taux d’un pays à l’autre sont d’importants
en Asie du sud-est, et ce qui est toujours le cas
outils de développement. Cependant, comme il
dans beaucoup de «maquiladoras» mexicains –,
est dit au chapitre 2, ce n’est pas pour autant
devraient laisser la place à des modèles plus
que leurs résultats sont toujours souhaitables,
évolués d’intégration internationale, comme la
ni qu’ils le soient pour tout le monde. Savoir si
sous-traitance locale pour la fabrication des
les réseaux internationaux d’échanges com-
pièces et des composants, la fourniture de mar-
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
88
NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL ET DÉVELOPPEMENT
chés globaux plutôt que pour de simples ar-
dans les pays développés. Cette division du tra-
ticles, et le passage de la production de masse
vail aide à comprendre pourquoi, en dépit de
à des biens de meilleure qualité et à des fabrica-
la part croissante d’IED dans les pays en déve-
tions sur commande. Dans un sens plus large,
loppement, la différence de revenus entre eux
une amélioration implique d‘absorber des acti-
et le monde développé s’est creusée, putôt que
vités d‘importance stratégique à plus forte va-
réduite comme l’avait prévu la théorie écono-
leur ajoutée en amont de la production, comme
mique dominante.
la recherche, la conception de produit, le déve-
Il existe un consensus de plus en plus large
loppement et l’expérimentation des produits,
pour dire que les effets des flux de l’IED sur le
et aussi la production locale d’équipements et
développement endogène, qui intègrent des pré-
d’outils (biens d’équipements); cela concerne
visions d’amélioration industrielle, sont totale-
aussi les étapes en aval de la production, com-
ment dépendants d’un contexte politique local
me la commercialisation, la distribution et le
favorable. Ce paramètre est décisif pour attirer
financement. En d‘autres termes, passer d’ac-
ou repousser les investissements étrangers. En
tivités utilisant du savoir-faire à des activités
même temps, cela influence la capacité des sous-
produisant du savoir-faire, et progresser d’une
traitants locaux et des fournisseurs des entre-
faible à une forte proportion de procédés riches
prises d’investissements étrangers pour fournir
en valeur ajoutée.
en temps et en heure les productions locales.
Selon le Rapport sur le commerce et le dé-
Pour que les avantages de l’IED soient complè-
veloppement 2002 de la CNUCED, les pays en
tement positifs, il faut le soutien des politiques
développement qui participent à des secteurs
publiques et privées des pays hôtes et les infra-
de haute technologie ne sont pas impliqués
structures économique, sociales et institution-
dans les parties intensives en technologie et en
nelles qui les accompagnent.
savoir-faire du processus de production global,
Un ensemble de politiques nationales qui
comme la recherche et le développement des
puissent exploiter le potentiel de développe-
produits. En conséquence, leur contribution à
ment de l’IED doit intégrer des marchés finan-
la valeur ajoutée est déterminée en fonction
ciers, des biens et du travail qui fonctionnent
des coûts des facteurs les moins rares et les
correctement. De bons résultats du marché ne
plus faibles, c’est-à-dire le travail non qualifié,
proviennent pas forcément de la libéralisation
alors que les dividendes provenant de facteurs
ou de la privatisation du marché. En revanche,
rares mais mobiles internationalement comme
un marché «incitatif» requiert un certain niveau
le capital, la direction ou l’expertise sont récol-
de réglementation, d’institutions, de bonne appli-
tés par leurs propriétaires étrangers (CNUCED
cation de la loi, et des services publics et privés
2002). L’enjeu politique de base auquel sont
qui comprennent des services bancaires et fi-
confrontés les pays en développement dans les
nanciers, des services à la production et com-
échanges internationaux ne consiste pas fonda-
merciaux (y compris les transports et les com-
mentalement en une plus ou moins grande
munications), et des services pour le marché
libéralisation du commerce, mais en la meil-
du travail. Les NIT qui se rapportent à la for-
leure façon de retirer de leur participation au
mation d’une bonne infrastructure sociale, à
système les éléments qui vont améliorer leur
des politiques actives pour le marché du travail
développement économique. Jusqu’à mainte-
et des organisations de protection sociale visant
nant, à quelques exceptions près, les systèmes
à amortir les conséquences des pertes de travail
de production internationaux ont évolués de
et de ressources sont indispensables pour que
façon à concentrer les étapes de production à
les IED soient acceptables et durables.
faible valeur ajoutée dans les pays en dévelop-
Il est de plus en plus admis qu’aujourd’hui,
pement, et les activités à forte valeur ajoutée
le «capital humain» et le «capital social», plus
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL ET DÉVELOPPEMENT
89
que les ressources naturelles, déterminent le
telle importance pour l’action nationale est
niveau de croissance et de prospérité. Dans des
simplement qu’elles sont relativement rapides
pays à haute performances, le ratio entre l’inves-
à mettre en œuvre, alors que d’autres facteurs
tissement en capital matériel et l’investisse-
de la richesse nationale comme les aspects dé-
ment en capital humain (qui comprend la santé,
mographiques et les ressources financières
l’éducation et les spécialisations sur le marché
sont relativement bloquées à court-terme.
du travail) ont nettement fléchi en faveur du
Au final, les études sur la relation entre les
deuxième. Également, la sécurité sociale, la co-
échanges commerciaux, c’est-à-dire l’IED, et
hésion sociale et la paix sociale ont été identi-
les NIT ont révélé des liens positifs entre les
fiées comme nécessaires à l’amélioration de la
NIT, principalement les normes fondamenta-
productivité et un développement équilibré, dy-
les, et les résultats des échanges commerciaux
namique et durable.
et l’IED (Encadré 4.6). La plupart des études
Pour récolter les gains sociaux et économi-
réfutent la proposition classique d’une «course
ques issus de l’investissement, il est important
au minimum», selon laquelle les pays ayant de
que les salaires grimpent en même temps que
faibles normes du travail sont favorisés pour
la productivité en hausse dans les pays accueil-
les échanges commerciaux et l’investissement
lant de l’IED. Cela incite les entreprises à amé-
étranger. Au mieux, l’évidence suggère que les
liorer leur utilisation du travail, à génèrer un
pays qui appliquent des normes du travail sont
pouvoir d’achat plus important et à éviter le ma-
plus susceptibles d’attirer les capitaux étrangers
laise social au sein de la main-d’oeuvre locale.
et de profiter d’un volume d’affaires accru. Ce
Singapour est une illustration du cas de politi-
résultat n’est guère surprenant étant donné que
ques interventionnistes du gouvernement pour
la source et la destination des transferts récents
soutenir le progrès industriel. Pour promou-
de l’IED étaient les pays les plus développés
voir la compétitivité et le succès à l’export, le
ayant des normes relativement élevées pour le
gouvernement n’a pas maintenu le coût du tra-
travail. Il existe cependant des exceptions. Cer-
vail en bas. Au contraire, à certaines époques,
tains pays ont de bons résultats commerciaux
les salaires ont été délibérément augmentés
et d’importants afflux d’IED, mais ne souscri-
pour inciter les entreprises à grimper sur les
vent pas aux NIT fondamentales, et il existe
marchés. Entre 1980 et 1988, les salaires mo-
des cas où la course au minimum a réellement
yens mensuels sont passés de 380 dollars E.-U.
eu lieu. En fait, des violations aux droits syndi-
à 620 dollars E.-U.. La croissance annuelle de
caux ont pu être observées dans un certain
la productivité à cette période a avoisiné 4,3
nombre d’importants pays exportateurs du
pour cent. En plus de la politique salariale, le
Sud, dont la Chine, l’Indonésie, l’Iran, la Malai-
gouvernement a lancé d’autres mesures pour
sie, Singapour et la Thaïlande, qui représen-
stimuler la productivité du travail, y compris
tent 40 pour cent du volume des échanges en-
l’éducation et la formation professionnelle et la
tre les pays ne faisant pas partie de l’OCDE
politique sociale. La politique du travail du
(OCDE 1996). Ces pays ont également accueilli
gourvenrment a joué un rôle essentiel dans le
des flux relativement importants d’IED. En fait,
passage rapide de Singapour d’une production
durant les dernières années, la Chine s’est pla-
à l’export à forte main-d’œuvre et à bas salaires,
cée en tête pour recevoir des capitaux privés
à une époque d’excédent de travail, à une pro-
étrangers.
duction et à des services à hauts salaires et
Une autre façon d’étudier les liens entre
qualifié et de plus en plus à fort capital à une
les NIT et les décisions d’investissement serait
époque de pénurie de main-d’œuvre.
d’observer les sorties d’IED et en particulier les
Une des raisons pour lesquelles le marché
raisons qui incitent les entreprises à rester dans
du travail et les politiques sociales sont d’une
leur pays d’origine. Une étude sur 18 pays de
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
90
NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL ET DÉVELOPPEMENT
ENCADRÉ 4.6: Liens entre le commerce et les NIT:
les enseignements tirés de récentes études empiriques
De récentes études empiriques ont exploré les liens entre les NIT fondamentales et le échanges commerciaux. Une étude de
l’OCDE a révélé que les pays à faible normalisation ne bénéficient pas de performances à l’export plus importantes que les
pays à forte normalisation. Aucune preuve n’a été faite que la liberté d’association se dégradait dans les pays qui libéralisaient le commerce, ou que ces libertés entravaient une libéralisation ultérieure des échanges commerciaux. Les résultats les
plus probants suggéraient une « collusion positive entre des réformes des échanges commerciaux réussies et durables et
des améliorations des normes fondamentales » et que le respect des droits du travailleur «peut agir comme une incitation
à augmenter la productivité par l’investissement dans le capital humain et matériel». En moyenne, les pays qui ont amélioré les droits de la liberté d’association ont observé une augmentation du PNB de 3,8 pour cent à 4,3 pour cent, et la
croissance des résultats de fabrication de 2,4 pour cent à 3,6 pour cent dans les cinq ans de la mise en œuvre du changement (OCDE 1996). Les NIT réduisent les effets négatifs pendant la transition vers la libéralisation des échanges commerciaux et peuvent faciliter l’ajustement provoqué par la libéralisation. Les pays où les normes fondamentales du travail ne
sont pas respectés continuent à ne recevoir qu’une faible partie des flux d’investissements globaux ; ils ne constituent pas
une destination sûre pour les entreprises étrangères. Les investisseurs recherchent de plus en plus des pays offrant une
main-d’œuvre à haute qualification. Certaines études ont constaté une relation négative entre les normes autres que fondamentales et les résultats commerciaux ; des craintes d’une «course au minimum» sont «probablement exagérées»; les
opinions continuent de diverger à propos de l’impact du commerce sur les modalités de l’emploi et les inégalités salariales
(OCDE, 2000a). Une étude de la Banque mondiale concentrée sur l’Asie de l’Est a constaté qu’ il n’y a pas de preuve venant
d’Asie de l’Est pour alimenter la thèse que de meilleures normes environnementales et fondamentales du travail pourraient
injustement affecter la compétitivité de production. Bien au contraire: il est prouvé que les pays d’Asie de l’Est peuvent accroître leurs normes environnementales et du travail sans influence négative sur leurs flux d’exportations et d’investissement. La féroce résistance qu’opposent beaucoup dans cette région en considérant que ces sujets vont dans la même direction que les stratégies pour un développement plus large pourrait s’avérer erronée (Banque mondiale 2003).
Une étude économétrique d’un échantillonnage de 100 pays sur la période 1980 à 1999 a récolté peu de soutien en faveur
de l’une ou l’autre des étapes de l’enchaînement logique suivant: (1) les pays refusent de ratifier les Conventions de l’OIT
pour que (2) ils puissent dégrader les conditions de travail afin de (3) réduire les coûts du travail en vue de (4) accroître les
exportations et (5) attirer les IED à la recherche de main d’œuvre bon marché (Flanagan 2002).
Une étude de l’OIT sur l’impact des NIT fondamentales sur les coûts du travail et l’investissement étranger direct dans 127
pays n’a trouvé: «aucune preuve tangible en faveur de la sagesse populaire qui dit que les investisseurs étrangers favorisent
les pays avec des normes du travail restreintes, alors que tous les indicateurs d’une quelconque fiabilité indiquent exactement l’inverse». La valeur de cette étude réside dans son utilisation de nouveaux indicateurs des droits du travail qui recouvrent la liberté d’association et de négociation collective, la lutte contre le travail des enfants, le travail contraint et l’égalité
des genres. Au lieu de se concentrer sur la législation du travail, les indicateurs se sont concentrés sur les droits effectifs du
travailleur. Par exemple, concernant le respect de la liberté d’association, l’étude a utilisé un index sur les conséquences et
la gravité des violations de ce droit (Kucera, 2001 et 2002).
Un indicateur économétrique transfrontalier basé sur un échantillonnage de nombreux pays a montré que les pays ayant
moins de travail des enfants et une main d’œuvre mieux éduquée tendent à obtenir de meilleurs résultats à l’export (Kucera
et Sarna, 2000a). Les pays dont les violations des droits syndicaux sont plus fréquentes n’obtiennent pas de meilleurs résultats à l’export (Kucera et Sarna 2004b).
Au milieu des années 1990, une étude sur plusieurs centaines de dirigeants d’entreprises internationales et d’experts internationaux dans le monde entier a classé les critères de destination de l’IED selon un ordre de priorité. Le taux de croissance
et la taille du marché dans le pays hôte et la profitabilité se situaient en tête, suivis de près par la stabilité politique et sociale du pays, la qualité de la main d’œuvre, le contexte légal et réglementaire, la qualité de l’infrastructure matérielle et des
services à la production et commerciaux. La recherche de faibles coûts du travail n’était pas dans les motivations premières
(Hatem 1997). Classement et chiffres des critères utilisés par les investisseurs pour attribuer l’IED:
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL ET DÉVELOPPEMENT
Classement
Critère
91
Degré d’intérêt
1
Taux de croissance du marché
4,2
2
Importance du marché
4,1
3
Prévisions de profit
4,0
4
Stabilité politique et sociale
3,3
5
Qualité du travail
3,0
6
Contexte légal et réglementaire
3,0
7
Qualité des infrastructures
2,9
8
Contexte de production et de services
2,9
9
Cost of labour
2,4
10
Accès aux technologies
2,3
11
Crainte du protectionnisme
2,2
12
Accès aux ressources financières
2,0
13
Accès aux matières premières
2,0
Source : Hatem, 1997
Les enseignements d’une autre étude récente sur des entreprises multinationales US allaient dans le même sens. Elles
investissaient de préférence dans des pays avec une main-d’œuvre qualifiée et des régimes de marché du travail évolué
(Cook et Nobbe, 1999). D’un autre côté, une étude par Fraunhofer ISI sur des entreprises moyennes en Allemagne citait les
faibles coûts de production comme l’incitation primordiale pour délocaliser leur production dans d’autres pays. L’accès au
marché et la proximité de nombreux consommateurs venaient ensuite («Die Zeit», 14 avril 2005). Cet enseignement
divergent peut venir du fait que beaucoup des entreprises commençaient juste à investir à l’étranger et pouvaient avoir fait
des hypothèses erronées sur les avantages économiques réels de la délocalisation.
l’OCDE a constaté que le volume de transferts
tionnent en dehors des lois et réglementations
d’investissement était relativement faible à par-
nationales. On comptait 5 174 ZFE en 2002,
tir de pays dont la main d’œuvre est hautement
alors qu’il y en avait 176 en 1986. Près de 43
qualifiée, quand ils sont dotés d’un gouverne-
millions de travailleurs sont employés dans des
ment social-démocrate, et quand ils disposent
ZFE. Les syndicats rapportent fréquemment des
d’une couverture syndicale importante et d’une
violations de la liberté d’association et d’autre
faible occurrence de grèves (Alderson, 2004).
NIT fondamentales dans beaucoup de ces zones
Comme les conclusions des études empiriques
(CISL 2002). Les études existantes ci-dessus nous
sur les rapports entre les NIT et les volumes d’af-
fournissent des liens statistiques, mais pas for-
faires ne sont pas parfaitement concordants, au-
cément des liens de cause à effet. Il faut être
cune conclusion définitive ne doit être tirée ac-
prudent pour l’interprétation des résultats car
tuellement sur les relations entre les NIT et les
des approximations ont dû être utilisées en
échanges commerciaux. Par exemple, l’étude
l’absence de données statistiques directes sur
de l’OCDE conclut que les flux d’IED ne s’orien-
les conditions de travail, et en raison d’ambi-
tent pas vers les pays qui ne respectent pas les
guïtés sur la signification des indicateurs. Par
droits fondamentaux du travailleur. En même
exemple, le taux de violations de la liberté d’as-
temps, cependant, l’étude souligne la croissance
sociation dans un pays dépend non seulement
des zones franches d’exportation (ZFE) qui fonc-
de l’incidence actuelle des violations, mais aus-
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
92
NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL ET DÉVELOPPEMENT
si de la présence ou de l’absence d’institutions,
emploi pour lequel il soit bien adapté, sans dis-
par exemple de syndicats qui enregistrent les
crimination. Les moyens et les mesures pour
plaintes pour violations. Il existe aussi des in-
promouvoir l’emploi, à prendre aux niveaux
dications sur le fait que les stratégies d’inves-
national et international, comprennent les poli-
tissement diffèrent selon les secteurs économi-
tiques macro-économiques expansionnistes,
ques. Par exemple, des stratégies d’emploi à
les politiques de marchés du travail actives et
faible coût semblent prédominer dans les indus-
passives, l’éducation et la formation profession-
tries à fort besoin de main d’œuvre, comme le
nelle, les politiques structurelles, la promotion
vêtement et la chaussure. Chau et Kanbur (2000)
de l’emploi industriel et rural, et l’implication
ont démontré qu’une «course au minimum de-
active des employeurs et des travailleurs dans
puis le fond» a tendance à se développer prin-
leurs organisations pour la formulation et la
cipalement dans les petits pays qui ne peuvent
mise en œuvre de la politique. D’autres Conven-
pas avoir une influence sur leurs clauses com-
tions de l’OIT concernent le développement des
merciales. Mais ils se dépêchent d’ajouter que
ressources humaines, des services publics et
cela n’est en aucune façon inévitable. Par exem-
privés et des agences pour l’emploi. Divers ac-
ple, comme l’a rapporté Kimberly Elliott, le Cos-
cords globaux ont réaffirmé les politiques de
ta Rica, quand il a dû affronter une concurren-
l’emploi de l’OIT, y compris l’Engagement 3 de
ce accrue dans les industries traditionnelles à
la Déclaration de Copenhague adoptée au Som-
bas salaires, a mis en avant sa stabilité politi-
met mondial social de 1995. Les Objectifs du
que et son fort taux d’alphabétisation pour atti-
millénaire se consacrent plus particulièrement
rer l’IED dans l’électronique et d’autres secteurs
à la promotion de l’emploi des jeunes.
à forte valeur ajoutée. Il a choisi de s’extraire de
L’emploi est central à tout effort de déve-
la course au minimum et s’en est montré capa-
loppement. Il confère aux individus une estime
ble (Elliott 2003).
d’eux-mêmes, une reconnaissance et une utili-
En rapport avec les principaux débats de
té à la société, il leur assure les moyens de sub-
cette section, il est important de dire, d’abord,
sistance et leur fournit souvent un moyen de
que les enseignements de la recherche empiri-
participer et d’interagir avec les autres mem-
que sont concordants avec l’avis que les coûts
bres de la communauté. Comme indiqué au
salariaux élevés ne sont pas dissuasifs pour les
chapitre 2.1, les problèmes d’emploi ne se sont
investisseurs car ils peuvent être compensés
pas aggravés dans la plupart des parties du
par une forte productivité, une meilleure inno-
monde durant les dernières décennies. En de-
vation dans les produits et d’autres gains éco-
hors de la perte de résultats et de revenus, un
nomiques. Ensuite, il n’existe pas de preuve que
chômage invasif a des impacts élargis sociale-
les syndicats constituent un obstacle pour em-
ment et politiquement. Il est associé à de nom-
pêcher un pays de s’intégrer dans l’économie
breuses pathologies, comme des taux de divorce,
internationale.
de suicide et d’alcoolisme plus importants. Il
entraîne la délinquance, principalement chez
Liens entre les NIT et le taux d’emploi
les jeunes. Il accroît le crime, la prostitution et
la violence, les conflits religieux et ethniques. Il
La Convention n° 122 et la Recommandation
a tendance à encourager l’apathie politique et
n° 122 de 1964 sont les principales normes de
l’extrémisme politique. Dans les pays pauvres
l’OIT sur la politique de l’emploi. Elles visent
notamment, le chômage et le sous-emploi sont
un emploi complet, productif et librement choisi.
corrélés avec une souffrance extrême sous la
Tous les travailleurs doivent avoir toutes les pos-
forme de faim chronique et de malnutrition,
sibilités de se qualifier pour, et d’utiliser sa ou
d’exploitation du travail des enfants et de condi-
ses compétences et ses inclinations dans un
tions de vie misérables. Tout cela entraîne une
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL ET DÉVELOPPEMENT
93
mauvaise santé, une dégradation physique et
nes en crise, notamment celles qui ont subi un
mentale et des décès précoces.
conflit armé. Ensuite, cela entrave la création
Une main-d’œuvre trop abondante dans
d’institutions sociales. «Quel est l’intérêt de
beaucoup de pays en développement est une
désarmer et de démobiliser de jeunes hommes
raison majeure pour la mise en œuvre des NIT.
s’il n’existe pas d’école ou d’emplois civils
Cet excès fait pencher la balance du pouvoir
adéquats pour eux?» (Kofi Annan, dans un
sur le marché du travail en faveur des emplo-
discours devant le Parlement allemand le 28
yeurs. La main-d’œuvre aura tendance à être
février 2002).
plus docile, et facile à exploiter. Aussi long-
La main d’œuvre excédentaire elle-même
temps que la main d’œuvre en excès sera dis-
peut être provoquée ou conditionnée par de
ponible, il sera plus difficile d’augmenter le ni-
faibles normes de travail. Le travail des enfants,
veau des salaires, et les employeurs ne seront
le travail contraint, des salaires réels faibles ou
pas très motivés pour investir dans la main-
le manque de sécurité sociale ont tendance à ac-
d’œuvre afin d’améliorer sa productivité. Il
croître l’offre de main d’œuvre. Cela entraîne
existe un risque sérieux d’un cercle vicieux de
une chute plus importante des salaires réels et
déflation des salaires, de pauvreté et d’un fort
de la protection sociale, la montée du niveau
accroissement démographique. Un chômage
de pauvreté et l’accroissement accéléré du tra-
massif, et non pas la sur réglementation, est la
vail des enfants, résultant en un piège auto-
raison majeure du développement de l’ «éco-
alimenté de main d’œuvre excédentaire avec
nomie informelle». Une fois l’informalité instal-
de faibles normes de travail. Des zones bien
lée, il devient difficile d’établir ou de rétablir
localisées, des régions ou des pays entiers peu-
des normes. Empiéter sur un secteur des NIT a
vent être dans l’engrenage d’un cycle auto-
tendance à affaiblir les autres, entraînant un
alimenté de perte d’emplois initiale et de dégra-
cercle vicieux d’érosion cumulative.
dation sociale sous diverses formes, qui nuit
Freeman (2004) a souligné la pression
d’autant plus aux possibilités d’une guérison
négative sur les salaires occasionnée par un
économique. Les zones ou la cohésion sociale
doublement de l’offre globale de main d’œuvre
se détériore n’ont que peu de chances d’attirer
et son aggravation due à la mondialisation. En
les investissements et la création de nouveaux
1985, la force de travail globale était de 2,5
emplois.
milliards personnes. En 2000, à cause de l’ef-
La promotion des NIT nécessite une bonne
fondrement du communisme, de l’abandon par
coordination des politiques économiques et so-
l’Inde de son autarcie, et de l’ouverture de la
ciales, aussi bien au niveau national qu’inter-
Chine au capitalisme de marché, l’économie
national. Rodrik (1999) a démontré que les
mondiale comptait 6,6 milliards de personnes.
pays qui ont bénéficié de la meilleure intégra-
La force de travail mondiale est de 2,9 milliards
tion dans l’économie mondiale sont ceux qui
de travailleurs, soit 1,5 milliards de plus que 15
ont demandé aux institutions sociales de réussir
ans auparavant. Une offre mondiale accrue pose
la stabilité macro-économique (voir encadré
le problème de l’emploi car, en l’absence d’une
4.6).
gestion macro-écononomique mondiale appro-
Arriver à la croissance de l’emploi au ni-
priée, il n’y a pas eu de hausse proportionnée
veau mondial demande d’énormes modifica-
de la demande. La capacité excédentaire qui
tions des politiques économiques et sociales.
en résulte exerce une pression sur les salaires
Cela ne pourra pratiquement pas se faire sans
et les gains.
une réorientation dans les relations de pouvoir
Une pénurie d’offres d’emploi nuit aux
au sein et entre les pays (voir chapitre 5). Nous
normes du travail de manières indirectes. Par
sommes loin d’un contexte d’effort internatio-
exemple, elle empêche la reconstruction de zo-
nal concerté dans la perspective de politiques
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
94
NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL ET DÉVELOPPEMENT
ENCADRÉ 4.6: Institutions sociales et stabilité macro-économique
La capacité de maintenir la stabilité macro-économique face à des conditions extérieures perturbées est le principal facteur
déterminant dans les différences de résultats post-1975 dans le monde développé. Les pays qui ont été incapables d’ajuster
leurs politiques macro-économiques lors des chocs de la fin des années 1970 et 1980 ont fini par connaître un effondrement
dramatique de leur taux de productivité. Les pays qui se sont désarticulés l’ont été parce que leurs institutions sociales et
politiques étaient inadaptées pour engendrer les négociations nécessaires à un ajustement macro-économique – c’étaient
des sociétés dotées d’institutions trop faibles dans la gestion des conflits. En l’absence d’institutions médiatrices lors d’un
conflit entre des groupes sociaux, les politiques d’ajustements qui doivent rétablir l’équilibre macro-économique sont
retardées, alors que les travailleurs, les industriels et les autres groupes sociaux bloquent la mise en œuvre de politiques
fiscales et d’échange… L’expérience montre que les institutions politiques participatives, les libertés civiles et politiques, les
bureaucraties à haut niveau, le règne de la loi, et les mécanismes d’assurance sociale… peuvent compenser ces lacunes
(Rodrik, 1999).
économiques et financières qui favorisent la
dans l’actuelle vague de globalisation est très
croissance et l’emploi. C’est le cas même dans
nettement différente. La grande majorité des
l’Union Européenne qui est la région économi-
transactions transfrontalières de capitaux vont
quement et politiquement la mieux intégrée au
en direction des économies les plus dévelop-
monde (voir encadré 4.7). A cause de la libéra-
pées et de quelques pays émergents, et non pas
lisation des marchés des biens et du capital, il
vers les pays les moins développés. En encou-
est devenu plus difficile de stimuler la deman-
rageant l’amélioration de la productivité, les
de de travail dans un pays par des politiques
NIT peuvent contribuer à contrer la pression
fiscales et monétaires traditionnelles.
inflationniste et ainsi accorder plus de place à
Entre autres choses, on peut craindre que
des politiques d’offre orientées vers la crois-
l’effet expansionniste d’un abaissement unila-
sance. S’il est vrai que les forts taux d’intérêt
téral des taux d’intérêt par un pays ne soit an-
qui réduisent la croissance proviennent de la
nulé par un afflux consécutif de capital. Cette
forte prime de risque qu’un pays doit payer
contrainte doit être dépassée en améliorant la
pour son instabilité politique et économique, et
conception des politiques et leur mise en œu-
si dans ces conditions, les taux du profit doi-
vre au niveau international ou même mondial.
vent être plus élevés pour sécuriser les inves-
Cela demande des politiques macro-économi-
tissements, alors deux options existent pour
ques expansionnistes coordonnées, une refon-
supprimer cette contrainte: L’une est d’accep-
te de l’architecture financière internationale, la
ter une inégalité plus forte dans la distribution
remise de la dette aux pays pauvres et l’apport
du revenu du travail. Ceci réduira forcément le
de moyens suffisants pour financer le dévelop-
taux de croissance potentiel et mettra en dan-
pement. Les flux d’IED doivent être redirigés
ger la cohésion sociale et la stabilité politique,
en direction des pays pauvres, ainsi que dans
relançant ainsi des taux d’intérêt encore plus
les régions défavorisées dans les pays. Alors
hauts. L’autre option est de promouvoir les
que lors de la grande vague de mouvements de
normes du travail pour réduire l’instabilité.
capitaux internationaux qui a précédé la Pre-
Une économie mondiale qui s’étend vigou-
mière Guerre Mondiale, l’IED s’était orienté
reusement peut contribuer à relancer la crois-
principalement de pays richement créditeurs
sance et à favoriser la création d’emplois, la
en capital vers des nations pauvres en capital
mise en place d’une protection sociale et de ser-
et moins développées, la destination de l’IED
vices sociaux, la réduction de la pauvreté et la
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL ET DÉVELOPPEMENT
95
ENCADRÉ 4.7: Politiques monétaires et fiscales restrictives dans l’Union Européenne
Les difficultés pour atteindre le plein emploi dans les pays membres de l’UE – un des objectifs explicites de la stratégie
de l’emploi européenne – existent parce que dans le traité de Maastricht de 1992, la Banque centrale européenne (BCE)
a pour obligation première de veiller à la stabilité des prix. D’autres objectifs économiques, comme la croissance économique et l’emploi, sont secondaires et ne doivent être envisagés que quand la stabilité des prix est atteinte. C’est la BCE
qui décide de manière autonome quand cette condition est remplie. Elle fixe les taux d’intérêt dans cette optique. La
pratique a montré que la poursuite d’une faible inflation est interprétée de façon très restrictive, prenant comme objectif
un index des prix harmonisés à la consommation fixé à 2 pour cent. L’expérience à longue terme des pays industrialisés
a révélé que l’inflation dépasse inévitablement les 2 pour cent lors de ses reprises cycliques. De plus, le Pacte de stabilité
européen de 1997 a fixé des conditions restrictives pour la politique fiscale au niveau national, en limitant par exemple
le déficit courant national autorisé à 3 pour cent. En fait, cette règle a tendance à faire passer les Etats Membres de l’UE
dans un régime de politique fiscale déflationniste à long terme procyclique, que l’on pourrait considérer comme la raison
principale du manque de vitalité de la croissance et des résultats peu satisfaisants obtenus dans un passé proche par les
pays de l’UE dans le domaine de l’emploi.
protection de l’environnement. Cependant, dans
volonté politique de créer un progrès social
la plupart des pays en développement, et même
grâce à de forts engagements en faveur de la
dans les pays industrialisés, le développement
création et de l’application des NIT. Bien enten-
intérieur reste la première source de création
du, la poursuite des objectifs de politique sociale
d’emplois. La promotion de petites et très petites
doivent être réalisables économiquement. En
entreprises, et les programmes spécifiques pour
faisant obstacle à la redistribution des revenus,
le développement de l’environnement et les infra-
les salaires réels ne peuvent croître plus vite
structures (y compris la construction de routes
que la productivité à long terme, et les pays
d’accès, l’irrigation, l’assainissement, les bâti-
pauvres peuvent ne pas avoir les ressources
ments publics destinés à l’éducation, la culture
suffisantes pour assurer les mêmes normes so-
et les loisirs, les télécommunications) sont des
ciales que les pays en développement. Ils peu-
composantes importantes d’une stratégie glo-
vent ne pas être capables d’offrir les mêmes
bale pour l’emploi (Ghai 1999; Forum mondial
niveaux de retraite et de pensions d’invalidité
pour l’emploi de l’OIT 2001). De tels program-
ni les mêmes congés maternité. Des organismes
mes peuvent être conçus pour s’accorder aux
de sécurité et des caisses de prévoyance sophis-
besoins d’emplois saisonniers, principalement
tiqués peuvent être au-delà de leurs moyens.
dans les zones rurales. Ils ont prouvé leur effica-
En ce sens, des NIT importants peuvent être
cité dans les années 1970 en Inde, en Ethiopie
envisagés selon l’état de développement d’un
et en Chine, et pendant les années 1930 au
pays. Mais durant sa longue existence, l’OIT a
Chili, aux Etats-Unis et en Europe.
intégré tout ceci. En fait, il n’existe pas de revendication générale, et certainement pas de la
c)
Les NIT à la fois objectifs et outils de
développement
part de l’OIT, que d’importantes normes pourraient ou devraient être harmonisées au même
niveau absolu dans tous les pays immédiate-
Contrairement à ce que la théorie économique
ment. D’où, pour ces normes, contrairement
orthodoxe prétend, la possibilité de faire progres-
aux normes NIT fondamentales, l’idée d’un
ser les normes du travail n’est pas seulement
champ d’ajustement qui puisse être modulé,
conditionnée par des variables économiques. Il
permettant aux pays de s’impliquer dans la dé-
y a de l’espace pour des politiques et il y a la
pense sociale et dans la constitution de res-
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
96
NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL ET DÉVELOPPEMENT
sources pour le progrès social à la hauteur de
justification économique valable si on prend du
son PNB. Il n’y a cependant aucune raison pour
recul pour introduire un ensemble de considéra-
qu’un quelconque pays ne détermine d’objec-
tions plus large. Les pays ne doivent donc pas
tifs et de calendriers pour accéder à de meilleu-
se servir de contraintes économiques comme
res normes sociales alignées sur de plus fortes
d’une excuse pour éviter d’introduire les NIT.
ressources économiques. Bien souvent, les dif-
Souvent, l’analyse économique débouche
ficultés pour établir des normes importantes
sur des conclusions négatives à propos de l’im-
ne proviennent pas tant d’une question de ni-
pact des NIT car elle conçoit le développement
veau moyen de revenu, mais d’une distribution
d’une façon plutôt étriquée. Les analystes ont
très inégale des revenus et de la richesse.
tendance à observer des paramètres faciles à
La vision de l’économie orthodoxe qui
mesurer, comme la croissance du PNB, la pro-
considère que les NIT, y compris les normes les
ductivité, le revenu, l’investissement, les flux
plus importantes, ne peuvent pas êtres intro-
commerciaux, etc. Il existe cependant une di-
duits ou élaborées sans et jusqu’à ce que les
mension plus importante des bénéfices issus
pays pauvres aient atteint un niveau plus im-
des NIT, comme un traitement équitable, la sa-
portant de développement, ou aient dépassé le
tisfaction dans son emploi, la confiance, la jus-
stade de la pauvreté de masse, doit être reje-
tice sociale, la paix sociale, la cohésion sociale
tée. On peut se demander: Est-ce que la crois-
et autre résultats moins mesurables, qu’on
sance économique ne peut pas par elle-même
appelle maintenant souvent les facteurs «doux»
prendre soin de meilleures conditions de tra-
du développement, ou «capital social». Heureu-
vail et de vie pour les travailleurs? Est-ce que
sement, leur rôle est de mieux en mieux re-
le Pakistan, l’Egypte ou le Guatemala doivent
connu par les économistes du développement.
attendre d’avoir atteint le niveau de revenus de
De plus, par de nombreux aspects, les NIT
la Suède ou du Canada avant de se conformer
contribuent au caractère durable du dévelop-
aux normes de l’OIT sur le salaire minimum, le
pement qu’on a défini comme la capacité à
travail des enfants ou la protection sociale mi-
remplir les besoins de la génération présente
nimum? L’expérience nous enseigne que les
sans nuire aux besoins des générations à venir
fruits de la croissance peuvent être inégale-
(voir le rapport de «Notre avenir commun»,
ment répartis et que les gains des travailleurs
1987). Si la vision d’ensemble et la durabilité
ne sont pas automatiquement distribués. Pour
du processus de développement sont prises en
l’économiste orthodoxe, les normes du travail
compte, la balance penche encore un peu plus
sont le résultat du développement économique.
en faveur des NIT.
Les normes sont considérées comme un fac-
Les indicateurs économiques standards
teur exogène du développement. Une vision
peuvent aussi nous tromper sur la réalité des
contraire affirme que les NIT doivent êtres
résultats économiques et de développement. Un
considérés comme un ingrédient essentiel du
PNB par habitant élevé, même s’il est mesuré en
processus de développement. Elles font partie
équivalence de pouvoir d’achat, ne signifie pas
intégrante du développement. Elles sont à la
forcément une forte utilité d’ensemble. Il com-
fois objectifs et moyens, à la fois ingrédients et
prend la consommation de biens et services uti-
produits du développement. Elles fournissent
les, mais il inclut également les coûts des externa-
les conditions favorables à une meilleure effica-
lités négatives et la disparition des ressources,
cité économique et à une distribution équitable
comme les dépenses qui servent à soigner le
des revenus, qui à leur tour permettent au pays
stress et les problèmes de santé résultant de
un progrès économique, qui à son tour, jette les
mauvaises conditions de travail, les dépenses
bases de normes sociales plus élevées. Même
publiques pour la détection et la prévention de
l’application de normes coûteuses possède une
la délinquance, les réparations aux atteintes à
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL ET DÉVELOPPEMENT
97
l’environnement, les réparations pour les dé-
politiques du développement doit englober des
gâts causés par les accidents de la route, etc.
intérêts très divers. Selon Sen, le besoin de
Ce sont des investissements qui n’accroissent
projeter les préoccupations d’un travailleur sur
pas le potentiel de consommation ultérieur, mais
un autre, ainsi que la collusion entre l’équité et
qui sont nécessaires pour assurer la durabilité
l’efficacité, sont trop souvent invoqués et ils
d’un certain niveau de consommation quotidien.
sont typiquement basés sur un raisonnement
De plus, la vie professionnelle peut induire des
rudimentaire. Par exemple, la quantité et la
coûts qui échappent aux indicateurs de résultats
qualité de travail ne doivent pas être opposées
standard, comme le manque de temps pour la
l’une à l’autre. Il n’est pas acceptable de mettre
famille, le temps passé en trajets pour aller tra-
à la retraite anticipée des travailleurs âgés
vailler, la perte de ses amis quand on doit démé-
pour donner des opportunités d’emplois à des
nager pour des raisons professionnelles, et la
jeunes. Réduire le chômage ne doit pas être
perte d’un jour de repos par semaine comme
utilisé comme argument pour priver les per-
temps de socialisation obligatoire.
sonnes employées de conditions de travail dé-
La nécessité d’une approche globale, inclu-
centes. La protection des travailleurs embau-
ant toutes les composantes sociales dans le déve-
chés ne doit pas être utilisée comme une excuse
loppement a été puissamment développée par le
pour garder les sans emplois dans un état d’ex-
grand économiste du développement Amartya
clusion sociale. Les politiques devraient être
Sen (Sen 2000). Il réclame une nouvelle percep-
élaborées pour éviter de favoriser un groupe
tion de la notion de développement basée sur
au détriment d’un autre, ou une génération au
l’interaction et le renforcement mutuels des liber-
détriment d’une autre. Ce que les économistes
tés économiques, sociales et politiques. La liber-
et les politiciens considèrent souvent comme
té ne signifie pas seulement l’absence de restric-
d’inévitables ou inexorables compromis peu-
tions, mais la capacité individuelle et collective
vent être conciliés par les politiques et les bon-
de choisir et d’agir. L’analyse des enjeux et des
nes pratiques.
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
98
COMMENT FAIRE PROGRESSER LES NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL
5. Comment faire progresser les normes internationales
du travail
Il ressort de l‘analyse qui précède, à la fois
pays industrialisés doivent leur demander d‘ap-
théorique et empirique, qu‘aucune raison éco-
pliquer des NIT au moment où dans ces mêmes
nomique impérieuse n‘empêche de soutenir et
pays industrialisés la protection sociale tend à
de promouvoir délibérément les normes interna-
s‘affaiblir» (1990). Si tel est le cas, pourquoi,
tionales du travail (NIT). A l‘opposé, il apparaît
par conséquent, tant de pays industrialisés hé-
clairement que les normes favorisent le dévelop-
sitent à faire progresser les normes? Pourquoi
pement économique. C‘est notamment le cas si
certains sont même tentés de les réduire?
l‘on considère, au-delà des coûts et avantages
L‘obstruction délibérée au progrès social dans
stricto senso, l‘ensemble plus vaste des effets
les pays industrialisés freine les progrès dans
de ces normes, qui favorisent la croissance éco-
les pays du tiers monde. L‘abaissement des
nomique, tels que confiance, paix sociale, sta-
normes dans les pays à hauts revenus rend la
bilité politique, égalité des salaires et revenus.
concurrence en matière de salaires et de pres-
Cette doctrine, toutefois, soulève une question
tations sociales encore plus destructive. Parallè-
embarrassante: si les NIT, loin de heurter une
lement, les pays en développement qui recher-
parfaite logique économique, ouvrent la voie
cheront un avantage compétitif par la réduction
au développement économique, pourquoi leur
des normes risquent de bloquer leur propre
application ne progresse-t-elle pas plus rapide-
développement. Tant que le commerce interna-
ment? Plus précisément, pourquoi la liberté
tional sera mû par de grandes disparités dans
syndicale est-elle aussi souvent bafouée, alors
les coûts de main-d‘œuvre et les fortes varia-
qu‘on peut attester que les organisations syndi-
tions des termes de l‘échange, il demeurera
cales servent à stimuler le dynamisme de l‘éco-
éloigné du régime rêvé par les économistes, où
nomie, la stabilité sociale et la démocratie poli-
les échanges entre pays sont conformes aux
tique et économique? Pourquoi le travail des
meilleures pratiques, afin que chaque partie en
enfants prolifère-t-il autant, alors même qu‘il
retire de nets avantages.
prive les jeunes d‘instruction et d‘une bonne
Concernant les NIT, paroles et actions sou-
santé, réduirait d‘une façon permanente leur
vent divergent. A diverses reprises, au sein de
capacité et leurs aptitudes au travail, et par là,
l‘OIT et ailleurs, des gouvernements ont pro-
amoindrit le potentiel de croissance d‘un pays?
clamé qu‘ils s‘évertueront de les respecter. Au
Par ailleurs, si la protection sociale, qui est om-
Sommet mondial pour le développement social
niprésente et se généralise, offre une véritable
à Copenhague en 1995, 115 Chefs d‘État et de
solution au protectionnisme du marché des
gouvernement au total ont signé solennellement
produits, pourquoi tant de pays en développe-
une déclaration et un programme d‘action qui
ment, qui se plaignent des tendances protec-
contient l‘engagement d‘œuvrer en faveur d‘un
tionnistes en vigueur dans les pays industriali-
emploi de qualité et de promouvoir les NIT. Au
sés, n‘adoptent-ils pas automatiquement des
sommet du Millénaire organisé par les Nations
mesures de protection sociale? Une réponse a
Unies en 2000, un nombre encore plus grand
été donnée à cette dernière question par Ajit
de dirigeants ont réaffirmé cet engagement. A
Singh: «Les pays en développement estiment
la Conférence ministérielle de l‘Organisation
paradoxal le fait que les gouvernements des
mondiale du commerce (OMC), à Singapour en
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
COMMENT FAIRE PROGRESSER LES NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL
1996, a été pris l‘engagement de faire mieux
99
a) Principaux obstacles
respecter les normes fondamentales du travail.
Ces dernières années, le nombre de ratifica-
Malentendus, intérêts catégoriels et idéologies
tions des NIT, notamment des conventions fondamentales, a notablement augmenté. Dans le
La mondialisation économique a fait naître de
même temps, nous observons de nombreuses
nouvelles idéologies qui tentent de justifier les
violations des normes ratifiées et d‘importants
intérêts catégoriels et de les faire accepter par
déficits de travail décent, comme il est indiqué
l‘opinion publique. Les intérêts en jeu sont per-
au Chapitre 2. Qu‘est-ce qui empêche les res-
çus de fort diverses façons. Tandis que, dans
ponsables chargés essentiellement, par man-
les analyses empiriques citées plus haut, rien
dat ou engagement personnel, de faire des nor-
ne prouve l‘existence de «guerres économiques
mes une réalité, de les appliquer avec vigueur?
mondiales» entre États qui se disputent des ca-
Sans doute, des blocages d‘ordre politique, de
pitaux étrangers, un observateur de l‘OCDE
même nature que ceux qui expliquent pourquoi
n‘en affirme pas moins le risque permanent.
les décideurs n‘ont pas réussi à orienter la
La «course au moindre coût» ne dépend pas de
mondialisation économique vers une voie plus
l‘attrait qu‘exercent sur les investisseurs les
favorable.
pays où les normes du travail sont faibles. Cette
Le lien objectivement concret entre les NIT
conception, vraie ou fausse, y suffira (Oman,
et le développement ne suffit manifestement
2000). En définitive, ce qui importe dans les
pas à garantir des progrès. Les intervenants
décisions à prendre est de savoir non pas le
doivent se persuader que les normes peuvent
véritable effet de la protection sociale sur les
faire avancer l‘ensemble des entreprises et de
échanges, mais si cette protection est ou non
l‘économie, tout en ayant la volonté et le pou-
considérée comme une entrave à la souplesse,
voir d‘agir en conséquence; ils doivent agir en
à la productivité et à la compétitivité, soit par
concertation et en coopération; ils doivent aussi
les investisseurs et clients potentiels à l‘étran-
demander aux infrastructures techniques et
ger, soit par l‘administration publique ou les
administratives d‘élaborer et d‘appliquer des
pouvoirs locaux soucieux d‘attirer investisse-
directives sociales conformes aux NIT. Adhérer
ments et commandes. Ainsi, à titre d‘exemple,
aux normes devient, à l‘échelle mondiale, une
le Président Musoveni de l‘Ouganda a reconnu
question de bonne gouvernance, qui n‘exige
avoir congédié, en octobre 2003, 265 travail-
rien d‘autre qu‘un contrat social mondial. Il ne
leuses en grève, de la fabrique de vêtements
faut pas cacher qu‘en bien des endroits, les
Tri-Star, estimant que leur mouvement risquait
conditions préalables nécessaires à cette con-
de décourager les investisseurs. En Algérie, à
duite des affaires publiques ne sont pas en
Maurice et au Burundi, le gouvernement a le
place. S‘agissant des administrations publiques,
pouvoir d‘interdire les grèves qui sont préjudi-
elles seraient encore moins présentes au-
ciables à l‘économie du pays (CISL, 2004). La
jourd‘hui qu‘elles ne l‘ont été quelques décen-
liberté syndicale a été effectivement restreinte,
nies auparavant, du fait, en partie, des nouvel-
notamment dans les ZFE, aux fins d‘attirer des
les réalités voulues ou non que crée l‘économie
IED. En fait, il peut exister une véritable incom-
internationale. Que faut-il, par conséquent,
patibilité entre différentes conceptions. Alors
faire pour créer des conditions plus propices à
que les pouvoirs locaux estiment que de faibles
l‘application des NIT?
coûts salariaux et l‘absence ou la suppression
Le présent chapitre aborde ces questions.
des réglementations favoriseront les échanges,
Il examine les principaux obstacles qui freinent
les investisseurs peuvent rechercher autre
les progrès en matière de NIT et présente un
chose. Ils seront prêts à accepter des coûts de
cadre propre à stimuler leur application.
production plus élevés en échange de la stabi-
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
100
COMMENT FAIRE PROGRESSER LES NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL
lité politique, d‘infrastructures appropriées,
et que des mesures gouvernementales s‘impo-
d‘une demande intérieure des biens et services
sent parfois pour les harmoniser.
produits et de saines relations professionnelles
Un autre exemple vient de l‘Inde. Des em-
(BIT, 2000a). Rappelons à cet égard qu‘une en-
ployeurs de l‘industrie manufacturière de vête-
quête auprès d‘investisseurs a révélé que les
ments ont justifié la faible proportion de travail-
coûts de main-d‘œuvre ne sont pas les princi-
leuses dans plusieurs usines en arguant de
paux facteurs pris en compte pour décider de
l‘absentéisme des femmes dû à la maternité,
l‘affectation des IED (Hatem, 1997).
de leur manque de possibilités de se former et
L‘indifférence ou l‘inertie des employeurs,
de leur difficulté à travailler de longues heures
voire l‘ignorance de la réelle signification des
(Stahl et Stalmaker, 2002, p. 74). Certains em-
normes, sont fréquemment aussi à l‘origine
ployeurs des pays occidentaux industrialisés
des hésitations à adopter ou améliorer les nor-
pensaient (et pensent) de même, alors que d‘au-
mes. Le ministre du Travail d‘un pays occiden-
tres ont compris que l‘égalité des sexes en ma-
tal influent m‘a dit un jour qu‘il souhaitait que
tière d‘emploi et de profession n‘oppose aucun
l‘industrie textile de son pays réduise le volume
obstacle insurmontable, ni ne crée de préjudi-
de poussières malsaines dans les usines. Les
ces économiques. Dans les entreprises où s‘ap-
fabricants concernés n‘ont pas cédé à la de-
plique l‘égalité de traitement, les craintes de
mande, prétextant que le coût supplémentaire
désavantages compétitifs ont disparu.
de l‘installation d‘appareils de protection les
La mondialisation économique offre un
forcerait à fermer les entreprises. L‘un d‘entre
nouveau prétexte de se livrer à des formes an-
eux, toutefois, a fini par accepter d‘assumer ce
ciennes ou nouvelles de discrimination et d‘égo-
coût et de se doter de l‘équipement nécessaire.
centrisme face au progrès social. Des chefs
Le résultat a dépassé toute attente. La produc-
d‘entreprises, mais aussi des administrations
tivité de la main-d‘œuvre a non seulement for-
publiques, invoquent souvent la concurrence
tement augmenté dans cette entreprise grâce à
internationale accrue pour soutenir qu‘une
une réduction de l‘absentéisme et de la morbi-
économie libre ne permet pas les améliorations
dité, mais s‘est également améliorée en même
sociales, ou qu‘il faudra réduire les normes en
temps que la santé et la motivation des travail-
vigueur pour conserver au pays sa compétiti-
leurs. L‘économie des coûts a dépassé le sur-
vité sur le plan international et attirer des IED.
croît d‘investissement, tandis qu‘avec l‘amélio-
(A noter que ce raisonnement oppose un démen-
ration des conditions de travail les possibilités
ti aux promesses de retombées économiques
de recruter et de conserver des travailleurs
de la mondialisation!)
qualifiés se sont accrues. Le ministre du Travail,
Fréquemment, on explique la réduction des
informé de ce résultat, a demandé à l‘entreprise
normes du travail par une moindre autonomie
novatrice d‘inviter d‘autres producteurs à l‘imi-
des pouvoirs locaux. John Evans a démontré
ter. Mais celle-ci s‘est montrée rétive, par crainte
comment la façon dont les pouvoirs publics
de perdre l‘avantage compétitif de son innova-
s‘acquittent de leur responsabilité sociale se pro-
tion si ses concurrents installent des dispositifs
page: «Le Gouvernement conservateur en Gran-
anti-poussière dans leurs usines. Le ministre a
de-Bretagne (1979-1997) a été l‘un des plus
alors pris des mesures pour que le même dis-
acharnés à faire valoir la nécessité d‘affaiblir
positif soit utilisé dans toutes les entreprises
les syndicats et de déréglementer le marché du
afin d‘étendre les avantages économiques et
travail pour se conformer à un modèle de com-
humains à l‘ensemble du secteur. C‘est là un
pétitivité en un certain endroit non précisé
exemple type des problèmes dus à une mesu-
d‘Asie orientale. En 1997, le Gouvernement
res collective, qui révèle qu‘intérêt particulier
coréen a, à l‘époque, motivé son intention de
et intérêt général ne convergent pas forcément
restreindre les droits syndicaux par le fait que
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
COMMENT FAIRE PROGRESSER LES NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL
101
le pays devait abaisser ses normes du travail
pays riches voudront protéger les emplois en
pour empêcher les entreprises coréennes de
empêchant l‘entrée des produits venant des
s‘installer en Ecosse et au Pays de Galles, qui les
pays en développement, ou entendent imposer
attiraient par la souplesse des marchés du tra-
des valeurs occidentales à des pays aux cultu-
vail» (Evans, 2002). Cet exemple montre que
res et traditions différentes. Ces arguments
l‘opportunisme individuel, commodément légi-
doivent être élucidés avec précaution. Les pays
timé au nom de la concurrence internationale,
industrialisés avancés – mais également les
peut nuire au progrès social. Il est indispensable
économies naissantes – ont en fait recouru aux
de formuler un accord international qui fixe à
restrictions en matière d‘importation, aux sub-
la concurrence un seuil social pour permettre
ventions massives et autres moyens de proté-
d‘accorder aux entreprises les avantages éco-
ger et favoriser certains secteurs de l‘économie
nomiques découlant des normes du travail.
intérieure. Le protectionnisme est une réalité,
Des chefs d‘entreprises clairvoyants ne sau-
qui porte fortement préjudice aux pays en déve-
raient seuls garantir une application suffisante
loppement (voir Chapitre 2.b). Toutefois, cette
des normes.
pratique ne saurait être imputable aux NIT.
Jusqu‘à présent, une bonne proportion de
Bien au contraire, comme il est expliqué au
mesures en matière de mondialisation a été
Chapitre 4, le protectionnisme sur le marché
dominée par une idéologie antisociale. Les
des produits tend à se pratiquer en l‘absence
idéologies doivent s‘accompagner d‘efforts qui
de NIT. L‘invocation du protectionnisme dé-
visent à favoriser les intérêts catégoriels en
guisé ne devrait pas servir de prétexte à dissi-
donnant l‘impression de servir l‘intérêt géné-
muler d‘autres raisons de ne pas appliquer les
ral, d‘agir conformément aux traditions ou de
NIT. On peut souvent rattacher la non-applica-
faire face aux réalités. C‘est au nom d‘une
tion des normes aux politiques nationales. «Les
idéologie néolibérale qui préconise le libre mar-
gouvernements autoritaires, qui restreignent
ché comme le meilleur modèle universel de dé-
l‘activité syndicale, sont motivés plus vraisem-
veloppement qu‘on a milité contre la nécessité
blablement par des considérations de politique
de faire progresser les NIT. Elle a servi de fonde-
interne (telles que la volonté d‘une élite parti-
ment théorique au «Consensus de Washing-
culière de conserver son pouvoir) que par des
ton» qui oriente les principes et pratiques des
questions d‘économie extérieure (maintenir la
institutions financières internationales (IFI).
compétitivité internationale dans les industries
Libéralisation des échanges, encouragement
exportatrices)» (Lim, 1990). En réalité, bon
aux IED, rigueur budgétaire, réforme fiscale,
nombre de gouvernements des pays en déve-
libéralisation financière, taux de change com-
loppement, voyant dans les organisations syn-
pétitifs, déréglementation des marchés et sécu-
dicales une opposition politique qui menace
risation des droits de propriété sont autant de
leur pouvoir ou régime, ont restreint les droits
principes contenus dans ce consensus.
syndicaux. Pour les gouvernements de la Chine,
de Myanmar, d‘Indonésie et autres, le spectre
Le «protectionnisme déguisé»
de Solidarnosz, mouvement de solidarité des
L‘un des arguments types que les représen-
des années 80 la chute du communisme, con-
tants des pays en développement opposent à
tinue de planer. C‘est ainsi que la répression
l‘application des NIT – et en particulier à leur
des droits syndicaux vise moins les marchés et
rattachement aux échanges commerciaux – est
la productivité que le maintien du pouvoir d‘in-
qu‘elles s‘assimilent à un «protectionnisme dé-
stitutions publiques qui peuvent être considé-
guisé» ou une «nouvelle forme de néocolonia-
rées, dans une perspective élargie, comme illé-
lisme» de la part des pays industrialisés. Les
gitimes (Maskus, 2004).
travailleurs en Pologne, qui a déclenché à la fin
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
102
COMMENT FAIRE PROGRESSER LES NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL
D‘autres motifs peuvent fonder à contester
Les priorités politiques et l‘opinion peu-
la thèse du protectionnisme déguisé. Nombre
vent évoluer en faveur des NIT. Rien n‘est im-
de produits fabriqués dans des pays en dévelop-
muable, même pas les intérêts catégoriels. Les
pement n‘entrent pas en concurrence avec les
pays concernés ne doivent opposer aucun obs-
produits des pays industrialisés. Excepté pour
tacle définitif au progrès en matière de NIT, s‘il
les biens hautement différenciés et de grande
est admis que l‘on peut mieux obtenir d‘avan-
qualité, certaines industries – textiles, habille-
tages économiques en les appliquant. Les entre-
ment, chaussures, jouets et électronique – ont
prises très prospères et les pays obtenant les
déjà transféré une grande partie de leur pro-
meilleurs résultats, respectueux des normes,
duction dans des pays à bas salaires. Dans de
l‘attestent largement. Malheureusement, sou-
nombreux secteurs économiques, la concur-
vent ce n‘est que très tard et après des pertes
rence des coûts est bien plus rude entre pays
massives que sont compris la nécessité et les
en développement qu‘entre le Sud et le Nord.
avantages d‘une coopération au sein des pays
Plus que les pays industrialisés, les pays en dé-
et entre eux. Il a fallu la première guerre mon-
veloppement se heurtent aux stratégies du
diale, après des flambées révolutionnaires dans
chacun pour soi qui font qu‘investisseurs, pro-
des pays d‘Europe et la montée du bolchevisme,
ducteurs et acheteurs suscitent des rivalités
pour en arriver à un large consensus entre em-
entre les pays à bas salaires et les autres, tout
ployeurs, travailleurs et gouvernements, qui a
en faisant peser une pression constante sur les
permis la création de l‘OIT et la mise en place
rémunérations et les conditions de travail.
des premières conventions contre les pires con-
L‘adhésion de la Chine à l‘OMC en 2001 et
ditions d‘emploi. L‘effondrement, vers la fin du
l‘abandon progressif, en 2004, de l‘Accord de
XXe siècle, du communisme comme rival du
protection sur les textiles et l‘habillement,
capitalisme, a entraîné un affaiblissement de
conclu 30 ans plus tôt, ont intensifié la concur-
ce consensus et un manque de volonté de faire
rence entre pays en développement. En vue de
progresser le programme social à l‘échelle mon-
la suppression des contingentements dans les
diale. De même, c‘est seulement après la grande
textiles, des pays tels que Philippines, Cambodge,
dépression économique des années 30 que les
Thaïlande, Sri Lanka, Bangladesh, Maurice, Ma-
gouvernements ont été prêts à assumer la res-
roc, Turquie et Mexique, se sentant menacés par
ponsabilité du plein emploi par une gestion
la vaste et rapide extension de l‘industrie ma-
dynamique de la demande globale. Il s‘agit de
nufacturière chinoise, ont demandé que de nou-
savoir, d‘une part, si d‘une manière générale
velles restrictions soient imposées au commerce
l‘empressement à respecter et promouvoir les
des vêtements. La Chine, jouissant en tant que
NIT est cyclique (voir dans Kochan et Nord-
Membre de l‘OMC de la condition de nation la
lund, 1989, un récit sur les progrès sociaux pé-
plus favorisée dans le domaine des échanges et
riodiques aux Etats-Unis) et, de l‘autre, s‘il faut
compte tenu de sa grande réserve de main-
supporter une grande catastrophe économique
d‘œuvre à bas salaires, aura les moyens d‘af-
ou politique pour parvenir à un accord inter-
faiblir pratiquement tous les autres pays qui
national. Faudra-t-il attendre une autre catas-
fabriquent des produits avec un fort coefficient
trophe sociale ou politique généralisée pour
de main-d‘œuvre. Les stratégies de réduction
prendre des initiatives énergiques qui donnent
des salaires et des normes, dans ces pays, seront
effet aux règles sociales mondiales? Ou la rai-
vaines, les salaires chinois étant encore plus bas.
son triomphera-t-elle à temps d‘un tel risque en
Pour mieux faire face à ces menaces concurren-
parvenant à établir un pacte social mondial?
tielles, il faut améliorer les ressources humaines
et les conditions de travail dans les usines de
textiles et de vêtements (voir Chapitre 5.d).
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
COMMENT FAIRE PROGRESSER LES NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL
103
Politiques incompatibles et action non coor-
bres d‘un même gouvernement, se répercutent
donnée entre organisations internationales
jusqu‘aux instances dirigeantes des organisations internationales.
Aujourd‘hui, nous sommes loin de la stratégie
La réglementation de la Banque mondiale
sociale et économique cohérente et bien coor-
et du Fonds monétaire international de ces
donnée qui puisse effectivement étayer l‘appli-
vingt dernières années n‘a guère été favorable
cation des normes à l‘échelon tant national
aux NIT et autres directives en matière de tra-
qu‘international. Croissance et emploi ne susci-
vail (voir van der Hoeven, 2000). Au début des
tent au plan international aucun effort concerté
années 80, ces deux institutions ont préconisé
en leur faveur. Le G-8 qui représente de gran-
l‘adoption de programmes d‘ajustements struc-
des puissances politiques et économiques n‘y
turels, faisant de l‘adhésion à ces derniers une
réussit guère. Dans le cadre du système multi-
condition pour obtenir leurs prêts. Ces program-
latéral, nous constatons des différences politi-
mes étaient destinés à instaurer la rigueur bud-
ques et idéologiques entre les diverses institu-
gétaire et monétaire pour atteindre la stabilité
tions, en particulier, les organisations du système
et réduire le rôle des pouvoirs publics, con-
des Nations Unies, d‘une part et les institutions
sidéré comme inefficace et amoral. Qui dit poli-
financières internationales, notamment le Fonds
tiques d‘ajustement, dit réformes visant les pri-
monétaire international (FMI), le groupe de la
vatisations et la déréglementation du marché
Banque mondiale (BM) et des banques régiona-
du travail. En maints pays en développement,
les de développement, d‘autre part. Les man-
ou en transition, notamment en Afrique, l‘admi-
dats et les compétences de ces organisations se
nistration publique s‘est retrouvée, pour avoir
chevauchent, leurs orientations manquent par-
suivi les directives des IFI, démunie d‘une grande
fois de cohérence et leurs programmes et ac-
partie de sa capacité. La baisse des traitements
tions, souvent, de coordination. En conséquen-
dans la fonction publique, jugés trop élevés par
ce, les gouvernements nationaux reçoivent des
la Banque mondiale, a dans bien des cas réduit
avis contradictoires des différentes institutions
l‘intérêt pour ce secteur au point de scléroser
internationales. De nombreux gouvernements
les compétences de l‘action gouvernementale
sont prêts à adopter, de bon ou mauvais gré,
(Institut de la Banque mondiale et Bureau inter-
les consignes des IFI, du seul fait que ces institu-
national du Travail, 1999). Dans nombre de pays
tions accordent des aides financières substan-
du Sud, une part importante des travailleurs
tielles, qui souvent sont indispensables. L‘anta-
les plus qualifiés a émigré, amoindrissant ainsi
gonisme dans les orientations des organisations
la capacité et l‘efficacité des ministères et de la
internationales est le plus souvent dû aux poli-
fonction publique. Les conséquences néfastes
tiques disparates des gouvernements nationaux.
ont été immédiates pour les NIT qui deman-
Dans la majorité des pays, les politiques sociales
dent des responsables compétents pour éla-
et économiques ne font pas partie d‘un ensem-
borer les orientations, ainsi que des services
ble global. En matière de politique sociale, les
d‘inspection et autres administrations qualifiés
ministres des Finances, ou les dirigeants des
chargés de surveiller les entreprises, de s‘op-
banques nationales qui recherchent la stabilité
poser au refus d‘appliquer les normes et de
financière, les ministres des Affaires économi-
sanctionner les auteurs de violations.
ques qui visent à favoriser les échanges commer-
Les pays qui ont refusé de se soumettre
ciaux, les ministres du Travail et des Affaires
aux prescriptions fixées par les IFI n‘ont pu ni
sociales dont la fonction est de faire progresser
obtenir de crédits ou d‘aide au développement,
les normes sociales adoptent des positions très
ni accéder au marché privé international des
différentes. Il n‘est pas étonnant que ces politi-
capitaux, si ce n‘est en payant le prix fort.
ques divergentes de ministres, pourtant mem-
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
104
COMMENT FAIRE PROGRESSER LES NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL
Les activités de mobilisation des IFI en fa-
revanche, l‘emploi, comme élément stratégique
veur d‘une déréglementation du marché du
essentiel de lutte contre la pauvreté, ne bénéfi-
travail ont porté préjudice à la défense des nor-
cie pas encore de la même priorité dans le train
mes tant nationales qu‘internationales. Il est
de mesures établies par ces mêmes institu-
difficile d‘appliquer des normes au marché dé-
tions. Ce n‘est qu‘en 2001 que la Banque a
réglementé de l‘emploi, même si les tenants de
conclu que le travail étant souvent la principale
l‘orthodoxie économique prétendent parvenir
sinon la seule ressource des populations dé-
ainsi au plus haut degré de protection sociale.
munies, un accès équitable à un emploi sûr et
La réalité est qu‘il n‘existe nulle part au monde
convenablement rémunéré est l‘un des princi-
de marché de l‘emploi sans réglementations.
paux éléments dans la réduction de la pauvreté
Ces dernières dont seule l‘origine et la nature
(Holzman et Joergensen, 2001). Toutefois, les
varient résultent d‘accords bi ou trilatéraux, ou
DSRP de la Banque ne contiennent d‘ordinaire
sont imposées unilatéralement. Confier à l‘en-
pas d‘objectifs d‘emploi, ni de directives visant
treprise les décisions relatives à la politique du
à améliorer salaires et conditions de travail qui
travail et aux pratiques y relatives et laisser
seraient indispensables pour réduire la pau-
aux prérogatives des cadres dirigeants le soin
vreté.
d‘utiliser les ressources humaines ne saurait
déboucher sur un marché non faussé et libre.
Ces dernières années, les IFI ont adopté
graduellement une position plus respectueuse
Ces dernières années, les IFI se sont da-
des normes fondamentales du travail. En 1999,
vantage souciées de la dimension sociale de la
après l‘adoption à l‘OIT de la déclaration rela-
mondialisation. Elles vouent une plus grande
tive aux principes et droits fondamentaux au
attention aux questions de politique sociale, en
travail, la Banque mondiale a précisé sa posi-
particulier à la lutte contre la pauvreté. Depuis
tion: «La Banque s‘est exprimée sans équivo-
1999, les pays désireux d‘obtenir un allége-
que sur trois normes fondamentales du travail
ment de la dette ou de nouveaux prêts à des
(travail des enfants, travail forcé et discrimina-
conditions de faveur de la Banque mondiale
tion) qui s‘accordent invariablement avec le
sont tenus de présenter des documents de stra-
développement économique.» Après avoir exa-
tégie pour la réduction de la pauvreté (DSRP).
miné les analyses empiriques sur les effets éco-
En 2004, 37 pays avaient soumis ces docu-
nomiques des syndicats et des négociations
ments à la Banque et 16 autres lui avaient pré-
collectives (Aidt et Tzsannnatos, 2002), la Ban-
senté des rapports intérimaires. L‘établissement
que a admis leur rôle constructif dans le déve-
de ces documents, auquel participerait la so-
loppement et la réduction de la pauvreté, affir-
ciété civile, serait placé sous la responsabilité
mant désormais qu‘elle soutient toutes les
des gouvernements des pays concernés. La
normes fondamentales. Nonobstant, elle n‘a
Banque a promis de consulter les syndicats et
pas fait de ces normes un élément obligatoire
de les associer à la conception et la réalisation
dans ses directives pratiques. A de rares occa-
desdits documents et de les y associer, ce qui,
sions seulement, elle a, au-delà de son engage-
dans la pratique, n‘a que relativement eu lieu.
ment de principe, pris des mesures concrètes
Les organisations syndicales nationales et inter-
pour promouvoir ces normes: dans ses contrats
nationales se sont plaintes d‘en être souvent
d‘achats ou comme conditions afférentes aux
exclues ou de n‘être consultées que sommaire-
prêts consentis par sa société financière inter-
ment. Depuis 2003, leur participation s‘est
nationale (SFI). Par ailleurs, concernant les NIT
améliorée à cet égard.
non fondamentales et techniques, la Banque et
Favoriser l‘éducation, la santé et la sécuri-
le FMI continuent de se montrer réservés ou
té sociale figure en tête du programme d‘at-
opposés. Leur position de principe sur la sou-
ténuation de la pauvreté, fixé par les IFI. En
plesse du marché du travail ne converge guère
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
COMMENT FAIRE PROGRESSER LES NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL
105
avec les lignes directrices de l‘OIT. Les IFI n‘ont
gné que les grandes inégalités entravent la
cessé de s‘opposer à la fixation d‘un salaire mi-
croissance économique, mais, dans la pratique,
nimal, à la diminution des heures de travail et
rien n‘indique vraiment qu‘elle encourage des
à la protection de l‘emploi et du revenu, les dé-
directives favorisant la redistribution des re-
nonçant comme contraintes et bureaucratie
venus du travail. Dans ce même rapport, la
sur le marché du travail. Bien que le FMI n‘ait
Banque a exhorté à renforcer l‘autonomie des
pas pour vocation essentielle, ni pour mandat,
défavorisés et de leurs représentants: cet appel
d‘examiner la politique relative au marché du
sera-t-il toutefois suivi de mesures concrètes?
travail, son personnel n‘en formule pas moins
Manifestement marquées par les échecs
des avis contre les négociations salariales cen-
du secteur privé, notamment la fâcheuse expé-
tralisées, le salaire minimal et l‘indexation des
rience en Californie de privatisation de l‘appro-
salaires, même dans les cas où le salaire réel a
visionnement en énergie et la série de scanda-
chuté. Ne considérant pas que différents pays
les financiers et de faillites de grandes sociétés
supposent différentes pratiques, le Fonds a ten-
aux Etats-Unis et ailleurs, les IFI semblent
té d‘appliquer aux réformes du marché du tra-
avoir également nuancé leurs lignes directrices
vail le principe dogmatique de la «taille uni-
en matière de privatisation du secteur public.
que».
Dans une nouvelle étude intitulée «Réforme de
S‘il est vrai que la Banque mondiale a as-
l‘infrastructure»: privatisation, réglementation
soupli sa position à l‘égard des normes fonda-
et concurrence (Banque mondiale, 2004), la
mentales du travail, son soutien aux droits des
Banque a confessé que, mue par une «exubé-
travailleurs varie grandement selon ses dépar-
rance irrationnelle», elle a parfois aveuglément
tements et échelons. Les avis relatifs aux NIT
prôné la privatisation d‘une façon doctrinale.
ne sont pas toujours concordants au sein de
Ni la Banque ni le Fonds ne considèrent plus le
l‘institution. Peu après avoir déclaré, dans une
secteur privé comme inconditionnellement bon
de ses publications (Banque mondiale, 2001),
et le secteur public comme généralement mau-
en substance, que les principes ancrés dans les
vais. Alors qu‘auparavant ces institutions pré-
normes fondamentales du travail peuvent con-
conisaient une diminution de l‘emploi public,
tribuer à sa mission de développement, ainsi
elles ont ensuite recommandé de ne pas faire
qu‘à la croissance économique et la réduction
subir aux secteurs sociaux (éducation et soins
des risques pour les défavorisés sur les lieux de
de santé) les réductions budgétaires. La Banque
travail, elle affirmait dans une autre publica-
est également revenue quelque peu sur sa posi-
tion que les pays en développement font valoir
tion favorable à une réforme des pensions forte-
une objection commode, à savoir que les normes
ment inspirée des régimes privés de retraite.
du travail risquent de devenir une nouvelle for-
Une certaine ambiguïté eu égard aux NIT
me de protectionnisme à l‘encontre des pays
est également perceptible à l‘Organisation mon-
pauvres – avec pour conséquence paradoxale
diale du commerce (OMC). A leur troisième
une augmentation de la pauvreté et partant du
Conférence ministérielle à Singapour en dé-
travail des enfants (Collier et Dollar, 2002).
cembre 1996, les Membres de l‘OMC ont éla-
L‘hommage rendu aux droits des travailleurs
boré une ligne d‘action concernant les normes
par la haute direction ne se traduit nécessaire-
fondamentales de l‘OIT. Dans leurs déclara-
ment pas en actes dans les rangs inférieurs.
tions, les ministres ont affirmé ce qui suit:
Les mesures pratiques ne se conforment pas
«Nous renouvelons notre engagement d‘ob-
toujours à ce que les chercheurs constatent et
server les normes fondamentales du travail
recommandent. Ainsi, dans son rapport sur le
internationalement reconnues. L‘Organisation
développement dans le monde de 2000-2001,
internationale du Travail (OIT) est l‘organe
relativement progressiste, la Banque a souli-
compétent pour établir ces normes et s‘en oc-
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
106
COMMENT FAIRE PROGRESSER LES NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL
cuper et nous affirmons soutenir les activités
l‘exercice de leurs droits fondamentaux? (El-
qu‘elle mène pour les promouvoir. Nous esti-
liott et Freeman, 2003).
mons que la croissance économique et le déve-
Pendant longtemps, les normes de l‘OIT
loppement favorisé par une augmentation des
ont laissé l‘Organisation de coopération et de
échanges commerciaux et une libéralisation
développement économiques (OCDE) indiffé-
plus poussée du commerce contribuent à la
rente. Aujourd‘hui, l‘Organisation se trouve
promotion de ces normes. Nous rejetons l‘usage
davantage en harmonie avec les normes fon-
des normes du travail à des fins protection-
damentales, du fait sans doute de ses analyses,
nistes et convenons que l‘avantage comparatif
mentionnées plus haut, qui ont établi que les
des pays, en particulier des pays en dévelop-
NIT ne freinent pas l‘expansion du commerce.
pement à bas salaires, ne doit en aucune façon
Ainsi, tout indique que dans les organisations
être remis en question. A cet égard, nous no-
internationales les plus influentes, la tendance
tons que les Secrétariats de l‘OMC et de l‘OIT
a, dans une certaine mesure, évolué en faveur
continueront de collaborer comme ils le font
des normes fondamentales. Il ne s‘ensuit pas
actuellement.»
que ces organisations soutiennent désormais
Toutefois, la coopération entre l‘OMC et
sans réserve les normes du travail. Selon Joseph
l‘OIT est de facto pratiquement inexistante,
Stiglitz, Prix Nobel en sciences économiques en
même si deux kilomètres à peine séparent leurs
2001, la doctrine économique néoclassique,
secrétariats. L‘impasse sur les liens entre les
qui inspire une bonne part des lignes directri-
normes respectives du commerce et du travail
ces des IFI et de l‘OCDE, a grandement facilité
s‘est soldée par un blocage total de la concerta-
la tâche des responsables politiques en leur of-
tion ordinaire entre les deux organisations (Ha-
frant un programme différent (Stiglitz, 2001).
gen 2003a). Alors que les ministres du Commer-
A la fin de son mandat triennal, comme écono-
ce déclarent que l‘OIT est l‘organe compétent
miste en chef de la Banque mondiale, en 2000,
pour établir ces normes et s‘en occuper, on
Stiglitz a conclu «qu‘à cette époque, les problè-
aimerait savoir pourquoi cette organisation n‘est
mes de fond du marché du travail proviennent,
pas investie d‘un plus grand pouvoir pour faire
trop souvent toutefois, de l‘étroitesse des prin-
appliquer ses conventions.
cipes économiques et étaient examinés de fa-
Ni la quatrième Conférence ministérielle
de l‘OMC, tenue à Doha (Qatar) en 2001, où a
çon encore plus étroite à travers l‘objectif de
l‘économie néoclassique (Stiglitz, 2000).
été convenu un nouveau cycle de négociations
commerciales (Programme de Doha pour le dé-
Périodes difficiles pour les organisations
veloppement), ni la Conférence organisée en
syndicales
2003 à Cancún (Mexique) n‘ont marqué aucun
progrès quant au lien entre NIT et commerce,
Les organisations syndicales demeurent les
ou quant à la coopération entre l‘OMC et l‘OIT.
parties prenantes essentielles dans l‘améliora-
Cette orientation élude la question de l‘harmo-
tion des conditions de travail. La main-d‘œuvre
nie de traitement des droits respectivement du
syndiquée doit par conséquent constituer le
travail et de propriété, l‘OMC ayant déjà auto-
principal vecteur de la promotion des NIT. Le
risé un rattachement des sanctions commer-
mouvement syndical international a d‘ailleurs
ciales et des droits de propriété intellectuelle.
fait de la justice sociale mondiale sa priorité
Pourquoi faudrait-il protéger les biens et les
pour le XXIe siècle (voir CISL, 2000).
actifs de propriété intellectuelle contre le vol,
Quels sont les atouts des syndicats, natio-
l‘expropriation et l‘imitation, sous peine de
naux et internationaux, aujourd‘hui? Dans
sanctions commerciales, alors que les travail-
quelle mesure ont-ils pu faire face, sur les plans
leurs ne sont pas protégés par l‘OMC dans
stratégique et organique, à la nouvelle réalité
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
COMMENT FAIRE PROGRESSER LES NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL
107
économique? Le mouvement syndical compte
ment, l‘affaiblissement des organisations syndi-
dans le monde quelque 180 millions de mem-
cales tient principalement à la rapide expansion
bres. Ce chiffre n‘est toutefois guère explicite.
de l‘économie informelle, où ces organisations
La densité des organisations syndicales, par
ont difficilement pénétré (malgré les quelques
pays, ainsi que la croissance ou la diminution
succès remportés par des syndicats chargés
de leurs effectifs, sont des indicateurs plus pré-
d‘organiser ce secteur en Argentine, aux Phi-
cieux. Sur les 92 pays pour lesquels des don-
lippines, au Ghana et en Inde). Dans certains
nées étaient disponibles, le taux de syndicali-
pays, il est légalement interdit aux syndicats
sation dépassait 50 pour cent dans 14 seule-
d‘organiser les travailleurs du secteur infor-
ment en 1995; il était inférieur à 20 pour cent
mel. Dans de nombreux pays en développe-
dans 48 (BIT, 1997). Les effectifs syndicaux qui
ment, des organisations syndicales indépendan-
ont culminé, dans de nombreux pays, au mi-
tes ne sont ni acceptées par les pouvoirs publics
lieu des années 80, ont depuis baissé dans
ni reconnues par les employeurs. Bien que la
beaucoup d‘endroits. Sur les 58 pays pour les-
ratification des conventions nos 87 et 98 de
quels l‘OIT dispose de données suffisantes, les
l‘OIT, sur respectivement la liberté syndicale et
taux de syndicalisation ont chuté dans 42 d‘en-
le droit de négociation collective, ait progressé
tre eux, sont restés relativement stables dans
ces dernières années, la moitié environ des
quatre et ont monté dans 12 (notamment Bré-
travailleurs dans le monde ne bénéficient pas
sil, Afrique du Sud, République de Corée et
de la protection qu‘elles garantissent. Certains
Finlande). En revanche, de nombreuses orga-
des pays les plus peuplés, notamment Brésil,
nisations d‘employeurs ont constaté une aug-
Chine, Inde, Mexique et Etats-Unis, n‘ont pas
mentation de leurs effectifs durant les années
ratifié les deux normes fondamentales sur les
90 (OIT, 2000b).
droits des travailleurs (en voir les raisons dans
Mais on ne saurait mesurer l‘influence ef-
OIT 2004a, page 25). Ces dix dernières années,
fective des syndicats aux seuls taux de syndica-
le Comité de la liberté syndicale de l‘OIT a exa-
lisation. Dans les anciens pays communistes, la
miné de nombreuses violations des droits syn-
syndicalisation était élevée en raison du nombre
dicaux, la plupart en Afrique, Asie et Amérique
escompté d‘adhérents et également du rôle tenu
latine. Au nombre de ces violations, on citera
par les syndicats en matière de services de sécu-
meurtres ou disparitions de syndicalistes, voies
rité et protection sociale. Après l‘effondrement
de fait, arrestations et détention, exil forcé,
des régimes communistes, le développement
obstructions à la liberté de circulation, attein-
du pluralisme et du syndicalisme indépendant
tes au droit de réunion, saisie de biens ou des-
s‘est soldé par de moindres taux de syndicali-
truction des locaux et biens de syndicats, licen-
sation. Cependant, c‘est là le signe non pas
ciement de membres de syndicats ou suspension
d‘un affaiblissement du syndicalisme, mais au
de leurs activités, tentatives d‘influence de la
contraire celui de l‘expansion de véritables or-
part d‘employeurs sur les syndicats, état d‘ur-
ganisations (OIT 2004a, page 56). Il n‘en de-
gence et suspension des libertés civiles décla-
meure pas moins vrai qu‘en de nombreux pays
rés par les pouvoirs publics (voir dans OIT
le mouvement syndical a traversé des temps
2000a un rapport complet sur les violations à
difficiles. Par rapport à leur apogée entre les
la liberté syndicale; et dans les rapports de la
années 50 et les années 80, où, dans la plupart
CISL les cas de violation des droits syndicaux
des pays, les organisations syndicales ont at-
par pays).
teint des taux records d‘adhésion, disposant
La suppression ou la surveillance exté-
des meilleurs atouts de négociation, elles se
rieure des organisations de travailleurs empê-
trouvent désormais largement dans une posi-
che, tant directement qu‘indirectement, d‘amé-
tion défensive. En maints pays en développe-
liorer l‘application des normes nationales du
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
108
COMMENT FAIRE PROGRESSER LES NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL
travail: directement, en raison du manque
La forte réduction des mesures tendant à
d‘agents chargés de garantir les intérêts des tra-
maintenir le plein emploi par des politiques
vailleurs; indirectement, du fait qu‘en l‘absence
macro-économiques expansionnistes a égale-
de syndicats la législation du travail n‘est sou-
ment touché les syndicats. Conséquence d‘une
vent pas appliquée et les salaires sont bloqués,
libéralisation des marchés financiers et à défaut
ou augmentent en proportion de la productivité.
d‘une coordination internationale et politique
En conséquence, les investissements en main-
budgétaire, les dépenses publiques visant à sti-
d‘œuvre demeurent insuffisants, les horaires
muler l‘économie peuvent entraîner une déva-
s‘allongent et les conditions de travail sont mé-
luation des monnaies nationales et l‘argent in-
diocres.
vesti risque d‘être gaspillé en achats de biens
La mondialisation économique a contribué
importés. Le ralentissement de la croissance
aux difficultés éprouvées par les organisations
économique, ces trente dernières années, n‘a à
syndicales. Ainsi, des zones économiques spé-
l‘évidence pas favorisé les travailleurs. Il s‘est
ciales ou zones franches d‘exportation (ZFE)
accompagné d‘une hausse des taux de chômage,
ont été créées en divers endroits pour attirer
qui s‘est inversement répercuté sur les taux de
les investissements étrangers. Nombre de ces
syndicalisation. En outre, ce ralentissement a
zones sont dépourvues de syndicats, sous pré-
eu des conséquences fâcheuses sur la réparti-
texte qu‘ainsi des avantages compétitifs seront
tion des revenus. A quelques exceptions près,
acquis en matière de coûts et de souplesse. Les
les inégalités de revenus ont augmenté, affai-
stratégies antisyndicales suivies dans les ZFE
blissant le syndicalisme. Le déclin des organisa-
sont allées des mesures restrictives à la répres-
tions syndicales a, à son tour, contribué à ac-
sion pure et simple (voir la documentation y
croître les inégalités.
relative dans CISL 2002a). Dans certains cas,
Quantité d‘autres raisons qui tiennent en
ce sont les multinationales étrangères qui ont
partie à l‘organisation interne limitent le dyna-
fait pression pour restreindre les droits syndi-
misme et l‘influence des syndicats. Ces organi-
caux. Mais les pouvoirs publics peuvent aussi
sations n‘ont pas réussi partout à syndicaliser
exercer ces pressions s‘ils estiment qu‘en l‘ab-
les secteurs modernes de croissance, tels que
sence de syndicats et de demandes salariales
celui de l‘informatique et la communication
ils attirent davantage d‘investissements.
(même si un mouvement de grève s‘y est ré-
La mondialisation a de diverses autres
cemment déclenché). Comme toutes les organi-
manières nui, directement ou indirectement,
sations de masse, les syndicats ont eu des diffi-
au dynamisme syndical et partant à la négocia-
cultés à attirer de jeunes membres. Ils ont, plus
tion collective: privatisations, recours accrû à
que les investisseurs ou les employeurs, tardé
l‘externalisation et la délocalisation du travail,
à se doter des moyens techniques nécessaires
prolifération de petites entreprises et unités de
à une action transnationale. Organisation dé-
production où les syndicats sont en général
mocratique fondée sur le principe du partena-
moins représentés. La mondialisation a élargi
riat, il leur faut, semble-t-il, plus de temps pour
les possibilités de sortie de capitaux. Produc-
se transformer qu‘aux institutions économi-
tion et services peuvent aisément se déplacer
ques.
d‘un pays à l‘autre. La seule menace de trans-
Malgré les obstacles, organisations et re-
fert suffit à réduire le pouvoir de négociation
présentations syndicales transnationales sont en
relatif des organisations de travailleurs et rend
place aux échelons régional et international. Les
plus difficiles les campagnes syndicales. On
premières organisations syndicales remontent à
trouve aux Etats-Unis un des meilleurs exemples
plus d‘un siècle. Actuellement, la Confédéra-
attestés (voir encadré 5.1).
tion internationale des syndicats libres (CISL)
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
COMMENT FAIRE PROGRESSER LES NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL
109
Encadré 5.1: Incidences de la mobilité financière sur la syndicalisation:
l‘exemple des Etats-Unis
La récente accélération dans la mobilité financière a eu des répercussions profondes et catastrophiques sur l‘ampleur et
la nature des campagnes de syndicalisation. Un grand nombre d‘employeurs ont, en réaction à l‘activité syndicale,
sérieusement menacé de fermer leurs entreprises ou de les délocaliser. Dans 18 pour cent des campagnes, les employeurs
ont menacé sans détour de délocaliser dans un autre pays si le syndicat gagnait l‘élection [au sujet de la constitution
d‘une organisation syndicale, W.S.]. Le Mexique est le pays le plus souvent cité quant aux menaces de fermeture d‘usines.
En outre, plus de la moitié des employeurs ont menacé de fermer toute ou partie de leurs usines durant la campagne de
syndicalisation. Se situant à 68 pour cent, le taux des menaces était nettement plus élevé dans les industries délocalisables, telles que les manufactures, les communications, le commerce de gros et la grande distribution, alors que dans les
autres – construction, soins de santé, éducation, commerce de détail et autres services – il représentait 36 pour cent.
Le taux de menace de fermeture d‘entreprises a été élevé durant les campagnes de syndicalisation, malgré le fait que ces
cinq dernières années les organisations ont abandonné leurs activités syndicales dans les secteurs les plus touchés par
les déficits commerciaux et les fuites de capitaux, tels que textiles et habillement, composants électroniques, transformation des aliments, métallurgie, où les menaces ont dépassé plus de 70 pour cent durant les campagnes de syndicalisation.
Les menaces de fermeture ou de délocalisation d‘usines ont effectivement réussi à affaiblir les efforts de syndicalisation.
Les taux de syndicats qui remportent des sièges lors des élections et homologations au Conseil national des relations
professionnelles se sont élevés respectivement à 38 et 51 pour cent, selon qu‘il y ait eu ou non ce type de menaces de
la part d‘un employeur. Ces taux ont été les plus bas dans les industries délocalisables (32 pour cent). Les menaces de
fermeture d‘usines n‘avaient aucun lien avec la situation financière de l‘entreprise.
Source: Bronfenbrenner, 2000.
et la Confédération mondiale du travail (CMT)
pas officiellement partie de la CISL. Les organi-
agissent à l‘échelle mondiale. En 2004, les deux
sations syndicales sectorielles et professionnel-
organisations sont convenues d‘œuvrer en fa-
les ont établi des secrétariats syndicaux inter-
veur d‘une unification syndicale aux fins d‘as-
nationaux. En 2002, ces derniers ont pris le
surer une représentation efficace des droits et
nom de Fédération syndicale mondiale (FSM).
intérêts des travailleurs dans l‘économie mon-
Ce sont des organisations autonomies asso-
diale. La CMT est forte de 26 millions de mem-
ciées à la CISL (voir dans Bendt, 2003, et CISL,
bres répartis dans 113 pays. La CISL, la plus
2004, le tableau synoptique des FSM).
importante, rassemble 233 fédérations syndi-
Toutes ces organisations internationales
cales nationales qui représentent 151 millions
de travailleurs collectent des informations et
de membres dans 152 Pays. Elle compte des
une documentation sur des sujets d‘intérêt
organisations régionales telles que l‘Organisa-
commun et aident leurs filiales nationales. El-
tion régionale africaine (ORA), l‘Organisation
les facilitent également les relations bilatérales
régionale
travailleurs
entre syndicats nationaux et comités d‘entre-
(ORIT) et l‘Organisation régionale Asie-Pacifi-
prise des filiales de sociétés multinationales.
que (ORAP). Certains organismes syndicaux ré-
Elles ont entrepris des campagnes internatio-
gionaux, tels que la Confédération européenne
nales, notamment pour dénoncer le travail des
des syndicats (CES) et la Commission syndicale
enfants, le travail forcé et autres violations des
consultative (CSC) auprès de l‘OCDE, ne font
NIT. Les organes syndicaux internationaux ont
interaméricaine
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
des
110
COMMENT FAIRE PROGRESSER LES NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL
également orienté les filiales nationales en ma-
ture, de l‘hôtellerie-restauration, du tabac et
tière de négociation, avec les sociétés trans-
des branches connexes (UITA) et la multinatio-
nationales, de codes de conduite visant à faire
nale alimentaire française Danone. Il porte sur
respecter les normes de l‘OIT. L‘action syndi-
une coopération dans les domaines de la for-
cale, telle que sous forme de négociation col-
mation des travailleurs, l‘information, l‘égalité
lective, doit s‘adapter au marché mondialisé.
des sexes, les droits syndicaux et l‘emploi. Une
Les efforts réalisés pour parvenir à des accords
trentaine d‘accords-cadres ont été conclus à ce
internationaux ont été plus ou moins couron-
jour et concernent plus de trois millions de sa-
nés de succès. On peut citer quelques conven-
lariés (voir Tableau 5.1 au Chapitre 5.4).
tions collectives sectorielles, comme l‘accord
Pour faire progresser les NIT, les organi-
sur les salaires, les normes minimales et autres
sations syndicales mondiales ont approché des
conditions générales de travail conclues en
gouvernements influents, notamment lors des
2000 dans le secteur des transports maritimes
réunions du G-8, de l‘OMC et autres sommets
entre la Fédération internationale d‘organisa-
politiques. Elles ont essayé de peser sur les
tions du personnel des transports et le Comité
pratiques et mesures des IFI pour que celles-ci
maritime international des employeurs. Les fé-
tiennent compte des préoccupations syndicales
dérations syndicales mondiales et leurs filiales
et inscrivent dans leurs programmes les nor-
nationales ont commencé à constituer des
mes fondamentales du travail et autres ques-
réseaux syndicaux mondiaux à l‘échelon de
tions sociales. La Banque mondiale et le FMI
l‘entreprise pour donner aux travailleurs un
se sont engagés à entretenir régulièrement le
pouvoir compensateur face aux sociétés trans-
dialogue avec le mouvement syndical interna-
nationales. Ces réseaux contribuent à l‘échan-
tional. Depuis 1999, des réunions ont eu lieu
ge d‘informations et de données d‘expérience
respectivement entre hauts dirigeants et entre
nécessaires aux syndicalistes, y compris ceux
travailleurs de différents échelons. En outre,
des pays périphériques, sur les principes et
les consultations entre les syndicats et les orga-
pratiques des multinationales et constituent un
nisations de Bretton Woods ont augmenté à
moyen d‘accroître la compétence des représen-
l‘échelon national.
tants syndicaux dans les relations profession-
Le mouvement syndical et, également, les
nelles transnationales. Conceptions et actions
organisations d‘employeurs ont réexaminé
communes de la part de tous les représentants
leurs relations avec diverses autres formes
syndicaux, dans l‘ensemble des unités d‘ex-
d‘organisations non gouvernementales (no-
ploitation d‘une multinationale, permettent aux
tamment Églises, organisations de bienfaisan-
syndicats locaux de résister aux dissensions in-
ce, travailleurs sociaux, organisations d‘immi-
testines. Des réseaux syndicaux mondiaux ont
grants, coopératives, associations de chômeurs,
été mis en place chez Nestlé (voir encadré 5.2),
etc.) qui agissent au nom des travailleurs ou le
Badische Anilin et Soda Fabrik (BASF) et
revendiquent. Contrairement aux associations
Daimler-Chrysler.
de travailleurs et d‘employeurs, de nombreu-
Entre autres particularités, les fédérations
ses ONG ne sont pas des associations de mem-
syndicales mondiales négocient avec des socié-
bres, ne doivent rendre aucun compte à des
tés multinationales ce qu‘il est convenu d‘ap-
mandants et ne sont pas liées par des contrats
peler des «accords-cadres mondiaux» concer-
collectifs. Néanmoins, s‘agissant des NIT, les
nant leurs activités internationales. Ces accords
syndicats pourraient, et parfois le font, consti-
fixent des normes minimales de travail et les
tuer des partenariats avec des ONG et conclure
modalités d‘un dialogue social. Le premier a
des alliances pour mener leur action (voir cha-
été conclu en 1988 entre l‘Union internationale
pitre 5.b).
des travailleurs de l‘alimentation, de l‘agricul-
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
COMMENT FAIRE PROGRESSER LES NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL
111
ENCADRÉ 5.2: Le réseau syndical mondial chez Nestlé
Avec un chiffre d‘affaires de près de 90 milliards de francs suisses et un effectif dépassant 250 000 salariés, la Société
Nestlé est la plus grande industrie alimentaire au monde. Elle compte 508 centres de production répartis dans 85 pays.
Seuls 2 pour cent de la production totale s‘effectuent en Suisse, pays d‘origine de l‘entreprise. La constitution chez
Nestlé d‘un réseau syndical mondial par l‘UITA s‘est réalisée par paliers: d‘abord, établissement des comités d‘entreprise
en Europe dans les années 70, suivi par la création d‘un réseau nord-américain en 1987, de réunions de réseaux régionaux en Amérique latine, Afrique et Asie-Pacifique dans les années 90, et enfin réunion mondiale des syndicats de
Nestlé à Manille en 1999, qui s‘est conclue par la Déclaration de Manille, accord entre délégations syndicales sur les
principes fondamentaux auxquels Nestlé doit adhérer dans l‘ensemble de ses usines.
Selon la Déclaration de Manille, tous les salariés de Nestlé ont droit:
• de s‘organiser librement en syndicats et de négocier collectivement avec l‘entreprise;
• à un milieu de travail sûr et sain fondé sur les meilleures pratiques internationales;
• à des préavis raisonnables de changements et à la consultation par l‘intermédiaire de leurs représentants syndicaux
concernant l‘effet de l‘adoption de nouvelles techniques sur le lieu de travail;
• à une formation appropriée à leurs postes de travail et à une formation complémentaire qui leur permet de progresser au sein de l‘entreprise;
• à un emploi sûr et gratifiant. Les mesures de restructuration doivent faire l‘objet de négociations préalables avec les
représentants syndicaux;
• à une semaine et des horaires de travail qui permettent une vie sociale et familiale satisfaisante;
• à être pleinement informés de l‘évolution de l‘entreprise et à accéder au dialogue avec les décideurs au sein de
l‘entreprise;
• à l‘égalité de traitement et à ne pas faire l‘objet de discrimination fondée sur le sexe, la race, l‘âge, la religion, l‘invalidité,
l‘orientation sexuelle, l‘origine, l‘affiliation syndicale, l‘opinion politique ou l‘origine sociale. Toutes mesures particulières
et constructives visant à promouvoir l‘égalité des chances doivent être négociées avec les représentants syndicaux.
Du point de vue des syndicats, la Déclaration de Manille doit continuer, à l‘avenir, à servir à différentes fins, notamment:
i) dresser un inventaire des pratiques et carences des organes dirigeants, qui sont inacceptables; ii) mobiliser l‘entreprise
aux fins d‘encourager le débat sur les normes sociales minimales appliquées par Nestlé et iii) offrir une base de positions
communes en matière de négociation avec la direction.
Source: Rüb, 2004.
Dans l‘ensemble, organisations syndicales et
voie et se consolident. Les réseaux syndicaux
négociation collective demeurent, à l‘égal de la
et les conventions collectives à l‘échelle mon-
réglementation du marché du travail, une ques-
diale offrent une riposte indispensable et effi-
tion qui relève des affaires intérieures. No-
cace aux réseaux de production et marchés
nobstant, on peut conclure que, face aux défis
mondiaux. L‘application, aujourd‘hui, à consti-
de la mondialisation et aux fortes pressions
tuer des organisations de travailleurs mondia-
qu‘elle fait peser sur les droits et les conditions
les se calque sur les efforts réalisés jadis pour
au travail, les efforts tendant à instaurer le
mettre en place des syndicats nationaux face à
mouvement syndical mondial sont en bonne
l‘extension du marché national des produits.
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
112
COMMENT FAIRE PROGRESSER LES NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL
b) Un cadre propice à la promotion des NIT
leurs. Les États manifestent leur volonté d‘adhérer aux NIT en ratifiant les conventions de
La figure 5.1 présente un cadre institutionnel
l‘OIT, harmonisant ainsi la législation nationale
qui permet de parvenir à des conditions natio-
du travail avec le droit international du travail.
nales de travail conformes aux dispositions des
Mais ratification ne s‘entend pas nécessaire-
NIT. Les éléments y figurant sont tirés en
ment du respect effectif des normes et dans les
grande partie des analyses antérieures des
pays la pratique ne rime pas toujours avec la
avantages attachés aux normes internationa-
législation nationale du travail.
Plusieurs raisons expliquent le fait que la
les, ainsi que des carences politiques et organiques qui entravent l‘application des normes.
ratification des NIT ne révèle pas ipso facto une
Les conditions réelles de travail, dans un
amélioration de la contribution des travailleurs.
pays donné, à savoir niveau des salaires, avan-
Premièrement, la ratification n‘est pas le seul
tages sociaux, sécurité sociale, sécurité et santé
moyen de respecter les normes et leur donner
au travail, dépendent des facteurs suivants.
effet. Deuxièmement, comme il est souligné au
Chapitre 3.c, le moment où est ratifiée une convention varie considérablement d‘un pays à
Cadre normatif
l‘autre. Certains attendent que la situation reLes conditions de travail sont déterminées par
lative au travail corresponde aux prescriptions
la législation nationale et sa compatibilité avec
normatives des conventions de l‘OIT; d‘autres
les NIT. La législation du travail assiste et
ratifient, tout en sachant pertinemment que les
oriente la façon dont gouvernements, emplo-
conditions réelles ne satisfont pas à la norme
yeurs, syndicats et autres intervenants parta-
internationale, mais dans l‘espoir qu‘ils pour-
gent la responsabilité concernant les conditions
ront progressivement combler le fossé entre
d‘emploi et la protection sociale des travail-
norme et réalité. Troisièmement, tant la ratifi-
FIGURE 5.1: Un cadre favorable au respect des NIT
Cadre normatif
Cadre intellectuel,
Résultats économiques
politique et institutionnel
NIT
NNS
Connaissance des NIT
Productivité
Volonté / Priorités politiques
Salaires et répartition des revenus
Renforcement des
organismes de travail
Emploi
Intégration et coordination des
politiques
Croissance du PIB
(main d’œuvre excédentaire)
Capacité et compétence
administratives
Conditions réelles de travail
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
COMMENT FAIRE PROGRESSER LES NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL
cation que la conformité aux normes de l‘OIT
113
Faisabilité économique
sont librement consenties. L‘OIT ne peut imposer ses normes aux États Membres et ses pou-
L‘application des NIT et l‘amélioration effective
voirs de sanctions applicables aux violations
des conditions de travail à l‘échelon national
sont limités. A quelques exceptions près,
doivent être économiquement réalisables. Dans
aucune sanction véritable n‘est appliquée pour
toute répartition des revenus, les salaires réels
non-respect de conventions ratifiées.
moyens ne peuvent durablement dépasser le
Le recours légal relativement faible lors de
taux de progression de la productivité, si on
violations des NIT tient à la nature même de
veut éviter des poussées inflationnistes. Mais la
l‘OIT qui est une organisation sans but lucratif.
répartition des revenus n‘est pas immuable.
Ses fondateurs ont estimé que les États Mem-
Les salaires ne correspondent à la productivité
bres seraient dissuadés de voter l‘adoption de
qu‘à l‘échelon de l‘entreprise, pas nécessaire-
conventions ou de les ratifier si elles étaient
ment à celui de l‘individu (Dessing, 2002). En
contraignantes. L‘OIT n‘a rien d‘un ministère
outre, s‘il est vrai que les avantages sociaux et
mondial du Travail et des Affaires sociales. Elle
les investissements en matière de sécurité sur
ne peut réglementer ses normes par des mo-
le lieu de travail doivent correspondre aux res-
yens juridiques ou économiques. Les multiples
sources dont dispose un pays à un moment
essais, au sein du système multilatéral, de lier
donné, il faut se garder des opinions dogmati-
les normes de l‘OIT au commerce et de sanc-
ques sur un tel lien. Les aspects économiques
tionner les pays qui les enfreignent en les ex-
des conditions de travail ne signifient pas que
cluant des échanges internationaux ont échoué
rien ne peut être fait pour les améliorer. Com-
(voir Chapitre 5.c). L‘OIT ne peut en fait recourir
me il est expliqué aux précédents chapitres, si
qu‘à des sanctions morales qui, dans un cer-
l‘amélioration de la productivité est le moyen
tain nombre de cas, se sont révélées efficaces.
qui permet de relever les salaires et d‘assurer
Elle peut également offrir des avis et une assis-
d‘autres acquits sociaux, elle peut être grande-
tance technique – et les fournit effectivement –
ment favorisée par l‘application des normes du
aux États qui lui demandent son appui pour
travail. En fin de compte, les normes servent
adopter et appliquer les normes. Les rapports
de levier à l‘accroissement de la protection so-
globaux sur l‘observation effective des conven-
ciale. De plus, comme nous l‘avons vu, une
tions constituent une base utile pour évaluer
grande inégalité des salaires et des revenus
l‘efficacité de l‘assistance fournie par l‘OIT et
nuit à la croissance et crée la pauvreté au point
de ses activités de coopération technique. En
qu‘un changement dans la répartition des re-
vertu du suivi de la Déclaration de l‘OIT relative
venus peut ouvrir une voie supplémentaire aux
aux Principes et Droits fondamentaux au tra-
progrès économiques. L‘étendue du filet de sé-
vail (1998), des rapports ont été déjà établis
curité sociale, en particulier l‘importance des
sur la liberté syndicale (juin 2000), l‘élimina-
avantages et services sociaux, ne dépend pas
tion de toutes formes de travail forcé et obliga-
rigoureusement du degré de développement
toire (juin 2001), l‘abolition effective du travail
d‘un pays. Dans une ample mesure, le volume
des enfants (juin 2002) et l‘élimination de la
des dépenses sociales publiques est assujetti à
discrimination en matière d‘emploi et de pro-
des règles discrétionnaires dépendant des choix
fession (juin 2003). Une deuxième série de rap-
et priorités politiques d‘un pays. Cette consta-
ports globaux a commencé en 2004 par le rap-
tation se vérifie par le fait qu‘il n‘existe aucune
port sur la liberté syndicale et la négociation
corrélation statistique étroite entre le PIB par
collective (juin 2004) et s‘est poursuivie par un
habitant et le montant des dépenses sociales
rapport sur le travail forcé (juin 2005).
qui lui sont proportionnelles. Là encore, la
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
114
COMMENT FAIRE PROGRESSER LES NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL
fourniture d‘une protection sociale peut non
que. La politique doit être débarrassée des illu-
seulement rehausser la croissance économique,
sions que créent le monétarisme et l‘économie
mais également améliorer sa qualité. Il en dé-
de l‘offre (voir dans Wilkinson, 2000, une analy-
coule que les possibilités de faire progresser
se concise des principales contrevérités et doc-
les NIT semblent plus favorables si elles s‘ins-
trines économiques).
crivent dans une perspective dynamique. En
Les NIT ne prospéreront qu‘au prix d‘une
conclusion, s‘il est vrai que l‘amélioration des
volonté politique explicite de la part des princi-
conditions de travail est réalisable au plan éco-
paux décideurs, à l‘échelon national et interna-
nomique, la possibilité peut en être multipliée
tional et seulement si la priorité correspondante
par l‘effet des normes et de la redistribution des
est accordée à leur application dans les poli-
revenus sur l‘augmentation de la croissance.
tiques économiques et sociales. Comme mentionné plus haut, les déclarations d‘intention,
Conditions d‘une gouvernance tant nationale
même émanant de chefs d‘État ou de gouverne-
qu‘internationale
ment, ne sont pas toujours suivies de mesures
expresses pour faire des normes une réalité:
Ni la législation du travail ni le «droit économi-
cela vaut tant pour les pays pauvres que pour
que» ne déterminent strictement les conditions
les pays riches.
réelles de travail dans un pays. Cadre normatif
Plusieurs raisons expliquent le manque de
et faisabilité économique sont nécessaires, mais
crédibilité. D‘abord, les NIT sont encore consi-
ne suffisent pas à appliquer les NIT. Un certain
dérées comme une question éthique «abstraite»
nombre de conditions sine qua non – intellec-
de moindre importance que les préoccupations
tuelles, politiques et institutionnelles – doivent
financières et économiques «bien réelles». Cette
être satisfaites pour progresser. On peut les
opinion est étroite et peu perspicace. Elle négli-
considérer comme les facteurs d‘un bon «gou-
ge les enseignements de l‘expérience qui mon-
vernement» au sens large du terme.
trent que la prétendue immatérialité de la poli-
Faire progresser les NIT doit commencer
tique sociale peut se transformer en difficultés
par une meilleure connaissance de leur signifi-
concrètes. C‘est notamment le cas lorsque des
cation, leur rôle et leur impact et par sa diffu-
pays doivent faire face à un bouleversement
sion auprès des décideurs et du grand public.
social et politique dû à un déséquilibre social,
Les connaissances et données d‘expérience
ou que des investisseurs fuient l‘instabilité so-
relatives aux NIT proviennent de nombreuses
ciale réelle ou supposée d‘un pays. En partie
sources différentes. Ce que les praticiens savent
du fait de mandats électoraux relativement
et pensent des normes du travail et la façon
courts, les politiciens semblent privilégier les
dont ils évaluent les effets ne correspondent
questions dont ils attendent des résultats à bref
pas toujours aux conclusions des études me-
délai, au détriment des avantages durables ou
nées à cet effet. Une bonne partie des études
différés liés aux investissements consacrés à
universitaires s‘inspire de modèles économi-
l‘application des NIT. Les politiques gouverne-
ques conformistes qui manquent systématique-
mentales à court terme, néfastes, peuvent, dans
ment d‘objectivité à l‘égard des NIT en considé-
une certaine mesure, être neutralisées par la
rant qu‘elles faussent le marché. Une meilleure
plus grande continuité de la société civile, en
et plus large systématisation des NIT s‘impose
particulier les organisations d‘employeurs et
d‘urgence pour rendre justice aux normes du
de travailleurs qui ne dépendent pas d‘un man-
travail (voir encadré 5.3). Comme expliqué plus
dat politique.
haut, l‘application des NIT est gêné par la doc-
Faire progresser les NIT exige une atten-
trine conformiste en matière de croissance
tion soutenue et la fidélité aux principes. Res-
économique, d‘emploi et de stabilité économi-
pecter les accords internationaux, même s‘ils
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
COMMENT FAIRE PROGRESSER LES NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL
115
ENCADRÉ 5.3: Nécessité d‘entreprendre une étude plus approfondie des NIT
Les acteurs influents n‘ayant pas imaginé que les NIT sont à la fois les fins et moyens du développement, il faudrait s‘employer à montrer comment s‘accumulent les avantages de l‘application des normes à l‘échelle micro et macro-économique.
Les recherches doivent porter non plus sur le risque que les NIT faussent le marché, mais sur le fait qu‘elles représentent des
instruments qui le soutiennent et non plus sur le désavantage comparatif, mais sur leur avantage comparatif. Il conviendrait
d‘envisager les normes comme des biens publics. Une théorie approfondie des NIT devrait comporter comme éléments
centraux des notions telles que confiance, coopération, efficacité collective, dynamisme, paix sociale et stabilité sociopolitique. Quelques percées prometteuses ont été réalisées en ce sens ces dernières années. L‘étude des avantages découlant
des normes doit être étendue et approfondie. Les pratiques exemplaires en matière de NIT dans les entreprises, les secteurs
économiques et les pays devraient être collectées et dûment étayées. La documentation et les données qui existent sont
éparpillées. Souvent, ces documents résultent de nouvelles interprétations d‘exemples concrets, qui ont été élaborées à
d‘autres fins. Il est donc nécessaire d‘établir de nouvelles études de cas mieux étayées pour expliquer et attester les avantages des normes. Ce type de documentation peut servir tant à sensibiliser travailleurs, employeurs et fonctionnaires qu‘aux
campagnes des médias.
La méthodologie appliquée aux analyses empiriques sur les effets des NIT peut être améliorée. Jusqu‘à présent, outre les
études économétriques mentionnées au Chapitre 3, quelques études se fondent sur une analyse multivariée. Les simples
corrélations entre les évaluations respectives des normes du travail et des résultats de l‘économie sont peu révélatrices du
rôle que les NIT jouent pour déterminer ces derniers. Ainsi, aux fins de juger la part marginale des normes dans les résultats
des échanges commerciaux, il faut comparer les résultats d‘un pays donné aux prévisions initiales de ce que ce pays devra
échanger compte tenu de ses dotations en facteur de production et autres éléments commerciaux déterminants.
L‘essentiel des études existantes sur les normes du travail se concentre dans les pays industrialisés. Il faudra à l‘avenir
consacrer davantage d‘attention aux pays en développement, en particulier aux travailleurs défavorisés et exclus. Il faut
également pouvoir disposer de données statistiques dûment comparables et sûres, fondées sur des indicateurs normalisés
et convenant aux essais empiriques.
semblent contraires aux préoccupations ou in-
fortable. Ne pas céder à l‘opportunisme parti-
térêts locaux, est une nécessité: souvenons-nous
cipe d‘un accord implicite entre les spectateurs.
des difficultés qu‘a soulevées l‘application de la
A l‘échelon international, cela exige un contrat
première Convention de l‘OIT sur les heures de
social qui lie les partenaires afin que chacun
travail maximales. Certains gouvernements
bénéficie d‘une protection sociale supérieure
ont estimé qu‘ils ne pouvaient respecter un ac-
garantie par les normes.
cord qui risquait de nuire à leur économie. Ils
Viabilité et soutien des institutions, et tout
sont retombés dans l‘ancienne pratique des
particulièrement des institutions du travail,
longues heures de travail et leurs concurrents
sont indispensables aux NIT. Entre autres, les
d‘autres pays en ont fait autant; l‘ancien équili-
syndicats, en tant que principale partie prenan-
bre a été ainsi rétabli sans que quiconque y trou-
te aux intérêts des travailleurs, sont essentiels,
ve un avantage. L‘opportunisme social est large-
mais les organisations collectives d‘employeurs
ment répandu. Il subordonne la collectivité à
importent tout autant, car, sans elles, les négo-
des régimes inférieurs de protection sociale.
ciations collectives et un véritable dialogue so-
Au théâtre, si quelques spectateurs se lèvent
cial ne peuvent se concrétiser. Ce n‘est pas par
pour mieux voir, d‘autres feront de même. Fina-
hasard que l‘application des NIT est plus avan-
lement, la salle entière est debout, nul ne voit
cée dans les pays d‘Europe septentrionale où
mieux et chacun est dans une position incon-
les taux de syndicalisation et d‘organisation
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
116
COMMENT FAIRE PROGRESSER LES NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL
d‘employeurs sont élevés, le principe de la négo-
vailleurs constituent un élément crucial du dé-
ciation collective quasi généralisé et le dialogue
veloppement économique (voir Chapitre 4).
social, bi et tripartite, effectif. A l‘ère de la mon-
Outre fixer les conditions d‘emploi et de tra-
dialisation, ces pays se trouvent pratiquement à
vail, elles ont un rôle plus large à jouer quand
l‘abri de toute violation des normes du travail.
il s‘agit de créer et maintenir la paix et la cohé-
Le renforcement du mouvement syndical
sion sociale, ainsi que la stabilité politique.
– grâce à une syndicalisation internationale –
Ainsi, chacun doit se soucier de la viabilité de
est peut-être le facteur le plus important dans
ces organisations. Il incombe aux gouverne-
l‘application des NIT. Comme indiqué plus haut,
ments qui ont ouvert les marchés des produits
la mondialisation économique est une cause
et les marchés financiers et monétaires de pal-
profonde majeure de l‘affaiblissement des or-
lier les effets néfastes de la libéralisation du
ganisations syndicales. Considérer le déclin du
marché. Ils doivent au minimum préserver les
pouvoir de négociation des travailleurs comme
droits syndicaux, afin de garantir que les orga-
un simple problème du travail, sans apercevoir
nisations collectives sont sûres et suffisamment
les vastes répercussions sur l‘économie et la
fiables pour faire contrepoids aux structures
société en général, relève d‘une myopie intel-
du pouvoir dans le marché du travail.
lectuelle. Les organisations collectives de tra-
ENCADRÉ 5.4 Accroître l‘influence des organisations syndicalespar des
alliances avec la société civile
La formation d‘alliances avec des ONG intervenant dans les domaines des politiques du travail et de la protection sociale
peut renforcer le dynamisme des organisations syndicales aux échelons national et international. Le besoin en est moindre
dans des pays tels que l‘Afrique du Sud, où les syndicats sont puissants, ont un vaste programme social et participent
directement aux prises de décisions à l‘échelon national. Ou en Suède, où les ONG chargées des questions d‘égalité des
sexes jouent un rôle mineur, puisque les syndicats se sont engagés dans ce domaine (Yeong-Soon 2001). En revanche, dans
des pays tels que le Bangladesh, où les organisations syndicales sont fragmentées et ne représentent qu‘une modeste
proportion des travailleurs, où l‘État ne peut offrir les services essentiels, alors que les ONG y contribuent largement, ces
alliances sont nécessaires. Dans un certain nombre de pays, la société civile joue déjà un rôle important dans l‘application
des normes. Par exemple, la campagne visant à éliminer graduellement le travail des enfants dans la fabrique de ballons
de Sialkot (Pakistan) a associé plusieurs parties prenantes – fabricants, syndicats locaux, CISL, ONG et l‘OIT. Avec la
participation de groupes de la société civile à l‘élaboration des politiques sociales, les structures tripartites traditionnelles
de consultation et négociation se sont étendues.
Le gouvernement y gagnera en reconnaissance s‘il favorise la participation des organisations de la société civile, notamment eu égard aux orientations et mesures en faveur des chômeurs, des défavorisés et des exclus (Baccaro, 2001 et 2002).
L‘Irlande, qui jouit d‘une des économies prodigieuses des années 90, en est un exemple frappant. Le fait qu‘elle ait réussi
à baisser considérablement le chômage et, de «parent pauvre« qu‘elle était en Europe, à devenir en 15 ans l‘un des pays les
plus riches, a été attribué à son système de coopération dans un cadre «tripartite plus». Selon le gouvernement irlandais:
«Une démocratie forte accroît et protège la capacité des citoyens à participer directement à la vie sociale, à créer leurs
propres mouvements sociaux, à aborder les questions qui les concernent et à s‘exprimer sur celles qui les préoccupent.
Dans une telle démocratie, les gens voient dans l‘État non pas la solution à chaque problème, ou le principal bailleur de
toute activité, mais simplement un partenaire parmi beaucoup d‘autres. Tous les autres – secteur privé, syndicats, organisations religieuses, ONG, organisations sportives, collectivités locales et associations de résidents – ont un rôle clé à jouer dans
notre vie démocratique, ainsi que pour assurer un progrès économique et social durable.» (Gouvernement irlandais, 2000).
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
COMMENT FAIRE PROGRESSER LES NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL
117
Les organisations syndicales peuvent ac-
dernier appel à la cohérence des politiques in-
croître leur dynamisme et leur efficacité en co-
ternationales. Elle comprenait 26 personnalités
opérant avec d‘autres organisations non gouver-
représentant des gouvernements, des organisa-
nementales qui s‘occupent des domaines du
tions commerciales, des organisations syndi-
travail et de la protection sociale (voir encadré
cales et des universités, qui siégeaient à titre
5.4).
personnel. Dans son rapport intitulé «Une mon-
Une autre condition sine qua non de pro-
dialisation juste», publié en février 2004, la
grès en matière de NIT est de faire des politi-
Commission demande qu‘afin d‘améliorer le
ques économiques et sociales un programme
développement économique et la justice socia-
d‘action cohérent où les deux éléments sont
le, toutes les organisations du système multila-
traités à égalité. La politique sociale, fréquem-
téral examinent les politiques économiques et
ment, n‘intervient qu‘après coup, où reste en
sociales internationales de façon plus cohéren-
coulisse, alors que les politiques économiques
te et globale. Les organisations internationales
occupent le devant de la scène. Dans le système
devraient lancer des initiatives visant à la cohé-
multilatéral, les institutions financières interna-
rence des politiques afin de travailler ensemble
tionales, soit les organismes les plus influents
à la conception de politiques plus équilibrées et
et financièrement tout-puissants, qui ont à pei-
complémentaires pour parvenir à une mondia-
ne commencé à comprendre la part des NIT
lisation équitable qui profite à tout le monde et
fondamentales dans la croissance économique
examiner la question de la croissance, des in-
et la lutte contre la pauvreté, se sont engagées
vestissements et de l‘emploi dans l‘économie
verbalement à intégrer ces normes dans leur
mondiale. Elles devraient mettre en place un
mission de développement. Toutefois, jusqu‘à
forum sur les politiques de la mondialisation,
présent, elles ne sont en général pas disposées
en tant que plate-forme qui permettra un dia-
à subordonner l‘accord de prêts au respect des
logue régulier entre les différentes parties pre-
droits des travailleurs par le gouvernement.
nantes sur l‘impact social des évolutions et des
C‘est systématiquement qu‘il faut prôner l‘ap-
politiques dans l‘économie mondiale. Il est éga-
plication de ces normes dans toutes leurs opé-
lement proposé de créer aux Nations Unies un
rations. Partant, le réexamen et la correction
conseil de sécurité économique et social ainsi
des positions de principe doivent se poursuivre
qu‘un conseil mondial de la gouvernance mon-
dans ces organisations.
diale. Il devient nécessaire d‘accroître le con-
Entre-temps, plusieurs organisations ont
trôle parlementaire des institutions internatio-
demandé une meilleure coordination des poli-
nales et de rendre ces dernières comptables
tiques économiques et sociales. Ainsi, la Com-
envers le grand public des politiques qu‘elles
mission européenne a invité à mieux équilibrer
appliquent. Le système multilatéral doit être
le système de gouvernance mondiale, par un
plus démocratique, plus participatif et transpa-
renforcement des instruments de l‘OIT et en
rent (Commission mondiale sur la dimension
encourageant les organisations internationales
sociale de la mondialisation, 2004; voir égale-
à faire œuvre commune. Elle a proposé d‘enta-
ment encadre 5.5).
mer au plan international un dialogue de haut
Dans le domaine de la politique sociale et
niveau avec la participation de l‘OIT, de l‘OMC
économique, comme en d‘autres, la gouvernan-
et d‘organisations de développement telles que
ce mondiale devra permettre de mieux pondérer
la CNUCED, le PNUD et la Banque mondiale
les préoccupations du Sud et du Nord. Jusqu‘ici,
(Commission européenne, 18 juillet 2001). C‘est
les intérêts et l‘influence des pays riches et puis-
la Commission mondiale sur la dimension so-
sants prédomine, notamment dans les institu-
ciale de la mondialisation, établie par le Conseil
tions de Bretton Woods. Les pays en dévelop-
d‘administration du BIT, qui a lancé le tout
pement se ressentent fortement des décisions
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
118
COMMENT FAIRE PROGRESSER LES NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL
ENCADRÉ 5.5: Principales recommandations de la Commission mondiale sur
la dimension sociale de la mondialisation
Les principales recommandations de la Commission portent sur une meilleure gouvernance et une mondialisation plus
juste. Elles comprennent ce qui suit:
• Résoudre les problèmes de la mondialisation commence chez soi. Contrairement à l‘idéologie marquante des années 90, la Commission envisage un rôle renforcé pour un État et une société civile démocratique et efficace.
• La mondialisation doit être régie par des règles plus équitables touchant notamment aux échanges, investissements,
travailleurs et migrations. Taxes et droits de douane inéquitables doivent être réduits afin que les PMA puissent
accéder aux marchés des biens pour lesquels ils ont un avantage comparatif. Ces mesures doivent être assorties de
normes élevées en matière, d‘une part, de responsabilité et, de l‘autre, de courants d‘aide suffisants.
• Il convient de renforcer la capacité de l‘OIT à faire respecter les normes fondamentales du travail, ainsi que
d‘augmenter les ressources disponibles pour permettre d‘exercer un contrôle et un suivi équitables et adaptés, ainsi
que pour favoriser l‘assistance. Des mesures plus rigoureuses s‘imposent pour faire respecter les normes fondamentales du travail dans les zones franches d‘exportation et, plus généralement, dans les systèmes mondiaux de
production. Toutes les organisations internationales compétentes devraient se charger de promouvoir ces normes et
s‘assurer que leurs directives et programmes n‘en empêchent pas l‘application.
• Il faut accepter sans conteste, au titre du «seuil« socio-économique de la mondialisation, un minimum de protection
sociale pour les personnes et les familles, notamment une aide à la réadaptation des travailleurs déplacés.
• La gouvernance mondiale doit être améliorée. Une des conditions essentielles pour y parvenir est de mieux coordonner
les politiques, en donnant la même importance aux politiques sociales et aux objectifs financiers et économiques.
Source: Commission mondiale sur la dimension sociale de la mondialisation, 2004.
prises par les IFI, sur lesquelles ils n‘ont que
Pour être efficace, la gouvernance mon-
peu d‘influence. Les droits de vote appartien-
diale devra tenir compte de l‘économie politi-
nent, pour une bonne part, à une poignée de
que de l‘ordre mondial. D‘après un observa-
pays riches qui sont les principaux bailleurs de
teur, en ce début du XXIe siècle, le pouvoir se
fonds. Au FMI, 48 pour cent des voix attribuées
répartit entre trois ensembles géographiques
sont détenus par les États Unis, le Japon, la
qui se chevauchent: l‘empire américain; le sys-
France, le Royaume-Uni, l‘Allemagne, la Fédé-
tème inter-États et la société civile. A l‘arrière-
ration de Russie et l‘Arabie saoudite, le reste
plan, se tapit le «monde clandestin» (criminalité
du monde se partageant les 52 pour cent res-
organisée, organisations terroristes et circuits
tants. A la Banque mondiale, la proportion est
financiers illégaux). Les trois pouvoirs ne sont
respectivement de 46 pour cent et 54 pour
pas limités par des frontières. Ils se trouvent
cent. (PNUD, 2002) Jusqu‘à présent, le Prési-
partout où la légitimité est revendiquée. Le sys-
dent de la Banque mondiale a toujours été un
tème inter-États demeure le moyen le plus sûr
citoyen américain et celui du FMI un européen.
de rétablir la légitimité dans la gouvernance
Pour que le Sud ait davantage voix au chapitre
mondiale. Sa première épreuve est d‘inciter
dans ces institutions, l‘attribution des voix en
une «hyperpuissance» américaine à abandon-
faveur des pays riches devra le céder à un sys-
ner le mirage de «l‘exceptionnel» et de rame-
tème de représentation plus équitable.
ner les États-Unis au rang de membre au côté
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
COMMENT FAIRE PROGRESSER LES NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL
119
des autres États dans le concert des nations. Le
au Chapitre 2, n‘est qu‘un des nombreux exem-
résultat dépendra surtout de la façon dont les
ples des résultats catastrophiques d‘une politi-
Américains finiront par voir le monde. Mais le
que commerciale fondée sur des dogmes éco-
système inter-États doit quant à lui se transfor-
nomiques contestables.
mer en un mécanisme qui permette d‘aborder
Enfin, l‘application et le suivi des NIT exi-
les problèmes touchant les populations: état de
gent une capacité et une compétence adminis-
la biosphère; conditions de vie plus équitables
tratives appropriées. Traditionnellement, l‘ad-
dans le monde entier; réforme des institutions
ministration des principes et pratiques en
de crédit et recherche d‘un consensus sur les
matière de NIT a incombé aux administrations
questions controversées (Cox, 2004).
et institutions publiques, telles que les organis-
Comme il est expliqué au Chapitre 3, les
mes du marché du travail, la sécurité sociale,
NIT ont peu de place dans une économie où la
les institutions de bienfaisance et les services
main-d‘œuvre est fortement excédentaire. Il
d‘inspection du travail. Ces dernières décen-
est donc essentiel, pour faire avancer ces nor-
nies, au cours des campagnes de privatisation
mes, de favoriser un plein emploi productif. La
à grande échelle, la fourniture de services pri-
promotion de l‘emploi ne peut réussir sans po-
vés dans les domaines de l‘emploi, des soins et
litiques macro-économiques qui lui sont favo-
de l‘assistance s‘est étendue. Il en est de même
rables. Actuellement, il n‘existe pratiquement
des arrangements mixtes, tels que les partena-
aucun cadre institutionnel de gestion macro-
riats entre le public et le privé. Mais leurs ré-
économique en place. La libéralisation du mar-
sultats ont été mitigés. Les opinions dogmati-
ché a élargi l‘offre au niveau mondial, en parti-
ques sur la supériorité du secteur privé ne
culier de biens manufacturés, mais les décideurs
servent guère. Le exemples foisonnent de trans-
nationaux et la politique internationale n‘ont
ferts de branches d‘activité au secteur privé, qui
pas réussi à augmenter la demande en propor-
se sont soldés par une moindre qualité des ser-
tion. Le G-8 qui représente les grandes puis-
vices, de sérieux problèmes de sécurité, voire
sances a une responsabilité particulière à cet
de pénurie de l‘offre. Le secteur privé peut as-
égard. Mais la macrogestion doit aller au-delà.
surément jouer un rôle utile, mais une certaine
Accroître la demande globale revient essentiel-
proportion de services et de gestion publics est
lement à augmenter le pouvoir d‘achat de mas-
indispensable pour assurer de larges presta-
se. Il s‘agit de renverser la tendance à la stag-
tions, ainsi que l‘égalité des chances et de trai-
nation ou au déclin des salaires réels et à
tement dans la fourniture des services auxiliai-
l‘accroissement des écarts de revenus. La con-
res. L‘un des principaux avantages des biens et
currence fiscale rendant difficile l‘application
services publics est qu‘ils sont fournis indépen-
des politiques de redistribution, harmoniser les
damment du revenu et du pouvoir d‘achat des
taux d‘imposition et empêcher la fraude fiscale
personnes, gage d‘une certaine égalité des ni-
seront les éléments essentiels d‘une politique
veaux de vie.
internationale efficace en matière de croissan-
Les manques de moyens et de compéten-
ce, d‘emploi et de justice sociale. Pour s‘assu-
ces pour appliquer et administrer les principes
rer une demande suffisante, il faut en outre
des NIT sont particulièrement préoccupants
utiliser intelligemment les courants d‘échanges
dans les pays en développement. Il faut redou-
et de capitaux étrangers en fonction des cir-
bler d‘efforts aux plans national et internatio-
constances locales, et non les traiter inconsidé-
nal pour augmenter les ressources. L‘allége-
rément sans savoir si les économies nationales
ment de la dette pourrait être une mesure des
sont prêtes à les recevoir ou non. L‘effondre-
plus utiles. Il permettrait aux pays endettés de
ment de l‘industrie textile en Zambie, évoqué
consacrer des parts supérieures de leur budget
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
120
COMMENT FAIRE PROGRESSER LES NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL
public à l‘édification d‘institutions et à la res-
fait systématiquement recours au travail forcé,
tauration de services publics. On pourrait éga-
où le travail des enfants et autres violations des
lement rétablir dans la fonction publique des
normes fondamentales du travail sont endémi-
barèmes de traitements compétitifs qui permet-
ques depuis des années et où le gouvernement
traient d‘engager un personnel administratif
ne répond pas aux demandes de l‘OIT et d‘au-
suffisant et compétent pour appliquer les nor-
tres organisations de cesser ces pratiques. L‘OIT
mes.
en a été amenée en 2000 à appliquer l‘article 33
de sa Constitution, en recommandant aux orga-
c) Mesures internationales
d‘encouragement et de dissuasion
nismes des Nations Unies, aux institutions financières internationales, aux gouvernements
nationaux et aux entreprises privées de réexa-
Avec un cadre politique et institutionnel propice
miner leurs relations avec Myanmar et, si né-
en place, restent toutefois deux questions con-
cessaire, de les rompre, aux fins de ne pas en-
cernant la promotion des NIT. La première
courager à leur insu le recours au travail forcé.
porte sur les modes d‘intervention appropriés
C‘est la première fois de l‘histoire que l‘OIT a
aux échelons national et international. Faudra-
adopté une telle résolution. Désormais, il est
t-il faire appliquer les NIT au moyen de mesu-
quasi totalement interdit d‘octroyer des prêts à
res d‘encouragement (récompenses) ou de dis-
ce pays. De nombreuses entreprises privées
suasion (sanctions)? Cette question fait l‘objet
ont retiré leurs investissements, mais d‘autres
de la présente section. La section suivante
continuent d‘avoir des relations commerciales
traite du choix des intervenants: Qui, dans la
avec le Myanmar. Selon la base de données de
promotion des NIT, doit prendre les mesures et
la CISL, plus de 400 multinationales y exer-
qui doit en être responsable?
çaient des activités en 2004 (voir le site Web de
S‘agissant des modes d‘intervention, il
la CISL).
existe un assez large consensus en faveur d‘une
En principe, diverses options sont pos-
démarche axée sur le développement, qui vise
sibles au titre des mesures internationales pour
à créer des conditions nationales propices
demander que soit appliquées les NIT ou les
grâce à l‘échange d‘informations et de données
faire respecter. D‘abord, les pays peuvent bé-
d‘expérience, la coopération technique à l‘ap-
néficier d‘un traitement favorable – régime
pui du renforcement des capacités des parties
commercial préférentiel, aide internationale,
intéressées nationales et la fourniture d‘une
crédits et fournitures – s‘ils observent les nor-
aide financière publique et privée. Ce sont là
mes fondamentales. A l‘opposé, des sanctions
des moyens pertinents pour exploiter les possi-
peuvent être appliquées, telles qu‘une interdic-
bilités qu‘offrent les NIT de résoudre les pro-
tion sur les importations de pays qui violent
blèmes. Ils doivent servir à encourager l‘adap-
ces normes. Ensuite, récompenses et sanctions
tation des entreprises et des travailleurs à
peuvent être appliquées dans un cadre multila-
l‘évolution de la demande sur les marchés na-
téral, régional, bilatéral et unilatéral. On peut
tionaux et internationaux pour que le change-
affirmer qu‘en général la démarche multilaté-
ment structurel devienne socialement accepta-
rale est préférable du fait de sa plus grande
ble. Mais que faire si les pouvoirs publics ne
portée et force morale que des mesures unila-
veulent pas participer à cette démarche? Que
térales. Les intérêts des petits pays seraient
faire si les pouvoirs publics, ou d‘autres parties
mieux entendus dans un cadre multilatéral.
intéressées, tolèrent, voire suscitent, des viola-
Le rattachement de l‘application des nor-
tions persistantes et graves des droits fonda-
mes fondamentales au commerce a, en règle
mentaux au travail? Ce type de situation existe,
générale, été justifié par le fait que le succès
par exemple au Myanmar (Birmanie), où il est
des stratégies compétitives dans un pays don-
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
COMMENT FAIRE PROGRESSER LES NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL
121
né dépend des politiques de ses partenaires
multilatéral. Une majorité de pays en dévelop-
commerciaux. Plus précisément, la crainte a
pement et d‘organisations d‘employeurs s‘y
été exprimée, sous forme de «dumping social»
sont opposés, au motif principalement qu‘il en-
et «course au moindre coût», que les industries
trave les possibilités d‘exportation des pays en
des pays à hauts salaires et normes élevées de
développement et ouvre aux pays industriali-
travail ne puissent soutenir la concurrence des
sés la voie d‘un protectionnisme abusif (voir
pays à bas salaires et que leurs conditions de
dans Hagen, 2003, un récit exhaustif sur les
travail en pâtissent. Les politiques du travail
divergences et incompatibilités entre les par-
devront par conséquent être intégrées dans les
ties au débat mené à l‘OIT sur cette question).
politiques et négociations commerciales et co-
Néanmoins, les gouvernements respectifs des
ordonnées avec ces dernières. Il est vrai que
pays industrialisés, notamment le gouverne-
l‘incidence du commerce sur les droits des tra-
ment des États Unis, et le Parlement européen,
vailleurs et la création de normes du travail
des organisations syndicales nationales et inter-
universelles, qui visent à empêcher les pays
nationales, ainsi qu‘un certain nombre d‘ONG,
d‘échanges à obtenir un avantage comparatif
ont continué à exhorter au rattachement des
«déloyal», participaient de la raison d‘être de
NIT au commerce et également à l‘adoption de
l‘OIT. Toutefois, l‘OIT n‘ayant jamais disposé
prescriptions sociales dans les directives des
d‘un mécanisme répressif efficace lors de vio-
IFI. Ainsi la CISL, pour la première fois à sa
lations des conventions, il a fallu demander à
conférence internationale en 1996, a demandé
d‘autres organisations d‘appliquer des sanc-
que soit insérée une clause sociale ou «clause
tions commerciales pour les faire respecter.
sur les droits des travailleurs» dans les accords
Comme il est expliqué au Chapitre 2, les
commerciaux sous l‘égide de l‘OMC. Les sanc-
différences salariales et les écarts dans les nor-
tions ne doivent s‘appliquer qu‘en dernier
mes sociales entre États ne justifient pas in-
ressort, une fois épuisés tous autres modes
trinsèquement de prendre des mesures à l‘éche-
d‘intervention non contraignants. Un organe
lon international contre des concurrents. Le
consultatif commun OMC/OIT devrait pouvoir
seul critère à cet égard est la violation des nor-
recommander des mesures d‘ordre commer-
mes minimales reconnues universellement et,
cial comme ultimes sanctions, après un certain
tout particulièrement, des normes fondamen-
délai, à l‘encontre d‘un pays récalcitrant. Con-
tales.
trairement aux allégations d‘économistes libéraux, qui prétendent que dans le Sud les syndi-
Clauses sociales dans les accords
cats s‘opposeraient au rattachement des NIT
commerciaux multilatéraux
au commerce (voir Bhagwati, 2002, Srinivasan, 2004), une enquête a révélé que le recours
L‘établissement d‘une clause dite sociale à l‘ar-
aux sanctions commerciales pour faire appli-
ticle XIX du GATT/OMC a été la démarche la
quer les normes fondamenales reçoit l‘appui
plus ostensible et la plus controversée concer-
d‘une majorité écrasante de dirigeants syndi-
nant le rattachement des NIT au commerce.
caux dans les pays en développement (Griffin
Cette insertion s‘explique simplement par le
et autres, 2003). Au cours de sa campagne per-
fait que l‘OMC dispose d‘un mécanisme répres-
manente, la CISL a invité l‘OIT et l‘OMC à res-
sif et offre une base juridique de rétorsion. Ce
serrer leur coopération en matière de NIT; elle
mécanisme pourrait servir à exclure des mar-
a également informé l‘OMC de la législation et
chés internationaux les pays qui ne respectent
des pratiques relatives aux droits fondamen-
pas les NIT. A l‘exception d‘une clause du GATT
taux des travailleurs – concernant notamment
sur le travail pénitentiaire, ce dispositif n‘a jus-
la liberté syndicale et le travail des enfants –
qu‘à présent pas été adopté par le système
dans le cadre des rapports de l‘OMC sur les
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
122
COMMENT FAIRE PROGRESSER LES NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL
pays (voir détails dans CISL, 2004). La Commis-
longtemps les travailleurs et les secteurs d‘ac-
sion de l‘Union européenne, appelant à des
tivité des pays avancés. Cela tient à la concur-
mesures qui confèrent un plus grand pouvoir à
rence plus âpre pour les pays avancés que leur
l‘OIT, a également demandé que les deux orga-
fait une poignée de pays récemment industria-
nisations coopèrent davantage (ainsi que les
lisés dont le taux de croissance de la producti-
institutions de Bretton Woods), mais elle s‘est
vité augmente bien plus rapidement que le leur
fermement opposée à l‘application de sanc-
(Singh et Zammit, 2000, page xv).
tions sous l‘égide de l‘OMC. En revanche, elle
Indépendamment de l‘opposition des pays
soutient l‘insertion (facultative) des droits des
en développement qui s‘est durcie dans les an-
travailleurs dans le mécanisme d‘examen des
nées 90, il faut admettre que les clauses socia-
politiques commerciales destiné aux Membres
les dans les accords commerciaux n‘auront
de l‘OMC et préconise à celle-ci de recourir aux
qu‘une efficacité relative, puisqu‘elles n‘at-
mesures d‘encouragement pour promouvoir
teignent pas d‘autres secteurs économiques
les normes fondamentales.
hors les industries exportatrices où les condi-
Des professeurs d‘université ont récem-
tions de travail sont souvent précaires. Comme
ment appelé l‘OMC à soutenir les mesures d‘en-
l‘a noté Ghose, la question des problèmes
couragement et de dissuasion pour obliger les
d‘ajustement, soulevée par les échanges Nord-
pays à appliquer les NIT. Selon Elliott, les vio-
Sud de produits concurrents, est nettement
lations des NIT fondamentales, qui ont un lien
distincte de celle bien plus générale de l‘insuf-
manifeste avec le commerce, y compris celles
fisance des normes du travail dans les pays en
commises dans les ZFE, devraient être traitées
développement. Il n‘y a pas lieu d‘améliorer les
par l‘OMC (Elliott, 2001). Elliott et Freeman
normes du travail minimales dans le Sud tant
voient dans les violations flagrantes des normes
que les échanges avec le Nord ne portent pas
fondamentales une raison économique mani-
sur des produits concurrents (Ghose, 2003,
feste d‘appliquer des sanctions commerciales.
page 97).
L‘OMC devrait pouvoir intervenir quand l‘insuffisance des normes du travail provoque des
Systèmes commerciaux préférentiels et
effets externes bien définis, qui faussent les
accords commerciaux régionaux et bilatéraux
échanges. Ainsi, serait garanti un dispositif
coordonné et multilatéral pour déceler les vio-
Un lien a été établi entre les NIT et le commerce
lations des NIT liées aux exportations. Des me-
par le biais de programmes commerciaux préfé-
sures commerciales ciblées entre certaines ex-
rentiels unilatéraux et non réciproques. Les
portations qui violent les règles commerciales
pays développés ont recouru au système généra-
éviteraient, plus que de lourdes sanctions contre
lisé de préférences (SGP) pour appliquer aux
tout un secteur ou pays, le protectionnisme des
importations des pays en développement des
mesures de l‘OMC (Elliott et Freeman, 2003).
droits de douane réduits ou les en exempter en
D‘autres spécialistes, toutefois, ont catégo-
échange de l‘application des NIT. Ce sont lesdi-
riquement rejeté tout recours aux sanctions
tes «clauses d‘habilitation» du GATT/OMC qui
commerciales de l‘OMC pour faire appliquer
les rendent possibles. Les systèmes généralisés
les NIT. A leur avis, les normes obligatoires ris-
de préférences sont utilisés par les États-Unis,
quent de porter un préjudice économique aux
le Canada, le Japon, la Norvège, la Suisse,
principaux pays en développement exporta-
l‘Australie et la Nouvelle-Zélande. Aux États-
teurs, à court ou moyen terme, sans guère
Unis, ce régime inauguré en 1974, a été modi-
améliorer leurs conditions de travail. Qui plus
fié en 1984 pour permettre l‘importation de
est, toutes restrictions aux exportations de ces
certains produits en franchise de droits, sous
pays par des sanctions ne protégeront pas
réserve que le pays exportateur respecte les
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
COMMENT FAIRE PROGRESSER LES NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL
123
droits des travailleurs reconnus internationale-
Le régime des SGP appliqué par les États-
ment, notamment les normes fondamentales et
Unis et l‘Europe a des effets équivoques. Sur
les conditions de travail acceptables en matière
63 cas examinés entre 1985 et 1995 en vertu
de salaires, d‘heures ouvrées, de santé et sécu-
de ce régime et concernant les droits des tra-
rité (Harvey, 1996).
vailleurs, 12 se sont soldés par le retrait ou la
L‘Union européenne, le plus vaste pour-
suspension des avantages pour dix pays, 51
voyeur de préférences commerciales en faveur
par une décision selon laquelle le pays bénéfi-
des pays en développement, applique le régime
ciaire devait prendre des mesures pour accor-
des SGP depuis 1971, suivant la recommanda-
der leurs droits aux travailleurs et sept sont en
tion de la CNUCED en 1968. Depuis le milieu
instance (Harvey, 1996). Depuis 1996, seule
des années 90, l‘Union européenne vise, par sa
une suspension a été prononcée pour le Béla-
clause d‘incitation, à aider les pays qui appli-
rus. Dans plusieurs cas, où les Etats-Unis ont
quent les normes fondamentales en leur accor-
appliqué des sanctions commerciales ou an-
dant des avantages préférentiels pour compen-
noncé un examen des SGP, plusieurs pays ont
ser le coût supplémentaire afférent aux progrès
entrepris de réformer leur code du travail ou
réalisés dans les politiques sociales. Le régime
de modifier leurs pratiques en la matière (voir
des SGP de l‘Union européenne, qui se réfère
dans Greven, 2004, un tableau synoptique des
explicitement aux NIT fondamentales, s‘appli-
succès et échecs des SGP aux Etats-Unis et en
que aux pays d‘Amérique latine, d‘Asie et du
Europe). Il est également certain que de nom-
Pacifique, d‘Afrique, des Caraïbes, d‘Europe
breux pays en développement sont irrités par
centrale et orientale et de la Communauté des
les conditions attachées aux programmes d‘as-
États indépendants (CEI). En janvier 2002,
sistance commerciale. Conformément aux rè-
l‘Union européenne a adopté un nouveau ré-
gles du GATT/OMC, la concurrence internatio-
gime de SGP qui double les réductions tarifai-
nale ne devrait pas se fonder sur des méthodes
res pour les pays respectueux des normes fon-
discriminatoires. Il ressort d‘une analyse de
damentales (ainsi que des normes écologiques,
l‘application des dispositions relatives aux droits
des droits de l‘homme et de la lutte contre les
des travailleurs dans les SGP aux Etats-Unis que
drogues). Pour en bénéficier, les gouvernements
le gouvernement de ce pays a appliqué les dis-
doivent informer de leur législation du travail,
positions unilatérales moins sur la base d‘une
de son application et son suivi. Les avantages
évaluation juste et méthodique des violations
sont retirés quand il est prouvé que le bénéfi-
qu‘en vue de ses intérêts en matière de politi-
ciaire commet des violations des normes du
que étrangère et de politiques internes. De
travail fondamentales. En 2004, a été proposée
plus, la suppression du traitement préférentiel,
une nouvelle réglementation de la politique
voire sa menace, peut avoir des effets fâcheux
commerciale de l‘UE relative aux tarifs préfé-
ou contraires (van Liemt 2000). C‘est ce qui est
rentiels pour la période 2005-2008, qui com-
apparu quand les Etats-Unis ont imposé des
prend des règles simplifiées et assouplies, por-
sanctions commerciales au Bangladesh en vertu
te à 7 200 le nombre de produits en franchise
de la loi de 1992 contre le travail des enfants.
de droits et vise un nombre réduit de pays, si
Les enfants employés dans l‘industrie de l‘ha-
possible les PMA, aux économies vulnérables
billement au Bangladesh ont été renvoyés;
et peu diversifiées. En outre, les tarifs préfé-
mais, n‘ayant aucune autre possibilité d‘em-
rentiels seront accordés à un pays qui aura
ploi, ils ont manifesté pour demander d‘être
respecté effectivement les normes fondamenta-
réembauchés. Il a été alors décidé que leur
les et non pas pour le simple fait qu‘il les a en-
renvoi serait plus graduel et lié aux possibilités
registrées.
d‘emploi et d‘éducation (Taher et autres, 1999).
L‘enseignement à tirer de cet exemple est que
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
124
COMMENT FAIRE PROGRESSER LES NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL
les sanctions commerciales peuvent inciter un
multilatéraux exige déjà de refuser toute assis-
pays à reconsidérer la question du travail des
tance en cas de travail forcé ou de travail des
enfants, mais non encore à résoudre le problè-
enfants. Le même principe qui pourrait s‘ap-
me. Des mesures locales s‘imposent pour réduire
pliquer à l‘égard d‘autres normes fondamenta-
effectivement le travail des enfants de façon so-
les pourrait s‘étendre aux contrats d‘achats de
cialement acceptable.
la Banque. Autre exemple, dans le secteur du
Une autre possibilité d‘action, dans le rat-
bâtiment, des projets de travaux publics néces-
tachement des normes du travail au commer-
sitant une main-d‘œuvre abondante, financés
ce, est d‘ajouter dans les accords régionaux,
par la Banque mondiale ont été, à l‘initiative de
subrégionaux et bilatéraux sur le commerce et
la Fédération internationale des travailleurs
les investissements des clauses particulières.
du bâtiment et du bois, exécutés dans le res-
D‘après une récente enquête globale sur ces ac-
pect des normes du travail fondamentales. Les
cords, ce type de clauses constituerait la «deu-
organisations syndicales pourraient avoir une
xième meilleure option disponible», devant l‘im-
plus grande influence et un plus grand rôle
possibilité de faire appliquer les NIT à l‘OMC
dans la conception et la réalisation des docu-
(Greven, 2005). Parmi les plus importants ac-
ments de stratégie pour la réduction de la pau-
cords de ce type, figure l‘Accord nord-améri-
vreté (DSRP) à l‘échelon national. Il a en outre
cain dans le domaine du travail (ANACT), qui
été proposé que la Banque et le FMI établissent
est un accord accessoire à l‘Accord de libre-
au sein de leurs organisations des commissions
échange nord-américain (ALENA) de 1994 et
syndicales consultatives sur le modèle de celles
concerne l‘application des NIT au Mexique, aux
créées auprès de l‘OCDE.
Etats-Unis et au Canada; l‘Accord bilatéral sur
Le choix de mesures internationales perti-
les textiles entre les Etats-Unis et le Cambodge;
nentes nécessaires à l‘application des NIT pose
l‘Accord de libre-échange entre les Etats-Unis
la question plus vaste d‘un nouvel ordre politi-
et la Jordanie et autres. Des dispositions sur
que mondial. Plus précisément, le recours aux
les droits du travail sont prévues également
sanctions soulève des questions quant à leur
dans des accords bilatéraux de l‘Union euro-
légitimité et leur fondement. Les Etats peuvent
péenne tels que l‘Accord de Cotonou conclu
considérer – et ont considéré – les sanctions
avec 77 pays d‘Afrique, des Caraïbes et du Paci-
comme une immiscion dans leur souveraineté
fique, ainsi que les accords passés avec l‘Afri-
nationale. Pour mesurer si l‘ingérence interna-
que du Sud, le Chili et le Mexique.
tionale dans les affaires nationales est justifiée,
Subordonner l‘aide et les investissements
il nous faut admettre que la notion de «souverai-
publics des organisations internationales à
neté» a évolué ces dernières années dans l‘en-
l‘application des NIT constitue un mécanisme
semble de la communauté internationale. Se-
largement applicable qui permet d‘en renfor-
lon la conception traditionnelle, les Etats sont
cer l‘observation. Les possibilités sont vastes.
des entités pleinement autonomes qui règlent
Les directives sur la pauvreté du comité d‘aide
leurs affaires sur leur propre territoire. L‘arti-
au développement de l‘OCDE, adoptées en 2001,
cle 2 de la Charte des Nations Unies dispose
comprennent désormais une disposition sur les
que les États sont égaux, leur intégrité territo-
droits du travail, au titre de l‘assistance. La
riale et leur indépendance politique inviolables,
Banque mondiale a été invitée à fixer et faire
que les autres États ou des organisations inter-
appliquer des critères sociaux fondés sur les
nationales doivent s‘abstenir de s‘ingérer dans
conventions de l‘OIT, dans ses activités de prêts,
leurs affaires intérieures, sauf si leurs actes
contrats d‘achats et assistance technique. Cer-
menacent la paix internationale. La souveraine-
taines mesures ont été prises dans ce sens. Ain-
té nationale n‘est normalement pas considérée
si, son Agence de garantie des investissements
comme étant en danger quand un État accepte
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
COMMENT FAIRE PROGRESSER LES NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL
125
de plein gré une coopération internationale qui
rapports par les organismes des Nations Unies
suppose un suivi et une surveillance sous for-
lors de violations des droits et de la sécurité
me, par exemple, d‘enquêtes et d‘encadrement
humains ne sont plus considérés comme des
par des organes internationaux concernant des
«interventions» illégitimes ou illégales dans les
conventions ratifiées de l‘OIT. Toutefois, face
affaires nationales internes. Le mandat incom-
aux nouvelles sensibilités et vulnérabilités ac-
bant à la communauté mondiale, notamment
crues liées à un monde toujours plus interdé-
protection de la liberté, contre la violence et
pendant – et plus particulièrement avec l‘im-
autres mauvais traitements et protection des
portance accrue des droits de l‘homme –, la
besoins humains, participe de la réinterpréta-
notion classique de souveraineté a suscité un
tion de la souveraineté et devient un élément
débat qui l‘a profondément modifiée. Les droits
de ce qui peut être considéré comme le «droit
et obligations des États souverains ont été re-
interne» de la communauté mondiale. En au-
définis. Selon un rapport en 2001 de la Com-
cun cas, toutefois, une intervention extérieure
mission internationale de l‘intervention et de
ne doit consister en une opération militaire
la souveraineté des États, de l‘ONU, intitulé
unilatérale. Selon le chapitre VII de la Charte
«La responsabilité de protéger», la souverai-
des Nations Unies, les interventions militaires
neté inconditionnelle d‘un État trouve ses limi-
pour défendre les droits de l‘homme ne sont
tes dès que celle d‘un autre État est en jeu. Si
légitimes que si le Conseil de sécurité de l‘ONU
les effets d‘actes nationaux s‘étendent à d‘au-
estime que la paix est menacée.
tres pays – les économistes parlent d‘effets externes –, ils ne peuvent plus être considérés
comme des affaires internes. De plus, selon la
d) Diversification des intervenants,
multiplicité des responsabilités
nouvelle conception, la souveraineté de l‘État
n‘est plus inconditionnelle dès lors qu‘elle en-
Qui doit agir pour promouvoir les NIT et qui
tre en conflit avec celle des individus. L‘État est
doit se charger d‘en suivre l‘application? La
tenu de protéger ses citoyens contre les mena-
responsabilité est échue traditionnellement à
ces à leur intégrité et les violations des droits
l‘OIT et aux gouvernements nationaux. Mais,
de l‘homme. Si l‘État n‘est pas en mesure d‘as-
étant donné le faible pouvoir répressif et les
surer cette protection, il appartiendra à la com-
ressources limitées de l‘OIT et, en particulier,
munauté internationale de s‘en charger. Dans
l‘étroite marge de manœuvre pour lier les NIT
le domaine social, ce principe s‘applique par
au commerce, on a estimé que la responsabili-
exemple aux persécutions et tortures à l‘encon-
té, voire une responsabilité complémentaire,
tre de syndicalistes, ou à la discrimination ra-
devrait incomber à des intervenants non gou-
ciale pratiquée sous le régime de l‘apartheid en
vernementaux, tels qu‘entreprises privées, or-
Afrique du Sud. Il s‘agit là de crimes caractéri-
ganisations d‘employeurs et de travailleurs et
sés contre l‘humanité. Diverses formes d‘escla-
ONG. Leurs initiatives en matière d‘application
vage et de travail forcé, y compris la traite in-
des NIT sont considérées comme complétant
ternationale d‘enfants ou de femmes aux fins
librement la réglementation et le contrôle gou-
d‘emploi et d‘exploitation sexuelle sont des vio-
vernemental.
lations manifestes des droits de l‘homme aux
L‘idée principale à l‘origine des initiatives
répercussions internationales. Ainsi, les pays
privées est à la fois simple et particulièrement
qui en sont le théâtre doivent accepter la légiti-
intéressante: renforcer chez les producteurs,
mité des interventions internationales à défaut
investisseurs et consommateurs le sens de la
de mesures prises à l‘échelon national pour em-
responsabilité sociale pour améliorer les condi-
pêcher ces pratiques. Au sens de la nouvelle
tions de travail. Si les produits sont fabriqués
conception de la souveraineté, auditions et
en général de façon socialement acceptable,
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
126
COMMENT FAIRE PROGRESSER LES NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL
dans le respect des normes du travail comme
seraient davantage soucieuses de la valeur pu-
critères de décision en matière d‘investisse-
blicitaire qu‘elle peut créer.
ment et si les consommateurs n‘achètent que
La diversification des agents chargés des
des produits «irréprochables» sur le plan des
normes du travail a été contestée au motif
conditions de travail qui ont permis de les fabri-
qu‘ainsi la fixation des normes, leur suivi et le
quer, les déficits de travail décent seront com-
contrôle de leur application risquent de ne plus
blés «à la source». D‘aucuns ont interprété les
être homogènes. Si divers intervenants établis-
initiatives privées comme une «gouvernance
sent leur propre système de normes du travail,
sans gouvernement». Toutefois, les gouverne-
ils risquent de se limiter aux normes fonda-
ments, aux échelons national et international,
mentales au détriment des normes sociales.
ne se sont pas complètement abstenus d‘in-
Cela empêcherait d‘aborder de façon unifiée la
fluencer les initiatives privées. Ils ont essayé de
diversité et l‘importance des NIT. L‘universalité
contribuer à encourager et faciliter les mesu-
d‘origine des normes serait amoindrie et l‘am-
res non gouvernementales pour faire progres-
pleur de la protection des droits des travailleurs
ser les normes éthiques dans les milieux d‘af-
se trouverait, dans certains cas, tributaire des
faires.
intérêts des parties les plus puissantes. Selon
Durant la dernière décennie, la notion de
un spécialiste du droit du travail: «Si une entre-
«responsabilité sociale des entreprises» (RSE)
prise multinationale ou un État peuvent remplir
a progressé. «Par responsabilité sociale des en-
leurs obligations (internationales) en souscri-
treprises, on désigne les initiatives que les
vant à un ensemble flou de normes fondamen-
entreprises prennent volontairement en plus et
tales en faveur des droits civils, quels avanta-
au-delà de leurs obligations légales et qui con-
ges ont-t-ils d‘accepter (ou dans le cas d‘un
stituent un moyen pour elles de tenir compte
gouvernement de ratifier) des normes de l‘OIT
de leur impact sur toutes les parties prenantes.
non fondamentales relatives aux droits écono-
La responsabilité sociale des entreprises com-
miques et sociaux?» (Alston, 2001).
plète, sans la remplacer, la réglementation ou
Alors qu‘il serait certes dangereux qu‘ap-
la politique sociale de l‘État» (Commission mon-
paraissent des NIT de première et de deuxième
diale sur la dimension sociale de la mondiali-
catégories et que les gouvernements n‘assu-
sation, 2004, paragraphe 550). Les États, à
ment plus la responsabilité du contrôle de leur
l‘échelon national et international, ont adhéré
application, nul ne devrait en principe contes-
à la RSE qui touche non seulement les salariés,
ter la légitimité d‘intervenants autres que l‘OIT
mais également les multiples parties prenan-
et les gouvernements nationaux pour assurer
tes. Ainsi, en 2002, l‘Union européenne a adop-
le suivi de ces normes. En réalité, la raison
té une stratégie en vue de la promouvoir et la
pour laquelle de nouveaux intervenants sont
Commission européenne a ensuite élaboré des
devenus parties prenantes est due en partie au
doctrines en matière de commerce éthique et
fait que les organes publics de surveillance dû-
équitable à l‘échelon communautaire, en en-
ment mandatés manquent de capacités. Les
courageant les partenaires sociaux de l‘UE à
pays développés ne sont pas toujours à même
établir des codes de conduite et en favorisant
d‘obtenir suffisamment de ressources et de
les synergies avec les politiques commerciales.
personnel qualifié pour assurer les services
Les réactions à la RSE, en tant que moyen
d‘inspection du travail. Devant la prolifération
d‘accroître les normes du travail, ont été jus-
des sociétés transnationales, au dernier quart
qu‘à présent mitigées. Certaines entreprises
du XXe siècle, on a peine à imaginer comment
multinationales semblent manifester un véri-
les NIT peuvent, sans leur concours, être injec-
table engagement à cet égard, mais d‘autres
tées dans l‘économie mondiale. Un élargisse-
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
COMMENT FAIRE PROGRESSER LES NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL
127
ment de l‘ensemble des mandants chargés de
tion d‘un label ou d‘une marque sert à indiquer
s‘occuper des normes serait par conséquent
aux consommateurs que la main-d‘œuvre qui a
souhaitable. La diversité des parties prenantes
fabriqué le produit choisi n‘est pas l‘objet d‘ex-
pose toutefois un problème, si elle affaiblit des
ploitation ou de mauvais traitement. Les con-
NIT ou si des codes de conduite privés tendent
sommateurs peuvent ainsi choisir selon leurs
à remplacer les réglementations publiques. Le
préférences. Les acheteurs, dans les pays dé-
18e Congrès mondial de la CISL en décembre
veloppés, sont supposés prêts à payer un sup-
2004 a déclaré que les organisations syndica-
plément pour des produits qui ne proviennent
les ne doivent ni aborder de façon inconsidé-
pas d‘ateliers clandestins.
rée, ni négliger la RSE, qui ne devrait pas se
Le principe du label social remonte aux
substituer au rôle propre du gouvernement ou
années 70, quand les consommateurs des pays
des syndicats, mais peut offrir à ces derniers la
industrialisés ont noué des liens commerciaux
possibilité d‘inciter les entreprises à se soucier
directs avec les producteurs du tiers monde au
des incidences sociales de leurs activités com-
nom d‘un mouvement de solidarité internatio-
merciales.
nale. Ils choisissaient des denrées – telles que
Un suivi et une vérification appropriés par
café, thé, cacao, sucre, bananes et fleurs – en
des organes indépendants d‘inspection peuvent
fonction des conditions sociales et économiques
empêcher l‘affaiblissement des NIT grâce à des
dans lesquelles elles étaient produites.
initiatives volontaires. La principale question,
«Rugmark», nom d‘une fondation attachée
quand il s‘agit de mesures privées, est l‘obten-
à l‘élimination du travail des enfants dans la
tion d‘informations sûres et validées sur les
fabrication des tapis en Inde, au Népal et au
conditions locales de production. Ces dernières
Pakistan, est un exemple remarquable de label
doivent être transparentes et leur mise en place
propre à un secteur. Outre attester que les tapis
pleinement vérifiable. C‘est alors que consom-
ne sont pas tissés par des mains d‘enfants, la
mateurs, producteurs et investisseurs peuvent
fondation administre des programmes d‘édu-
prendre les bonnes décisions et tout scepticisme
cation et de protection sociale destinés aux en-
à cet égard, notamment de la part des travail-
fants soustraits au travail et à leurs familles. Le
leurs et de leurs organisations, peut être sur-
secteur des fleurs offre un autre exemple: le la-
monté. Qui et quels éléments peuvent en outre
bel garantit que les producteurs se soucient
garantir la véritable indépendance du suivi des
des conditions et du milieu de travail. Les me-
NIT? Selon un responsable syndical, le seul
sures de protection consistent, notamment, en
système valable est un «suivi indépendant» sur
réglementation des heures de travail et règles
les lieux de travail par les travailleurs mêmes
en matière de santé et sécurité à respecter lors
et leurs organisations syndicales (Justice, 2003).
de l‘emploi de pesticides – périodes d‘attente
Les principaux instruments d‘initiatives
(selon le degré de toxicité) avant de retourner
privées qui présentent un intérêt pour les NIT
dans les secteurs traités, soins médicaux gra-
sont examinés ci-après: certification sociale des
tuits et commission chargée de surveiller les
produits, code de conduite des entreprises, ac-
programmes de santé au travail.
cords-cadres internationaux et investissements
éthiques.
Aujourd‘hui, la part mondiale des produits
labellisés représente de 1 à 4 pour cent de la
production totale (Wick, 2003). Dans certains
Label social
domaines, la proportion est nettement supérieure. Ainsi, la part de consommation des ba-
Le label social suppose la certification de pro-
nanes certifiées en Suisse s‘élève à 15 pour cent.
duits d‘exportation fabriqués dans le respect de
Dans l‘Union européenne, 11 pour cent des ci-
pratiques professionnelles équitables. La posi-
toyens déclarent acheter des produits portant
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
128
COMMENT FAIRE PROGRESSER LES NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL
un label social (Goetschy, 2004). Il reste à
et dangereuses dans la chaîne d‘approvision-
savoir toutefois s‘il existe des possibilités d‘ex-
nement de grands producteurs de marques oc-
pansion de ces produits et, partant, de l‘effica-
cidentaux, en particulier dans les secteurs de
cité de ce système commercial. Etant donné la
l‘habillement, des chaussures, des jouets et
faible augmentation ou la stagnation, voire la
autres branches à forte intensité de main-
baisse des salaires réels des travailleurs dans
d‘œuvre, ont soulevé des inquiétudes. ONG,
les pays industrialisés ces dernières années, la
organisations syndicales et groupes de consom-
persistance des taux élevés du chômage et la
mateurs ont fait pression sur les entreprises
concentration grandissante de la répartition des
transnationales pour qu‘elles se soucient davan-
revenus, l‘acheteur moyen va rechercher des
tage des conditions de travail chez leurs four-
biens de consommation bon marché et non
nisseurs et sous-traitants à l‘étranger. Un cer-
supporter le supplément de prix des produits
tain nombre d‘entre elles ont pris l‘initiative
labellisés.
d‘établir des codes d‘éthique pour détourner
Du point de vue de la CISL, les labels des
les critiques d‘une conduite antisociale, éviter
produits certifiant les méthodes de travail liées
une publicité défavorable ou améliorer leur
à la fabrication soulèvent certaines difficultés.
image de marque.
Contrairement à la composition du produit ou
Certains observateurs ont été optimistes
aux règles de sécurité, on ne peut en vérifier la
quant à l‘impact des codes d‘entreprises. Ils
véracité en essayant le produit. Les pratiques
ont affirmé que la «course au moindre coût» où
professionnelles certifiées par un label ne sont
les entreprises rivalisent sur le terrain de
crédibles que s‘il existe sur place un contrôle
l‘abaissement des coûts et des normes sociales
permanent – condition réalisable seulement
le céderait à une concurrence pour des normes
lorsque des syndicats sûrs et indépendants
satisfaisantes. Les entreprises pourraient être
sont autorisés à remplir leur rôle, à la condi-
amenées à rivaliser entre elles pour améliorer
tion toutefois qu‘ils soient soutenus par une
leurs résultats sociaux et ainsi «encliqueter les
réglementation exécutoire et dûment appliquée
NIT» dans les pays où elles exercent leurs acti-
dans une société libre et démocratique (Justice,
vités. Chacune, dans son domaine de compé-
2002).
tence, rendrait compte des conditions de salaires et de travail, des caractéristiques de la
Code de conduite des entreprises
main-d‘œuvre, des systèmes écologiques et de
gestion du personnel, ainsi que d‘autres élé-
Multinationales, organisations commerciales,
ments du bilan social. Des inspecteurs attribue-
organisations de travailleurs et ONG ont établi
raient un classement qui serait rendu public
des codes de conduite des entreprises appelés
(Sabel et autres, 2000).
également recueils de directives pratiques. Des
Il a été convenu dans le «Pacte mondial»
protocoles de vérification, fondés normalement
de demander aux entreprises de rendre compte
sur les rapports des services privés d‘inspec-
chaque année de la façon dont elles remplis-
tion du travail servent à déterminer si des en-
sent leurs responsabilités sociales. Lancé offi-
treprises respectent effectivement ces codes
ciellement en 2000 par les Nations Unies, ce
dans leurs réseaux de production. L‘importan-
pacte est dû à l‘initiative de M. Kofi Annan, Se-
ce des codes a crû avec l‘ampleur de l‘externali-
crétaire général, qui a exhorté les entreprises à
sation de la production, en particulier dans les
assumer leurs fonctions en manifestant leur
pays qui ne respectent pas les NIT fondamen-
sens de la citoyenneté mondiale partout où el-
tales. Les constats de bas salaires, répression
les exercent leurs activités. Le pacte se fonde
des syndicats, travail des enfants, travail forcé
sur neuf principes découlant de la Déclaration
et conditions de travail inhumaines, précaires
universelle des droits de l‘homme, de la Décla-
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
COMMENT FAIRE PROGRESSER LES NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL
129
ration de l‘OIT relative aux principes et droits
travailleurs sont parmi les plus connus. Ils por-
fondamentaux au travail, de la Déclaration de
tent sur toutes les conventions et normes de
Rio sur l‘environnement et le développement et
l‘OIT relatives aux salaires, heures de travail et
de la Convention des Nations Unies contre la
sécurité au travail (voir, dans Wick, 2003, et
corruption. Quelque 700 entreprises, syndicats
CISL, 2004, de plus amples détails).
internationaux, ONG et autres groupes de la
société civile y ont participé jusqu‘à présent.
Pour que les codes de conduite remplissent l‘objet visé, ils doivent être conçus et ap-
Dans certains milieux, notamment syndi-
pliqués de façon à atteindre les sous-traitants
caux, les codes de conduite des entreprises ont
en aval des chaînes de production. L‘effet po-
été accueillis avec réserve. S‘agit-il d‘un instru-
tentiel peut être énorme. Prenons l‘exemple de
ment des travailleurs ou d‘un artifice de rela-
Levi Strauss. La société seule emploie 8 000
tions publiques? (Wick, 2003) Il est apparu ra-
travailleurs. Mais quelque 200 000 salariés tra-
pidement que de nombreuses entreprises
vaillent dans des entreprises qui se trouvent,
souhaitaient adopter les nouveaux codes pour
en de nombreux pays, au bout de sa chaîne
les substituer aux réglementations et les utili-
d‘approvisionnement et de services. Si Levi
ser pour éviter l‘intervention de syndicats (Jus-
Strauss pouvait faire respecter par toutes ses
tice, 2002). Il semblerait finalement que leur
entreprises les normes de l‘OIT, un grand pas
effet dépende de plusieurs facteurs: s‘agit-il de
serait accompli. Il est ressorti d‘une étude por-
codes de parties prenantes uniques, établis par
tant sur trois des principales multinationales
les seules entreprises, ou de codes de parties
installées en Europe dans l‘industrie de l‘habil-
prenantes multiples, élaborés par d‘autres orga-
lement et des chaussures que les réseaux d‘ap-
nisations également? Mentionnent-ils ou non les
provisionnement comptent de 1 000 à 5 000
normes de l‘OIT, ce qui suppose un ensemble de
fournisseurs et entre 5 000 et plus de 10 000
principes doctrinaux à l‘appui des conventions
sous-traitants, essentiellement dans les pays
de l‘OIT; les conditions de travail effectives
en développement. Ces chiffres donnent une
font-elles l‘objet d‘un suivi régulier et perma-
idée de l‘ampleur de la tâche qui consiste à ap-
nent et de rapports circonstanciés dans l‘en-
pliquer les normes d‘un bout à l‘autre de la
semble du réseau de production des entrepri-
chaîne de valeur. Ils expliquent pourquoi – se-
ses? Les règles de vérification sont-elles crédibles
lon les auteurs – le suivi et la vérification des
et approuvées par le grand public?
normes sociales sont incomplets et risquent de
D‘après une enquête menée en 2000,
le demeurer. Les difficultés sont aggravées par
l‘OCDE a dénombré 246 codes de conduite,
l‘importante rotation des fournisseurs et sous-
dont la plupart ont été adoptés dans les années
traitants – et la rude concurrence des prix en-
90: 118 ont été établis par des entreprises in-
tre eux – surtout au bout de la chaîne de pro-
dépendantes, 92 par des organisations profes-
duction (Fichter et Sydow, 2002).
sionnelles et commerciales, 32 par des partena-
Il faut se rendre compte exactement des
riats entre parties prenantes, dont des syndicats
résultats réels des codes de conduite privés et
et ONG et 4 par des organisations internationa-
en particulier s‘ils font respecter – et comment
les. La plupart ont été établis aux Etats-Unis,
– les normes fondamentales de l‘OIT. Selon une
au Royaume-Uni, en Australie, en Allemagne
analyse du BIT, les codes de conduite, élaborés
et en Suisse (OCDE, 2000b). Ceux établis par la
par les seules entreprises, contiennent assez
campagne vêtements propres, la fondation de
peu de références aux conventions fondamen-
l‘habillement issu du commerce équitable, la
tales, alors que dans ceux établis par de mul-
responsabilité sociale internationale, l‘initiati-
tiples parties prenantes, ces normes y sont plus
ve du commerce équitable, l‘association du
fréquemment mentionnées (BIT, 2003, Urmins-
travail équitable et le consortium des droits des
ky, 2001). L‘examen des codes de conduite a
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
130
COMMENT FAIRE PROGRESSER LES NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL
permis de conclure que, sans pressions inter-
le cas échéant, par ses soins ou des consultants
nes et externes, les forces économiques tendent
rémunérés, les accords-cadres internationaux
nettement à «tromper» les normes des codes
(ACI) résultent de négociations entre entrepri-
(Murray, 2005, page 17). Les normes de l‘OIT
ses multinationales et fédérations syndicales
pourraient être mieux respectées en associant
mondiales (anciennement secrétariats syndi-
des parties intéressées, notamment syndicats
caux internationaux). Dans certains cas, ces ac-
et ONG, à l‘élaboration et au suivi des codes, en
cords ont été négociés et signés par les repré-
confiant le contrôle indépendant à des vérifica-
sentants des comités d‘entreprise internationaux
teurs compétents et en formulant des procé-
ou européens au nom de la Fédération syndi-
dures de recours appropriées. Le mouvement
cale mondiale. Ils supposent l‘engagement des
syndical international a établi des lignes direc-
multinationales à respecter les normes fonda-
trices pour la participation des syndicats à la
mentales dans toutes leurs activités et tout au
création de codes de conduite du secteur privé
long de leur chaîne de production, même dans
(CISL, 2002b). Le cas d‘un suivi international
les pays qui n‘ont pas ratifié les conventions de
indépendant est présenté dans l‘encadré 5.6.
l‘OIT qui y sont mentionnées. La plupart des
accords comprennent ainsi des clauses sur les
Accords-cadres internationaux
conventions de fond de l‘OIT, telles que salaires, heures de travail, santé et sécurité au tra-
Contrairement aux codes de conduite des entre-
vail, formation et environnement.
prises, la plupart rédigés par la société même à
Les ACI font pendant aux codes de condui-
ses propres fins et suivis dans leur application,
te unilatéraux des entreprises. Bien qu‘un code
ENCADRÉ 5.6: Suivi indépendant des normes internationales du travail
dans le secteur de l‘habillement au Cambodge
Un système de suivi indépendant a été mis en place par un projet de l‘OIT appelé «Better Factories in Cambodia». Une
équipe d‘inspecteurs du travail indépendante a été chargée d‘effectuer des visites inopinées dans des fabriques de vêtements de ce pays, pour y vérifier certaines conditions telles que liberté syndicale, salaires, heures de travail, installations
sanitaires, sécurité des machines et lutte contre le bruit. La liste de vérification, établie d‘après la législation cambodgienne du travail et les normes de l‘OIT, contient plus de 500 rubriques. Ses dispositions offrent de manière indépendante et transparente des renseignements utiles aux sociétés acheteuses pour décider de leurs approvisionnements et
investissements. Les organisations de consommateurs et de travailleurs peuvent également obtenir ces informations. En
outre, l‘OIT aide directement les usines à prendre des mesures correctives, par exemple en offrant des possibilités de
formation professionnelle, ainsi que les syndicats, les représentants d‘employeurs et le gouvernement à renforcer les
capacités. Ce projet montre que les intérêts des consommateurs qui recherchent des produits abordables, ceux des acheteurs désireux de faire des bénéfices et des jeunes femmes rurales en quête d‘un travail décent peuvent être satisfaits
(voir OIT, 2004). Les employeurs cambodgiens, d‘abord contrariés par le suivi, ont changé d‘opinion au cours du projet.
Selon le Secrétaire général de l‘Association des fabricants de vêtements du Cambodge, «il est pénible de devoir supporter
des gens qui se mêlent des affaires privées, mais nous avons fini par comprendre que les normes du travail sont utiles à
l‘économie et à la population cambodgienne» (Bernstein, 2001, page 74).
Aujourd‘hui, on considère le projet comme un bon moyen de réagir aux graves menaces pesant sur le secteur de l‘habillement au Cambodge – qui constitue jusqu‘à 80 pour cent des exportations du pays – après le retrait en 2004 de
l‘Accord multifibre et l‘énorme expansion de la production et capacité exportatrice chinoise dans ce secteur.
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
COMMENT FAIRE PROGRESSER LES NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL
131
de conduite international puisse figurer dans
mesures correctives peuvent être co-établies.
un accord-cadre, comme c‘est parfois le cas,
Selon des rapports de l‘UITA et de l‘ICEM, les
l‘objet principal d‘un ACI est d‘établir une rela-
modalités de suivi ont été exécutées et les ré-
tion permanente entre la multinationale et l‘or-
unions y relatives ont été fructueuses. Il reste à
ganisation syndicale internationale (CISL, 2002,
évaluer globalement l‘efficacité des ACI.
page 136). La plupart de ces accords sont de
Le nombre d‘ACI a augmenté de façon
durée limitée. Ils donnent aux syndicats signa-
croissante au milieu des années 90. En mai
taires le droit d‘invoquer devant la direction de
2005, 37 accords intéressant plus de 3 millions
l‘entreprise toutes violations alléguées de dis-
de salariés ont été conclus. La majorité concer-
positions de l‘accord. Souvent, les accords
ne des entreprises multinationales européen-
fixent la période des réunions à cet effet, nor-
nes dont les états de relations professionnelles
malement une fois par an, et peuvent égale-
sont satisfaisants (voir tableau 5.1)
ment établir des voies d‘intervention plus urgentes. L‘avantage de ces dispositions pour les
Investissements éthiques
syndicats est qu‘un suivi de l‘entreprise peut
être assuré et tout manquement à ses obliga-
Peuvent être qualifiés d‘éthiques les investisse-
tions porté promptement à l‘attention de ses
ments délibérément réalisés dans les pays ou
cadres dirigeants. Les ACI donnent corps et
entreprises qui observent des normes sociales
crédibilité à l‘éthique de la société. Parallèle-
et écologiques approuvées. Ils ne devraient pas
ment, nombre de ces accords soulignent le rôle
être effectués dans des pays ou entreprises
essentiel des représentants du syndicat et de la
connus pour leurs violations des droits de l‘hom-
direction locaux dans l‘examen des problèmes
me, même si ce choix fait manquer des affaires
et le règlement des différends.
aux investisseurs ou encourir des pertes. Les in-
Les accords-cadres se réfèrent aux nor-
vestissements éthiques ont commencé il y a
mes fondamentales bien davantage que les co-
quelques décennies avec le boycottage des en-
des de conduite des entreprises. Ainsi, les 35
treprises qui entretenaient des liens commer-
accords négociés en mars 2004 mentionnaient
ciaux avec l‘Afrique du Sud à l‘époque de
tous la liberté d‘association et le droit de négo-
l‘apartheid. Depuis, ils visent d‘autres domaines
ciation collective; 28 et 29 d‘entre eux respec-
tels que l‘alcool, l‘énergie nucléaire, les armes
tivement citaient les deux conventions de l‘OIT
et, également, de plus en plus les normes fon-
correspondantes. De nombreux ACI mention-
damentales du travail.
nent expressément un ou plusieurs des accords
Les investissements socialement respon-
internationaux suivants: Déclaration de prin-
sables (ISR) occupent une place toujours plus
cipes tripartite sur les entreprises multinatio-
importante dans le débat sur la RSE, qui porte
nales et la politique sociale de l‘OIT, Déclara-
sur trois principaux types d‘activité: calcul
tion de l‘OIT relative aux principes et droits
d‘indices, classement d‘entreprises et fonds.
fondamentaux au travail, Directives de l‘OCDE
Les critères professionnels appliqués aux in-
pour les entreprises multinationales, Déclara-
vestissements socialement responsables sont
tion des Nations Unies sur les droits de l‘hom-
en général peu précis et loin d‘être normalisés.
me et Pacte mondial de l‘ONU. La plupart
Leur examen dans 62 fonds aux États Unis en
contiennent des modalités de suivi et d‘homo-
2001 a révélé que 43,5 pour cent des vérifica-
logation, à l‘instar des codes de conduite des
tions s‘appuyaient sur des critères de relations
parties prenantes multiples, mais, en général,
professionnelles. Dans 71 pour cent des cas,
font valoir le dialogue, les modalités de recours
les vérifications ont porté sur des éléments ap-
et les activités de sensibilisation. Ils précisent
partenant à l‘égalité des chances et à la non-
qu‘en cas de litiges dans leur application, des
discrimination. Selon une étude récente menée
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
132
COMMENT FAIRE PROGRESSER LES NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL
TABLEAU 5.1: Accords-cadres conclus entre les entreprises transnationales et les
fédérations syndicales mondiales (FSM) en mai 2005
Entreprises
Effectif de salariés
Pays
Secteur
FSM
Année
Danone
100 000
France
Alimentation
UITA
1988
Accor
147 000
France
Hôtellerie
UITA
1995
Ikea
70 000
Suède
Ameublement
FITBB
1998
Statoil
16 000
Norvège
Industrie pétrolière
ICEM
1998
Faber-Castell
6 000
Allemagne
Matériel de bureau
FITBB
1999
Freudenberg
27 500
Allemagne
Industrie chimique
ICEM
2000
Hochtief
37 000
Allemagne
Construction
FITBB
2000
Carrefour
383 000
France
Commerce de détail
UNI
2001
Chiquita
26 000
Etats-Unis
Agriculture
UITA
2001
OTE Telecom
18 500
Grèce
Télécommunications
UNI
2001
Skanska
Telefonica
79 000
161 500
Suède
Construction
FITBB
2001
Espagne
Télécommunications
UNI
2001
Triumph
38 000
Allemagne
Industrie textile
FITTHC
2001
Merloni
20 000
Italie
Industrie métallurgique
IMF
2002
Endesa
13 600
Espagne
Industrie énergétique
ICEM
2002
Pays-Bas
Construction
Ballast Nedam
Fonterra
Volkswagen
7 800
20 000
325 000
FITBB
2002
Nouvelle-Zélande Produits laitiers
IUF
2002
Allemagne
Automobiles
IMF
2002
Norske Skog
11 000
Norvège
Papeterie
ICEM
2002
Anglo Gold
64 900
Afrique du sud
Industries extractives
ICEM
2002
Daimler Chrysler
Allemagne
Automobiles
IMF
2002
Eni
70 000
Italie
Energie
ICEM
2002
Leoni
18 000
Allemagne
Electrotechnique/Technique automobile
IMF
2003
ISS
280 000
Danemark
Nettoyage/Entretien.
UNI
2003
GEA
14 000
Allemagne
Mécanique
IMF
2003
SKF
39 000
Suède
Roulements à billes
IMF
2003
Rheinmetall
372 500
25 950
Allemagne
Défense/Technique automobile/Electronique
IMF
2003
225 900
Allemagne
Technique automobile/électronique
IMF
2004
Prym
4 000
Allemagne
Métallurgie
IMF
2004
SCA
46 000
Suède
Papeterie
ICEM
2004
Lukoil
150 000
Russie
Energie/pétrole brut
ICEM
2004
Renault
130 700
Bosch
France
Automobiles
IMF
2004
Italie
Construction
FITBB
2004
167 000
France
Energie
ICEM
2005
20 000
France
Produits chimiques
ICEM
2005
Norvège
Produits chimiques
ICEM
2005
Impregilo
Electricité de France (EDF)
Rhodia
Veidekke
5 000
BMW
106 000
Allemagne
Automobiles
IMF
2005
EADS
110 000
Pays-Bas
Aérospatiale
IMF
2005
Total
3 382 750
Source: Steiert (IMF), Hellmann (FITBB), juillet 2005.
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
COMMENT FAIRE PROGRESSER LES NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL
133
par l‘OIT, plusieurs instituts de classement ap-
cité de cet instrument dépendra naturellement
pliquent l‘ensemble des normes fondamentales
de la sensibilité sociale de l‘investisseur. Plus le
de l‘OIT (OIT, 2003).
rôle et l‘effet des normes, leurs violations et
A l‘échelon mondial, le nombre de fonds
mauvaise utilisation sont connus dans le mon-
communs d‘investissement socialement respon-
de, meilleures sont les chances d‘inciter les in-
sables et soumis à un contrôle, est passé de 55
vestisseurs à en tenir compte et à s‘engager
en 1995 à 195 en 1999. En valeur de capital,
dans des mesures correctives.
les ISR ont augmenté deux fois plus que le taux
de l‘ensemble du marché financier entre 1997
Accords internationaux à l‘appui de
et 1999. La part des actifs privés administrés
l‘orientation des entreprises
par des investisseurs institutionnels s‘est fortement accrue. Elle s‘élève à 45 pour cent aux
L‘orientation et les réalisations sociales des en-
Etats-Unis, 52 pour cent au Royaume-Uni, 34
treprises transnationales peuvent être amélio-
pour cent au Japon et 29 pour cent en Allemagne.
rées par des directives fondées sur les accords
Ces fonds produisent un rendement qui n‘est ni
internationaux. Ce type d‘instrument existe
inférieur ni remarquablement supérieur aux
aujourd‘hui: Déclaration de principes tripartite
fonds non soumis à un contrôle. En 1999, le
de l‘OIT sur les entreprises multinationales et
total des avoirs des fonds de pension dans le
la politique sociale, adoptée en 1977 et modi-
monde avoisinait 13 500 milliards de dollars
fiée en 2000; Directives de l‘OCDE pour les
EU, d‘où les immenses possibilités d‘influer
entreprises multinationales, négociées et ap-
par ce moyen sur les politiques.
prouvées en 1976, puis révisées en 2000; et
La participation des travailleurs aux déci-
Directive européenne sur les comités d‘entre-
sions concernant les placements des fonds de
prises, adoptée par le Conseil des ministres de
pension augure bien en matière d‘investisse-
l‘Union européenne en 1994.
ments socialement responsables et permet de
La Déclaration de l‘OIT vise les questions
leur assurer des politiques qui leur sont favora-
suivantes: promotion et sécurité de l‘emploi,
bles. Dans les pays scandinaves, les travailleurs
formation, égalité des chances, conditions de
jouissent d‘un droit de vote concernant les
travail et relations professionnelles, notam-
placements des caisses de pensions publiques.
ment liberté syndicale, négociation collective et
Ainsi, au Danemark, ils disposent de la moitié
règlement des différends. Elle précise notam-
des voix dans les décisions à cet égard. Confor-
ment que les entreprises multinationales
mément à une convention collective, dans ce
devraient maintenir les normes de sécurité et
pays, qui fixe des directives en matière d‘inves-
de santé les plus élevées, conformément aux
tissements éthiques, il est possible de désin-
prescriptions nationales, compte tenu de leur
vestir immédiatement en cas de violations. Au
propre expérience. Elles devraient également
Royaume-Uni, en France et aux Etats-Unis, les
diffuser des informations en matière de nor-
conseils des fonds de pension sont tenus léga-
mes de sécurité et santé propres à leurs activi-
lement de respecter les principes éthiques, no-
tés locales et observées dans d‘autres pays; et
tamment les droits de l‘homme. Le Conseil
les représentants des travailleurs devraient re-
américain des investisseurs institutionnels (CII)
cevoir les informations requises pour mener
invite les conseils d‘administration à saisir
des négociations satisfaisantes. Les multinatio-
l‘occasion des décisions à prendre en matière
nales devraient s‘évertuer à offrir un emploi
d‘investissement pour donner effet aux droits
stable à leurs salariés et respecter les obliga-
des travailleurs conformément aux normes de
tions librement négociées concernant la stabi-
l‘OIT et à faire suivre les placements par des
lité de l‘emploi et la sécurité. Compte tenu de la
vérificateurs extérieurs indépendants. L‘effica-
souplesse dont elles peuvent bénéficier, ces en-
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
134
COMMENT FAIRE PROGRESSER LES NORMES INTERNATIONALES DU TRAVAIL
treprises devraient tenir un rôle de premier
emploie plus de 1 000 salariés dans l‘Union
plan dans la promotion de la sécurité de l‘em-
européenne, et plus de 150 dans deux Etats
ploi. Elles devraient annoncer dans un délai
membres au moins, d‘établir un comité d‘en-
raisonnable aux administrations publiques et
treprise. Elle dispose en matière de consulta-
aux représentants des travailleurs tous chan-
tions entre les représentants de la direction et
gements d‘activité aux fins d‘atténuer autant
les travailleurs, concernant principalement les
que possible les répercussions de ces change-
effets des IED, des acquisitions et fusions et des
ments.
restructurations d‘entreprises. Elle permet aus-
Les Directives de l‘OCDE sont des recom-
si une meilleure coopération par l‘échange d‘in-
mandations adressées par les gouvernements
formations et des mesures communes entre
aux entreprises multinationales. Elles s‘appli-
représentants des salariés de différents pays.
quent à 30 pays membres de l‘organisation,
En avril 2004, des comités ont été établis dans
ainsi qu‘à l‘Argentine, au Brésil, au Chili, à
751 entreprises transnationales, qui représen-
l‘Estonie, à la Lituanie, à la Slovénie et à Israël.
tent 35 pour cent des 2 169 sociétés visées par
Elles portent sur d‘importantes dispositions,
la Directive.
telles que la diffusion, à temps et régulièrement
A l‘heure actuelle, les échanges commer-
par les entreprises, d‘informations sûres et per-
ciaux des entreprises transnationales et entre
tinentes relatives à leurs activités, leur struc-
elles représentent environ un tiers des exporta-
ture, leur situation financière et leurs résultats;
tions mondiales. Les grandes entreprises con-
respect des normes fondamentales du travail;
tribuent pour une part importante aux investis-
fourniture aux représentants des travailleurs
sements internationaux. Les petites et moyennes
d‘informations utiles pour les négociations; ob-
entreprises, également, investissent de plus en
servation des normes sur l‘emploi et les rela-
plus en dehors de leur territoire national, jouant
tions professionnelles non moins favorables
ainsi un rôle sur la scène internationale. L‘amé-
que celles appliquées par des entreprises com-
lioration de l‘orientation sociale de ces entre-
parables dans le pays hôte; formation; protec-
prises en application des normes fondamenta-
tion de l‘emploi; santé et sécurité. L‘application
les permettrait de progresser grandement. La
des directives ne dépend pas de leur adoption
grande majorité des travailleurs dans le monde
par les entreprises. Elles sont étayées par un
continuent toutefois d‘être employés dans l‘éco-
dispositif d‘exécution élargi, où l‘ultime res-
nomie interne, y compris le secteur non struc-
ponsabilité incombe aux pouvoirs publics. A
turé. Les faire bénéficier des normes fonda-
cet égard, les directives diffèrent des codes de
mentales lance un véritable défi. Alors que les
conduite unilatéraux des entreprises. Les gou-
gouvernements nationaux et les organisations
vernements doivent établir au sein de leurs ad-
internationales sont les premiers responsables
ministrations des points de contact nationaux
de l‘observation des normes dans les entre-
qui sont chargés d‘entreprendre des activités
prises opérant aux échelons national et inter-
de promotion, mener des enquêtes et contri-
national, les organisations commerciales privées
buer à résoudre les problèmes éventuels. La
doivent s‘acquitter de leur propre responsabili-
Commission syndicale consultative auprès de
té sociale. Les entreprises, qui exigent des
l‘OCDE a élaboré un guide de l‘usager qui aide
droits exécutoires pour exercer leur activité,
à suivre les règles (TUAC, 2003).
doivent également accepter les obligations na-
La Directive européenne sur les comités
d‘entreprise demande à toute entreprise qui
tionales et internationales concernant leurs résultats dans le domaine social.
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
CONCLUSIONS
135
6. Conclusions
Ces dernières décennies, les progrès du déve-
économiques en tant que telles ces piètres ré-
loppement économique et social dans le monde
sultats. La raison profonde des disparités du dé-
n‘ont pas été satisfaisants. La prospérité mo-
veloppement participe de l‘inégalité des termes
yenne a augmenté dans les pays industrialisés
de l‘échange qui s‘enracine dans une répartition
et dans un certain nombre de nouvelles écono-
inéquitable du pouvoir entre les nations. Les
mies en Asie. En revanche, d‘autres régions
maux économiques et sociaux dominants dé-
n‘ont guère vu d‘améliorations, certaines ont
notent un déséquilibre manifeste dans la gou-
stagné et d‘autres encore se trouvent dans une
vernance mondiale, autrement dit l‘incapacité
situation pire qu‘il y a trente ans. S‘il est vrai
des décideurs à appliquer les règles mondiales
que, grâce essentiellement à l‘essor écono-
et établir les institutions qui peuvent relever les
mique en Chine et en Inde, la proportion mon-
défis de l‘interdépendance et l‘intégration éco-
diale de population vivant dans la misère a
nomiques. Les effets néfastes des mesures dans
baissé – à en croire les estimations de la Banque
un pays rejaillissent sur d‘autres pays. La gou-
mondiale –, le nombre absolu de personnes
vernance mondiale est nécessaire pour garan-
défavorisées n‘a pas diminué. Les personnes
tir un accès équitable aux marchés et la parti-
vivant dans la pauvreté comptent de nombreux
cipation de toutes les nations. En réalité, les
travailleurs en situation précaire. La propor-
pays ayant mis en place les institutions socia-
tion de personnes au-dessous du seuil de
les appropriées ont tiré d‘importants avanta-
pauvreté a augmenté dans un certain nombre
ges de l‘ouverture économique. Toutefois, la
de pays. Une proportion accrue de crises finan-
grande majorité des pays affichent des déficits
cières et économiques, les baisses de croissan-
sociaux et institutionnels, qui les placent à la
ce de la productivité, la stagnation ou la réduc-
merci des marchés internationaux. Dans leur
tion des salaires réels, une plus grande inégalité
cas, préconiser la libéralisation des marchés,
des revenus dans les pays et entre eux, une
avant que ne soient en place les institutions et
hausse des taux moyens de chômage et de
garanties sociales requises, fait plus de tort que
sous-emploi, ainsi qu‘une protection sociale in-
de bien, comme l‘atteste l‘effondrement des in-
suffisante alimentent ces tendances inquié-
dustries naissantes en Afrique subsaharienne.
tantes.
L‘objet central du présent rapport est de
Ces mauvais résultats contredisent le pro-
montrer que gouvernance et développement
grès attendu de la mondialisation économique,
mondiaux doivent s‘appuyer sur un cadre de
qui constitue un véritable tournant dans la se-
règles et d‘institutions sociales. Sans ces derniè-
conde moitié du XXe siècle. La doctrine éco-
res, la mondialisation économique ne produira
nomique traditionnelle annonce que le com-
pas de meilleurs résultats. Ce type de cadre est
merce et les investissements internationaux
déjà fourni par les normes internationales du
engendrent un rapprochement économique
travail universellement codifiées dans les con-
entre les pays. En réalité, toutefois, les écarts
ventions et recommandations de l‘OIT (le «code
de développement ont eu plutôt tendance à
international du travail»), ainsi que par d‘autres
s‘élargir. Mais ce serait une grave erreur de re-
accords internationaux. Les normes interna-
procher à l‘interdépendance et l‘intégration
tionales du travail concernent les principes et
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
136
CONCLUSIONS
droits fondamentaux au travail, tels que liberté
tie, la cohésion sociale et la stabilité politique.
syndicale et droit à la négociation collective, li-
S‘il est vrai que la croissance économique per-
berté de ne pas être soumis au travail forcé et
met d‘améliorer les conditions de travail, elle
au travail des enfants, et non-discrimination
dépend à son tour de l‘observation des normes
en matière d‘emploi et de profession. Parallèle-
fondamentales du travail. Dans cette perspec-
ment à ces instruments fondamentaux, le code
tive, les NIT sont à la fois la fin et le moyen du
international du travail porte également sur
développement. Tout indique que l‘organisa-
des normes techniques de protection sociale,
tion collective du marché du travail, la négo-
telles que sécurité sociale et santé et sécurité
ciation collective, le dialogue social, la sécurité
au travail, ainsi que sur des normes de promo-
sociale et la protection des groupes vulnérables
tion en matière d‘emploi et de perfectionne-
débouchent sur de meilleurs résultats écono-
ment des ressources humaines. Les normes
miques. L‘opinion que les NIT entravent le
fondamentales peuvent être considérées com-
commerce et les investissements n‘a suscité
me les conditions propices à l‘amélioration des
aucun soutien concret.
normes sociales.
Les avantages accumulés d‘une adhésion
En maints pays, les NIT ne sont pas res-
aux normes intéressent tous les pays, indépen-
pectées ou appliquées. De graves violations des
damment de leur degré de développement. La
droits fondamentaux des travailleurs sont même
conviction largement répandue que les pays en
commises. Le non-respect des règles internatio-
développement tireraient de l‘application des
nales n‘est pas propre au domaine du travail. Il
NIT des désavantages économiques n‘est guère
est également caractéristique d‘autres domai-
soutenable. Aucune raison financière solide ne
nes, tels que l‘environnement. A cet égard, un
justifie la non-observation des droits fondamen-
traité international – Convention-cadre des
taux des travailleurs; les pays peuvent égale-
Nations Unies sur le changement climatique – a
ment se permettre de respecter les normes so-
été signé en 1992 et suivi du Protocole de Kyoto
ciales techniques s‘ils se mettent au diapason
en 1997. De grands pays, notamment les plus
des capacités économiques locales. Les argu-
pollueurs du monde, ont cependant refusé jus-
ments qui prétendent que les normes sont trop
qu‘à ce jour de signer l‘accord ou de modifier
coûteuses pour les pays pauvres résistent rare-
leur comportement.
ment à l‘examen. Les NIT peuvent même pré-
Les raisons de la non-adhésion aux nor-
senter un plus grand intérêt pour les pays en
mes sont principalement politiques. Il n‘existe
développement du fait même de la concurren-
aucun motif impérieux de ne pas s‘y conformer
ce salariale féroce entre de nombreux pays du
pour des raisons économiques. Bien au contrai-
Sud, en particulier dans les entreprises à fort
re, le présent rapport relève un certain nombre
coefficient de main-d‘œuvre. Leur signification
d‘avantages économiques, sociaux et politiques
et leurs effets ne sont pas toujours appréhen-
qui peuvent découler de l‘application des NIT.
dés. Leur application ne s‘accompagne pas
Les normes peuvent favoriser la croissance
d‘une stabilisation des coûts de main-d‘œuvre
économique de diverses façons: elles contri-
dans tous les pays. Les normes de l‘OIT pres-
buent à relever la productivité, en particulier le
crivent des salaires, avantages sociaux et nor-
dynamisme; constituent une condition sine qua
mes de sécurité et santé minimaux, mais n‘exi-
non de la souplesse sur le marché du travail;
gent pas qu‘ils soient les mêmes partout: ils
elles rendent l‘ouverture des marchés accepta-
doivent être compatibles avec la situation lo-
ble et viable; elles encouragent l‘égalité en ma-
cale et la réalité économique. Avec l‘applica-
tière d‘emploi et de revenu et elles soutiennent
tion des NIT, le risque de mesures protection-
une répartition équitable du produit national.
nistes est moindre. La protection sociale, qui
En dernier lieu, elles encouragent la démocra-
met les travailleurs à l‘abri des séquelles des
FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
CONCLUSIONS
137
ajustements structurels, des investissements
médiocres sert de justification «classique» aux
commerciaux et étrangers, est la parade au
NIT. Toutefois, une raison d‘être, plus large,
protectionnisme sous forme de restrictions aux
permet d‘affirmer que les NIT sont dépositai-
importations sur les marchés des produits pri-
res des connaissances et données d‘expérience
maires.
dans le monde sur l‘utilisation des ressources
Les effets économiques et bénéfiques des
en main-d‘œuvre et le règlement des diffé-
NIT dépendent de la réglementation de la con-
rends. Les NIT représentent l‘expérience accu-
currence sur le marché du travail. Ils empê-
mulée dans le monde en matière de bonnes
chent une concurrence destructive et en aval
pratiques dans le domaine du travail et la met-
en fixant un plancher salarial ainsi que d‘autres
tent à disposition dans l‘intérêt général. Ainsi,
conditions d‘emploi et elles encouragent une
elles peuvent être considérées comme des biens
concurrence constructive en incitant les entre-
publics internationaux. Les instruments norma-
prises à améliorer leurs résultats par une meil-
tifs de l‘OIT fixent les objectifs des politiques
leure gestion, formation des ressources humaines
sociales nationales et définissent les moyens de
et coopération entre travailleurs et employeurs.
les atteindre, en s‘inspirant de l‘expérience ac-
Les entreprises qui ne satisfont pas à la norme
quise depuis plus de 80 ans. Les enseignements
sur les rémunérations ne peuvent survivre. Des
qui en sont tirés évitent aux pays de recourir
entreprises plus efficaces prennent leur part de
aux mêmes errements, souvent douloureux,
marché et ainsi se redynamisent. L‘application
pour résoudre comme il convient les problè-
des NIT exige des employeurs et cadres diri-
mes du travail. La diffusion des connaissances
geants compétents. En fermant la «voie infé-
inhérentes aux NIT s‘opère par une formula-
rieure» de l‘inertie, de l‘autosatisfaction et du
tion appropriée, leur suivi et la coopération
recours aux bas salaires sous prétexte de com-
technique. L‘adoption d‘un instrument de l‘OIT
pétitivité, les NIT stimulent une gestion nova-
exige une majorité des deux tiers des votes ex-
trice et créatrice, ouvrant ainsi une «voie supé-
primés à la Conférence internationale du tra-
rieure» au développement.
vail par les représentants (gouvernements, em-
Les normes minimales font échec au ma-
ployeurs et travailleurs) des Etats Membres de
rasme du marché du travail qui existait dans
l‘Organisation. Les normes s‘appliquent par
les pays industrialisés avant l‘adoption d‘une
conséquent à tous les pays.
législation protectrice et de la négociation col-
Pourquoi les NIT, si elles sont favorables
lective. Aujourd‘hui, se reproduit la même spi-
au développement économique et social, ne
rale descendante dans de nombreux milieux.
sont-elles pas en permanence respectées? Plu-
Avec une main-d‘œuvre fortement excédentai-
sieurs raisons l‘expliquent.
re, la marge de manœuvre qui permet des
La première tient aux conceptions erro-
baisses sans restrictions entraîne avec elle une
nées des NIT et à la recherche d‘intérêts locaux
moindre efficacité, de bas salaires, une pauvre-
et particuliers. Souvent, entreprises et gouver-
té massive et une croissance démographique
nements croient y gagner davantage en visant
élevée qui, à son tour, augmente l‘offre de main-
l‘intérêt individuel et non l‘intérêt général. La
d‘œuvre et fait baisser encore les salaires. Elle
présence de cadres dirigeants insuffisamment
prépare le terrain pour le travail des enfants. Le
qualifiés et peu clairvoyants demeure l‘un des
marché du travail entièrement libre ne peut
principaux obstacles aux progrès dans le do-
briser ce cercle vicieux: une intervention s‘im-
maine des normes du travail. Les objections de
pose sur les marchés par des mesures publi-
poids aux NIT procèdent des doctrines de l‘éco-
ques et privées.
nomie néolibérale, devenue une orthodoxie.
La prévention de conditions d‘emploi infé-
Celle-ci continue de concevoir étroitement le
rieures aux normes et de conditions de travail
marché du travail comme un marché de pro-
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138
CONCLUSIONS
duits de base; elle considère presque exclusive-
des conditions indispensables au rétablisse-
ment le marché comme un lieu d‘échange, sans
ment de l‘équilibre des pouvoirs sur les mar-
tenir compte des activités de production et des
chés du travail.
relations sociales qui le régissent; elle méjuge
Deuxième obstacle majeur à l‘avancement
les questions importantes du pouvoir que repré-
des normes, les «politiques économiques et so-
sentent les relations du marché, surtout quand
ciales ne sont pas intégrées et l‘action n‘est
elle fait abstraction de l‘inégalité des pouvoirs
pas coordonnée» entre décideurs. Cette consta-
entre employeurs et travailleurs; elle minimise
tation s‘applique tant aux gouvernements na-
la nécessaire réglementation et organisation
tionaux qu‘aux institutions internationales du
collective du marché du travail qui permet de
système multilatéral. Les politiques des organi-
corriger les disparités et d‘y agir de façon auto-
sations internationales étant souvent divergen-
nome; et tout en partant du principe que les
tes, les avis fournis aux décideurs s‘opposent.
forces du marché se rétablissent d‘elles-mê-
Récemment, les IFI, en tant qu‘organismes très
mes, elle en conteste ou sous-estime les don-
puissants et prépondérants au plan financier,
nées concrètes ou le rééquilibrage. La théorie
ont pris une position plus favorable à l‘égard
néoclassique est déterministe en ce sens qu‘elle
des NIT, sans toutefois concrétiser jusqu‘à pré-
affirme qu‘il n‘existe qu‘une seule solution aux
sent par leurs directives, cet engagement. Elles
problèmes du travail (principe de la «taille uni-
continuent d‘avoir des réserves ou objections
que»). Ce déterminisme ne laisse aucune place
quant aux nombreuses normes sociales prescri-
au choix et à la négociation stratégique, ni ne
tes par le code international du travail. L‘em-
tient compte des circonstances propres aux
ploi qui est au cœur du développement mérite
institutions et de la quête commune de solu-
une plus grande priorité dans les politiques des
tions appropriées. Amartya Sen, éminent éco-
organisations financières. Une politique macro-
nomiste du développement, a prouvé que nous
économique coordonnée, qui ne vise pas exclu-
sommes rarement contraints de faire des choix
sivement la stabilité monétaire et budgétaire,
inéluctables entre des objectifs tels qu‘efficacité
mais favorise l‘accroissement et l‘emploi, est
et équité, ou souplesse et sécurité. Ce type de
nécessaire d‘urgence.
choix procède d‘un raisonnement rudimen-
Le troisième obstacle tient au changement
taire. Quand ils se présentent, c‘est l‘action
radical dans l‘équilibre du pouvoir dans les
gouvernementale qui peut les concilier.
marchés du travail tant locaux qu‘internatio-
Les institutions du marché du travail, ainsi
naux, au détriment de la main-d‘œuvre. Cet
que leurs règles et réglementations, que la doc-
effritement du pouvoir résulte de l‘affaiblisse-
trine économique considère comme des pesan-
ment du syndicalisme en de nombreux endroits.
teurs et des déformations, sont nécessaires pour
Dans une large mesure, il est lié à la mondiali-
le fonctionnement des marchés. Elles peuvent
sation qui a ouvert de nouvelles voies stratégi-
corriger les défauts du marché tels que la dis-
ques aux employeurs, telles que la délocalisa-
crimination qui fausse la concurrence loyale
tion et l‘externalisation de la production et des
sur le marché du travail. Des interventions
services. La simple menace de transférer ces
s‘imposent pour assurer l‘égalité des chances
derniers suffit à modifier l‘équilibre du pouvoir
et de traitement en matière d‘emploi ou de
de négociation en faveur des employeurs. Dans
profession, en particulier pour les travailleurs
un grand nombre de pays en développement,
qui sont vulnérables et ont des besoins particu-
les organisations syndicales ont pâti des poli-
liers. La liberté syndicale et la négociation col-
tiques de gouvernements qui cherchent à obte-
lective, de même que la protection sociale, sont
nir des avantages concurrentiels en conservant
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CONCLUSIONS
139
des ZFE dépourvues d‘organisation collective
aux employeurs et aux travailleurs un plus
des travailleurs. Les taux plus élevés du chô-
grand rôle dans la conception et l‘exécution de
mage et l‘évolution stratégique rapide ont en-
stratégies visant la réduction de la pauvreté.
traîné une perte des adhésions et de l‘influence
L‘adhésion aux normes fondamentales du tra-
des syndicats. Des organisations syndicales,
vail devrait être un élément intrinsèque de leur
nationales ou internationales ont pris des ini-
politique de crédit et de contrats d‘achat. Il faut
tiatives pour déjouer les tendances mondiales
renforcer, notamment dans les pays en déve-
par le biais de négociations avec des entreprises
loppement, la capacité administrative et les
et des organisations internationales. Il s‘agit
compétences des cadres dirigeants en matière
notamment de la mise en place de réseaux syn-
d‘application des normes internationales du
dicaux dans les multinationales et d‘accords-
travail. Non seulement, il faut cesser de suppri-
cadres entre les fédérations syndicales multi-
mer des syndicats, mais il faut leur fournir un
nationales et internationales, dont le nombre
ferme appui, en tant que parties prenantes et
tend à croître.
motrices essentielles des NIT.
La législation du travail est une condition
Pour faire progresser les NIT, il faudrait
majeure nécessaire à l‘application des normes
accorder aux différents intervenants, en contre-
du travail, mais non suffisante. Un cadre direc-
partie de l‘application des normes, des avanta-
tif propice s‘impose pour promouvoir efficace-
ges, tels qu‘un traitement préférentiel, dans les
ment les NIT. Il doit comprendre une analyse
politiques commerciales et financières pour les
qui, loin de porter préjudice aux NIT, est conçue
pays et entreprises qui les respectent. Les me-
pour reconnaître et évaluer la part constructive
sures répressives – sanctions commerciales et
des normes dans le développement. Les NIT ne
suppression de l‘aide publique – ne devraient
progresseront pas sans une volonté politique
servir qu‘en dernier ressort lors de violations
claire. Parallèlement aux engagements interna-
persistantes des normes fondamentales du
tionaux (y compris les conclusions du Sommet
travail. La diversité des institutions et toute
mondial sur le développement social et autres
mesure concrète pour appliquer les normes
accords internationaux), les objectifs sociaux
devraient d‘une manière générale être bien ac-
liés aux NIT doivent devenir des priorités dans
cueillies. Les entreprises ont de vastes possibi-
l‘élaboration des politiques nationales et inter-
lités de manifester une plus grande responsa-
nationales. Le fossé entre besoins théoriques et
bilité sociale. Toutefois, il faut veiller à ce que
pratiques doit être comblé. Gouvernements na-
les initiatives privées visant à encourager l‘ap-
tionaux et institutions internationales doivent
plication des NIT, telles que les codes de
placer sur un pied d‘égalité les politiques so-
conduite et les labels, n‘empêchent ni ne rem-
ciales et économiques, les intégrer dans un
placent la surveillance par les administrations
train de mesures compatibles et systématiques
publiques, n‘affaiblissent les normes, ou n‘in-
et coordonner leur action en conséquence. Les
citent à les appliquer de façon sélective. C‘est
IFI doivent permettre une représentation plus
en définitive aux gouvernements qu‘incombe
équitable des parties prenantes dans leurs con-
la responsabilité de faire appliquer les normes
seils d‘administration et également accorder
internationales du travail (NIT).
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FRIEDRICH-EBERT-STIFTUNG
Fondée en 1925, la Friedrich-Ebert-Stiftung, qui est la plus
ancienne fondation politique en Allemagne, est une institution privée d’utilité collective qui promeut les idées de la
social-démocratie. Elle doit son nom au premier Président de
l’Etat allemand qui fut élu démocratiquement, Friedrich Ebert,
et s’inscrit dans son œuvre politique en matière d’aménagement
de la liberté, de la solidarité et de l’équité sociale. La Fondation se consacre à cette mission en Allemagne et à l’étranger
à travers ses programmes d’éducation politique, de coopération ainsi que de promotion des études et de recherche.
ISBN 3-89892-
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