Sous réserve de modifications. Seul le texte prononcé fait foi. Le discours on-line: www.bundespraesident.de page 1 du 3 Allocution de bienvenue prononcée par Monsieur Joachim Gauck, Président de la République fédérale d’Allemagne, à l’occasion de la matinée commemorative “1914 – 2014 : cent ans d’Europe” le vendredi 27 juin 2014, au château de Bellevue Nous abordons la troisième et dernière partie d’une journée, placée sous le signe de la mémoire et de l’avenir dans une dimension européenne, en commémoration de la Première Guerre mondiale et des cent ans d’Europe qui ont suivi. Ce matin, nous avons entendu parler des différentes narrations européennes, nous avons vu combien les récits de la guerre diffèrent en Europe, et nous nous sommes demandés dans quelle mesure il serait possible, peut-être, de parvenir à un récit européen commun. Cet après-midi, nous nous sommes interrogés sur les enseignements politiques et historiques que l’Europe a tirés de la guerre, sur ceux qu’elle n’en a pas tirés et sur ceux qu’elle pourrait ou devrait en tirer aujourd’hui, au vu précisément des développements en cours. Ces interrogations portent souvent sur des sujets abstraits et collectifs, sur les peuples, les groupes ethniques et les pays; il est question alors de territoires, de structures, de processus, de frontières, d’alliances, de marchés et de systèmes. Mais c’est l’être humain, l’individu qui est à la racine du processus historique. C’est lui qui souffre ou se réjouit, s’angoisse à mort ou revit soulagé, aime ou hait, ressent de la pitié ou frappe impitoyablement, lui qui est blessé ou assène des blessures, qui est gazé ou envoie à la chambre à gaz, qui fusille ou est fusillé. C’est lui qui meurt ou survit. Au front et à l’arrière ou chez lui. VERANTWORTLICH ANSCHRIFT TEL / FAX E-MAIL INTERNET Ferdos Forudastan Bundespräsidialamt 11010 Berlin 030 2000-2021/-1926 [email protected] www.bundespraesident.de Page 2 of 3 Nous ne pouvons pas clore cette journée commémorative dédiée à la mémoire et à l’avenir sans songer à ce qui a été infligé à des millions de personnes. On peut affirmer que pas un destin individuel, ou du moins pas un destin européen, n’a échappé d’une façon ou d’une autre au sceau de cette guerre, et que des millions d’entre eux y ont été abruptement anéantis. Aucune autre guerre en Europe n’avait causé jusqu’alors de telles masses de blessés, de mutilés et de morts. Dans aucune autre guerre auparavant, la mort et le meurtre n’avaient eu ce caractère presque industriel et massif, pour ainsi dire anonyme. Et pourtant, chaque soldat, chaque civil, chaque enfant, chaque mère, chaque frère, chaque fils, chaque amie a un nom, a une biographie. C’est toujours le reflet de la guerre dans la vie de chaque individu qu’elle meurtrit, humilie, asservit, exploite ou détruit qui fait apparaître dans toute son ampleur l’horreur et la terreur de cette guerre. Mais l’art préserve l’expérience de chacun et de tous. C’est l’art qui peut nous faire appréhender ce que la Grande Histoire – dans ce cas précis, la “Grande Guerre” – fait de la vie des gens ordinaires et comment elle procède. C’est l’art qui nous rappelle ce que signifie en temps de guerre le mot “vital”: la survie réduite à sa plus simple expression face à une menace de mort omniprésente. La Première Guerre mondiale était précisément aux yeux des contemporains une guerre contre la culture et la civilisation. Dans les campagnes de propagande, le premier reproche fait à la partie adverse était sans cesse qu’elle s’attaquait aux valeurs culturelles. Dès le départ, la destruction par les Allemands de la vénérable bibliothèque de Louvain fut un choc pour tous les observateurs civilisés, et davantage encore le fait que des artistes et intellectuels allemands justifièrent cet acte barbare. L’un des phénomènes réellement incompréhensibles de la Première et de la Seconde Guerre mondiale est que la culture et la civilisation qui avaient indiscutablement marqué de leur empreinte l’Allemagne et ses voisins européens, que l’éducation, la philosophie, la religion dont les sociétés se savaient ou se croyaient profondément imprégnées n’aient pas pu empêcher cette catastrophe et cette idéologie barbare. Pis encore: que la culture et la religion aient même souvent servi à justifier ces meurtres en masse. L’enseignement que nous en avons peut-être tiré est qu’il ne peut y avoir de culture sans donner une voix et un corps à chacun. Aussi grande, riche, opulente dans sa diversité que soit la culture, une chose est sûre: si elle veut rester humaine, c’est-à-dire garder l’échelle humaine, elle ne suit pas des directives idéologiques, elle reste toujours à l’écoute de la voix à peine perceptible de chaque personne qui souffre. Et elle se dresse aussi pour protéger toute personne qui est menacée, par quelque puissance que ce soit. Page 3 of 3 Depuis la naissance de l’Occident, le drame de l’existence humaine, quelle que soit sa forme, s’exprime dans le théâtre. Je me réjouis donc que nous ayons aujourd’hui l’occasion d’assister, devant le château de Bellevue, à une soirée théâtrale inhabituelle et qui correspond à tous points de vue à l’événement d’aujourd’hui. J’ai hâte de voir le Théâtre Thalia de Hambourg nous présenter des extraits de “Front”, une coproduction conçue et réalisée avec le Théâtre flamand de Gand. Loin de moi l’idée d’anticiper sur ce que nous allons vivre ensemble. Je me contenterai de dire que je trouve tout à fait symbolique le fait que le théâtre partenaire du projet vienne de Gand, de Flandre donc, cette région de la Terre dans laquelle la guerre a fait des ravages particulièrement grands et sur laquelle porte un poème, parmi les plus célèbres, qui rend hommage individuellement à chacun des morts. Voici un extrait de ce poème écrit par le lieutenant-colonel canadien John McCrae le lendemain de la mort de son ami : “We are the Dead. Short days ago. We lived, felt dawn, saw sunset glow, loved, and were loved, and now we lie in Flanders Fields”. Mesdames et Messieurs, Je vous remercie de votre attention.