MYTHES, RITES, SYMBOLES DANS LA SOCIÉTÉ CONTEMPORAINE

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MYTHES,
RITES, SYMBOLES
DANS LA SOCIÉTÉ
CONTEMPORAINE
@ L'Harmattan, 1997
ISBN: 2-7384-5245-0
Sous la direction de
Monique SEGRÉ
MYTHES, RITES, SYMBOLES
~
~
DANS LA SOCIETE CONTEMPORAINE
Éditions
L'Harmattan
5- 7, rue de l'École-Polytechnique
75005 Paris
L'Harmattan
Inc.
55, rue Saint-Jacques
Montréal (Qc) - CANADA H2Y IK9
Avant-Propos
A partir du moment où a émergé la notion de société industrielle, en
1839 avec Auguste Comte (volume 4 du Cours de philosophie positive),
on n'a cessé d'y voir une rupture avec l'ordre ancien:
à l'absolu
s'opposerait le relatif ou le mesurable, aux solidarités communautaires
l'individualisme, aux. hiérarchies la citoyenneté, à l'imaginaire le positif.
Des esprits chagrins ont dénoncé la fin de la famille, des terroirs, de la
religion, au profit d'un culte sans rivage du Veau d'or. On a parlé de
désintégration
du lien social, de pathologie sociale, d'aliénation,
de
destruction des moeurs.
A y regarder de près néanmoins, les sociétés contemporaines se sont
réappropriées des formes anciennes plus qu'elles ne les ont détruites. La
première société industrielle, celle de la Grande-Bretagne de Victoria, a
utilisé à son profit les valeurs familiales, aristocratiques, terriennes et
religieuses. Les entreprises de la révolution industrielle ont intégré en leur
sein la sociabilité de type familial ou villageois, leur donnant à l'occasion
une nouvelle jeunesse. Le conservateur Paul Bourget, visitant les EtatsUnis en 1893-1894, y retrouvait avec jubilation une énergie vitale
Mythes, rites, symboles, dans la société contemporaine
créatrice et une moralité qui hiérarchisait la démocratie selon un ordre
digne des sociétés traditionnelles.
Dans cette perspective, il n'est pas
aberrant d'étudier les sociétés contemporaines comme celles qui les ont
précédées: elles ont autant qu'elles besoin de mythes, de rites et de
symboles pour donner sens à l'existence sociale, qui ne peut pas être
vécue dans la stricte rationalité instrumentale. Du point de vue théorique,
il n'y a aucune raison que des concepts dérivés de l'anthropologie
s'appliquent à un type de société et non à un autre, même si le matériau
documentaire diffère ainsi que les méthodes d'investigation. On pourrait
transposer dans la modernité bien des outils utilisés par un Paul Veyne,
un Jacques Le Goff, un Lucien Fèbvre, pour ne citer que des exemples
d'anthropologie historique.
Est-ce à dire que rien n'ait changé dans l'ordre de l'imaginaire social?
Bergson a pu parler d'une frénésie industrielle et technicienne où la
société risque de se clore sur ses oeuvres: ces oeuvres ne tuent pas la
liberté d'inventer, de rêver ou de croire et le processus symbolique, même
s'il n'y a plus d'arrière-monde. La nouveauté est que l'individu a quitté les
certitudes d'antan, les ordres hiérarchiques figés, la représentation fixe:
être en mouvement, ballotté par les tendances de l'opinion et le jeu des
apparences, il élabore des images et des symboles sur une sorte de scène
sociale où l'on doit se reconnaître, se protéger, se réassurer, se démarquer.
Dès lors, chacun est tenté de recréer ses propres mythes, rites et
symboles, en puisant dans les vastes gammes d'invariants accumulés dans
le patrimoine de l'humanité, et ces compositions provisoires ont une
grande vitesse d'usure.
En cette fin du XXe siècle, qui voit l'écroulement de bien des mythes
collectifs, la disparition de rites hérités trop rigides, la difficulté à entrer
dans de vraies. fêtes collectives à grande échelle, au profit d'un repli sur le
privé et l'intime, nous sommes plus sensibles à ce qui surgit ici et là,
8
A vant- Propos
même marginalement, dans les petites communautés, les faits presque
ordinaires, les condensations qui ne durent pas, la "joie par spasmes" et la
"douleur par hoquets" des groupes éphémères dont parlait déjà Jules
Romains dans un beau texte de 1911, Puissances
de Paris. Libre
expression d'un désir peut-être, mais d'un désir domestiqué dans un âge
qui reste référentiel, et moins affranchi qu'il n'y paraît d'abord.
Au L.I.R.E.S.S (Laboratoire interdisciplinaire de recherche et d'étude
en sciences sociales), dont j'ai été le directeur, Monique Segré a animé
avec compétence et finesse une réflexion pertinente sur ces thèmes, pour
laquelle je la remercie. Elle a su regrouper
une bonne gerbe de
contributions venant d'horizons divers. Elle a cherché d'abord à illustrer
l'intérêt, mais aussi la difficulté, de l'approche méthodologique plurielle,
la grande question étant de croiser les approches de l'anthropologie et de
la sociologie: mais l'essentiel n'est-il pas de faire parler le terrain? Elle a
réussi aussi à éclairer des aspects contrastés du social sous différentes
échelles, passant de l'individuel
au collectif sans définir de façon
préconçue ce qui devait l'emporter dans l'ordre et le désordre, le rassurant
et l'inquiétant, le familier et l'étrange, curieuse des variables qui font du
sens. Cette réflexion sera poursuivie
au sein de l'D.M.R.-I.D.H.E.
(Institutions et Dynamiques historiques de l'Économie), dans laquelle a
été intégré le L.I.R.E.S.S.
Jean-Pierre DAVIET, U.M.R.-I.D.H.E.
Professeur des Universités, É.N.S. Cachan.
9
PRÉSENTA TI ON
Monique
Chercheur
(Institutions
SEGRÉ
à l'U.M.R.
et Dynamiques
l'Economie)
I.D.H.E.
historiques
de
Présentation
La logique marchande soumet aujourd'hui la société contemporaine à sa
rationalité économique inéluctable; le développement accru des sciences et
des techniques
accompagné de la progression des savoirs viennent
renforcer les croyances en l'efficacité de la rationalité et de l'utilitarisme.
En même temps l'ordre marchand tant prôné se révèle créateur de
désordres,
détruisant
les liens sociaux qui se sont historiquement
constitués, annulant les identités nationales et se trouvant à l'origine de
phénomènes
d'exclusion.
Si le développement
des sciences et des
techniques se présente comme générateur de bienfaits, il engendre aussi
des méfaits; investi d'une puissance mystérieuse il suscite des angoisses et
l'insécurité. La rationalité, l'efficacité, l'utilitarisme masquent des
phénomènes qui parfois surgissent brutalement de façon irrationnelle et
explosive.
Des mythes apparaissent et disparaissent,
des conduites
rituelles porteuses de significations nouvelles sont perceptibles, elles
exigent une analyse approfondie.
Les sociologues ne semblent pas toujours posséder les outils d'analyse
qui leur permettent d'identifier et de comprendre les multiples
13
Mythes, rites, symboles, dans la société contemporaine
transformations qui affectent la société sous l'impulsion d'une logique
marchande qui semble envahir toutes les parties de l'ensemble social et
dont le sens, destructeur des anciennes significations, échappe. Mais les
frontières entre les disciplines ne sont plus étanches, les sociologues ont
senti la nécessité de s'approprier les approches de l'histoire afin de cerner
sur le long terme les transformations sociales et de saisir les éléments de
continuité et de rupture, comme de leur côté les historiens ont acquis une
familiarité avec les méthodes de la sociologie.
P. Bouvier, dans son ouvrage récent, "Socio-Anthropologie
du
contemporain",l vient utilement nous rappeler combien il serait fructueux
que les sociologues s'emparent des concepts et des méthodes de
l'anthropologie, car ceux-ci "peuvent aujourd'hui apporter un éclairage
nouveau et complémentaire à notre société de plus en plus fractionnée"
d'autant plus que l'on assiste à "la remise en cause des systèmes
explicatifs et des modes de légitimation du sociétal" et que, indique
l'auteur "Pour essayer de redonner du sens à leurs pratiques les individus
et les collectifs se tournent de nouveau vers des modes d'identification où
prévalent plus le symbolique que les argumentaires de la rationalité". Or
"L'importance que l'ethnologie accorde aux faits symboliques, et ce
depuis ses premières recherches, peut rencontrer nous semble-t-il d'assez
près les interrogations et les attentes de notre modernité".
Plusieurs journées de réflexion2 ont été consacrées au thème: "mythes,
rites, symboles dans la société contemporaine" et il était logique que la
parole fût donnée en premier lieu à P.Bouvier. Il montre que les outils
sociologiques
élaborés dans le contexte social spécifique des Trente
1 BOUVIER, P., Socio-Anthropologie du Contemporain, Paris, Galilée, 1995.
2 dans le cadre du LIRESS dirigé par J.P.Daviet. Le LIiŒss s'est intégré à l'UMR
IDHE à partir de 1997
14
Présentation
Glorieuses étaient centrés sur les phénomènes de progrès, de mobilité
sociale ascendante, d'insertion sociale et constate que ces concepts se
révèlent inadéquats aujourd'hui. Cette inadéquation devenue patente, la
perplexité des sociologues face à la complexité sociale font partie des
raisons qui les amènent à s'enquérir des méthodes de l'anthropologie. De
leur côté, les anthropologues s'intéressent de plus en plus aux sociétés
modernes et l'abordent avec leurs propres outils d'analyse; la rencontre
entre les deux disciplines est ainsi favorisée. Pour cerner l'enchevêtrement
des phénomènes qui caractérisent la société contemporaine, P. Bouvier
nous invite à aller au plus près de la réalité quotidienne par immersion de
longue durée et en analysant "des ensembles populationnels cohérents, à
identifier les représentations, valeurs, pas toujours formulées mais
présentes, à saisir toutes les multiples facettes d'un même phénomène pour
en saisir le sens". On verra que les interventions qui se sont succédé au
cours de ces deux journées proposent des modalités de recherche proches
des orientations du conférencier. Ce dernier met l'accent sur un des
mythes fondateurs de notre société, mythe que la réalité sociale
d'aujourd'hui est venue contredire avec brutalité: le mythe du Progrès.
La société contemporaine n'élabore-t-elle pas de nouveaux mythes qu'il
s'agit d'identifier?
L'ordre marchand ne relève-t-il
pas du mythe?
L'abondance des moyens de communication de plus en plus diversifiés et
étendus
ne sont-ils pas à l'origine
communication"
analysé
par Erik
du mythe de la "société
Neveu3?
Celui-ci
de
indique:
"L'annonciation de la société de communication s'articule autour de cinq
promesses:
abondance, démocratisation, autonomie des individus,
mondialisation,
contraction de l'espace-temps.
3 NEVEU, E., Une société de communication?
1994
n
Dans son ouvrage il
Paris, Montchrétien, ClefslPoIitique,
15
Mythes, rites, symboles, dans la société contemporaine
analyse et réfute ces cinq promesses, étudie les déterminants sociaux du
mythe et s'intéresse aux agents sociaux qui du fait de leur profession,
contribuent directement ou indirectement au maintien et à la diffusion des
croyances en la société de communication.
D'autres travaux élucident "nos" mythes. On ne manquera pas de
souligner combien les moyens audiovisuels sont devenus les supports
essentiels des mythes de notre société contemporaine. Hélène Puiseux4
propose lors de ces journées un cas exemplaire et actuel: elle analyse la
mythologie du nucléaire dans la production filmique et télévisuelle depuis
1949 montrant comment s'élabore et se transforme cette mythologie,
comment elle est manipulée au service d'une idéologie. L'histoire mise en
scène, le choix des images, leur agencement ont à la fois pour effet de
montrer et de masquer la réalité des destructions du nucléaire. C'est après
le choc dû à l'explosion de la bombe lancée par les américains sur deux
villes du Japon, Hiroshima et Nagasaki que les films sur le nucléaire ont
surgi et se sont multipliés. Hélène Puiseux suit sur plus de quarante ans
les glissements qui s'opèrent dans les manières d'orienter les récits et les
images car le mythe, par définition, ne cesse de renvoyer au réel mais en
opérant des choix. Au fil des ans et des transformations de la réalité sociale
et politique mondiale, les films se modifient: ils exorcisent les peurs, les
canalisent pour ensuite justifier indirectement l'utilisation du nucléaire
(contre des "monstres") et rendre enfin le nucléaire vivable, familier à
notre monde à l'époque des expériences nucléaires. Le point de départ de
la mythologie filmique du nucléaire est le chaos, la destruction totale et
ravageante accompagnés du silence tout aussi total sur les causes et les
responsabilités
de cette apocalypse, silence qui se poursuit lors des
commémorations de 1995. Dans les mythes modernes les héros ne sont
4 PUISEUX, H., L'Apocalypse nucléaire et son cinéma, Paris, ed. du Cerf, coll.7e Art,
1988.
16
Présentation
plus les dieux antiques mais les hommes devenus détenteurs du pouvoir de
destruction. Le mythe rassemble des faits en les bricolant, il dévoile en
dissimulant et a pour fonction de légitimer une situation, de la faire
accepter par une vaste entité sociale; il a donc de fortes ressemblances avec
l'idéologie.5
Gabriel Segré se réfère explicitement à la définition du mythe dans les
sociétés traditionnelles tel qu'il a été analysé par les ethnologues. Le
mythe, récit qui se veut véridique conte l'origine du monde et met en scène
les exploits des personnages sacrés, lesquels constituent des modèles
exemplaires. G. Segré montre la similitude entre les écrits où sont racontés
les événements de la vie d'E. Presley et les récits mythiques traditionnels
et analyse comment dans ces biographies, récits mythiques modernes, sont
magnifiées la vie et les qualités de ce chanteur, héros sacralisé auquel
s'identifie l'américain moyen. Symbolisant par sa conduite la fin des
tabous et des interdits de la société américaine E. Presley consacre aussi
par sa réussite fulgurante les valeurs d'ordre et les croyances en
l'ascension sociale conformes au rêve américain.
Les rites ont fait l'objet de plusieurs interventions. Aujourd'hui où les
repères s'effritent, où les normes se diluent, il semble que les rites sont
une manière de raviver les liens sociaux, de se référer à des valeurs
anciennes mais renouvelées ou nouvelles qui témoignent d'un retour du
sacré, comme le souligne G. Balandier6. Claude Rivière a consacré un
ouvrage aux rites profanes 7, son intervention sur "structure et contrestructure des rites" ouvre des perspectives de recherche fructueuses. Il
5 RIVIERE, C., Mythes modernes au coeur de l'idéologie, Cahiers internationaux de
sociologie, Vol.XC, 1991
6 BALANDIER, G., Le sacré par le détour des sociétés de tradition, in Cahiers internationaux de
sociologie, vo1.1oo, 1996, numéro fiLangages, symboliques, représentations".
7 RIVIERE, C., Les rites profanes, Paris, P.U.F., 1995.
17
Mythes, rites, symboles, dans la société contemporaine
d~finit le rite et présente ses caractéristiques essentielles qui constituent
des références avant de proposer une analyse de la contre-structure du rite.
Le rite n'est pas figé, il a une vie propre, des désordres,
improvisations
sont possibles; il est amené à se transformer
des
ou à
disparaître selon la force de la créativité du social. La mise en évidence de
ses multiples dimensions fait du rite un phénomène social riche, complexe,
aux facettes diversifiées, voire contradictoires. La variété des exemples qui
nous sont proposés montre que le rite est toujours actuel. On ne peut que
rappeler ici les remarques de Mary Douglas:
"Animal social, l'homme est un animal rituel. Supprimez une certaine
forme de rite, et il réapparaît sous une autre forme, avec d'autant plus de
vigueur que l'interaction sociale est intense. Sans lettres de condoléances
ou de félicitations, sans cartes postales occasionnelles, l'amitié d'un ami
éloigné n'a pas de réalité sociale. Il n'y a pas d'amitié sans rites d'amitié.
Les rites sociaux créent une réalité qui sans eux ne serait rien. On peut dire
sans exagération que le rite est plus important pour la société que les mots
pour la pensée. Car on peut toujours savoir quelque chose et ne trouver
qu'après les mots pour exprimer ce qu'on sait. Mais il n'y a pas de
rapports sociaux sans actes symboliques. 'tS
Les sociologues soulignent la force des rituels dans nos sociétés
industrielles, de nombreuses analyses montrent que les rites ne sont pas
définitifs, ils se modifient, prennent des formes différentes selon la façon
dont les groupes sociaux se les approprient et leur donnent une force
nouvelle; certains rites que l'on croyait bien ancrés dans la vie sociale et
culturelle semblent disparaître créant brutalement une sorte de vide (Y.
Johannot). Les interventions multiples lors de ces journées permettent de
8 DOUGLAS, M., De la souillure. Essais sur les notions de pollution et de tabou. trad.,
Paris, F.Maspero, 1967
18
Présentation
souligner la diversité des rites et de la symbolique qui leur est sousjacente.
Les rites permettent de réaffirmer les modèles identitaires, c'est ce que
montrent Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot dans leur étude de la
grande bourgeoisie, ils renforcent l'intégration des individus dans le
groupe familial et social, réaffirment la domination symbolique de cette
classe sociale. Les rituels suscitent un effet de reconnaissance et de
contrôle jusqu'au tréfonds de l'intime et facilitent la reproduction de
l'appartenance et du sentiment d'appartenance. Si l'intégration au groupe
est constamment réaffirmée, si sa cohésion est ravivée, les dérapages
semblent vite corrigés ou intégrés. Mais l'Autre est présent dans son
absence tant la force de l'intégration s'accompagne d'une ex~lusion tout
aussi forcenée; ainsi en est-il des rites de mondanité qui exigent une mise
en spectacle; mise en spectacle de la domination, soulignent les auteurs, où
l'exclu, le dominé reconnaît la domination, la confirme et l'admire. Le
dévoilement des rituels, des codes les plus ténus, permet de révéler la
force du groupe, sa cohésion mais peut-être aussi sa peur des classes
toujours" dangereuses"
.
Les rites facilitent la socialisation des enfants; les rituels d'anniversaire
des enfants des classes moyennes analysés par Régine Sirota prennent la
forme de rites d'initiation: initiation aux règles de civilité, au contrôle de
soi. Les classes moyennes vivent aujourd'hui dans un équilibre précaire,
toujours menacées de mobilité sociale descendante mais toujours vigilantes
à maintenir leur statut dans la société et leur intégration sociale. Dans ces
familles l'enfant est roi, l'objet de toutes les attentions, de tous les
privilèges mais aussi de toutes les aspirations parentales. L'enfant-roi doit
intérioriser les valeurs, les codes qui faciliteront son intégration sociale.
L'anniversaire est un moment charnière, de sociabilité intense où peuvent
être cernées les différentes séquences du rite et les multiples dimensions du
19
Mythes, rites, symboles, dans la société contemporaine
phénomène
social total que constitue
le rituel d'anniversaire
où
s'échangent des biens économiques (cadeaux et contre-cadeaux) et
symboliques, où s'acquièrent et se transmettent les normes et valeurs
sociales de la civilité, où se fait l'apprentissage du contrôle des émotions et
s'affirment les différents rôles sociaux (rôle de parents, rôle d'enfants).
Une observation attentive montrera qu'un même rite peut prendre des
formes différentes et être vécu diversement par les groupes sociaux en
présence qui lui donnent une signification distincte. C'est ce qu'analyse
Marie-France Doray à propos des rites de rentrée scolaire. Elle met en
scène la rencontre de deux institutions, la Famille et l'Ecole et prend en
compte à propos du rituel de la rentrée scolaire, saisi à travers le récit des
parents, des milieux sociaux différenciés; elle montre ainsi qu'un même
rite peut être vécu et approprié de manière diverse.et révéler à travers les
représentations de l'institution scolaire des valeurs et des symboles cachés
dont la signification n'est pas identique d'un groupe social à l'autre. La
rentrée scolaire suscite de la part des familles des préparatifs concernant
l'enfant et renvoie en quelque sorte à la sacralité.de l'École et au respect
qu'elle suscite; aussi la manière de vêtir l'enfant, celle de veiller à la
propreté de son corps s'organisent-elles en "dispositifs". L'analyse
fouillée des différentes formes de ce rituel éclaire les manières dont les
différentes couches sociales l'aménagent et l'interprètent, révèle la richesse
des symboles sous-jacents et souligne ainsi la pertinence des études
sociologiques imprégnées des méthodes et concepts de l'anthropologie.
La société contemporaine est aussi créatrice de rites. M. FeIlous décrit
plusieurs types de rites récemment créés; si certains se réfèrent à une
tradition, c'est pour s'en dégager ou la transformer, d'autres sont créés ex
nihilo et permettent d'affirmer la cohésion de groupes mal reconnus par la
société. Quatre rites sont ainsi présentés; sans rentrer dans le détail des
différents rituels il convient de noter combien ces rites rendent manifeste le
20
Présentation
besoin de lien social en incitant l'engagement des participants et accordent
une valeur sacrée à l'individualité.
Dans notre société en mutation, assiste-t-on à la fin de certains rites qui
nous étaient devenus comme une seconde nature? Disparition qui crée un
moment de vide, une angoisse. Y. Johannot pose la question à propos des
rituels autour du livre. Ceux-ci ne seraient-ils pas voués à disparition du
fait de l'essor des technologies nouvelles qui inviteraient à d'autres modes
d'appropriation du savoir et favoriseraient le déclin du livre, fondement de
notre culture depuis des siècles? La question est d'importance et mérite
réflexion.
Les rites s'articulent autour de symboles, ils les réaffirment, leur
donnent sens et vie et par là même les modifient. Si le symbole dont le
sens est multiple et ambigu semble avoir une fonction consensuèlle c'est
aussi qu'il peut être interprété diversement tant par les groupes que par les
individus. L'exemple de la symbolique du "propre" et du "neuf" mis en
évidence par M-.F. Doray est lié à l'importance accordée à la rentrée
scolaire, à la rupture ou la continuité qu'entendent marquer les parents
entre la famille et l'école. Le poids des symboles familiaux hérités et
transmis renforcent la domination du groupe (M. Pinçon et M. PinçonCharlot). Le symbole réunit et sépare, prend des significations qui parfois
s'opposent de façon masquée avant de s'affirmer brutalement lors de
certains événements. Comme le souligne P. Lantz "le symbolisme est
commun, mais la manière de le ressentir et le symbole qui le cristallisent
sont au contraire singuliers".
Pierre Lantz nous propose une remarquable synthèse de ses réflexions
sur" Symbolisme individuel (singulier), symbolisme collectif'. Il souligne
avec vigueur l'importance des représentations sociales lorsqu'elles sont
vécues de l'intérieur, ressenties par les individus, car ce sont les sujets qui
leur donnent vie qui les animent. Puisant aux sources mêmes du
21
Mythes, rites, symboles, dans la société contemporaine
symbolisme P. Lantz a le souci de rappeler combien celui-ci se nourrit de
l'imaginaire lui-même ancré dans les corps et ses pulsions. Tout en
soulignant l'apport des recherches structuralistes, l'auteur invite ses
auditeurs et ses lecteurs à ne pas concevoir le symbolisme comme une
entité abstraite porteuse d'universel et à prendre en compte "le rôle actif de
l'imagination individuelle dans la circulation des représentations sociales".
C'est un regard nouveau qui nous est proposé, regard qui invite à de
nouvelles approches9.
Haroun Jamous dans son article "Les jeunes filles au foulard" montre la
vitalité du symbole dont les significations se transforment selon les
situations sociales dans lesquelles se trouvent ces jeunes filles et dans un
contexte de confrontation
de deux cultures distinctes:
l'Islam et
l'Occident. Le port du foulard prend dans les cas analysés une valeur
symbolique nouvelle: la quête et peut-être la conquête d'une identité
renouvelée et enrichie, qui oblige à une réinvention de l'islam et sans doute
aussi à une réactualisation de la laïcité dans l'institution scolaire de la
France d'aujourd'hui.
L'historien Jean Pierre Daviet vient enrichir le débat et nous rappeler
utilement que les historiens du contemporain (dont M. Agulhon, A. Prost,
M. Ozouf) n'ont pas négligé l'importance du fait symbolique, ils en ont
saisi les transformations dans l'espace et dans le temps, et aussi à travers
le vécu des groupes sociaux qui donnent parfois une signification nuancée,
voire contradictoire à une symbolique apparemment consensuelle. Le recul
du temps, la saisie sur la longue durée permet de mieux cerner la
complexité des relations entre mythes, rites et symboles. Les historiens
apportent ainsi une contribution précieuse aux sociologues.
9 LANTZ, P., L'investissement
22
syntbolique, Paris, P.U.F., 1996.
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