Anthropologie et annonce du handicap

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Anthropologie et annonce
du handicap
Professeur Claude Hamonet, médecin
rééducateur, Docteur en Anthropologie
sociale.
L’annonce du handicap : un
passage
• Entrer dans l'état de handicap est,
pour l'intéressé comme pour sa
famille et ses proches, un "passage"
d'un monde dans un autre : de celui
des "valides" à celui des personnes
handicapées.
• Ou plutôt d'avoir à affronter, au
quotidien, un nombre incalculable
d'obstacles constitués de barrières
architecturales et de rejets aux
multiples facettes de la part des
autres
L’annonce est un rituel
• Ce passage, pour être réussi
appelle un rituel qui doit aider
au mieux cette transition d'un
état vers un autre. Ce rite est
ici ce qu'il est convenu
d'appeler "l'annonce".
• Nos habitudes sociales ont
évacué la pratique des rites
sans savoir que cela détruisait
le lien social.
Le rite et la vie sociale.
• « Une société ne peut pas vivre
sans rites » (L.V. Thomas).
• “ Le rite apparaît comme une
assurance qu’on s'invente pour
maîtriser l’épisodique et
l’aléatoire. Il permet de
dépasser l’angoisse". Il fixe les
repères de l’organisation de
notre vie personnelle et sociale.
Rites de passages et étapes
de la vie
• Certains demeurent des “ habitudes
de vie “, d’autres ponctuent les faits
marquants de la vie sociale.
• Ces derniers ont été dénommés
"rites de passage" par l'ethnologue
Arnold Van Gennep. Ils ponctuent les
étapes importantes de la vie d'un
être humain de sa naissance à sa
mort.
Arnold Van Gennep : inventeur de la
notion de rite de passage
Rites, intégration et normes
sociales
« L‘Anthropologie voit dans le rite
une forme privilégiée
d’affirmation d’un ordre
commun… En consacrant
l’intégration de l’individu à la
société globale par
l’intermédiaire de groupes
d’appartenance, et par
l’assimilation de normes, le rite
devient un facteur essentiel de
cohésion sociale » (Dictionnaire
critique d’action sociale).
Rites d’inclusion, rites
d’exclusion
• Parler du rite est d’actualité
dans notre société qui se
caractérise par
l’appauvrissement des liens
sociaux et le développement de
rites violents inversés.
• Ceci est particulièrement vrai
en handicapologie où l'on peut
opposer les "rites d'inclusion"
aux "rites d'exclusion" ou de
rejet.
Le médecin, le handicap et
l’annonce
• Selon une enquête de Handicap
international, Apajh et LeroyMerlin (2004) :
• 65% des familles de personnes
en situation de handicap
considèrent que l’annonce a été
mal faite ou très mal faîte
(43%).
Le médecin, sa formation et l'annonce
• La nouvelle réforme des études
médicales qui vient de se
mettre en place a introduit un
module obligatoire sur le
handicap qui est
malencontreusement dénommé
"déficiences, handicap et
dépendance" ("handicap
autonomie et réadaptation"
aurait été préférable car moins
stigmatisant et davantage
porteur de solutions positives).
Médecine de la déficience ou
médecine de l’inclusion ?
On favorise, de cette façon, le
développement d'une médecine de la
déficience et de l'exclusion au
détriment d'une médecine de la
réadaptation et de l'inclusion avec
participation sociale.
Son enseignement est inhomogène
dans les Facultés de médecine
françaises et n'est pas toujours
confié à des médecins spécialisés
Le médecin et le handicap mental
• Il y aura donc beaucoup à faire
encore pour infléchir les préjugés et
le comportement du corps de santé
face au handicap et à la façon de
l'annoncer. L'évolution de l'état
d'esprit du corps de santé sera
parallèle à celle de toute la
population : l'image du handicap
chez les "blouses blanches" n'est, en
fait, que la projection de l'image
qu'en a la société à laquelle ils
appartiennent.
Connaissance de la réadaptation et de
sa pratique
• Ce nouveau module de
l'enseignement des médecins a
aussi pour objectif de combler
le manque de connaissances
des médecins sur les
possibilités de la rééducation et
sur la méthodologie de la
réadaptation. Ceci impliquerait
aussi une formation pratique, le
plus souvent défaillante, par
manque de services
compétents.
Le droit de savoir et l'annonce du
handicap. Les mots pour le dire.
• Le devoir d'information, renforcé par
la loi du 4 mars 2002 sur le droit des
patients, a induit dans le corps de
santé un comportement
d'explications et d'information dont
l'abondance et le "réalisme", quand
ce n'est pas la froideur ou même la
brutalité, ne sont pas appropriées
face à la fragilité des personnes qui
reçoivent le message.
• L'accent est mis sur les manques, le
plus souvent sans proposition de
solutions et de conduite à tenir ou
de façon vague.
Etre handicapé et avoir sa place
• On sait aussi que l'accès à
l'information dans ce domaine éclaté
et disparate est très difficile.
• On sait aussi qu'il y a un manque
d'offre scandaleux très bien dénoncé
dans la lettre à Jaques Chirac de
Julia Kristeva qui évoque le tribunal
d'honneur présidé par le Docteur
Salbreux, réuni le 15 mai 2002 qui a
reconnu coupables, à l'unanimité,
tous les premiers ministres et tous
les ministres de la santé depuis
1996
Une nouvelle lettre à Jacques Chirac
Que peut faire le médecin ?
• Tout d'abord il se doit de rester un
être humain et de ne pas
abandonner la personne handicapée,
ni la considérer comme "incurable"
ou "chronique".
• Il ne doit pas mentir ou fuir les
questions. C'est ce que reprochent
aux médecins certaines personnes
handicapées que nous avons suivies,
notamment un médecin traumatisé
cérébral : "aucun médecin ne m'a dit
que je resterai handicapé !".
Que doit faire le médecin ?
• Il en est de même de cet
anthropologue américain,
devenu paralysé par maladie qui
indique que les médecins très
compétents et attentifs à son
état sphinctérien urinaire, à
l'adaptation de son fauteuil
roulant ne lui ont jamais posé la
question qu'il attendait : "qu'est-
ce que cela vous fait d'être
tétraplégique ?"
L’annonce « négative »
• "Etre handicapé" sonne dans
l'esprit de ceux qui l'attendent
comme un lourd verdict social,
surtout si les fonctions qui
caractérisent le plus l'Homo
sapiens sapiens que nous
sommes sont compromises :
marcher, parler, penser, prendre
L’annonce positive
• Un tel constat ne peut se faire
sans mettre en parallèle les
possibilités de la rééducation et
de l'adaptation-réadaptation.
C'est pourquoi la présence d'un
médecin spécialiste de
médecine Physique et de
réadaptation auprès du
spécialiste qui a fait le
diagnostic est, selon nous,
nécessaire.
Un diagnostic fonctionnel
• le diagnostic n'est pas seulement
"lésionnel", il est aussi "fonctionnel"
et doit être centré sur les fonctions
qui sont respectées et/ ou qui
peuvent être transformées plutôt
que sur les lésions objectivées par
l'imagerie qui ne sont pas
nécessairement des indicateurs de
gravité.
• Bref on ne peut annoncer des
lésions sans proposer des solutions
porteuses d'un espoir lucide.
Prendre le temps, écouter
• Il est important de prendre le temps,
d'écouter et de tenir compte de
cette dimension essentielle de la
personne que sont la subjectivité et
l'affectivité dans lesquelles, les
préjugés culturels, les peurs, les
tabous la culpabilité et la honte,
jouent un si grand rôle. L'annonce
concerne l'enfant ou l'adulte en
situation de handicap et ses
proches, ce qui inclut aussi la fratrie
qui partagera les situations de
handicap du frère ou de la sœur
concerné.
Le deuil en réadaptation
• La notion de "deuil", par analogie avec le
vocabulaire psychanalytique, est souvent
évoquée. Nous ne l'aimons pas car elle
introduit un aspect négatif et de
frustration. A moins d'introduire le deuil,
comme le fait Edgar Morin, que nous
avons légèrement modifié.
• « Le deuil exprime socialement
l’inadaptation individuelle à une perte
mais en même temps il est ce processus
social d’adaptation qui tend à refermer la
blessure des proches ».
Conclusion : l’hominisation,
à l’humanisation ? (Edgar Morin)
• il n'est pas certain qu'il soit en cours
d'humanisation. Ceci commence
avec le bureau du médecin dont on
ne doit jamais sortir plus mal qu'en y
entrant. Pour cela, une nouveau
dialogue doit être noué avec le corps
médical et, plus généralement, le
corps de santé. Le médecin doit
apporter écoute, respect et espoir et
essayer d'être "un enchanteur dans
un monde désenchanté" (Christian
Hervé).
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