Dossier : la Blue Economy

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ACTUALIT
TÉ | ENVIRONNEMENT
ENVIRONNEMENT | LA BLUE ECONOMY
Comment préserver
Gunter Pauli, ancien patron d'Ecover (producteur
de savons et lessives biodégradables), s'est aperçu
que la fabrication des produits dits "verts" allait de
pair avec la déforestation liée à la production d'huile
de palme. L'économie verte, selon lui, est pavée
de bonnes intentions mais souvent synonyme de
transfert de pollution. Plutôt que de se morfondre,
il prend son bâton de pèlerin pour envisager un
monde pérenne, avec la Blue Economy.
u-delà
des innovations
technologiques, les adeptes
de la Blue Economy
estiment qu'il faut
adopter de nouveaux business
models. Fini la profitabilité à outrance
sans se soucier des
externalités négatives. La notion d'écosystème est la
clef de voûte de la Blue Economy.
Celle-ci veille à combiner la rentabilité (une entreprise n'a pas vocation à
générer des pertes), la soutenabilité
(en supprimant les impacts environnementaux et sociaux) et la technologie (R&D, biomimétisme). Elle
intègre les "dégâts collatéraux" et les
transforme en opportunités.
Pour ce faire, la Blue Economy s'appuie sur de nombreuses innovations
inspirées par la nature pour développer des projets réellement viables.
La fondation Zeri (Zero emission
research and initiatives), créée par
Gunter Pauli sous l'égide des Nations
Unies, a recensé 100 innovations
qui pourraient générer 100 millions
d'emplois en 10 ans. Ce réseau mondial d'esprits créatifs, dopés à l'économie bleue, cherche des solutions
aux défis économiques, sociaux et
environnementaux.
A
Rien
ne se perd,
R
tout
se transforme.
t
Les
sacro-saints
L
principes
de la Blue
p
Economy
sont les
E
suivants
: optimis
ser
s l'utilisation des
matières
premières
m
(de
préférence
(
localement
dispol
nibles),
s'inspirer de
n
la
l nature et vendre
à un prix raisonnable, tout en créant de nouveaux
Les connections dans la nature : source d'inspiration pour notre économie.
emplois. La maturation de projets en
Blue Economy rassemble, dès lors,
de nombreux profils afin d'embrasser
une approche holistique et créatrice,
sur une base scientifique.
La Blue Economy a pour vocation de
stimuler les synergies entre les différents partenaires d'un écosystème.
Les déchets d'une entreprise sont les
sous-produits d'une autre qui va, par
exemple, employer des personnes
en décrochage pour les transformer.
Il s'agit de s'assurer qu'un écosystème
évolue favorablement afin que tous,
sans exclusion, puissent bénéficier
du flux intarissable de la nature en
matière de créativité, d'adaptabilité
et d'abondance.
 EN SAVOIR PLUS
Une formation Blue Economy a lieu
les 15, 16 et 17 mai prochains, afin de
stimuler l'esprit d'entreprise et les réalisations concrètes en Belgique.
Infos : 0486/56.60.50,
[email protected]
 LA BOITE À CHAMPIGNONS… DE PARIS
La Boite à champignons révèle un
nouveau modèle de "social business" de production, locale et en
circuit court, de champignons à
partir de marc de café. Ce dernier
sert de substrat efficace à la culture
de champignons en milieu urbain.
Le marc de café est récupéré auprès
de cafetiers et restaurateurs par
des entreprises de réinsertion professionnelle. La matière organique,
créée par les champignonnières,
est ensuite utilisée comme amendement pour la régénération des
sols. L'entreprise parisienne est rentable, de nombreux restaurateurs
de renom achètent ses pleurotes. économique (bénéfices en cascade), et associant du personnel qualifié et
C'est un bel exemple de réussite s'inspirant de la nature (zéro déchet) peu qualifié.
UNION&ACTIONS | N° 98 | 21 MARS 2014 |
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la planète bleue
"La nature a des millions d'années d'avance"
Entrepreneur, consultant, business développeur systémique,
Jürgen Engerisser livre sa vision
de la Blue Economy…
- Comment définiriez-vous la Blue Economy en
quelques mots ?
- C'est voir des solutions plutôt que des problèmes,
des bénéfices plutôt que des coûts, des opportunités plutôt que des points douloureux. En s'inspirant
de la nature et en utilisant les ressources locales,
à travers une approche holistique. L'objectif des
projets en Blue Economy est de générer des
plus-values en cascade et de multiples bénéfices
sociaux, environnementaux et économiques, afin
de générer des emplois de qualité. Un projet ne
peut être isolé, il doit s'intégrer dans son environnement et multiplier les interactions. C'est comme
ça que cela se passe "en vrai", dans la nature. Il
s'agit de modifier le paradigme économique actuel
qui se base sur les délocalisations, la réduction des
emplois, le "cost cutting" et la productivité effrénée.
Autant d'éléments qui détruisent littéralement le
capital humain, environnemental mais aussi économique. La Blue Economy vise à libérer l'imagination, l'articuler autour d'une vision soutenable
et l'implémenter grâce à la science, en s'inspirant
de cas concrets. La diversification du cash-flow,
au-delà de son core business, est également un
principe fondamental de la Blue Economy. Pourquoi abandonner des coproduits qui peuvent être
utiles à d'autres activités économiques ? Si vous
faites cela, vous n'êtes plus un entrepreneur, mais
juste un manager.
- Que signifie le "Blue" en l'occurrence ?
- Observez la planète depuis l'espace : elle apparaît
bleue. Nous voyons la Terre dans son ensemble,
avec ses nombreuses interdépendances. Il s'agit de
considérer un projet, une entreprise dans toutes
les interactions avec son environnement, qu'il soit
naturel, humain et économique. Notre société
prône toujours la concurrence qui, certes, existe
dans la nature. Mais la collaboration et les synergies sont également omniprésentes dans tous les
écosystèmes, il faut s'en inspirer.
- En quoi la Blue Economy se différencie-t-elle de
étant, il faudrait que les projets de R&D se basent
davantage sur le biomimétisme : la nature a des
millions d'années d'avance en matière d'optimisation et d'innovation. Le véritable progrès, c'est pouvoir concilier les savoirs et traditions ancestrales
avec les nouvelles technologies.
Jürgen Engerisser, consultant en Blue Economy.
l'économie circulaire ?
- La Blue Economy favorise la stimulation de l'entrepreneuriat autour de solutions systémiques inspirées de la nature, dans les domaines de l'emploi,
de l'alimentation, de la santé ou de l'habitat. Ces
solutions intègrent les principes de bouclage des
flux de matière et énergie, d'investissement dans le
capital social, le biomimétisme, l'économie circulaire, l'économie de fonctionnalités et tendent vers
le "zéro déchet". Nous ne nous limitons pas au seul
transfert de technologies ou à fermer une boucle.
- En Belgique, on en est où ?
- Des groupes de travail existent à Bruxelles,
Louvain-la-Neuve et Liège. Ce sont de véritables
think thanks créateurs. Beaucoup de projets en
surgissent et se concrétisent. Des formations en
"entrepreneuriat bleu" sont également dispensées à
l'intention de consultants. Nous sommes convaincus que la Terre a des limites mais s'il n'y a aucune
limite à notre créativité, il n'y en a, dès lors, aucune
à une croissance durable.
- Si la Blue Economy recèle un énorme potentiel,
comment expliquez-vous que les entreprises
soient si frileuses ?
- Nombre d'entreprises, bien qu'acculées dans un
milieu ultra concurrentiel, ont peur. La résistance
au changement est bien ancrée dans l'esprit européen. Notre société très régulée et contraignante
ne pousse pas, en effet, à la créativité et à la transdisciplinarité, pourtant indispensables. Les pôles de
compétitivité, les universités et les clusters semblent
en avoir saisi l'intérêt, c'est porteur d'espoir. Cela
- Quels sont vos outils pratiques ?
- Pour s'imprégner de la Blue Economy, je conseille
deux livres de Gunter Pauli "L'Économie Bleue :
10 ans, 100 innovations, 100 millions d'emplois"
et "Les nouveaux entrepreneurs du développement durable". En Belgique, nous organisons des
conférences et des formations en la matière. Des
consultants se sont aussi spécialisés et réalisent
des scan screening implements en entreprise. Cet
outil vise à détecter les nœuds dans l'entreprise et
dans son environnement géographique, naturel,
social et humain. Ensuite, le but est de trouver des
opportunités d'activité et un business model qui
tiennent la route, dans une approche locale globalisée. La richesse de la Blue Economy est son
réseau de consultants, par le biais de la fondation
Zeri. Nous nous appuyons sur l'expertise des 3.000
scientifiques, entrepreneurs et facilitateurs qui la
composent à travers le monde.
 CHEZ NOUS,
LES IDÉES FOURMILLENT
Des projets d'économie bleue se concrétisent à
Bruxelles et en Wallonie. À Louvain-la-Neuve, la
culture de champignons à partir de marc de café se
nomme Champinew. Sont également en gestation :
la production de papier à partir de poudre de gravats
et de plastique non recyclable, la fabrication de nettoyant multi-usages à base de pelures d'agrumes,
la production d'énergie à partir de déchets ultimes,
une ferme selon le modèle de production et de fonctionnement intégré "zéro émission", ou encore la
création de bioplastiques à partir de déchets… Des
collaborations avec l'Université catholique de Louvain (UCL), la Maison du développement durable et
la Ville d'Ottignies permettront de les concrétiser. À
noter encore que dans le domaine agricole, des projets de permaculture (visant une production durable,
peu énergivore, respectueuse des êtres vivants et de
leurs relations réciproques) naissent un peu partout.
Petit à petit, la Blue Economy fait son nid...
| 21 MARS 2014 | N° 98 | UNION&ACTIONS
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