Synthèse Prise en charge non médicamenteuse dans les démences sévères MARIE-PIERRE PANCRAZI PATRICK MÉTAIS Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 04/06/2017. Département médico-gérontologique Paris <[email protected]> Résumé. Le soin aux malades Alzheimer, particulièrement au stade de démence sévère, nécessite une stratégie thérapeutique globale intégrant l’approche pharmacologique aux dimensions environnementale, psychothérapeutique et de réadaptation. L’objectif est de maintenir l’autonomie le plus longtemps possible mais aussi d’améliorer la qualité de vie en réduisant la souffrance psychologique des patients et des familles. Au stade de démence sévère, des techniques comportementales et d’aménagement du milieu sont possibles à domicile mais, en fait, la plupart des patients sont institutionnalisés. Le choix s’oriente vers des structures ayant un projet spécifique de vie, de soin et d’architecture, dans lesquelles sont pratiquées des activités ludiques et de maintien dans la réalité. L’éducation et le soutien des aidants et la formation des soignants sont essentiels pour mieux ajuster les attitudes envers le patient, améliorer la communication et optimiser la qualité de vie. Bien que le niveau de preuve demeure insuffisant dans l’évaluation de ces stratégies faute d’indicateurs adaptés et du petit nombre de recherches, des techniques largement répandues sont aptes à donner du sens à cette étape difficile de la vie des patients et de leur famille. Mots clés : démence, maladie d’Alzheimer, aidant, réadaptation, psychothérapie, thérapie psychosociale, aménagement de l’environnement stimulation, Abstract. Care for patients with Alzheimer’s disease, particularly with severe dementia, requires a global therapeutic strategy integrating pharmacological approach into the environmental dimensions, psychotherapeutics and rehabilitation. The objective is to maintain autonomy as long as possible but also to improve the quality of life by reducing the psychological suffering of patients and families. In severe dementia, behavioral techniques and organization of the environment are possible at home but, actually, most of the patients are institutionalized. Structures having a specific project of life, of care and specific architectural design should be prefered. Education and support for caregivers as well as training of the nursing staff are essential to develop better attitudes toward the patient, improve communication and optimize the quality of life. In spite of the low level of evidence in the evaluation of these strategies on account of the lack of adapted indicators and rarity of specific research, widely spread techniques can confer special purport to this difficult stage for the patients and their family. Key words: dementia, Alzheimer’s disease, caregiver, rehabilitation, stimulation, psychotherapy, psychosocial therapy, organization of the environment L a définition de la démence au stade sévère demeure encore floue mais son évaluation est en voie d’être précisée [1]. Au plan clinique, ce stade se caractérise par trois dimensions : l’importance de l’altération cognitive, la perte d’autonomie dans les actes de la vie quotidienne et la prépondérance des troubles du comportement. De ce fait, la prise en charge est complexe et lourde, aussi bien pour la famille que pour les soignants, à domicile comme en institution [2]. Près de 66 % des patients seraient à ce stade institutionnalisés [3] (tableau 1). L’intérêt pour cette étape de la maladie a été récemment suscité par la survenue d’une nouvelle classe thérapeutique médicamenteuse orientée vers cette in- S42 dication [4]. Mais force est de constater qu’à ce stade les effets d’une monothérapie voire d’une bithérapie, s’ils sont manifestes, demeurent limités. Pour autant, il existe depuis longtemps dans l’arsenal de prise en charge de cette affection des stratégies non pharmacologiques qui visent essentiellement à améliorer la qualité de vie des patients et de leur entourage et qui s’inscrivent dans une vision globale de la maladie. Elles demandent toutefois, selon les différentes conférences de consensus internationales [5-11] et l’évaluation faite en France par l’Anaes [12], à être mieux validées avec des critères d’évaluation plus adaptés. Il importe en effet, dans ce contexte, de dépasser le primat du cognitif pour s’intéresser à des indicateurs de fonctionne- Psychol NeuroPsychiatr Vieillissement 2005 ; vol. 3 (Suppl. 1) : S42-S50 Prise en charge non médicamenteuse Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 04/06/2017. ment dans la vie quotidienne, de comportement, de charge en soin et de qualité de vie. Bien plus qu’à toute autre étape de l’évolution, une stratégie thérapeutique globale semble nécessaire, qui intègre l’approche médicamenteuse à la dimension environnementale, d’orientation dans la réalité et de réadaptation [5-12]. Pour ce faire, la formation des soignants et l’éducation des aidants constituent un élément essentiel. Cette stratégie est à ajuster à domicile ou en institution en fonction des ressources du milieu. Tableau 1. Répartition des patients déments selon la sévérité de la démence et le mode d’hébergement selon l’étude Paquid [3]. Table 1. Distribution of the demented patients according to the severity of the dementia and the mode of residence according to the Paquid study [3]. Démence MMS À domicile En institution Très légère Légère Modérée Sévère Total 24-30 19-23 10-18 0-9 90,9 % 76,2 % 57,3 % 33,8 % 60,2 % 9,1 % 23,8 % 42,7 % 66,2 % 39,8 % Les objectifs généraux À ce stade, les cibles sont multiples mais les ambitions limitées pour ne pas mettre le patient en échec et risquer de renforcer la frustration et la tristesse : – réduire la souffrance du patient et de l’aidant, – préserver le plus longtemps possible l’autonomie fonctionnelle, – favoriser l’orientation dans la réalité, – maintenir des liens sociaux et affectifs, – prévenir et atténuer les comportements « perturbateurs », – favoriser la vie communautaire si le patient vit en institution, – optimiser la relation d’aide, – améliorer la qualité de vie. Les moyens consistent, d’une part, en des interventions directes auprès du patient et, d’autre part, en des interventions indirectes qui passent par l’aménagement de l’environnement, la guidance ainsi que le soutien de la famille et la formation des soignants [5-12]. Les modalités d’intervention sont le plus souvent combinées. Nous allons tenter de les découper de façon artificielle, mais il est clair que de nombreux modes d’action sont intriqués pour répondre aux objectifs cités [12]. L’efficacité réelle de ces actions et leurs indications demeurent difficiles à évaluer en raison du faible nombre d’études qui leur sont consacrées et de leur qualité méthodologique moyenne [12]. Les interventions auprès du patient Soutien et approches sociothérapeutiques Au stade de démence sévère, du fait de la prégnance des troubles phasiques et comportementaux ainsi que de la distractibilité, il est illusoire de préten- dre réaliser une psychothérapie telle qu’elle est souvent possible aux stades léger à modéré [13, 14]. Néanmoins, un lien transférentiel établi précocement avec un patient par un thérapeute ou un soignant, peut perdurer au-delà de l’usage des mots. Il ne s’agit pas là de recommander telle ou telle stratégie car, plus que l’outil psychothérapeutique, c’est l’attention portée au patient par le thérapeute ou le soignant qui a valeur de soutien. D’autres types d’actions à visée thérapeutique peuvent être mises en œuvre par les soignants en fonction de leurs aptitudes, mais aussi des désirs des patients : ce sont des thérapies médiatisées (art thérapie, théâtre, relaxation, musique) qui s’appuient sur les potentialités sensorielles, ludiques et émotionnelles des patients [14-17]. Elles permettent de laisser s’exprimer d’autres modes de communication lorsque le langage est défaillant [14, 18]. Elles sont réalisables en accueil de jour ou en institution, voire à domicile dans une approche individuelle. Elles favorisent, d’une part, la dynamique relationnelle en permettant de lutter contre les sentiments d’étrangeté et d’exclusion, ce qui les rend porteuses de réassurance en soi et, d’autre part, elles autorisent la créativité et l’expression de la souffrance [14]. Les groupes de conversation sous la conduite d’une orthophoniste ou d’un soignant [7, 16], des stratégies de réminiscence (objets personnels, histoire de vie) peuvent offrir le même intérêt de re-narcissisation et de préservation du lien social [19-21]. Approches visant à réduire les comportements perturbateurs Les troubles du comportement influent de manière défavorable sur le pronostic de la maladie. Ils constituent une cause de souffrance pour le patient, mais aussi de détresse pour l’aidant et d’épuisement pour les soignants [6, 22]. Si certains sont directement liés aux dysfonctionnements neurobiologiques en cause dans la maladie, d’autres, en particulier ceux de carac- Psychol NeuroPsychiatr Vieillissement 2005 ; vol. 3 (Suppl. 1) : S42-S50 S43 M.-P. Pancrazi, P. Métais tère aigu, sont souvent liés à une cause externe, somatique ou, dans le cas qui nous intéresse ici, environnementale [6, 22]. Des attitudes inadaptées de l’entourage peuvent en effet générer et entretenir ces troubles en un véritable cercle vicieux aggravant le fardeau de l’aidant [6]. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 04/06/2017. Selon les recommandations des conférences de consensus, il est possible d’apprendre aux aidants et aux soignants à réaliser des interventions à visée comportementale qui peuvent se révéler bénéfiques chez certains patients, à certaines périodes de leur évolution [5-12]. Certaines techniques sont directement orientées vers les comportements. Elles sont destinées à interrompre ou réduire les activités ou situations qui favorisent l’apparition de moments d’agitation, d’agressivité ou d’insomnie, en apprenant à l’aidant à identifier les situations problématiques et les éventuels facteurs déclenchants. Par exemple faire la toilette au gant au lavabo ou au lit si l’on observe une phobie de l’eau, faire manger seul si la promiscuité est source d’angoisse, etc. Des techniques de renforcement de type encourager la réponse adéquate peuvent être utilisées [23], mais pas le renforcement négatif s’il consiste à punir ! Il est possible également de recourir à des stratégies de distraction afin de détourner le patient de sa source d’anxiété : le tenir à l’écart des situations ou des individus susceptibles de provoquer des comportements perturbateurs [6], l’occuper par des activités manuelles (plier le linge, faire des collages, etc.), jouer à des jeux de société adaptés au niveau cognitif, lui faire la lecture. Il est recommandé de faire alterner ces techniques avec des activités de détente physique : marche ou exercice léger chaque jour, sorties à l’extérieur réduisent l’errance, l’agitation et l’agressivité [6, 7]. balnéothérapie (bains chauds) avec ou non aromathérapie [6, 24] ou utilisation de bouillottes dans le lit avec les précautions d’usage. Les massages, avec ou non usage d’huiles essentielles, ont un effet apaisant et calment les algies liées aux rétractions et à la grabatisation, source d’agitation et de cris, ou encore les angoisses d’abandons si fréquentes le soir [6]. D’autres approches ont pour objectif, à l’inverse, de stimuler le patient et de lutter contre l’apathie. Combattre la carence de stimulation permet en outre de régulariser le rythme circadien [25]. Ces techniques font appel au principe de stimulation externe sensorielle [17] comme le recours à l’éclairage vif dans la journée (lux thérapie) par des sources lumineuses de forte intensité [25], l’utilisation de pièces de stimulation multisensorielle ou méthode Snoezelen dans les institutions [26], la stimulation motrice à travers des activités de gymnastique douce qui peuvent être réalisées en position assise [27], le tai chi chuan [28, 29], l’écoute de musique ou de chant, en particulier en cas d’agitation vespérale [17, 29], ou encore l’adoption d’un animal familier comme tentative de mobilisation affective [30]. Des ateliers thérapeutiques quotidiens peuvent regrouper diverses stimulations : praxique comme les activités manuelles de groupe ou ergothérapie (petites pratiques), gnosique (esthétique, loto des odeurs, travail sur le goût), phasique (groupe de conversation) [6, 29]. Tout en optimisant les capacités résiduelles des patients, elles entretiennent la dynamique relationnelle et offrent un dérivatif à l’angoisse, l’ennui et l’agressivité [29]. Des interventions favorisent les émotions positives et la permanence de l’identité comme l’évocation du passé ou reminiscence therapy [19-21] avec l’utilisation de memory box (véritable boîte aux trésors qui contient des objets signifiants pour le patient), la construction et la lecture d’un livre de vie qui mobilise aidant et pa- Des règles simples de communication adaptées doivent être expliquées (figure 1) [6]. La recherche d’une atmosphère sereine est favorisée par l’utilisation d’une musique douce ou choisie en fonction des préférences du patient pour réduire l’anxiété, la tristesse, l’agitation et l’agressivité [17]. De même, le recours à des cassettes audio où sont enregistrées les voix des proches racontant une histoire ou un souvenir commun, ou encore le visionnage des films de famille diminuent les agitations verbales et le repli sur soi [6, 7]. Le réchauffement de la température corporelle, en fin d’après-midi ou le soir, a également des vertus apaisantes et diminue l’agitation, l’agressivité ou les troubles du sommeil. Elle est obtenue par S44 Stade léger à modéré Hôpital de jour ou Accueil de jour thérapeutique Unité de crise Alzheimer Stade modéré à sévère Accueil de jour thérapeutique Accueil de jour Stade sévère Institution temps plein Unité Vie Alzheimer Figure 1. Adaptation du projet en fonction de l’évolution de la maladie. Figure 1. Adaptation of the care project according to the evolution of the disease. Psychol NeuroPsychiatr Vieillissement 2005 ; vol. 3 (Suppl. 1) : S42-S50 Prise en charge non médicamenteuse Il n’est plus question de parler à ce stade de stimulation cognitive au sens ambitieux du terme, mais on peut néanmoins continuer à mettre en place des procédures de routines de vie en s’appuyant sur la mémoire procédurale et ainsi proposer des séquences comportementales stéréotypées pour remédier aux difficultés qui surviennent dans les actes de la vie quotidienne [23, 28, 29]. Ces stratégies ne doivent pas être ambitieuses, mais demeurer toujours en lien avec la réalité quotidienne et ne pas mettre en échec le patient [32]. C’est seulement ainsi qu’elles contribuent à renforcer la confiance et l’estime de soi. Dans le cadre de l’aménagement de l’environnement on peut introduire dans celui-ci des indices qui vont l’aider dans les activités de vie quotidienne : pancartes, signalétique, etc. Il s’agit également de simplifier les actions de la vie quotidienne par des stratégies de facilitation et d’œuvrer à la restauration des praxies par le réapprentissage des gestes en faisant appel aux automatismes (ergothérapie) : – l’alimentation est favorisée par le recours à des sets de tables antidérapants, des couverts ergonomiques, des assiettes à bords larges qui compensent les conséquences des troubles praxiques [6, 23]. L’accompagnement de l’aidant ou du soignant permet d’initier l’action ; – l’habillage est facilité par l’usage de vêtements amples dont la taille est élastique et de chaussures avec fermeture velcro ; – la toilette doit être accompagnée le plus longtemps possible en guidant l’action : approcher la brosse à dent de la bouche, commencer à savonner avec le gant ; – la rééducation de l’incontinence urinaire doit être tentée car cette dernière met à mal le sentiment de dignité de la personne et de plus sa gestion épuise les proches. L’incitation à la miction à des moments précis, en fonction des rythmes temporels et de la diurèse physiologique, semble la stratégie la plus opérante [6, 23]. Il est nécessaire également d’aider à repérer les toilettes, à effectuer le déshabillage nécessaire, à adopter la position adéquate. • Garder une implication dans la vie familiale ou communautaire • Maintenir une orientation dans la réalité tient, le visionnage d’albums photos ou de films de famille, ou encore la simulation par cassette audio de la présence d’un proche [6, 7, 14, 19-21, 31]. Interventions visant la préservation de l’autonomie fonctionnelle Il s’agit de moduler les attitudes du sujet ou de son environnement dans un but de réadaptation. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 04/06/2017. • Stimuler pour optimiser les capacités restantes et pallier les déficits Il faut recommander à l’aidant ou au soignant de ne pas infantiliser le patient, mais de l’associer, autant que faire se peut, aux décisions familiales ou de la vie commune (choix des visites, des activités, décisions de vie importantes), afin de favoriser un sentiment de maîtrise de son destin [33]. Il est important également de le faire participer aux tâches quotidiennes (mettre la table, débarrasser, éplucher les légumes, faire le lit, etc.) ce qui le valorise [29]. • Aider la famille à mettre en place des stratégies comportementales adaptées dans les moments clés de la vie quotidienne [23] Les perturbations affectant les habiletés de la vie quotidienne (toilette, habillage, alimentation) sont génératrices d’anxiété pour le patient et source de fardeau pour l’entourage. Des actions spécifiques peuvent porter sur l’orientation et le renforcement du comportement adéquat pour maintenir la fonction le plus longtemps possible. Il s’agit d’accompagner sans assister : incitation verbale, suivie de démonstration physique, mise en pratique et renforcement positif (féliciter pour l’effort réalisé). Les techniques d’orientation dans la réalité sont applicables en centre de jour ou en unité de soin Alzheimer, et transposables à domicile en guidant les aidants. Il s’agit d’aider au repérage spatial (aide-mémoire externes : pancartes, plan), temporel (calendrier, lecture du journal, horloges aisées à lire) et biographique (groupe de réminiscence) [19-21, 23, 34–36]. Des exercices physiques simples permettent un travail sur le schéma corporel, la reconnaissance de soi, les habilités motrices, la prévention des chutes [28]. Les activités en relation avec l’extérieur (sociothérapie) ont pour but de maintenir le patient dans la réalité (faire une sortie, aller au marché, au restaurant, rencontrer de jeunes enfants) [6]. Les cibles doivent être ludiques : chant, danse, fêtes, stimulation sensorielle et corporelle. Les groupes de réminiscence déjà évoqués ont également cette fonction. À domicile ou en institution, un projet de vie et de soin qui met en exergue le soin relationnel au même titre que les autres besoins des patients offre une plus grande qualité de vie aux patients et prévient la survenue des troubles du comportement. Psychol NeuroPsychiatr Vieillissement 2005 ; vol. 3 (Suppl. 1) : S42-S50 S45 M.-P. Pancrazi, P. Métais Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 04/06/2017. Aménagement de l’environnement et structuration de la vie quotidienne Plus la maladie évolue, moins le malade peut s’adapter à son environnement : c’est à ce dernier à s’adapter en fonction du handicap jusqu’à devenir prothétique (tableau 2). Un milieu inadapté peut contribuer à l’apparition de troubles psychologiques et comportementaux ou les aggraver. Par contre, un environnement rassurant peut réduire leur apparition . Il est donc conseillé d’adapter l’environnement afin de le rendre plus sûr et plus simple à vivre, à domicile à travers le recours à un ergothérapeute, en conseillant les familles ou en institution [6, 34, 36]. Divers éléments qui peuvent être aisément corrigés sont susceptibles de favoriser la perplexité et l’angoisse et d’engendrer ainsi des troubles du comportement chez ces sujets dont les perceptions et la capacité à traiter l’information sont défaillantes. Des déterminants anxiogènes sont source de phénomènes hallucinatoires, d’anxiété et d’agressivité comme la promiscuité dans la chambre ou les parties communes, les bruits intempestifs (laveuse, sonnettes), les espaces de déambulation trop réduits, la carence de signalétique, l’éclairage insuffisant, le manque de repères personnels et familiers, mais aussi l’absence de formation du personnel [6, 36-39]. À domicile, on facilite la déambulation en enlevant tapis et petits meubles, on évite les changements intempestifs (place des objets, intervention de tiers, déménagement) et on s’efforce de créer un environnement apaisant en utilisant la musique, les couleurs pastel, la luminosité adaptée. Mais à ce stade, les patients sont institutionnalisés dans les deux tiers des cas. Face à la prévalence gran- dissante de la démence, il paraît pertinent de développer des structures possédant un projet Alzheimer. Dans ces unités, l’aménagement de l’environnement et la formation spécifique du personnel permettent d’offrir un soin adapté et gradué à ces patients et de réduire les dépendances induites par le milieu [34, 36]. Au plan architectural, ces structures se composent d’un ensemble de petites unités avec un nombre limité de patients, dans un espace adapté : espace vaste, circulaire, ou structure de type abbaye avec une cour centrale. Ces dispositifs offrent l’intérêt de favoriser une déambulation sans risque. Les couloirs en V avec poste de soin central (vitré si possible) permettent une meilleure surveillance par les soignants. La déambulation peut être source de stimulation si on trouve sur le chemin des vitrines décorées, des panneaux interactifs, des aquariums, ou si le couloir débouche sur un patio aménagé. Il est bon de prévoir des systèmes de sécurisation des accès pour limiter le risque de fugue : serrures adaptées, digicodes, cartes à puces, etc. Alterner des zones de lumière et d’obscurité peut aider à canaliser les déplacements du malade. Ce dernier évitera les zones sombres qui l’effraient et qui peuvent correspondre aux zones à risque : escaliers, locaux techniques, etc. [6, 36]. Les modifications à apporter à l’environnement doivent tenir compte du stade d’évolution de la maladie. Les patients inversent assez vite le rythme veillesommeil, ils souffrent aisément d’illusions ou d’hallucinations en fin de journée et la nuit : vision de monstres, d’animaux ou d’individus dangereux. Un éclairage intense de type lumière du jour, sans trop de variation lumineuse dans la journée, peut réduire ces troubles ; il Tableau 2. Les points clés de l’aménagement du milieu. Table 2. Key points for the organization of the environment. Objectifs Maintenir repères et routines de vie Tout en stimulant Et en sécurisant le milieu Moyens Petites unités Nombre de patients limité Espace adapté : circulaire ou structure de type abbaye avec une cour centrale, des zones de regroupement et de déambulation libre. Espace sécurisé : serrures adaptées pour limiter le risque de fugue, digicodes, peintures des portes des pièces à risque similaires au mur pour en limiter l’accès, utilisation des zones de lumière et d’obscurité pour canaliser les déplacements du malade, accès à un parc ou patio clos. Espace stimulant à certains moments : éclairage intense, peu de variation lumineuse dans la journée, espaces adaptés pour l’animation, portes de différentes couleurs pour aider au repérage. Espace apaisant à d’autres moments : musique douce, éviter les bruits intempestifs, éviter les décorations trop chargées. Espace respectant l’intimité : chambres seules avec salle de bain, petits salons pour rencontrer les proches. S46 Psychol NeuroPsychiatr Vieillissement 2005 ; vol. 3 (Suppl. 1) : S42-S50 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 04/06/2017. Prise en charge non médicamenteuse doit être poursuivi le soir dans les couloirs et les salles communes pour les déambulants. Dans le même sens, mieux vaut éviter les papiers peints ou les peintures à motifs répétitifs, les sols à motifs qui peuvent être l’objet de distorsions perceptives (vision d’animaux effrayants, de trous où l’on peut tomber). Les puits de lumière et les trop grands espaces type agora sont de même anxiogènes [36]. Il faut également éviter les bruits intempestifs de type équipements de lavage, sonnettes stridentes et les grands regroupements dans des salles communes trop petites, sources d’agitation. À l’inverse, la musique possède un caractère apaisant, notamment le soir. Il est important de prévoir des espaces séparés, dédiés à l’animation, décorés avec des couleurs franches, d’autres, plus intimes, destinés aux rencontres avec la famille. L’intimité du malade doit également être préservée par la création de chambres individuelles que le résident peut aménager avec des meubles et objets familiers, autant de repères aptes à le rassurer et maintenir un sentiment d’identité et à lutter contre l’angoisse [36]. Ancrer le patient dans la réalité est essentiel en utilisant des portes ou des mains courantes de couleurs différentes pour aider au repérage, alors que les portes de service sont peintes avec une couleur fondue dans celle du mur pour éviter que le patient n’y entre [36]. L’orientation spatiale est optimisée par le balisage lumineux dans la maison ou l’établissement (veilleuses entre le lit et les toilettes), l’utilisation de pancartes et d’une signalétique adaptée au degré d’altération cognitive par le recours à divers niveaux de représentation phasique et gnosique (lettre, chiffre, photo, dessin) et Points clés • L’accompagnement des patients au stade sévère de la MA représente une lourde charge, complexe à gérer, surtout à domicile. • Les approches non pharmacologiques si elles demandent à être mieux évaluées sont toujours à tenter en synergie avec les médicaments. • La qualité de l’environnement et des attitudes des tiers sont essentielles ; c’est pourquoi il faut guider les aidants, former les soignants et adapter le lieu de vie. • Seule une éthique de l’accompagnement peut garantir le respect de la dignité de ces personnes jusqu’au bout de la vie. une aide pour repérer les parcours habituels à l’intérieur comme à l’extérieur [36]. Afin de favoriser l’orientation temporelle, on a recours, à domicile ou en institution, à des aide-mémoire externes : tableau blanc, calendrier, affichage ou horloge de grandes tailles et faciles à lire. L’ameublement doit être choisi sans empiètement pour limiter le risque de chute [36]. Le maintien de repères stables est par ailleurs essentiel. Il passe par l’instauration d’un rythme de vie sur la journée ou mieux sur la semaine qui alterne les activités de base, de détente et de stimulation et permet, en particulier, de renforcer un rythme veille/ sommeil normal. Les repas, les interventions de soignants doivent, autant que faire se peut, intervenir à heures fixes. Il convient d’essayer de respecter les rythmes de vie du patient dans la mesure où la vie communautaire n’en pâtit pas. Il importe également de garder un personnel stable sur l’unité et d’éviter les changements intempestifs de lieu de vie. Interventions auprès des tiers Guidance de l’aidant La modification des attitudes et réactions de l’entourage et la qualité de la relation entre l’aidant et l’aidé influent largement sur l’évolution positive de la maladie. Il est donc important d’augmenter l’aptitude de l’aidant à interagir avec le patient pour prolonger sa capacité à lui procurer des soins à domicile, améliorer leur qualité de vie commune, et diminuer le niveau de stress ressenti [40]. Il importe ainsi de créer une alliance thérapeutique avec les aidants. Dans le cas d’une démence à un stade sévère associée à des troubles du comportement importants, le maintien à domicile est à discuter. En effet, la charge pesant sur les aidants familiaux devient très lourde. Ces derniers doivent délivrer de véritables soins, ils sont sollicités en permanence (60 heures par semaine en moyenne) [40-44] et les aides ne peuvent, sauf sacrifice financier important, couvrir le nycthémère. Les risques de décompensation physique et psychique sont importants. Il existe un lien entre la charge ressentie par l’aidant et l’aggravation des troubles comportementaux et, par conséquent, le taux d’institutionnalisation. Une institutionnalisation préparée et acceptée de tous est toujours préférable à un maintien à domicile périlleux. Deux axes d’interventions peuvent être proposés pour diminuer le fardeau de l’aidant. Psychol NeuroPsychiatr Vieillissement 2005 ; vol. 3 (Suppl. 1) : S42-S50 S47 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 04/06/2017. M.-P. Pancrazi, P. Métais 1) Renforcer le support social L’existence de relations amicales ou d’un confident est nécessaire au bien-être de toute personne aidante : il s’agit d’inciter les aidants à parler de leur problèmes et à échanger leur émotions [40, 45]. Un soutien pratique est par ailleurs nécessaire pour aider aux démarches, mettre en place des aides extérieures et préparer ensuite une institutionnalisation dans de bonnes conditions [46]. Ce soutien a pour objet de prévenir l’épuisement physique de l’aidant, lui-même générateur d’épuisement psychologique. Il s’agit d’apporter à l’aidant de l’information sur ses droits et de le mettre en relation avec les services formels d’aide à domicile. Ces aides sont toujours nécessaires, elles apparaissent plus efficaces lorsqu’elles sont mises en place de façon préventive et réduisent de nombreux indicateurs de stress chez l’aidant en remédiant aux difficultés dans la vie quotidienne [47]. Les mesures de répit sont également bienvenues : accueil de jour occupationnel, hébergement temporaire en EHPAD ou long séjour, séjours de vacances des associations de famille [40, 47]. Les aidants répugnent fréquemment à avoir recours à ces aides sur la base de fausses croyances, la crainte que le soin délivré y soit de moins bonne qualité qu’à la maison, ou par ignorance de leur existence, de leur coût élevé, des contraintes de la prise en charge (horaires) ou encore par crainte d’être mal jugé par l’entourage ou le voisinage. Le soutien facilite l’acceptation de ces aides [40, 45]. 2) Apporter une aide psychologique Il est indispensable de réserver aux aidants un temps d’écoute et d’accompagnement pour entendre leurs questions, leur souffrance mais aussi les informer, les guider et les soutenir [45, 47, 48]. Le soutien psychologique peut être réalisé en entretien individuel ou au sein de groupes de parole aux vertus antidépressives manifestes, ou bien s’intégrer aux actions de formation. L’objectif principal est ici d’aider les proches à verbaliser leurs angoisses et leur Tableau 3. Objectifs d’un programme d’éducation et de soutien des familles Table 3. Objectives of an educational and a support of families program. Informer sur la maladie et le traitement Connaître les aides et démarches sociales Guider dans la gestion des troubles du comportement Aider à mieux communiquer avec le proche malade Conseiller pour rythmer la vie quotidienne et stimuler le patient Apprendre à aménager le lieu de vie Repérer ses signes d’alerte de stress et apprendre à se préserver S48 culpabilité éventuelles, ainsi que d’élaborer le travail de deuil à l’égard de l’image idéale du parent pour mieux accepter la réalité présente [40, 47, 48], mais aussi d’amener de la réassurance et de les conforter dans leur rôle d’aidant. Un soutien familial adapté permet de retarder de près d’un an l’institutionnalisation de la personne démente [46]. Des entretiens familiaux regroupant plusieurs membres de la famille peuvent permettre d’augmenter le soutien de ces derniers à l’aidant principal. • Programmes de formation Les familles ont particulièrement besoin d’informations sur la maladie et son devenir pour assurer une prise en charge adaptée. L’information et la formation ont pour objet les conséquences de l’affection, les stratégies de prise en charge des troubles du comportement, les techniques visant à assurer le bien-être et la sécurité physique du patient, ainsi que celles permettant de mieux aider le patient pour ses activités de base et enfin, les diverses possibilités d’aides extérieures (tableau 3). L’attitude de l’aidant face aux troubles de son proche peut être modulée en l’amenant à rechercher les approches comportementales les plus appropriées. En parallèle, une action spécifique doit être menée afin d’aider à repérer les stresseurs internes propres à chaque aidant et à trouver des solutions qui lui sont propres pour mieux appréhender la relation d’aide. Il est bon de les aider à se pencher sur leurs idées dysfonctionnelles et leur fausses croyances qui les conduisent dans des impasses et génèrent des affects dépressifs [40, 49]. Il a été démontré que les actions psychoéducatives diminuaient significativement l’incidence des troubles du comportement chez le patient et de la dépression chez l’aidant plus que le soutien utilisé seul [50-55]. Les interventions à composants multiples (éducation des aidants, solutions de répit, interventions auprès du patient, suivi à long terme) seraient les plus efficaces [55]. Formation des soignants La formation du personnel doit essentiellement porter sur la relation d’aide avec ces patients et leur famille en se fondant sur des principes éthiques [33]. Les objectifs de formation sont pour le reste assez similaires à ceux dévolus aux familles (tableau 3). L’équipe doit se montrer contenante, c’est-à-dire suffisamment tolérante mais sans complaisance. Le soignant est le garant de la réalité, il ne doit pas, par exemple, entrer dans le délire du patient et jouer avec lui, mais l’aider à maintenir ses repères. Il est bon de prévoir des réunions de synthèse qui permettent de débattre en Psychol NeuroPsychiatr Vieillissement 2005 ; vol. 3 (Suppl. 1) : S42-S50 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 04/06/2017. Prise en charge non médicamenteuse groupe des problèmes posés par les patients et de tenter de les résoudre au cas par cas en s’aidant des informations apportées par la famille lors de l’entrée en institution et des échanges privilégiés avec le patient. Parfois, des troubles du comportement trouvent un sens évident dans une dynamique relationnelle ou une histoire de vie. Une attention particulière doit être portée à la communication verbale puis non verbale avec ces patients. Des techniques de thérapie par empathie visent à optimiser la communication et à apaiser le patient [56], des stratégies spécifiques peuvent être menées en prenant en compte la compréhension de la maladie et du sujet [57] et intégrées dans un projet global de vie [33]. Conclusion Les approches non pharmacologiques s’inscrivent dans une synergie d’action avec les médicaments afin d’agir sur les déficits et de potentialiser les ressources encore disponibles. Elles ont également pour objet de réduire la souffrance psychologique des patients et des familles. Il est souhaitable que des études scientifiquement valides viennent démontrer l’intérêt de stratégies largement utilisées de par le monde et souvent basées sur le bon sens. Dans le cas de la démence sévère, la place des interactions avec le milieu est essentielle, que ce soit à domicile ou en institution, à travers l’aménagement de l’environnement, la guidance des familles ou l’ajustement des attitudes des soignants fondé sur une éthique de l’accompagnement. La prévalence de cette population en institution commande une évolution rapide de celles-ci à travers des projets de vie qui se déclinent de façon spécifique au niveau du soin et de l’architecture pour préserver jusqu’au bout l’humanité de ces personnes [58]. Références 1. Vetel JM. Les démences sévères. Neurologies 2002 ; 5 (Suppl. 1) : 18-20. 2. Winblad B, Wimo A, Möbius HJ. Severe dementia : a common condition entailing high costs at individual and societal levels. Int J Geriatr Psychiatry 1999 ; 14 : 911-4. 3. Helmer C, Barberger–Gateau P, Dartigues JF. Épidémiologie des démences sévères : résultats d’une étude cohorte longitudinale en population. 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