Nouveaux défis économiques et financiers en Afrique subsaharienne

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Nouveaux défis économiques et financiers en Afrique subsaharienne
par Philippe HUGON
| Dalloz | Revue internationale et stratégique
2002/2 - n° 46
ISSN 1287-1672 | ISBN 2130527078 | pages 107 à 118
Pour citer cet article :
— Hugon P., Nouveaux défis économiques et financiers en Afrique subsaharienne, Revue internationale et stratégique
2002/2, n° 46, p. 107-118.
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La revue internationale et stratégique, n° 46, été 2002
Nouveaux défis économiques et financiers
en Afrique subsaharienne
Philippe Hugon*
■
LA REVUE INTERNATIONALE ET STRATÉGIQUE
PHILIPPE HUGON ■
Les lunettes des macro-économistes – à travers la lecture des perspectives économiques de la Banque mondiale, de la Banque africaine de développement (BAD)1 ou de
l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) – montrent
que l’Afrique peut globalement être placée sur un trend de stagnation à long terme de
la production par habitant et de la productivité ; que le continent noir connaît une
grande vulnérabilité externe, conduisant à de fortes instabilités à court terme ; et que,
enfin, il y a conjonction de la marginalisation vis-à-vis des flux commerciaux et d’un
endettement extérieur élevé. Par ailleurs, au-delà des divergences nationales et des
évolutions conjoncturelles, on peut noter d’importants déséquilibres sectoriels (en termes de croissance agricole limitée, notamment, et de désindustrialisation), une rupture des grands équilibres financiers, un déclin durable du taux d’épargne et une
croissance des secteurs non productifs (tertiaire, administration...). Force est de constater que, malgré les politiques d’ajustement structurel, l’Afrique est demeurée principalement une économie de rente où le processus d’accumulation n’a pu être réellement enclenché. Or on assiste à l’épuisement de ce modèle rentier. Et malgré certains
signes de reprise, l’Afrique, prise dans des trappes à pauvreté qui conduisent à une
relative marginalisation et à une divergence vis-à-vis des pays émergents, reste largement à l’écart de la dynamique mondiale.
Mais à mesure que l’on se rapproche, que les lunettes deviennent moins grossissantes, que les éclairages diffèrent ou que les temporalités se modifient, le paysage
devient plus contrasté, des différences de reliefs apparaissent et des « dynamiques du
dedans » émergent au-delà de l’écume des flux macro-économiques et des équilibres
comptables. Depuis leur indépendance, les pays d’Afrique ont été capables de gérer
un triplement de leur population, dont une multiplication par sept de leur population
urbaine, de doter d’appareils d’État de jeunes nations et de maintenir des frontières
constitutives d’États-nations en voie de création. Les « acteurs du bas » ont ainsi été
capables d’inventer, d’innover et de créer des activités répondant à la satisfaction de
besoins essentiels. Les économies non officielles, populaires ou « informelles » ont,
par exemple, constitué des modes d’accommodement, d’ingéniosité, de vie ou de
survie du plus grand nombre. Le développement des infrastructures, des systèmes
scolaires, des appareils productifs et l’émergence d’élites nationales font en outre de
l’Afrique, en 2002, un continent fort différent de ce qu’il était au sortir de la décolo* Professeur à l’Université Paris X - Nanterre, membre du Fondement des organisations et des régulations de l’univers marchand (FORUM).
1. BAD, Rapport sur le développement en Afrique, Paris, Economica, 2001.
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nisation. Enfin, l’Afrique connaît une croissance démographique de l’ordre de 3 %,
bien qu’un processus de transition démographique soit enclenché dans la quasitotalité des pays.
Une autre approche, mettant en relief la pérennité des valeurs ou des structures
sociales, fait apparaître à la fois les permanences et les ruptures de trajectoires.
L’Afrique vit à un rythme en partie désynchronisé par rapport au temps mondial,
mais elle connaît également de profondes transformations liées à l’ajustement, à la
libéralisation et à l’érosion des préférences. Ainsi la chute du mur de Berlin a-t-elle
conduit à une baisse de l’aide publique au développement et à une réduction des
guerres interétatiques, mais elle s’est également caractérisée par une prolifération de
conflits intranationaux. Resituées dans la longue durée, les sociétés d’Afrique
connaissent donc une triple rupture : celle d’une économie de traite postcoloniale spécialisée dans des produits primaires, celle d’une économie administrée où prédominent des logiques rentières et celle enfin des économies communautaires où
s’imposent des dynamiques redistributives. D’où la mise en place, depuis les
années 1980, de politiques de libéralisation impulsées de l’extérieur, qui visent à
introduire un assainissement financier et une rationalité économique dans l’allocation
des ressources. Ces politiques sont plus ou moins internalisées et mises en œuvre par
des acteurs locaux, elles ont ainsi des effets différents selon les trajectoires propres à
chaque économie. Or on observe, depuis le début du XXIe siècle, d’importantes transformations tant sur le plan de l’environnement international que sur le plan interne
des sociétés d’Afrique avec notamment le développement de l’intégration réelle et la
mise en chantier du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique
(NEPAD).
La question demeure toutefois de savoir dans quelle mesure l’Afrique saura relever les nombreux défis (démographiques, environnementaux, technologiques) qui
s’imposent à elle. Comment pourra-t-elle s’intégrer positivement dans l’économie
mondiale et conforter son développement durable ? Afin d’apporter des éléments de
réponse à ces interrogations, nous différencierons la marginalisation et la stagnation
économiques passées, les dynamiques en cours et, enfin, les perspectives.
MARGINALISATION ET STAGNATION ÉCONOMIQUES
De manière globale, l’Afrique subsaharienne, qui regroupe environ 700 millions
d’habitants pour 49 États, est le sous-continent le moins développé économiquement
du monde. Elle représente, pour 10 % de la population mondiale, 1 % du produit
intérieur brut (PIB) mondial, soit 370 milliards de dollars, dont 150 milliards pour la
seule Afrique du Sud.
Une stagnation économique de longue période
L’accroissement du PIB réel en Afrique subsaharienne est passé de 4,6 % par an
durant les années 1960 à 3 % dans les années 1970, puis à 2,1 % durant les
années 1980, et à 2,5 % durant les années 1990 (voir tableau 1). Les indicateurs du
développement humain utilisés par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) classent les pays africains parmi les plus pauvres du monde. Et si
l’indicateur de développement humain indique une nette amélioration après les indépendances, on note un ralentissement de la progression depuis les années 1980. Ainsi,
l’espérance de vie est passée d’une moyenne de 43 ans en 1965 à 50 ans en 1982 et à
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49 ans en 1998. Les inscriptions scolaires ont, elles aussi, stagné ou diminué dans de
nombreux pays au cours des dix dernières années.
L’Afrique subsaharienne est en outre caractérisée par trois types de situations : des
structures inadéquates (manque d’infrastructures, étroitesse des marchés, secteurs
industriels ébauchés, faiblesse de l’environnement institutionnel), des politiques inadéquates (économie administrée, poids de la corruption, mauvaise gestion des secteurs publics et privés) et, enfin, des vulnérabilités internationales (endettement, prix
des matières premières). Elle reste en effet marquée par une économie de rente, où
l’enrichissement résulte davantage de prélèvements que de créations de richesses, qui
se marginalise à l’échelle internationale. Les logiques redistributives l’emportent ainsi
sur les logiques productives. Or l’Afrique doit gérer le passif de la dette tout en
répondant aux défis démographiques et urbains : 45 % de la population a moins de
15 ans, et l’explosion scolaire a peu débouché sur la formation de compétences utilisables par le système productif.
Plusieurs facteurs expliquent en partie le blocage de l’accumulation. L’Afrique est
demeurée largement une économie de rente, spécialisée dans des produits agricoles,
miniers et pétroliers. On y constate un faible taux d’investissement et surtout une
mauvaise utilisation du capital. Dans ces conditions, le modèle d’exportation de produits de base et de substitution des importations n’a pu enclencher un processus
auto-entretenu conduisant à une diversification de la production.
TABLEAU 1. — Principaux indicateurs macro-économiques
de l’Afrique subsaharienne (taux de croissance en %)
Population
Produit national brut (PNB)
Industrie
Agriculture
Investissement brut
19601970
19701980
19801990
19902000
2,4
4,6
10,1
2,5
15,0
2,9
3,0
8,2
1,9
20,6
3,1
2,1
0,6
2,5
16,0
2,6
2,5
0,2
1,5
16,0
Source : Philippe Hugon, L’économie de l’Afrique, Paris, La Découverte, 2001.
Une marginalisation extérieure
L’Afrique se marginalise, tant du point de vue des flux commerciaux que des flux
technologiques et financiers, ce qui aboutit à une « déconnexion subie ». Quarante
ans après les indépendances, la part des produits primaires dans les exportations est
restée la même, autour de 90 %, tandis que le poids de l’Afrique dans le marché mondial est passé de 2,4 % en 1970 à 1 % en 2000. En outre, si la part de l’Afrique dans
les investissements directs à l’étranger (IDE) mondiaux est de l’ordre de 1 %, le revenu
moyen africain, qui représentait il y a trente ans 14 % du revenu des pays développés,
est passé aujourd’hui à 7 %.
Par ailleurs, dans un contexte d’endettement permanent, l’aide, au lieu de constituer une transfusion provisoire, est devenue une perfusion permanente, permettant
aux États d’assurer le minimum de fonctions régaliennes. Elle représente en effet
généralement plus de 10 % du PIB des pays africains et tend à baisser depuis le début
de la décennie 1990.
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Un système financier défaillant
Les dysfonctionnements du système financier résultent à la fois de l’ampleur des
déficits publics, du poids des créances douteuses, des difficultés liées à la crise productive et d’une inadaptation des institutions financières à la réalité africaine. Les
crédits privilégient en effet aux trois quarts les opérations de court terme – crédit de
campagne, crédit immobilier, activités d’import-export – aux dépens des investissements productifs. Et si l’informel financier, comme les tontines, peut jouer un certain
rôle de relais, il ne peut toutefois pas prendre en charge l’ensemble des investissements (exception faite du pays Bamiléké, au Cameroun).
Les finances publiques, quant à elles, sont caractérisées par de faibles recettes fiscales (évasion fiscale, faible assiette et fiscalité de porte) et par un déficit de l’État et
des entreprises publiques et parapubliques. Ainsi la dette extérieure rétroagit-elle sur
la dette publique. Ce déficit, qui a été source d’inflation jusqu’au milieu des
années 1980 – exception faite des pays de la zone franc –, a tendance à se réduire
aujourd’hui, principalement du fait des politiques de stabilisation et d’ajustement
structurel. On constate toutefois le plus souvent un équilibrage « par le bas », conduisant à une chute des recettes et des dépenses publiques.
Le retrait de l’État
Dans de nombreux pays africains, l’État ne peut assurer ses fonctions régaliennes
minimales de sécurité et de contrôle du territoire. Il est, la plupart du temps, débordé
d’en haut, par un transfert du pouvoir régalien aux institutions internationales, et
d’en bas, par l’« informalisation » de la société. L’État-providence a donc souvent
fait faillite, et les principaux services sociaux ne sont généralement pas assurés. Il
s’est aussi souvent transformé en État patrimonial, éloigné des principes démocratiques. On note de ce point de vue un développement de l’incivisme fiscal et d’activités
plus ou moins légales se déroulant en dehors du contrôle de l’État, allant des petites
activités tolérées jusqu’aux circuits mafieux dans les collapsed states ou basket states.
DES AFRIQUES PLURIELLES
CARACTÉRISÉES PAR DES « DYNAMIQUES DU DEDANS »
Bien entendu, ce constat global est très réducteur. Au fur et à mesure que la
démarche top down cède la place à un éclairage bottom up, les Afriques apparaissent
plurielles et caractérisées par des « dynamiques du dedans », pour reprendre l’expression de Georges Balandier.
Les « dynamiques du dedans »
Depuis leur indépendance, les pays africains ont réussi à faire face à une croissance
démographique exponentielle, principalement dans les zones urbaines, et à maintenir
les frontières constitutives de leurs États-nations émergents. Les acteurs de la société
civile, en particulier, ont été capables d’inventer, d’innover et de créer des activités
répondant aux besoins essentiels du plus grand nombre. C’est ainsi que les réseaux
redistributifs ont généralement fonctionné.
La représentation macro-économique précédente ne prend donc pas en compte
les dynamiques repérables au niveau de l’informel et des micro-unités. Celles-ci
contribuent pourtant à plus de 30 % de la valeur ajoutée (de l’économie locale).
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L’économie populaire témoigne ainsi d’une grande ingéniosité et d’une dynamique
réelle, et fonctionne comme un régulateur essentiel de la crise, même si elle demeure
faiblement productive et conduit rarement à la transformation des micro-unités en
PME, notamment dans le secteur secondaire. Elle reste essentiellement concentrée
dans les services, dans le commerce en particulier, où des investissements
africains se développent notamment dans le domaine des nouvelles technologies
(voir, par exemple, le groupe camerounais Fotso ou certains conglomérats sudafricains). Mais, dans un contexte de mondialisation, les anciens réseaux commerciaux locaux ont souvent remplacé les circuits coloniaux et, pour certains, sont
devenus des lieux d’enchevêtrements entre investissement dans le symbolique, le
social, le religieux et l’économique (on peut citer à cet égard l’exemple des Mourides
au Sénégal).
On observe, par ailleurs, des progrès de la démocratie (tenue de conférences nationales, développement du multipartisme, montée de la sécurité civile, élections
libres...), même si celle-ci demeure fragile, comme en témoignent les élections à
Madagascar ou au Zimbabwe en 2002. Un processus d’appropriation et de libération
des énergies crée à son tour un développement sur des bases endogènes.
Une diversité des trajectoires
Les deux grandes puissances de l’Afrique subsaharienne sont l’Afrique du Sud et le
Nigeria qui demeure aujourd’hui un pôle potentiel. L’Afrique du Sud représente à
elle seule 50 % des emplois salariés, la moitié du réseau ferroviaire et 50 % de la
consommation énergétique de l’ensemble subsaharien. Puissance économique de premier ordre, l’Afrique du Sud est également une puissance militaire importante. La
dynamique de son économie reste toutefois largement dominée par les ressources
minières et hypothéquée par l’évolution sociopolitique interne.
Les économies agro-exportatrices ont connu pour la plupart (comme au Kenya, au
Cameroun ou en Côte-d’Ivoire) une croissance stimulée par des cultures d’exportation permettant une diversification de l’économie, et la substitution progressive des
importations. Ce modèle a toutefois généré sa propre crise, du fait du processus de
« fuite en avant » générateur d’une dette extérieure, de l’épuisement des réserves, de
l’absence de mécanismes stabilisateurs, et des prix internationaux dépressifs et instables. Peu d’économies ont su changer de spécialisation et construire un développement durable.
Pour leur part, les économies sahéliennes se caractérisent par une grande fragilité
et sont encore peu ouvertes sur l’extérieur. Elles subissent pleinement les instabilités
liées aux aléas climatiques, aux turbulences internationales et aux effets d’autres instabilités propres au Nigeria.
Les économies minières (comme celles de la Guinée, du Liberia, de la Mauritanie,
du Niger, de la République démocratique du Congo, de la Sierra Leone, du Togo,
et de la Zambie) et pétrolières (comme celles de l’Angola, du Gabon et du Congo)
ont, quant à elles, des dynamiques liées aux cours des matières premières, aux stratégies des firmes multinationales et aux recettes de l’État. Ces économies, exception
faite des plus riches (Afrique du Sud et Botswana), connaissent aussi de nombreux
conflits.
Par ailleurs, 14 pays en guerre sont devenus des zones de chaos, véritables lieux
d’affrontement des seigneurs de la guerre (Somalie, Tchad), de conflits ethniques
(Burundi, Rwanda) et religieux (Soudan). Les protagonistes se disputent les richesses
naturelles (diamant, pétrole, narcodollars) qui, en attendant, leur permettent de
financer les conflits.
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LA REVUE INTERNATIONALE ET STRATÉGIQUE
À l’opposé, on remarque des réussites industrielles liées à la stabilité sociopolitique
et à des politiques d’ouverture extérieure, telles la bonne gestion de la rente sucrière
dans l’île Maurice ou diamantifère au Botswana.
DÉFIS INTERNES ET INTERNATIONAUX, ET PERSPECTIVES
De nombreux programmes de relance de l’Afrique ont été proposés au début du
siècle, notamment les initiatives des présidents Thabo Mbeki et Abdoulaye
Wade, qui ont conduit à un « Nouveau partenariat pour le développement en
Afrique », porté par cinq États (l’Algérie, l’Afrique du Sud, l’Égypte, le Nigeria et le
Sénégal). Ce projet, pris au sérieux par les bailleurs de fonds, privilégie les infrastructures régionales et témoigne d’une appropriation par les Africains d’un modèle de
développement devant fonder un véritable partenariat, même s’il demeure très top
down dans sa conception.
XXIe
Les défis internes
L’Afrique doit faire face à de nombreux défis internes : gestion de la dette, doublement de la population globale et triplement des populations urbaines tous les vingt
ans, reconstitution des écosystèmes. En outre, l’agriculture extensive va devoir
s’intensifier, notamment avec l’utilisation d’intrants, afin de pallier la raréfaction des
terres. Sans parler de l’industrie qui, encore embryonnaire, doit affronter la concurrence internationale, en particulier celle des pays d’Asie à bas salaires et fort potentiel
technologique.
Les changements structurels internes
En Afrique de l’Ouest, on assiste à l’apparition de plusieurs facteurs globaux de
rupture, à travers notamment un essoufflement du modèle agro-exportateur fondé
sur des produits tropicaux aux marchés restreints et aux concurrences croissantes. La
stratégie de substitution d’importation ne présente, par ailleurs, qu’une validité
limitée dans les micro-États où les marchés régressent et où l’ouverture extérieure
résulte de mesures de libéralisation et de la porosité des frontières. Le modèle agropastoral extensif empêche le renouvellement des écosystèmes (raccourcissement de la
jachère, déforestation...). Enfin, la priorité est souvent donnée à la gestion des déficits
financiers.
Face à ces difficultés, la montée des tensions et des conflits est d’autant plus
importante que les enjeux économiques sont moins représentés par les conquêtes de
marchés que par les captations de ressources naturelles (comme le diamant ou le
pétrole) et le contrôle des trafics (contrebande, drogue...). Dans des sociétés où
l’État-nation est en voie de constitution, et où les réseaux personnels et les solidarités
ethniques l’emportent sur l’institutionnalisation de l’État, la crise économique a renforcé la décomposition de ce dernier. Dans certains cas extrêmes, elle a même transformé l’économie de rente en une économie mafieuse et de rapines. Dès lors, le futur
de l’État conditionne largement le futur de l’économie.
Les sociétés africaines devront, en outre, reconstituer leurs écosystèmes, réaliser
les investissements collectifs et productifs nécessaires à la croissance et se repositionner « positivement » dans la division internationale du travail. Ces différents
défis impliquent des progrès de productivité et une accumulation à long terme
inévitables.
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La crise se traduit aussi par une ouverture aux jeux de l’échange, qui se manifeste
par une diffusion des moyens techniques témoignant à la fois d’innovations et de différenciations sociales et spatiales. L’Afrique contrastée est prise dans la mondialisation des images, de la révolution technique et dans la tradition réinterprétée.
La crise – rupture et mutation – a ainsi accentué l’ambiguïté d’une Afrique contrastée, dans laquelle il est désormais difficile de discerner les événements constructeurs de l’avenir, « qui avancent avec des pas de tourterelles », et les faits significatifs
qui feront que, parmi les multiples cheminements, l’un deviendra histoire. La rétroprospective montre à propos de l’Asie que l’« asio-pessimisme » dominait, il y a quelques décennies, au nom des particularités sociales et culturelles. Le développement se
pose toutefois en termes de générations.
On peut, dès lors, vraisemblablement tabler sur une différenciation croissante des
économies africaines, les priorités agro-pastorales n’étant pas les mêmes pour les économies nomades des Touaregs, pour les cueilleurs de la forêt équatoriale ou pour les
paysans des Hautes Terres malgaches. Or le choix entre une économie ouverte sur
l’extérieur ou orientée vers le marché intérieur diffère entre les petits pays côtiers et
les grands pays du centre de l’Afrique. La gestion de l’autosuffisance et de la sécurité
alimentaires se pose ainsi en des termes radicalement différents dans les petites îles
surpeuplées et dans les grands pays où la terre est abondante. Les grands pôles subsahariens que sont l’Afrique du Sud et le Nigeria joueront vraisemblablement ici un
rôle central. Les unions monétaires au sein de la zone franc pourront également constituer des contrepoids ou, au contraire, se décomposer et favoriser des stratégies de
« cavalier libre » de la part de petits États membres. Concrètement, les différenciations s’accentueront selon les régimes d’accumulation et les modes de spécialisation,
les pays sahéliens enclavés et les pays en guerre risquant de se marginaliser, les pays
agro-exportateurs de s’engager dans une spécialisation appauvrissante s’ils ne diversifient pas leurs exportations, et les pays rentiers miniers ou pétroliers de subir de grandes instabilités liées aux fluctuations de la rente. L’eau, enfin, constituera sans doute
un enjeu majeur dans la détermination de ces nouvelles orientations.
Permanence ou mutation des structures sociales ?
En Afrique subsaharienne, les référents identitaires fondant les liens sociaux ne
sont pas réductibles à la citoyenneté et à l’appartenance nationale. Les espaces
publics et privés sont souvent confondus ou enchevêtrés, et les solidarités intergénérationnelles – la prise en charge des « pré- », « non- » ou postproductifs – sont largement assurées par des groupes privés d’adhésion (tontines, associations, organisations
non gouvernementales ou mutuelles) ou d’appartenance (lignage, ethnie, églises). Ces
référents identitaires multiples sont d’autant plus importants que les agents sont en
situation de vulnérabilité et d’insécurité, qu’il n’y a pas d’institutionnalisation de
l’État, que la conscience de citoyenneté est faible et que les politiques sociales ont été
altérées par la crise et par l’ajustement. Or ces identités labiles sont elles-mêmes sujettes à évolution et à négociation, bien que l’histoire les ait réifiées comme des différences d’essence (authenticité zaïroise, ivoirité, identité ethnique).
En situation de crise, il importe aussi de prendre en compte l’accélération des
mutations repérables dans le monde rural (accroissement des luttes foncières, différenciations sociales, nouveaux acteurs tels les scolarisés-chômeurs ou les urbainspropriétaires) et dans les villes (rôle croissant de l’informel). Il en résulte de nouvelles
structurations spatiales (zones de transgression, espaces frontaliers échappant aux
pouvoirs centraux, nouveaux pôles régionaux) et de nouvelles forces politiques (rôle
des églises, des sectes, des divers groupes d’appartenance). Les structures lignagères,
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bien loin de se dissoudre dans une modernité assimilable aux structures occidentales,
semblent donc se renforcer, même si l’on observe dans le même temps un processus
d’individualisation et d’exclusion. De nombreuses interrogations apparaissent ainsi.
Dans quelle mesure les logiques redistributives peuvent-elles jouer, dès lors que la
rente transitant par l’État se réduit ? Comment les solidarités peuvent-elles se maintenir dans un contexte d’aggravation des différenciations sociales et des inégalités de
revenus ? Ou encore, en quoi les migrations peuvent-elles jouer un rôle régulateur dès
lors qu’il y a exacerbation des nationalismes exclusifs et mise en place de droits de
propriété ?
Les évolutions des États
Au-delà de la proximité de certaines histoires telles la traite esclavagiste ou la colonisation, les systèmes sociopolitiques africains sont fortement contrastés. Dans
l’ensemble, l’État a précédé la nation, et l’idée de citoyenneté reste embryonnaire face
à la prévalence des liens communautaires, claniques ou ethniques. Encore faut-il distinguer différents types de sociétés : caractérisées par des clivages ethniques, des
appartenances segmentaires sans État, ou claniques (comme c’est le cas de la
Somalie), ou encore fondées sur des empires ou des États-nations anciens (comme
l’éthiopie).
Dans de nombreuses sociétés africaines, les pouvoirs fonctionnent selon un double
registre, celui des structures officielles ayant une légitimité extérieure et celui des
structures réelles, reflet des compromis sociopolitiques et des accumulations de capital relationnel. Dans la plupart de ces sociétés, c’est donc l’accès au pouvoir qui
donne une emprise sur les richesses et non l’inverse, les institutions étant largement
subverties par un système patrimonial personnel et les réseaux de connaissances et de
solidarité l’emportant sur l’institutionnalisation de l’État.
Les changements de l’environnement international
Dans un contexte en voie de mondialisation et de régionalisation autour de la
Triade, et de balkanisation de l’Afrique, assistera-t-on à une désintégration, à une
intégration autour de grands pôles et de puissances hégémoniques tels le Nigeria et
l’Afrique du Sud, à une intégration en relation avec l’Union européenne (UE) autour
de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), la Communauté économique et monétaire en Afrique centrale (CEMAC), la Commission économique de
l’ONU pour l’Afrique (CEA) ou la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) ? Constitution d’États fédéraux et de confédérations autour des grandes
zones de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) devenue Union africaine telles la
Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), la Communauté économique des États d’Afrique centrale (CEEAC) ou le Marché commun pour
l’Afrique de l’Est et du Sud (COMESA) qui constituent les cadres régionaux de référence du NEPAD.
La mondialisation en cours conduit à des prévisions plutôt pessimistes face à des
économies à la fois marginalisées et extraverties. Elle se traduit ainsi par une montée
en puissance de l’économie immatérielle et des technologies de l’information, par un
rôle accru de l’environnement technologique et institutionnel dans l’attraction des
capitaux, et par une compétitivité portant sur la qualité des produits et liée à la logistique. L’accélération des innovations techniques accentue par ailleurs les inégalités
mondiales, et la plupart des simulations prévoient des divergences croissantes de trajectoires entre l’Europe et l’Afrique du fait d’effets de seuil et d’agglomération, et des
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rendements croissants. Dans une vision prospective, les avantages compétitifs se
construisent par des stratégies ; à cet égard, on peut noter des innovations dans
diverses productions agricoles (coton, fleurs séchées, fruits et légumes de contre-saison), industrielles (textiles) ou artistiques (artisanat d’art, musique...), montrant les
voies nouvelles d’une compétitivité africaine1.
L’évolution économique de l’Afrique reste toutefois largement dépendante des tendances de l’économie mondiale, et ces nouveaux facteurs de compétitivité africaine
n’interviennent pas de manière immédiate, alors que des institutions et des politiques
internationales (zone franc, accords Afrique-Caraïbes-Pacifique/UE, politiques bilatérales et multilatérales...) créent des espaces de stabilisation, de protection ou de compensation et déconnectent en partie l’Afrique des marchés mondiaux.
Les options stratégiques, les enjeux et les jeux des acteurs
Si les cartes sont largement distribuées par les tendances lourdes internes et externes qui viennent d’être dégagées, les jeux sont faits par des acteurs qui ont diverses
manières de se positionner, qui cherchent ainsi à redistribuer les cartes, à constituer
de nouvelles donnes, voire qui, à la limite, préfèrent changer de jeu. Les mutations
politiques sont importantes (montée de la démocratie, rôle de la société civile). Un
des enjeux majeurs est évidemment le devenir de l’Afrique du Sud qui peut jouer un
rôle entraînant en Afrique australe.
Les acteurs prennent leurs décisions en état d’incertitude sous contrainte d’action.
Ils déterminent ainsi les effets futurs par leurs décisions cruciales (attitudes proactives), réagissent aux événements (attitudes réactives), essayent de les infléchir ou
adoptent des comportements routiniers. La décision devient alors une prise de risque
par la transformation, sous contrainte, d’un monde incertain. Or les Afriques plurielles montrent une très grande diversité des enjeux et des options stratégiques.
Les jeux des acteurs économiques : logique rentière ou accumulative ?
Les acteurs qui pèsent fortement sur le devenir de l’Afrique sont pour partie extérieurs à celle-ci (institutions internationales, anciennes puissances coloniales, firmes
transnationales, réseaux de diasporas, bailleurs de fonds...). Ces derniers défendent
des intérêts multiples et souvent contradictoires : prévention des conflits, objectifs
humanitaires, soutien des firmes, défense de la langue, obtention de voix aux Nations
unies, financement des partis... Or l’épée de Damoclès de la dette et la mise en œuvre
de conditionnalités ont conduit à une mise sous tutelle et à des réformes plus ou
moins internalisées par les décideurs nationaux. L’Afrique est un immense chantier
de réformes économiques, institutionnelles, sociales et politiques – devant conduire à
plus d’efficience économique et à plus de transparence –, mais souvent détournées de
leurs objectifs initiaux. On assiste alors à un « jeu continu du déni de l’échec », personne ne voulant aller trop loin dans la rupture.
On peut toutefois supposer qu’un certain retrait, un désintérêt, voire un désengagement ait offert aux décideurs nationaux plus d’autonomie, mais ait également favorisé un retour des liens particuliers et des jeux d’intérêts entre acteurs privés et
publics, nationaux et internationaux.
Comme l’écrivait Georges Balandier en 1966 : « Dépendance ne signifie pas prédétermination par l’extérieur mais plutôt non-disposition de tous les éléments de base
nécessaires à la liberté de choix. » Les décideurs publics africains ont, à des degrés
1. Futurs Africains, La compétitivité future de l’Afrique, Paris, Karthala, 1999.
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divers, une double légitimité intérieure et extérieure. Les pouvoirs réels sont liés aux
hiérarchies sociales, aux alliances entre les titulaires du pouvoir politique, ceux qui
disposent du pouvoir économique (commerçants, étrangers, mafias) et/ou symbolique
(pouvoirs religieux, chefferies traditionnelles). Les pouvoirs publics africains sont
donc le plus souvent caractérisés par des alliances avec le capital marchand, notamment avec les diasporas libanaises, indo-pakistanaises ou chinoises. S’il existe des
hommes d’affaires, des commerçants et des intermédiaires africains généralement très
efficients, on trouve peu d’entrepreneurs – au sens schumpeterien1 – ayant des stratégies innovantes sur le long terme. Les acteurs de l’informel sont plus entreprenants
qu’entrepreneurs, plus ingénieux qu’ingénieurs.
Le devenir de l’Afrique dépend donc largement des macrodécisions de ces différents décideurs et des jeux de contre-pouvoir permettant de passer de logiques rentières, voire de prédation, à des accumulations productives et à des États bienveillants.
Y aura-t-il alors conversion du capital marchand en un capital productif ? Les
micro-producteurs deviendront-ils de petits entrepreneurs développant un réseau de
PME et de PMI ? Y aura-t-il des liens entre les grandes firmes et les sous-traitants ? Les
acteurs caractérisés par leur logique à court terme auront-ils un comportement
d’investissement à risque ? Jusqu’où l’informel n’épuise-t-il pas les conditions de son
développement (notamment en ne prenant pas en compte son environnement) ? Les
stratégies d’intégration positive dans l’économie mondiale supposent de nouvelles
alliances privilégiant le capital productif et l’investissement à risque. Mais cela n’est
possible, à court terme, qu’en « cassant » des rentes qui sont souvent facteurs
d’équilibrage sociopolitique.
Les différents travaux sur l’Afrique montrent que la croissance et le développement durable sont liés à un environnement institutionnel et politique stable, et que
les conflits internes et, bien entendu, les guerres sont des facteurs déterminants des
faibles performances économiques, de la montée de la pauvreté, des changements
familiaux et des comportements démographiques. Le développement durable dépend
aussi de la capacité de l’État à s’engager de façon crédible dans des dépenses publiques à caractère redistributif, tant sur le plan régional que sur celui des divers groupes sociaux. Les politiques d’aménagement du territoire équilibrées, les mécanismes
redistributifs vis-à-vis des groupes exclus ou marginalisés, et les politiques sociales
équitables sont autant de facteurs essentiels à la paix civile et, par là même, à la
croissance à long terme. Il importe dès lors de dépasser les divisions ethniques, sociales ou religieuses par des mécanismes crédibles de redistribution, notamment par un
effort d’éducation en faveur des divers groupes, par une accession des élites de toutes
origines aux centres de décision, et par leur représentativité dans les diverses instances du pouvoir.
En 2001, les économies africaines subirent le double effet des cours dépressifs des
produits de base et de la récession mondiale accentuée par le choc du 11 septembre. Or
les augmentations de dons décidées à Ottawa, au mois de novembre 2001, ou la légère
hausse de l’APD d’ici 2006 prévue par le « consensus de Monterrey » (mars 2002) ne
sont pas à la hauteur des enjeux. Il faudrait doubler l’aide pour que l’objectif du millénaire de réduire de moitié les pauvres (moins de 1 dollar par jour) soit atteint. Les
réductions de dettes des pays pauvres très endettés (PPTE) ont diminué de moins d’un
tiers le service de la dette, visant ainsi à la rendre supportable. Mais ces mesures ne
sont pas suffisantes pour permettre un désendettement durable de l’Afrique.
1. N.d.l.R. : Économiste autrichien, J.-A. Schumpeter (1883-1950) expliqua la croissance économique
par les « innovations » et insista sur le rôle décisif de l’entrepreneur. Il donna également une analyse de
l’évolution oscillatoire de l’économie capitaliste.
PHILIPPE HUGON
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La mise en place des règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) a
conduit à un multilatéralisme qui va à l’encontre des préférences commerciales dont
bénéficiait l’Afrique. Elle doit aboutir également à surenchérir la facture des importations alimentaires, mais peut aussi favoriser l’accès aux médicaments en limitant les
droits de propriété ou favoriser la réduction des subventions des agricultures du
Nord (à cet égard, on peut se référer à la conférence qui s’est tenue à Doha au mois
de novembre 2001).
Pour leur part, les accords de Cotonou1 ont supprimé les mécanismes de compensation des instabilités et ont proposé une série de partenariats économiques fondés
sur des accords de libre-échange en conformité avec les règles de l’OMC. Il est prévu
des accords de partenariat économique (APE), soit avec des pays, soit avec des
ensembles régionaux (CEMAC, Communauté d’Afrique de l’Est [EAC], UEMOA ou
CEDEAO, SADC). Ces accords de libre-échange réciproques auront des coûts élevés
en termes de recettes publiques, d’ajustement des importations et des exportations.
Mais la mise en place des APE dans des régions africaines comprenant notamment
des pays moins avancés (PMA) risque de se heurter à d’autres initiatives de l’UE,
telles « Tout sauf les armes », permettant la libre entrée des produits (sauf le sucre,
les bananes et le textile) des PMA faisant partie des pays Afrique-Caraïbes-Pacifique
(ACP) ou non-ACP.
On peut douter que les pays africains puissent, d’ici 2020 – date d’application des
APE –, mettre en place les réformes nécessaires à leur accueil. Il peut certes y avoir
appui à l’État de droit, ancrage des politiques et transfert de crédibilité de l’Europe,
mais l’attraction des capitaux privés suppose une reprise des flux publics actuellement
fort problématique. Les risques de décrochage et de divergence de l’Afrique sont
donc encore élevés. En revanche, la convention de Cotonou peut constituer un cadre
de discussion Nord-Sud, et pourrait peser sur l’OMC grâce à la majorité des voix
(70/135). Les pays ACP représentent 70 des 135 pays membres de l’OMC.
La France, depuis sa réforme de la coopération, a normalisé ses rapports avec
l’Afrique, ce qui favorise l’appropriation par les Africains de leur devenir, mais traduit dans le même temps un fort relâchement des relations franco-africaines. La mise
en place de l’euro a eu une incidence importante sur l’évolution de la zone franc et
des différentes unions monétaires africaines et, au-delà, sur les relations que l’Union
européenne nouera avec l’Afrique subsaharienne. Dans la mesure où l’essentiel des
flux commerciaux de l’Afrique se fait avec l’Europe, un rattachement des monnaies
africaines à l’euro pourrait se justifier. À terme, il y aura vraisemblablement dilution
de l’espace UEMOA dans l’espace CEDEAO.
Quelles perspectives concernant l’aide ?
Mais l’aide financière peut aussi exercer des effets pervers. Elle peut, par exemple,
se heurter à la faible capacité d’absorption et créer des effets d’éviction ou désincitatifs. Il n’empêche que les pays africains ont des besoins considérables d’apports financiers pour absorber le rythme de croissance démographique qu’ils connaissent, et
reconstituer leur appareil productif et des infrastructures de base. Bien entendu, la
priorité consiste à mobiliser l’épargne locale et à favoriser son rapatriement sur des
marchés domestiques. Favoriser l’attractivité des capitaux privés présuppose donc un
engagement d’aide publique exerçant des effets d’entraînement. Or, si un plan Marshall pour l’Afrique paraît nécessaire, il demeure toutefois peu vraisemblable.
1. N.d.l.R. : Nouveau partenariat UE-ACP, adopté le 23 juin 2000. Il remplace les conventions successives de Lomé.
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CONCLUSION
Plusieurs pistes peuvent être proposées pour limiter les trappes à pauvreté et les
risques de marginalisation :
— mobiliser les différents acteurs intervenant dans la coopération, notamment les
acteurs des organisations de solidarité internationale ou de la société civile ;
— rendre plus flexible l’allocation des ressources, développer des conditionnalités
simples liant l’aide à des performances et responsabiliser les pays aidés ;
— passer de préoccupations d’équilibrages à court terme à des objectifs de reprise
des financements des investissements productifs et sociaux à moyen et long
termes ;
— créer un environnement stabilisé permettant le risque d’investissement en favorisant la reconstitution des États dans leurs fonctions essentielles ; relancer des
investissements privés n’est, en effet, pas envisageable sans un engagement significatif des investissements publics.
L’Union européenne pourrait mettre en place des mécanismes de garantie et d’aide
à la convertibilité moyennant acceptation des règles monétaires et budgétaires vis-àvis des pays africains hors zone franc. Il y aurait ainsi, progressivement, convergence
des deux systèmes : celui des unions monétaires de la zone franc, soutenues par le
Trésor français avec autonomisation progressive vis-à-vis de celui-ci, et celui de la
zone hors franc, appuyé par l’Union européenne.
Ces réformes n’auront évidemment de sens que si elles favorisent une attractivité
des capitaux et une reprise des investissements vers l’Afrique, et que si l’Europe
exerce notamment une « contagion de croissance » en Afrique par des transferts de
technologie et une ouverture de ses marchés à des produits manufacturés, permettant
une montée en gamme des exportations africaines.
L’aide ne peut en effet être efficace que si elle accompagne des dynamiques internes et donc si elle s’intègre dans des politiques cohérentes conçues au niveau des
sociétés, des États et des ensembles régionaux.
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