Précis d’économie objective / Propositions premières de science économique / Chapitre 2 – La marchandise 2.19. Il y a deux sortes de marchandises composées : les marchandises rares et les marchandises industrielles. 1. Des marchandises composées sont reproductibles à volonté par l’industrie humaine alors que d’autres ne le sont pas. Cette observation a été introduite dans la théorie économique par David Ricardo (17721823), dès les premiers paragraphes du premier chapitre Des principes de l’économie politique et de l’impôt. [1] L’économie politique néoclassique (marginaliste) passe outre à cette observation, dont il ne fait pourtant aucun doute qu’elle est si fondamentale dans l’œuvre de Ricardo et dans les faits que ses tenants vont trop vite en besogne quand ils estiment continuateurs de cette œuvre. Logiquement et à cause de l’observation fort explicitement introduite par Ricardo, voir citation ci-dessous, la théorisation néoclassique est en contradiction avec l’économie politique classique, version Ricardo. [2] 2. La manière dont Ricardo a extrait de la notion générale de rareté le concept de rareté économique est exemplaire. Du quatrième au sixième paragraphe de la section 1 de son chapitre 1, On Value, de On The Principles of Political Economy, and Taxation, Ricardo a écrit (ci-dessous en italiques et avec débuts de ligne calés sur la gauche ; traduction en français, qui est mon fait, en caractères droits et alignement du texte à droite) : [3] There are some commodities, the value of which is determined by their scarcity alone. No labour can increase the quantity of such goods, and therefore their value cannot be lowered by an increased supply. Some rare statues and pictures, scarce books and coins, wines of peculiar quality, which can be made only from grapes grown on a particular soil, of which there is a very limited quantity, are all of this description. Their value is wholly independent of the quantity of labour originally necessary to produce them, and varies with the varying wealth and inclinations of those who are desirous to possess them. Il y a des marchandises dont la valeur d’échange n’est déterminée que par leur rareté. Nul travail ne peut augmenter la quantité de tels biens et leur valeur d’échange ne peut pas baisser par suite d’une augmentation de leur offre. Des statues et des peintures fameuses, des livres et des médailles rares, des vins de grande qualité qui ne peuvent être obtenus qu’à partir de raisins cultivés sur des sols particuliers dont il n’existe qu’une très petite quantité, sont tous de cette sorte. Leur valeur d’échange est entièrement indépendante de la quantité de travail qui a été originellement nécessaire pour les produire et dépend des inconstantes fortunes et envies de ceux qui ont le désir de les posséder. These commodities, however, form a very small part of the mass of commodities who are daily exchanged on the market. By far the greatest part of those goods which are the objects of desire, are procured by labour; and they may be multiplied, not in one country alone, but in many, almost without any assignable limit, if we are disposed to bestow the labour necessary to obtain them. Ces marchandises, cependant, constituent une très petite part de la masse de celles qui sont quotidiennement échangées sur le marché. De loin le plus grand nombre des marchandises qui sont l’objet de nos désirs procèdent d’un travail [tel qu’elles] peuvent être multipliées, non dans un seul pays mais en de nombreux, à peu près sans aucune limite assignable quand on est disposé à consacrer le travail nécessaire à leur obtention. In speaking then of commodities, of their exchangeable value, and of the laws which regulate their relative prices, we mean always such commodities only as can be increased in quantity by the exertion of human industry, and on the production of which competition operates without restraint. En parlant donc des marchandises, de leur valeur d’échange et des lois qui régissent leurs prix relatifs, nous n’avons en vue que celles de ces marchandises dont la quantité peut être accrue par l’exercice de l’industrie humaine et sur la production desquelles s’exerce une concurrence sans entrave. 3. Une marchandise n’est économiquement rare que lorsqu’elle ne peut pas être, définitivement ou temporairement, produite à volonté par l’industrie humaine. L’espace foncier et l’immobilier, dès lors qu’ils font l’objet de mises en vente et d’expropriations indemnisées par la force publique, constituent une marchandise rare dont l’importance sociale et les retombées économiques sont considérables. Dans les autres ressources qui engendrent de la rareté économique se trouvent des minerais et des combustibles d’origine fossile. Leurs exploitations créent et entretiennent des mannes aux frais des acheteurs : qui de nos jours n’a jamais entendu parler de rente pétrolière ? [4] 4. À la lumière des précédentes considérations, nous convenons de dire des marchandises composées dont aucune industrie ne peut augmenter la quantité qu’elles forment le sous-ensemble des marchandises rares. Symétriquement, nous convenons de dire des marchandises composées qui sont produites ou dupliquées en série par l’industrie humaine qu’elles forment le sousensemble des marchandises industrielles. 5. Presque tous les objets de collection deviennent, quand ils sont mis en vente, des marchandises rares. Alors que le déterminant unique ou principal du prix d’une marchandise rare est le procédé de la vente au plus offrant ou au plus vite acceptant, les prix effectifs des marchandises de nature à être reproductibles à volonté sont ramenés vers leurs niveaux suffisants, à plusieurs conditions qui sont exposées dans la suite (chapitre 11, plus particulièrement). 6. Des théories des prix sont articulées comme s’il n’existait que des marchandises rares. Dans l’ensemble des marchandises se trouvent un sous-ensemble de marchandises élémentaires et un sous-ensemble de marchandises composées. Dans l’ensemble des marchandises composées se trouvent un sous-ensemble restreint de marchandises rares et un très grand sous-ensemble de marchandises industrielles. Ces faits étant irréfutables, la seule façon de les évacuer d’une conception de l’économie est de les passer sous silence afin de continuer à faire de la rareté le deus ex machina du système économique — voir manuels d’enseignement secondaire et supérieur ès « sciences économiques » qui entonnent dès leurs premières pages cette antienne et ne cessent d’y revenir. [1] Première édition en 1817, troisième et dernière du vivant de son auteur en 1821. [2] L’observation sur la rareté introduite par Ricardo a joué un si grand rôle, par sa négligence, que le verbatim de cette introduction figure deux fois dans le présent précis. [3] Dans la dernière édition du vivant de Ricardo, le chapitre 1 comporte 7 sections. La section 1 comporte 21 paragraphes. C’est donc bien au début de ses principes d’économie politique qu’il a placé son observation sur la rareté, laquelle a joué depuis un temps immémorial un grand rôle par le syllogisme tout aussi fameux que logiquement irrecevable : puisque ce qui est rare est cher, la cherté procède de la rareté. [4] | Rente, définition | La rente tirée par un ménage de ses placements et la rente pétrolière, ou jadis la rente foncière des grands propriétaires de terres agricoles, n’ont en commun que d’être encore désignées par le même mot. C’est malheureux. Dans la rente tirée de la location d’une propriété, il n’y a pas de plus-value. Dans la rente que des placements de son épargne procurent à un particulier n’entre pas forcément de la plusvalue. Dans la rente pétrolière, comme pour d’autres rentes engendrées par de la rareté économique, il y a surtout ou exclusivement de la plus-value. Un moyen de distinguer ces deux sortes de rente consiste à parler de « manne pétrolière / boursière / immobilière / aurifère / etc. » afin que « rente » redevienne étroitement associé à un autre substantif qui en est dérivé : « rentabilité ».