2.5. Une marchandise possède une valeur d`usage et une valeur d

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Précis d’économie objective / Propositions premières de science économique /
Chapitre 2 – La marchandise
2.5. Une marchandise possède une valeur d’usage et une valeur
d’échange.
1. La distinction entre valeur d’usage, ou utilité, et valeur d’échange, ou cherté,
a été introduite dans la pensée économique par Adam Smith durant la seconde
moitié du XVIIIe siècle.
Ce fut dans les termes suivants :
« Il faut observer que le mot valeur a deux significations différentes ; quelquefois il
signifie l’utilité d’un objet particulier, et quelquefois il signifie la faculté que donne
cet objet d’acheter d’autres marchandises. On peut appeler l’une valeur en usage et
l’autre valeur en échange. »
Smith ajoute immédiatement le rejet de l’attribution de la cherté à l’utilité :
« Des choses qui ont la plus grande valeur en usage n’ont souvent que peu ou point
de valeur en échange. […] Il n’y a rien de plus utile que l’eau, mais elle ne peut
presque rien acheter ; à peine y a-t-il moyen de rien avoir en échange. Un diamant,
au contraire, n’a presque aucune valeur quant à l’usage, mais on trouvera
fréquemment à l’échanger contre une très grande quantité d’autres marchandises. »
2. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, survint la « révolution marginaliste ».
Les convaincus du bien-fondé du marginalisme ont une manière qui leur est propre de
lire « les anciens auteurs » (professeur Jean Marchal). Sur le Paradoxe de l’eau et du
diamant, voici ce qu’en a écrit dans les années 1990 le professeur Frédéric Teulon : [1]
« Ce paradoxe peut être expliqué, en utilisant le concept de rareté. L’eau est un
bien vital, mais abondant, en conséquence l’utilité marginale qu’un individu tire de la
consommation de la dernière quantité d’eau qu’il utilise est très faible. L’eau sera
donc à la marge, faiblement valorisée, en dépit de son immense utilité en ce qui
concerne la survie de l’espèce. »
Le bien-fondé du rejet par Adam Smith de l’attribution de la cherté à l’utilité est pourtant
aisément vérifiable et largement vérifié. En le contournant par le subterfuge de l’utilité de
la dernière quantité, le marginalisme ramène la rareté au rang de déterminant universel de
la cherté et la « science » économique au sophisme : ce qui est rare est cher, ce qui est
cher est rare.
3. C’est en contradiction avec Adam Smith puis David Ricardo jugeant que les
quantités relatives de travail jouent un grand rôle en matière de cherté.
Dans le premier quart du XIXe siècle, David Ricardo endosse ce jugement, mais en
excluant les marchandises qui sont définitivement ou temporairement rares, ainsi qu’en
tenant compte de ce que certains économistes ont appelé « l’intensité capitalistique »,
susceptible d’être fort différente d’une production marchande à l’autre – celle de
l’extraction de charbon et celle de paniers en osier ou de chaussures, par exemple.
4. En réalité et en situation de concurrence, les prix de l’eau au robinet ou en
bouteille dépendent avant tout de coûts de production et de profits.
Ces coûts dépendent beaucoup eux-mêmes des quantités de travail, nouveau et passé.
Les profits sont à une hauteur normale, variable dans le temps et l’espace, aux conditions
exposées plus avant dans le présent traité. Ricardo affirme très clairement, dès les
premiers paragraphes du chapitre 1 de ses Principes, qu’il n’existe pas de déterminant
commun à toutes les marchandises de leurs valeurs d’échange. Une fois encore, c’est à
cause de celles de ces marchandises qui sont rares — par distinction avec d’autres qui, en
plus grand nombre, sont « reproductibles à volonté par l’industrie humaine ».
5. Rien, hors de l’habitude qui en a été prise, ne permet de préjuger l’existence
d’un déterminant universel des chertés.
Ce n’est qu’au terme de l’observation de la formation des prix dans chaque catégorie
principale de marchandise qu’il devient de bonne méthode de se prononcer sur cette
existence. Donc ex post et non ex ante, faute de quoi est commise une pétition de principe
par affirmation d’une existence dont il convient justement de démontrer que la pratique
des échanges marchands l’établit. Aucune pétition de principe n’est scientifiquement
acceptable. C’est l’une des raisons pour lesquelles la solution marginaliste au prétendu
paradoxe de l’eau et du diamant est ascientifique. Comme il n’est pas possible de prouver
que cette solution fait partie du réel instauré par la pratique des échanges marchands,
c’est à l’inutilité de l’utilité marginale pour fonder une théorie générale des échanges
économiques que la raison oblige à s’en tenir, jusqu’à l’éventuelle preuve ex post que les
fonctions universelles attribuées à l’utilité marginale et à la rareté existent vraiment.
6. De cette dernière considération découle la raison pour laquelle la division de
l’ensemble des services et des biens commerçables en sous-ensembles
homogènes est un préalable irremplaçable.
Une théorie de la cherté économique qui ne prend pas appui sur ce préalable se
condamne à être au moins en partie imaginaire. Or, bien évidemment, plus la théorie qui
guide le choix d’une politique économique est irréaliste et moins cette politique se révèle
adéquate une fois mise en œuvre.
7. En économie politique objective, l’expression « valeur d’échange » et le mot
« prix » désignent très exactement le même rapport.
Ce rapport est celui de quantités échangées à titre marchand, l’usage de loin le plus
commode et le plus répandu étant d’exprimer ce rapport par une quantité d’argent (de
monnaie). Répétons-le, car le négliger tire en arrière : ce n’est pas juste après avoir posé la
distinction entre deux sortes de valeur qu’il est possible d’instruire en assez bonne
connaissance de cause la question de savoir si toutes les valeurs d’échange marchand ont
ou n’ont pas davantage en commun que d’être des prix.
[1] Vocabulaire économique, PUF, coll. Que sais-je ?, n° 2124, page 88 de l’édition 1996.
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