45 Disponible en ligne sur C A S C L INI Q U E www.smr.ma Un syndrome de Sweet révélé par une mono arthrite aigue aseptique : un piège diagnostique! A propos d’un cas Sweet syndrome revealed by acute aseptic monoarthritis: a diagnostic pitfall! a case report Rim Akrout¹, Héla Fourati¹, Abderrahmène Masmoudi², Imène Hachicha¹, Mariem Ezzeddine¹, Hamida Turki², Sofiène Baklouti¹ 1 Service de Rhumatologie, CHU Hédi Chaker, Sfax - Tunisie ² Service de Dermatologie CHU Hédi Chaker, Sfax - Tunisie Rev Mar Rhum 2012; 20: 45-7 Résumé Abstract Le syndrome de Sweet est une affection rare mais non exceptionnelle, qui appartient au groupe des dermatoses neutrophiliques. Nous rapportons l’observation d’un patient âgé de 48 ans admis dans un tableau de monoarthrite aigue et fébrile de la hanche gauche survenant dans les suites d’une bronchite. Le diagnostic d’une arthrite septique de la hanche à porte d’entrée pulmonaire a été retenu. Tous les prélèvements n’ont pas mis en évidence de germe. Deux jours après, il a développé de façon brutale des lésions cutanées érythématopapuleuses dont la biopsie a conclut à une dermatose neutrophilique en faveur d’un syndrome de Sweet. Ce syndrome est une pathologie certes bénigne mais qui nécessite une surveillance étroite car il peut précéder les premiers symptômes d’une pathologie maligne. Sweet’s syndrome (acute febrile neutrophilic dermatosis) is a rare but not exceptional disease. We report a case of a 48 years old patient who presented an acute monoarthritis of the hip joint with fever and which succeeded to an infectious bronchitis. We concluded to the diagnosis of septic arthritis of the hip joint. The bacteriological research was negative. Two days after, we noticed that the patient developed typical skin lesions. The histological finding confirmed the diagnosis of neutrophilic dermatosis. The sweet syndrome is a benignant affection but we must be careful about the probable association of this syndrome with malignant tumors. Mots clés : syndrome de Sweet, dermatose Key words : Sweet’s syndrome, Neutrophilic neutrophilique, monoarthrite Le syndrome de Sweet a été décrit pour la première fois en 1964 par Robert Douglas Sweet [1]. Depuis cette description, plus de 500 cas de syndrome de Sweet ont été rapportés dans la littérature. Il s’agit d’une maladie systémique rare à expression cutanée prédominante, assimilée au groupe des dermatoses neutrophiliques. C’est une dermatose aigue et fébrile survenant le plus souvent à la suite d’une infection banale ORL ou des voies respiratoires [2]. C’est une entité clinique aujourd’hui bien établie mais qui reste essentiellement connue des hématologues et des dermatologues, il peut compliquer le décours d’infections bronchopulmonaires ou gastro-intestinales, accompagner un cancer, être induit par la prise d’un médicament ou être plus rarement idiopathique. Nous rapportons une nouvelle observation d’un syndrome de Sweet révélé par une monoarthrite aigue aseptique de la hanche. Observation : Patient S.A âgé de 52 ans qui a été hospitalisé en 1996 pour des lésions d’érythème noueux succédant à une infection de la sphère Correspondance à adresser à : Akrout Rim Email : [email protected] Revue Marocaine de Rhumatologie dermatosis, monoarthritis ORL qui a évolué favorablement sous traitement anti-inflammatoire et repos. En janvier 2009, le patient a été réadmis pour une douleur aigue de la hanche gauche d’horaire inflammatoire évoluant depuis une dizaine de jours dans un contexte de fièvre et d’altération de l’état général et entraînant progressivement une impotence fonctionnelle totale de ce membre. Le patient signale un épisode d’infection broncho respiratoire précédant la symptomatologie articulaire. L’examen a trouvé un patient fébrile à 40°C ; l’examen ostéo-articulaire a montré un flessum antalgique de la hanche gauche avec une limitation très douloureuse de la mobilité articulaire et douleur exquise à la pression inguinale gauche. La radiographie des deux hanches était normale. La biologie a montré un syndrome inflammatoire intense avec une vitesse de sédimentation à 110 mm1H, une CRP à 362mg/l, une hyperleucocytose à 14000 à prédominance PNN (80%). Une échographie de la hanche gauche a confirmé la présence d’un épanchement intra articulaire hyperéchogène de moyenne abondance sans collection des parties molles sous-jacentes. Le diagnostic d’une arthrite septique de la hanche à porte d’entrée 46 R. Akrout et al. C A S C L INI Q U E Fig 1: lésions érythémato-papuleuses à bords nets et infiltrés en faveur du syndrome de Sweet pulmonaire a été retenu. Le patient a bénéficié d’une arthrotomie et d’un drainage chirurgical avec issue de liquide jaune citrin et de fausses membranes. La culture du liquide articulaire dont la formule cellulaire était inflammatoire ainsi que les hémocultures n’ont pas mis en évidence de germe. La recherche de microcristaux dans le liquide articulaire était négative. Deux jours après son admission, le patient a développé de façon brutale des lésions cutanées à type de plaques érythématopapuleuses à bords nets et infiltrés douloureuses siégeant au niveau de la face supérieure des deux épaules, des deux coudes, des faces palmaires des deux mains, associées à des lésions indurées au niveau de la face antérieure des deux jambes (fig. 1). Une biopsie cutanée a été réalisée au niveau du coude gauche et a conclut à un infiltrat dermique majoritairement neutrophilique en faveur d’une dermatose neutrophilique. Il s’agissait en fait, d’une atteinte articulaire dans le cadre d’un syndrome de Sweet. Le patient a bénéficié d’un traitement par la colchicine à la dose de 2mg/j. L’évolution était marquée par une amélioration clinique avec une apyrexie stable avec régression de la douleur articulaire et récupération d’une mobilité normale ; régression jusqu’à disparition des lésions cutanées et une correction des anomalies biologiques. Le patient n’a pas reçu d’antibiothérapie. Un bilan étiologique à la recherche d’une pathologie inflammatoire, autoimmune infectieuse ou néoplasique associée s’est révélé négatif. Commentaires : Le syndrome de Sweet a été décrit en 1964. Ce diagnostic repose sur deux critères majeurs, indispensables et au moins deux critères mineurs (tableau 1). Il peut survenir à tout âge, avec un maximum de fréquence dans la cinquantaine chez l’homme et la quarantaine chez la femme. Les femmes sont deux à trois fois plus souvent atteintes que les hommes, hormis chez l’enfant où le rapport des sexes est équilibré [3]. Les données concernant la fréquence et la prévalence du Syndrome de Sweet sont rares. Son incidence annuelle a été évaluée en 1990 à 2,7 cas/1.000.000, d’après une étude portant sur le Sud de l’Ecosse [4]. Le syndrome de Sweet est le plus souvent idiopathique mais il peut accompagner ou révéler diverses pathologies de type inflammatoire ou néoplasique. De rares cas semblent correspondre à des réactions allergiques médicamenteuses. Les manifestations cliniques ne se limitent pas aux lésions cutanées. Plusieurs atteintes systémiques peuvent se voir toutes dues à l’infiltration par les neutrophiles. L’atteinte pulmonaire a été la première à être décrite. Les signes fonctionnels sont toujours présents : toux, douleur thoracique, dyspnée. La radiographie n’est jamais normale. Elle montre des infiltrats interstitiels uni- ou bilatéraux, une opacité unique ou multiple parfois excavée. Les biopsies ont montré différents aspects : infiltrat massif intra alvéolaire de polynucléaires neutrophiles, fibrose interstitielle ou bronchiolite oblitérante. L’atteinte ostéo-articulaire est présente dans 33 à 62 % des cas. Il s’agit d’arthralgies simples ou de polyarthrites asymétriques non destructrices. Quelques observations d’ostéomyélite ont été rapportées. L’atteinte oculaire : dans un tiers des cas, il existe une atteinte bilatérale à type de conjonctivite et d’épisclérite. Des observations anecdotiques d’uvéites, de nodules limbiques et de glaucome inflammatoire ont été rapportées. Les autres atteintes systémiques : des atteintes très rares ont été signalées : rénale (protéinurie, hématurie), hépatique (cytolyse ou cholestase), digestive, pancréatique, splénique, ganglionnaire, cardiaque ou neurologique (méningite aseptique). Dans 50% des cas, aucune étiologie n’est retrouvée. Mais le syndrome de Sweet peut être secondaire à plusieurs pathologies qui peuvent être subdivisées en cinq catégories : une forme para infectieuse faisant suite à une infection, comme chez notre patiente; il s’agit d’infections broncho-pulmonaires ou gastro-intestinales, même mineures ; para inflammatoire (15%) accompagnant les entérocolopathies inflammatoires [2], la maladie de Behcet [5], le syndrome de Gougerot Sjögren, la sarcoïdose, la polyarthrite rhumatoïde ou le lupus érythémateux disséminé et d’autres maladies autoimmunes ; une forme paranéoplasique (10 à 20%) révélant ou précédant une hémopathie maligne (leucémies aiguës, leucémies myéloïdes chroniques) ou une tumeur solide (essentiellement des adénocarcinomes) [6] ; une forme médicamenteuse (5%) de description plus récente et enfin une forme gravidique (2%) [3,6]. Concernant les formes médicamenteuses, les facteurs de croissance des polynucléaires (G-CSF) sont les plus fréquemment incriminés. D’autres médicaments ont aussi été rapportés: la minocycline, les sulfamides, les oestroprogestatifs, l’acide Tableau 1 : Critères diagnostiques de Su et Liu, modifiés par von den Driesch [3] Critères majeurs : -apparition brutale de plaques infiltrées érythémateuses, sensibles ou douloureuses, éventuellement vésiculeuses, pustuleuses ou bulleuses. -En histologie : infiltration dermique majoritairement neutrophilique sans vascularite leucocytoclasique. Critères mineurs : - altération de l’état général et température supérieure à 38°C. - syndrome inflammatoire comprenant au moins trois des critères suivants : vitesse de sédimentation > 20 mm à 1h, CRP > 12 mg/dl, leucocytose > 8000 cellules/mm3, neutrophiles circulants > 70%. - réponse immédiate aux corticoïdes systémiques - prodromes non spécifiques infectieux respiratoires ou gastrointestinaux, ou association à une maladie inflammatoire, un syndrome myéloprolifératif, une tumeur maligne solide, ou à une vaccination, ou à une grossesse. Revue Marocaine de Rhumatologie 47 Un syndrome de Sweet révélé par une mono arthrite aigue aseptique : un piège diagnostique! A propos d un cas rétinoïque, l’hydralazine. Il est parfois difficile de déterminer si c’est le médicament lui-même ou la pathologie traitée qui est la cause du Sweet. Par rapport à la forme classique, le syndrome de Sweet médicamenteux bénéficie de critères diagnostiques propres [7] : – seul un des critères mineurs du Sweet classique est retrouvé: la fièvre. Walker en a fait dès lors un troisième critère majeur. L’hyperleucocytose neutrophile est rare. Conflit d’intérêt un quatrième critère majeur est ajouté: il faut une bonne relation chronologique entre la prise du médicament incriminé et l’apparition du syndrome cutané, ainsi qu’entre l’arrêt du traitement et la régression spontanée des symptômes. Le Sweet médicamenteux évolue ainsi selon les modifications du traitement et non selon l’état de la maladie traitée. La grossesse et ses modifications hormonales sont toujours citées comme une cause possible de syndrome de Sweet; les cas décrits étaient survenus au cours du 1er trimestre de grossesse et ont été sans conséquence pour l’enfant [8]. Les Sweet paranéoplasiques présentent souvent un aspect clinique modifié, atypique, par exemple franchement bulleux. Ils peuvent récidiver parallèlement aux rechutes du cancer [9]. Le traitement du syndrome de Sweet fait appel en premier lieu à la corticothérapie systémique (Prednisone : 0,5mg à 1 mg/kg/j) avec une dégression progressive en 2 à 4 semaines. La corticosensibilité du syndrome de Sweet est spectaculaire et a une valeur de test thérapeutique. La normalisation clinique et biologique peut être obtenue au bout de deux semaines [10]. D’autres thérapeutiques comme l’iodure de potassium et les inhibiteurs du chimiotactisme, des polynucléaires neutrophiles (colchicine, disulone), ont été également utilisées avec succès [11] comme c’était le cas de notre patient qui s’est amélioré sous colchicine. 3. Von den Driesch P. Sweet’s syndrome (acute febrile neutrophilic dermatosis). J Am Acad Dermatol. 1994; 31: 535-56. Revue Marocaine de Rhumatologie Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêt. Références 1. Sweet RD. An acute febrile neutrophilic dermatosis. Br J Dermatol 1964 ; 74 : 349- 56 2. Ghislain. DP, De Beir. A, Modiano.P. Complication rare d’une bronchite: le syndrome de Sweet. Acta Clinica Belgica, 2000; 55-2 4. Kemmett D, Hunter JA. Sweet’s syndrome: a clinicopathologic review of twentynine cases. J Am Acad Dermatol. 1990; 23: 503-7. 5. Oguz O, Serdaroglu S, Tu¨zu¨n Y, Erdogan N, Yazici H, Savaskan H. Acute febrile neutrophilic dermatosis (Sweet’s syndrome) associated with Behcet’s disease. Int J Dermatol 1992;31:645-6. 6. Cohen PR, Holder WR, Tucker SB, Kono S, Kurzrock R. Sweet syndrome in patients with solid tumors. Cancer 1993; 72: 2723-31. 7. Walker DC, Cohen PR. Trimethoprim-sulfamethoxazole-associated acute febrile neutrophilic dermatosis : case report and review of drug-induced Sweet’s syndrome. J Am Acad Dermatol. 1996; 34: 918-23. 8. Satra K, Zalka A, Cohen PR , Grossman ME. Sweet’s syndrome and pregnancy. J Am Acad Dermatol 1994; 30:297-300 9. Cohen PR, Talpaz M, Kurzrock R. Malignancy-associated Sweet’s syndrome: review of the world literature. J Clin Oncol 1988; 6:1887-97 10. Cohen PR, Kurzrock R. Sweet’s syndrome revisited: a review of disease concepts. Int J Dermatol. 2003; 42: 761-78. 11. Djien V, Wallach D. Sweet syndrome: practical conduct. Ann Dermatol Venereol. 1999; 126: 343-7.