LA PRUSSE ET L`UNITÉ ALLEMANDE

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UNION PATRIOTIQUE DU RHONE
Ah ! devant nous, toujours, reste, reste présente,
Image radieuse et sainte, idéal cher
De la Mère sublime, active et bienfaisante/
A qui tout appartient, notre sang, notre chair,
Sois présente à nos yeux, grande âme endolorie,
Dans l'éclair de l'épée et les plis du drapeau,
Dans ce qui vient d'en bas, dans ce qui vient d'en liant,
Patrie !
Et nous, Français, certains qu'elle saura l'entendre,
Renouvelons ici le serrmnt solennel
De l'aimer ardemment et de bien la défendre.
Ce lieu, c'est notre temple, et voici notre autel.
Jurons de bien garder ce qu'elle nous confie,
Ses lois, ses libertés, son éclat, sa grandeur,
Et marchons dans la vie avec ce cri vainqueur :
PATRIE !
16 avril 1893.
CAMIILE BOY.
LA PRUSSE ET L'UNITÉ ALLEMANDE
La Question d'Alsace-Lorraine
Dans la France nouvelle, un livre admirable, presque
prophétique, Prévost-Paradol, à la veille de la guerre, exprimait l'opinion suivante : « Que l'union de l'Allemagne en un
seul Etat s'achève en face de la France inactive ou devant
la France vaincue, c'est, d'une façon ou d'une autre, l'irrévocable déchéance de la grandeur française. »
Sans aller jusque-là, en mettant, de côté toute exagération, on ne peut, toutefois, nier l'évidence: le jour où a succombé l'ancienne confédération germanique, une atteinte
profonde et durable a été portée à notre prestige, à notre
puissance, et, du même coup, à l'indépendance des Allemands eux-mêmes, à la sécurité de l'Europe tout entière.
La question est de celles qui méritent une attention soutenue, qui s'imposent aux méditations des esprits éclairés
et rétléchis. On ne saurait trop y revenir. Elle domine la
situation actuelle, elle est grosse de conséquences pour
l'avenir.
Etudions donc, si vous le voulez bien, les conditions dans
lesquelles s'est accomplie l'unité de nos voisins d'oulreBhin. Nous assisterons, je le déclare en commençant, à une
exploitation éhontée, cynique, à l'exploitation d'une nationalité par un Etat, de la nationalité allemande par l'Etat
prussien.
Tout d'abord, comment définir la nationalilé et l'Etat? Ce
sont deux conceptions bien distinctes.
La nationalité, organisme vivant, naît et se développe
naturellement, d'après les lois qui président à la formation
des corps animés.
L'Etat est une abstraction, un être polilique, une création
artificielle du génie humain. Dans un seul Klat peuvent
coexister plusieurs nationalités diverses, comme il arrive en
Autriche-Hongrie où se trouvent juxtaposés des Allemands, des Hongrois, des Slaves, des Roumains, des Italiens,
aspirant d'ailleurs, sinon à la séparation complète, du
moins à l'autonomie administrative et parlementaire. Par
contre les éléments d'une nationalité unique peuvent être
disséminés, répartis entre plusieurs Etats, à la suite des
accidents de la politique et de la guerre.
Encore une fois, un Etat est un chef-d'œuvre de la politique; le ressort en est, non dans l'instinct des masses, mais
dans l'intelligence et la volonté d'un ou de plusieurs hommes.
Ainsi, l'ancienne Rome, sous la République et sous l'Empire,
me paraît le type achevé de l'Etat; jamais, à partir des
conquêtes, il n'y a eu, à aucun degré, une nation romaine.
La nationalité, produit naturel, possède un génie propre,
une âme commune, résultats, non d'une éducation hâtive,
mais d'une longue et intime association. Car, remarquez-le,
ses membres ne sont pas unis exclusivement par des liens
matériels, mais avant tout par des liens moraux. L'homogénéité de la race, l'identité du langage n'en sont pas les traits
essentiels, mais la communion des esprits et des- cœurs, la
participation aux mêmes idées et aux mêmes sentiments,
aux mêmes joies et aux mêmes souffrances dans le passé,
aux mêmes désirs et aux mêmes espérances pour le présent
ou pour l'avenir.
Eh! bien, la Prusse, à aucun titre, n'est une nation, Elle
est un Etat, l'Etat par excellence dans les temps modernes.
Son existence et son esprit public, elle les doit également à
l'énergique volonté de ses princes.
Commencée en pays slave, parallèlement dans la marche
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de Brandebourg et dans le duché de la Prusse propre, elle
s'est constituée par la jonction de ces deux éléments primitifs auxquels d'autres encore sont venus s'agréger successivement. Son territoire a été créé de pièces et de morceaux
disparates. Sa population se compose d'un ramassis d'Allemands, de Flamands, de Hollandais, de Français, colons ou
réfugiés, mêlés aux Slaves de la première heure. Les Ascaniens d'abord, les Hohenzollern ensuite ont ainsi pétri de
leurs mains rudes et vigoureuses le corps du futur royaume,
de Prusse. A ce corps fabriqué par les procédés les plus
industrieux el les plus violents tout ensemble, les Hohenzollern ont insufflé la vie, une âme laborieuse et guerrière :
nous les voyons, à tous les moments décisifs de leur histoire, établir ingénieusement des Universités, chargées
expressément de la prussilication à outrance, de la prussification quand même des éléments hétérogènes agglomérés
sous une même domination.
L'Allemagne, elle, n'est pas plus prussienne que la Prusse
n'est Allemande. L'Allemagne se montre à nos yeux comme
une véritable et grande nation, qui, malgré la communauté
de la race, de la langue, des sentiments et des aspirations,
a mis du temps, beaucoup de temps à réaliser sa cohésion
politique.
Cependant, dès le moyen-âge, quand on l'appelait au pluriel les Allemagnes, elle tendait visiblement a ; l'unité. Elle
se simplifie de plus en plus. Son morcellement est moindre
au seizième el au dix-septième siècles qu'à l'époque féodale.
Au dix-huitième siècle, on se sert déjà, de l'autre côté du
Rhin, de ces expressions : « la patrie allemande, le patriotisme allemand. » Alors, à la cour de Weimar, les Gœthe,
les Schiller, les Wieland, les Herder donnent l'essor à une
littérature purement nationale, en dehors de toute influence
étrangère. Marie-Thérèse d'Autriche et Frédéric II de Prusse
rivalisent de zèle pour la grande patrie germanique.
Mais à Weimar on rêve généreusement de liberté et de confédération ; à Vienne et à Berlin, les Habsbourg et les Hohenzollern songent à réaliser à leur profit respectif un empire
unitaire el, despotique. D'un côté, l'unité allemande est préparée par des penseurs idéalistes ; de l'autre, par deux
dynasties rivales, également égoïstes et hypocrites.
Les ambitions autrichiennes avaient d'ailleurs devancé les
convoitises prussiennes. Charles-Quint et Ferdinand II précèdent le grand Frédéric.
L'antagonisme éclate nécessairement entre les deux grandes puissances de l'Elbe et du Danube. Au dix-huitième
siècle, il est déjà nettement marqué et provoque de vastes
conflits auxquels prend part l'Europe tout entière. L'Autriche
a déjà le dessous; elle sera définitivement vaincue au dixneuvième siècle.
Comment en serait-il autrement ? L'Autriche n'est pas une
nation, elle est à peine un Etat. Aucune de ces deux dénominations ne convient proprement à cette collection de
peuples disparates, dépourvue du ciment d'une étroite et
vigoureuse centralisation. Par quel moyen remporterait-elle
sur l'état prusso-brandebourgeois, supérieurement organisé
et concentré pour la lutte et la conquête ? La guerre est si
bien l'industrie particulière de ce'ui-ci, la condition même
de son existence et de son développement, que tous les,
grands ambitieux des pays voisins se sont tournés vers lui
pour trou/er l'emploi de leurs facultés, pour faire leur fortune en même temps que la sienne. Stein est accouru de
Nassau, Hardenberg et Scharnhorst du Hanovre, Gneisenau
de la Saxe, Moltke du Danemark.
Par un prodige d'habileté et de fourberie, les Hohenzollern
ont su d'ailleurs se ménager, outre la supériorité matérielle,
la force morale, le concours de l'opinion. En même temps
que d'unité, l'Allemagne avait soif de liberté. Tout en opprimant durement les libéraux , chez eux et au dehors, les souverains berlinois se sont présentés, eux les féodaux par excellence, comme les chefs d'un Etat moderne, fondé sur la
philosophie et la science, en opposition avec la monarchie
formaliste d'Autriche, asservie aux vieilles idées, aux préjugés surannés d'un passé gothique. La naïve et crédule
Germanie se laissa prendre au jeu ; elle ne reconnut pas
le masque, le déguisement; elle eut foi dans le modernisme,
dans le libéralisme prussien, et tourna de plus en plus ses
regards vers les bords de la Sprée, sur Berlin, « la ville de
l'intelligence. » De là, du Nord devait venir la lumière, se
propager une vie nouvelle.
Le mouvement de prussification s'accentua et se généralisa surtout après léna et depuis la guerre sainte, la guerre
de l'indépendance en 1813.
Un Prussien illustre, Henri Heine, ne professe pas un enthousiasme délirant pour la conduite de ses compatriotes
en celle année mémorable. « Lorsque Dieu, les frimas et les
cosaques, écrivait-il, eurent détruit les meilleures troupes
de Napoléon, nous autres Allemands, il nous prit la plus
vive envie de nous délivrer du joug étranger ; nous brûla-
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