Marc Aurèle et le gouvernement de soi-même

publicité
Marc Aurèle
et le gouvernement de soi-même
Collection « Inter-National »
dirigée par Denis Rolland avec
Joëlle Chassin, Françoise Dekowski et Marc Le Dorh
Cette collection a pour vocation de présenter les études les plus récentes
sur les institutions, les politiques publiques et les forces politiques et
culturelles à l’œuvre aujourd’hui. Au croisement des disciplines
juridiques, des sciences politiques, des relations internationales, de
l’histoire et de l’anthropologie, elle se propose, dans une perspective
pluridisciplinaire, d’éclairer les enjeux de la scène mondiale et
européenne.
Série générale (dernières parutions) :
Danièle HENKY et Michel FABRÉGUET (sous la dir.), Grandes figures
du passé et héros référents dans les représentations de l’Europe
contemporaine, 2012.
Charles SITZENSTUHL, La diplomatie turque au Moyen-Orient.
Héritages et ambitions du gouvernement de l’AKP 2002-2010, 2011.
Georges CONTOGEORGIS, De l’Europe politique. Identités et
citoyenneté dans le système européen, 2011.
Germán A. DE LA REZA, L’invention de la paix. De la République
chrétienne du duc de Sully à la Société des nations de Simón Bolívar,
2011.
Claudine HERODY-PIERRE, Robert Schnerb, un historien dans le siècle
(1900-1962). Une vie autour d’une thèse, 2011.
Hugues TERTRAIS (dir.), La Chine et la mer. Sécurité et coopération
régionale en Asie orientale et du Sud-Est, 2011.
Denis ROLLAND, La crise du modèle français, 2011.
Georges CONTOGEORGIS, L’Europe et le monde. Civilisation et
pluralisme culturel, 2011.
Phivos OIKONOMIDIS, Le jeu mondial dans les Balkans. Les relations
gréco-yougoslaves de la Seconde Guerre mondiale à la Guerre froide,
2011.
Lucie PAYE-MOISSINAC, Pierre ALLORANT, Walter BADIER,
Voyages en Amérique, 2011.
Jean-Marc ANTOINE et Johan MILIAN (dir.), La ressource montagne,
Entre potentialités et contraintes, 2011.
Carlos PACHECO AMARAL (éd.), Autonomie régionale et relations
internationales, Nouvelles dimensions de la gouvernance multilatérale,
2011.
Denis ROLLAND (coord.), Construire l’Europe, la démocratie et la
société civile de la Russie aux Balkans. Les Ecoles d’études politiques du
Conseil de l’Europe. Entretiens, 2011.
Dominique Villemot
Marc Aurèle
et le gouvernement de soi-même
L’HARMATTAN
© L'HARMATTAN, 2012
5-7, rue de l'École-Polytechnique ; 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com
[email protected]
[email protected]
ISBN : 978-2-296-96347-4
EAN : 9782296963474
Sommaire
Avant-propos....................................................................................7
Introduction ......................................................................................9
PREMIÈRE PARTIE L’ŒUVRE ......................................................11
Chapitre I Éloigner son jugement...................................................15
Chapitre II Se concentrer sur l’événement présent.........................19
Chapitre III Accepter ce qui vient ..................................................23
Chapitre IV Citoyen du monde ......................................................29
DEUXIÈME PARTIE L’EMPEREUR ..............................................33
Chapitre V Ses formateurs .............................................................37
Chapitre VI Le défenseur de l’empire............................................47
Chapitre VII Un promoteur de la justice ........................................63
Chapitre VIII Un empereur philosophe..........................................69
Chapitre IX Les limites d’une politique .........................................79
Chapitre X L’apport de Marc Aurèle .............................................89
TROISIÈME PARTIE LE PHILOSOPHE ........................................95
Chapitre XI Une œuvre pour soi ....................................................99
Chapitre XII Une aide au gouvernement de l’âme.......................105
Chapitre XIII Le dernier des stoïciens .........................................113
CONCLUSION ................................................................................121
ANNEXES .......................................................................................123
Les différentes écoles stoïciennes ................................................125
Chronologie des empereurs romains avant Marc Aurèle .............128
Chronologie de la vie de Marc Aurèle .........................................129
Index des citations........................................................................131
Bibliographie................................................................................135
Table des matières........................................................................137
5
Avant-propos
Chacun a besoin de repères et de règles de conduite afin de
pouvoir adopter le comportement qui le mette en harmonie avec
lui-même, et avec la société dans laquelle il évolue. Chacun
cherche à donner un sens à sa vie.
Il faut pour cela à la fois mettre de l’ordre dans sa vie
intérieure et s’intégrer à la communauté des autres. Il s’agit de
savoir se gouverner, et de savoir vivre en société. Double défi !
Dans nos sociétés marquées par l’accélération du temps et la
réduction des distances, ce besoin est ressenti de manière de
plus en plus intense. La religion, la psychanalyse, les techniques
de développement personnel ou la méditation orientale sont
sollicitées pour nous aider à relever ce double défi.
Depuis quelques années, notre société a retrouvé la
philosophie antique. Celle-ci présente l’avantage de répondre à
notre quête du spirituel, sans pour autant impliquer l’adhésion à
une doctrine ni intégrer une communauté organisée. La
philosophie antique présente aussi le double avantage de nous
aider à trouver la sérénité, et de nous apprendre à vivre en
société. Platon, Épicure, Épictète, Marc Aurèle et Plotin sont,
d’une certaine manière, revenus à la mode et sollicités, même
par ceux qui n’avaient pas eu l’occasion de les lire en classe de
philosophie et/ou de grec ancien.
Dans les œuvres philosophiques de l’Antiquité les Écrits
pour lui-même de Marc Aurèle occupent une place à part. Ils ne
constituent pas un ouvrage exposant une théorie explicative du
monde ni une suite de conseils ou de leçons qu’un maître
donnerait à ses disciples. Son auteur, qui s’exerçait
constamment à la maîtrise de soi et à l’ouverture aux autres,
n’écrit que pour lui-même. Sa lecture nous fait comprendre que
le bonheur est en nous, mais à condition de faire preuve de
volonté et de raison.
Nous sommes en effet des êtres doués de la raison. Il suffit
d’en prendre conscience, et de vouloir se servir de cette raison.
L’exercice quotidien du gouvernement de soi-même vise à nous
discipliner, afin de l’utiliser au mieux.
7
La maîtrise de nos jugements et de notre imagination,
l’humilité et la tempérance, la confiance en soi et en les autres
amènent tranquillement, mais naturellement, la sérénité, à
condition de faire preuve d’une volonté inébranlable, la
fameuse citadelle intérieure, pour reprendre les mots de Pierre
Hadot.
Suivre les préceptes de Marc Aurèle n’implique pas
nécessairement l’adhésion à une idéologie, ou à une école de
pensée. Il se réclamait certes d’une école, le stoïcisme ; sauf que
le stoïcisme gréco-romain du IIe siècle de notre ère n’était plus
réellement une doctrine philosophique, mais était devenu, avec
Sénèque et Épictète notamment, une pratique de comportement.
Marc Aurèle aspire à l’universalisme et à la concorde ; il se
désintéresse des exercices trop abstraits. C’est pour cela qu’il
nous parle. S’y ajoute le fait qu’il vivait, comme nous, dans un
monde globalisé, l’empire gréco-romain.
Cet homme qui apprend à être maître de soi était aussi un
empereur, mais un empereur très différent de ceux du siècle
précédant le sien, et de ceux qui le suivirent. Tolérant, équilibré,
modeste, humain, il se défiait de la tyrannie et vénérait les
institutions républicaines. Il n’en est que plus intéressant.
Il appartient à cette époque particulière de l’Antiquité, celle de
la pax romana du IIe siècle, qui a vu le monde méditerranéen
connaître l’équilibre, la paix à l’intérieur des frontières et la
prospérité, sous la conduite d’empereurs tels qu’Hadrien, et
surtout Antonin et Marc Aurèle, éclairés et pétris de culture
grecque.
L’objet de cet ouvrage est de faire mieux connaître cet
homme, de donner envie de lire ou relire ses Écrits pour luimême et de découvrir ainsi sa pratique de l’initiation au
bonheur.
Introduction
« Imite son énergie à agir conformément à la
raison, sa constante égalité de caractère, sa
piété, la sérénité de son visage, sa douceur,
son dédain de la vaine gloire,
son ardeur à
1
se rendre compte des choses . »
Les Écrits pour lui-même sont des exercices spirituels qui
visent à amener son auteur à trouver la voie de la tranquillité et
de la paix de l’âme. Ce livre respire la sérénité et la maîtrise de
soi.
Marc Aurèle nous y rappelle l’objet originel de la
philosophie grecque : apprendre à se connaître, s’exercer à se
maîtriser, vivre en citoyen du monde, s’initier au bonheur.
Adepte de la méthode philosophique Marc Aurèle fait
preuve d’une grande humanité dans ses écrits et ses actes.
Il dirigeait un empire dont les fondements historiques et
idéologiques étaient militaires et autoritaires. Mais il se
distinguait de l’exercice du pouvoir de la dynastie des premiers
empereurs romains, issue de Jules César et Auguste, et
poursuivait et accomplissant le projet de ses deux
prédécesseurs, Hadrien et Antonin : un gouvernement de
l’empire équilibré, pacifique et raisonnable.
Marc Aurèle, philosophe devenu empereur a, d’une certaine
manière, réalisé l’ambition politique de la philosophie grecque,
celle de Platon et d’Aristote. Comme l’a écrit Ernest Renan :
« L’idéal de Platon était réalisé : le monde était gouverné par
les philosophes »2. La philosophie stoïcienne a fourni à Marc
Aurèle à la fois un cadre de réflexion et un art de vivre. Elle l’a
inspiré dans son aptitude à gouverner les autres, et surtout à se
gouverner lui-même.
Cet ouvrage s’attache à montrer comment la lecture des
Écrits pour lui-même peut constituer aujourd’hui une aide au
gouvernement de soi-même, et une initiation au bonheur par
l’exercice d’une pratique constante de la maîtrise de soi
(première partie).
9
Il entend aussi faire mieux connaître un homme dont
Montesquieu disait : « On sent en soi-même un plaisir secret
lorsqu’on parle de cet empereur ; on ne peut lire sa vie sans
une espèce d’attendrissement.3 » (deuxième partie).
Enfin ses derniers chapitres sont consacrés aux liens de Marc
Aurèle avec l’école philosophique antique stoïcienne, et surtout
avec Épictète (troisième partie).
Ses sources principales ont été, bien sûr, le texte même des
Écrits de Marc Aurèle, dans quatre traductions différentes, celle
des Belles Lettres – Guillaume Budé (sous la direction de Pierre
Hadot) richement documentée et merveilleusement commentée,
celle d’Émile Bréhier dans la Pléiade (Gallimard), ainsi que
celles de Frédérique Vervliet et de Léon-Louis Grateloup.
D’autres études ou biographies, dont principalement le Marc
Aurèle de Pierre Grimal, qui constitue une source très riche
d’informations historiques, ont été d’une grande utilité.
Les différentes sources citées font l’objet d’un renvoi en
annexe et sont reprises dans la bibliographie figurant elle aussi
en annexe.
Ce livre se veut enfin un hommage à Pierre Hadot, dont la
disparition a laissé orphelins tous ceux qui s’intéressent à la
philosophie antique.
PREMIÈRE PARTIE
L’ŒUVRE
Marc Aurèle a rédigé, en grec, un texte, divisé en douze livres.
Les manuscrits que nous possédons portent le titre suivant :
Μαρκου Αντονινου Αυτοκρατορος των εις εαυτον, que l’on
peut traduire par « De l’Empereur Marc Antonin, de ce qui est
pour lui-même ». L’empereur Marc Antonin est celui que nous
connaissons sous le nom de Marc Aurèle ; il s’appelait en effet
Marcus Antoninus Aurelius. Nous ne savons pas si ce titre est
de lui, ou s’il a été rajouté de la main du soldat qui a trouvé son
manuscrit dans ses affaires personnelles après sa mort. Le
premier livre constitue une sorte d’hommage aux personnes
dont il se sent redevable pour l’avoir formé et éduqué ou pour
lui avoir servi de modèle. Les onze livres qui suivent
contiennent des sentences, des conseils ou des réflexions qu’il
s’adresse à lui-même.
Ensuite, ce texte a été généralement connu sous le nom de
Pensées, mais, outre qu’il ne correspond pas à la traduction du
titre grec, ce mot évoque d’autres écrits, ainsi les Pensées de
Pascal, par exemple, dont la signification et le contenu sont bien
différents.
Les Écrits pour lui-même ne constituent pas en effet une
réflexion métaphysique ou religieuse, mais consignent des
méditations, des maximes, des citations qui sont le reflet
d’exercices quotidiens que cet homme pratiquait seul sous la
tente, sur le front de la guerre qu’il était obligé de mener contre
les barbares. Nous utiliserons ici le titre Écrits pour lui-même,
retenu par Pierre Hadot.
Chapitre I
Éloigner son jugement
« Possèdes-tu la raison ? Je la
possède. Pourquoi donc ne t’en
sers-tu pas4 ? »
Les Écrits pour lui-même nous expliquent principalement
que nos malheurs, nos angoisses, nos soucis ne viennent que
des épanchements de notre âme, de nos jugements sur les
choses, de notre imagination.
Il faut apprendre à maîtriser nos émotions, à commander à
notre âme pour éviter ces troubles, ce qui est possible en
disciplinant le gouvernement de soi-même, par la pratique
d’exercices réguliers.
Supprimer ses représentations
La survenance d’un événement est un fait objectif.
En revanche, qualifier cet événement de bon ou de mauvais
résulte d’une intervention de notre jugement.
Nous nous faisons des idées de ce qui est bon ou mauvais.
Lorsque quelque chose se produit, nous avons tendance à nous
représenter ses conséquences sur nous, sur les autres, sur le
monde. Ces représentations vont alors nous inquiéter, nous
angoisser. En fait, nous imaginons que derrière cet événement
se cache autre chose.
De même, lorsque quelqu’un nous dit quelque chose que
nous trouvons déplaisant ou déplacé, nous nous irritons parce
que nous n’acceptons pas que cette personne ait un
comportement différent de celui que nous lui attribuons ; de
même nous sommes irrités si ce qu’elle dit de nous ne
correspond pas à la représentation que nous avons de nousmême.
15
Mais si nous supprimons ces représentations, la parole, qui
aurait pu nous irriter, devient un simple fait objectif, sans
impact sur nous-même.
Il n’y a aucune raison pour que les événements extérieurs, ou
que les autres personnes puissent nous toucher. Ou alors c’est
que nous avons quelque chose à nous reprocher. En effet, si
nous avons agi avec raison et bienveillance, rien ni personne ne
peut nous ébranler.
De même, nos craintes, nos angoisses, notre anxiété viennent
de notre imagination. Nous imaginons tel événement qui
pourrait se produire, telle action d’une autre personne, tel
comportement de nous-même. Nous créons des situations
artificielles ou nous interprétons les comportements des autres,
ce qui nous émeut, nous inquiète, nous paralyse.
Tout cela est irrationnel et incohérent.
La recette de la sérénité, du calme est alors simple : il faut
supprimer ces représentations.
En conséquence, il convient de partir du constat suivant :
« Les choses ne touchent pas l’âme ; elles sont extérieures et
insensibles ; nos tracas ne viennent que de l’opinion que nous
nous en faisons5 ».
Le commandement sonne alors avec autorité : « Abolis
l’imagination. Arrête cette agitation de pantin6. » L’homme
dominé par son imagination, par ses représentations, par son
âme est faible, irrationnel et malheureux.
Une fois l’imagination abolie, l’agitation laisse la place au
calme :
« Il est facile d’écarter et d’effacer toute représentation
gênante, déplacée, et d’être aussitôt dans un calme parfait7. »
Lorsque notre âme nous domine, nous sombrons dans
l’agitation, l’angoisse, l’inaction.
Lorsque nous commandons à notre âme, que nous
supprimons notre imagination, nos représentations, nos rêveries,
nous trouvons le calme, la sérénité, l’action équilibrée, et donc
le bonheur.
16
Ne pas juger les événements
Mais il faut aller plus loin ; non seulement il ne faut pas
imaginer des choses que nous ne voyons pas, ni se représenter
des hommes ou des actions désagréables, mais il ne faut pas non
plus juger ce que nous voyons.
Le jugement, c’est-à-dire décider que telle chose est bonne
ou mauvaise, est une erreur. En effet, si nous jugeons tel
événement mauvais, cela va nous inquiéter, nous faire perdre
notre calme et notre sérénité.
De deux choses l’une :
- soit ce qui arrive dépend de nous, et alors nous devons agir
immédiatement pour que tout se passe conformément à la
raison,
- soit ce qui arrive ne dépend pas de nous, et alors nous ne
pouvons rien faire et la raison nous dit qu’il ne sert à rien de
s’énerver.
Le jugement, c’est l’appropriation du monde extérieur par
l’âme, qui s’en trouve alors affectée. Pourquoi faire cela ? Quel
intérêt cela a-t-il de vouloir avoir une opinion sur les choses et
les hommes ? L’unique conséquence est de nous créer des
désagréments.
Marc Aurèle propose deux maximes instructives à cet égard.
La première nous apprend la sérénité : « supprime ton
jugement et la proposition : « on m’a fait du tort » est
supprimée. Supprime la proposition « on m’a fait du tort » et
c’est le tort lui-même qui est supprimé8. »
La seconde nous donne la recette de l’indépendance, de
l’invulnérabilité : « Ne juge pas les choses comme les juge celui
qui t’offense et comme il veut que tu les juges, mais vois-les
telles qu’elles sont en vérité9. »
Regarder les hommes et les événements tels qu’ils sont, de
manière objective permet de rester serein et d’agir
raisonnablement.
Le principal conseil de Marc Aurèle est le suivant :
« Éloigne de toi ton jugement et tu es sauvé. Or, qui peut
t’empêcher de l’éloigner10? »
Personne ne peut nous empêcher d’éloigner notre jugement
car personne ne peut peser sur notre pouvoir hégémonique.
17
Le rôle du pouvoir hégémonique
« Qu’est-ce donc qui constitue mon
être ? C’est de la chair, un souffle et le
pouvoir hégémonique11. »
Le pouvoir hégémonique est ce qui commande au corps et à
l’âme. C’est le centre de notre raison et de notre volonté.
Nous sommes dotés de la raison qui nous dicte notre
conduite ; nous n’avons qu’à la suivre. Agir rationnellement, de
manière cohérente, comme un être raisonnable, voilà ce que
nous devons faire. Notre pouvoir hégémonique possède cette
capacité d’agir raisonnablement ; il peut alors dicter à l’âme sa
conduite.
Tout n’est donc qu’une question de volonté. « Le pouvoir
hégémonique est ce qui, en chacun de nous, se tient éveillé, se
dirige soi-même et fait tel qu’il veut être, et fait que tous les
événements lui apparaissent tels qu’il les veut12. »
Celui qui est doté d’un pouvoir hégémonique fort, d’un
caractère affirmé, d’une volonté exercée ne craint rien.
Ce pouvoir hégémonique doit être constamment entretenu et
entraîné : « Exerce-toi au lieu d’être découragé13. »
La gymnastique philosophique, c’est-à-dire l’exercice
quotidien de la volonté, constitue alors la fonction première de
celui qui doit entretenir son pouvoir hégémonique : « Aie à ta
disposition quelques maximes concises et élémentaires qui,
s’offrant à ton esprit, suffiront à t’affranchir de tout chagrin et
à te renvoyer sans irritation dans le milieu où tu retournes14. »
Les Écrits pour lui-même constituent un recueil de maximes
que Marc Aurèle se répétait inlassablement et consignait par
écrit.
Ainsi aguerri, le pouvoir hégémonique est inébranlable.
Nous sommes à l’abri du malheur, de l’opinion des autres ou
des événements extérieurs « Souviens-toi que tu as en toi-même
un petit domaine où tu peux te retirer15. »
Celui qui dispose d’un tel pouvoir hégémonique est une
citadelle imprenable, à l’abri des autres et de ses propres
émotions.
Chapitre II
Se concentrer sur l’événement présent
« Si tu t’appliques à vivre le moment
que tu vis, je veux dire : le présent, tu
pourras passer le temps qui t’est
laissé jusqu’à la mort sans trouble,
avec bienveillance et reconnaissance
envers ton bon génie16. »
Supprimer ses représentations et son jugement n’est pas
suffisant. Il faut aussi se concentrer sur ce que l’on fait. Cela
seul est important.
Oublier le passé
Ressasser les événements passés ne sert à rien. Regretter
telle ou telle de nos actions, se remémorer de mauvais
souvenirs, revenir sur notre enfance constituent des occupations
inutiles et dangereuses. Cela ne peut conduire qu’à la
mélancolie, à la tristesse, à l’inaction.
Le passé ne doit pas nous importer, parce qu’il ne nous
appartient pas. Nous ne pouvons pas agir sur lui ; notre pouvoir
hégémonique ne peut rien sur lui.
La raison nous incite donc à oublier notre passé, à le mettre
de côté.
De toute manière, ce n’est pas le passé qui peut nous
déranger, mais c’est l’opinion que nous en avons. Supprimons
cette opinion, cette représentation et le passé nous apparaîtra
comme il doit l’être : une suite objective d’événements qui ne
nous appartiennent plus.
L’homme raisonnable ne regarde pas derrière lui.
Ainsi libéré de ces pesanteurs, nous pouvons marcher d’un
pas léger et heureux et nous concentrer sur ce qui seul compte :
nos actions présentes.
19
Ne pas craindre l’avenir
Imaginer les événements futurs, inventer des situations à
venir, appréhender ce qui vient sont source d’angoisses inutiles.
L’avenir, pas plus que le passé, ne nous appartient. Là aussi
la raison, la volonté, le pouvoir hégémonique nous incitent à ne
pas nous préoccuper du futur. Nous ne pouvons pas savoir de
quoi il sera fait. Y penser revient à rêver, à perdre son temps, à
gaspiller son énergie et à s’inquiéter inutilement.
« Ne t’inquiète pas de l’avenir ; tu y arriveras, s’il le faut,
muni de cette même raison dont tu te sers à présent17. »
S’inquiéter de l’avenir ou imaginer des situations futures a
comme conséquence, comme lorsqu’on se complaît dans les
souvenirs du passé, de fuir les situations présentes, les seules
sur lesquelles nous pouvons agir.
Craindre l’avenir est absurde : arrivera ce qui doit arriver, et
il sera toujours temps alors de peser sur les événements.
Abolir la vie intérieure
Si ni le passé ni le futur ne nous appartiennent, le présent,
lui, est nôtre. C’est sur lui que nous devons concentrer nos
efforts.
Tout d’abord, seuls les événements présents et les personnes
présentes auprès de nous ont de l’importance. Ils peuvent agir
sur nous et nous pouvons agir sur eux : « Rappelle-toi ensuite
que ni l’avenir ni le passé ne pèsent sur toi, mais seulement le
présent18. »
Il ne faut donc pas nous laisser distraire, par nos
représentations ou nos jugements, de l’essentiel : l’action
présente.
De même, notre volonté, notre raison, notre pouvoir
hégémonique peuvent, et souvent doivent, peser sur les
situations présentes.
Cela demande donc un effort de concentration sur le présent
et sur l’action. Les exercices de gymnastique mentale de Marc
Aurèle ont pour objectif d’oublier et d’écarter nos
représentations et nos jugements, afin de savoir nous concentrer
sur l’action.
20
Téléchargement