FOCUS LEVIERS DE CROISSANCE Croissance française : quel niveau possible en 2022 ? Mars 2017 La croissance potentielle française a fortement reculé ces dernières années. Aujourd’hui estimée à environ 1%, elle a été divisée par deux depuis la crise financière de 2008. Son redressement constitue un enjeu économique essentiel des élections présidentielles de 2017. De lui dépendra l’évolution du niveau de vie futur des français et la capacité de l’Etat à financer les dépenses publiques. A supposer que soient conduites les réformes structurelles préconisées par les organisations internationales, quel objectif peut raisonnablement se donner le prochain exécutif ? Nous estimons que retrouver une croissance potentielle de 1,5% paraît possible, mais ambitieux dans le contexte international actuel. Comme les autres grands pays occidentaux, la France est, en effet, confrontée à "l’énigme" de la chute des gains de productivité. Tant que ceux-ci resteront modérés, le retour à une croissance potentielle de 2% restera pour le moins hypothétique. Jean-Luc Biacabe Chef Economiste @biacabe 10' Temps de lecture CROISSANCE POTENTIELLE : UN RALENTISSEMENT ANTÉRIEUR À LA CRISE FINANCIÈRE DE 2008 ancienne au ralentissement des gains de productivité (voir Ollivaud, Guillemette, et Turner, 20161 et Cette, Fernald et Moyon, 20162). Depuis la crise financière de 2008, les pays occidentaux enregistrent des performances économiques en sensible recul. Cette perte de dynamisme économique est, le plus souvent, attribuée aux effets durables de la crise financière et à l’insuffisance de l’investissement productif depuis 2008. Mais ces impacts ont été d’autant plus forts qu’ils sont venus se greffer sur une tendance plus Cette "énigme" de la faiblesse des gains de productivité, alors que le quotidien de tout un chacun est bouleversé par le numérique, fait l’objet d’intenses débats3. Des gains de productivité dépendent en effet le surplus de richesse à répartir chaque année entre les différents acteurs économiques, sous forme de pouvoir d’achat, de profits ou de taxes. Ils constituent aussi l’une des composantes les plus importantes du calcul de la croissance potentielle (voir encadré p 3), car ils agrègent les effets du progrès technique. 1"Links between weak investment and the slowdown in productivity and potential output growth across the OECD", http://dx.doi. org/10.1787/5jlwvz0smq45-en 2 "The pre-great recession slowdown in productivity", Federal Reserve Bank of San Francisco, Working Paper 2016-08. http://www.frbsf.org/ economic-research/files/wp2016-08.pdf 3 Voir http://www.oecd.org/eco/growth/The-futureof-productivity-policy-note-July-2015.pdf L’analyse de l’activité économique repose le plus souvent sur les moteurs de la demande globale. Economistes, médias, décideurs publics sont habitués à raisonner dans des catégories mentales que l’on pourrait qualifier de keynésiennes : pouvoir d’achat des ménages, dépenses publiques, compétitivité des entreprises sont mobilisés pour comprendre les mouvements conjoncturels de la production. Les déterminants "physiques" de celle-ci sont ainsi considérés comme constants à court terme. L’approche par la croissance potentielle mobilise d’autres types de raisonnements et de déterminants. Définis comme le rythme de croissance qui ne génère pas de tensions inflationnistes, le taux de croissance potentielle renvoie à la capacité d’une économie à satisfaire une demande qui s’adresse à elle. La demande est alors exogène et seule la capacité de l’offre d’y répondre est analysée. Trois facteurs sont particulièrement mis en exergue par une approche par la croissance potentielle : le stock de capital disponible K (dont l’évolution dépend de l’investissement et de l’amortissement du capital ancien), la quantité de travail L (mesurée en termes d’heures de travail complétée par des considérations sur la qualité du travail (niveau de formation) et un résidu, souvent assimilé au progrès technique et appelé Productivité Globale des Facteurs (PGF). L’approche par la croissance potentielle conduit à s’inscrire dans un temps plus long que celle par la demande globale. Outre la capacité à mobiliser les facteurs de production K et L, elle mettra l’accent sur l’efficacité de la combinaison productive (fonctionnement des marchés du travail et des biens) et sur la capacité à déployer le progrès technique (politiques de R&D, d’innovation, en faveur des jeunes entreprises, etc.). Difficile à mesurer, la croissance potentielle sert surtout à mettre en exergue les contraintes pesant sur la croissance de l’offre et qui sont résolues de deux façons : l’inflation et le déficit commercial. Sa mesure a pris une importance particulière depuis que le rythme de croissance potentielle est utilisé pour distinguer ce qui est dû, dans l’évolution des soldes des finances publiques, aux mouvements de la conjoncture et ce qui relève de décisions de politiques économiques. Les mouvements conjoncturels sont alors définis comme l’écart à la situation potentielle. La France n’a pas échappé au mouvement général de baisse de la croissance potentielle constaté dans les pays de l’OCDE. Les estimations des trois grandes organisations internationales convergent avec des écarts minimes (même sur le passé !) : par rapport aux estimations faites sur la période 1999-2008, le rythme de croissance du PIB potentiel français aurait été divisé par près de deux : 1,1% contre 2%. L’essentiel de ce recul serait imputable au fort ralentissement de la productivité horaire du travail qui serait passée d’une croissance de 1,5% sur la période 19982008 à environ 0,7% sur la période 20082015. Les premiers chiffres disponibles pour 2016 laissent augurer d’une sensible aggravation : avec une croissance économique de 1,1%, l’emploi marchand aurait augmenté de 0,7%, soit des gains de productivité de seulement 0,4%. Croissance française : quel niveau possible en 2022 ? Croissance potentielle versus demande globale Ces évolutions sont toutes sauf bénignes. Concrètement, elles signifient que les ressources risquent de manquer pour financer la protection sociale, en particulier les retraites, et rembourser une dette publique toujours en croissance. Que les taux d’intérêt réels augmentent et la question de la soutenabilité des finances publiques se posera rapidement. Croissance potentielle de la France selon la Commission européenne, le FMI et l’OCDE (En points de PIB potentiel) 2014 2015 2016 2017 2018 2019 2020 Commission européenne1 0,9 0,8 1,0 1,1 / / / FMI2 1,0 1,1 1,1 1,1 1,2 1,3 1,3 OCDE3 1,0 1,1 1,2 1,2 / / / Source : Commission des Finances du Sénat (à partir des documents cités) (1) Commission européenne, "European Economic Forecast. Spring 2016", Institutional Paper, 25 mai 2016. (2) Fonds monétaire international, "France : 2015 Article IV Consultation - Staff Report", Country Report N° 15/178, juillet 2015. (3) OCDE, OECD Economic Outlook, juin 2016. 2 Dans son dernier examen de la situation économique de la France1, le FMI a réalisé une projection du niveau du PIB en 2021 qui intègre le fort ralentissement des gains de productivité observés depuis la crise financière de 2008. A cet horizon, le niveau du PIB français apparaît plus faible de 8 % par rapport au niveau qui aurait été obtenu si la croissance potentielle était restée sur son rythme d’avant crise. Perte de croissance potentielle depuis la crise mouvement général des économies occidentales. A supposer que les diagnostics sur les freins structurels soient les bons et que la mise en œuvre des réformes s’opèrent rapidement et sans friction (deux hypothèses fortes), quelle cible de croissance potentielle pourrait alors se donner le prochain gouvernement pour la fin de la mandature (2022) ? La réponse à cette question est délicate : ▪▪ La notion de croissance potentielle reste une construction largement intellectuelle. Il est difficile de s’accorder sur son niveau passé, encore plus sur ses perspectives futures ; Source : Autorités françaises et calcul FMI De façon plus concrète, cet écart implique une perte de production de 175 milliards € (en valeur 2016) et un manque à gagner de recettes publiques de 80 milliards (soit plus que le déficit de l’Etat en 2015). 1 http://www.imf.org/external/pubs/ft/scr/2016/cr16227.pdf, p7. QUELS OBJECTIFS DE PRODUCTION POTENTIELLE POUR LE PROCHAIN EXÉCUTIF FRANÇAIS ? Pour répondre à la question posée, encore faut-il avoir une idée claire des racines de la faiblesse de la croissance potentielle française. Celle-ci est la résultante de mouvements, a priori, indépendants les uns des autres : ▪▪ Un recul ancien et continu des gains de productivité (PGF), commun à l’ensemble des pays occidentaux et attribué à l’absence de "vrais" progrès techniques ; ▪▪ Un effet négatif de la crise financière sur l’investissement productif et l’accumulation du stock de capital par tête ; ▪▪ De facteurs spécifiquement français touchant au marché du travail, à l’insertion de l’offre nationale dans la mondialisation, à la qualité de l’investissement, à la formation des individus, etc. Les pouvoirs publics français peuvent agir sur le dernier facteur en mettant en œuvre des politiques structurelles : meilleur fléchage de l’épargne vers l’investissement productif, réforme du système éducatif, amélioration de l’employabilité des salariés, etc. Ils n’ont, en principe, pas d’influence sur les deux premiers qui relèvent du ▪▪ Le niveau de la croissance potentielle, tel que mesuré à un moment donné, n’est pas indépendant de la position de l’économie dans le cycle. La faiblesse actuelle de la croissance potentielle française peut se lire autant comme le reflet du rythme de croissance observé en France depuis 2010 que comme un affaiblissement des ressorts sousjacents de sa croissance. Des effets d’hystérèse peuvent aussi se produire, une baisse durable de la demande impactant durablement l’offre de long terme ; Croissance française : quel niveau possible en 2022 ? Les enjeux d’une croissance potentielle plus faible Croissance potentielle : un concept puissant difficile à évaluer Le PIB potentiel se définit comme "le niveau maximum de production que peut atteindre une économie sans qu’apparaissent des tensions sur les facteurs de production qui se traduisent par des poussées inflationnistes". L’estimation du PIB potentiel est un exercice délicat car cette notion n’est pas observable : ▪▪ Elle peut se faire de façon statistique, avec le recours à des filtres statistiques qui éliminent les composantes conjoncturelles de la série de PIB. On obtient une estimation qui s’apparente au PIB tendanciel ; ▪▪ On peut aussi utiliser des méthodes structurelles et partir d’une fonction de production du type Cobb-Douglas. Le PIB potentiel est alors estimé à partir d’hypothèses sur les facteurs de production (Capital et Emploi) et l’efficacité de la combinaison productive (la Productivité Globale des Facteurs (PGF)). Y = g La K(1-a) Où Y est le PIB, g la productivité globale des facteurs (PGF), L l’emploi, K le stock de capital et a un coefficient déterminé par la technologie. Cette équation peut aussi s’écrire de façon différentielle : dY/Y = dg/g + a dL/L + (1-a) dK/K où dY/Y est le taux de croissance du PIB, dg/g, dL/L et dK/K, ceux de la PGF, du stock de travail et de capital. Dans cette formulation, on voit que la croissance potentielle dépend de l’investissement (qui détermine l’évolution du stock de capital), de l’emploi (nombre d’heures travaillées) et de la PGF qui rassemble "le reste", ie le progrès technique, l’efficacité de la combinaison productive, la "qualité" de l’emploi et du capital etc. 3 L’évaluation de l’impact des réformes structurelles par ceux-là même qui les recommandent (quelques dixièmes de points de PIB)4 oblige à ne pas surestimer la capacité des pouvoirs publics à redresser cette croissance. ▪ Adopter une approche structurelle et évaluer l’impact de réformes structurelles sur les trois composantes de la croissance potentielle, PGF et contributions du Capital et du Travail. 1,25% en France 5. Notons que, d’après les comptes nationaux, l’investissement public français a reculé de 10% en volume sur la période 2013-2015, soit -0,4 point de PIB... Décomposition de la croissance potentielle française Quoiqu’il en soit, trois types de raisonnement peuvent être mobilisés : ▪ Prendre la situation allemande comme référence et intégrer une dimension rattrapage pour compenser le retard (0,4%) accumulé par la France sur les cinq dernières années. Si la croissance tendancielle allemande restait au niveau actuel (1,2%), la France pourrait ainsi se donner un objectif de croissance potentielle de 1,6 % à l’horizon de cinq ans, soit un doublement par rapport au rythme observé sur la période 2012-2016 ; Source : Coe-Rexecode, Perspectives de l’économie mondiale, 2016-2020, mars 2016 Coe-Rexecode estime qu’en l’absence de réformes structurelles, la croissance potentielle serait inférieure à 1% en 2020. Il faudrait un investissement mieux ciblé et une remontée de la PGF (grâce par exemple à une baisse du taux de chômage structurel ou une plus grande efficacité du système de formation) pour revenir, à cet horizon, à un rythme plus soutenu ; Taux de croissance moyen observé entre 2012-2016, en % ▪ Source : Commission européenne, European Economic Forecast, nov. 2016 Réaliser un effort d’investissements publics ciblés de l’ordre de 0,5% du PIB. C’est la voie recommandée par l’OCDE qui en attend un supplément de croissance de long terme de 4 Voir l’étude de l’OCDE (2015) sur la France. Ces trois méthodes suggèrent un impact de moyen terme significatif mais qui ne permettrait pas de retrouver les rythmes d’avant crise (2%). Sous l’hypothèse que soient menées les réformes nécessaires et en prenant en compte la latence inhérente à toute donnée structurelle, on peine à prévoir une croissance potentielle française significativement supérieure à 1,5% à l’horizon 2022. 5http://www.oecd.org/fr/eco/perspectives/evaluation-generale-de-la-situation-macroeconomique-perspectives-economiques-ocde-novembre-2016.pdf CONCLUSION L’approche par la croissance potentielle met en exergue les limites que pourrait rapidement trouver une politique de relance par la demande en France. Celle-ci se traduirait par une aggravation du déficit commercial faute d’un appareil productif en capacité d’y répondre. Un redressement de l’ordre de 0,5% de la croissance potentielle est en deçà des ambitions souvent affichées par les chiffrages des programmes disponibles pour la présidentielle de 2017. Il constituerait pourtant un progrès significatif dans un contexte mondial marqué par le recul des gains de productivité. Croissance française : quel niveau possible en 2022 ? Directeur de publication et de la rédaction Thierry Philipponnat Auteur : Jean-Luc Biacabe Retrouvez l’Institut Friedland sur www.institut-friedland.org @IF_Institut @IF_Institut @InstitutFriedland @InstitutFriedland Institut InstitutFriedland Friedland Conception / Maquette Laurence Guillot Impression : Cicero CCI Paris Île-de-France Crédit(s) photo(s) oatawa©lookslike-GettyImages Tous droits réservés. Croissance française : quel niveau possible en 2022 ? ▪