M ini-revue Les formes héréditaires non polyposiques des cancers colorectaux doi: 10.1684/hpg.2010.0506 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. Hereditary non polyposis colorectal cancer syndromes Bruno Buecher, Pierre Laurent-Puig Service d’hépatogastroentérologie et service de génétique, Hôpital européen Georges-Pompidou, 20-40, rue Leblanc, 75908 Paris cedex 15, France e-mail : <[email protected]> Résumé Les formes héréditaires non polyposiques des cancers colorectaux posent des problèmes d’identification qui rendent compte de fréquents retards au diagnostic, parfois très préjudiciables. Il est essentiel de les évoquer systématiquement et de connaître la stratégie diagnostique du syndrome de Lynch au cours de laquelle la caractérisation du phénotype tumoral (recherche d’une instabilité des microsatellites ± étude de l’expression des protéines mismatch repair [MMR] en immunohistochimie) occupe une place centrale. L’objectif de cette revue est de préciser ces points et de souligner les acquisitions récentes relatives aux différents aspects du syndrome de Lynch : risques tumoraux ; altérations génétiques causales ; corrélations génotype-phénotype ; facteurs génétiques modificateurs ; modalités de prise en charge notamment. Nous précisons également l’état des connaissances concernant les autres formes héréditaires ou familiales de cancers colorectaux sans polypose, parfois rassemblées sous l’appellation « syndrome X ». n Mots clés : HNPCC, Lynch, syndrome X, cancers colorectaux héréditaires Abstract HEPATO GASTRO et Oncologie digestive n Tirés à part : B. Buecher Hereditary non polyposis colorectal cancer syndromes, initially defined by the validation of the clinical Amsterdam criteria, are more prevalent than polyposis syndromes and account for 3-5% of the total burden of colorectal cancer. In the absence of specific colonic phenotype, the diagnosis is sometimes difficult and delayed. Advances in molecular genetics, revealed that at least half of these cases are due to a germline mutation of one of the mismatch repair (MMR) genes, mostly MLH1 or MSH2 gene. This causative mutation that define Lynch syndrome induces genetic instability and is responsible for tumorigenic accumulation of somatic mutations and tumour microsatellite instability. Microsatellite instability testing and immunohistochemistry are therefore useful tools to identify the patients who are candidate for MMR genes analysis. This review will summarise the different aspects of Lynch syndrome: tumour risks; causative molecular alterations; genotype-phenotype correlations; diagnosis strategy; modifier genes; clinical guidelines for surveillance and management of affected individuals. We will also consider the familial agregations/hereditary forms of non polyposis colorectal cancer without evidence of DNA MMR deficiency, whose molecular determinism is still unknown and that are sometimes called “familial colorectal cancer type X”. n Key words: HNPCC, Lynch, familial colorectal cancer type X HEPATO-GASTRO et Oncologie digestive vol. 17 no 6, novembre-décembre 2010 495 es formes héréditaires des cancers colorectaux sont des affections rares qui ne rendent compte que de l’ordre de 5 % de l’ensemble des cas. Les formes non polyposiques (syndrome HNPCC [hereditary non polyposis colorectal cancer]) sont majoritaires et posent des problèmes diagnostiques parfois difficiles, dans la mesure où les données endoscopiques ne permettent pas de les identifier aisément. Cette situation rend compte d’une méconnaissance fréquente et d’un retard au diagnostic qui est encore souvent porté devant une agrégation familiale importante de cancers, alors qu’une identification plus précoce aurait permis de mettre en place des mesures de suivi et de dépistage d’efficacité démontrée chez les individus à risque. Comme pour les autres syndromes de prédisposition héréditaire aux cancers, les arguments évocateurs du diagnostic sont la multiplication des cas dans une famille et/ou un(des) âge(s) au diagnostic inhabituellement jeune(s). Ces arguments sont à la base des critères d’Amsterdam établis initialement de façon arbitraire pour définir le syndrome HNPCC. L’évolution des connaissances scientifiques a permis de rattacher la majorité de ces situations à une mutation germinale inactivatrive d’un gène du système de réparation des mésappariements de l’ADN appelé mismach repair (MMR) : MLH1 ou MSH2 le plus souvent, MSH6 plus rarement, PMS2 exceptionnellement. Le terme syndrome de Lynch leur est réservé de telle sorte que la définition de ce syndrome est maintenant moléculaire et non plus clinique. Les formes familiales de cancers colorectaux sans polypose ne correspondant pas à un syndrome de Lynch sont généralement rassemblées sous le terme de syndrome X. Leur déterminisme génétique n’est pas connu. Nous envisagerons successivement ces différentes entités, syndrome de Lynch et autres formes héréditaires ou familiales de cancers colorectaux sans polypose. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. L “ La définition du syndrome de Lynch est moléculaire et non plus clinique Syndrome de Lynch ” Tableau 1. Le « spectre tumoral » du syndrome de Lynch (1). Localisation tumorale Risque relatif ▪ Côlon-rectum Risques tumoraux associés au syndrome de Lynch. Notion de « spectre étroit » et de « spectre large » Spectre « étroit » Les cancers colorectaux correspondent aux cancers les plus fréquents, mais ne résument pas les risques tumoraux associés au syndrome de Lynch. Les tumeurs extracolorectales du spectre sont classées en deux groupes en fonction de la valeur du risque relatif par rapport à la population générale et de leur valeur prédictive positive pour le diagnostic. Les tumeurs dites du « spectre étroit » sont caractérisées par un risque relatif supérieur à 8 et une bonne valeur prédictive positive. Il s’agit : 496 – de l’adénocarcinome de l’endomètre ; – de l’adénocarcinome de l’intestin grêle ; – du carcinome urothélial des voies excrétrices urinaires (bassinet et uretère). Les tumeurs du « spectre large » sont caractérisées par un risque relatif compris entre 5 et 8 et une moindre valeur prédictive positive. Il s’agit : – des carcinomes ovariens ; – de l’adénocarcinome gastrique ; – des cholangiocarcinomes [1]. Les risques absolus (incidence cumulée au cours de l’existence) pour ces différentes tumeurs sont rapportés dans le tableau 1. Il faut cependant noter que ces risques sont probablement surévalués en raison de biais de sélection de la majorité des études disponibles. L’étude ERISCAM (acronyme pour : estimation des risques de cancer chez les porteurs de mutation des gènes MMR), menée au sein du Groupe génétique et cancer de la Fédération des centres de lutte contre le cancer, a pour objectif d’évaluer de façon plus fiable les risques tumoraux en tentant de s’affranchir du biais de sélection des cas index au moyen d’une approche méthodologique adaptée appelée genotype restricted likelihood (GRL). Les cancers colorectaux associés au syndrome de Lynch sont localisés préférentiellement en amont de l’angle colique gauche. Certaines caractéristiques histologiques sont rapportées dans les différentes séries : faible degré de différenciation, architecture généralement massive ; présence d’un contingent colloïde muqueux et réaction lymphocytaire dense Crohn-like du stroma [2]. En ce qui concerne les tumeurs gynécologiques, on estime que 1 à 2 % de l’ensemble des cancers de l’endomètre surviennent dans le contexte d’un syndrome de Lynch et Risque absolua (%) 50-60 RR > 8 ▪ Endomètre ▪ Intestin grêle <5 ▪ Voies excrétrices urinaires (bassinet, uretères) <5 Spectre « large » 30-40 5 < RR < 8 ▪ Ovaire 8-12 ▪ Estomac <5 ▪ Voies biliaires <5 a Risques cumulés au cours de l’existence. HEPATO-GASTRO et Oncologie digestive vol. 17 no 6, novembre-décembre 2010 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. HNPCC que ce pourcentage atteint 9 % en cas de diagnostic à un âge inférieur à 50 ans [3]. L’existence d’antécédents personnels ou familiaux de cancers du spectre, l’absence de surcharge pondérale (facteur « environnemental » de risque), l’existence d’un cancer de l’ovaire synchrone et certaines caractéristiques histologiques (infiltration lymphocytaire dense, péritumorale et au niveau du stroma ; coexistence d’un contingent endométrioïde et d’un contingent indifférencié) sont des paramètres associés à une plus grande probabilité de syndrome de Lynch [3, 4]. De même, la localisation au niveau de l’isthme utérin serait associée à une prévalence accrue de syndrome de Lynch. Ainsi, ce diagnostic était porté dans dix cas (soit 29 % des cas) dans la série de 35 cas consécutifs d’adénocarcinomes de l’isthme récemment rapportée par Westin et al. [5]. Deux à trois pour cent de l’ensemble des cancers de l’ovaire surviendraient dans le contexte d’un syndrome de Lynch [6]. Ici encore, la prévalence du syndrome de Lynch chez les femmes atteintes d’un cancer de l’ovaire augmente en cas d’antécédents personnels ou familiaux de cancers du spectre et en cas de diagnostic précoce. Elle était de 10 % dans la série de 52 cas diagnostiqués à un âge inférieur ou égal à 50 ans, rapportée par Jensen et al. [7]. Si les carcinomes séreux représentent le type histologique majoritaire, une surreprésentation des carcinomes mucineux, endométrioïdes et à cellules claires est rapportée dans différentes séries. “ 1 à 2 % de l’ensemble des cancers de l’endomètre surviennent dans le contexte d’un syndrome de Lynch ” Formes phénotypiques particulières Les tumeurs malignes développées aux dépens des glandes sébacées et les tumeurs cérébrales peuvent également s’observer au cours du syndrome de Lynch et définissent deux formes phénotypiques particulières. • Syndrome de Muir-Torre Le syndrome de Muir-Torre correspond à une variété phénotypique du syndrome de Lynch, le plus souvent associée à une mutation du gène MSH2, caractérisée par la présence de lésions cutanées développées aux dépens des glandes sébacées (adénomes sébacés, sébacéomes et carcinomes sébacés) [8]. Ces lésions se présentent sous la forme de papules ou de nodules fermes, de couleur chair ou jaunâtre, parfois érodés. Les carcinomes sébacés se développent préférentiellement aux dépens des glandes sébacées des paupières (ou glandes de Meibomius) et peuvent être pris à tort pour un chalazion ou une blépharoconjonctivite chronique. La présence de telles lésions cutanées dans un contexte d’agrégation de cancers colorectaux ou du spectre du syndrome de Lynch est très évocatrice de ce diagnostic. Des kératoacanthomes et des carcinomes basocellulaires à différenciation sébacée sont également possibles. • Syndrome de Turcot Le risque de tumeurs cérébrales est augmenté au cours du syndrome de Lynch de même qu’au cours de la polypose adénomateuse familiale. La survenue de ces tumeurs dans le contexte d’une prédisposition génétique majeure aux cancers colorectaux définit le syndrome de Turcot. Les types histologiques diffèrent en fonction du type de prédisposition génétique, puisqu’il s’agit principalement de glioblastomes, d’astrocytomes et d’oligodendrogliomes dans le contexte du syndrome de Lynch, alors les médulloblastomes correspondent au type histologique majoritaire dans le contexte de la polypose adénomateuse familiale [9]. Stratégie diagnostique La mutation causale est responsable d’une faillite du système MMR d’où une perte de la fidélité de la réplication de l’ADN qui peut être mise en évidence par la présence d’une instabilité des microsatellites au niveau tumoral (phénotype MSI). L’étude immunohistochimique objective par ailleurs une perte d’expression de la protéine codée par le gène muté. Le manque de sensibilité et de spécificité des critères clinique d’Amsterdam a conduit à accorder une place centrale à la caractérisation du phénotype tumoral dans la stratégie diagnostique du syndrome de Lynch. En pratique, il est recommandé d’évoquer le diagnostic de syndrome de Lynch et de chercher une instabilité des microsatellites pour toute tumeur du spectre diagnostiquée à un âge inférieur à 60 ans ou quels que soient les âges au diagnostic en cas d’atteintes multiples chez un même individu ou chez deux apparentés au premier degré [1]. L’étude moléculaire constitutionnelle est alors réservée aux seuls individus dont la tumeur présente une instabilité des microsatellites. Les données immunohistochimiques ont l’intérêt, dans un tel contexte, de guider l’étude moléculaire en la ciblant sur le gène codant pour la protéine défectueuse. “ Le manque de sensibilité et de spécificité des critères cliniques d’Amsterdam a conduit à accorder une place centrale à la caractérisation du phénotype tumoral dans la stratégie diagnostique du syndrome de Lynch ” Différents modèles ont été récemment développés pour évaluer la probabilité d’identification d’une mutation germinale chez un individu donné à partir des caractéristiques de l’histoire tumorale personnelle et familiale et éventuellement des données de l’étude somatique (recherche d’une HEPATO-GASTRO et Oncologie digestive vol. 17 no 6, novembre-décembre 2010 497 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. instabilité des microsatellites ± étude de l’expression des protéines de réparation des mésappariements de l’ADN en immunohistochimie) [10]. Ces outils sont facilement disponibles en ligne. Outre le fait qu’ils présentent chacun un certain nombre de faiblesses méthodologiques, leur utilité clinique même est discutable. Ils pourraient néanmoins être utiles pour guider les indications d’étude génétique constitutionnelle et les recommandations de prise en charge dans les situations cliniques suivantes : – absence d’étude somatique possible (matériel non récupérable et/ou non exploitable) ; – cancer du côlon proximal associé à une instabilité des microsatellites et à un défaut d’expression de la protéine MLH1 posant la question du diagnostic différentiel entre un cancer sporadique et un cancer survenant dans le contexte d’un syndrome de Lynch en rapport avec une mutation germinale du gène MLH1 (cf. diagnostic différentiel). “ Il est recommandé d’évoquer le diagnostic de syndrome de Lynch et de chercher une instabilité des microsatellites pour toute tumeur du spectre diagnostiquée à un âge inférieur à 60 ans ou quels que soient les âges au diagnostic en cas d’atteintes multiples chez un même individu ou chez deux apparentés au premier degré Altérations génétiques causales ” Les gènes les plus fréquemment impliqués correspondent aux gènes MLH1 et MSH2 dont les altérations rendraient compte de 30 et 35 % des cas respectivement. Les altérations du gène MSH6 et surtout du gène PMS2 sont beaucoup plus rares. Les mutations les plus fréquentes correspondent aux mutations ponctuelles (faux sens ou non-sens) et aux délétions ou insertions d’un petit nombre de nucléotides responsables, lorsqu’il ne s’agit pas d’un multiple de 3, d’un décalage du cadre de lecture et de la genèse d’un codon-stop prématuré. Ces mutations sont identifiées par les techniques d’analyse « conventionnelles » (généralement pre-screening par dHPLC suivi d’un séquençage des fragments ayant un profil anormal). Les réarrangements de grande taille correspondent à des délétions et/ou des duplications d’un ou de plusieurs exons résultant d’événements de recombinaison homologue non allélique. Leur identification échappe à l’analyse par séquençage, l’allèle « réarrangé » étant masqué par la persistance de l’allèle normal, ce qui justifie la mise en œuvre d’une technique d’analyse particulière : PCR quantitative ; multiplex ligation probe assay (MLPA) ou quantitative multiplex PCR of short fluorescent fragments (QMPSF). Ces réarrangements sont relativement fréquents, en parti- 498 culier au niveau du gène MSH2, puisqu’ils rendraient compte d’environ 15 % des cas. Leur recherche doit donc être systématique [11]. L’utilisation de la MLPA a récemment permis d’identifier de façon fortuite un nouveau type d’altérations génétiques responsables du syndrome de Lynch. Il s’agit de délétions de grande taille intéressant la partie 3’ du gène TACSTD1 ou EPCAM, qui est localisé en amont du gène MSH2. Ces délétions sont responsables de la synthèse d’un transcrit de fusion TACSTD1-MSH2 par perte du signal de polyadénylation (normalement responsable de la fin de la transcription) et de l’inactivation de MSH2 par hyperméthylation de son promoteur [12, 13]. Une hyperméthylation « constitutionnelle » du promoteur du gène MLH1 a également été rapportée dans des familles fortement suspectes de syndrome de Lynch. Elle pourrait être la conséquence d’une altération génétique en cis, non encore identifiée, selon un mécanisme proche de celui décrit précédemment à propos de MSH2 [14]. D’autres altérations génétiques peuvent être rarement en cause, qui doivent être recherchées en cas de forte suspicion de syndrome de Lynch, alors que la recherche de mutation ponctuelle sur la séquence codante et les régions introniques flanquantes et de réarrangements de grande taille est négative. Il peut s’agir : – de mutations introniques profondes responsables d’une anomalie d’épissage qui peuvent être mises en évidence indirectement par une étude des transcrits ; – de remaniements des promoteurs ou de mutations dans des régions non codantes responsables d’un défaut d’expression de l’allèle concerné par altération d’un site consensus de liaison d’un facteur de transcription ou altération de structure, pour les premières ; altération de séquences régulatrices, enhancers ou silencers, de la transcription, parfois situées à plusieurs centaines ou plusieurs milliers de paires de bases en 5’ ou 3’ du gène, pour les secondes. L’évaluation quantitative et « séparée » de l’expression de chacun des deux allèles est une méthode indirecte de recherche de ces mutations dont la mise en évidence est complexe. Corrélations phénotype-génotype L’hétérogénéité dans l’expression clinique du syndrome de Lynch est une observation ancienne. Différentes études ont permis d’établir une relation entre le gène en cause dans une famille donnée et le phénotype clinique. Ainsi, il est désormais établi que les mutations constitutionnelles du gène MSH6 sont associées à un moindre risque de cancers colorectaux, à un risque majoré de cancer de l’endomètre et à une fréquence accrue des présentations cliniques « atypiques ». Il est également probable que le risque de cancers « extracolorectaux », et notamment de cancers des voies excrétrices urinaires, soit plus élevé en cas HEPATO-GASTRO et Oncologie digestive vol. 17 no 6, novembre-décembre 2010 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. HNPCC de mutation constitutionnelle du gène MSH2 qu’en cas de mutation du gène MLH1. Les données relatives aux risques tumoraux associés aux mutations du gène PMS2 étaient quasiment inexistantes compte tenu de leur rareté. C’est l’intérêt de la publication récente de Senter et al. qui a porté sur 39 familles avec syndrome de Lynch en rapport avec une mutation germinale de ce gène [15]. Dans ce travail, le risque relatif de cancer colorectal par rapport à la population générale était évalué à 5,2, soit un risque cumulé à 70 ans évalué à 20 % (IC 95 % : 11-34 %) chez les hommes et à 15 % (IC 95 % : 08-26 %) chez les femmes. L’augmentation du risque de cancer de l’endomètre était évaluée à 7,5, soit un risque cumulé à 70 ans évalué à 15 % (IC 95 % : 06-35 %). Ces données suggèrent donc que la prévalence des cancers colorectaux et des cancers de l’endomètre serait plus faible en cas d’implication du gène PMS2 et que les modalités de la surveillance pourraient être « allégées » dans ce contexte. “ Une relation existe entre le gène en cause dans une famille donnée et le phénotype clinique ” nucleotide polymorphism (SNP) préalablement incriminés dans la genèse des cancers colorectaux sporadiques dans des études pangénomiques chez 675 patients atteints du syndrome de Lynch, issus de 127 familles hollandaises [17]. Il a conclu à une association significative entre le risque de cancer colorectal et les variants rs16892766 et rs3802842, localisés au niveau des loci 8q23.3 et 11q23.1 respectivement. Les facteurs génétiques récemment associés aux cancers colorectaux sporadiques (tels que l’expression du gène du récepteur de type I du TGFβ) ou impliqués dans des agrégations familiales non syndromiques (tels que le variant 1100delC du gène CHEK2) correspondent à des candidats potentiels. Les données récemment publiées relatives à l’impact des mutations du gène MYH sur l’expression phénotypique du syndrome de Lynch associé à une mutation germinale du gène MSH6 sont discordantes [18]. Diagnostic différentiel Cancers « sporadiques » avec instabilité des microsatellites Facteurs génétiques modificateurs L’existence de facteurs génétiques modificateurs (polymorphismes fonctionnels ou combinatoires de polymorphismes de différents gènes) pourrait également rendre compte en partie de l’hétérogénéité phénotypique inter- et intrafamiliale. Leur caractérisation a pour objectif de permettre une meilleure évaluation individuelle des risques tumoraux qui pourrait conduire, à l’avenir, à une modulation des recommandations de dépistage et de prise en charge. Différentes approches méthodologiques sont possibles visant à évaluer l’impact d’altérations de gènes « candidats », impliqués dans la carcinogenèse colorectale et partenaires éventuels des gènes du système MMR, ou d’altérations génétiques identifiées comme facteurs génétiques mineurs de susceptibilité au moyen d’approches pangénomiques. À titre d’exemple, Reeves et al. ont observé une relation entre l’âge au diagnostic des cancers colorectaux et le nombre de répétitions du motif dinucléotidique cytosine/adénine (CA) localisées en amont du promoteur du gène de l’insulin-like growth factor-1 (IGF1) dans le contexte des mutations des gènes MLH1 et MSH2 [16]. Ainsi, l’âge médian pour le diagnostic des cancers colorectaux était inférieur de 12 ans chez les individus avec un nombre de répétitions CA inférieur ou égal à 17 par rapport aux individus avec un nombre de répétitions supérieur ou égal à 18, et le risque relatif de cancer colorectal diagnostiqué à un âge inférieur à 60 ans était de 1,70 (IC 95 % : 1,25-2,31) dans le premier groupe. Le travail de Wijnen et al. a consisté à réaliser un génotypage de six variants de type single L’instabilité des microsatellites n’est pas spécifique des cancers survenant au cours du syndrome de Lynch. Elle est, en effet, observée dans environ 20 % des cancers coliques sporadiques et résulte dans ces cas d’une hyperméthylation du promoteur du gène MLH1 (à l’exclusion des autres gènes du système MMR), liée à la sénescence et responsable d’un défaut d’expression du gène dont la séquence codante est intacte (mécanisme épigénétique). Les tumeurs répondant à ce mécanisme de carcinogenèse sont toujours localisées en amont de l’angle colique gauche. En pratique, alors que les tumeurs présentant une instabilité des microsatellites, localisées au niveau du côlon distal ou du rectum et/ou associées à un défaut d’expression des protéines MSH2 et/ou MSH6 s’intègrent très certainement dans un syndrome de Lynch, le diagnostic différentiel avec une tumeur sporadique se pose pour les tumeurs du côlon proximal associées à un défaut d’expression de la protéine MLH1, en particulier en cas de diagnostic à un âge supérieur à 50 ans et/ou en l’absence d’agrégation familiale de cancer colorectal ou du spectre du syndrome de Lynch. La recherche de la mutation somatique V500E du gène B-Raf peut être utile dans une telle situation, puisqu’elle est observée dans environ 30 % des cancers coliques sporadiques avec instabilité des microsatellites, alors qu’elle n’est classiquement pas observée au cours du syndrome de Lynch. La recherche d’une hyperméthylation du promoteur du gène MLH1 peut également être utile dans ce contexte. HEPATO-GASTRO et Oncologie digestive vol. 17 no 6, novembre-décembre 2010 499 “ Recommandations pour la surveillance gynécologique Le diagnostic différentiel entre une tumeur sporadique et un syndrome de Lynch se pose pour les tumeurs du côlon proximal associées à un défaut d’expression de la protéine MLH1, en particulier en cas de diagnostic à un âge supérieur à 50 ans et/ou en l’absence d’agrégation familiale de cancer colorectal ou du spectre du syndrome de Lynch ” Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. Formes atténuées de polyposes adénomateuses Les cancers colorectaux survenant dans le contexte d’un syndrome de Lynch peuvent être associés à quelques polypes adénomateux synchrones, précessifs ou métachrones. Le phénotype colique peut alors évoquer une forme très atténuée de polypose adénomateuse liée à APC ou à MYH, en particulier en l’absence d’antécédents personnels ou familiaux de cancers du spectre. La recherche d’une instabilité des microsatellites au niveau tumoral a là encore une place centrale dans le diagnostic différentiel entre ces différentes affections. Agrégations familiales non polyposiques n’impliquant pas le système MMR : syndrome X (cf. chapitre suivant) Prise en charge Recommandations pour la surveillance colorectale Les modalités de la surveillance colorectale au cours du syndrome de Lynch sont relativement bien codifiées : coloscopie totale avec chromoendoscopie à l’indigo carmin (afin d’optimiser le dépistage des lésions sessiles et planes), réalisée au minimum tous les deux ans dès l’âge de 20 à 25 ans. L’endoscopie à bandes spectrales étroites (narrow band imaging [NBI]), qui réalise une véritable « chromoscopie virtuelle » et est de mise en œuvre plus aisée que la chromoscopie à l’indigo carmin, pourrait correspondre à une alternative intéressante [19]. Son évaluation clinique doit être poursuivie et, la réalisation d’études comparatives avec la chromoendoscopie à l’indigo carmin est souhaitable. “ La surveillance colorectale au cours du syndrome de Lynch consiste en une coloscopie totale avec chromoendoscopie à l’indigo carmin réalisée au minimum tous les deux ans dès l’âge de 20 à 25 ans 500 ” Un examen clinique pelvien annuel est recommandé à partir de l’âge de 30 ans, associé à une échographie endovaginale et probablement à un prélèvement endométrial à la pipelle. Les données de l’étude de Renkonen-Sinisalo et al. soulignent en effet la « valeur ajoutée » de ce prélèvement systématique par rapport à la seule surveillance clinique et échographique pour le dépistage du cancer de l’endomètre et des lésions muqueuses précancéreuses [20]. L’hystéroscopie diagnostique et l’hystérosonographie n’ont pas fait la preuve de leur efficacité et sont en cours d’investigation dans cette indication. Recommandations pour le dépistage des autres localisations tumorales Il n’existe pas de consensus sur l’opportunité de mise en place d’un dépistage systématique des autres localisations tumorales ni sur les modalités de ce dépistage. Cela vaut notamment pour le dépistage du cancer gastrique, de l’intestin grêle et du carcinome urothélial. Il paraît sage d’envisager au minimum : – une recherche d’infection à Helicobacter pylori (facteur de risque de l’adénocarcinome gastrique) avec prescription, le cas échéant, d’un traitement d’éradication ; – de favoriser le sevrage tabagique (facteur de risque du carcinome urothélial) ; – de lutter contre la surcharge pondérale (facteur de risque de l’adénocarcinome de l’endomètre) ; – de surveiller périodiquement la numération formule sanguine et d’envisager une exploration morphologique de l’intestin grêle, en cas d’anémie ferriprive non expliquée par les données de la fibroscopie œsogastroduodénale, de la coloscopie (et de l’examen gynécologique). Il est également essentiel d’indiquer aux patients les points d’appel cliniques des localisations tumorales à risque (métrorragies, hématurie macroscopique…) dont la survenue doit conduire à une consultation médicale rapide avec mise en place d’une exploration diagnostique. Indications de la chirurgie prophylactique Une réflexion sur les indications de la chirurgie prophylactique dans les syndromes de prédisposition héréditaire aux cancers et notamment au cours du syndrome de Lynch a été récemment menée à l’initiative de l’INCa. Les résultats de cette expertise sont maintenant disponibles en ligne (http://www.e-cancer.fr). Compte tenu de l’efficacité démontrée de la surveillance endoscopique, il n’existe pas d’indication de chirurgie colique prophylactique « vraie ». En revanche, l’étendue de la colectomie peut être discutée lorsqu’il existe une indication chirurgicale pour adénome(s) non accessible(s) à une exérèse endoscopique ou cancer HEPATO-GASTRO et Oncologie digestive vol. 17 no 6, novembre-décembre 2010 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. HNPCC chez des patients porteurs de syndrome de Lynch démontré. Dans une telle situation, la colectomie subtotale avec anastomose iléorectale est considérée comme une alternative possible à la colectomie segmentaire « conventionnelle ». Le choix entre les deux interventions doit être réalisé après concertation en prenant en compte essentiellement l’âge du patient et sa volonté formulée, après qu’il a été informé des risques et des bénéfices des différentes techniques. Les experts considèrent également que l’indication de chirurgie pelvienne prophylactique (hystérectomie avec annexextomie bilatérale) est « recevable » chez les femmes atteintes du syndrome de Lynch après accomplissement du projet parental, eu égard au risque de cancer de l’endomètre et de cancer de l’ovaire. Il s’agit donc d’une évolution significative de la position des experts français dont les recommandations s’approchent de celles des sociétés savantes américaines et européennes. “ L’indication de chirurgie pelvienne prophylactique (hystérectomie avec annexextomie bilatérale) est « recevable » chez les femmes atteintes du syndrome de Lynch après accomplissement du projet parental ” Mutations germinales bialléliques des gènes MMR Syndrome X Il est maintenant acquis que, dans au moins un tiers des cas, les agrégations familiales de cancers colorectaux sans polypose, avec ou sans validation des critères cliniques d’Amsterdam, ne sont pas associées à une instabilité des microsatellites au niveau tumoral [22-24]. Cela indique que la carcinogenèse n’implique pas d’altération du système de réparation des lésions de l’ADN MMR et permet d’exclure le diagnostic de syndrome de Lynch. Ces situations constituent un ensemble vraisemblablement hétérogène d’affections, parfois rassemblées sous l’appellation « syndrome X », au cours desquelles l’évaluation des risques tumoraux reste imprécise. Différents travaux indiquent que les cancers colorectaux survenant dans ce contexte ont une localisation rectosigmoïdienne préférentielle et qu’ils ne présentent pas les particularités histologiques évocatrices du syndrome de Lynch, en particulier l’infiltration lymphocytaire dense, Crohn-like, du stroma tumoral. Les altérations génétiques causales ne sont pas connues. L’implication d’un gène majeur de prédisposition n’est pas exclue, mais aucun « candidat » n’a été identifié à ce jour. Cela suggère la possibilité d’un autre mode de prédisposition génétique, caractérisé par n Des mutations bialléliques (homozygotes – contexte de consanguinité parentale – ou hétérozygotes composites) ont été rapportées dans plusieurs familles pour chacun des quatre gènes du système MMR : MLH1, MSH2, MSH6 et PMS2. L’expression clinique de ce syndrome a été précisée par les données de la compilation de 78 cas récemment publiés par Wimmer et al. [21]. Elle est caractérisée par un âge au diagnostic particulièrement jeune pour les tumeurs du spectre du syndrome de Lynch (âge médian : 16 ans) ; une augmentation du risque de tumeurs cérébrales (principalement glioblastomes, mais également tumeurs primitives neuroectodermiques et médulloblastomes) et d’hémopathies malignes (lymphomes malins non hodgkiniens et leucémies aiguës lymphoblastiques, le plus souvent de type T) chez de jeunes enfants et enfin par la fréquence des tâches café au lait pouvant donner le change avec une neurofibromatose de type 1 ou maladie de Recklinghausen. En pratique, un tel syndrome, parfois appelé syndrome CMMR-D (constitutional mismatch repair-deficiency) doit être évoqué chez des enfants, des adolescents ou de jeunes adultes atteints d’hémopathie maligne, de tumeur cérébrale et/ou de cancer colorectal en cas d’antécédents familiaux de cancers du spectre du syndrome de Lynch dans les deux branches parentales, en particulier en cas de récurrence dans la fratrie et/ou de consanguinité. n T ake home messages n n La définition du syndrome de Lynch est maintenant moléculaire, fondée sur l’identification d’une mutation germinale d’un gène du système mismatch repair (MMR). n Une proportion importante des agrégations familiales de cancers colorectaux sans polypose ne correspondent pas à un syndrome de Lynch. n L’étude du phénotype tumoral (recherche d’une instabilité des microsatellites ± étude de l’expression des protéines MMR en immunohistochimie) est une étape clé dans la stratégie diagnostique du syndrome de Lynch. n L’instabilité des microsatellites au niveau tumoral est quasiment constante au cours du syndrome de Lynch, mais non spécifique. n L’étude des corrélations phénotype–génotype et la caractérisation des facteurs génétiques modificateurs des risques tumoraux au cours du syndrome de Lynch de même que l’étude du déterminisme génétique des autres formes héréditaires non polyposiques des cancers colorectaux correspondent à des axes majeurs de la recherche en oncogénétique digestive. HEPATO-GASTRO et Oncologie digestive vol. 17 no 6, novembre-décembre 2010 501 l’effet additif de polymorphismes dans différents gènes « mineurs » de susceptibilité. On parle de déterminisme « oligogénique ». “ Dans au moins un tiers des cas, les agrégations familiales de cancers colorectaux sans polypose, avec ou sans validation des critères cliniques d’Amsterdam, ne sont pas associées à une instabilité des microsatellites ” Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. Conflits d’intérêts : aucun. n Références Les références importantes apparaissent en gras 1. Olschwang S, Bonaïti C, Feingold J, Frébourg T, Grandjouan S, Lasset C, et al. Identification et prise en charge du syndrome HNPCC (hereditary non polyposis colon cancer), prédisposition héréditaire aux cancers du côlon, du rectum et de l’utérus. Bull Cancer 2004 ; 91 : 303-15. 2. Jass JR, Walsh MD, Barker M, Simms LA, Young Y, Leggett BA. 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