É T Y M O L O G I E Mystère d’ageasse Jean PEUCHAIRE Active, noire et blanche, jacasseuse…, c’est la pie bavarde ! E n de nombreux endroits du Poitou-Charentes la pie bavarde – Pica pica pour les scientifiques – s’entend encore affubler du nom d’ageasse (ou ajasse, aghace, agace…). Deux lecteurs du Picton viennent de nous demander quel est le mystère de cette jolie et curieuse dénomination ? Beaucoup de Poitevins et de Charentais se rappellent, voire fredonnent encore la chanson populaire qui commence par cette strophe : « Au printemps la mère ageasse, / Au printemps la mère ageasse, / A niché dans un buisson / La pibole ! / A niché dans un buisson / Pibolon !… ». La chute de la chanson, notre ageasse ayant eut un descendant Déliez-vous la langue ! Voici un excellent exercice de diction basé sur le nom patois de notre pie, dite « bavarde » du fait de ses jacassements sonores. Serez-vous aussi habile et volubile qu’elle pour dire sans bafouiller, et d’une seule traite, l’historiette suivante ? Ageasse pijasse / Quand te désageass’ras-tu pijass’ras-tu ? / Je m’désageass’rai pijass’rai / Quand les autres ageasses pijasses / Se désageass’ront pijass’ront ! Alors ça vous agace les ageasses ? Normal ! Le verbe agacer lui-même proviendrait, par contamination, de l’ancien français agace « pie », qui a donné le verbe agachier (14e siècle) « crier comme une pie ». 58 L E P I C T O N 1 7 9 / S – un ageasson1 bien sûr –, nous dit que l’oisillon sera envoyé dans les campagnes « pour y prêcher la mission… / Il vaudra mieux que cent moines / Et tout un soulas 2 d’dragons… ». C’est dire que la veine populaire reconnaît là avoir affaire à un oiseau aussi déluré que bavard. Une idée qui n’est pas sans lien avec le comportement même de l’oiseau et que La Fontaine mit lui aussi « en musique » dans sa fable L’Aigle et la pie : « Caquet-bon bec alors de jaser au plus dru / Sur ceci, sur cela, sur tout. L’homme d’Horace3 / Disant le bien, le mal, à travers champs, n’eût su / Ce qu’en fait de babil y savait notre agasse ». À noter au passage que le mot agasse est encore employé au 17e siècle, avant de s’ancrer dans le seul patois, subsistance d’une belle langue passée. Pour notre pie, en la matière, les choses se suivent et se ressemblent depuis des lustres. Pica, nom latin de l’oiseau, signifie également bavard, au sens figuré. Un bavardage qui a donné le verbe jacasser, lui-même dérivé de « jaquetter », crier en parlant de la pie ; où l’on perçoit le « caquet-bon bec » de Jean de La Fontaine. Si pie nous vient directement de pica ; l’origine d’ageasse est d’un tout autre ordre. Ce nom proviendrait du haut allemand agaza ou agatja, qui a également donné son nom actuel à la pie en italien : gazza. Le Poitou-Charentes n’est pas la seule région à avoir adopté une telle dénomination puisqu’on trouve agace en Normandie ou en Picardie, agache en Champagne, agassé en Provence, agasso en Gascogne ou acasso en Limousin… Quant aux mots pijasse, ou pigeaude, en patois (voir notre encart), et pie, E P T E M B R E O C T O B R E 2 0 0 6 ▲ Pie bavarde. Gravure in Petite histoire des animaux dans les livres d’école, éd. Hypolaïs, 2006. en français moderne, ils correspondent – au moins pour ce dernier – à l’adjectivation du nom de l’oiseau, liée à son plumage bicolore, d’un blanc et noir tranché. Ainsi un cheval blanc et noir, ou fauve et blanc, est-il dénommé cheval pie ; de même qu’à une époque peu éloignée le furent les voitures noires et blanches de la police. Une caractéristique qui a aussi généré un proverbe poitevin : « Les ageasses sont partout pigeaudes », qui susurre que l’on ne gagne rien à changer de condition ou de lieu. Message d’ageasse ! ■ 1. Petit de l’ageasse, on dit aussi ageassea, ageassin… 2. Troupeau. 3. Un crieur public fort bavard. BIBLIOGRAPHIE ■ Pierre Gabard, Bernard Chauvet, L’étymologie des noms d’oiseaux, Belin, 2003. ■ Alain Rey (dir.), Dictionnaire historique de la langue française, Le Robert, 1998. ■ Charles-Claude Lalanne, Glossaire du patois poitevin, MSAO, 1867.