Aspects radiologiques des complications des prothèses inversées de l épaule (PIE) B Weryha1, J Wassel1,2, F Sirveaux1, D Molé1, A Blum2 1 Clinique de Traumatologie et d Orthopédie ‒ 2 CHU de Nancy Introduction Le concept de PIE a été créé pour tenter de résoudre le problème du traitement des pathologies dégénératives et traumatiques de l’épaule à coiffe détruite. Les autres types de prothèses utilisées entraînaient dans ces pathologies des complications quasi-systématiques. Pour bien comprendre les complications des PIE, il convient de connaître la physiopathologie, la genèse de ces prothèses et leur anatomie. Physiopathologie • La rupture de la coiffe est responsable de : contraintes obliques et décentrées par rapport à la glène qui entraînent une tendance à la migration supérieure et par voie de conséquence des descellements. Rupture de la coiffe Instabilité, descellement Migration supérieure • Les prothèses anatomiques ont été très rapidement inefficaces avec un taux élevé de complications. Historique En 1970 Neer et Avrill inventent la 1ère prothèse à disposition inversée. mais échecs précoces avec descellement En 1975 Fenlin propose une grande sphère en polyéthylène et une cupule métallique. mais descellements, rupture de matériel, instabilité En 1977 et en 1979 Kolbel et Kessel choisissent un centre de rotation très latéralisé. mais liserés glénoïdiens quasi-systématiques à 1 an Le concept • La position du centre de rotation des prothèses d’épaule est très importante, elle est obtenue en effectuant une modélisation mathématique du théorème des moments. (Grammont Dijon 1981) • Le mouvement d’élévation de l’épaule nécessite 2 centres de rotation. (Fischer Revue de Chirurgie orthopédique 1977) • Ces observations vont entraîner : - une médialisation de 10mm - un abaissement de 10 mm du centre de la sphère qui auront pour conséquence une augmentation de la force du deltoïde de +20% Les premières PIE • Dès 1985 Grammont met au point son prototype appelé Prototype Trompette. • L’observation des complications permettra de l’améliorer pour arriver au concept de la Prothèse Delta III. Prototype Trompette Prothèse Delta III Anatomie La prothèse inversée d’épaule PIE comprend 2 implants : Implant glénoïdien avec : • une métaglène ou platine • une glénosphère Implant huméral avec : • une tige • une épiphyse (avec ou sans ciment) • une cupule = insert en polyéthylène les prothèses se sont progressivement perfectionnées… Tige Métaphyse Entretoise de latéralisation Insert polyéthylène de latéralisation La glénosphère Prothèse Aequalis Reversed La platine • La métaglène = platine glénoïdienne - 2 faces : • l’une recouverte d’hydroxyapatite avec plot central pour l’ostéointégration dans le spongieux, • l’autre est la zone d’appui de la glénosphère. – Fixée par 4 vis dont 2 bloquées sur la plaque. • La glénosphère : - ½ sphère de 36 ou 42 mm. - fixée par un cône morse avec vissage central. Chacune des pièces de la prothèse peut être une source de complication : • désinsertion glénoïdienne, • dévissage de glénosphère, • usure de l’implant en polyéthylène etc… Les complications des PIE • Les complications sont dues soit à : - une altération du matériel. - une réaction « environnementale ». • Le but du radiologue sera : - de dépister les glènes et humérus à risque ou migrés.. - de mettre en évidence les complications. Liseré descellement migration de l’implant Les complications des PIE Au niveau glénoïdien : - encoche, liseré. - désassemblage de la glénosphère. - fracture de vis ou de plot central… Au niveau huméral : - liseré, perte osseuse. - état des tubérosités et collerette osseuse médiale. - migration de l’implant. - usure du polyéthylène (non explorable). Ossifications : acromio-humérales, scapulo-humérales. Fractures : acromion, épine de l’omoplate, humérus. Les complications des PIE Par ordre de fréquence : - Infections (5,1%) : Biologie, Descellement précoce - Descellement (4,1%) : Surveillance RX du liséré, CT - Luxation (3,4%) : Clinique, CT+/- séquences dynamiques - Fractures de la voûte acromiale (3%) : RX difficile, CT++ - Hématomes (2,6%) : Précoces, échographie - Fractures de l’humérus (1,5%) : Per-op ou tardives, RX - Complications neurologiques (1,1%) : Clinique - Désassemblage de glène (0,9%) : douleurs, RX et CT - Migration humérale (0,9%) : douleurs, RX et CT luxation hématome Fracture humérale Imagerie des complications d’une PIE • Radiographie standard • Echographie • Scanner Radiographie standard avec contrôle scopique Face en position de repos (+++) : • • • • • Bras le long du corps Incidence oblique de DD en DH Incidence horizontale ou un peu descendante Métaglène rectiligne Dégager le pilier de l’omoplate de la superposition des côtes Profil axillaire : • But : - Enfiler le plat de la glénosphère - Visualisation de la glène osseuse • On peut réaliser une incidence complémentaire pour mieux explorer le capital osseux huméral Surveillance radiologique des PIE • Le Bilan de référence doit être précoce (à 3 mois) et de qualité, il comprend une face et un profil réalisés selon les critères précédemment décrits. • Objectifs : ¾ étudier la situation des implants glénoïdien et huméral. ¾ éliminer une luxation. ¾ éliminer des problèmes mécaniques : fracture. ¾ vérifier la position des tubérosités (+/-scanner). • Suivi ultérieur à 6 mois, 1 an puis tous les ans… Les encoches glénoidiennes selon la classification de Sirveaux 5 stades : ¾ 0 pas d’encoche ¾ 1 encoche sous la 1ère vis ¾ 2 encoche atteignant la 1ère vis ¾ 3 encoche dépassant la 1ère vis ¾ 4 encoche étendue au plot central Sirveaux J BoneJoint Surg (Br) 2004 Encoche glénoidiene stade 4 • Etude des liserés huméraux en 7 zones et 4 stades. Les 4 stades sont : ¾ 0 pas de liseré ¾ 1 liseré < 2mm ¾ 2 liseré > 2mm ¾ 3 ostéolyse ou perte de substance osseuse Échographie Examen opérateur dépendant Difficile en post-opératoire En 1ère intention pour l’épanchement intra-articulaire et les collections peri-prothétiques Scanner Indications : Vérifier l’état des implants, leur position (migration, luxation). Rechercher des complications osseuses de voisinage, des calcifications. Contrôler la trophicité du deltoïde. Aquilion ONE Points forts : • Reformations 3D. • Séquences dynamiques. Point faible : Examen de lecture difficile en raison des nombreux artéfacts générés par la prothèse. Cas cliniques Cas 1 • • F. 67 ans Pose de PIE pour traitement d’une instabilité. RX face et profil, scanner axial et frontal oblique : • Ascension de l’implant glénoïdien • Fracture de l’acromion • Pseudarthrose de l’épine de l’omoplate Scanner 3D VRT L’acquisition dynamique en rotation externe, montre une subluxation postérieure de la tête humérale. Cas 2 • F. 79ans • Pose d’une PIE sur fracture luxation céphalo-tubérositaire. • Douleurs persistantes à 5 mois post-op. • Fracture de l’épine de l’omoplate difficile à situer en radiographie standard confirmée au scanner Cas 3 • H. 79 ans • Pose de PIE pour traitement d’une omarthrose excentrée. • Apparition d’une douleur intense lors d’un mouvement de rotation interne, • Les radiographies standards ont montrée un descellement de la métaglène. • Le scanner a pour but d’évaluer le stock osseux de la glène et de rechercher une éventuelle fracture surajoutée. RX de face, scanner frontal oblique et 3D VRT : • Il existe une fracture de la glène et un descellement de la métaglène Cas 4 • F. 75 ans • Pose de PIE pour traitement d’une arthropathie rhumatismale chronique à coiffe rompue. • Douleurs persistantes à 8 jours. • Visualisation anormale de la platine = Dévissage da la glénosphère Cas 5 • H. 72 ans • Pose de PIE sur coiffe rompue. • Douleurs post-opératoires précoces. • Désassemblage de la glénosphère : Bascule oblique de la glénosphère permettant une visualisation partielle anormale de la platine Cas 6 • F. 70 ans • Pose de PIE pour reprise d’une prothèse anatomique compliquée. • Apparition très précoce d’un liseré • Décision de poser un spacer une infection est suspectée puis confirmée. Cas 7 • H. 74ans • Pose d’une PIE pour traitement d’une omarthrose en 2004. • Un an plus tard, apparition d’une fistule postérieure sur abcès : excision de fistule et lavage chirurgical. • Scanner : Abcès développé à la face postérieure du deltoïde • Les artéfacts ne permettent pas de conclure à une origine intra-articulaire. • En 2006, réapparition de la fistule : lavage articulaire, dépose de la PIE et pose d’un spacer avec mise en place d’une bi-antibiothèrapie ciblée. RX (F/P) et scanner (axe/fr) : • subluxation antérieure du spacer , corps étrangers para-articulaires • évaluation du stock osseux glénoïdien. • En avril 2007, la biologie s’est normalisée et le capital osseux de la glène est suffisant. • Dépose du spacer cimenté et repose d’une PIE. Cas 8 • H. 65ans • Pose de PIE en 2006 dans les suites d’une fracture de l’extremité superieurede l’humerus. • Depuis, il présente des douleurs mixtes. • Une scintigraphie a confirmé l’existance d’un SDRC de type I. RX de face et scanner en 3D : • Aspect de subluxation de la pièce humérale de PIE • Il n y a pas de signe de descellement de l’implant huméral ou glénoïdien. • La trophicité du deltoïde est altérée dans sa portion moyenne • L’acquisition dynamique et le scanner en 4D confirment l’existence d’une subluxation de la pièce humérale par rapport à l’implant glénoïdien se réduisant de façon relativement brutale à 45° d’abduction. • Par contre, elle se majore en élévation antérieure. Aquilion ONE Élévation antérieure Abduction en 45° Cas 9 • F. 79ans • Porteuse de PIE depuis 2 ans mise en place pour une omarthrose excentrée. • 2 mois plus tard, apparition de douleurs. RX. Post-op. • Désassemblage de la glénosphère sur l’embase glénoïdienne • Ré-intervention : ¾ cupule humérale en polyéthylène usée et changée. ¾ changement de la métaglène car non réintégration osseuse. ¾ mise en place de la glénosphère. • Contrôle post-opératoire satisfaisant. Cas 10 • H. 73ans • pose de PIE pour traitement d’une fracture humérale. • Liseré glénoïdien progressif ayant évolué vers un descellement glénoïdien • Perte de substance osseuse humérale associée Cas 11 • F. 78ans • Dépose d’une prothèse (anatomique) de Neer mise en place pour polyarthrite rhumatoïde 11 ans plus tôt. • La dépose est justifiée par une usure de la coiffe avec ascension de la tête humérale et descellement glénoïdien. • Aspect post-opératoire : extraction de la tige humérale avec ouverture humérale puis reconstitution et cerclage, le décalage cortical est secondaire à la technique opératoire. • Hématome à J19, évacué. Cas 12 • F. 69 ans • Opérée d’une PIE pour fracture de l’extrémité supérieure de l’humérus droit. • Un an plus tard, chute de sa hauteur responsable d’une fracture humérale spiroïde déplacée sous la tige de la prothèse • Traitement orthopédique par immobilisation et évolution vers une pseudarthrose lâche. • Ostéosynthèse par cerclage et plaque vissée de la fracture humérale. Cas 13 • F. 84 ans • Porteuse d’une PIE mise en place en 1995 (ATCD mal connus). • Bilan d’une chute 7 ans plus tard. • Luxation de la prothèse humérale métaphysaire • Réduction impossible sous AG. avec dévissage de la métaphyse et fracture Scanner pré-operatoire : • Fracture humérale • Migration de l’implant huméral • Luxation • Désaxation de la glène Reprise chirurgicale : • Métaphysaire luxée avec rotation de 180°, dévissage de la glénosphère, plot central de la métaglène rompu, polyéthylène usé, granulome excisé, glène osseuse absente. • Implant prothétique appuyé sur reliquat de col. • Exérèse de l’implant glénoïdien et pose d’une calotte humérale car repose de PIE impossible. • Contrôle post opératoire satisfaisant. CONCLUSION • Les indications des PIE augmentent. • Intérêt de la bonne connaissance de l’anatomie des PIE pour bien comprendre les différentes complications. • Importance du bilan radiographique standard réalisé de façon rigoureuse et reproductible. • Le scanner est de lecture difficile en raison des artéfacts métalliques. Néanmoins il réalise le bilan exhaustif des complications. C’est l’outil préopératoire de choix pour le chirurgien. • Le nouveau scanner dynamique volumique permet une approche fonctionnelle des complications. Bibliographie 1. Boileau P, Watkinson D, Hatzidakis A, Balg F, Grammont Reverse Prosthesis : Design, Rationale, and Biomechanics. J Shoulder Elbow Surg 2005 ; 14(Suppl S) : 147S-61S. 2. Favard L, Lautmann S, Sirveaux F ; et al. Hemiarthroplasty versus reverse arthroplasty in treatment of massive rotator cuff tear. Sauramps Medical ed. 2001 : 2-18. 3. Fenlin J. M. Jr. Total Glenohumeral Joint Replacement. Orthop. Clin. North Am. 1975 ; 6 (2) : 565-83. 4. Grammont P M, Trouilloud P, Laffay JP, Deries X,. Etude et réalisation d’une nouvelle prothèse d’épaule. 39 ed. 1987 : 407-18. 5. Kessel L, Bayley I. Prosthetic Replacement of Shoulder Joint : Preliminary Communication. J R Soc Med 1979 ; 72 (10) : 748-52. 6. Neer CS. Replacement Arthroplasty for Glenohumeral Osteoarthritis.J Bone Joint Surg Am 1974 ; 56 (1) : 1-13. 7. Sirveaux F, Favard L, Oudet D, Huquet D, Walch G and Mole D. Grammont Inverted Total Shoulder Arthroplasty in the Treatment of Glenohumeral Osteoarthritis With Massive Rupture of the Cuff. Results of a Multicentric Study of 80 Shoulders. J Bone Joint Surg Br 2004 ; 86 (3) : 388-95.