ÉCOLE NATIONALE VÉTÉRINAIRE D’ALFORT Année 2014 ÉTUDE COMPARATIVE SYSTÉMATIQUE DES DIFFÉRENTS MODÈLES ANIMAUX D’ARRÊT CARDIAQUE ET PRINCIPALES APPROCHES THÉRAPEUTIQUES POUR LA MÉDECINE HUMAINE ET LA MÉDECINE VÉTÉRINAIRE THÈSE Pour le DOCTORAT VÉTÉRINAIRE Présentée et soutenue publiquement devant LA FACULTÉ DE MÉDECINE DE CRÉTEIL le…………… par Margaux, Greta, Charlotte BLONDEL Née le 23 Mai 1989 à Paris 8ème JURY Président : Pr. Professeur à la Faculté de Médecine de CRÉTEIL Membres Directeur : Pr. Renaud TISSIER Professeur à l’ENVA Assesseur : Dr. Luca ZILBERSTEIN Maître de conférences à l’ENVA ÉCOLE NATIONALE VÉTÉRINAIRE D’ALFORT Année 2014 ÉTUDE COMPARATIVE SYSTÉMATIQUE DES DIFFÉRENTS MODÈLES ANIMAUX D’ARRÊT CARDIAQUE ET PRINCIPALES APPROCHES THÉRAPEUTIQUES POUR LA MÉDECINE HUMAINE ET LA MÉDECINE VÉTÉRINAIRE THÈSE Pour le DOCTORAT VÉTÉRINAIRE Présentée et soutenue publiquement devant LA FACULTÉ DE MÉDECINE DE CRÉTEIL le…………… par Margaux, Greta, Charlotte BLONDEL Née le 23 Mai 1989 à Paris 8ème JURY Président : Pr. Professeur à la Faculté de Médecine de CRÉTEIL Membres Directeur : Pr. Renaud TISSIER Professeur à l’ENVA Assesseur : Dr. Luca ZILBERSTEIN Maître de conférences à l’ENVA LISTE DES MEMBRES DU CORPS ENSEIGNANT Directeur : M. le Professeur GOGNY Marc Directeurs honoraires : MM. les Professeurs : COTARD Jean-Pierre, MIALOT Jean-Paul, MORAILLON Robert, PARODI André-Laurent, PILET Charles, TOMA Bernard. Professeurs honoraires : Mme et MM. : BENET Jean-Jacques, BRUGERE Henri, BRUGERE-PICOUX Jeanne, BUSSIERAS Jean, CERF Olivier, CLERC Bernard, CRESPEAU François, DEPUTTE Bertrand, MOUTHON Gilbert, MILHAUD Guy, POUCHELON Jean-Louis, ROZIER Jacques. DEPARTEMENT D’ELEVAGE ET DE PATHOLOGIE DES EQUIDES ET DES CARNIVORES (DEPEC) Chef du département par intérim : M. GRANDJEAN Dominique, Professeur - Adjoint : M. BLOT Stéphane, Professeur UNITE DE CARDIOLOGIE - Mme CHETBOUL Valérie, Professeur * - Mme GKOUNI Vassiliki, Praticien hospitalier - Mme SECHI-TREHIOU, Praticien hospitalier DISCIPLINE : NUTRITION-ALIMENTATION - M. PARAGON Bernard, Professeur DISCIPLINE : OPHTALMOLOGIE - Mme CHAHORY Sabine, Maître de conférences UNITE DE CLINIQUE EQUINE - M. AUDIGIE Fabrice, Professeur - M. DENOIX Jean-Marie, Professeur - Mme BERTONI Lélia, Maître de conférences contractuel - Mme GIRAUDET Aude, Praticien hospitalier * - M. LECHARTIER Antoine, Maître de conférences contractuel - Mme MESPOULHES-RIVIERE Céline, Praticien hospitalier - Mme TRACHSEL Dagmar, Maître de conférences contractuel UNITE DE PARASITOLOGIE ET MALADIES PARASITAIRES - M. BLAGA Radu Gheorghe, Maître de conférences (rattaché au DPASP) - M. CHERMETTE René, Professeur (rattaché au DSBP) - Mme FAIVRE Noëlle, Praticien hospitalier - M. GUILLOT Jacques, Professeur * - Mme MARIGNAC Geneviève, Maître de conférences - M. POLACK Bruno, Maître de conférences UNITE DE PATHOLOGIE CHIRURGICALE - M. FAYOLLE Pascal, Professeur - M. MAILHAC Jean-Marie, Maître de conférences - M. MANASSERO Mathieu, Maître de conférences contractuel - M. MOISSONNIER Pierre, Professeur* - Mme RAVARY-PLUMIOEN Bérangère, Maître de conférences (rattachée au DPASP) - Mme VIATEAU-DUVAL Véronique, Professeur - M. ZILBERSTEIN Luca, Maître de conférences UNITE D’IMAGERIE MEDICALE - Mme PEY Pascaline, Maître de conférences contractuel - Mme STAMBOULI Fouzia, Praticien hospitalier UNITE DE MEDECINE - Mme BENCHEKROUN Ghita, Maître de conférences contractuel - M. BLOT Stéphane, Professeur* - Mme FREICHE-LEGROS Valérie, Praticien hospitalier - Mme MAUREY-GUENEC Christelle, Maître de conférences DISCIPLINE : URGENCE SOINS INTENSIFS - Mme STEBLAJ Barbara, Praticien Hospitalier UNITE DE MEDECINE DE L’ELEVAGE ET DU SPORT - Mme CLERO Delphine, Maître de conférences contractuel - M. GRANDJEAN Dominique, Professeur * - Mme YAGUIYAN-COLLIARD Laurence, Maître de conférences contractuel DISCIPLINE : NOUVEAUX ANIMAUX DE COMPAGNIE - M. PIGNON Charly, Praticien hospitalier DEPARTEMENT DES PRODUCTIONS ANIMALES ET DE LA SANTE PUBLIQUE (DPASP) Chef du département : M. MILLEMANN Yves, Professeur - Adjoint : Mme DUFOUR Barbara, Professeur UNITE D’HYGIENE ET INDUSTRIE DES ALIMENTS D’ORIGINE ANIMALE - M. AUGUSTIN Jean-Christophe, Maître de conférences - M. BOLNOT François, Maître de conférences * - M. CARLIER Vincent, Professeur UNITE DE REPRODUCTION ANIMALE - Mme CONSTANT Fabienne, Maître de conférences - M. DESBOIS Christophe, Maître de conférences (rattaché au DEPEC) - M. FONTBONNE Alain, Maître de conférences (rattaché au DEPEC) - Mme MAENHOUDT Cindy, Praticien hospitalier - Mme MASSE-MOREL Gaëlle, Maître de conférences contractuel - M. MAUFFRE Vincent, Assistant d’enseignement et de recherche contractuel - M. NUDELMANN Nicolas, Maître de conférences (rattaché au DEPEC) - M. REMY Dominique, Maître de conférences* UNITE DES MALADIES CONTAGIEUSES - Mme DUFOUR Barbara, Professeur* - Mme HADDAD/HOANG-XUAN Nadia, Professeur - Mme PRAUD Anne, Maître de conférences - Mme RIVIERE Julie, Maître de conférences contractuel UNITE DE PATHOLOGIE DES ANIMAUX DE PRODUCTION - M. ADJOU Karim, Maître de conférences * - M. BELBIS Guillaume, Assistant d’enseignement et de recherche contractuel - M. HESKIA Bernard, Professeur contractuel - M. MILLEMANN Yves, Professeur UNITE DE ZOOTECHNIE, ECONOMIE RURALE - M. ARNE Pascal, Maître de conférences - M. BOSSE Philippe, Professeur* - M. COURREAU Jean-François, Professeur - Mme GRIMARD-BALLIF Bénédicte, Professeur - Mme LEROY-BARASSIN Isabelle, Maître de conférences - M. PONTER Andrew, Professeur DEPARTEMENT DES SCIENCES BIOLOGIQUES ET PHARMACEUTIQUES (DSBP) Chef du département : Mme COMBRISSON Hélène, Professeur - Adjoint : Mme LE PODER Sophie, Maître de conférences UNITE D’ANATOMIE DES ANIMAUX DOMESTIQUES - M. CHATEAU Henry, Maître de conférences* - Mme CREVIER-DENOIX Nathalie, Professeur - M. DEGUEURCE Christophe, Professeur - Mme ROBERT Céline, Maître de conférences UNITE D’HISTOLOGIE, ANATOMIE PATHOLOGIQUE - Mme CORDONNIER-LEFORT Nathalie, Maître de conférences* - M. FONTAINE Jean-Jacques, Professeur - Mme LALOY Eve, Maître de conférences contractuel - M. REYES GOMEZ Edouard, Assistant d’enseignement et de recherche contractuel DISCIPLINE : ANGLAIS - Mme CONAN Muriel, Professeur certifié UNITE DE PATHOLOGIE GENERALE MICROBIOLOGIE, IMMUNOLOGIE - M. BOULOUIS Henri-Jean, Professeur - Mme LE ROUX Delphine, Maître de conférences - Mme QUINTIN-COLONNA Françoise, Professeur* UNITE DE BIOCHIMIE - M. BELLIER Sylvain, Maître de conférences* - Mme LAGRANGE Isabelle, Praticien hospitalier - M. MICHAUX Jean-Michel, Maître de conférences DISCIPLINE : BIOSTATISTIQUES - M. DESQUILBET Loïc, Maître de conférences DISCIPLINE : EDUCATION PHYSIQUE ET SPORTIVE - M. PHILIPS Pascal, Professeur certifié DISCIPLINE : ETHOLOGIE - Mme GILBERT Caroline, Maître de conférences UNITE DE GENETIQUE MEDICALE ET MOLECULAIRE - Mme ABITBOL Marie, Maître de conférences - M. PANTHIER Jean-Jacques, Professeur* UNITE DE PHARMACIE ET TOXICOLOGIE - Mme ENRIQUEZ Brigitte, Professeur - M. PERROT Sébastien, Maître de conférences - M. TISSIER Renaud, Professeur* UNITE DE PHYSIOLOGIE ET THERAPEUTIQUE - Mme COMBRISSON Hélène, Professeur - Mme PILOT-STORCK Fanny, Maître de conférences - M. TIRET Laurent, Maître de conférences* UNITE DE VIROLOGIE - M. ELOIT Marc, Professeur - Mme LE PODER Sophie, Maître de conférences * * responsable d’unité REMERCIEMENTS Au Professeur, président du jury Pour m’avoir fait l’honneur d’accepter la présidence de ce jury, Au Professeur Renaud Tissier Pour m’avoir ouvert les portes de son laboratoire et pour m’avoir proposé ce sujet de thèse, Pour le soutien et la confiance qu’il m’a accordés dans mes différentes démarches, Pour sa disponibilité, sa générosité et le temps consacré à la relecture de ce travail, Sincères remerciements. Au Docteur Luca Zilberstein Pour m’avoir fait l’honneur de prendre part à ce jury de thèse, Sincères remerciements REMERCIEMENTS À mes parents Merci pour tout ce que vous m’avez apporté. Votre soutien quotidien et votre présence dans les meilleurs moments comme dans les mauvais m’ont permis d’arriver jusque là. Je vous dois tout. À Laura Ma sœur jumelle, mon autre… Qu’est-ce que je serais sans toi ? Tu m’as redonné la force d’aller vers l’avant, et tu continues à le faire tous les jours. Merci d’être là, merci d’être toi ! À ma grand-mère Parce que je t’en ai tellement parlé de ce travail, je ne pouvais pas t’oublier dans mes remerciements ! À Charlotte D, Charlotte L, Fabienne, Marie-Claire et Sophie Sans qui ces années d’École auraient été bien différentes. Merci pour ces bons moments qui resteront gravés dans ma mémoire, pour m’avoir épaulée dans les difficultés. Je vais regretter nos petites soirées, vous allez me manquer… Mais la petite feuille jaune de Knokke est signée, donc nous nous reverrons ! À Toi, qui te reconnaîtra Merci pour tout ! TABLE DES MATIÈRES Liste des abréviations ................................................................................................................. 7 Table des illustrations............................................................................................................... 11 Introduction .............................................................................................................................. 17 Première partie : L’ARRÊT CARDIAQUE ......................................................................... 19 I. Généralités sur l’arrêt cardiaque ................................................................................... 21 A. Définition et classification ............................................................................................ 21 B. Données épidémiologiques ........................................................................................... 21 1. Chez les carnivores domestiques ............................................................................... 21 2. Chez l’Homme ........................................................................................................... 23 C. Principales étiologies en cause ...................................................................................... 25 1. Chez les carnivores domestiques ............................................................................... 25 2. Chez l’Homme ........................................................................................................... 26 D. Conséquences et pronostic ............................................................................................ 27 1. Chez les carnivores domestiques ............................................................................... 27 2. Chez l’Homme ........................................................................................................... 28 3. Pronostic .................................................................................................................... 29 II. Physiopathologie de l’arrêt cardiaque ........................................................................... 33 A. Ischémie et reperfusion à l’échelle de l’organisme ....................................................... 33 1. Évolution vers un métabolisme anaérobie et déplétion des réserves énergétiques ... 33 2. Modification du pH intracellulaire et des échanges ioniques .................................... 35 3. Production massive d’espèces réactives de l’oxygène .............................................. 37 a. Cas particulier de l’anion superoxyde.................................................................... 37 b. Cas des autres espèces réactives de l’oxygène ...................................................... 39 c. Conséquences ......................................................................................................... 40 4. Les altérations mitochondriales ................................................................................. 40 5. Le « no-reflow » ........................................................................................................ 42 B. La mort cellulaire, conséquence des lésions d’ischémie-reperfusion ........................... 43 1. Nécrose ...................................................................................................................... 43 2. Apoptose .................................................................................................................... 43 a. La voie intrinsèque ................................................................................................. 44 b. La voie extrinsèque ................................................................................................ 45 3. Autophagie................................................................................................................. 45 C. Cas particulier du cerveau ............................................................................................. 46 III. Diagnostic de l’arrêt cardiaque et grands principes de la réanimation cardiopulmonaire chez les carnivores domestiques ........................................................................... 49 A. Modalités diagnostiques de l’arrêt cardiaque ................................................................ 49 1. Signes cliniques avant-coureurs ................................................................................ 49 1 Symptômes de l’arrêt cardiaque ................................................................................ 51 Examen complémentaire ........................................................................................... 51 a. Asystolie ................................................................................................................ 51 b. Activité électrique sans pouls ................................................................................ 52 c. Fibrillation ventriculaire et tachycardie ventriculaire ............................................ 52 B. La réanimation cardio-pulmonaire ................................................................................ 53 1. La suppléance des fonctions vitales........................................................................... 55 a. Le massage cardiaque ............................................................................................ 55 i. Le massage cardiaque externe ............................................................................ 55 ii. Le massage cardiaque interne ............................................................................ 60 b. La ventilation ......................................................................................................... 61 2. Le soutien avancé des fonctions vitales ..................................................................... 63 a. Les différentes voies d’administration et les principaux principes actifs utilisés .. 64 i. Voies d’administration ....................................................................................... 64 ii. Principaux principes actifs administrés .............................................................. 65 b. Défibrillation en cas de rythme choquable ............................................................ 68 c. Correction des déficits volémiques ........................................................................ 70 C. Surveillance du patient et évaluation de la qualité de la réanimation cardiopulmonaire.. .......................................................................................................................... 70 1. La capnographie ........................................................................................................ 70 2. L’électrocardiogramme ............................................................................................. 71 3. Suivi de la pression artérielle..................................................................................... 71 4. Analyses biochimiques .............................................................................................. 72 D. Pronostic de la réanimation cardio-pulmonaire ............................................................ 72 2. 3. IV. Le syndrome post-arrêt cardiaque ................................................................................. 75 A. Défaillance neurologique .............................................................................................. 75 1. Physiopathologie ....................................................................................................... 76 2. Manifestations cliniques ............................................................................................ 80 B. Dysfonction myocardique ............................................................................................. 80 C. Syndrome de réponse inflammatoire systémique.......................................................... 83 1. Réponse inflammatoire .............................................................................................. 83 a. Activation des neutrophiles.................................................................................... 83 b. Augmentation des concentrations plasmatiques de cytokines ............................... 83 c. Réponse leucocytaire ............................................................................................. 84 2. Coagulopathie ............................................................................................................ 85 3. Autres défaillances d’organes .................................................................................... 86 D. Prise en charge du syndrome post-arrêt cardiaque ........................................................ 87 1. Contrôle de la fonction respiratoire ........................................................................... 89 2. Contrôle de la fonction cardiovasculaire ................................................................... 90 3. Stratégies neuroprotectrices ....................................................................................... 92 4. Autres......................................................................................................................... 93 2 Deuxième partie : L’UTILISATION DES MODÈLES ANIMAUX POUR L’ÉTUDE DE L’ARRÊT CARDIAQUE .............................................................................................. 95 I. Généralités sur les animaux de laboratoire ................................................................... 97 A. L’expérimentation animale et les animaux de laboratoire ............................................ 97 1. L’expérimentation animale ........................................................................................ 97 2. L’animal de laboratoire ............................................................................................. 98 B. Intérêts et limites des modèles animaux ...................................................................... 100 C. Espèces utilisées dans l’étude expérimentale de l’arrêt cardiaque .............................. 102 1. Influence de la taille du modèle dans le but de l’étude ........................................... 103 2. Espèces les plus utilisées ......................................................................................... 104 a. Les rongeurs ......................................................................................................... 104 i. Généralités ........................................................................................................ 104 ii. Particularités du système cardiovasculaire ....................................................... 105 b. Les lagomorphes .................................................................................................. 109 i. Généralités ........................................................................................................ 109 ii. Particularités du système cardiovasculaire ....................................................... 110 c. Le porc ................................................................................................................. 112 i. Généralités ........................................................................................................ 112 ii. Particularités du système cardiovasculaire ....................................................... 114 d. Les carnivores ...................................................................................................... 116 i. Généralités ........................................................................................................ 116 ii. Particularités du système cardiovasculaire ....................................................... 117 II. Les différents modèles animaux d’arrêt cardiaque ..................................................... 119 A. Principes généraux des études ..................................................................................... 119 1. Rappels sur les différents rythmes d’arrêt cardiaque............................................... 119 2. Préparation des animaux .......................................................................................... 120 3. Durée d’arrêt cardiaque non traitée ......................................................................... 121 B. Protocoles expérimentaux d’arrêt cardiaque et de réanimation .................................. 122 1. Arrêt cardiaque avec rythme choquable .................................................................. 122 a. Principales modalités d’induction ........................................................................ 125 i. Délivrance d’un courant électrique sur l’endocarde, sur l’épicarde ou par voie transthoracique ................................................................................................. 125 ii. Stimulation transœsophagienne........................................................................ 128 iii. Ischémie myocardique...................................................................................... 128 b. Réponse cardiovasculaire suite à l’induction de l’arrêt cardiaque ....................... 131 i. Électrocardiogramme ....................................................................................... 131 ii. Pression artérielle ............................................................................................. 132 2. Arrêt cardiaque avec rythme non choquable ........................................................... 133 a. Modalités d’induction .......................................................................................... 133 i. Asphyxie........................................................................................................... 133 ii. Chlorure de potassium ...................................................................................... 134 b. Effets sur les variables étudiées : électrocardiogramme et pression artérielle ..... 135 3 i. Lors d’asphyxie ................................................................................................ 135 ii. Lors de l’administration de chlorure de potassium .......................................... 136 3. Réanimation cardio-pulmonaire .............................................................................. 137 C. Évaluation des conséquences ...................................................................................... 139 1. Estimation de la dysfonction myocardique ............................................................. 139 a. Paramètres hémodynamiques, gaz sanguins et marqueurs biologiques ............... 139 b. Échocardiographie ............................................................................................... 140 c. Histologie ............................................................................................................. 141 2. Estimation de la défaillance neurologique............................................................... 142 a. Histologie ............................................................................................................. 142 b. Score de déficit neuronal ..................................................................................... 143 c. Tests comportementaux ....................................................................................... 143 3. Comparaison des dysfonctions consécutives à un arrêt cardiaque par asphyxie ou par fibrillation ventriculaire ............................................................................................ 147 a. Dysfonction myocardique .................................................................................... 147 b. Défaillance neurologique ..................................................................................... 149 c. L’asphyxie et la fibrillation ventriculaire : deux entités physiopathologiques différentes .................................................................................................................... 151 III. De l’expérimental à la clinique : pourquoi de telles différences ? .............................. 153 A. Moment d’intervention ................................................................................................ 153 B. Limites des études expérimentales .............................................................................. 157 C. Standardisation des protocoles .................................................................................... 158 Troisième partie : APPROCHES THÉRAPEUTIQUES DE L’ARRÊT CARDIAQUE BILAN DES ÉTUDES EXPÉRIMENTALES ET DES ÉTUDES CLINIQUES HUMAINES ....................................................................................................................... 163 I. Favoriser le retour à la circulation spontanée .............................................................. 165 A. Actions sur les débits sanguins coronaire et cérébral .................................................. 165 1. Les vasopresseurs .................................................................................................... 165 a. L’adrénaline ......................................................................................................... 165 i. Mécanismes ...................................................................................................... 165 ii. Principaux résultats des études expérimentales et cliniques concernant l’adrénaline .............................................................................................................. 166 b. La vasopressine .................................................................................................... 166 i. Mécanismes d’action ........................................................................................ 166 ii. Principaux résultats des études expérimentales et cliniques concernant la vasopressine ............................................................................................................. 167 c. Autres inotropes utilisables .................................................................................. 169 i. La dobutamine .................................................................................................. 169 ii. Le levosimendan .............................................................................................. 170 iii. Autres catécholamines...................................................................................... 171 B. Action sur la stabilité électrique et mécanique du cœur.............................................. 171 4 1. Les antiarythmiques classiques ............................................................................... 171 a. Amiodarone.......................................................................................................... 172 b. Lidocaïne.............................................................................................................. 174 c. Magnésium ........................................................................................................... 176 d. Autres ................................................................................................................... 178 2. Les β-bloquants........................................................................................................ 179 a. Études expérimentales ......................................................................................... 179 b. Études cliniques ................................................................................................... 189 C. En luttant contre la réponse systémique inflammatoire .............................................. 194 D. Autres traitements disponibles .................................................................................... 196 1. L’atropine ................................................................................................................ 196 2. Le calcium ............................................................................................................... 196 3. Les bicarbonates de sodium ..................................................................................... 196 II. Améliorer la survie à long terme ................................................................................. 199 A. Protection du cœur contre les lésions d’ischémie-reperfusion .................................... 199 1. Les inhibiteurs de l’échangeur Na+/H+ .................................................................... 199 a. Généralités ........................................................................................................... 199 b. Bilan des études expérimentales et cliniques ....................................................... 199 2. Les agonistes des récepteurs aux opioïdes .............................................................. 203 a. Généralités ........................................................................................................... 203 b. Bilan des études expérimentales et cliniques ....................................................... 203 3. Les molécules ciblant la mitochondrie .................................................................... 205 a. Activateurs des canaux potassiques mitochondriaux ........................................... 205 b. Inhibiteurs du PPTm ............................................................................................ 209 4. Utilisation de gaz thérapeutiques ............................................................................. 211 a. L’hydrogène ......................................................................................................... 211 b. Le monoxyde d’azote ........................................................................................... 212 5. La thrombolyse ........................................................................................................ 214 6. L’angioplastie cutanée ............................................................................................. 214 B. Par des approches neuroprotectrices ........................................................................... 215 1. L’hypothermie thérapeutique .................................................................................. 215 a. Généralités et définitions ..................................................................................... 215 b. Les effets physiologiques de l’hypothermie ........................................................ 216 i. Effets cardiovasculaires et hémodynamiques .................................................. 216 ii. Modifications métaboliques ............................................................................. 217 iii. Réponse inflammatoire .................................................................................... 218 iv. Coagulation ...................................................................................................... 218 v. Le frissonnement .............................................................................................. 218 vi. Clairance des médicaments .............................................................................. 219 c. Les modalités d’induction d’une hypothermie thérapeutique .............................. 219 i. Physiologie du refroidissement ........................................................................ 219 ii. Méthodes de refroidissement ........................................................................... 220 iii. Cas particulier de l’hypothermie thérapeutique par ventilation liquide totale . 225 5 d. Les mécanismes protecteurs mis en jeu ............................................................... 229 i. Neuroprotection ................................................................................................ 229 ii. Cardioprotection ............................................................................................... 233 e. Bilan des études expérimentales .......................................................................... 233 f. Bilan des études cliniques .................................................................................... 249 2. L’érythropoïétine ..................................................................................................... 251 a. Généralités ........................................................................................................... 251 b. L’érythropoïétine lors d’arrêt cardiaque - études expérimentales et cliniques .... 251 i. Cardioprotection ............................................................................................... 251 ii. Neuroprotection ................................................................................................ 254 C. Le préconditionnement et le postconditionnement ischémiques................................. 256 1. Le préconditionnement ischémique ......................................................................... 256 a. Généralités ........................................................................................................... 256 b. Mécanismes.......................................................................................................... 257 2. Le postconditionnement ischémique ....................................................................... 260 a. Généralités ........................................................................................................... 260 b. Mécanismes.......................................................................................................... 261 3. Transposition au contexte clinique .......................................................................... 262 Conclusion .............................................................................................................................. 265 Bibliographie .......................................................................................................................... 267 6 LISTE DES ABRÉVIATIONS AC : arrêt cardiaque CO2 : dioxyde de carbone ACA : arrêt cardiaque asphyxique CPC : Catégorie de performance cérébrale Acétyl-CoA : acétyl-coenzyme A CT : compressions thoraciques ACFV : arrêt cardiaque par fibrillation ventriculaire CTE : chaîne de transfert des électrons Ach : acétylcholine DAG : 1,2-diacylglycérol ADP : adénosine diphosphate DC : débit cardiaque Adré. : adrénaline DEM : dissociation électromécanique AHA : American Heart Association DH : décharge hospitalière AIF : apoptosis inducing factor DI : diastolic interval Akt : protéine kinase B ECG : électrocardiogramme AMP : adénosine monophosphate EIM : espace intermembranaire AMPA : α-amino-3-hydroxy-5méthylisoazol-4-propionate eNOS : monoxyde d’azote synthase endothéliale ANT : adénine nucléotide translocase EPO : érythropoïétine APACHE II : Acute Physiology and Chronic Health Evaluation ERK : extracellular signal-regulated kinase APAF : apoptotic peptidase activating factor ERO : espèces réactives de l’oxygène APD : action potential duration ATP : adénosine triphosphate Bad : Bcl-2 antagonist of cell death protein Bak : Bcl-2 homologous antagonist/killer DADLE : enképhaline D-Ala(2)-D-Leu(5) ERN : espèces réactives de l’azote FA : fibrillation atriale FADD : Fas-associated death domain protein Bax : Bcl-2 associated X protein FAD/FADH : flavine adénine dinucléotide (forme oxydée/forme réduite) BCL : basic cycle length FasL : ligand du récepteur Fas Bcl-2 : B cell lymphoma 2 FC : fréquence cardiaque BHE : barrière hémato-encéphalique FE : fraction d’éjection Bid : BH3 interacting domain death agonist FiO2 : fraction inspirée en oxygène BNP : brain natriuretic peptide FRS : fraction de raccourcissement de surface BRN : bonne récupération neurologique FV : fibrillation ventriculaire 7 GMP : guanosine monophosphate NHE : échangeur Na+/H+ GR : globules rouges NMDA : N-méthyl-D-aspartate GSK : Glycogène Synthase Kinase NO : monoxyde d’azote H3O+ : ion hydronium NORM : normothermie H2O2 : peroxyde d’hydrogène NOS : monoxyde d’azote synthase HSP : protéine de choc thermique O2•- : radical superoxyde HT : hypothermie thérapeutique OH• : radical hydroxyl IC : insuffisance circulatoire ONOO- : peroxynitrites ICAM : intercellular adhesion molecules IDM : infarctus du myocarde PaCO2 : pression artérielle partielle en dioxyde de carbone IET : intubation endotrachéale PAM : pression artérielle moyenne IL : interleukine PaO2 : pression artérielle partielle en oxygène IP3 : inositol 1,4,5-triphosphate IRM : imagerie par résonance magnétique IV : intraveineuse JAK : Janus Kinase PARP : poly(ADP-ribose) polymérase PAS : pression artérielle systolique PEP : pression expiratoire positive KCl : chlorure de potassium PEtCO2 : pression téléexpiratoire en dioxyde de carbone LDL : low density lipoprotein PFC : perfluorocarbone LOAP : loss of aortic pulsations Pi : phosphate inorganique MAPK : mitogen activated protein kinase PIC : pression intracrânienne MEM : membrane externe mitochondriale PiP2 : phosphatidyl-inositol-4,5biphosphate MIM : membrane interne mitochondriale MnSOD : manganèse superoxyde dismutase PKC : protéine kinase C mTOR : mammalian target of rapamycin PLQ : plaquettes n/a : non applicable PMN : polymorphonucléaires Nad : noradrénaline PPC : pression de perfusion cérébrale NAD/NADH : nicotinamide adénine dinucléotide (forme oxydée/forme réduite) PPCo : pression de perfusion coronaire NADP/NADPH : nicotinamide adénine dinucléotide phosphate (forme oxydée/ forme réduite) PPTm : pore de perméabilité de transition mitochondrial NFκB : nuclear factor kappa B PVC : pression veineuse centrale 8 PKG : protéine kinase G PPi : pyrophosphate inorganique RACS : reprise d’activité cardiaque spontanée T° : température RCP : réanimation cardio-pulmonaire TNF : tumor necrosis factor RECOVER : Reassesment Campaign on Veterinary Resuscitation TRAIL : tumor necrosis factor related apoptosis inducing ligand refr. : refroidissement TRC : temps de recoloration capillaire rEPO : récepteur de l’érythropoïétine TSV : tachycardie supraventriculaire rhEPO : érythropoïétine recombinante humaine THAM : tris(hydroxyléthyl)aminométhane RI : relaxation isovolumique TUNEL : terminal deoxynucleotidyl transferase mediated 2-deoxyuridine 5triphosphate nick end labeling RISK : reperfusion injury salvage kinase TV : tachycardie ventriculaire RLP : ratio lactate/pyruvate VB : valeur de base SAFE : survivor activating factor enhancement VCAM : vascular cell adhesion molecules SDH : score de dommages histopathologiques VDAC : canal anionique voltage dépendant VG : ventricule gauche SDN : score de déficit neuronal VLP : ventilation liquide partielle SjO2 : saturation veineuse jugulaire en oxygène VLT : ventilation liquide totale Smac/DIABLO : second mitochondriaderived activator of caspases SOPF : Specific Opportunistic and Pathogen Free) SPF : Specific Pathogen Free) SpO2 : saturation pulsée en oxygène STAT : signal transducer and activator of transcription SvcO2 : saturation veineuse centrale en oxygène VLT-PFC : ventilation liquide totale avec des PFC WHHL : Watanabe heritable hyperlipidemic WHHLMI : Watanabe heritable hyperlipidemic prone to myocardial infarction ♀ : femme ♂ : homme ΔΨm : potentiel de membrane mitochondrial 9 10 TABLE DES ILLUSTRATIONS Liste des Figures Figure 1 : Répartition des premières arythmies détectées chez les carnivores domestiques lors d'arrêt cardiorespiratoire ................................................................................... 23 Figure 2 : Évolution de l'incidence des arrêts cardiaques aux États-Unis entre 1985 et 2007 ......................................................................................................................... 24 Figure 3 : Répartition des arrêts cardiaques extra-hospitaliers selon l'âge des victimes.......... 24 Figure 4 : Répartition des causes cardiaques d'arrêt cardiaque extra-hospitalier en fonction de l'âge de la victime ................................................................................. 27 Figure 5 : Représentation schématique des principaux acteurs mitochondriaux impliqués dans la synthèse d'ATP par phosphorylation oxydative .......................................... 34 Figure 6 : Principaux transporteurs impliqués dans l'équilibre électrochimique de la cellule ....................................................................................................................... 36 Figure 7 : Schéma simplifié de la production d'anions superoxydes au niveau de la chaîne respiratoire en situation physiologique et lors d'ischémie-reperfusion.................... 38 Figure 8 : Représentation schématique des mécanismes susceptibles d'intervenir dans le phénomène de « no-reflow ».................................................................................... 42 Figure 9 : Représentation schématique des voies apoptotiques intrinsèque et extrinsèque ..... 44 Figure 10 : Tracé ECG d’une tachycardie ventriculaire .......................................................... 50 Figure 11 : Tracé ECG d'une asystolie ..................................................................................... 52 Figure 12 : Tracé ECG d'une fibrillation ventriculaire ............................................................ 53 Figure 13 : Algorithme décisionnel de la réanimation cardio-pulmonaire chez les carnivores domestiques ............................................................................................ 54 Figure 14 : Représentation du positionnement des mains du réanimateur en fonction de la taille et du format de l’animal .................................................................................. 57 Figure 15 : Illustration de la méthode du « bouche-à-truffe » ................................................. 63 Figure 16 : Défibrillation externe sur un chien en décubitus latéral ........................................ 69 Figure 17 : Schéma simplifié des mécanismes d'apparition de la défaillance neurologique post-arrêt cardiaque ................................................................................................. 77 Figure 18 : Représentation schématique de la libération synaptique du glutamate ................. 78 Figure 19 : Résumé schématique des mécanismes physiopathologiques responsables de la dysfonction myocardique......................................................................................... 82 Figure 20 : Évolution de la concentration plasmatique en IL-6 sur 7 jours chez des patients réanimés d'un arrêt cardiaque ..................................................................... 84 Figure 21 : Évolution de la concentration plasmatique en protéine C activée chez 16 patients réanimés d'un arrêt cardiaque ..................................................................... 85 Figure 22 : Concentrations sanguines en cortisol mesurées entre la 6ème et la 36ème heure après arrêt cardiaque ................................................................................................ 86 Figure 23 : Algorithme décisionnel de la prise en charge du syndrome post-arrêt cardiaque chez les carnivores domestiques ............................................................. 88 Figure 24 : Facteurs influençant la réponse du modèle animal .............................................. 102 11 Figure 25 : Potentiels d'action et courants ioniques sous-jacents obtenus après stimulation de myocytes ventriculaires chez l'Homme et chez la souris .................................. 108 Figure 26 : Répartition des différents domaines utilisant le lapin comme modèle animal .... 109 Figure 27 : Caractéristiques des lapins Watanabe heritable hyperlipidemic prone to myocardial infarction (WHHLMI) semblables à l'Homme et applications dans différents domaines de recherche translationnelle ................................................. 111 Figure 28 : Potentiels d'action de myocytes ventriculaires isolés de lapin ............................ 112 Figure 29 : Représentation schématique de la relation entre la longueur du cycle de base, la durée du potentiel d'action et l'intervalle diastolique ......................................... 126 Figure 30 : Courbe de restitution électrique cellulaire ........................................................... 127 Figure 31 : Représentation de la phase 1 de l’ischémie myocardique dans des cœurs de porc, de rat et de lapin............................................................................................ 130 Figure 32 : Électrocardiogramme obtenu suite à la stimulation électrique transcutanée de l’épicarde d’un cœur de rat .................................................................................... 131 Figure 33 : Évolution de l'électrocardiogramme suite à l'occlusion d'une artère coronaire chez le rat ............................................................................................................... 132 Figure 34 : Évolution de la pression artérielle moyenne suite à une stimulation électrique transcutanée de l’épicarde d’un cœur de rat .......................................................... 133 Figure 35 : Évolution de l'électrocardiogramme et de la pression artérielle moyenne après induction d'une asphyxie chez le rat ...................................................................... 135 Figure 36 : Évolution de l'électrocardiogramme, de la pression artérielle et de la fréquence cardiaque après injection par voie intraveineuse de chlorure de potassium chez la souris ........................................................................................ 136 Figure 37 : Exemple d'un protocole expérimental avec induction d'une fibrillation ventriculaire suivie d'une réanimation cardio-pulmonaire .................................... 138 Figure 38 : Évolution de l'électrocardiogramme et de la pression artérielle suite à la réanimation cardio-pulmonaire entreprise après un arrêt cardiaque asphyxique chez le rat ............................................................................................................... 139 Figure 39 : Coupes histologiques de myocarde de porcs ayant subi un arrêt cardiaque asphyxique ou sur fibrillation ventriculaire, 6 heures après reprise d’activité cardiaque spontanée ............................................................................................... 148 Figure 40 : Probabilité de reprise d’activité cardiaque spontanée en fonction du temps écoulé entre le début de l'arrêt cardiaque et l'administration du traitement médicamenteux dans un modèle porcin de fibrillation ventriculaire ..................... 154 Figure 41 : Protocole expérimental proposé par Mader (2008) avec induction d'une fibrillation ventriculaire suivie d'une réanimation cardio-pulmonaire .................. 156 Figure 42 : Comparaison de la pression de perfusion coronaire après l’administration d’adrénaline, d’amiodarone ou des deux, à des chiens lors de réanimation cardio-pulmonaire, suite à un arrêt cardiaque sur fibrillation ventriculaire .......... 173 Figure 43 : Comparaison des taux de survie à l’admission hospitalière entre des victimes d’arrêt cardiaque extra-hospitalier ayant reçu pour traitement, lors de la réanimation cardio-pulmonaire, de l’amiodarone et celles ayant reçu un placebo ................................................................................................................... 174 12 Figure 44 : Comparaison des taux de survie à l’admission hospitalière entre des victimes d’arrêt cardiaque extra-hospitalier ayant reçu pour traitement, lors de la réanimation cardio-pulmonaire, de l’amiodarone et celles ayant reçu de la lidocaïne ................................................................................................................. 175 Figure 45 : Comparaison entre le nombre de chocs délivrés en fonction du temps écoulé depuis le début de la fibrillation ventriculaire entre des porcs traités avec de l’esmolol et ceux traités avec un placebo .............................................................. 185 Figure 46 : Comparaison de la fréquence cardiaque, la pression artérielle moyenne et la pression de perfusion coronaire entre le groupe d’animaux ayant reçu de l'esmolol et celui ayant reçu un placebo ................................................................ 187 Figure 47 : Débit cardiaque et fraction de raccourcissement déterminés par échocardiographie .................................................................................................. 188 Figure 48 : Courbes de survie de Kaplan-Meier de patients victimes d'arrêt cardiaque sur fibrillation ventriculaire, traités soit selon les recommandations usuelles pour la réanimation cardio-pulmonaire avancée, soit par blocage du système sympathique ........................................................................................................... 192 Figure 49 : Tracé électrocardiographique d'un épisode d'orage rythmique et effets de l'administration de landiolol .................................................................................. 193 Figure 50 : Évolution de la pression artérielle moyenne, de la fréquence cardiaque, de l’index cardiaque et de l’index de travail systolique du ventricule gauche, avant et après la réanimation, chez des porcs ayant reçu du cariporide ou du NaCl à 0,9 % ...................................................................................................................... 200 Figure 51 : Évolution de la pression de perfusion coronaire et de l’épaisseur de la paroi du ventricule gauche, avant et après la réanimation, chez des porcs ayant reçu du cariporide ou du NaCl à 0,9 %.......................................................................... 201 Figure 52 : Évolution de la contractilité myocardique et de l’index cardiaque avant et après la réanimation, chez des rats ayant reçu de la pentazocine, du glibenclamide, du glibenclamide et de la pentazocine, ou du NaCl à 0,9 % ......... 204 Figure 53 : Représentation schématique des différents effecteurs du diazoxide et des mécanismes cardioprotecteurs mis en jeu.............................................................. 209 Figure 54 : Évolution de la température corporelle lors des différentes phases d'hypothermie thérapeutique .................................................................................. 219 Figure 55 : Principes de la ventilation liquide totale et de la ventilation liquide partielle ..... 226 Figure 56 : Représentation schématique des mécanismes protecteurs de l'hypothermie thérapeutique vis-à-vis de l'apoptose ..................................................................... 231 Figure 57 : Représentation schématique des différents voies de signalisation de l'érythropoïétine ..................................................................................................... 252 Figure 58 : Représentation schématique des deux fenêtres de protection conférées par le préconditionnement ............................................................................................... 257 Figure 59 : Représentation schématique des évènements cellulaires impliqués dans le préconditionnement ischémique précoce ............................................................... 258 Figure 60 : Représentation schématique des évènements cellulaires impliqués dans le préconditionnement ischémique tardif .................................................................. 259 Figure 61 : Séquence des évènements lors de préconditionnement ischémique .................... 260 13 Figure 62 : Protocole de postconditionnement ischémique ................................................... 260 Figure 63 : Séquence des évènements lors de postconditionnement ischémique .................. 262 Liste des Tableaux Tableau 1 : Caractéristiques épidémiologiques des arrêts cardiaques et des arrêts respiratoires chez 265 chiens et chats d’après l’étude de Wingfield et Van Pelt .... 21 Tableau 2 : Étiologies rencontrées lors d’arrêt cardiaque chez les carnivores domestiques.... 26 Tableau 3 : Taux de survie suite à un arrêt cardiorespiratoire intra-hospitalier chez les carnivores domestiques ............................................................................................ 28 Tableau 4 : Taux de survie suite à un arrêt cardiaque extra-hospitalier ou intra-hospitalier chez l'Homme .......................................................................................................... 28 Tableau 5 : Échelle de catégories de performance cérébrale de Glasgow-Pittsburgh ............. 30 Tableau 6 : Origine des autres espèces réactives de l'oxygène ................................................ 40 Tableau 7 : Examens complémentaires à mettre en place pour une surveillance efficace des animaux à risque ................................................................................................ 50 Tableau 8 : Principaux principes actifs utilisables lors du soutien avancé des fonctions vitales ....................................................................................................................... 67 Tableau 9 : Les différentes énergies de défibrillation utilisables en fonction du type de défibrillation envisagée ............................................................................................ 69 Tableau 10 : Taux de survie à court et moyen termes chez 204 carnivores domestiques ........ 72 Tableau 11 : Les différentes options de surveillance lors de syndrome post-arrêt cardiaque .................................................................................................................. 87 Tableau 12 : Valeurs cibles recommandées chez l'Homme et les carnivores domestiques pour optimiser la fonction respiratoire lors de la prise en charge de syndrome post-arrêt cardiaque ................................................................................................. 90 Tableau 13 : Paramètres hémodynamiques à contrôler chez l’Homme pour optimiser la fonction cardiovasculaire lors de la prise en charge de syndrome post-arrêt cardiaque .................................................................................................................. 91 Tableau 14 : Paramètres hémodynamiques à contrôler chez les carnivores domestiques pour optimiser la fonction cardiovasculaire lors de la prise en charge du syndrome post-arrêt cardiaque ................................................................................. 92 Tableau 15 : Les différents statuts microbiologiques des animaux de laboratoire .................. 98 Tableau 16 : Avantages et inconvénients de l'utilisation de modèles animaux de grande et de petite tailles dans l'étude de la fonction neurologique suite à un épisode ischémique ............................................................................................................. 103 Tableau 17 : Comparaison de certaines caractéristiques morphologiques du ventricule gauche entre l'Homme et de la souris .................................................................... 105 Tableau 18 : Comparaison des valeurs de certains paramètres cardio-pulmonaires entre l'Homme et deux espèces de rongeurs après anesthésie ........................................ 106 14 Tableau 19 : Comparaison des caractéristiques morphologiques du ventricule gauche et de la fraction d'éjection chez l'Homme et le lapin ................................................. 110 Tableau 20 : Les différents domaines d'étude utilisant le porc comme modèle animal ......... 113 Tableau 21 : Comparaison des valeurs certains paramètres hémodynamiques entre le porc Landrace-Large White et l'Homme ....................................................................... 115 Tableau 22 : Rappel des principales caractéristiques des rythmes identifiés lors d'arrêt cardiaque ................................................................................................................ 120 Tableau 23 : Exemples de modèles animaux pouvant présenter des épisodes de fibrillation ventriculaire spontanée pouvant conduire à un arrêt cardiaque .......... 123 Tableau 24 : Exemple d’échelle à quatre points déterminant le score attribué dans chaque région étudiée en fonction du nombre de neurones ischémiques .......................... 142 Tableau 25 : Exemple d'une grille permettant d'établir un score de déficit neuronal ............ 144 Tableau 26 : Exemples de tests comportementaux utilisés pour évaluer la fonction neurologique de deux espèces d’animaux de laboratoire, les rongeurs et les porcs ....................................................................................................................... 145 Tableau 27 : Scores de dommages histopathologiques et lésions histologiques observées sur des cerveaux de chiens ayant subi soit un arrêt cardiaque asphyxique, soit un arrêt cardiaque sur fibrillation ventriculaire ..................................................... 150 Tableau 28 : Résumé des différentes caractéristiques des études expérimentales à décrire et des données essentielles à fournir pour un rapport standardisé des résultats des études expérimentales relatives à l’arrêt cardiaque et à la réanimation cardio-pulmonaire .................................................................................................. 159 Tableau 29 : Principales études cliniques concernant l'utilisation de la vasopressine ........... 168 Tableau 30 : Autres catécholamines ayant été étudiées lors de réanimation cardiopulmonaire et effets adrénergiques et/ou dopaminergique associés ...................... 171 Tableau 31 : Études expérimentales concernant l’utilisation de béta-bloquants lors d’arrêt cardiaque avec fibrillation ventriculaire ................................................................ 180 Tableau 32 : Cas cliniques décrivant l'utilisation de β-bloquants pour traiter une fibrillation ou une tachycardie ventriculaire .......................................................... 190 Tableau 33 : Études animales in vivo et études in vitro sur des prélèvements de cœurs humains montrant le rôle cardioprotecteur du diazoxide ...................................... 207 Tableau 34 : Mécanismes de protection liés à l'administration de monoxyde d'azote dans un contexte d'ischémie-reperfusion ....................................................................... 213 Tableau 35 : Les différentes catégories d'hypothermie .......................................................... 216 Tableau 36 : Les différentes méthodes d'induction d'une hypothermie thérapeutique .......... 221 Tableau 37 : Avantages et inconvénients liés à la ventilation liquide partielle et à la ventilation liquide totale ........................................................................................ 227 Tableau 38 : Bilan des études expérimentales publiées depuis 2008 évaluant le bénéfice apporté par le refroidissement de l’organisme....................................................... 234 Tableau 39 : Bilan des études expérimentales publiées depuis 2008 évaluant le bénéfice apporté par le refroidissement sélectif du cerveau ................................................ 245 Tableau 40 : Études expérimentales ayant montré un effet cardioprotecteur de l'érythropoïétine lors de son utilisation dans un contexte d'arrêt cardiaque .......... 253 15 16 INTRODUCTION Chez l’Homme, l’arrêt cardiaque constitue de nos jours un réel problème de santé publique. Représentant déjà l’une des principales causes de mortalité dans le monde, son incidence ne cesse de croître, et ce malgré des campagnes de prévention destinées à lutter contre l’apparition de maladies cardiovasculaires. Si de plus en plus de moyens sont mis à disposition pour initier une réanimation cardio-pulmonaire chez la victime, les taux de survie suite à un arrêt cardiaque restent très faibles. Pour les quelques patients dont le cœur reprend une activité spontanée et qui sont amenés à l’hôpital, la survie à long terme et la récupération neurologique demeurent compromises, en particulier à cause de la défaillance multiviscérale qui apparaît suite à l’épisode ischémique subi par l’organisme. En médecine vétérinaire, les arrêts cardiaques sont également fréquents, et les taux de survie sont encore plus faibles que ceux observés chez l’Homme. Pour mieux comprendre la physiopathologie de l’arrêt cardiaque et pour trouver des stratégies thérapeutiques permettant d’améliorer le pronostic des victimes, le recours aux modèles animaux est indispensable. Le but de cette thèse a été de faire état des différents modèles animaux d’arrêt cardiaque, de montrer leur importance dans les recherches actuelles sur l’arrêt cardiaque et la réanimation cardio-pulmonaire et de présenter les différents traitements pouvant être mis en œuvre. Nous nous intéresserons donc, dans une première partie, aux arrêts cardiaques chez l’Homme et les carnivores domestiques, en nous attachant à leur épidémiologie, leur physiopathologie, leur prise en charge et au syndrome post-arrêt cardiaque. En deuxième partie, nous présenterons les espèces animales utilisées dans l’étude de l’arrêt cardiaque, ainsi que les différents modèles animaux, et nous nous demanderons quelles sont les conditions nécessaires pour pouvoir extrapoler les résultats d’une étude expérimentale à la clinique humaine. Enfin, dans une troisième partie, nous ferons le bilan des études expérimentales et cliniques sur les différentes options thérapeutiques de l’arrêt cardiaque, en insistant sur l’hypothermie thérapeutique, qui est la seule méthode à l’heure actuelle ayant montré un effet bénéfique sur la survie à long terme et la récupération neurologique. 17 18 Première partie : L’ARRÊT CARDIAQUE 19 20 I. Généralités sur l’arrêt cardiaque A. Définition et classification L’arrêt cardiaque correspond à une cessation de l'activité mécanique du cœur, confirmée par une absence de pouls perceptible et de réponse aux stimulations, et par une apnée ou une respiration agonique (Jacobs et al., 2004). Il provoque une interruption brutale de la circulation spontanée sanguine, empêche l’oxygénation cellulaire et engendre ainsi une hypoxie tissulaire généralisée. Il s’agit d’une urgence médicale absolue : sans traitement, la mort survient en quelques minutes. Que ce soit chez l’Homme ou chez l’animal, on classe les arrêts cardiaques en fonction du contexte de leur apparition. S’il survient chez un patient hospitalisé qui présentait un pouls à son admission, on parle d’arrêt cardiaque intra-hospitalier. En revanche, si l’arrêt se produit en dehors du milieu hospitalier, l’arrêt cardiaque est qualifié d’extra-hospitalier (Sandroni et al., 2007). B. Données épidémiologiques 1. Chez les carnivores domestiques Les études épidémiologiques d’arrêt cardiaque sont peu nombreuses chez les carnivores domestiques. De fait, l’incidence exacte des arrêts cardiaques n’est pas connue. Il est également à noter que la plupart des cas rapportés ont lieu en milieu hospitalier. Une étude réalisée par Wingfield et Van Pelt (1992) s’est intéressée aux caractéristiques épidémiologiques des arrêts cardiaques ou respiratoires intra-hospitaliers chez les carnivores domestiques. Cette étude fait notamment état du sexe, de la race, de l’âge et du type d’arrêt de chacun des 265 cas observés (200 chiens et de 65 chats). Les résultats sont présentés au Tableau 1. Tableau 1 : Caractéristiques épidémiologiques des arrêts cardiaques et des arrêts respiratoires chez 265 chiens et chats d’après l’étude de Wingfield et Van Pelt (1992) Type d’arrêt Nombre de races touchées Sexe Âge moyen en fonction du type d’arrêt (en mois) Chiens (n = 200) Cardiaque : 87,5 % Respiratoire : 12,5 % 62 Mâles : 83 Femelles : 106 Inconnu : 11 Arrêt cardiaque : 83 Arrêt respiratoire : 59 Chats (n = 65) Cardiaque : 81,5 % Respiratoire : 18,5 % 7 Mâles : 35 Femelles : 25 Inconnu : 5 Arrêt cardiaque : 86 Arrêt respiratoire : 62 21 Deux caractéristiques épidémiologiques sont à souligner : - Les arrêts cardiaques sont majoritaires par rapport aux arrêts purement respiratoires ; Le nombre de cas d’arrêt cardiaque augmente avec l’âge de l’animal, en particulier après l’âge de 4 ans. Une étude des arrêts cardiorespiratoires survenus à l’École Nationale Vétérinaire d’Alfort entre Décembre 2008 et Juillet 2009 a par ailleurs été menée (Peltier, 2009). Les données épidémiologiques de 24 cas (12 chiens et 12 chats) ont ainsi été recueillies. Les résultats ont montré qu’en effet, les arrêts cardiaques étaient plus fréquents que les arrêts seulement respiratoires, et révélaient un âge moyen d’atteinte de 9,2 et de 4,9 ans chez le chien et le chat respectivement. Les chiens de plus de 8 ans étaient significativement plus atteints que les chiens de moins de 8 ans. Aucune différence significative concernant le sexe n’a été montrée quelle que soit l’espèce. Le type de rythme cardiaque identifié lors d’un arrêt est enfin une information indispensable à recueillir. En effet, il conditionne en grande partie la prise en charge du patient et le pronostic. Deux grands types de rythme peuvent être identifiés lors d’arrêt cardiaque (Jacobs et al., 2004) : - - Les rythmes choquables, parmi lesquels on trouve la fibrillation ventriculaire (FV) et la tachycardie ventriculaire (TV). Le pronostic est souvent meilleur lorsque la victime présente ce type de rythme, car une défibrillation précoce permet dans la plupart des cas le retour à un rythme sinusal ; Les rythmes non choquables, dont l’asystolie et l’activité électrique sans pouls (ou dissociation électromécanique, (DEM)). Chez les carnivores domestiques, plus de la moitié des arrêts se font sur rythme non choquables, comme l’illustre la Figure 1. L’asystolie constitue en particulier la première arythmie identifiée (Waldrop et al., 2004 ; Hofmeister et al., 2009). 22 Figure 1 : Répartition des premières arythmies détectées chez les carnivores domestiques lors d'arrêt cardiorespiratoire (d'après Hofmeister et al., 2009) DEM : dissociation électromécanique ; FV : fibrillation ventriculaire ; TV : tachycardie ventriculaire 60% Pourcentage 50% 40% 30% Arythmie observée chez le chien 20% Arythmie observée chez le chat 10% 0% Asystolie DEM FV Rythme cardiaque TV 2. Chez l’Homme De nos jours, l’arrêt cardiaque demeure un important problème de santé publique. La prévalence des maladies cardiovasculaires, en particulier des coronopathies, ne cesse d’augmenter, notamment parce que l’obésité et le diabète, deux facteurs de risque majeurs d’arrêt, touchent un nombre croissant de personnes (Chugh et al., 2008). Globalement, on estime qu’il y a entre 20 et 140 arrêts cardiaques extra-hospitaliers pour 100 000 habitants par an, mais l’incidence varie beaucoup d’un continent à l’autre (Berdowski et al., 2010). Aux États-Unis, l’un des pays les plus touchés, plus de 500 000 adultes et enfants sont ainsi victimes de ce type d’arrêt cardiaque chaque année, avec des taux d’incidence annuels estimés à 147,7 pour 100 000 et 11 pour 100 000 chez l’adulte et l’enfant respectivement (Go et al., 2013). Seuls 2/3 de ces arrêts cardiaques sont pris en charge par une équipe médicale d’urgence. L’incidence en milieu hospitalier est tout aussi importante. En moyenne, entre 1 et 5 arrêts surviennent sur 1 000 admissions hospitalières (Sandroni et al., 2007). À titre d’exemple, plus de 200 000 Américains sont ainsi traités chaque année pour un arrêt cardiaque intra-hospitalier (Go et al., 2013). Il est toutefois à noter que ces taux d’incidence annuels ont fortement diminué depuis la deuxième moitié du vingtième siècle, comme l’illustre la FFigure 2. Cela s’explique en partie par une amélioration de la prévention des maladies coronariennes et par les progrès réalisés en ce qui concerne les stratégies thérapeutiques (Adabag et al., 2010). 23 Figure 2 : Évolution de l'incidence des arrêts cardiaques aux États-Unis entre 1985 et 2007 (d’après Adabag et al., 2010) Nombre d'arrêts cardiaques pour 100 000 individus 160 140 120 100 Extra-hospitalier, hommes 80 Intra-hospitalier, hommes 60 Extra-hospitalier, femmes 40 Intra-hospitalier, femmes 20 0 1985 1990 1995 2000 2005 2007 Années Chez l’Homme, 70 % des arrêts cardiaques étant extra-hospitaliers, un grand nombre d’études se sont intéressées aux caractéristiques des victimes de ce type d’arrêt. Pour ce qui est de l’âge d’atteinte, deux groupes à risque sont clairement identifiables. Comme le montre la Figure 3, il s’agit des enfants de moins de 5ans et des personnes âgées de plus de 75 ans. Les victimes ont en moyenne une soixantaine d’années (Chugh et al., 2008 ; Adabag et al., 2010). De nos jours, la plupart d’entre elles sont de sexe masculin, comme illustré à la Figure 2 Toutefois, il est à noter que l’arrêt cardiaque concerne un nombre croissant de femmes (Chugh et al., 2008 ; Adabag et al., 2010 ; McNally et al., 2011). Une étude menée aux États-Unis a également montré que, quel que soit le sexe, les Noirs étaient prédisposés par rapport aux Blancs et aux Hispaniques (Adabag et al., 2010). Nombre d'arrêts cardiaques pour 100 000 individus Figure 3 : Répartition des arrêts cardiaques extra-hospitaliers selon l'âge des victimes (d'après Chugh et al., 2008) 400 350 300 250 200 150 100 50 0 Âge (en années) 24 De nos jours, le premier rythme détecté à l’électrocardiogramme (ECG) chez un patient arrêté est très fréquemment un rythme non choquable, et il s’agit souvent d’une asystolie. Un rythme choquable est identifié dans 20 à 35 % des arrêts cardiaques intrahospitaliers (Sandroni et al., 2007), et dans environ 25 % des arrêts cardiaques extrahospitaliers (McNally et al., 2011 ; Mader et al., 2012 ; Go et al., 2013). Dans les cas où l’arrêt se produit en dehors du milieu hospitalier, il est à noter une diminution de l’incidence des arrêts cardiaques sur rythme choquable (Chugh et al., 2008 ; Adabag et al., 2010 ; Berdowski et al., 2010). La cause exacte reste inconnue, mais ce type de rythme étant fréquemment identifié lors de maladie cardiaque, il est supposé que la prise en charge plus précoce des maladies coronariennes a conduit à cette diminution (Chugh et al., 2008). C. Principales étiologies en cause De nombreuses affections peuvent être à l’origine d’un arrêt cardiaque. Classiquement, on distingue les arrêts d’origine cardiaque des arrêts d’origine non cardiaque. À titre d’exemple, les premiers peuvent faire suite à un infarctus du myocarde (IDM), à des troubles du rythme, à un état de choc ou à une insuffisance cardiaque ; les seconds sont quant à eux susceptibles d’être consécutifs à une insuffisance respiratoire, à des déséquilibres acidobasiques et électrolytiques, à un traumatisme, à une anesthésie… D’une façon générale, un arrêt est présumé avoir une origine cardiaque, sauf s’il a été démontré ou supposé qu’il faisait suite à un trauma, une noyade, une overdose, une asphyxie, une hémorragie, ou toute autre cause non cardiaque pouvant être déterminée (Jacobs et al., 2004). 1. Chez les carnivores domestiques Chez les carnivores domestiques, l’arrêt cardiaque peut avoir de très nombreuses origines. Les différentes étiologies sont reportées dans le Tableau 2. 25 Tableau 2 : Étiologies rencontrées lors d’arrêt cardiaque chez les carnivores domestiques (d’après Cole et al., 2002 ; Peltier, 2009) Insuffisance circulatoire Insuffisance respiratoire Déséquilibres acidobasiques et électrolytiques Neuropathie centrale ou périphérique Complication anesthésique Stimulation du système nerveux autonome Toxines Divers État de choc : - Hypovolémique, - Distributif, - Obstructif, - Cardiogénique : cardiomyopathie, arythmie cardiaque Anémie Obstruction des voies aériennes supérieures Bronchopneumonie Épanchement pleural Acidose ou alcalose sévère Hyperkaliémie sévère Hypocalcémie Hypoglycémie Traumatisme cérébral Induction trop rapide Surdosage Effets secondaires Stimulation vagale : contention, per-opératoire, intubation trachéale, pression oculaire, brachycéphale… Stimulation orthosympathique : douleur, stress… Endotoxémie Septicémie Hypothermie Électrocution Trauma Coagulopathie Les principales étiologies en cause sont les insuffisances circulatoires et les insuffisances respiratoires. En effet, les arrêts cardiaques surviennent souvent à la suite d’hypoxémie, d’état de choc ou d’anémie (Hofmeister et al., 2009 ; Peltier, 2009). Contrairement à ce qui est observé chez l’Homme, les arrêts ayant une origine purement cardiaque sont peu fréquents chez les carnivores domestiques (Kohlhauer, 2012). L’anesthésie générale doit enfin être considérée comme un facteur prédisposant majeur (Waldrop et al., 2004). 2. Chez l’Homme Chez l’adulte, plus de 70 % des arrêts cardiaques extra-hospitaliers ont une origine cardiaque (Kim et al., 2013). Actuellement, dans de nombreux cas, ils surviennent chez des individus qui n’ont pas de maladie cardiaque connue, c’est-à-dire que celle-ci n’a pas présenté 26 de manifestations cliniques avant l’arrêt (Adabag et al., 2010 ; Estes, 2011). Elle est donc souvent une découverte post-mortem, et les patients qui en sont atteints ne sont par conséquent pas considérés comme des patients à haut risque d’arrêt. Comme illustré à la Figure 4, la principale cause identifiée chez les individus de plus de 35 ans est l’IDM, dont la prévalence augmente avec l’âge, tout comme le risque de contracter une maladie coronarienne (Zheng et al., 2001). En revanche, chez les jeunes de moins de 40 ans, les arrêts cardiaques sont plus souvent dus à des causes non cardiaques, et en particulier les overdoses (Deasy et al., 2011). Figure 4 : Répartition des causes cardiaques d'arrêt cardiaque extra-hospitalier en fonction de l'âge de la victime Infarctus du myocarde 35 - 64 ans Maladie cardiovasculaire non spécifiée Cardiomyopathies et arythmies 65 ans ou plus Infarctus du myocarde Maladie cardiovasculaire non spécifiée Cardiomyopathies et arythmies Hypertension artérielle Hypertension artérielle Insuffisance cardiaque Insuffisance cardiaque Artérite valvulaire Artérite valvulaire Cœur pulmonaire Cœur pulmonaire Autres Autres D. Conséquences et pronostic Qu’il s’agisse de l’Homme ou de l’animal, globalement peu de victimes d’arrêt cardiaque survivent. La survie peut renvoyer à plusieurs notions temporelles. Elle est qualifiée (Sandroni et al., 2007) : - de « survie immédiate » si la réanimation cardio-pulmonaire (RCP) aboutit à une reprise d’activité cardiaque spontanée (RACS) ; de « survie à court terme » si la victime quitte l’hôpital vivante ; de « survie à long terme » si elle est toujours vivante après six à douze mois. 1. Chez les carnivores domestiques Les taux de survie suite à un arrêt cardiorespiratoire chez les carnivores domestiques sont beaucoup plus faibles que ceux observés chez l’Homme, comme le montre le Tableau 3. On estime même que les chances de survie à la décharge hospitalière sont nulles si l’arrêt cardiorespiratoire a lieu en dehors du milieu hospitalier, une RCP n’étant, dans une grande majorité des cas, pas effectuée dans les minutes qui suivent l’arrêt. 27 Tableau 3 : Taux de survie suite à un arrêt cardiorespiratoire intra-hospitalier chez les carnivores domestiques (d’après Waldrop et al., 2004 ; Hofmeister et al., 2009) Chien Chat Total 13 % à 35 % 15 % à 61 % 37 % Taux de survie immédiate 7 % à 10 % 3 % à 22 % Taux de survie à la décharge hospitalière 4 % à 6 % Ces faibles taux suggèrent que la prise en charge des arrêts cardiorespiratoires chez les carnivores domestiques peut être améliorée. 2. Chez l’Homme Malgré la diminution de leur incidence, les arrêts cardiaques demeurent la cause la plus fréquente de mortalité dans le monde (Estes, 2011). Les chances de survie sont globalement faibles, comme indiqué dans le Tableau 4. Elles n’ont pas augmenté depuis ces trois dernières décennies. Cependant, le pronostic à long terme des victimes qui survivent à la décharge hospitalière s’est amélioré (Adabag et al., 2010). Tableau 4 : Taux de survie suite à un arrêt cardiaque extra-hospitalier ou intra-hospitalier chez l'Homme (d’après Sandroni et al., 2007 ; Hofmeister et al., 2009 ; McNally et al., 2011 ; Go et al., 2013) Type d’arrêt cardiaque Extra-hospitalier Intra-hospitalier 35 % 46 % à 61 % Taux de survie immédiate 9,5 % 20 % à 50 % Taux de survie à la décharge hospitalière Il va de soi que les chances de survie après un arrêt cardiaque dépendent avant tout de la rapidité de sa prise en charge. Le concept de chaîne de survie lorsque l’arrêt survient en dehors du milieu hospitalier est ainsi essentiel, et les taux de survie immédiate sont quatre fois plus élevés si l’arrêt a lieu en présence d’un témoin. En effet, la réalisation correcte d’un massage cardiaque, la ventilation et une défibrillation doivent être entrepris le plus précocément possible. Cela explique pourquoi les taux de survie immédiate sont plus élevés lors d’arrêt cardiaque intra-hospitalier que lors d’arrêt extra-hospitalier, un personnel médical formé pouvant initier une RCP dans les minutes qui suivent l’évènement dans le premier cas. Cependant, si chez un tiers des victimes, voire plus, celle-ci aboutit à un RACS, seule une minorité survit à la décharge. 28 D’autres facteurs influent sur la survie à plus ou moins long terme : - - - l’âge : plus les victimes sont âgées, moins les taux de survie sont élevés. Cela peut, entre autres, être corrélé à des efforts de réanimation moins poussés pour les victimes de plus de 70 ans (Sandroni et al., 2007 ; McNally et al., 2011) ; l’origine ethnique : aux États-Unis, la survie est plus faible chez les Noirs-Américains que chez les Asiatiques ou les Hispaniques (Sandroni et al., 2007 ; McNally et al., 2011) ; le rythme cardiaque initial : la probabilité de survie est plus grande si le premier rythme identifié à l’ECG est un rythme choquable, principalement tachycardie ventriculaire ou fibrillation ventriculaire (Sandroni et al., 2007 ; McNally et al., 2011 ; Mader et al., 2012). 3. Pronostic En entraînant une cessation brutale de la circulation sanguine, l’arrêt cardiaque empêche l’apport d’oxygène et de nutriments aux différentes cellules de l’organisme, qui se retrouvent ainsi rapidement en anoxie. Ce processus n’épargne évidemment pas les organes nobles, qui sont susceptibles de subir des lésions irréversibles après un délai variable d’arrêt non traité. Ces délais varient en fonction de l’organe considéré (Souplet, 2006) : - trois à quatre minutes pour le cerveau ; dix minutes pour les reins ; quinze à soixante minutes pour le cœur ; soixante à cent-vingt minutes pour le foie. Le cerveau étant ainsi extrêmement sensible à l’anoxie, des lésions cérébrales apparaissent rapidement, et leur sévérité influe sur le pronostic vital et les conditions de vie à long terme. C’est pourquoi l’état neurologique d’un patient ayant subi un arrêt cardiaque est régulièrement évalué, notamment en utilisant une échelle de catégories de performance cérébrale (CPC), présentée au Tableau 5. Cette échelle est utilisée chez l’Homme et est souvent adaptée pour son utilisation chez l’animal. 29 Tableau 5 : Échelle de catégories de performance cérébrale de Glasgow-Pittsburgh (d’après Rittenberger et al., 2011) CPC : catégorie de performance cérébrale Score Description CPC 1 Bonne performance cérébrale Patient conscient et alerte, capable de travailler et de mener une vie normale. Légers déficits neurologiques ou psychiques possibles. CPC 2 CPC 3 CPC 4 CPC 5 Déficit cérébral modéré Patient conscient et autonome pour les activités de la vie quotidienne. Sa fonction cérébrale est suffisante pour travailler à temps partiel dans un environnement protégé. Crises convulsives possibles, ataxie, hémiplégie, changements mnésiques ou mentaux permanents. Déficit cérébral sévère Patient conscient mais non autonome pour les activités de la vie quotidienne en raison de déficits neurologiques. Coma, état végétatif Patient inconscient, ne pouvant interagir avec son entourage Mort cérébrale ou décès Chez l’Homme, entre 7 et 20 % et entre 15 et 32 % des victimes d’arrêt cardiaque extra-hospitalier et intra-hospitalier respectivement présentent peu voire aucun déficit neurologique à la décharge hospitalière (Hofmeister et al., 2009 ; McNally et al., 2011 ; Rittenberger et al., 2011). Chez les carnivores domestiques, ces taux sont nettement plus faibles, et avoisinent les 5 % (Hofmeister et al., 2009) 30 L’arrêt cardiaque peut survenir aussi bien chez l’Homme que chez les carnivores domestiques, mais avec des particularités spécifiques à chacun. Les données épidémiologiques chez les carnivores domestiques suggèrent un risque accru d’arrêt cardiaque avec l’âge de l’animal. Chez l’Homme, une prédisposition liée à l’âge, mais aussi au sexe et à l’origine ethnique, est observée. Les maladies cardiovasculaires étant par ailleurs de plus en plus fréquentes, la population à risque ne cesse d’augmenter, faisant ainsi de l’arrêt cardiaque un problème de santé publique majeur. Les causes d’arrêt cardiaque sont très différentes. Si chez l’Homme une origine cardiaque, et en particulier une coronopathie, est souvent mise en évidence, les différentes étiologies possibles sont beaucoup plus diverses chez les carnivores domestiques. En effet, les arrêts cardiaques chez le chien et le chat sont généralement consécutifs à une anesthésie ou à une insuffisance respiratoire ou circulatoire. La survie et le pronostic à plus ou moins long terme sont beaucoup moins favorables chez les carnivores domestiques que chez l’Homme, mais les taux de RACS et de survie à la décharge hospitalière sans séquelles neurologiques restent très faibles chez ce dernier. Ce pronostic sombre est lié aux multiples lésions engendrées par l’ischémie généralisée provoquée par l’arrêt cardiaque. 31 32 II. Physiopathologie de l’arrêt cardiaque A. Ischémie et reperfusion à l’échelle de l’organisme 1. Évolution vers un métabolisme anaérobie et déplétion des réserves énergétiques Quel que soit le type cellulaire chez les Eucaryotes, la production d’énergie utilisable pour la réalisation de travaux cellulaires se réalise par oxydation de substrats organiques au cours de processus métaboliques appelés catabolisme oxydatif. Cette énergie est stockée sous forme de molécule d’adénosine triphosphate (ATP), véritable réserve énergétique cellulaire. L’ATP présente en effet trois liaisons phosphates riches en énergie, si bien que l’hydrolyse de cette molécule permet de fournir l’énergie nécessaire aux réactions anaboliques et aux autres types de travaux cellulaires qui en consomment : ATP + 2 H2O → ADP + Pi + H3O+ ATP + 2 H2O → AMP + PPi + H3O+ ∆G°’ = - 30,5 kJ.mol-1 ∆G°’ = - 45,6 kJ.mol-1 Cependant, la cellule ne possédant pas de réserves d’ATP, la molécule doit être régénérée rapidement. La synthèse d’ATP peut être assurée par : - La respiration cellulaire. Le métabolisme énergétique cellulaire dépend en effet principalement de l’acétyl-coenzyme A (acétyl-CoA), produit de la glycolyse ou de la béta-oxydation des acides gras, qui, en condition aérobie, est oxydé au cours du cycle de Krebs (Sanada et al., 2011). Acétyl-CoA + 3NAD + FAD + ADP + HPO42- → 2CO2 + CoA + 3NADH+ + FADH+ + ATP Les coenzymes réduits par la même occasion, à savoir le nicotinamide adénine dinucléotide (NADH) et la flavine adénine dinucléotide (FADH), sont réoxydés lors de la phosphorylation oxydative au cours de la respiration mitochondriale. Celle-ci implique un transfert d’électrons du NADH à l’oxygène via plusieurs complexes situés dans la membrane interne de la mitochondrie, comme illustré à la Figure 5. L’énergie produite par ce transfert permet une translocation simultanée de protons dans l’espace intermembranaire mitochondrial, ce qui crée un gradient électrochimique de protons, appelé force proton motrice. Cette dernière est utilisée par l’ATP synthase pour synthétiser de l’ATP à partir d’adénosine diphosphate (ADP) et de phosphate inorganique (Pi). Une translocase ATP/ADP permet la sortie de l’ATP produit vers le cytosol en échange d’ADP (Ayoub et al., 2008). En aérobiose, le catabolisme d’une molécule de glucose permet ainsi la production de 36 molécules d’ATP. 33 Figure 5 : Représentation schématique des principaux acteurs mitochondriaux impliqués dans la synthèse d'ATP par phosphorylation oxydative (d'après Ayoub et al., 2008) ADP : adénosine diphosphate ; ANT : adénine nucléotide translocase ; ATP : adénosine triphosphate ; EIM : espace intermembranaire ; FADH2 : flavine adénine dinucléotide + hydrogène ; MEM : membrane externe mitochondriale ; MIM : membrane interne mitochondriale ; NADH : nicotinamide adénine dinucléotide + hydrogène ; Pi : phosphate inorganique ; VDAC : canal anionique voltage-dépendant - La fermentation lactique. Elle ne se réalise que dans les cellules ne présentant pas de mitochondries ou en l’absence de dioxygène. À partir d’une molécule de glucose, une molécule d’acide pyruvique est produite à l’issue de la glycolyse anaérobie et est transformée en une molécule d’acide lactique par fermentation. Ces réactions permettent la synthèse de deux molécules d’ATP. La production d’ATP par cette voie est donc faible et insuffisante pour combler la demande énergétique des cellules. - La créatine phosphokinase, enzyme présente dans le cerveau et dans les muscles. Elle catalyse de façon réversible la réaction suivante : Phosphocréatine + ADP + H+ ↔ créatinine + ATP Ce mécanisme permet le maintien provisoire du taux d’ATP, jusqu’à épuisement des réserves de phosphocréatine, dans les soixante premières secondes d’ischémie. - L’adénylate cyclase, enzyme présente dans toutes les cellules de l’organisme. Elle catalyse de façon réversible la réaction suivante : 2 ADP ↔ ATP + AMPc 34 La respiration cellulaire est ainsi la principale source de production énergétique dans la cellule. Cela est d’autant plus vrai pour les cardiomyocytes, qui sont particulièrement riches en mitochondries (Sanada et al., 2011). Or lors d’arrêt cardiaque, les cellules ne sont plus approvisionnées en oxygène. La respiration cellulaire est donc rapidement interrompue, de même que la production d’ATP par la F0F1 synthase. Cette dernière se met à fonctionner en mode reverse et consomme de l’ATP pour pomper les protons de la matrice vers l’espace intermembranaire. En fonction de l’espèce et des conditions ischémiques, 35 à 80 % d’ATP est ainsi consommé par la F0F1 synthase pendant l’ischémie (Penna et al., 2013). Sans oxygène, les cellules passent en métabolisme anaérobie. Les apports énergétiques permis par la glycolyse anaérobie et les fermentations deviennent alors très vite insuffisants par rapport aux demandes des cellules. Il s’ensuit donc une déplétion énergétique. 2. Modification du pH intracellulaire et des échanges ioniques Pour toutes les cellules vivantes, il est possible de mesurer une différence de potentiel transmembranaire, du fait de transferts d’ions au travers de la membrane plasmique. Il existe différents systèmes de transport : - - les canaux de fuite, qui permettent un transport passif d’ions dans le sens de leur gradient électrochimique. Ce gradient est déterminé par la différence de concentrations intracellulaire et extracellulaire de l’ion. les transporteurs actifs primaires, qui nécessitent de l’ATP pour fonctionner. Ils assurent le transfert d’ions contre leur gradient de concentration. les transporteurs actifs secondaires qui permettent l’entrée/la sortie d’un ion contre son gradient électrochimique grâce à la sortie/l’entrée d’un autre ion dans le sens de son gradient. En situation physiologique, le maintien de l’équilibre électrochimique est ainsi permis par différents transporteurs, notamment (Kohlhauer, 2012) : - - - la Na+/K+-ATPase, transporteur actif primaire. Elle assure la sortie de trois ions Na+ contre l’entrée de deux ions K+, et maintient les gradients électrochimiques de ces deux ions. Sans son fonctionnement, ces gradients s’annuleraient du fait du transport passif via les canaux de fuite ; les Ca2+-ATPases, qui, en hydrolysant une molécule d'ATP, rejettent les ions Ca2+ dans le milieu extérieur, le réticulum endoplasmique lisse ou la mitochondrie, et contribuent à maintenir une faible concentration cytosolique en calcium ; les transporteurs Na+/Ca2+ et Na+/H+, qui permettent la sortie respective d’ions Ca2+ et H+ contre leur gradient électrochimique, grâce à l’entrée de Na+ dans le sens de son gradient. Ces différents transporteurs sont illustrés à la Figure 6. 35 Figure 6 : Principaux transporteurs impliqués dans l'équilibre électrochimique de la cellule (d’après Sanada et al., 2011) ATP : adénosine triphosphate ; R. sarc. : réticulum sarcoplasmique Les canaux de fuite sont représentés en bleu, les transporteurs actifs primaires en rouge et les transporteurs actifs secondaires en vert. Lors d’ischémie généralisée, la glycolyse anaérobie prévaut dans toutes les cellules de l’organisme. L’accumulation d’acide pyruvique, et surtout d’acide lactique, engendre une baisse du pH intracellulaire, ce qui modifie les échanges ioniques. En effet, pour contrer la chute de pH, les protons qui s’accumulent dans la cellule sont excrétés de façon accélérée par le transporteur Na+/H+, ce qui provoque une acidose extracellulaire et une entrée excessive de Na+ dans la cellule. Parallèlement, la déplétion des réserves énergétiques empêche les ATPases de fonctionner : les sorties de calcium et de sodium hors de la cellule est rendu impossible. Des surcharges intracellulaires sodique et calcique apparaissent (Ayoub et al., 2008 ; Murphy et Steenbergen, 2008 ; Sanada et al., 2011 ; Penna et al., 2013). À la reperfusion, les échanges ioniques assurés par le transporteur Na+/H+ sont intensifiés. En effet, la normalisation rapide du pH extracellulaire crée un gradient de protons important au travers de la membrane plasmique, entraînant une sortie massive d’H+ et par conséquent un influx massif de Na+. Ce gradient non physiologique peut aussi provoquer le fonctionnement de l’échangeur Na+/Ca2+ en mode « reverse » de façon à excréter le sodium intracellulaire en surplus. Il s’ensuit donc une surcharge calcique intracellulaire (Ayoub et al., 2008 ; Murphy et Steenbergen, 2008 ; Sanada et al., 2011 ; Penna et al., 2013). Cette concentration cytosolique élevée en calcium provoque des dommages cellulaires par l’activation de diverses enzymes, comme des nucléases, des phospholipases et des protéases, 36 conduisant éventuellement à la mort cellulaire si la période d’ischémie a été suffisamment longue (Penna et al., 2013). Les modifications des échanges ioniques sont ainsi différentes en fonction du temps qui s’est écoulé depuis le début de l’épisode ischémique. Des études d’ischémie cérébrale expérimentale chez le rat montrent que l’on distingue ainsi trois phases (Congar, 1998) : - - Durant les soixante à soixante-quinze premières secondes qui suivent le début de l’épisode ischémique, il n’y a pas de modifications notables de l’équilibre ionique. Deux à trois minutes après le début de l’ischémie, la concentration extracellulaire en K+ augmente progressivement suite à l’arrêt de fonctionnement de la pompe Na+/K+, alors que la concentration intracellulaire de Na+ n’est pas modifiée. Cela est à relier avec l’activité du transporteur Na+/Ca2+, qui participe à l’augmentation de la concentration intracellulaire en calcium initialement engendrée par l’arrêt des Ca2+ATPases. Plus de trois minutes après le début de l’ischémie, la concentration extracellulaire en K+ continue d’augmenter, alors que celle des ions Na+ et Ca2+ diminue. Les surcharges intracellulaires sodique et calcique provoquent un appel d’eau par déséquilibre osmotique. Le gonflement cellulaire engendré peut aller jusqu’à la destruction de la cellule par lyse. 3. Production massive d’espèces réactives de l’oxygène Les espèces réactives de l’oxygène sont des substances dotées d’un électron non apparié dans leur couche externe. Lors d’ischémie généralisée, ce sont essentiellement les radicaux superoxyde (O2•-) et hydroxyl (OH•), le monoxyde d’azote (NO•), le peroxyde d’hydrogène (H2O2) et les peroxynitrites (ONOO-) qui sont mis en jeu. Ces molécules sont produites en faibles quantités en situation physiologique et sont capitales pour les régulations intracellulaires et l’élimination des déchets moléculaires ; elles fonctionnent aussi comme déclencheur de la cascade du préconditionnement (Raedschelders et al., 2012). Elles sont normalement détoxifiées au fur et à mesure de leur production par des antioxydants naturels, comme la superoxyde dismutase, la glutathion peroxydase, le glutathion ou les catalases (Broughton et al., 2009 ; Raedschelders et al., 2012). Cependant, les systèmes d’élimination sont dépassés lorsque ces radicaux sont produits en masse lors d’ischémie et de reperfusion. a. Cas particulier de l’anion superoxyde Cette espèce réactive de l’oxygène est principalement produite au niveau de la chaîne respiratoire mitochondriale lors du transfert d’électrons, comme illustré à la Figure 7. 37 Figure 7 : Schéma simplifié de la production d'anions superoxydes au niveau de la chaîne respiratoire en situation physiologique et lors d'ischémie-reperfusion (d’après Raedschelders et al., 2012) ADP : adénosine diphosphate ; ATP : adénosine triphosphate ; cyt-c : cytochrome C ; e- : électron ; FAD : flavine adénine dinucléotide ; H+ : proton ; NAD : nicotinamide adénine dinucléotide ; TCA cycle : cycle de l’acide tricarboxylique (cycle de Krebs) I, II, III et IV : complexes de la chaîne respiratoire (1) à gauche : production d’anions superoxydes en situation physiologique (2) au milieu : production d’anions superoxydes lors d’ischémie (3) à droite : production d’anions superoxydes lors de la reperfusion L’anion superoxyde est produit en faible quantité dans les mitochondries de cellules normales à l’occasion de fuites d’électrons au niveau de la chaîne respiratoire (Figure 7 (1)). Cette production se fait au niveau des complexes III et au niveau du complexe I de la NADH deshydrogénase. Toutefois, la présence d’enzymes antioxydantes, notamment la superoxyde dismutase, permet la conversion de O2•- en O2 et H2O2, ce dernier étant lui-même converti en eau par la catalase ou par la glutathion peroxydase (Raedschelders et al., 2012). Lors d’ischémie (Figure 7 (2)), la quantité résiduelle d’oxygène permet encore la production d’espèces réactives de l’oxygène, comme l’anion superoxyde (Murphy et Steenbergen, 2008). Ce dernier engendre notamment la peroxydation de la cardiolipine, un lipide de la membrane mitochondriale dont l’intégrité est essentielle pour l’activité du complexe IV de la cytochrome oxydase (Raedschelders et al., 2012). Le flux d’électrons est donc inhibé au-delà de ce complexe, et la réduction partielle de l’oxygène en anion superoxyde est favorisée au niveau du complexe III. Par ailleurs, l’arrêt du fonctionnement du cycle de Krebs lors d’ischémie empêche la régénération du NAD+ en NADH, engendrant une augmentation du ratio NADH/NAD+, et donc de la production d’O2•- au niveau du complexe I. À la reperfusion (Figure 7 (3)), le cycle de Krebs reprend. Un transfert plus important d’électrons a donc lieu au niveau des trois premiers complexes de la chaîne respiratoire, mais les dommages occasionnés au niveau du complexe de la cytochrome oxydase étant persistants, le flux d’électrons est toujours inhibé au-delà du complexe III. Une production massive d’anions superoxydes a donc lieu au niveau de ce complexe (Murphy et Steenbergen, 2008 ; Raedschelders et al., 2012). 38 La production d’anions superoxydes peut aussi se faire par le système enzymatique de la xanthine deshydrogénase/xanthine oxydase. Lorsque les conditions d’oxygénation sont normales, l’ATP est dégradé successivement en ADP, adénosine monophosphate (AMP), inosine puis hypoxanthine. La xanthine deshydrogénase catalyse l’oxydation catabolique de l’hypoxanthine en xanthine, puis en acide urique, par réduction concomitante du NAD+ en NADH (Vajdovich, 2008 ; Raedschelders et al., 2012). Hypoxanthine + NAD+ → Xanthine + NADH Xanthine + NAD+ → Acide urique + NADH (Eq. 1a) (Eq. 1b) Lors d’ischémie, sous l’effet d’une stimulation de protéases par l’augmentation du calcium intracellulaire, la xanthine deshydrogénase est convertie en xanthine oxydase. Cette dernière est toujours capable de convertir l’hypoxanthine en acide urique, mais elle le fait en réduisant parallèlement une molécule d’oxygène en ion superoxyde (Vajdovich, 2008 ; Raedschelders et al., 2012). Hypoxanthine + O2 → Xanthine + O2•Xanthine + O2 → Acide urique + O2•- (Eq. 2a) (Eq. 2b) Par conséquent, en conditions d’hypoxie, l’absence de xanthine deshydrogénase et d’oxygène, permettant la transformation de l’hypoxanthine en acide urique selon les équations 1 et 2 respectivement, entraîne une accumulation d’hypoxanthine dans les tissus. À la reperfusion, la restauration d’une oxygénation normale assure cette transformation grâce à la xanthine oxydase, parallèlement à la production massive d’anions superoxydes (Sanada et al., 2011 ; Raedschelders et al., 2012). Sous l’effet des dommages cellulaires et endothéliaux, le système immunitaire est également activé à la reperfusion, entraînant un afflux important de neutrophiles (Raedschelders et al., 2012). Ces cellules expriment le complexe enzymatique de la NAD(P)H oxydase, qui catalyse la réaction suivante, responsable elle aussi de la production d’anions superoxydes : NAD(P)H + 2 O2 → NAD(P)+ + H+ + O2•b. Cas des autres espèces réactives de l’oxygène D’autres espèces réactives de l’oxygène sont impliquées dans les lésions d’ischémiereperfusion. Leur modalité de production est indiquée dans le Tableau 6. Il est à noter que la production d’espèces réactives de l’oxygène peut également se faire par d’autres voies, comme celles impliquant la phospholipase A et l’acide arachidonique (Kohlhauer, 2012). 39 Tableau 6 : Origine des autres espèces réactives de l'oxygène (d’après Raedschelders et al., 2012) Espèce réactive de l’oxygène Origine de sa production accrue lors d’ischémie-reperfusion - Monoxyde d’azote (NO•) Anion peroxynitrite (ONOO-) Radical hydroxyl (OH•) - Oxydation de la L-arginine (L-arg) en L-citrulline (L-cit), catalysée par une monoxyde d’azote synthase : L-arg + NADPH + H+ + O2 → L-cit + NADP+ + NO• + H2O Réduction de nitrite : 2 NO2- + 4 H+ → 2 H2O + 2 NO• Réaction entre le monoxyde d’azote et l’anion superoxyde : NO• + O2•- → ONOORéaction d’Haber-Weiss : O2•- + H2O2 → O2 + OH• + OHc. Conséquences L’interaction des espèces réactives de l’oxygène avec d’autres composés est à l’origine d’une série de réactions en chaîne qui détruisent les membranes cellulaires (Kohlhauer, 2012) : - - La formation du radical d’origine, comme l’O2•-, le NO•, l’OH•, constitue la phase d’initiation ; Au cours de la phase de propagation, ce radical réagit avec un acide gras ou un phospholipide pour former d’autres composés instables de type hydroperoxyde ROO •, susceptibles d’oxyder à leur tour des acides gras ou des phospholipides ; Deux radicaux libres finissent par réagir entre eux, ce qui aboutit à la formation d’un composé stable de type ROOH ou RH : c’est la phase de terminaison. En plus de compromettre l’intégrité fonctionnelle des membranes lipidiques, les espèces réactives de l’oxygène sont également susceptibles d’entraîner l’oxydation ou la nitration de protéines, pouvant aboutir à l’activation de protéines pro-apoptotiques ou pronécrotiques. Elles sont également à l’origine de dommages de l’ADN (Vajdovich, 2008 ; Raedschelders et al., 2012). 4. Les altérations mitochondriales En conditions physiologiques, les mitochondries sont les principaux organites générant de l’ATP. Elles prennent aussi part à des processus métaboliques et des voies de signalisation divers, comme la division cellulaire, et régulent la vie et la mort cellulaires. Lorsque la perfusion tissulaire est normale, elles consomment beaucoup d’oxygène pour produire de l’énergie, et la perte d’électrons au niveau de la chaîne respiratoire est minime. Elles contribuent en outre à la production et la capture d’espèces réactives de l’oxygène, et sont impliquées dans l’homéostasie ionique cellulaire en particulier celle du calcium (Murphy et Steenbergen, 2008 ; Penna et al., 2013). 40 La surcharge calcique cytosolique provoquée par l’ischémie et la reperfusion est considérée comme étant l’effecteur primaire des lésions mitochondriales. En effet, les mitochondries sont capables de stocker de grandes quantités de calcium d’origine cytosolique. Ce processus est régulé par l’uniport calcique pour l’influx, et par le transporteur Na+/Ca2+ pour l’efflux. Ce dernier est cependant facilement saturé, ce qui entraîne rapidement une surcharge calcique matricielle (Ayoub et al., 2008). De nombreuses études ont montré qu’à la reperfusion, le rétablissement d’un pH normal, le stress oxydatif et surtout la surcharge calcique provoquaient une transition de perméabilité mitochondriale, définie comme une augmentation de la perméabilité de la membrane interne mitochondriale vis-à-vis de solutés de masse moléculaire ne dépassant pas 1 500 kDa (Di Lisa et Bernardi, 2009 ; Penna et al., 2013). Cette transition se fait par la formation et l’ouverture d’un pore, appelé pore de perméabilité de transition mitochondrial (PPTm) (Ayoub et al., 2008 ; Murphy et Steenbergen, 2008 ; Di Lisa et Bernardi, 2009 ; Penna et al.,2013). Ce pore est un canal voltage-, calcium-, redox- et pH-dépendant situé dans la membrane interne mitochondriale (Di Lisa et Bernardi, 2009). Sa composition exacte n’est pas connue, mais à ce jour, il est supposé être constitué des protéines VDAC (canal anionique voltage-dépendant) au niveau de la membrane mitochondriale externe, ANT (adénine nucléotide translocase) au niveau de la membrane mitochondriale interne, et de cyclophiline D au niveau de la matrice (Penna et al., 2013). De par ses caractéristiques, l’ouverture du PPTm est favorisée par la dépolarisation de la membrane plasmique mitochondriale, par une concentration calcique matricielle élevée, par les espèces réactives de l’oxygène et par un pH matriciel aux alentours de 7,3 (Di Lisa et Bernardi, 2009), conditions que l’on retrouve au moment de la reperfusion. Le rôle du phosphate inorganique en tant que promoteur d’ouverture du PPTm est discuté (Di Lisa et Bernardi, 2009). Pendant un épisode ischémique, malgré la présence d’une plus faible quantité d’ATP, d’une surcharge calcique et de la formation d’espèces réactives de l’oxygène, le PPTm reste fermé, car l’acidose inhibe son ouverture (Penna et al., 2013). L’ischémie est cependant considérée comme une phase préparatrice de l’ouverture car elle engendre les modifications ioniques et énergétiques qui lui seront nécessaires. L’ouverture s’accompagne également d’une entrée excessive d’eau dans la matrice qui se met donc à gonfler. Ce gonflement peut aller jusqu’à la rupture de la membrane externe, libérant ainsi tout le contenu de la matrice, notamment certains facteurs pro-apoptotiques comme le cytochrome C, dans l’espace intermembranaire. La perte de ce dernier, ainsi que celle de pyridines nucléotides, provoquent par ailleurs une inhibition de la respiration mitochondriale (Di Lisa et Bernardi, 2009 ; Penna et al., 2013). Cette inhibition du transfert d’électrons au niveau de la chaîne respiratoire explique la production accrue d’espèces réactives de l’oxygène observée suite à l’ouverture du PPTm. L’ouverture du PPTm est ainsi considérée comme l’un des évènements clés dans le passage des lésions réversibles à irréversibles pendant les premières minutes de la reperfusion. 41 Elle joue en particulier un rôle majeure dans l’induction de la mort cellulaire (Penna et al., 2013). 5. Le « no-reflow » Le « no-reflow » est un retard de perfusion tissulaire en relation avec une obstruction microvasculaire. Ainsi, malgré la levée de l’obstruction et le rétablissement d’une perfusion normale à l’échelle macrovasculaire, un défaut de reperfusion capillaire persiste. Le concept de « no-reflow » a été pour la première fois suggéré lors d’ischémie cérébrale. Depuis, il a été démontré que ce phénomène existait également pour d’autres organes, comme la peau, le muscle squelettique, le rein et le cœur (Rezkalla et Kloner, 2002). Le mécanisme exact du « no-reflow » n’est pas connu. Le processus débuterait pendant la période ischémique et s’amplifierait à la reperfusion. La rupture de plaque d’athérosclérose aggraverait le « no-reflow » (Rezkalla et Kloner, 2002). Ainsi, des modifications de l’endothélium des capillaires, l’accumulation intra-luminale de plaquettes, de leucocytes et de fibrine, les epèces réactives de l’oxygène, des anomalies fonctionnelles vasculaires, l’œdème intracellulaire et interstitiel seraient des facteurs potentiellement mis en jeu dans le phénomène de « no-reflow » (Reffelmann et Kloner, 2002). Ces mécanismes sont illustrés à la Figure 8. Figure 8 : Représentation schématique des mécanismes susceptibles d'intervenir dans le phénomène de « no-reflow » (d'après Reffelmann et Kloner, 2002) ERO : espèces réactives de l’oxygène ; GR : globules rouges 42 B. La mort cellulaire, conséquence des lésions d’ischémie-reperfusion La mort cellulaire qui suit les phénomènes d’ischémie-reperfusion a des caractéristiques de nécrose, d’apoptose et d’autophagie. 1. Nécrose La nécrose est caractérisée par un gonflement des cellules, conduisant à une rupture de la membrane plasmique et à un relargage des constituants cytosoliques. Cela mène secondairement à une réponse inflammatoire pouvant avoir des conséquences pathologiques majeures (Murphy et Steenbergen, 2008 ; Kalogeris et al., 2012). La nécrose fait souvent suite à un traumatisme physique ou chimique subi par la cellule, et a par conséquent pendant longtemps été considérée comme un processus passif et accidentel de mort cellulaire. Cependant, des études récentes ont suggéré que la nécrose était un mécanisme régulé par une série d’évènements. L’initiation et l’exécution de la nécrose impliquent ainsi les récepteurs de mort, les espèces réactives de l’oxygène, le calcium et l’ouverture du PPTm (Chiong et al., 2011 ; Kalogeris et al., 2012). De même, la rupture de la membrane plasmique peut par exemple être facilitée par l’activation de calpaïnes ou par clivage du cytosquelette par une protéase (Murphy et Steenbergen, 2008). Dans le cas particulier de l’ischémie et de la reperfusion, c’est principalement l’ouverture du PPTm, provoquée par la surcharge calcique intracellulaire puis intramatricielle, qui induit la nécrose (Chiong et al., 2011 ; Penna et al., 2013). En effet, si la majorité des mitochondries d’une cellule subit cette ouverture du PPTm, la cellule devient incapable de synthétiser de l’ATP et perd sa capacité à maintenir l’homéostasie ionique, résultant ainsi en un gonflement cellulaire, une rupture membranaire et la mort cellulaire par nécrose. En revanche, si l’ouverture du PPTm ne concerne qu’un petit nombre de mitochondries, la cellule meurt par apoptose. 2. Apoptose Contrairement à la nécrose, l’apoptose met en jeu des phénomènes actifs, consommateurs d’ATP. Elle ne s’accompagne pas d’un relargage des constituants cellulaires. Par conséquent, la réponse inflammatoire qui l’accompagne est faible, voire inexistante (Murphy et Steenbergen, 2008 ; Kalogeris et al., 2012). Comme illustré à la Figure 9, il existe deux voies conduisant à l’activation de l’apoptose : les voies extrinsèque et intrinsèque. 43 Figure 9 : Représentation schématique des voies apoptotiques intrinsèque et extrinsèque (d’après Kohlhauer, 2012) AIF : apoptosis inducing factor ; Bid : BH3 interacting domain death agonist ; Cytc : cytochrome C ; FADD : Fas-associated death domain protein ; FasL : ligand du récepteur Fas ; FasR : récepteur Fas ; PPTm : pore de transition de perméabilité mitochondrial ; PARP : poly(ADP-ribose) polymérase ; tBid : truncated Bid En bleu : mécanismes impliqués dans la voie intrinsèque En rouge : mécanismes impliqués dans la voie extrinsèque En noir : mécanismes communs aux deux voies a. La voie intrinsèque La mitochondrie est le principal acteur impliqué dans le déclenchement de la voie intrinsèque. L’augmentation de la concentration calcique intracellulaire entraîne l’activation de calpaïnes, elles-mêmes activant le BH3 interacting domain death agonist (Bid), protéine pro-apoptotique. Sa fixation à la membrane mitochondriale entraîne l’activation d’autres protéines pro-apoptotiques, telles que le Bcl-2 homologous antagonist/killer (Bak), la Bcl-2 associated X protein (Bax) et la Bcl-2 antagonist of cell death protein (Bad), et peut également provoquer l’ouverture du PPTm. Celle-ci entraîne le relargage dans le cytosol de deux groupes de protéines pro-apoptotiques : - 44 le cytochrome C, mais aussi le second mitochondria-derived activator of caspases (Smac/DIABLO) et la sérine protéase HtrA2/Omi. Ces protéines sont impliquées dans l’activation de caspases, processus qui nécessite de l’ATP. Le cytochrome C se lie ainsi avec la procaspase 9 et la protéine cytosolique Apaf-1 pour former un complexe avec l’ATP : l’apoptosome. Il permettra par la suite l’activation de la caspase 9 puis de - la caspase 3 qui, en inactivant la poly(ADP-ribose) polymérase, entraîne une condensation et une fragmentation de l’ADN (Murphy et Steenbergen, 2008 ; Broughton et al., 2009 ; Kalogeris et al., 2012). l’apoptosis inducing factor (AIF) et l’endonucléase G. L’apoptose induite par l’AIF n’implique pas l’activation de caspases et peut donc se réaliser lors de déplétion énergétique. Après translocation au niveau du noyau d’une cellule, l’AIF entraîne une fragmentation large de l’ADN et une condensation périphérique de la chromatine (Broughton et al., 2009). Notons également que les espèces réactives de l’oxygène sont elles aussi capables de léser l’ADN. En réponse à ces lésions, le facteur de transcription p53 arrête le cycle cellulaire et déclenche l’apoptose en favorisant l’expression de protéines pro-apoptotiques et en inhibant celle des protéines anti-apoptotiques (Broughton et al., 2009). b. La voie extrinsèque La voie extrinsèque fait intervenir des récepteurs de mort, situés au niveau de la membrane plasmique et appartenant à la superfamille des tumor necrosis factor receptors (TNFR). Les ligands susceptibles d’être impliqués sont surtout Fas, mais aussi le tumor necrosis factor-α (TNFα) ou le tumor necrosis factor related apoptosis inducing ligand (TRAIL) (Broughton et al., 2009 ; Chiong et al., 2011 ; Kalogeris et al., 2012). La liaison du ligand Fas (FasL) avec son récepteur entraîne le recrutement de la Fasassociated death domain protein (FADD) qui se fixe à la procaspase 8. Le complexe ainsi formé est appelé complexe de signalisation de mort induite et provoque l’activation des caspases 8, puis 3, qui entraîne par la suite des lésions de l’ADN selon le même mécanisme que celui expliqué ci-dessus (Broughton et al., 2009). La caspase 8 peut également activer Bid, entraînant l’ouverture du PPTm et le relargage du cytochrome C dans le cytosol. 3. Autophagie L’autophagie est un mécanisme physiologique qui permet à la cellule de se débarrasser des organites endommagés et des agrégats de protéines (Murphy et Steenbergen, 2008 ; Kalogeris et al., 2012). Face à des situations de stress, telles que la privation de nutriments, l’hypoxie, la dysfonction mitochondriale ou l’infection, l’autophagie permet la production d’acides aminés et d’acides gras et l’élimination des organites endommagés ou de pathogènes intracellulaires, et est donc considérée comme étant un mécanisme de survie de la cellule. Cependant, lorsqu’elle devient incontrôlée, elle peut conduire à la mort cellulaire. Il est donc difficile de prévoir le devenir d’une cellule en situation de stress, d’autant plus que l’autophagie et l’apoptose sont intimement reliées (Kalogeris et al., 2012). Le mécanisme d’autophagie se fait par l’expansion d’une membrane, appelée phagophore, autour du compartiment cellulaire ou de l’organite qui doit être éliminé. Lorsque 45 la membrane l’enveloppe complètement, on parle d’autophagosome. Ce dernier fusionne ensuite avec un lysosome, qui contient les enzymes nécessaires à la dégradation de l’organite en question (Kalogeris et al., 2012). Comme l’apoptose, ce processus n’induit pas de réaction inflammatoire. Il est lui aussi régulé, notamment par le mammalian target of rapamycin (mTOR), qui l’inhibe. Ce dernier est inactivé par l’ischémie, ce qui explique que l’autophagie soit « up-régulée » lors d’arrêt cardiaque (Kalogeris et al., 2012). On pourrait ainsi penser qu’elle participe aux lésions d’ischémie-reperfusion. Des études récentes ont cependant montré qu’inhiber l’autophagie aggravait les dommages tissulaires provoqués par l’ischémie-reperfusion, et que son induction pharmacologique conférait une protection face aux lésions d’ischémie-reperfusion (Kalogeris et al., 2012). Le rôle protecteur que joue donc l’autophagie est toutefois à moduler en fonction de la durée de l’épisode ischémique. La mort cellulaire suite aux lésions d’ischémie-reperfusion apparaît ainsi comme un mixte d’apoptose, d’autophagie et de nécrose. C’est un processus très actif qui peut être inhibé par différentes interventions. Les mitochondries apparaissent comme des médiateurs centraux et comme des régulateurs de ces différentes formes de mort cellulaire, en particulier par l’ouverture du PPTm (Murphy et Steenbergen, 2008 ; Penna et al., 2013). C. Cas particulier du cerveau La physiopathologie des lésions d’ischémie-reperfusion est quasiment la même en fonction des organes. Cependant, les dommages engendrés sont très variables. En effet, en fonction de l’organe affecté, ces dommages sont plus ou moins étendus, plus ou moins sévères, et plus ou moins réversibles. Le cerveau est ainsi l’organe le plus sensible à l’hypoxie. De nombreuses caractéristiques contribuent à cette sensibilité : - - 46 Le cerveau consomme 20 à 25 % de l’oxygène total, et possède ainsi l’activité métabolique par unité de poids la plus haute. Le substrat énergétique dont il a besoin est le glucose, mais il possède un faible stock de glucose ou de glycogène comparé à d’autres tissus. Les antioxydants sont présents en plus faibles quantité : c’est le cas pour la superoxyde dismutase, la catalase, la glutathion peroxydase. Les concentrations en cytochrome C oxydase sont également plus faibles, résultant en une production plus faible d’ATP et une libération plus importante d’anions superoxydes au niveau de la chaîne respiratoire mitochondriale. Les concentrations en acides gras polyinsaturés sont hautes, alors que ceux-ci sont très sensibles au stress oxydatif ; L’ischémie-reperfusion peut provoquer la libération excessive de certains neurotransmetteurs, comme le glutamate, pouvant causer la mort cellulaire (vide infra). L’arrêt cardiaque est à l’origine d’un arrêt de la circulation sanguine. Une ischémie généralisée se met ainsi très rapidement en place. L’absence d’oxygène interrompt la respiration mitochondriale, provoquant une déplétion des réserves énergétiques. Les cellules basculent en métabolisme anaérobie. L’acidose intracellulaire qui s’ensuit conduit à des déséquilibres électrolytiques, et en particulier à des surcharges intracellulaires calcique et sodique. Des espèces réactives de l’oxygène sont libérées du fait des fuites d’électrons au niveau de la chaîne respiratoire mitochondriale. À la reperfusion, la libération d’espèces réactives de l’oxygène devient massive et est à l’origine de dommages cellulaires importants. Parallèlement, les surcharges sodique et calcique s’aggravent. La surcharge calcique entraîne des altérations mitochondriales, et en particulier l’ouverture du PPTm, avec la libération consécutive du cytochrome C. Il est également à noter qu’une défaillance microcirculatoire peut persister dans certains capillaires du fait du phénomène de « no-reflow ». Tous ces évènements sont à l’origine d’une mort cellulaire, qui peut se faire par nécrose, par apoptose et par autophagie. Nous retiendrons également l’extrême sensibilité du cerveau aux lésions d’ischémie-reperfusion. 47 48 III. Diagnostic de l’arrêt cardiaque et grands principes de la réanimation cardio-pulmonaire chez les carnivores domestiques A. Modalités diagnostiques de l’arrêt cardiaque 1. Signes cliniques avant-coureurs Les chances de survie suite à un arrêt cardiaque sont étroitement dépendantes de la rapidité de sa prise en charge, d’où la nécessité d’établir un diagnostic précoce. Plusieurs signes précurseurs doivent alerter (Souplet, 2006 ; Plunkett et McMichael, 2008 ; Peltier, 2009) : - - - - Manifestations respiratoires, d’autant que chez les carnivores domestiques, l’arrêt respiratoire précède souvent l’arrêt cardiaque : o Changement brutal de la ventilation : bradypnée, modification de l’amplitude des mouvements respiratoires, augmentation de la pression téléexpiratoire en dioxyde de carbone (PEtCO2) ; o Signes d’hypoxie : cyanose des muqueuses, diminution de la saturation pulsée en oxygène (SpO2), diminution de la pression artérielle partielle en oxygène (PaO2). Manifestations cardiovasculaires : o Affaiblissement du pouls artériel, hypotension ; o Bradycardie ; o Tachyarythmie sévère ; o Allongement du temps de recoloration capillaire (TRC supérieur à 3 secondes), mais ce dernier peut rester normal même après quelques minutes d’arrêt ; o Bruits cardiaques sourds à l’auscultation. Manifestations neurologiques : o Conscience altérée de façon progressive ; o Mydriase. Modification de la position de l’animal : o En particulier le décubitus latéral chez le chat. Température corporelle : o L’hypothermie augmente la sensibilité myocardique aux déséquilibres acidobasiques et déprime la ventilation. Ces différents signes d’appel sont à rechercher systématiquement chez les animaux à risque d’arrêt cardiorespiratoire, comme ceux atteints de sepsis, d’insuffisance cardiaque, d’affections pulmonaires ou tumorales, de coagulopathie, de traumatismes, ou ceux subissant une anesthésie générale (Plunkett et McMichael, 2008). Le Tableau 7 présente les techniques de surveillance judicieuses à mettre en place chez ces animaux. Leur réalisation répétée combinée à un examen clinique approprié peut permettre d’anticiper l’arrêt cardiorespiratoire. 49 Tableau 7 : Examens complémentaires à mettre en place pour une surveillance efficace des animaux à risque (d'après Maitre et Goy-Thollot, 2008 ; Plunkett et McMichael, 2008 ; Kohlhauer, 2012) ECG : électrocardiogramme ; PAS : pression artérielle systolique Examen complémentaire Suivi de la pression artérielle par Doppler ou oscillométrie Oxymétrie de pouls Capnographie Informations obtenues - Mesure non invasive et peu coûteuse Défaillance circulatoire si PAS < 60 mmHg - Fréquence cardiaque Saturation en oxygène de l’hémoglobine Peu fiable pour anticiper l’arrêt cardiaque (artefacts liés au positionnement du capteur) Évaluation de la capacité ventilatoire pulmonaire Méthode très fiable pour détecter une défaillance respiratoire Pas d’information sur l’activité mécanique du coeur Détection des arythmies : Tachycardie ventriculaire (Figure 10), caractérisée à l’ECG par une fréquence cardiaque supérieure à 180 bpm et des complexes QRS larges. Cette arythmie peut évoluer vers la fibrillation ventriculaire. Bradycardie sinusale, caractérisée par une fréquence cardiaque inférieure à 40-60 bpm chez les chiens et inférieure à 120-140 bpm chez les chats, avec un rythme sinusal normal à l’ECG. Les causes possibles sont une augmentation du tonus vagal, une hypothermie, une augmentation de la pression intracrânienne et certains prinicpes actifs. - - Électrocardiogramme - Figure 10 : Tracé ECG d’une tachycardie ventriculaire (d’après Kohlhauer, 2012) 0,5 V 0,2 sec 50 2. Symptômes de l’arrêt cardiaque Le diagnostic de l’arrêt cardiaque chez l’animal est simple et rapide. Il met en jeu les fonctions circulatoire, respiratoire et neurologique (Souplet, 2006 ; Plunkett et McMichael, 2008 ; Kohlhauer, 2012). - Symptômes circulatoires : La fonction circulatoire est inefficace. Le pouls fémoral n’est ainsi pas palpable (pression artérielle systolique (PAS) < 60 mmHg), le choc précordial n’est plus perceptible (PAS < 50 mmHg) et aucun bruit cardiaque n’est audible à l’auscultation (PAS < 40-50 mmHg). L’inefficacité de la fonction circulatoire doit être objectivée par au moins deux de ces signes. - Symptômes respiratoires : Le plus souvent, les mouvements respiratoires sont absents. Ils peuvent parfois persister, mais la respiration est anormale et inefficace : on parle de respiration agonique ou de « gasping ». Les muqueuses de l’animal sont également cyanosées. - Symptômes neurologiques : Ils se manifestent par une perte de conscience, qui survient dans 10-15 premières secondes d’hypoxie cérébrale chez l’animal. Ce dernier ne réagit plus aux stimuli et présente une hypotonie généralisée. Une mydriase aréflective bilatérale apparaît 30 à 45 secondes après l’hypoxie cérébrale, et le réflexe cornéen disparaît. 3. Examen complémentaire L’électrocardiogramme est l’examen complémentaire de choix lors d’arrêt cardiaque. En effet, en fonction du rythme cardiaque identifié, et en particulier s’il est choquable ou non, les modalités thérapeutiques peuvent différer. Comme il a été mentionné plus haut, les quatre principaux rythmes identifiés lors d’arrêt cardiaque sont l’asystolie, l’activité électrique sans pouls, la tachycardie ventriculaire et la fibrillation ventriculaire, les deux premiers étant des rythmes non choquables et les deux derniers des rythmes choquables. a. Asystolie L’asystolie est identifiée dans 80 % des arrêts cardiaques chez les carnivores domestiques (Hofmeister et al., 2009). Elle peut résulter d’affections sévères diverses, de traumas et d’une augmentation du tonus vagal (Plunkett et McMichael, 2008). Le tracé ECG d’un tel rythme est présenté à la Figure 11. Il montre une ligne plate isoélectrique, mais peut également se présenter comme une succession d’ondes P seules. Les activités électrique et mécanique du cœur étant inexistantes dans ce cas, aucun pouls n’est palpable à l’examen clinique (Wingfield, 2001). 51 Figure 11 : Tracé ECG d'une asystolie (d’après Maitre et Goy-Thollot, 2008) b. Activité électrique sans pouls Également appelée dissociation électromécanique, l’activité électrique sans pouls est identifiée dans 11 % des arrêts cardiaques chez les carnivores domestiques (Hofmeister et al., 2009). Elle se caractérise par la présence d’une activité électrique cardiaque, mais par l’absence d’une activité mécanique efficace, qui ne permet donc pas d’avoir un débit cardiaque ou un pouls adéquats. Ce manque de contractilité est dû à la déplétion des réserves myocardiques en oxygène (Wingfield, 2001). Les causes de dissociation électromécanique sont ainsi nombreuses : hypovolémie, hypoxie, acidose sévère, pneumothorax, tamponnade cardiaque, embolie pulmonaire, hypothermie… (Souplet, 2006) Le tracé ECG peut prendre tous les aspects possibles (normal, rythme idioventriculaire, bloc atrio-ventriculaire…) et aucun pouls n’est palpable à l’examen clinique (Peltier, 2009). c. Fibrillation ventriculaire et tachycardie ventriculaire Ces rythme sont identifiés dans respectivement 7 % et 1 % des arrêts cardiaques chez les carnivores domestiques (Hofmeister et al., 2009). La fibrillation ventriculaire se caractérise par une activité ventriculaire chaotique, désorganisée et ectopique. Les cellules myocardiques se dépolarisent de façon anarchique et non synchrone, sans générer d’activité mécanique efficace. La perfusion du myocarde étant normalement permise en diastole par les artères coronaires, et le cœur étant, lors de fibrillation ventriculaire, en systole permanente, cette perfusion s’en trouve compromise (Wingfield, 2001). Comme illustré à la Figure 12, l’ECG montre des trémulations plus ou moins amples de la ligne de base sans aucune dépolarisation normale (pas d’ondes P, ni de complexes QRS ou d’ondes T). On distingue également les fibrillations ventriculaires à petites mailles (faible amplitude, désorganisation complète des contractions) de celles à grandes mailles (dépolarisations amples, contractions plus organisées en apparence). Des études expérimentales ont montré que les fibrillations ventriculaires à grandes mailles étaient associées à une probabilité plus élevée de RACS (Fletcher et al., 2012). 52 Figure 12 : Tracé ECG d'une fibrillation ventriculaire (d’après Maitre et Goy-Thollot, 2008) B. La réanimation cardio-pulmonaire Des recommandations cliniques internationales, ou guidelines, pour la RCP chez l’Homme ont été rédigées pour la première fois par l’American Heart Association (AHA) il y a une cinquantaine d’années. Leur mise à jour régulière a conduit à de nombreux progrès en termes de survie. Les guidelines actuelles datent de 2010. Pendant des années, aucune recommandation internationale consensuelle de ce type n’existait pour la pratique vétérinaire, et les principes de la réanimation dérivaient de ceux utilisés en médecine humaine ou d’avis de vétérinaires experts (Boller et Fletcher, 2012). L’absence de formation standardisée et de consensus concernant les pratiques de réanimation existantes a ainsi conduit à des approches hétérogènes de la RCP en médecine vétérinaire, et ce au détriment des patients (Boller et al., 2010). Ce n’est qu’en 2012 qu’un Reassesment Campaign on Veterinary Resuscitation (RECOVER) n’a été désigné pour la rédaction de guidelines pour la pratique de la RCP chez les carnivores domestiques (Fletcher et al., 2012). Les principales recommandations retenues sont présentées sur l’algorithme décisionnel à la Figure 13. Le but de la réanimation est d’assurer une oxygénation et une perfusion myocardique et cérébrale. On distingue ainsi trois grandes phases (Fletcher et al., 2012) : - - - La réanimation cardio-pulmonaire de base (Basic Life Support), permettant la suppléance des fonctions vitales. Elle comprend la reconnaissance de l’arrêt cardiaque, le massage cardiaque et la mise en place d’une ventilation artificielle. La réanimation cardio-pulmonaire avancée (Advanced Life Support), assurant le soutien de ces fonctions vitales. Elle comprend l’accès à une voie veineuse et l’administration de molécules de soutien cardiovasculaire, la défibrillation si le rythme identifié à l’ECG est choquable, et la correction des déficits volémiques et des déséquilibres acido-basiques. La réanimation cardio-pulmonaire prolongée, comprenant les soins post-arrêt cardiaque. Ces derniers seront abordés dans une partie ultérieure. 53 Figure 13 : Algorithme décisionnel de la réanimation cardio-pulmonaire chez les carnivores domestiques (d'après Fletcher et al., 2012) AC : arrêt cardiaque ; C/V : compression/ventilation ; DEM : dissociation électromécanique ; ECG : électrocardiogramme ; FV : fibrillation ventriculaire ; PEtCO2 : pression téléexpiratoire en dioxyde de carbone ; RACS : reprise d’activité cardiaque spontanée ; RCP : réanimation cardio-pulmonaire ; TV : tachycardie ventriculaire Perte de conscience, apnée Début de la RCP RCP de base Un cycle = 2 minutes 1. Massage cardiaque 2. Ventilation 100 - 120 compressions/min Rapport C/V = 30/2 RCP avancée 3. Surveillance 4. Accès voie veineuse ECG, PEtCO2 5. Antagonistes Naloxone, Atipamézole, Flumazénil Évaluation du patient par ECG FV/TV sans pouls RACS Asystolie/DEM Poursuite RCP de base Poursuite RCP de base - Défibrillation ou coup de poing précordial - Adrénaline à chaque cycle - Atropine à chaque cycle Si échec défibrillation Si AC > 10 min - Amiodarone/lidocaïne - Adrénaline - Augmentation énergie de défibrillation - Adrénaline à forte dose Changement de masseur 54 Soins postAC 1. La suppléance des fonctions vitales Le diagnostic précoce d’un arrêt cardiaque est crucial. En effet, les chances de survie et le statut neurologique du patient dépendent étroitement de la durée écoulée entre l’arrêt cardiorespiratoire et le début de la RCP (Fletcher et al., 2012). Celle-ci doit donc être débutée immédiatement après reconnaissance de l’arrêt, et ce même en cas de doute compte tenu des faibles risques lésionnels qu’elle engendre (Fletcher et al., 2012). En pratique, on estime qu’elle doit intervenir dans les 10 à 15 minutes suivant l’arrêt. Les répercussions sur la fonction neurologique deviennent sévères au-delà de 15 minutes (Souplet, 2006). a. Le massage cardiaque Le massage cardiaque doit être initié dès que possible après la reconnaissance d’un arrêt cardiaque. Il permet de pomper le sang du thorax vers les organes vitaux lors des compressions thoraciques, et assure le retour veineux vers le thorax lors de la relaxation de la paroi thoracique (Plunkett et McMichael, 2008). Le but premier du massage cardiaque est de maximiser les perfusions cérébrale et myocardique, notamment par le maintien de la pression de perfusion cérébrale (PPC) (différence entre la pression artérielle moyenne (PAM) et la pression intracrânienne (PIC)) et de la pression de perfusion coronaire (PPCo) (différence entre la pression aortique ou artérielle et la pression dans l’atrium droit lors de décompression thoracique). La valeur de cette dernière au cours de la RCP est fortement corrélée à la probabilité de RACS et à la survie (Plunkett et McMichael, 2008 ; Boller et al., 2012). La perfusion cérébrale est assurée pendant la phase de compression thoracique, et la perfusion myocardique pendant la phase de décompression thoracique (Wingfield, 2001). Le massage cardiaque peut se réaliser de deux manières différentes en fonction de la clinique. On distingue ainsi : - le massage cardiaque externe le massage cardiaque interne i. Le massage cardiaque externe Généralités Compte tenu des différences considérables de taille et de conformation thoracique entre les chiens et les chats, et entre les races de chiens, il existe plusieurs techniques pour optimiser les compressions thoraciques. En effet, deux théories expliquent le mécanisme par lequel le massage cardiaque externe conduit à la circulation sanguine : 55 Mécanisme de la pompe cardiaque Dans le mécanisme de la pompe cardiaque, le massage cardiaque assure directement une compression du cœur entre le sternum et la colonne vertébrale chez les patients en décubitus dorsal, ou entre deux volets costaux chez les patients en décubitus latéral (Plunkett et McMichael, 2008 ; Boller et al., 2012 ; Fletcher et al., 2012). La compression thoracique s’assimile à une systole artificielle. En augmentant la pression intra-ventriculaire, elle ferme les valves atrio-ventriculaires, ouvre les valves artérielles et permet l’éjection du sang des deux ventricules vers les artères pulmonaires et l’aorte. La décompression est comparable à une diastole artificielle. Les ventricules reprennent leur forme initiale. La pression intra-ventriculaire étant inférieure à celle régnant dans les atria, les valves atrio-ventriculaires s’ouvrent et les ventricules se remplissent. Les valves aortique et pulmonaire se ferment sous l’effet d’une pression artérielle élevée. Mécanisme de la pompe thoracique Dans ce type de mécanisme, ce n’est plus le cœur, mais l’ensemble du thorax qui va jouer le rôle de pompe (Plunkett et McMichael, 2008 ; Boller et al., 2012 ; Fletcher et al., 2012). Lors des compressions thoraciques, la pression intra-thoracique augmente, réduisant ainsi le diamètre de l’aorte et collabant la veine cave. Cela chasse le sang hors du thorax. Lors de la rétraction élastique de la cage thoracique, la pression intra-thoracique diminue. Un gradient de pression entre le thorax et l’abdomen s’installe et permet la circulation du sang de la périphérie vers le thorax et dans les poumons, où les échanges gazeux d’oxygène et de dioxyde de carbone se produisent. Chez les animaux de petite taille, comme les chats ou les chiens de moins de 15 kilogrammes, ou chez les chiens à thorax profond et étroit, comme les lévriers anglais, c’est le mécanisme de la pompe cardiaque qui permet d’expliquer la circulation sanguine lors du massage cardiaque. Chez les chiens de plus grand format, le mécanisme de la pompe thoracique prévaut (Plunkett et McMichael, 2008 ; Fletcher et al., 2012). Réalisation du massage cardiaque En l’absence de bruits cardiaques et de pouls palpable à l’examen clinique du patient, le massage cardiaque doit être initié immédiatement. Le plus souvent, l’animal est placé en décubitus latéral, les décubitus droit et gauche étant possibles (Fletcher et al., 2012). Le réanimateur doit surplomber le thorax de l’animal. Comme illustré à la Figure 14, le placement de ses mains dépend de la forme du thorax et du format de l’animal. 56 Figure 14 : Représentation du positionnement des mains du réanimateur en fonction de la taille et du format de l’animal (d’après Fletcher et al., 2012) A : chien de taille moyenne à grande B : chien à thorax profond et étroit, comme le lévrier anglais C : chien à thorax cylindrique, comme les brachycéphales D : chat ou chien de moins de 7 kilogrammes au thorax compliant E : chat de grand format, chien de moins de 7 kilogrammes au thorax moins compliant Le massage cardiaque est ainsi réalisé de la façon suivante (Plunkett et McMichael, 2008 ; Fletcher et al., 2012) : - Pour les chiens de taille moyenne à grande, chez qui le mécanisme de la pompe thoracique prévaut, les deux mains doivent être placées l’une sur l’autre, parallèles entre elles et au niveau de la partie la plus large du thorax. Les pressions sur la cage thoracique sont réalisées avec la paume de la main, bras tendus et verticaux et avec tout le poids du corps. 57 - - - Pour les animaux de 7 à 10 kilogrammes et pour les chiens à thorax profond et étroit comme les lévriers anglais, c’est le mécanisme de la pompe cardiaque qui doit être utilisé. Les mains doivent donc être placées en regard de l’apex du cœur, entre le quatrième et le sixième espace intercostal et au niveau de la jonction costo-chondrale. Pour les chats et les chiens de moins de 7 kilogrammes au thorax compliant, des compressions thoraciques circonférentielles peuvent être réalisées avec une seule main, le pouce étant placé d’un côté du thorax en regard du cœur et les autres doigts de l’autre côté. Pour les chats de grand format et les petits chiens au thorax moins compliant, les compressions peuvent aussi se faire à deux mains, en les plaçant comme décrit précédemment. Pour les chiens au thorax cylindrique, comme les brachycéphales, il est préférable de réaliser le massage cardiaque en décubitus dorsal. Des compressions sternales en regard du cœur permettent alors d’utiliser le mécanisme de la pompe cardiaque. Chez les carnivores domestiques, le massage cardiaque externe doit se réaliser à un rythme de 80 à 120 compressions par minute : 80-100 pour les animaux de plus de 7 kilogrammes, 120 pour les animaux de moins de 7 kilogrammes (Wingfield, 2001 ; Cole et al., 2002). Des études ont montré que des rythmes plus rapides, de l’ordre de 150 compressions par minute, étaient même plus avantageux, car cela augmentait la PPCo et le débit cardiaque (Fletcher et al., 2012). Chaque compression thoracique doit comprimer le thorax d’un tiers à la moitié de sa largeur (Fletcher et al., 2012). La durée de la phase de compression doit égaler celle de relaxation. En effet, en l’absence d’une rétraction élastique complète du thorax pendant la relaxation, le retour veineux est diminué, et le remplissage du cœur entre chaque compression n’est pas complet (Boller et al., 2012). Cela compromet donc à la fois la perfusion du myocarde et celle du tissu cérébral. Les compressions thoraciques doivent être exécutées de façon la plus continue possible. En pratique, elles doivent se succéder pendant un cycle de deux minutes, sans interruption si plusieurs réanimateurs sont présents et si l’animal est intubé, ou avec des interruptions brèves si le réanimateur est seul ou si l’animal n’est pas intubé. Dans ce dernier cas, ces brèves interruptions permettent de délivrer deux insufflations toutes les trente compressions, par la technique du « bouche-à-truffe » (vide infra) (Boller et al., 2012 ; Fletcher et al., 2012). Après chaque cycle de deux minutes, une pause de moins de dix secondes est réalisée. Elle doit permettre de prendre le relai du précédent masseur, et de réévaluer les fonctions vitales de l’animal (Boller et al., 2012). L’efficacité du massage cardiaque doit également être vérifiée. Cela passe par la recherche d’un pouls fémoral, l’évaluation du TRC, de la couleur des muqueuses et de la pression artérielle, et par la surveillance de l’ECG et de la capnographie (Kohlhauer, 2012). 58 Le débit cardiaque lors d’un massage cardiaque externe de qualité n’est cependant que de 25 à 30 % du débit cardiaque normal (Fletcher et al., 2012). Afin d’améliorer l’efficacité du massage cardiaque externe, plusieurs procédés ont été développés en médecine humaine et peuvent être appliqués en médecine vétérinaire : - Compressions abdominales interposées Les compressions abdominales interposées doivent être réalisées par un autre réanimateur que celui prodiguant le massage cardiaque. Elles consistent en la compression de l’abdomen entre le processus xiphoïde et l’ombilic pendant la phase de décompression thoracique. Cela augmente la pression intra-abdominale, et en particulier la pression dans la veine cave caudale, et augmente ainsi le retour veineux, la pression intra-aortique diastolique et la PPCo. Ces compression améliorent également la perfusion des organes vitaux (Plunkett et McMichael, 2008 ; Cave et al., 2010 ; Zhang et Karemaker, 2012). Le positionnement des mains, la profondeur et le rythme pour leur réalisation sont semblables à ceux indiqués pour les compressions thoraciques. L’intérêt de pratiquer des compressions abdominales lors de la réanimation reste discuté en médecine humaine, notamment car cela n’améliore pas de façon significative le RACS et la survie (Cave et al., 2010 ; Kammeyer et al., 2013). En médecine vétérinaire, la réalisation de compressions abdominales interposées peut s’avérer bénéfique si elle est effectuée par un personnel médical entraîné (Fletcher et al., 2012). - Bandage compressif Cette méthode consiste en la réalisation d’un bandage compressif abdomino-pelvien. Cela permet de diminuer le volume circulant en empêchant la circulation sanguine au niveau des membres inférieurs, et donc d’améliorer la perfusion des organes vitaux, comme le cœur et le cerveau. Pour une bonne efficacité, il faut toutefois que l’animal soit de taille suffisamment petite pour que le bandage soit réalisé rapidement et que la force de compression nécessaire ne soit pas trop importante (Kohlhauer, 2012). - Valve d’impédance inspiratoire Il s’agit d’une valve dont l’ouverture est sensible à la pression. Elle se branche au niveau de la sonde endotrachéale. Elle limite l’arrivée d’air dans les poumons quand la pression intra-thoracique devient inférieure à la pression atmosphérique. Ainsi, pendant la décompression, la dépression intra-thoracique est augmentée, ce qui améliore le retour veineux et la perfusion des organes vitaux, et ceci sans interférer avec la ventilation (Cave et al., 2010). Cette valve permet donc d’améliorer les paramètres hémodynamiques, la perfusion cérébrale, la perfusion myocardique et le RACS (Plunkett et McMichael, 2008). Ce dispositif est à l’heure actuelle peu utilisé en médecine humaine ou en médecine vétérinaire (Plunkett et McMichael, 2008 ; Cave et al., 2010). 59 - Compression-décompression active Lors de décompression passive au cours du massage cardiaque standard, la pression intra-thoracique devient légèrement et transitoirement négative, permettant au sang de revenir au cœur. Il est possible de diminuer encore plus cette pression et de façon plus durable grâce à l’application d’une ventouse sur la face antérieure du thorax, qui assure la rétraction élastique de ce dernier de manière active entre chaque compression thoracique. Cela augmente de façon plus importante le retour veineux (Cave et al., 2010). Les résultats concernant l’utilisation de compression-décompression active lors de RCP sont controversés (Cave et al., 2010). En outre, ce dispositif est difficile à utiliser chez les animaux en raison de leur pelage (Plunkett et McMichael, 2008). Complications du massage cardiaque externe Le massage cardiaque externe peut conduire à des complications, notamment si les mains du réanimateur sont mal positionnées sur le thorax, ou si la force avec laquelle les compressions thoraciques sont réalisées est trop importante. On peut ainsi observer (Kohlhauer, 2012) : - des fractures de côtes ; un hémothorax ou un pneumothorax ; des contusions pulmonaires ; des lésions hépatiques ; une désinsertion de la veine cave caudale. ii. Le massage cardiaque interne Généralités Le massage cardiaque interne présente l’avantage de permettre une visualisation directe du cœur. Il est nettement plus efficace que le massage cardiaque externe puisque la pompe cardiaque est directement actionnée (Goy-Thollot et al., 2006). Des études expérimentales ont également montré que les valeurs de débit cardiaque, de pression sanguine, de PPCo et de PPC lors de massage cardiaque interne étaient supérieures à celles obtenues lors de massage cardiaque externe (Rieser, 2000). Le RACS était en outre plus fréquemment obtenu, et les séquelles neurologiques post-arrêt cardiaque moins importantes (Benson et al., 2005). Cependant, sa réalisation est très invasive, nécessite l’arrêt des procédures de rénimation et peut être à l’origine de multiples complications post-réanimation, notamment infectieuses (Goy-Thollot et al., 2006). 60 Le massage cardiaque interne est indiqué lors (Plunkett et McMichael, 2008) : - de plaies thoraciques perforantes ; de traumatisme thoracique accompagné de fracture(s) de côte(s) ; d’affection de l’espace pleural ; de hernie diaphragmatique ; d’effusion péricardique ; d’hémopéritoine ; d’arrêt cardiaque intra-opératoire ; lorsqu’une circulation efficace n’est toujours pas obtenue après 2 à 5 minutes de massage cardiaque externe, en particulier chez les chiens de plus de 20 kilogrammes. Réalisation La réalisation d’un massage cardiaque interne nécessite une thoracotomie. L’animal doit être placé en décubitus latéral droit. Après tonte et préparation chirurgicale minimales, la peau et les muscles intercostaux sont incisés aux ciseaux en regard du cinquième espace intercostal. La plèvre doit ensuite être ponctionnée délicatement avec les doigts et l’ouverture agrandie dorsalement et ventralement (Goy-Thollot et al., 2006). L’ouverture du sac péricardique permet d’améliorer l’efficacité du massage. Elle se fait au niveau de l’apex du cœur et est ensuite élargie en direction de la base du cœur (Kohlhauer, 2012). En fonction de la taille du cœur, le massage est réalisé entre deux doigts, entre les doigts et la paume d’une main, entre la paume et la paroi thoracique, ou entre les deux mains, en comprimant le cœur de l’apex vers la base (Rieser, 2000). Le rythme des compressions doit être d’environ 100 par minutes. Afin d’augmenter la circulation sanguine au niveau du cœur et du cerveau, il est possible de clamper l’aorte descendante caudalement au cœur. Le clamp ne doit toutefois pas être laissé plus de 10 minutes et son retrait doit être progressif (Plunkett et McMichael, 2008). Une fois le massage terminé, le thorax est refermé sans suturer le péricarde, au risque de collection liquidienne. Un drain thoracique est posé et laissé en place pendant quelques jours. Le vide pleural est restauré et un bloc intercostal est réalisé pour éviter une hypoventilation. Une antibioprophylaxie à large spectre est également mise en place pendant au moins 5 jours (Souplet, 2006). b. La ventilation En médecine humaine, les guidelines de l’AHA insistent sur l’importance de la réalisation de compressions thoraciques par rapport à la mise en place d’une ventilation artificielle chez l’adulte lors d’arrêt cardiaque extra-hospitalier dont une origine cardiaque est suspectée. La RCP doit ainsi débuter par un massage cardiaque (RA. Berg et al., 2010 ; Boller et al., 2012). Cependant, chez les enfants, les arrêts cardiaques ont plus souvent une origine asphyxique que purement cardiaque, et la mise en place d’une ventilation artificielle prime sur le massage (MD. Berg et al., 2010). 61 Cette situation se rapproche de celle observée en médecine vétérinaire, où les arrêts cardiorespiratoires font souvent suite à une insuffisance respiratoire. Assurer une ventilation artificielle de façon précoce lors de RCP est donc primordiale chez les carnivores domestiques (Fletcher et al., 2012). Il convient donc de dégager au plus vite les voies aériennes d’éventuelles sécrétions ou de sang, et d’intuber l’animal avec une sonde endotrachéale, si possible en le laissant en décubitus latéral de manière à ce que les compressions thoraciques ne soient pas interrompues. Pour ce faire, l’utilisation d’un anesthésique local, comme la xylocaïne, et d’un laryngoscope, est fortement recommandée de façon à éviter une bradycardie réflexe par manipulation excessive de l’épiglotte. Le positionnement de la sonde dans la trachée et non pas dans l’œsophage doit ensuite être vérifié (vérification visuelle de la position de la sonde, palpation de la sonde, vapeur d’eau dans la sonde, surveillance de la PEtCO2 qui sera faible voire nulle si la sonde est placée dans l’œsophage…) (Plunkett et McMichael, 2008 ; Fletcher et al., 2012). La sonde doit être attachée avec un lien à la mâchoire, et le ballonnet doit être gonflé (Boller et al., 2012). En cas de difficultés liées à l’intubation classique, une intubation nasale ou une trachéotomie d’urgence peuvent être pratiquées (Plunkett et McMichael, 2008). La ventilation est réalisée à l’aide d’oxygène pur apporté par l’intermédiaire d’une machine anesthésique, ou à l’aide d’un Ambu-bag® connecté à une source d’oxygène (Boller et al., 2012). Deux insufflations d’une durée d’une à deux secondes avec un taux de 100 % d’oxygène sont d’abord réalisées. Si l’animal reprend alors une respiration spontanée, la réanimation est interrompue, mais une surveillance accrue est mise en place pour prévenir l’apparition d’un autre arrêt cardiorespiratoire. Si l’animal ne reprend pas une respiration spontanée, la ventilation doit être poursuivie (Plunkett et McMichael, 2008). Elle doit se faire à une fréquence de 10 à 12 insufflations par minute, voire plus pour les animaux de petite taille, et à une pression inférieure à 20 cmH2O (Fletcher et al., 2012). Une pression d’insufflation trop élevée peut par exemple entraîner un barotraumatisme des poumons, une hémorragie pulmonaire et un pneumothorax (Rieser, 2000 ; Plunkett et McMichael, 2008). Chez les animaux présentant une hypoxie préexistante ou une affection pulmonaire sévère, un rythme de 12 à 15 insufflations par minute peut s’avérer bénéfique (Plunkett et McMichael, 2008). Un temps inspiratoire d’une seconde, avec un ratio inspiration/expiration compris entre 50/50 et 30/70 et un volume courant de 10 mL/kg sont également recommandés (Fletcher et al., 2012). Il est à noter qu’une ventilation à un rythme trop rapide, avec un temps inspiratoire plus long et un volume courant plus important, entraîne une diminution de la PPCo et de la PPC par vasoconstriction, ainsi qu’une diminution de la précharge cardiaque, du débit cardiaque, de la fonction ventriculaire droite et du retour veineux, notamment par une augmentation de la pression intra-thoracique (Plunkett et McMichael, 2008 ; Fletcher et al., 2012). Une ventilation à un rythme plus lent que celui recommandé est associée à une pression artérielle partielle en dioxyde de carbone plus élevée, et provoque une vasodilatation 62 périphérique et cérébrale, pouvant ainsi augmenter la pression intracrânienne (Fletcher et al., 2012). Lorsque l’intubation de l’animal est impossible, la ventilation peut être assurée de façon transitoire par la méthode du « bouche-à-truffe », comme illustré à la Figure 15. Pour cela, le réanimateur maintient la gueule de l’animal fermée avec une main, applique ses lèvres sur l’extrémité du museau, et insuffle l’air qu’il a inspiré dans les narines de l’animal. Il doit en résulter un soulèvement de la paroi costale. Peu d’études ont évalué l’efficacité clinique de cette méthode, mais au regard des données existantes en médecine humaine, il est recommandé de réaliser 2 insufflations toutes les 30 compressions thoraciques (Fletcher et al., 2012). Figure 15 : Illustration de la méthode du « bouche-à-truffe » (d'après Fletcher et al., 2012) Cette technique présente toutefois certains inconvénients : son efficacité est inférieure à celle d’une ventilation artificielle, puisque la fraction inspirée en oxygène (FiO2) n’est que de 16-17 %, elle peut entraîner une distension de l’estomac, ce qui limite l’expansion des poumons, et prédispose aux régurgitations. Enfin, le réanimateur s’épuise plus vite (Souplet, 2006). 2. Le soutien avancé des fonctions vitales Le soutien avancé des fonctions vitales comprend toutes les procédures de RCP une fois que la suppléance des fonctions vitales a été assurée, et ce jusqu’au retour à la circulation spontanée. Les taux de RACS peuvent avoisiner les 50 % si la suppléance et le soutien avancé des fonctions vitales sont assurés rapidement (Hofmeister et al., 2009). 63 a. Les différentes voies d’administration et les principaux principes actifs utilisés i. Voies d’administration Les molécules utilisées lors du soutien avancé des fonctions vitales peuvent être administrées par plusieurs voies. La voie intraveineuse doit toujours être privilégiée. Pour réaliser les injections, il est possible de poser un cathéter veineux central, en particulier au niveau de la veine jugulaire, ou un cathéter veineux périphérique, de préférence au niveau des veines céphaliques, sinon au niveau des veines saphènes. Avec un cathéter veineux central, les principes actifs gagnent rapidement leur lieu d’action via les artères coronaires (Wingfield, 2001). Cependant, la voie veineuse périphérique est souvent plus facilement et plus rapidement accessible, et préférée par les vétérinaires (Boller et al., 2012). On estime qu’il faut 1 à 2 minutes pour que les molécules injectées par cette voie gagnent la circulation centrale (Plunkett et McMichael, 2008). Si une voie veineuse n’a pas pu être mise en place rapidement, il est recommandé d’utiliser les voies intraosseuse ou intratrachéale. Le cathétérisme osseux est possible chez les animaux de petite taille. Il se fait au niveau de la crête tibiale, du grand trochanter fémoral ou de l’humérus proximal (Wingfield, 2001 ; Plunkett et McMichael, 2008). Tous les principes actifs administrables par voie veineuse le sont par voie intraosseuse (Boller et al., 2012). La voie intratrachéale peut être utilisée pour l’adrénaline, l’atropine, la vasopressine, la naloxone et la lidocaïne (Plunkett et McMichael, 2008 ; Schoeffler, 2008 ; Boller et al., 2012). L’administration se fait par l’intermédiaire d’une sonde urinaire introduite dans la sonde endotrachéale jusqu’à la carène bronchique. Les posologies sont 2 à 2,5 fois plus élevées que celles recommandées pour la voie intraveineuse (sauf pour l’adrénaline, pour laquelle la dose doit être multipliée par 3 à 10). Les principes actifs doivent être dilués dans 5 à 10 mL d’une solution de NaCl 0.9 % ou d’eau stérile pour faciliter leur absorption (Plunkett et McMichael, 2008 ; Schoeffler, 2008). Pour permettre une diffusion rapide des molécules, deux grandes insufflations sont ensuite réalisées (Peltier, 2009). Cette voie est contre-indiquée lors d’affections pulmonaires, ainsi que pour l’administration de bicarbonates de sodium qui peuvent inactiver le surfactant et irriter les tissus. La voie intracardiaque est fortement déconseillée pour l’administration de principes actifs lors de RCP à thorax fermé (Plunkett et McMichael, 2008 ; Schoeffler, 2008). En effet, elle présente des risques non négligeables de lacérations des artères pulmonaires, coronaires ou de l’aorte, ainsi que des risques de tamponnade cardiaque, de pneumothorax, d’ischémie du myocarde, d’arythmies ou d’injection intramyocardique. De plus, la réalisation des injections nécessite l’arrêt des compressions thoraciques (Plunkett et McMichael, 2008 ; Boller et al., 2012). Les injections intracardiaques lors de RCP à thorax ouvert présentent moins de risques, mais requièrent également une interruption des compressions thoraciques et sont susceptibles de créer des traumas (Schoeffler, 2008). 64 ii. Principaux principes actifs administrés Du fait du faible débit cardiaque permis par le massage, une résistance vasculaire périphérique élevée est requise pour augmenter le volume sanguin dans la circulation centrale et permettre des pressions de perfusion cérébrale et myocardique suffisamment importantes (Fletcher et al., 2012). L’utilisation d’agents vasopresseurs et vagolytiques dans le soutien avancé des fonctions vitales, comme l’adrénaline, la vasopressine et l’atropine, est donc essentielle. De même, celle d’antiarythmiques spécifiques, comme l’amiodarone ou la lidocaïne, doit être envisagée lors de rythme choquable réfractaire à la défibrillation. Le mécanisme d’action de ces différentes molécules sera détaillé en troisième partie. D’autres principes actifs peuvent être utilisés, mais dans des cas bien particuliers : - - - - Le magnésium joue un rôle important au niveau intracellulaire et sert de cofacteur dans de nombreuses réactions enzymatiques. Un déficit en magnésium peut provoquer une instabilité du potentiel de membrane, perturber l’homéostasie sodique et potassique en altérant la Na+/K+-ATPase, et affecter le tonus vasculaire (Plunkett et McMichael, 2008). L’administration de sulfate de magnésium peut être recommandée lors d’hypomagnésémie ou de torsades de pointes, et ce quelle que soit la cause (Schoeffler, 2008). Nous reparlerons du magnésium en troisième partie. Le gluconate de calcium. Le calcium joue un rôle vital dans de nombreux processus cellulaires, et notamment dans la contraction myocardique. Même si l’hypocalcémie est fréquente lors d’arrêt cardiaque, de nombreuses études ont montré que son utilisation n’apportait pas de bénéfices significatifs. Le gluconate de calcium ne doit donc être administré que dans des cas bien définis : lors d’hypocalcémie modérée à sévère, lors d’hyperkaliémie ou lors d’hypermagnésémie (Schoeffler, 2008 ; Fletcher et al., 2012). Les bicarbonates de sodium, pour traiter l’acidose métabolique. L’arrêt cardiaque provoque en effet une acidose respiratoire et métabolique du fait de l’absence d’échanges gazeux au niveau pulmonaire et du métabolisme anaérobie cellulaire. Les bicarbonates réagissent avec les protons pour former de l’eau et du dioxyde de carbone. Une bonne ventilation doit donc être assurée pour éviter l’hypercapnie. Les bicarbonates de sodium sont également susceptibles d’inactiver les catécholamines administrées simultanément et peuvent causer une hypernatrémie, une hyperosmolarité, une alcalose extracellulaire, une diminution de la résistance vasculaire systémique et une diminution de la libération d’oxygène par l’hémoglobine (Plunkett et McMichael, 2008). Leur utilisation doit donc être réservée aux animaux en acidose grave (pH sanguin < 7,1) ou lors d’hyperkaliémie, mais ne peut être faite dans les dix premières minutes suivant l’arrêt (Plunkett et McMichael, 2008 ; Schoeffler, 2008 ; Fletcher et al., 2012). Si l’arrêt cardiaque est associé à une sédation ou à une anesthésie, il est recommandé d’administrer un antagoniste approprié. La naloxone (0,04 mg/kg), antagoniste des opioïdes, le flumazénil (0,01 mg/kg), antagoniste des benzodiazépines, et 65 l’atipamézole (100 µg/kg), α2-antagoniste, peuvent être utilisés (Plunkett et McMichael, 2008 ; Fletcher et al., 2012). Le Tableau 8 ci-dessous présente les différentes molécules administrables, la posologie et les recommandations pour leur utilisation lors du soutien avancé des fonctions vitales. Dans la plupart des cas, la preuve de leur efficacité réelle sur la survie à long terme n’a pas été établie. 66 Tableau 8 : Principaux principes actifs utilisables lors du soutien avancé des fonctions vitales (d'après Schoeffler, 2008 ; Peltier, 2009 ; Fletcher et al., 2012 ; Boller et al., 2012) DEM : dissociation électromécanique ; ECG : électrocardiogramme ; FA : fibrillation atriale ; FV : fibrillation ventriculaire ; IV : intraveineuse ; RCP : réanimation cardiopulmonaire ; TSV : tachycardie supraventriculaire ; TV : tachycardie ventriculaire Molécules Posologie Adrénaline 0,01 à 0,02 mg/kg Vasopressine Atropine 0,2 à 0,8 U/kg 0,04 mg/kg Amiodarone 5 mg/kg Lidocaïne 2 à 4 mg/kg chez le chien 0,2 mg/kg chez le chat Sulfate de magnésium 30 mg/kg Gluconate de calcium 50 à 150 mg/kg Bicarbonates de sodium 1 mEq/kg Indications - Bradycardie réfractaire aux anticholinergiques - Asystolie - DEM - Asystolie - DEM - Bradycardie sinusale DEM Asystolie Tonus vagal augmenté FA TSV TV FV réfractaire à la défibrillation - TV - FV réfractaire à la défibrillation - Arythmie ventriculaire réfractaire - Torsades de pointes - Hypotension sévère - Hypomagnésémie - Hyperkaliémie sevère - Hypocalcémie sévère - Hypermagnésémie - Hyperkaliémie - Acidose métabolique grave ou préexistante Recommandations Administration répétable toutes les 3 à 5 minutes au début de la RCP. Augmenter les doses peu à peu jusque 0,1 mg/kg toutes les 3 à 5 minutes si les effets recherchés sont absents. Administration répétable toutes les 3 à 5 minutes, en alternance avec l’adrénaline. Administration répétable toutes les 3 à 5 minutes, mais ne pas dépasser 3 administrations. Administration par voie IV lente, répétable une fois, 3 à 5 minutes après la première injection. Utilisable si l’amiodarone n’est pas disponible. À utiliser avec précaution chez le chat. Administration par voie IV lente. Administration par voie IV lente Surveillance ECG indispensable Administration après 10 à 15 minutes d’arrêt cardiaque, peut être répétée après 10 minutes. À n’administrer qu’en cas d’acidose grave. Contre-indiqué si l’animal hypoventile 67 b. Défibrillation en cas de rythme choquable Lors de rythmes choquables (tachycardie ventriculaire sans pouls ou fibrillation ventriculaire), une défibrillation électrique doit systématiquement être réalisée. Elle a pour but de dépolariser les cellules myocardiques ventriculaires par l’intermédiaire d’un choc électrique, et de les entraîner dans leur période réfractaire, arrêtant ainsi l’activité électrique et mécanique anarchique du cœur. Les pacemakers peuvent ainsi reprendre leur rôle de générateur de rythme. En pratique, on considère qu’une défibrillation est réussie s’il y a cardioversion, c’est-à-dire si le rythme devient à nouveau sinusal, ou si l’animal développe une asystolie (Fletcher et al., 2012). La défibrillation doit être la plus précoce possible. En effet, on estime qu’après arrêt de la circulation sanguine, un cœur ischémique passe par trois phases (Weisfeldt et Becker, 2002) : - Une phase électrique, au cours de laquelle les conséquences de l’ischémie sont mineures. Elle s’étend sur les 4 premières minutes d’arrêt cardiaque. Une phase circulatoire, associée à des dommages ischémiques réversibles. Elle s’étend de la 4ème à la 10ème minute après le début de l’arrêt cardiaque. Une phase métabolique qui s’accompagne de dommages irréversibles. Par conséquent, si la RCP débute dans les 4 premières minutes suivant l’arrêt cardiaque et si le rythme est choquable, une défibrillation immédiate est recommandée. Il en est de même si un rythme initialement non choquable est converti en une fibrillation ventriculaire lors de la RCP. Par contre, si l’animal présente un rythme choquable depuis plus de 4 minutes, il est recommandé de procéder à un cycle de 2 minutes de RCP de base avant de défibriller (Fletcher et al., 2012). Des défibrillateurs électriques monophasiques ou biphasiques peuvent être utilisés, mais ce sont ces derniers qui sont recommandés. Des études chez l’Homme ont montré qu’ils permettaient un retour à un rythme sinusal avec une énergie de défibrillation plus faible que les défibrillateurs monophasiques, préservant ainsi plus le myocarde (Plunkett et McMichael, 2008 ; Fletcher et al., 2012). Lors de défibrillation électrique externe, l’animal est placé en décubitus dorsal et les deux palettes du défibrillateur sont appliquées en regard du cœur, de part et d’autre du thorax (Fletcher et al., 2012). Il est aussi envisageable de laisser l’animal en décubitus latéral et d’utiliser une palette standard et une palette plate placée sous lui, comme l’illustre la Figure 16. 68 Figure 16 : Défibrillation externe sur un chien en décubitus latéral (Fletcher et al., 2012) Si un massage cardiaque interne a été entrepris, il est possible de réaliser une défibrillation électrique interne : une palette est alors appliquée sur l’atrium droit, l’autre sur le ventricule gauche (Peltier, 2009). Un seul choc électrique doit être administré. Il doit être suivi d’une reprise immédiate d’un cycle de 2 minutes de RCP de base avant d’évaluer à nouveau le rythme à l’ECG. La reprise immédiate des compressions thoraciques permet en effet d’augmenter la perfusion du myocarde, et est plus souvent associée à une cardioversion que l’administration d’un deuxième choc. Après ces 2 minutes, l’ECG est réévalué : si le rythme n’est toujours pas sinusal, une nouvelle défibrillation est envisageable en augmentant l’énergie de défibrillation de 50 à 100 % (Fletcher et al., 2012). Les énergies de défibrillation utilisées sont indiquées dans le Tableau 9. Tableau 9 : Les différentes énergies de défibrillation utilisables en fonction du type de défibrillation envisagée (d'après Fletcher et al., 2012) Type de défibrillation Défibrillation monophasique externe Défibrillation monophasique interne Défibrillation biphasique externe Défibrillation biphasique interne Énergie 4-6 J/kg 0,5-1 J/kg 2-4 J/kg 0,2-0,4 J/kg Commentaires En cas de fibrillation ventriculaire ou de tachycardie sans pouls réfractaires à la défibrillation, la dose peut être augmentée une fois de 50 à 100 % Si la fibrillation persiste après un ou deux chocs, les défibrillations doivent s’accompagner de l’administration d’adrénaline toutes les 3 à 5 minutes. Après trois chocs, un antiarythmique, comme l’amiodarone, doit être rajouté (Plunkett et McMichael, 2008). Dans le cas où un défibrillateur électrique n’est pas disponible, il est possible d’envisager une défibrillation mécanique. Elle consiste en la réalisation d’un coup de poing en regard du cœur. L’efficacité de cette technique reste cependant minime (Fletcher et al., 2012). 69 c. Correction des déficits volémiques La mise en place d’une fluidothérapie lors d’une RCP permet de corriger le déficit volémique. Elle ne doit cependant par être trop agressive, et ne se fait sous forme de bolus (90 mL/kg pour les chiens, 45 mL/kg pour les chats) que chez les animaux ayant été hypovolémiques avant l’arrêt ou présentant des pertes importantes. En effet, l’administration d’un volume excessif de fluide lors de réanimation chez des animaux euvolémiques augmente la pression dans l’atrium droit et la pression veineuse centrale, et diminue donc la PPCo et la PPC (Plunkett et McMichael, 2008 ; Schoeffler, 2008 ; Fletcher et al., 2012). Les différents types de fluides le plus souvent utilisés lors de la RCP chez les animaux en état de choc, à risque d’arrêt cardiaque, sont (Plunkett et McMichael, 2008) : - - - Les cristalloïdes isotoniques (NaCl 0,9 % ou Ringer Lactate), à administrer de préférence chez les animaux euvolémiques. Ils s’administrent par voie intraveineuse par bolus de 20 mL/kg chez le chien et de 10 mL/kg chez le chat. Les colloïdes, à privilégier chez les animaux hypovolémiques ou s’il y a un risque non négligeable d’œdème pulmonaire. Ils peuvent être administrés en perfusion à la dose de 20 mL/kg/j chez le chien et 5-10 mL/kg/j chez le chat, ou en bolus à la dose de 5 mL/kg pour les chiens et 2-3 mL/kg pour les chats. Un soluté hypertonique de sodium (NaCl 3 %), par voie intraveineuse lente sur 5 minutes à la dose de 4-6 mL/kg. Une administration trop rapide peut provoquer une bradycardie et une hypotension. C. Surveillance du patient et évaluation de la qualité de la réanimation cardio-pulmonaire L’évaluation de l’efficacité des différentes procédures entreprises lors de RCP est fondamentale. Elle permet des ajustements dans les techniques de réanimation en fonction de la réponse du patient, aide à savoir s’il y a ou non un RACS, et peut servir dans l’évaluation pronostique. Elle s’appuie sur la capnographie, l’électrocardiographie, le suivi de la pression artérielle et sur l’évaluation des désordres métaboliques (Boller et al., 2012). 1. La capnographie La capnographie permet de mesurer la PEtCO2. En situation physiologique, la PEtCO2 permet d’avoir une estimation de la pression partielle alvéolaire en dioxyde de carbone (CO2) en fin d’expiration, qui est le résultat de la production de CO2, du flux sanguin dans les capillaires pulmonaires - donc du débit cardiaque - et de la ventilation alvéolaire. Si la ventilation artificielle est constante, la PEtCO2 permet d’évaluer la qualité des compressions thoraciques car il existe une relation linéaire entre la PEtCO2 et le volume d’éjection cardiaque (Schoeffler, 2008). Sa valeur peut aussi varier avec l’administration d’agents pharmacologiques. L’adrénaline la diminue et les bicarbonates de sodium l’augmentent (Boller et al., 2012). 70 Dans leur étude, Hofmeister et al. (2009) se sont penchés sur la relation entre la PEtCO2 et le RACS, et ont montré que des valeurs élevées de PEtCO2 (> 15 mmHg chez le chien, > 20 mmHg chez le chat) étaient associées à des proportions plus importantes de RACS. Par conséquent, il est possible de suivre les recommandations suivantes (Boller et al., 2012) : - - - Si la PEtCO2 < 15 mmHg chez le chien ou < 20 mmHg chez le chat, une optimisation des techniques de réanimation doit être entreprise (par exemple : augmenter la force et la fréquence des compressions thoraciques, éviter une ventilation à pression positive intermittente en excès, chercher pourquoi la réanimation n’est pas optimale…) ; Si la PEtCO2 ne dépasse pas 15 mmHg après 2 à 3 minutes de réanimation avec une technique optimale, il faut éventuellement envisager la réalisation d’un massage cardiaque interne ; Si la PEtCO2 reste inférieure à 10 mmHg alors que tout a été fait pour optimiser la réanimation et qu’aucune activité électrique n’est détectable à l’ECG, il convient d’arrêter les tentatives de réanimation. 2. L’électrocardiogramme Comme il a déjà été mentionné, l’électrocardiogramme est un outil de choix lors d’arrêt cardiaque et de RCP, car il permet d’identifier le rythme initial et d’adapter les traitements par la suite (Plunkett et McMichael, 2008 ; Boller et al., 2012 ; Fletcher et al., 2012). Pendant les compressions thoraciques, le tracé subit des artefacts : la lecture de l’ECG n’apporte donc aucune information. Celle-ci doit en revanche être effectuée entre chaque cycle de 2 minutes de RCP de base pour un suivi précis du rythme et une adaptation de la RCP avancée. Cette lecture doit se faire rapidement pour ne pas retarder la reprise des compressions thoraciques (Fletcher et al., 2012). 3. Suivi de la pression artérielle Si un suivi de la pression artérielle peut s’avérer intéressant, il est souvent difficile à mettre en place. Les mesures obtenues avec des techniques non invasives, comme le Doppler, doivent être interprétées avec prudence lors des compressions thoraciques, à cause des artefacts liés au mouvement et à la présence possible d’un flux sanguin veineux rétrograde. De même, la recherche d’un pouls fémoral lors du massage n’apporte aucune information puisque ce flux veineux rétrograde peut entraîner des pulsations au niveau de la veine fémorale. La recherche d’un pouls fémoral et le Doppler peuvent être utilisés lors des pauses entre chaque cycle pour estimer s’il y a ou non un RACS, mais les mesures ne doivent là encore pas retarder la reprise des compressions (Schoeffler, 2008 ; Boller et al., 2012 ; Fletcher et al., 2012). Si la pose d’un cathéter artériel reste inenvisageable lors de la RCP, il se peut que l’animal hospitalisé en possède déjà un. Il est alors possible de déterminer la pression 71 artérielle diastolique (lors des décompressions) et d’estimer ainsi la PPCo (Boller et al., 2012). 4. Analyses biochimiques Des désordres électrolytiques, comme l’hyperkaliémie et l’hypocalcémie, apparaissent fréquemment lors de RCP prolongée. Il est donc pertinent de réaliser un ionogramme. L’analyse des gaz sanguins veineux ou mixte peut également être entreprise pour évaluer l’efficacité de la RCP, dans la mesure ou elle permet d’estimer le degré d’hypoxémie et le caractère satisfaisant de la ventilation (Fletcher et al., 2012). D. Pronostic de la réanimation cardio-pulmonaire Malgré une RCP de qualité, les chances de survie suite à un arrêt cardiorespiratoire restent faibles chez les carnivores domestiques, comme le montre les résultats de l’étude menée par Hofmeister et al. (2009) (Tableau 10). Tableau 10 : Taux de survie à court et moyen termes chez 204 carnivores domestiques (d'après Hofmeister et al., 2009) RACS : reprise d’activité cardiaque spontanée ; RCP : réanimation cardio-pulmonaire Chiens Chats Total Nombre d’animaux victimes d’arrêt cardiaque 161 43 204 Nombre d’animaux ayant obtenu un RACS après RCP 56 (35 %) 19 (44 %) 75 (37 %) Nombre d’animaux survivants en fin d’hospitalisation 9 (6 %) 3 (7 %) 12 (6 %) Dans cette étude, les auteurs ont montré que la survie était influencée par de nombreux facteurs. Ainsi, il était plus probable que la RCP soit réussie dans les conditions suivantes : - - Chez les chiens : Traitement à base de mannitol, lidocaïne, fluidothérapie, dopamine, corticostéroïdes ou vasopressine ; Arrêt cardiaque de cause « anesthésique » ; Compressions thoraciques en décubitus latéral et non dorsal ; Peu d’administrations d’adrénaline (1,8 ± 1,2 administrations en moyenne) ; Durée de RCP relativement courte (11,5 ± 9,7 minutes en moyenne). Chez les chats : Beaucoup de réanimateurs ; Arrêt cardiaque non lié à l’état de choc initial. Le RACS était également plus fréquent et le pourcentage de survivants plus importants lors d’arrêts purement respiratoires que lors d’arrêts cardiaques (Wingfield et Van Pelt, 1992). 72 Les causes de décès suite à un premier RACS sont une récidive d’arrêt, en moyenne une quinzaine de minutes après, ou l’euthanasie décidée par les propriétaires (Hofmeister et al., 2009). En effet, la dysfonction cardiaque et la défaillance neurologique chez les animaux qui survivent sont souvent sévères. On parle de « syndrome post-arrêt cardiaque ». 73 La prise en charge de l’arrêt cardiaque doit se faire selon une procédure standardisée. Des guidelines, similaires à celles disponibles en médecine humaine, ont été publiées pour la médecine vétérinaire, même si elles s’appuient souvent sur des données extrapolées de la médecine humaine ou de la littérature expérimentale. Pour une prise en charge efficace, la reconnaissance rapide d’un arrêt est indispensable, et permet d’initier au plus vite la RCP. Cette dernière se fait en plusieurs étapes, chacune d’entre elles ayant des objectifs différents. La première a ainsi pour but la suppléance des fonctions vitales (RCP de base), et la seconde le soutien avancé de ces dernières (RCP avancée). Afin d’augmenter les chances de succès, la RCP doit se faire par un personnel nombreux et compétent, et doit être adaptée au cas par cas. Si la réanimation aboutit à un RACS, une surveillance accrue du patient et des soins particuliers doivent être mis en place de façon à prendre au mieux en charge le syndrome post-arrêt cardiaque. 74 IV. Le syndrome post-arrêt cardiaque À l’heure actuelle, la littérature sur le syndrome post-arrêt cardiaque en médecine vétérinaire est pauvre, en partie à cause du faible taux de survie suite à une RCP. La physiopathologie de ce syndrome ne sera donc envisagée que dans le cadre de l’arrêt cardiaque chez l’Homme, ou dans les modèles expérimentaux animaux. En revanche, la gestion de ce syndrome sera envisagée aussi bien chez l’Homme que chez les carnivores domestiques. Après un épisode ischémique généralisé et prolongé, pris en charge par RCP, le RACS est obtenu chez certains patients. Toutefois, il s’accompagne d’un état pathologique particulier, décrit pour la première fois au début des années 1970 par le Docteur Vladimir Negovsky et appelé « maladie post-réanimation » (« post-resuscitation disease ») (Negovsky, 1972). Cette « maladie » est plus connue de nos jours sous le terme de « syndrome post-arrêt cardiaque » (Nolan et al., 2010). Il est la conséquence d’une défaillance multiviscérale qui fait suite à l’ischémie puis à la reperfusion de l’ensemble des organes, et s’accompagne généralement d’un état de choc, d’une fièvre élevée et de désordres biologiques sévères. Ce syndrome est responsable de la plupart des décès des patients qui survivent après réanimation, et influe de façon majeure sur le pronostic des survivants, notamment en termes de séquelles neurologiques. À titre d’exemple, chez l’Homme aux États-Unis, sur 350 000 arrêts cardiaques extra-hospitaliers, 100 000 tentatives de RCP sont effectuées, un RACS peut être obtenu chez 40 000 patients, mais seuls 20 000 d’entre eux survivent au séjour hospitalier, dont 50 % avec des séquelles neurologiques majeures (Adrie et al., 2004). Le syndrome post-arrêt cardiaque comprend plusieurs entités (Adrie et al., 2004 ; Nolan et al., 2010) : - une défaillance neurologique ; une dysfonction myocardique ; une réponse inflammatoire systémique ; une atteinte multiviscérale, notamment surrénalienne. La gravité des désordres engendrés après le RACS varie en fonction des individus, de la gravité des dommages engendrés par l’ischémie, de la cause de l’arrêt cardiaque et de l’état de santé du patient avant son arrêt. Il va de soi que plus le RACS est obtenu rapidement, moins les chances que ce syndrome ne se développe sont grandes (Nolan et al., 2010). A. Défaillance neurologique La défaillance neurologique est une cause très fréquente de morbidité et de mortalité. Elle est à l’origine de la majorité des décès. En effet, 67,7 % des patients réanimés d’un arrêt cardiaque extra-hospitalier et 22,9 % de ceux réanimés d’un arrêt cardiaque intra-hospitalier décèdent du fait de séquelles neurologiques trop importantes (Laver et al., 2004). 75 1. Physiopathologie Les mécanismes des lésions cérébrales provoquées par l’arrêt cardiaque et la reperfusion sont complexes. Ils sont présentés à la Figure 17. Ils comprennent notamment une perturbation de l’homéostasie ionique, et surtout calcique, l’excitotoxicité, la formation de radicaux libres et l’activation de cascades de protéases et de voies de signalisation de mort cellulaire. La plupart de ces mécanismes surviennent dans les heures ou les jours suivant le RACS (Nolan et al., 2010). Rupture de la barrière hémato-encéphalique (BHE) et œdème cérébral Dans les secondes suivant l’arrêt cardiaque, une acidose intracellulaire s’installe, la phosphorylation oxydative mitochondriale s’arrête, les réserves énergétiques (ATP) s’épuisent et du lactate s’accumule. Cela provoque une rupture sélective et spécifique de la barrière hémato-méningée de certaines régions du cerveau, permettant ainsi l’entrée de protéines sériques, comme l’albumine, dans l’environnement cérébral (Sharma et al., 2011). Parallèlement, la production exagérée d’espèces réactives de l’oxygène endommage les acides gras des membranes cellulaires. La perméabilité membranaire s’en trouve accrue, ce qui provoque des désordres électrolytiques intracellulaires sévères. Le passage de molécules de haut poids moléculaire à travers la BHE stimule ainsi le transfert de Na+, et par conséquent d’eau, du compartiment sanguin au compartiment cérébral (Chalkias et Xanthos, 2012). Les modifications hydriques et électrolytiques sont ainsi à l’origine d’un gonflement cellulaire et d’un œdème cérébral, qui compromettent l’apport d’oxygène au cerveau lors de la reperfusion (Nolan et al., 2010 ; Sharma et al., 2011). L’œdème cérébral provoque également des lésions neuronales, modifie les interactions entre les cellules gliales, neuronales et endothéliales en augmentant les espaces extracellulaires, et peut entraîner une augmentation de la pression intracrânienne (Chalkias et Xanthos, 2012). 76 Figure 17 : Schéma simplifié des mécanismes d'apparition de la défaillance neurologique post-arrêt cardiaque (d'après Chalkias et Xanthos, 2012) AC : arrêt cardiaque ; ATP : adénosine triphosphate ; BHE : barrière hémato-encéphalique ; ERO : espèces réactives de l’oxygène ; PIC : pression intracrânienne ; PLQ : plaquettes ; PMN : polymorphonucléaires ; PPTm : pore de perméabilité de transition mitochondrial ; RACS : reprise d’activité cardiaque spontanée ; RCP : réanimation cardiopulmonaire ; vasoC : vasoconstriction ; vasoD : vasodilatation. Ischémie globale ↑ Cytokines ↑ Complément ↓ ATP Infiltration PMN ↑ Coagulation Activation PLQ ↑ Vasoconstriction ↓ Régionale du flux sanguin AC ↑ ERO Lésions membranes cellulaires ↑ Perméabilité vasculaire Œdème Dommages endothéliaux et tissulaires Rupture BHE Désordres électrolytiques Œdème cellulaire RCP ↑ PIC Activation coagulation ↑ ERO Formation de microthrombi ↑ Coagulation Après RACS Adrénaline Accumulation PMN ↓ Microcirculation cérébrale Infiltration PMN VasoC Instabilité hémodyn. ↓ NO ↑ PPTm ↑ Cytokines ↑ Neurotoxicité ↑ Cellules inflammatoires Lésions tissulaires s Altération vasoD Neurodégénération retardée Altération métabolisme cérébral Exacerbation dommage neuronal 77 Excitotoxicité Les modifications ioniques engendrées par l’ischémie et la reperfusion sont également à l’origine d’un phénomène spécifique au tissu nerveux : l’excitotoxicité. Il implique le glutamate, un neurotransmetteur excitateur. En situation physiologique, le glutamate est libéré par exocytose à partir de vésicules synaptiques et se fixe sur des récepteurs ionotropiques ou métabotropiques post-synaptiques, en particulier les récepteurs N-méthyl-D-aspartate (NMDA) et α-amino-3-hydroxy-5méthylisoazol-4-propionate (AMPA), comme illustré à la Figure 18. Cela provoque l’ouverture de canaux sodiques et calciques, à l’origine d’un influx de Na+ et de Ca2+ au niveau du neurone post-synaptique, d’une dépolarisation de la membrane post-synaptique et engendre ainsi un potentiel d’action. L’action du glutamate au niveau de la synapse se termine grâce à sa recapture par un co-transporteur passif glutamate/Na+, le transfert dépendant du gradient électrochimique du sodium (Mark et al., 2001). Figure 18 : Représentation schématique de la libération synaptique du glutamate Récepteur NMDA (N-méthyl-D-aspartate) Récepteur AMPA (α-amino-3-hydroxy-5-méthylisoazol-4-propionate) Co-transporteur Na+/glutamate Glutamine Glutamate Lors d’ischémie, la dépolarisation neuronale des membranes pré-synaptiques, causée par les perturbations de l’homéostasie ionique, entraîne une libération massive et incontrôlée de glutamate dans l’espace intersynaptique. Celle-ci est exacerbée par la diminution, voire l’inversion, du gradient électrochimique du sodium qui empêche la recapture du neurotransmetteur. Il s’ensuit donc une augmentation importante de la concentration 78 extracellulaire en glutamate, et par suite une activation en excès des récepteurs NMDA et AMPA, provoquant une entrée massive de calcium et de sodium dans les neurones postsynaptiques (Mark et al., 2001). La surcharge calcique provoque notamment l’activation excessive d’un ensemble d’enzymes cytosoliques (protéases, phospholipases, phosphatases, endonucléases), entraînant la dégradation successive des composants nécessaires à la survie cellulaire. Apoptose et nécrose neuronales La mort cellulaire des neurones peut se faire par nécrose ou par apoptose. L’excitotoxicité serait plutôt à l’origine de la première, et les espèces réactives de l’oxygène de la seconde (Kohlhauer, 2012). La proportion de chacune de ces formes dépend également de l’âge du patient et de la population neuronale observée. Les sous-populations de neurones ne sont en effet pas sensibles de la même manière : il en existe des plus vulnérables que d’autres au niveau de l’hippocampe, du cortex, du cervelet, du corps strié et du thalamus (Horstmann et al., 2010 ; Nolan et al., 2010). Caractéristiques de la reperfusion du tissu cérébral Malgré une PPC correcte, une défaillance microcirculatoire cérébrale peut apparaître suite à un arrêt cardiaque : c’est le « no-reflow » (Nolan et al., 2010). Celle-ci est causée par la formation de microthrombi lors de l’activation de la coagulation à la reperfusion, ainsi que par l’accumulation intravasculaire de plaquettes et de neutrophiles activés. L’altération du flux sanguin cérébral microvasculaire qui en découle peut être encore plus aggravée par l’action α1-adrénergique de l’adrénaline endogène ou exogène, qui réduit le flux sanguin capillaire (Chalkias et Xanthos, 2012). Ce phénomène de « no-reflow » peut être à l’origine d’une ischémie cérébrale persistante ou de la formation de petits infarcti dans certaines régions (Nolan et al., 2010). Au niveau macroscopique, la circulation sanguine cérébrale varie selon deux phases : une première phase d’hyperhémie dans les premières minutes qui suivent l’arrêt, suivie d’une phase retardée d’hypoperfusion (HW. Lin et al., 2010 ; Nolan et al., 2010). Ces désordres circulatoires sont dus à un défaut de l’autorégulation du flux sanguin cérébral. L’hyperhémie entraîne une exacerbation de l’œdème et des lésions de reperfusion par la production en excès de radicaux libres (Nolan et al., 2010). L’hypoperfusion aggrave également l’œdème cérébral et compromet l’oxygénation du tissu cérébral. Autres facteurs exacerbant les lésions cérébrales D’autres facteurs peuvent exacerber les lésions cérébrales, comme la pyrexie, l’hyperglycémie et les convulsions (Nolan et al., 2010) : 79 - - - De nombreuses études ont ainsi montré que la mort cérébrale et la mortalité en général étaient associées à des températures corporelles élevées. C’est notamment pourquoi l’hypothermie thérapeutique est utilisée dans un but neuroprotecteur. Une hyperglycémie est également souvent présente chez les patients réanimés, et est associée à une issue neurologique défavorable lors d’arrêt cardiaque. Les études expérimentales ont en effet montré qu’une concentration trop élevée de glucose dans le sang exacerbait les lésions ischémiques cérébrales. Les convulsions après l’arrêt cardiaque sont également associées à un pronostic plus sombre. Elles peuvent être la cause ou la conséquence de la défaillance neurologique. 2. Manifestations cliniques Les manifestations cliniques d’une défaillance neurologique post-arrêt cardiaque comprennent le coma, les convulsions, les myoclonies, différents degrés de déficits neurocognitifs (allant de déficits mnésiques à un état végétatif permanent) et la mort cérébrale. Le coma et les déficits de l’éveil et de la conscience sont une présentation très fréquente de la défaillance neurologique post-arrêt cardiaque. Le coma correspondant à un état d’inconscience avec absence de réponse aux stimuli externes et internes, il sous-entend une dysfonction sévère des régions cérébrales responsables de l’éveil (formation réticulée ascendante, pont, mésencéphale, diencéphale et structures sous-corticales) et de la conscience (structures corticales et sous-corticales bilatérales) (Nolan et al., 2010). B. Dysfonction myocardique Comme la défaillance neurologique, la dysfonction myocardique contribue elle aussi au faible taux de survie. Elle serait en effet la cause de 23,1 % et de 26,2 % des décès suite à un arrêt cardiaque extra-hospitalier et intra-hospitalier respectivement (Laver et al., 2004). C’est au début des années 1980 que Braunwald et Kloner (1982) introduisent la notion de sidération myocardique. Ils la décrivent comme une « dysfonction mécanique qui persiste après reperfusion, malgré l’absence de dommages irréversibles et malgré la restauration d’un flux coronaire normal ». L’atteinte est globale et précoce (Nolan et al., 2010) : - 80 La dysfonction ventriculaire gauche apparaît dans les minutes qui suivent le RACS, et est complètement réversible dans un délai de 48 à 72 heures en l’absence d’IDM sousjacent. Elle est caractérisée par une modification des fonctions systolique et diastolique du ventricule gauche, avec notamment une diminution très nette de la fraction d’éjection ventriculaire gauche (Kern et al., 1996). Ainsi, dans des études menées sur un modèle porcin, cette dernière diminuait de 55 à 20 %, alors que la pression télédiastolique du ventricule gauche augmentait de 8 à 20 mmHg dans les trente minutes suivant le RACS (Nolan et al., 2010). Par ailleurs, une relaxation cardiaque anormale et une dilatation des cavités cardiaques sont également observées (Kern et al., 1996). - Une altération des fonctions systolique et diastolique du ventricule droit est également possible (Meyer et al., 2002). La dysfonction myocardique peut être aggravée par la dépression myocardique provoquée par les catécholamines, ou par l’administration éventuelle d’adrénaline lors de la RCP. Ces dernières peuvent être responsables de valeurs normales à élevées de fréquence cardiaque et de pression sanguine au début de la reperfusion (Nolan et al., 2010). Les principaux mécanismes à l’origine de la dysfonction myocardique sont illustrés à la Figure 19. La sidération myocardique est ainsi à la fois le résultat : - - de lésions provoquées par l’ischémie lors de l’arrêt cardiaque, en particulier les modifications ioniques provoquées par la déplétion énergétique, qui engendrent un œdème des myofibrilles, une protéolyse de l’appareil contractile, et diminuent par conséquent la contractilité ; de lésions provoquées par la reperfusion lors de la RCP, notamment le stress oxydatif à l’origine d’altérations des protéines contractiles, et l’inflammation. Outre ce phénomène de sidération, le myocarde est également sujet à un œdème, causé notamment par l’arrêt du flux lymphatique drainant l’espace interstitiel. Le phénomène de « no-reflow » observé au niveau du tissu cérébral se retrouve également au niveau du myocarde, ainsi atteint par une hypoperfusion microcirculatoire (Kohlhauer, 2012). De nombreuses études ont suggéré que cette dysfonction myocardique était transitoire, et qu’un rétablissement complet était possible. Ainsi, dans un modèle expérimental porcin ne présentant aucun antécédent cardiovasculaire, la perfusion d’un inotrope, la dobutamine, à 510 μg/kg/min améliorait nettement les fonctions systolique (fraction d’éjection du ventricule gauche plus élevée) et diastolique (meilleure relaxation isovolumique (RI) du ventricule gauche). La normalisation des paramètres hémodynamiques se faisait ainsi en 24 à 48 heures (Kern et al., 1997). Chez l’Homme, une étude chez les patients survivants d’un arrêt cardiaque extrahospitalier a montré que l’index cardiaque atteint son nadir 8 heures après la réanimation, s’améliore fortement après 24 heures et revient à la normale après 72 heures. La persistance d’un index cardiaque effondré à la 24ème heure est cependant associée à un décès précoce, le plus souvent à cause d’une défaillance multiviscérale (Laurent et al., 2002). La défaillance hémodynamique est donc non seulement causée par la dysfonction myocardique post-arrêt cardiaque, mais est également associée à une composante vasoplégique secondaire, conséquence du syndrome de réponse inflammatoire systémique post-arrêt cardiaque. 81 82 Figure 19 : Résumé schématique des mécanismes physiopathologiques responsables de la dysfonction myocardique ATP : adénosine triphosphate ; ERO : espèces réactives de l’oxygène ; RCP : réanimation cardio-pulmonaire ; TNF : Tumor Necrosis Factor ISCHÉMIE/ARRÊT CARDIAQUE ↓ ATP ↓ Activité + Na /K+-ATPase Entrée de Na+ Œdème des myofibrilles Diminution de la force contractile Stress oxydatif et ERO Inflammation Fonctionnement de l’échangeur Na+/Ca2+ en mode reverse ↑ Ca2+ intracellulaire Altération des mouvements des têtes de myosine sur l’actine REPERFUSION/RCP Activation de protéases Protéolyse des éléments de l’appareil contractile Modifications oxydatives des protéines contractiles ↓ Sensibilité au calcium des myofibrilles Catécholamines Lésions myocardiques Rôle proapoptotique du TNFα via l’activation de caspases ↓ Contractilité des myofibrilles Dépression myocardique DYSFONCTION MYOCARDIQUE C. Syndrome de réponse inflammatoire systémique La réponse systémique de l’organisme lors d’arrêt cardiaque présente des caractéristiques communes avec un sepsis. En effet, l’arrêt cardiaque représente le stade le plus sévère de l’état de choc, au cours duquel l’apport d’oxygène et de nutriments, ainsi que l’élimination des métabolites, sont interrompus. La RCP permet une inversion partielle de ce processus, mais le débit cardiaque et l’apport d’oxygène restent diminués. L’apport tissulaire en oxygène peut rester inadéquat après le RACS du fait de la dysfonction myocardique, de l’instabilité hémodynamique et de la défaillance microcirculatoire (Nolan et al., 2010). Tout comme lors de sepsis, la réponse systémique de l’organisme consiste en une réponse inflammatoire, avec notamment une production augmentée mais dérégulée de cytokines plasmatiques et la présence d’endotoxines dans le plasma. Elle comprend également des anomalies de la coagulation et d’autres défaillances d’organes, en particulier les surrénales (Adrie et al., 2004). 1. Réponse inflammatoire a. Activation des neutrophiles Lors de la reperfusion, la production en excès d’espèces réactives de l’oxygène, associée à une libération massive dans la circulation sanguine de cytokines, de facteurs de la coagulation et de produits d’activation du complément, aboutit à une activation des neutrophiles. Ils surexpriment à leur surface des molécules d’adhésion, notamment les intercellular adhesion molecules-1 (ICAM-1), les vascular cell adhesion molecules-1 (VCAM-1) et les sélectines E et P (Geppert et al., 2000 ; Nolan et al., 2010). Ces neutrophiles activés se lient à leurs ligands endothéliaux puis quittent le compartiment vasculaire pour migrer vers le lieu de dommage tissulaire. Cette extravasation leucocytaire représente une étape clé dans les mécanismes à l’origine des lésions d’ischémiereperfusion. En effet, elle engendre des lésions endothéliales, augmentant ainsi la perméabilité microvasculaire et favorisant la thrombose (Adrie et al., 2004). Elle compromet également la fonction de barrière que jouent les muqueuses, notamment au niveau intestinal, et favorise ainsi la translocation de bactéries et d’endotoxines dans la circulation sanguine (Adrie et al., 2002 ; Adrie et al., 2004). L’activation des neutrophiles aboutit par ailleurs à une libération d’espèces réactives de l’oxygène et d’enzymes protéolytiques qui, en provoquant une peroxydation des lipides et une lyse de protéines structurales, exacerbent les lésions cellulaires (Kohlhauer, 2012). Rappelons enfin que ces neutrophiles interviennent également dans le « no-reflow », leur accumulation dans la lumière des capillaires pouvant entraver la microcirculation (Figure 8). b. Augmentation des concentrations plasmatiques de cytokines Parallèlement à cette réponse cellulaire, une augmentation des concentrations plasmatiques de certaines cytokines et de certains récepteurs solubles apparaît dans les trois 83 heures suivant l’arrêt cardiaque chez tous les patients réanimés, comme le montre les résultats des études d’Adrie et al. (Adrie et al., 2002 ; Adrie et al., 2004). Cette élévation du taux de cytokines étant également mise en évidence lors de sepsis, on qualifie le syndrome post-arrêt cardiaque de syndrome « sepsis-like ». L’une des études d’Adrie et al. (2002) a toutefois montré que l’augmentation de concentrations plasmatiques de l’interleukine (IL) 1ra, l’IL-6, l’IL-8 et l’IL-10 était moins importante chez les victimes d’arrêt cardiaque qui survivent à la décharge hospitalière que chez ceux décédant précocément, comme illustré à la Figure 20. D’autre part, il a été montré une corrélation entre les concentrations de certaines cytokines, notamment celles de l’IL-6, et celles du récepteur soluble TNF-II et du lactate, marqueur d’hypoxie tissulaire, suggérant ainsi l’étroite relation entre le syndrome d’ischémie-reperfusion et la réponse inflammatoire. Figure 20 : Évolution de la concentration plasmatique en IL-6 sur 7 jours chez des patients réanimés d'un arrêt cardiaque (d'après Adrie et al., 2004) AC : arrêt cardiaque ; IL : interleukine c. Réponse leucocytaire Une diminution de la réponse leucocytaire est par ailleurs rapportée lors de syndrome systémique inflammatoire. Elle est aussi identifiée lors de sepsis. On parle de « tolérance aux endotoxines » (Nolan et al., 2010). Elle affecte aussi bien les monocytes que les neutrophiles et les lymphocytes et dépend de la nature du signal activateur. Cette tolérance est due à la libération de facteurs sériques solubles dans la circulation sanguine après un arrêt cardiaque, et non pas à la mort cellulaire de ces leucocytes (Adrie et al., 2002). Si elle protège contre une dérégulation de processus pro-inflammatoires pouvant faire suite à un arrêt cardiaque, elle induit également une immunosuppression endogène, augmentant ainsi les risques d’infections nosocomiales (Cavaillon et al., 2003). 84 2. Coagulopathie Un dysfonctionnement de la coagulation est également observé lors de syndrome postarrêt cardiaque (Nolan et al., 2010). Cette coagulopathie entretient un lien étroit avec la réponse inflammatoire, l’une aggravant l’autre. En effet, les cytokines produites, et notamment le TNFα, l’IL-1 et l’IL-6, entraînent une surexpression du facteur tissulaire, qui joue un rôle majeur dans l’initiation de la coagulation intravasculaire. La thrombine, qui sera par la suite produite par clivage de la prothrombine, joue, en plus de son rôle activateur du fibrinogène, un rôle pro-inflammatoire (Adrie et al., 2005). Chez les patients réanimés d’un arrêt cardiaque, on observe une activation marquée de la coagulation avec une diminution de facteurs anticoagulants comme l’antithrombine, la protéine S et la protéine C. En revanche, Adrie et al. (2005) ont constaté, juste après la réanimation, une augmentation transitoire de la protéine C activée, comme illustré à la Figure 21. Si chez les patients sains, la formation de protéine C activée dans le plasma dépend des concentrations circulantes en protéine C et en thrombine, la conversion de la protéine C endogène en protéine C activée est altérée chez les patients atteints de sepsis du fait d’un dysfonctionnement endothélial. Lors d’arrêt cardiaque, il est ainsi suggéré qu’une stimulation endothéliale précoce engendrant une production de thrombine est responsable de l’augmentation importante de l’activation de la protéine C, et que cette phase est rapidement suivie d’une phase de dysfonctionnement endothélial, expliquant la diminution de concentration de protéine C activée observée par la suite (Adrie et al., 2005). Figure 21 : Évolution de la concentration plasmatique en protéine C activée chez 16 patients réanimés d'un arrêt cardiaque (d'après Adrie et al., 2005) Cette activation de la coagulation n’est cependant pas compensée par une activation adéquate de la fibrinolyse. Cela peut donc entraîner une accumulation de fibrine dans la lumière des vaisseaux, ce qui augmente le risque de microthrombose, et contribue de façon non négligeable aux défaillances circulatoires observées à l’échelle microvasculaire (Nolan et al., 2010). 85 3. Autres défaillances d’organes L’ischémie et la reperfusion sont à l’origine d’une défaillance multiviscérale, affectant notamment les surrénales. Bien qu’une augmentation de la concentration en cortisol plasmatique soit observée chez la plupart des patients suite à un arrêt cardiaque extrahospitalier, une insuffisance surrénalienne est fréquente. Elle est définie comme une incapacité de l’organisme à augmenter la concentration de cortisol sanguin de plus de 9 μg/dL suite à une injection de corticotropine (Nolan et al., 2010). Par ailleurs, Hékimian et al. (2004) ont montré que les concentrations sanguines en cortisol mesurées entre la 6ème et la 36ème heure après arrêt cardiaque étaient plus faibles chez les patients qui décèdaient d’une défaillance cardiovasculaire que chez ceux qui mourraient d’une défaillance neurologique. Ces résultats sont illustrés à la Figure 22. Figure 22 : Concentrations sanguines en cortisol mesurées entre la 6ème et la 36ème heure après arrêt cardiaque (d'après Hékimian et al., 2004) Concentration sanguine en cortisol (μg/dL) 80 70 60 50 40 30 20 10 0 Survie sans séquelles neurologiques Décès précoce dû à une Décès tardif suite à une défaillance défaillance neurologique cardiovasculaire Les autres défaillances d’organes habituellement observées concernent le foie, les reins et les poumons. Dans la plupart des cas, ces affections sont réversibles et répondent bien au traitement mis en place. Les signes cliniques classiquement observés lors de syndrome systémique inflammatoire sont (Nolan et al., 2010) : - 86 une diminution du volume intravasculaire ; une altération de la vasorégulation ; une altération des mécanismes d’apport et d’utilisation de l’oxygène ; une sensibilité accrue aux infections. D. Prise en charge du syndrome post-arrêt cardiaque Dans cette partie, la gestion du syndrome post-arrêt cardiaque sera envisagée aussi bien chez l’Homme que chez les carnivores domestiques. La prise en charge des patients atteints de syndrome post-arrêt cardiaque doit se faire rapidement. Elle nécessite la mise en place d’une surveillance attentive, ainsi que des soins intensifs, qui se font selon un ordre précis et qui doivent être adaptés à l’étiologie de l’arrêt cardiaque et à l’état clinique du patient (Nolan et al., 2010). Les fonctions respiratoire et hémodynamique doivent notamment faire l’objet d’une surveillance accrue. Des stratégies neuroprotectrices, comme l’hypothermie thérapeutique, peuvent également être envisagées (Adrie et al., 2004 ; Nolan et al., 2010). Les différentes options de surveillance sont présentées au Tableau 11. Tableau 11 : Les différentes options de surveillance lors de syndrome post-arrêt cardiaque (d'après Nolan et al., 2010 ; Reynolds et Lawner, 2012) ECG : électrocardiogramme ; IRM : imagerie par résonance magnétique Surveillance classiquement réalisée en soins intensifs Surveillancé avancée de la fonction hémodynamique Surveillance de la fonction neurologique Cathéter artériel Saturation en oxygène par oxymétrie de pouls ECG continu Pression veineuse centrale Saturation veineuse centrale en oxygène Température (rectale, œsophagienne) Miction Gaz du sang artériel Lactatémie Glycémie, électrolytes, hémogramme… Radiographie thoracique Échocardiographie Surveillance du débit cardiaque (non invasif ou via un cathéter dans l’artère pulmonaire) Électroencéphalogramme (continu ou non) pour détecter et traiter de façon précoce les convulsions Scanner/IRM L’algorithme décisionnel proposé par le RECOVER pour la prise en charge du syndrome post-arrêt cardiaque chez les carnivores domestiques est présenté à la Figure 23. 87 Figure 23 : Algorithme décisionnel de la prise en charge du syndrome post-arrêt cardiaque chez les carnivores domestiques (d’après Fletcher et al., 2012) FiO2 : fraction inspirée en oxygène ; IV : voie intraveineuse ; PaCO2 : pression artérielle partielle en dioxyde de carbone ; PAM : pression artérielle moyenne ; PaO2 : pression artérielle partielle en oxygène ; PAS : pression artérielle systolique ; PEtCO2 : pression téléexpiratoire en dioxyde de carbone ; PVC : pression veineuse centrale ; RACS : reprise d’activité cardiaque spontanée ; SpO2 : saturation pulsée en oxygène ; SvcO2 : saturation veineuse centrale en oxygène RACS Non Respiration spontanée ? OPTIMISATION FONCTION RESPIRATOIRE Oui PaCO2 ou PEtCO2 + 5 mmHg Non Chiens = 32-43 mmHg ? Chats = 26-36 mmHg ? Oui Ajustement de la FiO2 Ventilation mécanique Oui Non FiO2 > 0,6 SpO2 > 98% PaO2 > 100 mmHg SpO2 = 94-98% PaO2 = 80-100 mmHg SpO2 < 94% PaO2 < 80 mmHg HYPEROXIE NORMOXIE HYPOXIE PAS > 200 mmHg PAM > 120 mmHg PAS = 100-200 mmHg PAM = 80-120 mmHg PAS < 100 mmHg PAM < 80 mmHg HYPERTENSION NORMOTENSION HYPOTENSION SvcO2 > 70% ? Lactates < 2,5mmol/L ? 1. Diminuer la pression 2. Gérer la douleur 1. Hypovolémie ? Oui Fluides IV Oui 2. Vasodilatation ? Oui OPTIMISATION PARAMÈTRES HÉMODYNAMIQUES Vasoconstricteurs 4. PVC < 25% ? Oui Transfuser NEUROPROTECTION 88 3. Hypocontractilité ? Oui Inotropes 1. Contrôle de la fonction respiratoire La ventilation impacte différents processus physiologiques. Il faut le prendre en compte pour gérer le syndrôme post-arrêt cardiaque. Elle a tout d’abord une influence sur la capnie, qui peut elle-même influer sur la perfusion cérébrale. En effet, malgré la perte d’autorégulation du débit sanguin cérébral observée chez la plupart des patients après un arrêt cardiaque, la réactivité cérébrovasculaire au CO2 est conservée (Reynolds et Lawner, 2012). Ainsi, une hypocapnie, induite par l’hyperventilation par exemple, provoque une vasoconstriction cérébrale pouvant être à l’origine d’une ischémie cérébrale potentiellement fatale. En revanche, l’hypoventilation entraîne, en plus d’une hypoxie et d’une acidose métabolique, une hypercapnie qui augmente la perfusion cérébrale et peut entraîner une élévation de la pression intracrânienne (Nolan et al., 2010 ; Reynolds et Lawner, 2012). Il est par conséquent recommandé, tant chez l’Homme que chez l’animal, de ventiler les patients de manière à obtenir une normocapnie (Tableau 12) (Nolan et al., 2010 ; Fletcher et al., 2012 ; Reynolds et Lawner, 2012). Une analyse fréquente des gaz sanguins est fortement préconisée. Une fois la capnie normalisée, il faut chercher à optimiser la saturation en oxygène, et notamment à éviter l’hyperoxie. En effet, si lors de RCP, il est recommandé de ventiler le patient avec une FiO2 de 100 %, cette dernière est souvent maintenue à 100 % pour la ventilation après le RACS, ce qui peut avoir des effets néfastes. Des études animales ont montré que l’hyperoxie, en particulier dans l’heure qui suivait le RACS, exacerbait les lésions provoquées par le stress oxydatif ainsi que la mort neuronale, et compromettait ainsi le pronostic neurologique (Pilcher et al., 2012). Chez l’Homme, une étude menée sur une cohorte multicentrique a montré une mortalité plus importante chez les patients hyperoxiques après RCP que chez les patients normoxiques et hypoxiques (Kilgannon et al., 2010). Les recommandations préconisent donc un ajustement de la FiO2 après le RACS de manière à obtenir une saturation artérielle en oxygène de l’ordre de 94 à 96 % chez l’Homme et de 94 à 98 % chez l’animal (Tableau 12) (Nolan et al., 2010 ; Fletcher et al., 2012 ; Reynolds et Lawner, 2012). Une ventilation mécanique à pression positive intermittente peut être mise en place. Cependant, elle peut entraîner une augmentation de la pression intra-thoracique, ce qui risque de diminuer le retour veineux et par conséquent le débit cardiaque (Fletcher et al., 2012). Le volume courant et la pression utilisés pour la ventilation ne doivent également pas être excessifs, au risque de provoquer des barotraumatismes ou des volotraumatismes. Si chez les patients en sepsis, on recommande l’utilisation d’un volume courant de 6 mL/kg et d’un plateau de pression ne dépassant pas 30 cmH2O, il peut s’avérer nécessaire d’utiliser un volume courant supérieur lors de syndrome post-arrêt cardiaque pour éviter l’hypercapnie (Nolan et al., 2010). 89 Tableau 12 : Valeurs cibles recommandées chez l'Homme et les carnivores domestiques pour optimiser la fonction respiratoire lors de la prise en charge de syndrome post-arrêt cardiaque (d'après Nolan et al., 2010 ; Fletcher et al., 2012 ; Reynolds et Lawner, 2012) PaCO2 : pression artérielle partielle en dioxyde de carbone ; PaO2 : pression artérielle partielle en oxygène ; SpO2 : saturation pulsée en oxygène PaCO2 PaO2 SpO2 Chien Chat Homme 32 à 43 mmHg 26 à 36 mmHg 36 à 44 mmHg 80 à 100 mmHg 80 à 100 mmHg > 60 mmHg 94 à 98 % 94 à 98 % 94 à 96 % 2. Contrôle de la fonction cardiovasculaire Comme il a été vu précédemment, la dysfonction myocardique et la réponse inflammatoire systémique lors de syndrome post-arrêt cardiaque présentent de nombreux points communs avec le sepsis (Adrie et al., 2002). Cet état étant particulièrement sensible à une thérapeutique précoce, sa gestion passe par une optimisation de la précharge, de la postcharge, de la contractilité, et de l’équilibre entre l’apport et l’utilisation de l’oxygène (Nolan et al., 2010 ; Reynolds et Lawner, 2012). En effet, l’amélioration de la fonction cardiovasculaire contribue à diminuer l’activation de l’inflammation et la défaillance multiviscérale. L’optimisation de la fonction cardiovasculaire représente toutefois un réel challenge, car les différents paramètres hémodynamiques à contrôler sont susceptibles de subir de profondes variations (Nolan et al., 2010 ; Reynolds et Lawner, 2012) : - - - - 90 Les différentes causes d’arrêt cardiaque, telles que la tamponnade, l’IDM, l’embolie pulmonaire, le pneumothorax sous tension, entraînent une augmentation de la valeur de base de la pression veineuse centrale, indépendamment du statut volémique du patient. Si une perfusion adéquate du cerveau post-ischémique s’avère nécessaire, elle doit prendre en compte le travail que cela nécessite pour un cœur qui a aussi subi des lésions d’ischémie-reperfusion. De plus, la perte d’autorégulation cérébrale rend la pression de perfusion cérébrale largement dépendante de la pression artérielle moyenne (PPC = PAM - PIC). La PAM optimale à atteindre lors de syndrome post-arrêt cardiaque peut varier. Plus l’arrêt est de longue durée, plus les chances que des phénomènes de « no-reflow » se développent sont grandes, et plus il est judicieux d’avoir une PAM élevée pour contrer ce phénomène. A l’inverse, lors d’IDM ou de dysfonction myocardique sévère, des PAM cibles les plus faibles possibles, mais restant adéquates pour assurer une perfusion cérébrale, se révèlent bénéfiques. Une saturation veineuse centrale en oxygène élevée ne reflète pas forcément un apport d’oxygène adéquat. En effet, un phénomène, appelé « hyperoxie veineuse », peut être - observé chez certains patients, en particulier chez ceux recevant des hautes doses d’adrénaline lors de RCP. Cette hyperoxie veineuse correspond à une altération de l’utilisation de l’oxygène à l’échelle cellulaire et pourrait être due à une défaillance microcirculatoire ou à une défaillance mitochondriale. Le débit des mictions est plus important lors d’hypothermie thérapeutique du fait de la diurèse induite par le froid, et devient inutilisable lors d’insuffisance rénale. La clairance du lactate n’est pas fiable lors d’hypothermie thérapeutique, lors de convulsions, lors d’activité motrice excessive ou lors d’insuffisance hépatique. Malgré une optimisation de la fonction hémodynamique, une instabilité peut persister et se manifester par des arythmies, de l’hypotension et un index cardiaque qui reste faible. L’utilisation d’une fluidothérapie adaptée, d’inotropes et de vasopresseurs peut donc s’avérer nécessaire. En l’absence d’effets, des instruments d’assistance mécanique, comme un ballon de contre-pulsion aortique ou un dispositif d’assistance ventriculaire gauche, ou une oxygénation par membrane extra-corporelle, peuvent être utilisés (Reynolds et Lawner, 2012). Si l’évolution de certains paramètres hémodynamiques doit ainsi être contrôlée, leurs valeurs cibles chez l’Homme doivent encore être définies. Les valeurs préconisées pour certains paramètres figurent dans le Tableau 13. Tableau 13 : Paramètres hémodynamiques à contrôler chez l’Homme pour optimiser la fonction cardiovasculaire lors de la prise en charge de syndrome post-arrêt cardiaque (d'après Nolan et al., 2010) Paramètres hémodynamiques à contrôler Pression artérielle moyenne Pression veineuse centrale Saturation veineuse centrale en oxygène Miction Lactatémie Valeurs préconisées 65-100 mmHg (à moduler en fonction de la pression sanguine normale du patient, de la cause de l’arrêt cardiaque et de la gravité de la dysfonction myocardique) 8-12 mmHg > 70 % > 1 mL/kg/h Normale ou en diminution Enfin, il convient également de rappeler qu’un syndrome coronarien aigu est présent chez la plupart des patients victimes d’arrêt cardiaque extra-hospitalier, et que l’IDM est une cause majeure d’arrêt cardiaque chez l’Homme (Adabag et al., 2010). La nécessité de rétablir une perfusion coronarienne chez ces patients est cruciale. Cela requiert notamment la réalisation d’une coronographie afin d’identifier les lésions, et d’une revascularisation par angioplastie percutanée ou par thrombolyse (Reynolds et Lawner, 2012). Nous reparlerons de ces modalités en troisième partie. Chez les carnivores domestiques, une première appréciation de la fonction hémodynamique passe par l’évaluation de la PAM et la PAS, comme illustré sur l’algorithme 91 décisionnel de la Figure 23. Les valeurs cibles ou seuils des paramètres hémodynamiques à évaluer sont montrées dans le Tableau 14. En cas d’hypertension, un traitement destiné à diminuer la pression, puis un traitement antalgique ou à base d’anti-hypertenseurs, peuvent être mis en place. En revanche, si l’animal est hypotendu, il est nécessaire de contrôler d’éventuelles hypovolémie, vasodilatation ou diminution de la contractilité. De la même manière que chez l’Homme, ces troubles peuvent être traités par une fluidothérapie, des vasopresseurs et des inotropes positifs. Une fois les valeurs cibles de pressions artérielles atteintes, la saturation veineuse centrale en oxygène et la lactatémie pourront être évaluées afin de déterminer l’efficacité de l’apport d’oxygène aux tissus (Fletcher et al., 2012). Tableau 14 : Paramètres hémodynamiques à contrôler chez les carnivores domestiques pour optimiser la fonction cardiovasculaire lors de la prise en charge du syndrome post-arrêt cardiaque (d’après Fletcher et al., 2012) Paramètres hémodynamiques à contrôler Pression artérielle moyenne Pression systolique moyenne Pression veineuse centrale Saturation veineuse centrale en oxygène Lactatémie Valeurs cibles/seuils 80-120 mmHg 100-140 mmHg > 10 cmH2O > 70 % < 2,5 mmol/L 3. Stratégies neuroprotectrices Le cerveau et le système nerveux en général sont très sensibles à l’ischémie et à la reperfusion. La fonction neurologique du patient suite à un arrêt cardiaque conditionne le pronostic. C’est pourquoi des stratégies neuroprotectrices sont mises en œuvre lors de la prise en charge du syndrome post-arrêt cardiaque. Sédation et blocage neuromusculaire En l’absence de signes de réveil dans les premières cinq à dix minutes qui suivent le RACS, une sédation du patient à l’aide d’opioïdes et d’hypnotiques doit être entreprise (Nolan et al., 2010). Elle permet de mettre les cellules musculaires au repos, limitant ainsi leur consommation en oxygène, et peut également être utilisée lors d’hypothermie thérapeutique pour prévenir les frissonnements, permettant ainsi un refroidissement plus rapide et un maintien plus stable à la température cible de 32-34°C (Reynolds et Lawner, 2012). Si le frissonnement persiste malgré une sédation profonde, des principes actifs permettant un blocage neuromusculaire peuvent être employés. Leur utilisation doit se faire sous surveillance minutieuse, et la réalisation concomitante d’un électroencéphalogramme est fortement conseillée (Nolan et al., 2010). Contrôle des convulsions La défaillance neurologique lors de syndrome post-arrêt cardiaque se manifeste souvent par des convulsions ou des myoclonies. En effet, elles touchent 5 à 15 % des patients 92 adultes après le RACS (Nolan et al., 2010). En augmentant le métabolisme cérébral, elles exacerbent les lésions déjà présentes. Leur contrôle est donc primordial, et se fait grâce à des molécules telles que les benzodiazépines ou d’autres anti-épileptiques comme la phénytoïne. En l’absence d’effets, des agents sédatifs comme le propofol ou les barbituriques doivent être envisagés (Reynolds et Lawner, 2012). Leur utilisation doit cependant se faire avec précaution, car ces molécules ont un effet hypotenseur non négligeable (Nolan et al., 2010). Hypothermie thérapeutique L’hypothermie thérapeutique reste le seul traitement ayant montré une augmentation de la survie et des effets neuroprotecteurs lors de syndrome post-arrêt cardiaque (Nolan et al., 2010 ; Reynolds et Lawner, 2012). Elle sera envisagée plus en détails dans la troisième partie. Agents pharmacologiques neuroprotecteurs De nombreuses études menées sur des modèles animaux ont montré le rôle neuroprotecteur de certains agents pharmacologiques. Parmi ceux-ci, on peut citer des anesthésiques, des anticonvulsivants, des antagonistes des canaux sodiques et calciques, des antagonistes des récepteurs NMDA, des immunosuppresseurs, des facteurs de croissance, des inhibiteurs de protéases, le magnésium et des agonistes de l’acide γ-aminobutyrique (GABA) (Nolan et al., 2010). Les effets de certains de ces agents seront également détaillés en troisième partie. 4. Autres La prise en charge d’autres particularités du syndrome post-arrêt cardiaque est également à envisager (Nolan et al., 2010 ; Reynolds et Lawner, 2012) : - - - - Comme il a déjà été mentionné, une hyperglycémie est fréquemment rencontrée suite à un arrêt cardiaque. Un suivi régulier, en particulier lors d’hypothermie thérapeutique, est à réaliser, et un traitement à base d’insuline doit être initié si la glycémie reste trop élevée. Les complications infectieuses sont parfois inévitables, comme chez tous les patients en état critique. Les pneumonies d’aspiration, ou causées par la ventilation artificielle, sont ainsi rencontrées chez 50 % des patients suite à un arrêt cardiaque extrahospitalier, et constituent les complications les plus fréquentes. Des antibiotiques peuvent donc être utilisés à condition que leur emploi soit compatible avec la cause de l’arrêt cardiaque. Si une insuffisance rénale se développe, elle doit être prise en charge au plus vite, notamment en cas de désordres électrolytiques ou de certaines causes métaboliques d’arrêt cardiaque. Le traitement de l’insuffisance surrénalienne par des corticostéroïdes sera envisagé en troisième partie. 93 Malgré l’obtention d’un RACS suite à une RCP, la survie d’un patient victime d’un arrêt cardiaque reste compromise à cause du syndrome post-arrêt cardiaque. Caractérisé par une défaillance multiviscérale, ce syndrome touche en particulier les fonctions neurologique et cardiaque, et est associé à une réponse inflammatoire systémique. La défaillance neurologique est en grande partie liée à un phénomène spécifique au tissu cérébral, qui implique le glutamate, un neurotransmetteur excitateur : c’est l’excitotoxicité. Cette dernière est la principale cause de mort neuronale, qui peut se faire par nécrose ou par apoptose. Si globalement le cerveau est à considérer comme un organe très sensible à l’hypoxie, il faut toutefois noter une régionalisation de l’atteinte, avec des zones plus vulnérables, comme le cortex, l’hippocampe ou encore le cervelet. Parallèlement à l’excitotoxicité, les désordres électrolytiques sont à l’origine d’une rupture de la barrière hémato-encéphalique, suite à laquelle un œdème cérébral se forme, compromettant encore plus la perfusion du tissu cérébral et pouvant engendrer une hypertension intracrânienne. Contrairement aux lésions neuronales, la dysfonction myocardique peut être réversible, sauf en cas d’infarctus du myocarde sous-jacent. Elle se manifeste par une sidération myocardiaque, avec atteinte des fonctions ventriculaires gauche et droite. Un œdème du myocarde et le phénomène de « no-reflow » peuvent également être constatés. La réponse inflammatoire systémique post-arrêt cardiaque présente de nombreuses caractéristiques communes avec celle observée lors de sepsis. Elle est caractérisée par une activation des neutrophiles, une forte augmentation des concentrations plasmatiques de cytokines, en particulier pro-inflammatoires, et d’une diminution de la réponse leucocytaire. De plus, une activation de la coagulation non compensée par une fibrinolyse adéquate survient, expliquant en partie les défaillances microcirculatoires observées. D’autres organes, comme les surrénales, peuvent également être atteints. Comme pour la RCP, la prise en charge du syndrome post-arrêt cardiaque doit se faire au cas par cas et selon un ordre précis. En effet, le premier objectif consiste en l’optimisation de la fonction respiratoire, avec notamment un contrôle minutieux de la capnie et de la saturation en oxygène. Il s’agit ensuite d’optimiser la fonction cardiovasculaire, en utilisant à bon escient une fluidothérapie, des vasopresseurs, des inotropes ou des anti-hypertenseurs associés à une analgésie. Des stratégies neuroprotectrices peuvent par la suite être mises en place, la fonction neurologique conditionnant le pronostic vital à plus long terme. 94 Deuxième partie : L’UTILISATION DES MODÈLES ANIMAUX POUR L’ÉTUDE DE L’ARRÊT CARDIAQUE 95 96 I. Généralités sur les animaux de laboratoire A. L’expérimentation animale et les animaux de laboratoire 1. L’expérimentation animale Le terme « animaux de laboratoire » comprend tous les animaux vertébrés utilisés ou destinés à être utilisés pour des fins scientifiques, que ce soit pour la recherche, les essais ou l’enseignement (National Research Council, 2011). S’il est possible d’avoir recours à de nombreuses espèces, l’expérimentation animale est réglementée tant au niveau national, qu’européen ou international. Aux États-Unis par exemple, c’est l’Animal Welfare Act qui réglemente le traitement des animaux de laboratoire (National Research Council, 2011). En France, la législation se base sur la Convention STE 123, élaborée par le Conseil de l’Europe (1986). Dans un souci d’harmonisation à l’échelle européen, les différentes clauses de cette Convention ont par la suite été reprises dans des décrets et des directives, en particulier la Directive 2010/63/UE (Parlement Européen et Conseil de l’Union Européenne, 2010). Les expériences menées sur ces animaux doivent ainsi revêtir un caractère de nécessité, et être justifiées par l’absence de méthodes alternatives, pouvant se substituer à l’utilisation de l’animal. Seules des personnes compétentes peuvent mener les procédures expérimentales, et ce dans un bâtiment agréé. Ces procédures doivent par ailleurs respecter le bien-être animal par application de la réglementation en vigueur (Inserm, 2014). L’éthique est en effet au cœur des préoccupations en recherche animale, et vise notamment à améliorer les conditions de vie des animaux de laboratoire. Elle s’appuie sur des comités d’éthique, qu’il faut consulter avant toute expérience impliquant des animaux, et sur le principe de « la règle des 3R », pour Réduction, Raffinement et Remplacement (National Research Council, 2011). Élaborée en 1959 par Russell et Burch, cette approche comprend les points suivants (Russell et Burch, 1959) : - - la Réduction du nombre d’animaux utilisés lors d’expérimentation, sans que cela compromette l’exploitabilité et la fiabilité des résultats ; le Raffinement de la méthodologie utilisée, à savoir la modification des procédures d’élevage ou d’expérimentation, de façon à améliorer le bien-être animal et à minimiser, éliminer ou soulager la douleur, l’inconfort et le stress ; le Remplacement des modèles animaux, soit de façon absolue en utilisant des systèmes inanimés, comme des modèles informatiques, soit de façon relative en utilisant des espèces moins avancées dans le processus d’évolution, comme des invertébrés, ou des cultures tissulaires. 97 2. L’animal de laboratoire D’après le Code rural, les animaux de laboratoire sont « des êtres sensibles ». C’est pourquoi leur provenance, ainsi que les conditions de transport et d’hébergement, doivent suivre un certain nombre de règles de façon à assurer au mieux leur protection et leur bienêtre. Statuts microbiologiques et sanitaires Il existe plusieurs statuts microbiologiques pour les animaux de laboratoire en fonction de la flore bactérienne qu’ils hébergent. Ces différents statuts sont définis au Tableau 15. Tableau 15 : Les différents statuts microbiologiques des animaux de laboratoire (d'après Inserm, 2014) Statut microbiologique Axénique Gnotoxénique Hétéroxénique Holoxénique Description Animaux indemnes de tout micro-organisme Animaux contaminés expérimentalement par une flore bactérienne définie Animaux hébergeant une flore bactérienne non pathogène Animaux hébergeant une flore bactérienne qui peut être pathogène Les deux premiers statuts concernent quasiment exclusivement les rongeurs, alors que les deux autres peuvent concerner d’autres espèces animales. Le statut sanitaire désigne l’état microbiologique d’une population animale en fonction du caractère pathogène ou non des micro-organismes que cette espèce héberge. On distingue ainsi : - le statut sanitaire conventionnel pour les animaux holoxéniques ; - pour les animaux hétéroxéniques : Le statut sanitaire SPF (Specific Pathogen Free), défini par rapport à une liste de référence d’organismes pathogènes pour l’espèce considérée. En France, cette liste correspond à celle proposée par la Federation of European Laboratory Animal Science Associations. Le statut sanitaire SOPF (Specific Opportunistic and Pathogen Free), qui implique, en plus de la recherche d’organismes pathogènes pour l’espèce considérée, celle de bactéries opportunistes les plus fréquemment rencontrées. Provenance Les animaux de laboratoire proviennent d’élevages spécialisés agréés. Les éleveurs se doivent de fournir des informations concernant le statut génétique de leurs animaux, leur statut sanitaire et leurs antécédents cliniques (statut vaccinal, éventuelles administrations d’anthelminthiques…) (National Research Council, 2011). 98 Transport Le transport vers les établissements de recherche est réglementé, mais il doit aussi répondre à des préoccupations éthiques et des nécessités scientifiques et techniques (Swallow et al., 2005 ; National Research Council, 2011). En effet, il constitue une source de stress pour les animaux, et peut provoquer des modifications au niveau des systèmes cardiovasculaire, endocrinien, immunitaire et reproducteur. Le transport peut ainsi avoir un impact sur le bienêtre animal et sur la validité scientifique des études qui utilisent par la suite les animaux transportés. Il est notamment à l’origine d’une perte pondérale importante et d’une diminution des défenses immunitaires de l’organisme (Obernier et Baldwin, 2006). Il convient donc de garantir un niveau approprié de biosécurité animale tout en minimisant les risques zoonotiques et en évitant le surpeuplement. Il faut également assurer une ventilation correcte des véhicules, l’abreuvement, la nourriture, le repos et si nécessaire, les soins des animaux transportés (Swallow et al., 2005). Quarantaine Pour des questions de biosécurité animale, les animaux sont, d’une manière générale, placés en quarantaine dès leur arrivée dans l’établissement d’expérimentation. Elle a pour fonction majeure de minimiser les risques d’introduction de pathogènes dans l’établissement d’accueil. Les informations données par l’éleveur doivent, en théorie, permettre de déterminer la durée de la quarantaine, les risques potentiels en rapport avec l’introduction de ces nouveaux animaux, et ce aussi bien vis-à-vis des autres animaux déjà présents que vis-à-vis de l’Homme, et d’envisager éventuellement un traitement avant la fin de la quarantaine. Les rongeurs peuvent en être exempts si les informations de l’éleveur sont suffisamment complètes, fiables et actualisées pour pouvoir définir le statut sanitaire des animaux, et si les risques de contamination durant le transport sont pris en compte (National Research Council, 2011). Ainsi, la durée de la quarantaine varie en fonction de l’espèce animale, du type d’agent pathogène suspecté et de l’état sanitaire des animaux à leur entrée. Conditions d’hébergement Les conditions d’hébergement des animaux dans les élevages et dans les établissements de recherche sont fixées par la réglementation et diffèrent en fonction de l’espèce considérée. D’une manière générale (Parlement Européen et Conseil de l’Union Européenne, 2010 ; National Research Council, 2011) : - Les bâtiments sont construits selon les normes imposées. Le nombre de locaux nécessaire et la qualité des matériaux sont ainsi précisément définis. L’ambiance au sein du bâtiment est également strictement contrôlée. La ventilation doit permettre une bonne circulation d’air et le maintien des taux de poussières et de 99 - - - gaz dans des limites acceptables pour les animaux. La température et l’humidité doivent être ajustées en fonction de l’âge et de l’espèce. Les animaux dont le statut sanitaire est conventionnel peuvent être hébergés dans des conditions standards. En revanche, les autres doivent être hébergés dans des « zones protégées ». Les animaux sont généralement hébergés en groupes sociaux, à l’exception de ceux qui sont naturellement solitaires. Les dimensions des compartiments d’hébergement sont également sujettes à la réglementation, avec des dimensions minimales à respecter en fonction de l’espèce, du poids et de l’activité (élevage, manipulation ou reproduction). L’environnement doit être enrichi au maximum. Un point d’eau doit également être en permanence disponible pour l’animal. L’alimentation doit respecter les besoins nutritionnels et comportementaux de l’animal, tant dans sa forme que dans son rythme de distribution. Acclimatation Que les animaux soient placés ou non en quarantaine, il est nécessaire de leur accorder une période d’acclimatation avant de les introduire dans une étude, pour qu’ils s’adaptent notamment d’un point de vue physiologique, comportemental et nutritionnel. La durée de cette période dépend en partie du type et de la durée du transport, de l’espèce, et de l’utilisation qui en sera faite (National Research Council, 2011). D’une manière générale, les médiateurs primaires de la réponse au stress, à savoir les catécholamines et les glucocorticoïdes, retrouvent leurs concentrations normales dans les 24 heures suivant le transport. Chez les rongeurs, les modifications au niveau des systèmes immunitaire et endocrinien mettent 1 à 7 jours à se normaliser (Obernier et Baldwin, 2006). Cependant, plus le stress est long et traumatisant, plus les modifications physiologiques sont grandes, et plus elles mettent de temps à se normaliser. Suivi de l’état sanitaire L’état sanitaire des animaux doit enfin être contrôlé, de préférence par un vétérinaire ou un chercheur ayant l’autorisation d’expérimenter sur animaux vivants, éventuellement une personne ayant suivi une formation de niveau II ou III à l’expérimentation (National Research Council, 2011 ; Inserm, 2014). B. Intérêts et limites des modèles animaux L’American National Research Council Committee on Animal Models for Research and Aging définit un modèle animal comme tel: « En recherche biomédicale, un modèle animal est un modèle permettant l’étude de données de référence sur la biologie ou le comportement, ou chez lequel un processus pathologique spontané ou induit peut être étudié, celui-ci ayant un ou plusieurs aspects communs à un phénomène équivalent retrouvé chez l’Homme ou chez d’autres espèces animales » (CCAC-CCPA, 2013). 100 Les modèles animaux ont ainsi une importance capitale en recherche biomédicale. Ils permettent d’extrapoler des connaissances pour pouvoir étudier plus en profondeur un état pathologique chez l’Homme. Alors que la réalisation d’études sur l’Homme est limitée, notamment pour des raisons de légalité et d’éthique, les études menées sur les modèles animaux peuvent ainsi permettre la découverte ou une meilleure compréhension des mécanismes physiopathologiques en jeu, de même que la réalisation d’essais de nouvelles méthodes diagnostiques et thérapeutiques, et ceci dans des conditions de laboratoire contrôlées. Pour que toutes les données obtenues à l’issue d’une expérimentation animale soient utilisables, le modèle doit se rapprocher le plus possible de l’Homme, en particulier d’un point de vue anatomique et physiologique. Les modèles animaux sont classés en cinq types (CCAC-CCPA, 2013) : - - - - - Les modèles naturels ou spontanés sont des modèles ou la maladie ou la condition étudiée est présente naturellement chez l’animal, et de façon identique à des maladies ou des affections humaines. Les maladies ou les affections peuvent aussi être associées à des mutations naturelles conduisant à des désordres similaires à ceux décrits chez l’Homme. Les rats brattleboro sont ainsi des modèles spontanés de diabète insipide neurogène. Les modèles expérimentaux sont des modèles chez lesquels la maladie ou l’affection étudiée est reproduite de façon expérimentale. Cela nécessite donc des soumettre les animaux à des actes chirurgicaux et/ou à d’autres interventions pour engendrer l’état recherché. On peut citer par exemple les modèles d’insuffisance cardiaque résultant de ligature coronaire. Les modèles génétiquement modifiés sont le fruit d’une manipulation génétique pour provoquer la maladie étudiée. Ces modèles sont créés par insertion d’un ADN étranger ou par le remplacement ou la neutralisation (« knock-out ») de certains gènes dans le génome. Ils permettent la compréhension approfondie des mécanismes génétiques de certaines maladies, ainsi que de la sensibilité ou la résistance à celle-ci. Les modèles négatifs comprennent des animaux résistants à une affection ou à une maladie donnée. L’étude de la cause de cet état permet de comprendre les mécanismes physiopathologiques de la maladie. Les modèles orphelins regroupent des animaux chez qui des affections apparaissent naturellement, et pour lesquelles il n’existe pas d’équivalent chez l’Homme. Par ailleurs, le modèle animal est dit : - isomorphe si les symptômes chez l’animal sont identiques à ceux de la maladie humaine ; homologue si c’est la connaissance des mécanismes du modèle et de la pathologie qui permet une comparaison ; prédictif si la réponse du modèle animal aux traitements est similaire à celle de la pathologie humaine. 101 Si l’utilisation des modèles animaux s’avère indispensable pour mieux comprendre la physiopathologie de certaines maladies humaines et pour chercher des traitements adaptés, elle présente également des limites qui peuvent empêcher une transposition clinique. En effet, l’analogie entre la maladie chez l’Homme et la maladie chez l’animal n’est pas parfaite. En particulier, de nombreux facteurs non expérimentaux viennent influer sur la réponse du modèle animal, comme l’illustre la Figure 24. Figure 24 : Facteurs influençant la réponse du modèle animal (d'après CCAC-CCPA, 2013) • Facteurs associés à l'animal • Facteurs physiques et environnementaux Âge, sexe, état reproducteur Facteurs génétiques Maladie Stress Rythme biologique Flore microbienne Stress lié à l'animal Stress lié au transport Stress lié à l'hébergement • Facteurs liés à l'entretien et aux soins courants Température ambiante Humidité relative Ventilation Éclairage Bruit Nourriture, Eau Période de la/des manipulation(s) Durée de la manipulation Facteur expérimental de stress Douleur et détresse • Facteurs liés aux manipulations lors des expériences C. Espèces utilisées dans l’étude expérimentale de l’arrêt cardiaque De nos jours, la défibrillation électrique associée à la réalisation de compressions thoraciques, à la mise en place d’une ventilation artificielle et à l’administration d’adrénaline sont les principales modalités thérapeutiques recommandées pour obtenir un RACS chez les adultes, les enfants et les nouveau-nés (MD. Berg et al., 2010 ; RA. Berg et al., 2010 ; Fletcher et al., 2012). Cependant, comme nous l’avons vu dans la première partie de ce travail, le RACS ne constitue que la première étape d’une RCP réussie, la fonction neurologique devant rester la plus intacte possible pour préserver une bonne qualité de vie. Les faibles taux de survie suite à un arrêt cardiaque encouragent des recherches supplémentaires, non seulement pour comprendre les mécansimes physiopathologiques sousjacents, mais aussi pour améliorer la prise en charge des victimes. De nouvelles stratégies thérapeutiques sont ainsi constamment évaluées chez des modèles animaux. Toutefois, le choix d’un modèle animal n’est pas une tache facile, et nécessite la prise en compte de nombreux paramètres. 102 1. Influence de la taille du modèle dans le but de l’étude Si l’étude expérimentale de l’arrêt cardiaque peut se faire sur différentes espèces, la prise en compte de leur taille est un critère déterminant dans le choix de l’une d’entre elles. Non seulement la gestion diffère, avec notamment un coût plus important associé à l’utilisation de modèles de grande taille, mais il faut aussi tenir compte de la disponibilité, des exigences réglementaires, et surtout des objectifs scientifiques, notamment lors d’étude sur l’arrêt cardiaque lorsqu’il s’agit d’évaluer la fonction neurologique suite à un épisode ischémique. Les avantages et les inconvénients liés à l’utilisation de modèles animaux de tailles différentes figurent à ce titre dans le Tableau 16. Tableau 16 : Avantages et inconvénients de l'utilisation de modèles animaux de grande et de petite tailles dans l'étude de la fonction neurologique suite à un épisode ischémique (d'après Traystman, 2003) Modèle animal de petite taille (ex : rongeurs, lagomorphes) - Avantages - Cerveau de petite taille, pouvant aisément être fixé - Possibilité de réaliser aisément des mesures neurosensorielles et de comportement moteur - Animaux génétiquement homogènes - Modifications génétiques aisément réalisables et reproductibles - Prise en charge peu coûteuse et requérant moins de travail - - Cerveau lissencéphale - Surveillance physiologique et Inconvénients examen de la fonction neurologique plus compliqués - - Modèle animal de grande taille (ex : porcs, chiens) Surveillance physiologique plus aisée, différents paramètres pouvant être évalués simultanément (potentiels évoqués, électroencéphalographie, gaz sanguins artériels, mesure de pression sanguine, glycémie, lactatémie, hémoglobine…) Examens neurologique, neurocomportemental, neurochimique et neuropathologique pouvant être réalisés sur le même animal et de façon simultanée avec les précédentes mesures Mesures du flux sanguin et du métabolisme cérébraux plus faciles Cerveau gyrencéphale (comme l’Homme) Grande variabilité des lésions et des paramètres physiologiques Nécessité de réaliser une chirurgie invasive pour une surveillance appropriée Prise en charge coûteuse et demandant beaucoup de travail 103 2. Espèces les plus utilisées L’étude expérimentale de l’arrêt cardiaque se fait principalement sur cinq espèces. Si les carnivores domestiques, et notamment les chiens, étaient fréquemment utilisés auparavant comme modèle animal de grande taille, le recours aux porcs est aujourd’hui plus courant. Les rongeurs et les lagomorphes constituent, quant à eux, les modèles animaux de petite taille les plus employés. Quelle que soit l’espèce d’étude, la connaissance des points communs et des différences entre le système cardio-pulmonaire de l’Homme et celui de l’animal de laboratoire est cruciale. Ces dernières doivent notamment être prises en compte pour pouvoir extrapoler de façon pertinente les données recueillies au cours des expériences aux situations cliniques humaines. a. Les rongeurs i. Généralités Les rongeurs sont les animaux les plus utilisés en recherche biomédicale. En effet, d’après le rapport de la Commission au Conseil et au Parlement Européen sur les statistiques concernant le nombre d’animaux utilisés à des fins expérimentales et à d’autres fins scientifiques dans les États membres de l’Union Européenne, les souris représentaient 59,3 % des animaux utilisés en 2008, et les rats 17,7 % (Comission Européenne, 2010). Le recours à ces deux espèces s’explique par de nombreuses raisons. Leur petite taille et leur capacité d’adaptation face à un nouvel environnement rendent leur élevage et leur entretien faciles et peu coûteux (Papadimitriou et al., 2008). Leur comportement plutôt docile facilite les manipulations. Les rongeurs sont par ailleurs très prolifiques. La plupart des souris et des rats utilisés lors d’études étant issus de croisements consanguins, tous les animaux sont quasiment génétiquement identiques, hormis les différences sexuelles. Leur durée de vie est relativement courte (2 à 3 ans), ce qui permet l’obtention de plusieurs générations en peu de temps. En outre, certaines de leurs caractéristiques génétiques, biologiques et comportementales ressemblent à celles de l’Homme, et de nombreux symptômes retrouvés chez ce dernier peuvent être reproduits chez les rongeurs. Leur anatomie, leur physiologie et leur génétique sont en effet bien connues par les chercheurs, ce qui facilite la compréhension de la physiopathologie. L’utilisation de souris et de rats transgéniques est également de plus en plus fréquente. Comme il s’agit d’animaux de petit format, ils sont fréquemment utilisés dans des études préalables nécessitant un grand nombre d’animaux, et dont les résultats permettent par la suite de concevoir des recherches plus pertinentes cliniquement sur des animaux de plus grand format, comme les porcs ou les chiens (Idris et al., 1996). 104 ii. Particularités du système cardiovasculaire Les rats et les souris sont des modèles expérimentaux bien établis pour l’étude de maladies cardiovasculaires. Il s’agit de modèles intéressants pour l’étude des mécanismes de l’arrêt cardiaque et des effets de la RCP, car les situations cliniques peuvent être reproduites de façon fiable d’un animal à l’autre. De plus, les paramètres hémodynamiques mesurés lors de la réanimation ont des valeurs semblables à celles de l’Homme (Barouxis et al., 2012). Les rongeurs sont particulièrement utilisés pour étudier les dommages cellulaires provoqués par les lésions d’ischémie-reperfusion, pour évaluer les conséquences fonctionnelles lors de recours à des stratégies neuroprotectrices, ainsi que pour des expériences préliminaires concernant certains principes actifs (Papadimitriou et al., 2008 ; Barouxis et al., 2012). Considérations anatomiques Le cœur des rongeurs, comme celui de l’Homme, est divisé en quatre cavités : deux atria et deux ventricules. Le Tableau 17 résume certaines caractéristiques morphologiques du ventricule gauche chez les deux espèces. Il montre notamment que la fraction d’éjection est plus élevée chez la souris que chez l’Homme, ce qui s’explique en partie par un rapport poids du ventricule gauche/poids vif plus important. Tableau 17 : Comparaison de certaines caractéristiques morphologiques du ventricule gauche entre l'Homme et de la souris (d'après Jung et al., 2012) Les résultats sont présentés sous la forme : moyenne ± écart-type Souris Homme 0,023 ± 0,0017 67,2 ± 12,1 Poids vif (kg) 8,1 ± 0,4 97,9 ± 9,9 Longueur (de la valve mitrale à l’apex, en diastole) (mm) 5,5 ± 0,2 69,6 ± 5,2 Diamètre en diastole (mm) 0,80 ± 0,04 7,1 ± 0,7 Épaisseur des parois (mm) 0,074 ± 0,005 104,4 ± 15,8 Poids ventricule gauche (g) 0,046 ± 0,007 126,1 ± 16,4 Volume en fin de diastole (mL) 0,012 ± 0,005 57,1 ± 7,9 Volume en fin de systole (mL) 73,4 ± 8,3 54,8 ± 2,5 Fraction d’éjection (%) 3,24 ± 0,27 1,38 ± 0,27 Poids du ventricule gauche rapporté au poids vif 2,0 ± 0,31 1,56 ± 0,41 Volume en fin de diastole rapporté au poids vif (mL/kg) 0,56 ± 0,23 0,67 ± 0,22 Volume en fin de systole rapporté au poids vif (en mL/kg) Le drainage veineux du cœur des rongeurs est unique et diffère considérablement du système cardiaque veineux de l’Homme. Cela est principalement dû à la présence, chez le rat et la souris, d’une veine cave crâniale gauche, normalement absente chez l’Homme (Ciszek et al., 2007). Ce vaisseau est un reliquat de la corne sinusale gauche, qui disparaît de façon partielle lors du développement embryonnaire chez l’Homme.Chez ce dernier, la partie 105 restante de la corne sinusale gauche se différencie en sinus coronaire et en veine oblique de l’atrium gauche, ou veine de Marshall. La veine cave crâniale gauche des rongeurs est donc l’équivalent de la corne sinusale gauche observée lors du développement embryonnaire chez l’Homme. Considérations physiologiques Chez le rat et la souris anesthésiés, des valeurs de certains paramètres cardiopulmonaires ont pu être établies et sont similaires à celles observées chez l’Homme. En particulier, on trouve des valeurs comparables en ce qui concerne les pressions artérielles systolique, moyenne et diastolique, la PPCo et la PEtCO2, comme le montre le Tableau 18. Tableau 18 : Comparaison des valeurs de certains paramètres cardio-pulmonaires entre l'Homme et deux espèces de rongeurs après anesthésie (d'après Papadimitriou et al., 2008) PEtCO2 : pression téléexpiratoire en dioxyde de carbone Souris Rat Homme 500 à 600 260 à 450 60 à 70 Fréquence cardiaque (bpm) 71 70 à 90 Pression artérielle moyenne (mmHg) 80 à 100 -2 à 8 -2 à 8 2à7 Pression atrium droit (mmHg) 23 à 35 33 à 40 25 à 35 PEtCO2 (mmHg) Chez les rongeurs et chez l’Homme, ces variables ont une valeur diminuée, voire nulle, lors de l’arrêt cardiaque, et atteignent 30 à 40 % des valeurs de base pendant la réanimation. Par ailleurs, le RACS est précédé par une augmentation importante et progressive de la PEtCO2, et ce de façon concomitante avec une élévation de la pression artérielle et avec la réapparition de pulsations artérielles. Enfin, tout comme chez l’Homme, la PPCo permise par le massage cardiaque lors de la RCP chez les rongeurs est déterminante pour la survie et l’obtention d’un RACS (Song et al., 2002 ; Papadimitriou et al., 2008). Un paramètre crucial qui doit être pris en compte dans les études, et plus particulièrement dans celles où l’arrêt cardiaque est induit, chez le modèle expérimental, par fibrillation ventriculaire, est la fréquence cardiaque. En effet, au repos, elle varie de 500 à 600 battements par minute chez la souris, de 260 à 450 battements par minute chez le rat et seulement de 60 à 70 battements par minute chez l’Homme. Du fait de cette fréquence quatre à dix fois plus élevée chez les rongeurs, la période réfractaire, qui correspond à la période pendant laquelle le cœur au repos ne peut pas être à nouveau excité, est très courte. Le cœur étant en plus de petite taille, il est difficile d’induire une fibrillation ventriculaire et de maintenir ce rythme. En effet, une conversion spontanée est observée après une à deux minutes d’arrêt cardiaque induit par fibrillation ventriculaire (Song et al., 2002 ; Papadimitriou et al., 2008). 106 Par conséquent, contrairement aux mammifères de grande taille, les rythmes identifiés lors d’arrêt cardiaque prolongé chez les rats et les souris sont les plus souvent des rythmes non choquables, à savoir l’asystolie et l’activité électrique sans pouls (Song et al., 2002). Ces différences en termes de fréquence cardiaque et de rythme s’expliquent par des différences électrophysiologiques considérables, notamment en ce qui concerne les potentiels d’action et les courants ioniques contribuant à la génération de ceux-ci, comme le montre la Figure 25. En effet, la durée du potentiel d’action cardiaque est très courte chez les rongeurs, et la phase de plateau n’est pas présente. Les courants ioniques principaux contribuant au potentiel d’action sont différents de ceux identifiés chez l’Homme (Nerbonne, 2004). On note en particulier une plus grande diversité au niveau des courants sortants de K+ qu’au niveau des courants entrants de Na+ et Ca2+. Ainsi, contrairement à ce qui est observé chez d’autres mammifères, les courants IKr et IKs ne contribuent pas à la repolarisation. Par ailleurs, alors que le courant Ito,f joue un rôle déterminant dans la repolarisation des myocytes ventriculaires et atriaux des souris, ce courant contribue chez l’Homme à la phase 1 de la repolarisation. Remarquons enfin que la repolarisation reste rapide chez la souris en l’absence de courant potassique sortant, suggérant d’autres voies possibles pour la repolarisation et impliquant possiblement une inactivation du canal Na+. Cette différence au niveau des courants potassiques serait notamment due à une différence marquée d’expression des canaux K+ voltage-dépendants entre l’Homme et la souris. 107 Figure 25 : Potentiels d'action et courants ioniques sous-jacents obtenus après stimulation de myocytes ventriculaires chez l'Homme et chez la souris (d'après Nerbonne, 2004) À gauche : chez l’Homme À droite : chez la souris Les courants ioniques impliqués sont indiqués de la façon suivante : IX, avec X l’ion échangé. Par convention, des cations entrant dans une cellule engendrent un courant négatif, et des cations sortant de la cellule engendrent un courant positif, et inversement pour les anions. Phase 0 : phase de dépolarisation rapide ; Phase 1 : phase de repolarisation rapide précoce ; Phase 2 : phase de plateau ; Phase 3 : phase de repolarisation finale rapide ; Phase 4 : phase de repos. Le modèle rongeur présente de multiples avantages, tout particulièrement avec le développement d’animaux transgéniques qui permettent de reproduire un très grand nombre de situations cliniques. Toutefois, ces modèles présentent des limites qui doivent être prises en compte, notamment d’un point de vue de l’électrophysiologie et de la rythmologie cardiaque. Par conséquent, la transposition des résultats d’études menées sur les rongeurs à la physiologie et à la clinique humaine doit se faire avec précaution. 108 b. Les lagomorphes i. Généralités Comme le rat et la souris, le lapin est une espèce animale largement utilisée en recherche biomédicale. En 2008, les lapins représentaient 2,8 % du nombre total des animaux utilisés à des fins expérimentales (Comission Européenne, 2010). Il est phylogénétiquement plus proche des primates que ne le sont les rongeurs. Il présente notamment les avantages de pouvoir être manipulé relativement facilement, d’être prolifique avec un taux de reproduction élevé et un intervalle de génération relativement court, et de pouvoir être élevé dans des conditions bien maîtrisées. Sa taille intermédiaire entre celle des rongeurs et celle des porcs ou des chiens rend certaines manipulations plus aisées, et permet d’obtenir facilement des échantillons tissulaires, sanguins, et de produire des antisérums (Dewree et Drion, 2006). Le lapin est ainsi à l’heure actuelle un modèle approprié pour l’étude des systèmes cardiovasculaire, ostéo-articulaire, respiratoire, ophtalmique, ainsi qu’en diabétologie et en oncologie. Il constitue en particulier un modèle très pertinent dans l’étude de l’hypertension et de l’athérosclérose (Dewree et Drion, 2006). La Figure 26 montre les différents domaines dans lesquels le lapin est utilisé comme modèle animal. Figure 26 : Répartition des différents domaines utilisant le lapin comme modèle animal (d'après Dewree et Drion, 2006) Autres (gynécologie, dermatologie…) 27% Immunologie et étude des maladies infectieuses 4% Pharmacologie 3% Diabétologie 4% Système respiratoire Neurologie 6% 6% Système cardiovasculaire 21% Système ostéoarticulaire 13% Ophtalmologie 9% Oncologie 7% 109 ii. Particularités du système cardiovasculaire Considérations anatomiques Une comparaison de certaines caractéristiques morphologiques du ventricule gauche entre le cœur de lapin et le cœur d’un Homme est présentée au Tableau 19. Lorsque l’on rapporte le poids du ventricule gauche et les volumes en fin de diastole et en fin de systole au poids vif de l’espèce étudiée, aucun de ces paramètres ne diffère significativement entre les deux espèces. Morphologiquement, le cœur humain serait donc plus proche du cœur d’un lagomorphe que de celui d’un rongeur. Tableau 19 : Comparaison des caractéristiques morphologiques du ventricule gauche et de la fraction d'éjection chez l'Homme et le lapin (d'après Jung et al., 2012) Les résultats sont présentés sous la forme : moyenne ± écart-type Lapin Homme 4,0 ± 0,43 67,2 ± 12,1 Poids vif (kg) 97,9 ± 9,9 Longueur (de la valve mitrale à l’apex, en diastole) (mm) 32,3 ± 1,2 22,7 ± 0,9 69,6 ± 5,2 Diamètre en diastole (mm) 2,4 ± 0,1 7,1 ± 0,7 Épaisseur des parois (mm) 4,05 ± 0,21 104,4 ± 15,8 Poids ventricule gauche (g) 4,61 ± 1,33 126,1 ± 16,4 Volume en fin de diastole (mL) 1,88 ± 0,50 57,1 ± 7,9 Volume en fin de systole (mL) 59,2 ± 5,3 54,8 ± 2,5 Fraction d’éjection (%) 1,13 ± 0,18 1,38 ± 0,27 Poids du ventricule gauche rapporté au poids vif Volume en fin de diastole rapporté au poids vif (mL/kg) 1,42 ± 0,25 1,56 ± 0,41 Volume en fin de systole rapporté au poids vif (en mL/kg) 0,56 ± 0,10 0,67 ± 0,22 Il est toutefois à noter que la petite taille du cœur des rongeurs et des lagomorphes comparée à celle de l’Homme peut limiter certains phénomènes spatiaux, comme l’hétérogénéité transmurale de la durée des potentiels d’action (Stengl, 2010). Considérations physiologiques Comme il a été mentionné, le lapin est l’un des modèles animaux le plus approprié pour l’étude de l’athérosclérose chez l’Homme, notamment du fait de la grande similitude dans le métabolisme des lipoprotéines et des lésions que cette affection provoque. Il existe en particulier une lignée de lapins mutants, le lapin WHHL (Watanabe heritable hyperlipidemic), qui développe de façon spontanée une hyperlipidémie. Dans cette lignée, la fonction des récepteurs aux low density lipoproteins (LDL) situés à la surface de la membrane cellulaire est déficiente, et la clairance des LDL de la circulation est retardée. Ces symptômes ressemblent fortement à ceux observés lors d’hyperlipidémie familiale chez l’Homme (Kobayashi et al., 2011). 110 L’une des caractéristiques la plus importante pour un modèle animal d’hyperlipidémie étant le développement d’un IDM, une nouvelle lignée de lapin enclin à développer une telle pathologie, le lapin WHHLMI (Watanabe heritable hyperlipidemic prone to myocardial infarction) a été créée à partir d’élevages sélectifs. Ce lapin WHHLMI développe ainsi de façon spontanée un IDM suite à une athérosclérose des artères coronaires. S’agissant du modèle animal qui se rapproche le plus des syndromes coronariens aigus de l’Homme, il est utilisé dans de nombreux domaines de recherche translationnelle, comme illustré à la Figure 27. Figure 27 : Caractéristiques des lapins Watanabe heritable hyperlipidemic prone to myocardial infarction (WHHLMI) semblables à l'Homme et applications dans différents domaines de recherche translationnelle (d'après Kobayashi et al., 2011) Caractéristiques des lapins WHHLMI semblables à l'Homme Métabolisme des lipoprotéines et profil des lipoprotéines dans le plasma Mécanismes de l'athérogenèse Morphologie des lésions athérosclérotiques Infarctus du myocarde Domaines de recherche translationnelle Développement et évaluation de stratégies thérapeutiques hypocholestérolémique et/ou hypolipidémique Développement et évaluation d'agents antiathérosclérotiques Développement et évaluation de dispositifs médicaux pour l'athérosclérose Recherche des facteurs de risque d'instabilité des plaques coronaires et/ou des syndromes coronariens aigus Développement de techniques d'imagerie pour l'athérosclérose Régénération des cellules myocardiques au sein du ventricule ischémique Comme chez les rongeurs, la fréquence cardiaque d’un lapin anesthésié est beaucoup plus élevée que celle observée chez l’Homme. Elle varie en moyenne autour de 230 battements par minute (Kohlhauer, 2012). La pression artérielle moyenne est d’environ 90 mmHg, ce qui se rapproche des valeurs mesurées chez l’Homme. Les potentiels d’action des myocytes ventriculaires du lapin ressemblent beaucoup plus à ceux observés chez l’Homme. En effet, comme illustré à la Figure 28, environ 50 % de lapins présentent une phase de repolarisation rapide initiale (phase 1) associée à un courant sortant Ito, ainsi qu’une phase typique de plateau. Par ailleurs, la durée du potentiel d’action se rapproche des valeurs mesurées chez l’Homme. Tous les courants ioniques contribuant au potentiel d’action ventriculaire humain sont également présents au niveau des cellules 111 ventriculaires de lapin, même si quelques différences au niveau quantitatif et cinétique peuvent être constatées (Varró et al., 1993 ; Stengl, 2010). Figure 28 : Potentiels d'action de myocytes ventriculaires isolés de lapin (d'après Varró et al., 1993) c. Le porc i. Généralités Depuis ces deux dernières décennies, l’utilisation du porc comme modèle animal en recherche biomédicale est de plus en plus fréquente. Elle résulte non seulement d’une réglementation plus stricte sur le recours à d’autres espèces animales de grand format, comme les chiens ou les primates non humains, mais aussi des nombreux points communs que le porc partage avec l’Homme, tant du point de vue physiologique qu’anatomique (Swindle et al., 1994). Les différentes races de porcs sont classées en deux catégories en fonction de leur taux de croissance et de leur taille à la maturité sexuelle : les races domestiques et les races miniatures (Swindle et al., 1994 ; Swindle et al., 2012). Les premières présentent l’inconvénient d’avoir un taux de croissance rapide, avec un poids augmentant de 1 kilogramme à la naissance à 100 kilogrammes à l’âge de quatre mois. À l’âge adulte, ces races sont susceptibles de peser plus de 200 kilogrammes. Par conséquent, ces animaux sont plus utilisés dans des études de trois à six semaines maximum, en fonction de l’âge de l’animal au début de celles-ci. Le recours aux porcs miniatures est donc beaucoup plus fréquent pour les études de longue durée du fait de leur plus petite taille et de leur croissance moins rapide. Leur poids augmente de 0,5 kilogrammes à la naissance à 12-45 kilogrammes à quatre mois. À l’âge adulte, ils peuvent atteindre les 45-100 kilogrammes. Les différentes races les plus couramment employées sont le Yucatan miniature, le microporc Yucatan, le Hanford, le Sinclair, le Pitman-Moore et le Gottingen. 112 Le porc sert ainsi de modèle animal pour les recherches concernant les systèmes cardiovasculaire, digestif, tégumentaire et urinaire. Comme le lapin, il s’agit d’un modèle clé d’athérosclérose, qui peut se développer de façon spontanée ou expérimentale. Le métabolisme des lipoprotéines est en effet similaire à celui de l’Homme, et l’histologie, de même que la pathogenèse des plaques, sont comparables (Swindle et al., 2012). Du fait de la très grande disponibilité de races domestiques ou miniatures, on tente de les utiliser comme modèle dans l’étude de nombreux autres systèmes, comme le montre le Tableau 20. En outre, le développement de porcs génétiquement modifiés permet d’élargir encore les domaines d’étude (Luo et al., 2012). Tableau 20 : Les différents domaines d'étude utilisant le porc comme modèle animal (d'après Swindle et al., 1994) Système étudié Système cardiovasculaire Similarités avec l’Homme - Taille du cœur - Circulation sanguine coronaire - Hémodynamique - Contractilité myocardique - Développement de l’athérosclérose Système digestif Physiologie digestive Transplantation d’organes Développement d’animaux transgéniques immunologiquement semblables à l’Homme Autres Sujets d’étude - Maladie congénitale cardiaque - Infarctus du myocarde - Hémodynamique et état de choc - Développement d’instruments médicaux, comme les stents intravasculaires et les cathéters à ballonnet - Hypertension - Circulation extracorporelle et anesthésie - Insuffisance cardiaque Études nutritionnelles : nutrition parentérale, métabolisme lipidique, diabète, alcoolisme, ulcération gastrique, circulation sanguine splanchnique… - Cœur - Reins - Pancréas - Intestins - Guérison de plaie - Chirurgies plastique et reconstructrice - Chirurgie fœtale - Pharmacologie - Toxicologie Le recours au porc est également courant pour évaluer l’efficacité de nouvelles techniques chirurgicales, et en particulier pour le développement de nouveaux instruments médicaux et chirurgicaux en rapport avec des maladies cardiaques (Swindle et al., 1994 ; Swindle et al., 2012). Les études menées sur ces animaux ont ainsi permis à l’heure actuelle 113 de nombreuses avancées sur le traitement de certaines maladies cardiovasculaires chez l’Homme. À titre d’exemple, la pose de stents intravasculaires, de prothèses de valves aortique et mitrale, la transplantation cardiaque, le traitement de l’IDM grâce aux cellules souches, ou le développement de dispositif d’assistance ventriculaire, sont certains domaines dans lesquels le porc est utilisé comme modèle expérimental. ii. Particularités du système cardiovasculaire Le porc est une espèce très utilisée en recherche cardiovasculaire, car il partage beaucoup de caractéristiques anatomiques et physiologiques avec l’Homme. Considérations anatomiques Le cœur d’un porc ressemble fortement à celui d’un Homme d’un point de vue anatomique. En effet, un cœur de cochon miniature d’environ 30 kilogrammes présente à peu près la même taille qu’un cœur d’Homme adulte. Le poids d’un cœur de porc sexuellement mature fait environ 0,5 % du poids corporel, ce pourcentage diminuant ensuite à mesure que l’animal vieillit. Le développement du cœur et du système cardiovasculaire d’un porc de la naissance jusqu’à l’âge de quatre mois est analogue au développement des mêmes systèmes chez l’Homme entre la naissance et le milieu de l’adolescence (Swindle et al., 2012). La taille des vaisseaux sanguins du porc est très proche de celle retrouvée chez l’Homme (Swindle et al., 2012). La circulation coronaire et l’apport sanguin au système de conduction sont presque identiques entre les deux espèces. Ce dernier se fait principalement via l’artère coronaire droite chez le porc, tout comme chez 90 % de la population humaine (Xanthos et al., 2007 ; Swindle et al., 2012). La circulation collatérale est quasiment absente, si bien que l’occlusion d’un vaisseau perfusant le cœur mène à un infarctus total. La principale variation anatomique que l’on ne retrouve pas chez les autres mammifères est la présence d’une veine azygos gauche, qui pénètre dans le sinus coronaire. Chez les autres mammifères, on trouve une veine azygos droite qui se jette dans la veine cave crâniale (Xanthos et al., 2007 ; Swindle et al., 2012). On retrouve, comme chez l’Homme, des vasa vasorum au niveau de l’aorte, qui présente par ailleurs une histologie comparable (Swindle et al., 2012). Cependant, chez le porc, et en particulier chez les jeunes, les vaisseaux sanguins et les atria ont tendance à être plus friables que chez d’autres espèces. Les vaisseaux sont également plus sujets au vasospasme pendant les manipulations. S’ils sont situés plutôt en profondeur dans les tissus par rapport aux autres espèces, un accès à une voie veineuse peut tout de même se faire à partir des veines céphaliques, jugulaires internes et externes, auriculaires, saphènes et fémorales. Tous ces vaisseaux peuvent être cathétérisés chirurgicalement de façon chronique. Il est également à noter la présence de valvules dans ces veines périphériques. D’importantes différences existent cependant entre l’Homme et le porc, notamment au niveau des systèmes de conduction cardiaque. En effet, le faisceau de His est plus court chez 114 le porc, et la bifurcation des deux branches est plus proximale. Les fibres de Purkinje ne sont par ailleurs pas distibuées de la même manière. Par conséquent, les voies de conduction menant à la contraction ventriculaire diffèrent (Xanthos et al., 2007). Le tissu conjonctif est également plus abondant dans un cœur de porc, et les fibres élastiques sont moins nombreuses. De plus, des fibres adrénergiques et cholinergiques sont présentes en grand nombre au niveau du nœud atrio-ventriculaire et du faisceau de His (Swindle et al., 2012). Le cœur d’un porc est donc plus facilement excitable que celui de l’Homme. Cela doit être pris en compte dans l’interprétation des études de rythmologie utilisant cette espèce d’étude. Considérations physiologiques D’une manière générale, les fonctions cardiaques chez le porc et chez l’Homme sont similaires d’un point de vue hémodynamique. En effet, lorsqu’on compare les valeurs de certains paramètres hémodynamiques chez des porcs Landrace-Large White anesthésiés, on obtient des résultats comparables à ceux qui peuvent être observés chez l’Homme en bonne santé, comme le montre le Tableau 21 (Xanthos et al., 2007). En particulier, la fréquence cardiaque du porc est beaucoup moins élevée que celle des rongeurs et des lagomorphes, et se rapproche fortement de celle de l’Homme. Tableau 21 : Comparaison des valeurs de certains paramètres hémodynamiques entre le porc Landrace-Large White et l'Homme (d'après Xanthos et al., 2007) Pour le porc, les résultats sont présentés sous la forme : moyenne ± écart-type Fréquence cardiaque (bpm) Pression systolique dans l’aorte descendante (mmHg) Pression diastolique dans l’aorte descendante (mmHg) Pression systolique dans le ventricule gauche (mmHg) Pression diastolique dans le ventricule gauche (mmHg) Pression systolique dans l’atrium droit (mmHg) Pression diastolique dans l’atrium droit (mmHg) Pression systolique dans le ventricule droit (mmHg) Pression diastolique dans le ventricule droit (mmHg) Porc LandraceLarge White 116,41 ± 8,11 111,72 ± 13,61 79,03 ± 12,08 108,97 ± 12,06 8,88 ± 1,81 10,93 ± 1,36 4,10 ± 1,01 21,24 ± 2,16 4,20 ± 0,72 Homme 60 à 70 90 à 140 60 à 90 90 à 140 5 à 12 0à8 0à8 15 à 30 0à8 Il existe cependant des légères variations entre les races, en particulier entre les races domestiques et les races miniatures. Si ces dernières sont très utilisées comme modèle animal dans les études du fait du coût moins élevé lié à leur gestion, les valeurs de leurs paramètres hémodynamiques s’éloignent de celles de l’Homme, et ce plus ou moins en fonction de l’espèce considérée (Smith et al., 1990). Ainsi, le microporc Yucatan présente une résistance vasculaire pulmonaire significativement plus élevée pour un âge identique que les porcs 115 miniatures de race Yucatan et Hanford. De même, le Hanford présente une pression artérielle systolique plus élevée que le Yucatan. Au sein de la même race, les jeunes porcs ont par ailleurs une fréquence cardiaque plus élevée que les adultes. Des précautions doivent donc être prises lorsqu’il s’agit de comparer les paramètres hémodynamiques chez deux races différentes ou chez deux âges différents. L’idéal est d’indexer le poids à la surface corporelle, et comparer deux porcs présentant une surface corporelle et un âge identiques. Le cœur de porc est également un modèle pertinent pour les études portant sur l’électrophysiologie cardiaque humaine. En effet, la morphologie des potentiels d’action des myocytes ventriculaires chez le porc est semblable à celle identifiée chez l’Homme. Cependant, on note l’absence chez le porc du courant potassique Ito, identifié chez l’Homme (Stengl, 2010). Enfin, il est important de noter qu’en termes de biochimie et de métabolisme, la réponse à l’ischémie est quasiment identique entre l’Homme et le porc (Barouxis et al., 2012). Cela rajoute donc un argument en faveur de l’utilisation de cette espèce pour l’étude de l’arrêt cardiaque et la RCP. d. Les carnivores i. Généralités Les carnivores, et en particulier le chien, ont longtemps été utilisés comme modèle animal de grand format en recherche biomédicale. En effet, il partage de nombreuses caractéristiques biochimiques et physiologiques avec l’Homme, et développe de façon spontanée des affections homologues à certaines conditions pathologiques humaines (Johnson, 2010). En utilisant cette espèce comme modèle pour certaines maladies humaines, de nombreux processus physiologiques normaux ont été découverts chez cette dernière. Toutefois, le recours aux carnivores est aujourd’hui moins fréquent (National Research Council, 2009). Les chiens sont particulièrement adaptés à l’étude de maladies cardiaques et au développement de procédures et d’appareils destinés au traitement de ces dernières, et ce du fait de leur taille, de la profondeur de leur cavité thoracique et de la taille importante du cœur et des vaisseaux (aorte et artères pulmonaires). Ces caractéristiques permettent en effet de réaliser des procédures cardiaques complexes et d’adapter les appareils commercialisés pour l’Homme (National Research Council, 2009). 116 ii. Particularités du système cardiovasculaire Considérations anatomiques Le système cardiovasculaire du chien est lui aussi semblable à celui de l’Homme, tant du point de vue de sa taille que de sa fonction. Suite à une ischémie myocardique, ses artères coronaires subissent un remodelage chronique identique à celui qui se fait chez l’Homme dans les mêmes conditions, notamment avec un développement de vaisseaux collatéraux sousépicardiques. Le recours aux carnivores est donc pertinent pour l’étude de l’ischémie régionale et globale du myocarde. Il est toutefois à noter l’existence de différences dans l’anatomie des artères coronaires et dans la physiologie cardiaque entre les races. Un flux sanguin coronaire plus important, et une consommation myocardique en oxygène plus élevée ont par exemple été notés chez les Beagles (National Research Council, 2009). Le sinus coronaire du chien permettant le drainage veineux du cœur est également anatomiquement semblable à celui de l’Homme, ce qui permet notamment de développer des appareils et des procédures pour traiter l’insuffisance cardiaque congestive (Lee et al., 2006). Par ailleurs, la persistance d’une veine cave gauche, comme chez les rongeurs, est rarement observée chez les carnivores. Elle peut toutefois exister seule, ou être accompagnée d’une veine cave crâniale droite (Ciszek et al., 2007). Considérations physiologiques Des études sur la conduction cardiaque, et en particulier sur la fibrillation atriale ou sur d’autres arythmies, sont possibles. En effet, le système de conduction électrique du cœur du chien mime celui de l’Homme (Lee et al., 2006). La durée et la forme des potentiels d’action des myocytes ventriculaires sont semblables à ce qui est observé chez l’Homme. De plus, la taille du cœur est suffisamment grande pour pouvoir étudier des phénomènes spatiaux impliqués dans la genèse des arythmies (Stengl, 2010). Le cœur de chien apparaît ainsi comme étant le modèle le plus pertinent dans l’étude des arythmies. 117 En recherche biomédicale, le recours aux animaux de laboratoire est fréquent. L’expérimentation animale est cependant très réglementée, et le respect du bien-être animal constitue une préoccupation centrale. Dans les études expérimentales d’arrêt cardiaque, cinq espèces animales sont principalement utilisées. Le plus souvent, il s’agit du rat, de la souris, du lapin ou du porc. Le recours au chien est devenu moins fréquent. Le système cardio-pulmonaire de chacune d’entre elles possèdent des caractéristiques anatomiques et physiologiques qui les rapprochent plus ou moins de l’Homme. Celles-ci doivent être connues et prises en compte dans l’analyse des résultats. 118 II. Les différents modèles animaux d’arrêt cardiaque L’étude de l’arrêt cardiaque et de la RCP chez l’Homme nécessite la reproduction chez l’animal d’une situation similaire. La plupart des modèles animaux d’arrêt cardiaque sont ainsi des modèles expérimentaux. Il existe différentes modalités d’induction d’arrêt cardiaque chez l’animal, chacune étant associée à un rythme particulier. Après réanimation, il est possible d’évaluer les conséquences d’un type d’arrêt, en s’intéressant en particulier aux deux principales entités du syndrome post-arrêt cardiaque, à savoir les défaillances myocardique et neurologique. A. Principes généraux des études Si le but premier des différentes études sur l’arrêt cardiaque peut différer, leurs principes généraux restent globalement identiques. Les protocoles expérimentaux doivent être présentés devant un comité d’éthique avant d’être mis en œuvre. Les animaux utilisés pour l’étude subissent tout d’abord une préparation, comprenant notamment la sédation, l’anesthésie, l’intubation et la mise en place des dispositifs de mesure des paramètres vitaux, tels que la température corporelle, la pression artérielle, la PEtCO2. L’arrêt cardiaque est par la suite induit et laissé non traité pendant une période définie, suite à quoi une RCP conventionnelle est entreprise. 1. Rappels sur les différents rythmes d’arrêt cardiaque Comme il a été mentionné en première partie, les rythmes identifiés lors d’arrêt cardiaque peuvent être de deux types : choquables (tachycardie ventriculaire ou fibrillation ventriculaire) ou non choquables (asystolie ou dissociation électromécanique). La distinction de ces deux types est essentielle lors de leur prise en charge. Le Tableau 22 rappelle leurs principales caractéristiques. 119 Tableau 22 : Rappel des principales caractéristiques des rythmes identifiés lors d'arrêt cardiaque ECG : électrocardiogramme Tachycardie ventriculaire sans pouls Rythmes choquables Fibrillation ventriculaire Asystolie Rythmes non choquables Dissociation électromécanique Fréquence cardiaque anormalement élevée Tracé ECG avec des complexes QRS rapprochés et élargis Pouls non palpable à l’examen clinique Activité désorganisée et chaotique des myocytes ventriculaires Tracé ECG avec trémulations plus ou moins amples de la ligne de base Pouls non palpable à l’examen clinique Absence d’activités électrique et mécanique du cœur Tracé ECG plat Pouls non palpable à l’examen clinique Présence d’une activité électrique cardiaque mais absence d’activité mécanique (pas de contractions efficaces) Tracé ECG non caractéristique Pouls non palpable à l’examen clinique 2. Préparation des animaux Les expériences se font sur des animaux acclimatés. Ils sont choisis de manière à présenter le plus de caractéristiques en commun, en particulier le poids et l’âge. Une mise à jeûn la nuit précédant la journée de l’expérience est réalisée, en vue de l’anesthésie qui peut être précédée d’une sédation (Vaagenes et al., 1997 ; Wang et al., 2007 ; Xanthos et al., 2007a ; Xanthos et al., 2007b ; Chen et al., 2007a ; Chen et al., 2007b). Une fois l’anesthésie induite, les animaux sont intubés et placés sous ventilation artificielle. Le maintien de l’anesthésie se fait le plus souvent avec des agents volatils, typiquement l’isoflurane. Les différents dispositifs permettant la surveillance classique d’un animal anesthésié sont par la suite mis en place. En fonction du but de l’étude, différents paramètres sont suivis de façon continue ou intermittente. D’une manière générale, un suivi des paramètres suivants est réalisé (Vaagenes et al., 1997 ; Song et al., 2002 ; Xanthos et al., 2007a ; Xanthos et al., 2007b ; Chen et al., 2007a ; Chen et al., 2007b) : - 120 l’activité électrique du cœur par électrocardiographie ; la PEtCO2, à l’aide d’un capnographe ; la saturation en oxygène par oxymétrie de pouls ; la température rectale, qui peut être complétée par un suivi des températures œsophagienne et auriculaire, notamment lors d’hypothermie thérapeutique ; la pression artérielle systémique, grâce à un cathéter introduit dans une artère (souvent l’artère carotide ou la fémorale) et relié à un capteur de pression ; - la pression au sein des chambres cardiaques, en introduisant un cathéter relié à un capteur de pression au niveau de l’une des carotides jusqu’à l’atrium ou le ventricule gauche, et au niveau de l’une des deux veines jugulaires jusqu’à l’atrium ou le ventricule droit. Dans le cas particulier où une instrumentation préalable des animaux est nécessaire, une période de récupération de quelques jours est en général respectée, de façon à ce que les paramètres hémodynamiques soient normalisés au moment du recueil des données. 3. Durée d’arrêt cardiaque non traitée Dans la mesure où les modèles animaux d’arrêt cardiaque doivent se rapprocher le plus possible des conditions réelles observées chez l’Homme, il est nécessaire de déterminer, pour les expériences, une durée pendant laquelle l’arrêt n’est pas traité (Idris et al., 1996). En effet, chez l’Homme, les arrêts cardiaques extra-hospitaliers pris en charge de façon immédiate par une équipe médicale sont rares. De fait, le massage cardiaque et les premières administrations de principes actifs sont la plupart du temps effectués de façon retardée, si bien qu’il s’écoule un intervalle considérable entre le début de l’arrêt et la RCP. Les études expérimentales d’arrêt cardiaque doivent donc prendre en compte ce délai d’intervention, de façon à ce qu’une transposition clinique des résultats expérimentaux soit possible. L’intervalle pendant lequel l’arrêt n’est pas traité doit également être suffisant pour reproduire des dommages neurologiques et cardiaques semblables à ceux observés chez l’Homme. D’une façon générale, les études expérimentales sont ainsi le plus souvent réalisées avec un intervalle de 8 à 13 minutes d’arrêt cardiaque non traité (Traystman, 2003 ; Barouxis et al., 2012). Cet intervalle se base sur les estimations suivantes, faites lors d’arrêt cardiaque extra-hospitalier chez l’Homme (Mader, 2008) : - une minute s’écoule entre la reconnaissance de l’arrêt et l’appel de l’équipe de secours ; trente secondes sont nécessaires pour que l’équipe de secours se prépare, et au minimum six minutes pour qu’elle arrive sur les lieux ; trente secondes supplémentaires sont nécessaires pour qu’elle rejoigne la victime. 121 B. Protocoles expérimentaux d’arrêt cardiaque et de réanimation Pour chacune des modalités d’induction d’arrêt cardiaque présentée ci-après, la ventilation artificielle est arrêtée pendant toute la durée où l’arrêt est laissé non traité. 1. Arrêt cardiaque avec rythme choquable Le principal rythme choquable rencontré lors d’arrêt cardiaque extra-hospitalier ou intra-hospitalier chez l’Homme est la fibrillation ventriculaire (Meaney et al., 2010 ; Mader et al., 2012). De fait, il est fréquent que les tachycardies ventriculaires dégénèrent en fibrillations ventriculaires. C’est pourquoi l’on cherche principalement à obtenir une fibrillation ventriculaire dans les modèles expérimentaux d’arrêt cardiaque avec rythme choquable. Plusieurs modèles animaux à risque de fibrillation ventriculaire et pouvant mener vers l’arrêt cardiaque existent, comme le montre le Tableau 23. Toutefois, la délivrance d’un courant alternatif soit directement au cœur, soit via l’œsophage, le « pacing » cardiaque et l’occlusion des artères coronaires pour mimer les situations d’IDM, sont les modalités d’induction les plus employées dans les études expérimentales d’arrêt cardiaque. Cela permet en effet de « contrôler » le moment de survenue de l’arrêt cardiaque. 122 Tableau 23 : Exemples de modèles animaux pouvant présenter des épisodes de fibrillation ventriculaire spontanée pouvant conduire à un arrêt cardiaque (d'après Stengl, 2010) Espèce Modèle Syndrome QT long, souris transgéniques Souris Lapins Knock-out spécifique de la connexine 43 cardiaque, souris transgéniques Mécanismes Délétion de résidus d’acides aminés au niveau du gène SCNA codant pour le canal sodique cardiaque Perte de la connexine 43 au niveau cardiaque seulement Suppression des courants potassiques cardiaques, souris transgéniques Absence de courants Ito,f, Ito,s ou des deux Syndrome QT long Expression des gènes humains KCNQ1 et KCNH2 au niveau cardiaque Bloc atrio-ventriculaire chronique Hypercholestérolémie Hypercholestérolémie par administration d’un régime riche en cholestérol pendant 12 semaines Conséquences Prolongation de la durée de repolarisation, arythmies fatales Développement d’arythmies ventriculaires spontanées dès l’âge de 2 mois. 123 Si absence de courant Ito,f : prolongation de la durée du potentiel d’action et de l’intervalle Q-T ; pas d’arythmies spontanées. Si absence de courant Ito,s : aucune conséquence. Si absence des deux courants : prolongation de la durée du potentiel d’action et de l’intervalle Q-T ; arythmies ventriculaires spontanées. Prolongation de la durée du potentiel d’action et de l’intervalle Q-T, due respectivement à la disparition des courants IKr et IKs. Tachycardie ventriculaire polymorphe chez les lapins présentant un syndrome QT long de type 2. Hypertrophie biventriculaire, prolongation de l’intervalle Q-T et de la durée du potentiel d’action, torsades de pointe. Athérosclérose coronaire, hypertrophie cardiaque. Prolongation de l’intervalle Q-T et de la durée du potentiel d’action, hétérogénéité de la repolarisation, courant calcique plus important. Bourgeonnement neuronal et hyperinnervation sympathique. Vulnérabilité augmentée à la fibrillation ventriculaire. 124 Tableau 23 (suite) : Exemples de modèles animaux pouvant présenter des épisodes de fibrillation ventriculaire spontanée pouvant conduire à un arrêt cardiaque (d'après Stengl, 2010) Espèce Modèle Mécanismes Bloc atrio-ventriculaire chronique Chiens Porcs Arythmie ventriculaire héréditaire, Berger Allemand Héréditaire Incidence des arythmies augmentant avec l’âge Cardiomyopathie ventriculaire droite arythmogène, Boxer Héréditaire. Dû à des mutations au niveau de gènes codant pour les protéines du desmosome Hibernation myocardique Occlusion chronique des artères coronaires, conduisant à une hibernation myocardique Conséquences Surcharge volémique induite par la bradycardie. Hypertrophie cardiaque. Remodelage au niveau de l’appareil contractile. « Down-regulation » des courants potassiques IKs et IKr et « upregulation » des échanges sodium-calcium. Prédisposition aux torsades de pointe et à l’arrêt cardiaque. Innervation sympathique cardiaque anormale et hétérogène. Courant potassique Ito moins important. Mauvaise régulation du calcium. Hétérogénéité spatiale dans l’expression du courant IKr ventriculaire. Perte de cardiomyocytes ventriculaires (en particulier à droite), remplacés par du tissu graisseux ou fibreux. Perte de jonctions gap. Probabilité d’ouverture des canaux du réticulum sarcoplasmique augmentée, à l’origine d’une fuite de calcium pouvant conduire à des arythmies ventriculaires. Fibrillation ventriculaire fréquemment observée. Hétérogénéité électrique du myocarde. Innervation sympathique non homogène. a. Principales modalités d’induction i. Délivrance d’un courant électrique sur l’endocarde, sur l’épicarde ou par voie transthoracique La méthode la plus souvent utilisée dans les études expérimentales pour induire une fibrillation ventriculaire consiste à délivrer un courant électrique au cœur, soit en utilisant un courant alternatif, soit par « pacing » cardiaque. Ces courants peuvent s’appliquer soit directement sur l’endocarde d’un ventricule grâce à une électrode endocavitaire (Wang et al., 2007), soit par voie transthoracique externe (Vaagenes et al., 1997). Cette dernière méthode est souvent utilisée pour induire un arrêt chez les animaux de grande taille, mais n’est pas sans conséquences, car une stimulation de haute énergie est souvent requise pour pouvoir traverser la paroi thoracique et atteindre le cœur. Plus récemment, un modèle d’induction d’arrêt cardiaque par stimulation électrique transcutanée de l’épicarde a été mis au point (J. Lin et al., 2010). La fibrillation ventriculaire est ainsi obtenue avec une énergie plus basse, ce qui limite les dommages. L’ampérage, la fréquence et la durée pendant laquelle le courant électrique doit être délivré sont déterminés au préalable. En effet, l’intensité du courant et le moment auquel il est appliqué au cours du cycle cardiaque sont des critères cruciaux pour induire une fibrillation ventriculaire. Ainsi, s’il est délivré en dehors de la période vulnérable du cycle cardiaque, ou si la force du stimulus électrique qu’il engendre dépasse les limites inférieure ou supérieure de vulnérabilité des cardiomyocytes, un tel rythme ne peut être obtenu (Karagueuzian et Chen, 2001). Il est toutefois à noter que des chocs extrêmement intenses sont susceptibles d’induire une fibrillation ventriculaire, et ce peu importe le moment du cycle cardiaque auquel ils sont appliqués. Par ailleurs, rappelons que chez certaines espèces et en particulier les rongeurs, la fibrillation ventriculaire induite par stimulation électrique du cœur a tendance à se reconvertir spontanément en rythme sinusal. Une stimulation de plus longue durée ou plusieurs stimulations successives sont donc parfois nécessaires pour maintenir un tel rythme (Song et al., 2002). Une étude menée par Voroshilovsky et al. (2000) s’est intéressée aux mécanismes d’induction d’une fibrillation ventriculaire par un courant alternatif sur un ventricule de porc. Ils ressemblent fortement à ceux impliqués dans le « pacing » cardiaque (Karagueuzian et Chen, 2001), et reposent principalement sur deux facteurs : - Le premier est une forte pente, supérieure à 1, de la courbe de restitution électrique cellulaire. Pour comprendre ce à quoi correspond cette courbe, il faut considérer le comportement électrique des cardiomyocytes. Sous l’effet d’une impulsion électrique suffisante, une cellule cardiaque se dépolarise, passe par une phase de plateau puis se repolarise : c’est le potentiel d’action cardiaque. Sa durée correspond au temps écoulé entre le début de la dépolarisation et la fin de la repolarisation (noté APD pour action potential duration). L’intervalle de temps compris entre la fin de la repolarisation 125 cellulaire et l’arrivée du prochain stimulus électrique est appelé intervalle diastolique (noté DI pour diastolic interval). L’intervalle de temps entre deux excitations successives est appelé longueur du cycle de base (noté BCL pour basic cycle length). Ainsi : BCL = APD + DI La Figure 29 illustre cette relation. Figure 29 : Représentation schématique de la relation entre la longueur du cycle de base, la durée du potentiel d'action et l'intervalle diastolique APD : durée du potentiel d’action ; BCL : longueur du cycle de base ; DI : intervalle diastolique APDn DIn APDn+1 BCLn Les intervalles APD et DI sont en réalité étroitement liés, à savoir que ce dernier dépend de la durée de l’APD suivante. Cette relation est appelée « restitution électrique » et est décrite par la courbe de restitution électrique cellulaire, qui représente l’intervalle APD en fonction de l’intervalle DI du cycle précédent. Cette courbe est illustrée à la Figure 30. 126 Figure 30 : Courbe de restitution électrique cellulaire (d'après Voroshilovsky et al., 2000) APD : durée du potentiel d’action ; DI : intervalle diastolique La ligne verticale en pointillés sépare les zones de la courbe où la pente est >1 (à gauche) des zones de la courbe où la pente est <1 (à droite). Les carrés rouges indiquent les cas pour lesquels une fibrillation ventriculaire a été induite. Les variations de l’APD liées à des changements de fréquences d’excitation de la cellule peuvent être les causes déterminantes d’arythmies cardiaques. De fait, l’étude menée par Voroshilovsky et al. (2000) a révélé qu’une fibrillation ventriculaire ne pouvait être induite que lorsque la pente de la courbe de restitution cellulaire était supérieure à 1, donc que pour des DI très courts. En effet, lorsque cela est le cas, les fronts d’onde de dépolarisation peuvent se superposer à des fins d’onde de repolarisation d’une excitation précédente. Lorsque la nouvelle onde d’excitation arrive, elle peut ainsi concerner des cardiomyocytes en période réfractaire, ce qui conduit à un blocage de la conduction, favorisant ainsi l’apparition de réentrées. Ce phénomène correspond à la propagation d’une impulsion à travers un tissu qui a déjà été activé par cette même impulsion et qui a récupéré son excitabilité (Di Diego et Antzelevitch, 2011). Il intervient de façon majeure dans l’induction d’une fibrillation ventriculaire. - Le deuxième facteur principal qui intervient dans l’induction d’une fibrillation ventriculaire par un stimulus électrique est l’hétérogénéité de repolarisation des cardiomyocytes (Voroshilovsky et al., 2000 ; Karagueuzian et Chen, 2001). De nombreuses études ont en effet montré l’existence d’une relation entre la dispersion des périodes réfractaires et l’apparition d’un réentrée. Cette dernière est favorisée lorsque le rythme cardiaque s’accélère. 127 ii. Stimulation transœsophagienne Lorsqu’il s’agit de délivrer un courant électrique sur l’endocarde d’un ventricule à une espèce de petit format, comme les lagomorphes ou les rongeurs, la procédure d’induction d’une fibrillation ventriculaire peut s’avérer plus ardue. En effet, l’introduction d’une électrode dans l’endocarde est une méthode invasive avec des complications possibles au moment de l’intervention. En outre, des lésions thermiques au niveau du site d’introduction de l’électrode dans l’endocarde ont été observées chez certains modèles expérimentaux, en particulier chez les rats (Chen et al., 2007b). Comme nous l’avons vu, l’application de chocs par voie transthoracique externe peut provoquer des lésions. Ces différents inconvénients ont conduit au développement d’une autre méthode d’induction de fibrillation ventriculaire. La localisation du cœur dans la cavité thoracique, et les rapports qu’il entretient avec l’œsophage, rend possible sa stimulation à partir d’une électrode placée dans ce dernier. De fait, la délivrance d’un courant alternatif à partir d’une sonde introduite jusqu’au niveau du segment inférieur de l’oesophage, à proximité du cœur, permet d’induire une tachycardie ventriculaire ou une fibrillation ventriculaire chez la souris et le rat (Chen et al., 2007a ; Chen et al., 2007b). Cette technique d’induction d’un tel rythme n’a été à ce jour mise au point que chez les rongeurs. En effet, c’est en grande partie grâce à la petite taille du cœur de cette espèce que la capture du courant par les ventricules, et délivré au niveau de l’œsophage, est possible. De plus, le maintien d’une même position de la sonde d’excitation dans l’œsophage est difficile à gérer, ce qui influence l’issue de certains essais (J. Lin et al., 2010). Quoi qu’il en soit, cette méthode d’induction est très avantageuse, car elle est noninvasive, simple, rapide et plus pratique. Malgré la nécessité de maintenir un courant pendant plusieurs minutes à cause du risque de cardioversion chez les rongeurs, les lésions thermiques observées sur la muqueuse oesophagienne restent minimes, et le cœur en est dépourvu (Chen et al., 2007a ; Chen et al., 2007b). Les mécanismes par lesquels cette technique induit une fibrillation ventriculaire sont semblables à ceux présentés ci-dessus. iii. Ischémie myocardique Aux États-Unis, l’une des causes majeures de mort subite est l’IDM (Zheng et al., 2001). En effet, l’arrêt cardiaque secondaire à la fibrillation ventriculaire induite par cet infarctus est fréquent. Comme la conversion spontanée d’un tel rythme vers un rythme non létal est rare, une fibrillation ventriculaire ayant lieu en milieu extra-hospitalier secondairement à un IDM évolue vers la mort en quelques minutes chez plus de 95 % des victimes (Di Diego et Antzelevitch, 2011). C’est pourquoi les arrêts cardiaques secondaires à une ischémie myocardique sont très étudiés. 128 Il existe ainsi de nombreux modèles d’arythmie ventriculaire induite par ischémie du myocarde (Di Diego et Antzelevitch, 2011). Le recours à des myocytes ventriculaires isolés est courant pour étudier les effets électrophysiologiques de l’ischémie sur les potentiels d’action, les courants transmembranaires et les échangeurs. Pour ce faire, les cellules sont exposées à des inhibiteurs métaboliques, ainsi qu’à des solutions hypoxiques, acides ou hyperkaliémiques. Toutefois, les études in vivo et in vitro menées sur des modèles expérimentaux soumis à une ischémie régionale sont celles qui apportent les résultats les plus pertinents dans l’étude de la fibrillation ventriculaire et des lésions consécutives. L’ischémie est alors provoquée en ligaturant une artère coronaire. Toutes ces études expérimentales ont montré qu’en provoquant des hétérogénéités en termes d’excitabilité, de période réfractaire et de conduction, l’ischémie crée un substrat idéal pour l’induction d’arythmies. Lorsque les cardiomyocytes subissent par la suite des excitations ectopiques par différents mécanismes, cela peut conduire à l’apparition d’extrasystoles qui mènent à ces arythmies ventriculaires létales (Di Diego et Antzelevitch, 2011). En effet, l’occlusion d’une artère coronaire entraîne des dysfonctionnements électriques, mécaniques et biochimiques immédiats du muscle cardiaque. Il s’ensuit une cascade de processus pathophysiologiques qui résultent d’interactions complexes entre des évènements coronaires vasculaires, des lésions du myocarde et des changements dans le tonus autonome et dans l’état ionique et métabolique du myocarde (Luqman et al., 2007). En conséquence, une arythmie ventriculaire - tachycardie ou fibrillation - apparaît. Cette dernière est ainsi le résultat de mécanismes focaux et non focaux, impliquant une excitation ectopique des myocytes ventriculaires, notamment du fait d’une automaticité anormale et de dépolarisations précoces ou retardées, et des phénomènes de réentrée, du fait de la conduction désorganisée de l’influx cardiaque (Di Diego et Antzelevitch, 2011). En fonction du temps qui s’est écoulé depuis l’arrêt de la perfusion coronaire, les arythmies ventriculaires diffèrent dans leur nature et dans leur mécanisme. C’est pourquoi on sépare l’ischémie myocardique en différentes phases (Luqman et al., 2007 ; Di Diego et Antzelevitch, 2011) : - La phase 1 est une phase réversible. Dans les modèles expérimentaux, elle a lieu pendant les deux à trente premières minutes suivant l’arrêt de la perfusion du myocarde. Chez le porc et le chien, cette première phase est subdivisée en deux sousphases en fonction des arythmies identifiées : elles sont appelées les phases 1A (2-10 minutes) et 1B (15-30 minutes). Cependant, la nature biphasique des arythmies de la phase 1 n’est pas mise en évidence dans tous les modèles animaux. Un seul pic d’arythmie est ainsi observé chez les rongeurs et les lagomorphes, comme illustré à la Figure 31. Les arythmies ayant lieu pendant cette première phase sont abondantes. Celles survenant au cours de la phase 1A ont souvent pour origine une réentrée. Ce sont en 129 - général des tachycardies ventriculaires qui n’évoluent que rarement en fibrillations ventriculaires. En revanche, des excitations ectopiques et des phénomènes de réentrée, résultant respectivement d’une décharge de catécholamines endogènes et d’un découplage électrique de cellule-à-cellule menant à un retard voire à des blocs de conduction, surviennent pendant la phase 1B. Les principales arythmies rencontrées sont alors des fibrillations ventriculaires. S’ensuit une deuxième phase, irréversible, pendant laquelle un infarctus se développe et s’étend, consécutivement à la nécrose d’une partie du myocarde secondaire à l’ischémie. Les arythmies ventriculaires qui sont observées au cours de cette phase 2 apparaissent environ 1,5 à 5 heures après l’arrêt de la perfusion myocardique et peuvent durer deux à trois jours. Figure 31 : Représentation de la phase 1 de l’ischémie myocardique dans des cœurs de porc, de rat et de lapin (d'après Di Diego et Antzelevitch, 2011) FV : fibrillation ventriculaire A : Représentation temporelle de la phase 1 biphasique lors d’ischémie myocardique sur un cœur de porc B : Représentations temporelles de la phase 1 lors d’ischémie myocardique sur un cœur de rat (à gauche) et de lapin (à droite) 130 Si la durée de chacune des phases n’est pas bien caractérisée chez l’Homme, le développement d’arythmies ventriculaires suite à une ischémie myocardique suit la même séquence évènementielle que celle identifiée dans les modèles animaux, avec une première et une deuxième phase qui sont respectivement réversible et irréversible. Il est estimé que 50 % des arrêts cardiaques qui font suite à un IDM aigü ont lieu au cours de la phase 1 réversible de l’ischémie myocardique (Di Diego et Antzelevitch, 2011). b. Réponse cardiovasculaire suite à l’induction de l’arrêt cardiaque i. Électrocardiogramme Que la stimulation électrique du cœur pour induire une fibrillation ventriculaire soit directe (épicarde, endocarde) ou indirecte (à travers le thorax ou l’œsophage), les modifications de l’activité électrique des cardiomyocytes sont immédiatement visibles sur l’ECG. En effet, dès que le stimulus électrique est arrêté, on constate qu’une fibrillation ventriculaire s’est installée : le rythme n’est plus sinusal et on observe une tachycardie et des trémulations de la ligne de base. La Figure 32 ci-dessous montre le tracé ECG obtenu suite à la stimulation électrique transcutanée de l’épicarde d’un cœur de rat. Figure 32 : Électrocardiogramme obtenu suite à la stimulation électrique transcutanée de l’épicarde d’un cœur de rat (d'après J. Lin et al., 2010) Cette variation dans le tracé ECG n’est pas aussi rapide lorsque l’arrêt cardiaque est induit par ischémie myocardique, comme l’illustre la Figure 33. Le signe le plus précoce de cette ischémie constitue une modification de la repolarisation myocardique, avec en particulier une onde T qui devient géante, symétrique et pointue. Les modifications du segment ST surviennent en général après l’apparition de cette onde T d’ischémie. En situation physiologique, ce segment est isoélectrique : il est horizontal, plat et se situe au niveau de la ligne de base. Lors d’ischémie, il subit un décalage du fait de la présence d’une différence de potentiel, existant aussi bien au repos que durant la phase d’activation, entre la zone lésée en hypoxie aiguë et le tissu sain adjacent. Enfin, comme indiqué plus haut, les arythmies rencontrées sont des troubles du rythme ventriculaire, les tachycardies évoluant de façon fréquente en fibrillations. 131 Figure 33 : Évolution de l'électrocardiogramme suite à l'occlusion d'une artère coronaire chez le rat (d'après Opitz et al., 1995) ECG : électrocardiogramme Chaque ligne représente une portion d’un enregistrement d’ECG d’environ quatre secondes. La durée qui s’est écoulée depuis l’occlusion de l’artère coronaire est indiquée à droite. ECG 1 : activité électrique du cœur avant occlusion ECG 2 : rythme sinusal mais élévation du segment ST ECG 3 : tachycardie ventriculaire polymorphe, dégénérant en fibrillation ventriculaire ECG 4 : fibrillation ventriculaire, perte de conscience et convulsion de l’animal ECG 5 et 6 : défibrillation spontanée et échappement ventriculaire ECG 7 : rythme sinusal normal ii. Pression artérielle Après application d’un stimulus électrique au niveau cardiaque, la pression artérielle perd son signal pulsatile et diminue rapidement, comme le montre la Figure 34. À l’arrêt de la stimulation électrique, lorsque la fibrillation ventriculaire est installée, cette pression avoisine la valeur de zéro, mais elle ne s’annule pas, le tonus vasculaire permettant de maintenir une pression au niveau intravasculaire. 132 Figure 34 : Évolution de la pression artérielle moyenne suite à une stimulation électrique transcutanée de l’épicarde d’un cœur de rat (d'après J. Lin et al., 2010) 2. Arrêt cardiaque avec rythme non choquable Si les arrêts cardiaques avec rythme choquable ont pendant longtemps été prépondérants, il en est de nos jours tout autrement, car le premier rythme identifié à l’ECG est dans une grande majorité des cas non choquable chez l’Homme. En effet, il s’agit d’une asystolie ou d’une DEM dans respectivement 45 % et 19 % des arrêts cardiaques extrahospitaliers (Mader et al., 2012), et dans respectivement 38,8 % et 37,1 % des arrêts cardiaques intra-hospitaliers (Meaney et al., 2010). Ils sont en général associés à un pronostic et à un taux de survie plus faibles que lorsque le premier rythme identifié à l’ECG est un rythme choquable (Meaney et al., 2010 ; Mader et al., 2012), et font par conséquent l’objet de plus en plus d’études. Les principales modalités d’induction de l’arrêt cardiaque utilisées pour les études expérimentales sont l’asphyxie et l’injection intraveineuse de chlorure de potassium. Pour certaines espèces, en particulier les rongeurs, ces modalités sont préférées pour induire un arrêt cardiaque. Chez ces espèces, elles sont en effet plus reproductibles d’une expérience et d’un animal à l’autre, car on le rappelle, la fibrillation ventriculaire peut se convertir de façon spontanée en un rythme sinusal, et un nombre variable de stimulations électriques peuvent être nécessaires pour maintenir un tel rythme. a. Modalités d’induction i. Asphyxie Alors que les arrêts cardiaques ont souvent une origine purement cardiaque chez l’adulte, les accidents traumatiques et les affections respiratoires en sont les causes les plus fréquentes chez l’enfant (MD. Berg et al., 2010). Dans de tels cas, l’arrêt cardiaque n’est pas primaire, mais secondaire à une asphyxie provoquée par l’apnée ou par l’hypoventilation et l’hypoxémie progressive. L’induction d’une asphyxie chez les animaux de laboratoire repose sur l’utilisation d’un agent curarisant, comme le pancuronium ou le vecuronium. Injecté par voie 133 intraveineuse, ce curare entraîne un blocage des jonctions neuromusculaires, et donc une paralysie de l’ensemble des muscles striés squelettiques de l’organisme, en particulier du diaphragme. Il empêche ainsi la respiration spontanée. C’est ensuite l’arrêt de la ventilation artificielle, qui a été mise en place au moment de l’induction anesthésique, qui permet l’entrée en apnée de l’animal. Ces modalités sont complétées par un clampage de la sonde endotrachéale en fin d’expiration, afin d’obstruer les voies respiratoires supérieures et d’empêcher les éventuels échanges gazeux résiduels (Katz et al., 1995 ; Vaagenes et al., 1997 ; Kamohara et al., 2001). Contrairement à ce qu’il se passe lors d’une fibrillation ventriculaire, la pression artérielle ne chute pas brutalement, mais subit des variations au cours des trois à cinq premières minutes d’asphyxie (vide infra). Cette phase est appelée phase de « low-flow ». Audelà de ce délai, la pression artérielle moyenne s’annule quasiment : c’est la phase de « noflow ». Le début de cette phase marque le début de l’arrêt cardiaque asphyxique. Ainsi, pour une asphyxie de huit minutes, l’arrêt cardiaque peut ne durer que quatre minutes. Les procédures se font donc sur des durées en moyenne plus longues que lors de l’induction d’une fibrillation ventriculaire. Les mécanismes physiopathologiques expliquant l’arrêt cardiaque secondaire à cette asphyxie reposent principalement sur l’hypercapnie, l’entrée en métabolisme anaérobie, l’acidose respiratoire puis métabolique et la diminution de la perfusion tissulaire. D’une façon simplifiée, en l’absence d’oxygène, l’animal entre en apnée. Sa fréquence cardiaque diminue de façon progressive, alors que la pression sanguine est maintenue à des valeurs normales. Pour maintenir la perfusion et une oxygénation correcte des organes vitaux, comme le cœur et le cerveau, une vasoconstriction se produit au niveau pulmonaire, intestinal, rénal, musculaire et cutané. Toutefois, si la privation d’oxygène perdure, la fonction myocardique et le débit cardiaque finissent par se détériorer, et la circulation sanguine cesse. ii. Chlorure de potassium Le potassium étant l’un des principaux ions impliqués dans l’électrophysiologie cardiaque, son utilisation est intéressante pour l’induction d’un arrêt cardiaque dans les études expérimentales destinées à mieux comprendre la physiopathologie de ce dernier et à rechercher de nouvelles stratégies thérapeutiques (Menzebach et al., 2010). En outre, il est également utilisé lors de chirurgie cardiaque ou de transplantation cardiaque, pendant lesquelles le cœur doit faire face à des périodes variables d’ischémie généralisée (Chambers, 2003). Le cœur devant donc être protégé pendant cette période ischémique, de nombreuses techniques ont été mises au point pour retarder les lésions provoquées par l’ischémie, et minimiser celles dues à la reperfusion. Dans presque tous les cas, cette protection passe par l’utilisation d’une solution cardioplégique hyperkaliémique, qui induit un arrêt cardiaque en diastole, préservant ainsi la fonction myocardique. Pour comprendre comment l’injection de chlorure de potassium induit un arrêt cardiaque, il faut revenir sur les bases de l’excitabilité de la membrane cellulaire. Au repos, le potentiel de membrane est le résultat d’un équilibre électrochimique se faisant entre les 134 espaces intracellulaire et extracellulaire pour plusieurs ions diffusibles à travers la membrane cellulaire cardiaque. Les principaux ions concernés sont le sodium, le potassium et le calcium. En particulier, la membrane cellulaire cardiaque au repos est principalement perméable aux ions potassium, dont la concentration intracellulaire est très supérieure à la concentration extracellulaire. Par diffusion passive, il s’ensuit un flux sortant d’ions potassium, non compensé par un flux entrant d’ions chargés positivement. La membrane cellulaire cardiaque est donc chargée positivement à l’extérieur. Le potentiel de membrane au repos a une valeur entre -70 et -90mV. Lorsque la cellule cardiaque est stimulée, elle se dépolarise. La perméabilité membranaire augmente et les ions, en particulier le calcium et le sodium, entrent dans la cellule. L’injection de chlorure de potassium par voie intraveineuse est à l’origine d’une augmentation de la concentration extracellulaire de cet ion. Par conséquent, la différence de concentrations en potassium entre les espaces extracellulaire et intracellulaire diminue. La valeur du potentiel de repos membranaire augmente ainsi, et ce proportionnellement à la quantité de chlorure de potassium injectée. Lorsque le potentiel de repos membranaire est maintenu en-dessous de -65 mV, les canaux sodiques rapides voltage-dépendants sont inactivés, empêchant donc la dépolarisation rapide de la cellule cardiaque (phase 0 du potentiel d’action cardiaque), ce qui arrête le cœur en diastole (Chambers, 2003). b. Effets sur les variables étudiées : électrocardiogramme et pression artérielle i. Lors d’asphyxie Consécutivement à l’apnée et à l’obstruction des voies aériennes supérieures, on observe une hypertension transitoire, suivie par l’installation progressive d’une bradycardie, d’une hypotension et d’une perte de la pulsatilité artérielle, comme illustré à la Figure 35. Après trois à quatre minutes d’apnée, la valeur de la pression artérielle moyenne s’abaisse sous les 10 mmHg et ne connaît plus de fluctuations. L’ECG enregistrant toujours une activité électrique, celle-ci n’est alors en aucun cas associée à des contractions cardiaques efficaces : on parle de dissociation électromécanique. Figure 35 : Évolution de l'électrocardiogramme et de la pression artérielle moyenne après induction d'une asphyxie chez le rat (d'après Katz et al., 1995) DEM : dissociation électromécanique ; PAM : pression artérielle moyenne 135 Ces réponses cardiovasculaires, et en particulier cette hypertension transitoire observée au début de l’asphyxie, s’expliquent par la mise en jeu d’un chémoréflexe lors d’hypoxie aiguë, impliquant des chémorécepteurs artériels périphériques localisés au niveau de l’arc aortique et du corps carotidien. Lors d’apnée, ces chémorécepteurs sont activés du fait de la diminution de la pression partielle en oxygène, et sont alors à l’origine d’une activation sympatho-vagale. On observe ainsi une réponse sympathique au niveau des vaisseaux et une augmentation du tonus vagal cardiaque. Cela explique l’hypertension artérielle transitoire du fait de la vasoconstriction, ainsi que la bradycardie. ii. Lors de l’administration de chlorure de potassium L’injection de chlorure de potassium conduit à une réponse quasi-immédiate du système cardiovasculaire, se manifestant par des modifications rapides au niveau de l’électrocardiogramme et du suivi de la pression artérielle, comme l’illustre la Figure 36. Elle est notamment à l’origine d’une chute de la pression artérielle et d’une perte de sa composante pulsatile. Figure 36 : Évolution de l'électrocardiogramme, de la pression artérielle et de la fréquence cardiaque après injection par voie intraveineuse de chlorure de potassium chez la souris (d'après Menzebach et al., 2010) ECG : électrocardiogramme ; FC : fréquence cardiaque ; PA : pression artérielle ; RACS : reprise d’activité cardiaque spontanée ; RCP : réanimation cardio-pulmonaire 136 Les changements au niveau de l’activité électrique cardiaque dépendent en réalité de l’intensité de l’hyperkaliémie (Webster et al., 2002) : - - L’hyperkaliémie discrète est associée à une accélération de la repolarisation terminale. Des ondes T géantes sont ainsi observées. Si l’hyperkaliémie est modérée, elle entraîne une dépression de la conduction entre les cardiomyocytes adjacents. Par conséquent, l’ECG montre, en plus de ces ondes T géantes, une augmentation de l’intervalle PR et un élargissement du complexe QRS. Une diminution de l’amplitude des ondes P peut également être observée du fait de la sensibilité des cardiomyocytes atriaux à l’hyperkaliémie. L’hyperkaliémie sévère, qui est la situation recherchée pour induire un arrêt cardiaque chez l’animal de laboratoire, entraîne la suppression de la conduction sino-atriale et atrio-ventriculaire. On constate ainsi une absence de l’onde P et un élargissement progressif du complexe QRS. Le tracé électrocardiographique peut même être plat, signe d’une asystolie. 3. Réanimation cardio-pulmonaire Au moment de la mise au point de l’étude, une durée pendant laquelle l’arrêt cardiaque est laissé non traité est déterminée. Après celle-ci, une RCP est entreprise. En fonction du type d’arrêt cardiaque induit et de l’espèce sur laquelle porte l’expérience, les procédures diffèrent. D’une manière générale, la RCP standard comprend (Katz et al., 1995 ; Vaagenes et al., 1997 ; Kamohara et al., 2001 ; Song et al., 2002 ; Chen et al., 2007a ; Chen et al., 2007b ; Wang et al., 2007 ; Xanthos et al., 2007 ; J. Lin et al., 2010 ; Menzebach et al., 2010 ; Fletcher et al., 2012 ; Kohlhauer, 2012) : - - - La mise en œuvre d’un massage cardiaque externe. Le rythme avec lequel les compressions thoraciques sont réalisées dépend de l’espèce d’étude. Il est d’en moyenne 200 à 400 compressions par minute pour les espèces de petit format (rongeurs et lagomorphes) et de 100 compressions par minute pour les espèces de plus grand format (porcs et carnivores, en particulier les chiens). Les compressions sont d’une durée égale à celle des décompressions et doivent être appliquées avec une force suffisante. La remise sous ventilation artificielle de l’animal. Pendant les premières minutes de la RCP, et au moins jusqu’au RACS, la FiO2 est fixée à 100 %. Elle est ensuite ajustée de façon à maintenir la valeur de la PaCO2 égale à 30-35 mmHg, pour prévenir l’apparition de lésions liées à une hyperoxie persistante (Pilcher et al., 2012). Tout comme la fréquence des compressions thoraciques, le volume courant et le rythme utilisés pour la ventilation varient en fonction de l’espèce d’étude. Une ventilation à pression positive intermittente peut enfin être mise en place. Il est enfin à noter que l’administration d’adrénaline est courante, et se fait de façon systématique dans la plupart des études expérimentales. 137 Dans les cas particuliers où l’arrêt cardiaque s’accompagne d’un rythme choquable, une tentative de défibrillation est effectuée (Vaagenes et al., 1997 ; Wang et al., 2007 ; Xanthos et al., 2007 ; J. Lin et al., 2010). Si celle-ci ne permet pas le retour à un rythme sinusal, d’autres tentatives sont réalisées, avec une énergie croissante. Le nombre maximal de tentatives acceptables, et le moment auquel elles doivent et peuvent être effectuées, sont déterminés au préalable, de façon à ce que les expériences soient reproductibles d’un animal à l’autre. Comme il a été mentionné plus haut, une pression artérielle non pulsatile avoisinant les valeurs de 10-20 mmHg peut être maintenue pendant la durée de l’arrêt cardiaque, et ce du fait du tonus vasculaire. En aucun cas elle ne reflète l’activité contractile cardiaque, la reprise de cette dernière étant en effet indiquée par le retour d’un signal pulsatile de la pression artérielle. La réussite de la RCP est conditionnée par le RACS. Celui-ci doit être défini : il faut déterminer une valeur seuil de pression artérielle sanguine et une durée minimale pendant laquelle cette valeur seuil doit être dépassée (Idris et al., 1996). Pour chaque étude, il est ainsi possible de retrouver une définition différente du RACS. Il est cependant fortement recommandé que le RACS soit défini comme le maintien d’une pression artérielle systolique de plus de 60 mmHg pendant au moins dix minutes consécutives, cette définition coïncidant avec celle utilisée dans les études d’arrêt cardiaque menées chez l’Homme (Idris et al., 1996). En l’absence de RACS, une durée limite au-delà de laquelle les procédures de réanimation nécessitent d’être arrêtées doit être déterminée au préalable (Katz et al., 1995 ; Chen et al., 2007a ; Chen et al., 2007b ; Menzebach et al., 2010). Les animaux non réanimés au-delà de ce délai sont exclus du protocole expérimental. La Figure 37 illustre ainsi le déroulement classique d’un protocole expérimental avec induction d’arrêt cardiaque suivi d’une RCP. Figure 37 : Exemple d'un protocole expérimental avec induction d'une fibrillation ventriculaire suivie d'une réanimation cardio-pulmonaire (adapté d'après Mader, 2008) Def : tentative de défibrillation ; FV : fibrillation ventriculaire ; RACS : reprise d’activité cardiaque spontanée ; RCP-S : réanimation cardio-pulmonaire standard 138 Un suivi attentif de l’ECG et de la pression artérielle sont ainsi indispensables pour déterminer l’issue d’une RCP. Un exemple d’évolution de ces deux paramètres est illustré à la Figure 38. Figure 38 : Évolution de l'électrocardiogramme et de la pression artérielle suite à la réanimation cardio-pulmonaire entreprise après un arrêt cardiaque asphyxique chez le rat (d'après Katz et al., 1995) IV : voie intraveineuse ; PAM : pression artérielle moyenne ; RACS : reprise d’activité cardiaque spontanée ; RCP : réanimation cardio-pulmonaire C. Évaluation des conséquences Suite à une RCP au cours de laquelle un RACS a été obtenu, les chances de survie à plus ou moins long terme restent variables, en particulier à cause des conséquences du syndrome post-arrêt cardiaque, et notamment la dysfonction myocardique et la défaillance neurologique. Afin de trouver des stratégies thérapeutiques adaptés à ces deux entités, une identification précise des lésions provoquées, voire une compréhension des mécanismes physiopathologiques sous-jacents, sont indispensables et impliquent le recours aux modèles animaux. Chez ces derniers, de nombreuses méthodes ont été mises au point pour évaluer les effets d’un arrêt cardiaque sur le cœur et le cerveau. Certaines d’entre elles sont présentées dans cette partie. 1. Estimation de la dysfonction myocardique La dysfonction myocardique peut s’évaluer par de nombreux paramètres. Seuls certains sont ici développés. a. Paramètres hémodynamiques, gaz sanguins et marqueurs biologiques Certains paramètres hémodynamiques, comme la fréquence cardiaque, la pression artérielle moyenne, l’index cardiaque, connaissent de grandes variations entre l’arrêt 139 cardiaque et le RACS, et il va de soi que la persistance d’anomalies après ce dernier révèle d’importants dysfonctionnements au niveau de l’activité cardiaque. La pression artérielle est l’un des principaux paramètres à surveiller, et son maintien à des valeurs normales est indispensable. Lors de la RCP avancée, il est crucial de mettre tout en œuvre de façon à éviter l’apparition d’une hypotension (Neumar et al., 2010 ; Fletcher et al., 2012). En effet, comme il a été vu en première partie, la perfusion du cerveau est sous la dépendance de la pression artérielle moyenne. Le suivi de la pression au sein du ventricule gauche permet de détecter d’éventuelles anomalies de la contractilité myocardique. La vitesse maximale d’augmentation de la pression pendant la contraction, notée dP/dtmax, est l’indice le plus fréquemment utilisé pour évaluer cette contractilité (Kern et al., 1996). De même, le suivi du pH, de la PaCO2, de la PaO2, de la concentration sanguine en lactate, de l’hémoglobine, et du contenu en oxygène dans le sang artériel et veineux, permet de connaître les modifications acido-basiques associées à l’altération de la fonction contractile myocardique. Si les valeurs de l’ensemble sont anormalement basses ou hautes en fonction du paramètre tout au long de l’arrêt cardiaque, elles se normalisent pour la plupart dans les trente minutes suivant le RACS (Kern et al., 1996). Enfin, il pourrait également être intéressant de suivre les concentrations de certains marqueurs biologiques du stress myocardique, comme la troponine I, ou le brain natriuretic peptide (BNP) utilisé dans le diagnostic de l’insuffisance cardiaque. Si aucune étude n’est actuellement disponible quant au recours à ce dernier marqueur lors de syndrome post-arrêt cardiaque, il pourrait être utilisé pour mettre en évidence une dysfonction myocardique. b. Échocardiographie L’échocardiographie constitue une technique de choix pour apprécier la contractilité du myocarde et ainsi constater de façon plus directe la dysfonction myocardique sur un animal vivant. En effet, elle permet la visualisation des cavités cardiaques et l’obtention de toute une série de mesures concernant la fonction systolique. Grâce aux avancées récentes, et en particulier grâce au développement de l’échocardiographie DTI (Doppler tissu myocardique), l’étude de la fonction diastolique a été rendue possible. Outre son utilisation pour éventuellement déterminer la cardiopathie sous-jacente, l’échocardiographie-Doppler permet également d’obtenir des informations sur le statut hémodynamique (Lanceleur et Cariou, 2008). Dans les études expérimentales, une attention particulière est portée au ventricule gauche (VG), en particulier en systole. La performance systolique de ce ventricule dépend de sa contractilité, de la précharge, de la postcharge et de la fréquence cardiaque. 140 Même si elle dépend des conditions de charge, la fraction d’éjection (FE) du ventricule gauche est l’indice reflétant le mieux sa fonction systolique. Elle se calcule de la manière suivante : Le calcul de ces deux volumes se fait à partir de coupes grand axe 4 cavités, en utilisant le plus souvent la méthode des disques de Simpson (Wang et al., 2007 ; Wu et al., 2013). Cette méthode découpe la cavité du ventricule gauche en une pile de disques jointifs depuis l’apex jusqu’à la base. Chacune de ces pseudo-coupes, perpendiculaire au grand axe, est définie par sa surface. Le produit entre la somme de ces surfaces élémentaires et l’espace entre chaque disque correspond au volume. La fonction systolique peut également être évaluée en mode 2D, en calculant la fraction de raccourcissement de surface (FRS) (Wang et al., 2007) : c. Histologie L’étude histologique nécessite l’excision rapide du cœur après euthanasie ou mort naturelle de l’animal. En fonction de la taille du cœur, l’étude porte sur l’organe entier, (animaux de laboratoire de petit format), ou sur un ou plusieurs échantillons de celui-ci (animaux de plus grand format). Ces prélèvements sont préservés dans du formaldéhyde (10 %) ou du paraformaldéhyde (4 %) en vue d’un examen histopathologique (Wu et al., 2013). Les échantillons peuvent par la suite être fixés, et différentes coupes peuvent être effectuées. Différentes colorations sont réalisées en fonction du but de l’étude histologique. Pourront ainsi être mis en évidence : - Des infiltrations du tissu cardiaque, par exemple par des cellules inflammatoires, visibles après coloration à l’hématoxyline-éosine safran. Des cellules apoptotiques, notamment grâce à l’essai TUNEL colorimétrique ou fluorescent (terminal deoxynucleotidyl transferase mediated 2-deoxyuridine 5triphosphate nick end labeling) qui permet de marquer les cellules ayant subi des dommages, voire des fragmentations d’ADN. Cette méthode se base sur le fait que les cellules apoptotiques voient leur ADN clivé par des nucléases. Cette dégradation génère des extrémités 3’ OH libres, qui sont reconnus par la transférase, qui ajoute un dUTP biotinylé ou marqué avec un fluorochrome. Le comptage des cellules TUNELpositives permet ainsi de déterminer un index apoptotique (Wu et al., 2013). 141 2. Estimation de la défaillance neurologique Tout comme la dysfonction myocardique, de nombreuses méthodes permettent d’évaluer la défaillance neurologique. Les principales sont développées par la suite. a. Histologie L’étude histologique du cerveau se fait selon les mêmes principes que celle du cœur, avec une excision rapide de l’organe et une préservation dans une solution de paraformaldéhyde. Après fixation, des coupes très fines sont réalisées, puis colorées. Des scores de dommages histopathologiques (SDH) peuvent ensuite être déterminés. Ils s’appuient sur la recherche de lésions ischémiques sur les coupes. Il est particulièrement intéressant d’étudier la prévalence de ces lésions dans cinq régions spécifiques du cerveau, à savoir le cortex, le putamen, l’hippocampe (et en particulier les régions CA1-3), le thalamus et le cervelet. En effet, ces régions sont particulièrement sensibles à l’ischémie (Peltier, 2009 ; Kohlhauer, 2012). Les SDH sont calculés de différentes manières en fonction des études. Par exemple, il est possible de rechercher sur les coupes la présence de neurones ischémiques. Ceux-ci se reconnaissent par leurs noyaux picnotiques et leurs cytoplasmes réduits et éosinophiliques. Une échelle à quatre points, présentée dans le Tableau 24, permet ensuite d’attribuer un score en fonction du nombre de neurones ischémiques comptés dans chacune des régions étudiées. Tableau 24 : Exemple d’échelle à quatre points déterminant le score attribué dans chaque région étudiée en fonction du nombre de neurones ischémiques (d'après Katz et al., 1995) Score Définition 0 Absence de neurones ischémiques dans la région étudiée 1 1-14 neurones ischémiques dans la région étudiée 2 15-29 neurones ischémiques dans la région étudiée 3 30-49 neurones ischémiques dans la région étudiée 4 > 50 neurones ischémiques dans la région étudiée Le SDH peut ensuite être déterminé de différentes manières : - 142 En effectuant la moyenne de chacun de ces cinq scores (Katz et al., 1995). Le SDH correspond alors à un chiffre compris entre 0 et 4. En multipliant le score obtenu pour chaque région étudiée par un facteur de pondération, en fonction de l’observation d’autres anomalies, comme la présence d’œdème ou de congestion capillaire, puis en faisant la somme des scores obtenus pour chaque région (Vaagenes et al., 1997 ; Varvarousi et al., 2012). b. Score de déficit neuronal Afin d’évaluer dans le temps la fonction neurologique des animaux survivants ayant subi un arrêt cardiaque, il est possible de déterminer pour chacun d’entre eux un score de déficit neuronal à partir de grilles. Ces grilles s’appuient sur l’évaluation clinique de la conscience, du comportement, de la respiration, des réflexes, des déficits moteurs, sensitifs et de la coordination… (Katz et al., 1995 ; Chenoune et al., 2011). Un exemple figure dans le Tableau 25. La détermination de ce score avant induction de l’arrêt, et son suivi quotidien permettent une évaluation fiable de la défaillance neurologique post-arrêt. Cette dernière peut aller de 0 % (absence de dysfonction) à 100 % (mort cérébrale). c. Tests comportementaux De nombreux tests comportementaux peuvent être réalisés pour évaluer la fonction neurologique de l’animal, comme le montre le Tableau 26. Certains tests mis au point sur une espèce peuvent être adaptés et utilisés chez une autre espèce. C’est par exemple le cas des tests impliquant l’utilisation de labyrinthes (labyrinthes en T, à huit bras, labyrinthe de Morris…). Cependant, la taille de l’espèce étudiée constitue souvent un facteur limitant pour la réalisation de ces tests. 143 Tableau 25 : Exemple d'une grille permettant d'établir un score de déficit neuronal (d'après Chenoune et al., 2011 ; Kohlhauer, 2012) Évaluation Score maximal Score attribué Niveau de conscience Normal 0 Prostré 5 25 Stupeur 10 Comateux 25 Respiration Normale 0 5 Anormale 5 Évaluation des nerfs crâniens Absence de la vue 1 Absence du réflexe photomoteur droit 0,5 Absence du réflexe photomoteur gauche 0,5 Absence du réflexe oculocéphalique 1 7 Absence du réflexe cornéen droit 0,5 Absence du réflexe cornéen gauche 0,5 Absence de sensation faciale 1 Absence de l’ouïe 1 Absence du réflexe de déglutition 1 Fonction sensorielle et motrice Absence de la sensation de douleur des antérieurs 2 Absence de la sensation de douleur des postérieurs 2 14 Absence du réflexe de redressement aux antérieurs 5 Absence du réflexe de redressement aux postérieurs 5 Allure de la démarche Normale 0 Ataxie minimale 5 Ataxie modérée 8 25 Ataxie sévère 12 Maintien en position sternale 15 Ne peut se lever 20 Pas de mouvements utiles 25 Comportement Ne fait pas sa toilette 4 24 Ne boit pas 10 N’explore pas (10) ou peu (5) 10 144 Tableau 26 : Exemples de tests comportementaux utilisés pour évaluer la fonction neurologique de deux espèces d’animaux de laboratoire, les rongeurs et les porcs (d'après Kofler et al., 2004 ; Kiryk et al., 2011 ; Kornum et Knudsen, 2011) Test Espèces chez lesquelles ce test est utilisable/utilisé Capacité neurologique testée Principes Paramètres mesurés Activité spontanée Rongeurs Porcs Exploration, locomotion, habituation, anxiété L’animal est placé dans une cage/un enclos ne comportant pas d’obstacle. Activité motrice horizontale et verticale Tige tournante Rongeurs Équilibre et coordination motrice Labyrinthe en croix surrélevé Rongeurs Exploration, anxiété Labyrinthe en T Rongeurs Porcs Mémoire spatiale Labyrinthe à huit bras Rongeurs Porcs Mémoire spatiale Labyrinthe de Morris Rongeurs Porcs Apprentissage et mémoire spatiale L’animal est placé dans un cylindre qui tourne à une vitesse constante les premiers jours. La vitesse est par la suite augmentée. L’animal est placé dans un labyrinthe surrélevé constitué de deux couloirs fermés et deux ouverts (sans murs). L’animal est placé au niveau de la branche principale d’un labyrinthe en T. Dans une première phase d’apprentissage, il doit retrouver une récompense placée au niveau de l’un des bras du T. Plusieurs essais sont effectués. La récompense est ensuite retirée ou placée au niveau de l’autre bras. L’animal est placé au centre d’un labyrinthe d’où rayonnent 8 couloirs différents. De la nourriture est placée au bout de chaque couloir ou de quelques-uns seulement. L’animal doit apprendre à ne rentrer qu’une seule fois dans chaque couloir. L’animal est placé dans un bassin d’eau dans lequel se trouve une plateforme. Il doit apprendre à utiliser des indices spatiaux pour atteindre cette dernière. Latence à tomber du cylindre Temps passé dans chacun des deux types de couloirs Durée mise pour trouver la récompense Nombre d’entrées supplémentaires dans un couloir Durée mise pour atteindre la plateforme 145 146 Tableau 26 (suite) : Exemples de tests comportementaux utilisés pour évaluer la fonction neurologique de deux espèces d’animaux de laboratoire, les rongeurs et les porcs (d'après Kofler et al., 2004 ; Kiryk et al., 2011 ; Kornum et Knudsen, 2011) Test Alternance spontanée Espèces chez lesquelles ce test est utilisable/utilisé Rongeurs Porcs Capacité neurologique testée Mémoire, apprentissage. Bon indicateur du fonctionnement du système limbique Évitement passif Rongeurs Mémoire à long et court terme Reconnaissance spontanée d’objets Rongeurs Porcs Mémoire Principes Paramètres mesurés L’animal est placé au niveau de la branche principale d’un labyrinthe en T. Il explore le labyrinthe et quand il rentre au niveau d’un autre bras, il est immédiatement replacé au même endroit de départ que l’essai précédent. Plusieurs essais sont effectués. On considère qu’il y a une « alternance » si l’animal choisit le bras qu’il n’a pas exploré à l’essai précédent. Le taux d’alternance global est ensuite noté (0 % : pas d’alternance, 100 % : alternance à chaque nouvel essai). L’animal est placé dans une boîte, constituée d’un compartiment dans l’obscurité et d’un compartiment éclairé, les deux étant séparés par une porte. L’expérience débute par une première phase d’apprentissage : l’animal est placé dans le compartiment éclairé sans avoir accès au compartiment obscur. Au bout d’un certain temps, la porte s’ouvre, l’animal se dirige dans le compartiment obscur (les rongeurs sont des animaux nocturnes). Une fois à l’intérieur, il reçoit un choc électrique. Vingt-quatre heures après, l’animal est replacé dans le compartiment éclairé mais a libre accès au compartiment obscur. Un ou deux objets identiques sont présentés à l’animal pendant une brève période. Après un certain temps, le même objet est présenté à nouveau, avec un nouvel objet. Durée mise pour explorer le compartiment obscur vingt-quatre heures après la phase d’apprentissage Temps d’exploration du nouvel objet 3. Comparaison des dysfonctions consécutives à un arrêt cardiaque par asphyxie ou par fibrillation ventriculaire Les arrêts cardiaques sont le plus fréquemment dus à des causes cardiaques et respiratoires. Cependant, les conséquences de chacune d’elles sur le cœur et le cerveau diffèrent. Cela s’explique notamment par l’existence d’une période de « low-flow » lors d’aphyxie, pendant laquelle la circulation sanguine se fait encore. Ainsi, l’ischémie demeure incomplète dans les minutes qui suivent l’induction, et ce jusqu’à perte de la pulsatilité artérielle. En revanche, lors de fibrillation ventriculaire, l’ischémie complète est soudaine. a. Dysfonction myocardique Une étude récente, menée par Wu et al. (2013), a comparé la dysfonction myocardique faisant suite à un arrêt cardiaque induit par asphyxie, à celle consécutive à un arrêt cardiaque sur fibrillation ventriculaire. Elle a porté sur 32 porcs : pour 16 d’entre eux, l’arrêt cardiaque a été induit par asphyxie (groupe ACA), et pour les 16 autres, l’arrêt était secondaire à une fibrillation ventriculaire provoquée par stimulation électrique (groupe ACFV). Dans les deux groupes, l’arrêt cardiaque à proprement parler a été laissé non traité pendant 8 minutes, et les procédures de réanimation ont été similaires. Les résultats de cette étude sont présentés ci-après. Réanimation et survie Chez l’ensemble des porcs du groupe ACFV, un RACS a pu être obtenu, alors que seuls 50 % des animaux du groupe ACA ont été réanimés. Par ailleurs, à la fin de l’expérience, soit six heures après le RACS, 14 porcs du groupe ACFV étaient encore vivants, alors que cela n’était le cas que chez 6 porcs du groupe ACA. Paramètres hémodynamiques L’étude de l’évolution de la fréquence cardiaque, de la pression artérielle moyenne et des valeurs du +dP/dtmax et du -dP/dtmax du ventricule gauche après le RACS a montré des valeurs significativement plus importantes dans le groupe ACFV que dans le groupe ACA. Cela suggère une détérioration de la fonction du ventricule gauche plus importante pour le groupe ACA. Des mesures des diamètres et des volumes télédiastoliques et télésystoliques du ventricule gauche ont été effectuées par échocardiographie, et la fraction d’éjection a été calculée pour chacun des porcs des deux groupes. Si cette dernière était significativement réduite dans les deux groupes trois heures après le RACS, la réduction était plus grande dans le groupe ACA que dans le groupe ACFV. Par ailleurs, une étude de la perfusion du myocarde a montré que celle-ci était plus fortement perturbée dans le groupe ACA que dans le groupe ACFV, notamment à l’échelle microcirculatoire. 147 Résultats histologiques Si des anomalies à l’étude histologique du myocarde ont été constatées dans les deux groupes, la structure morphologique du cœur et celle des crêtes tubulaires mitochondriales étaient plus endommagées lorsque l’arrêt cardiaque avait été induit par asphyxie, comme illustré à la Figure 39. En outre, l’essai TUNEL a montré la présence d’un plus grand nombre de cardiomyocytes apoptotiques dans les cœurs du groupe ACA que dans ceux du groupe ACFV. Figure 39 : Coupes histologiques de myocarde de porcs ayant subi un arrêt cardiaque asphyxique ou sur fibrillation ventriculaire, 6 heures après reprise d’activité cardiaque spontanée (d'après Wu et al., 2013) Images A et C : cœurs de porcs ayant subi un arrêt cardiaque par fibrillation ventriculaire Images B et D : cœur de porcs ayant subi un arrêt cardiaque asphyxique Bilan Les résultats de l’étude de Wu et al. (2013) ont montré que la dysfonction myocardique était plus sévère dans le groupe ACA que dans le groupe ACFV, ce qui expliquait le taux de survie plus faible constaté chez les animaux ayant subi un arrêt cardiaque par asphyxie. Dans leur étude l’année précédente, Tsai et al. (2012) avaient retenu les mêmes conclusions. Ils ont notamment montré que les lésions myocardiques étaient plus diffuses, et les lésions mitochondriales plus sévères lors d’arrêt cardiaque asphyxique. Nous noterons cependant que ces conclusions sont contraires à ceux de deux études précédentes (Vaagenes et al., 1997 ; Kamohara et al., 2001). Plusieurs raisons peuvent expliquer ces contradictions : 148 - - - L’espèce utilisée. Il s’agissait du rat dans l’une des deux études mentionnées (Kamohara et al., 2001) et du chien dans l’autre (Vaagenes et al., 1997). Comme il a été expliqué, l’anatomie et la physiologie du système cardio-pulmonaire du porc se rapprochent beaucoup de celles de l’Homme. La durée pendant laquelle l’arrêt cardiaque a été laissé non traité. Elle était plus longue dans l’étude de Wu et al. (8 minutes) que dans les deux autres : 4 minutes dans l’étude de Kamohara et al. (2001) et 7 minutes dans celle de Vaagenes et al. (1997). La durée d’asphyxie avant l’arrêt cardiaque à proprement parler. Cette durée était là encore plus longue dans l’étude de Wu et al. (13 à 16 minutes) que dans les deux autres (3 à 8 minutes) (Vaagenes et al., 1997 ; Kamohara et al., 2001). b. Défaillance neurologique Pour comparer la défaillance neurologique consécutive à un arrêt cardiaque asphyxique à celle qui fait suite à un arrêt sur fibrillation ventriculaire, nous nous appuierons sur l’étude de Vaagenes et al. (1997). Elle a porté sur 67 chiens : chez 24 d’entre eux, un arrêt cardiaque asphyxique a été induit (groupe ACA), et les 43 autres ont subi un arrêt cardiaque sur fibrillation ventriculaire (groupe ACFV). Dans chacun des groupes, l’arrêt cardiaque à proprement parler a été laissé non traité pendant respectivement 7 minutes et 10 minutes. Certains animaux recevant un traitement après le RACS, nous ne comparerons les résultats d’ordre neurologique qu’entre les animaux témoins de chaque groupe, c’est-à-dire non traités. Les résultats sont présentés ci-après. Réanimation et survie En prenant en compte les animaux soumis à un traitement par la suite, un RACS a été obtenu chez 100 % des chiens du groupe ACA et chez 84 % de ceux du groupe ACFV. Quatre jours après le RACS, on comptait respectivement 19 survivants dans le premier groupe, et 22 dans le deuxième. Score de déficit neuronal (SDN) Ce score avait pour bases les suivantes : - SDN = 0 % normal SDN = 40-90 % état végétatif SDN = 100 % mort cérébrale Les différences de SDN se sont révélées non significatives entre les individus témoins des deux groupes, le SDN moyen quatre jours après arrêt cardiaque étant de 37 % chez les témoins du groupe ACFV et de 41 % chez ceux du groupe ACA. 149 Échelle de performance Pour déterminer la performance globale de l’animal, les auteurs ont utilisé l’échelle cidessous : - 1 = normal 2 = l’animal présente des difficultés modérées 3 = l’animal présente des difficultés sévères, mais il est conscient 4 = l’animal est comateux ou dans un état végétatif 5 = mort cérébrale Quatre jours après l’arrêt cardiaque, les chiens du groupe ACFV avaient un score qui variait entre 2 et 4. Ce score était meilleur pour les chiens du groupe ACA et variait entre 3 et 4. Les différences observées étaient statistiquement significatives. Score de dommages histopathologiques (SDH) Un examen histologique a été réalisé pour 19 régions différentes du cerveau de certains chiens des groupes témoins, et des modifications ischémiques neuronales, des microinfarcti ou de l’œdème ont été recherchés sur chacune des coupes. La sévérité des lésions observées a été classée sur une échelle de 1 à 4, un score de 1 correspondant à une sévérité minime. Ce score de sévérité a ensuite été multiplié par un facteur de pondération en fonction du type de lésions visibles : par exemple, il était multiplié par 1 si de l’œdème était observé, ou par 4 s’il s’agissait de microinfarcti. Le SDH total correspondait alors à la somme des scores obtenus pour chacune des 19 régions du cerveau. Le SDH moyen s’élevait ainsi à 73 pour les chiens non traités du groupe ACFV, ce qui était significativement plus faible que le SDH moyen de 147 obtenu pour les chiens non traités du groupe ACA. Les modifications neuronales histologiques liées à l’ischémie étaient en effet plus sévères suite à l’asphyxie, et plus prononcées au niveau de l’hippocampe, du cortex et du cervelet, comme le montre le Tableau 27. Tableau 27 : Scores de dommages histopathologiques et lésions histologiques observées sur des cerveaux de chiens ayant subi soit un arrêt cardiaque asphyxique, soit un arrêt cardiaque sur fibrillation ventriculaire (d'après Vaagenes et al., 1997) ACA : animaux ayant subi un arrêt cardiaque asphyxique ; ACFV : animaux ayant subi un arrêt cardiaque par fibrillation ventriculaire ; SDH : score de dommages histopathologiques * p < 0.05 vs. ACFV Groupe Nombre d’animaux SDH total ACFV ACA 7 5 73 ± 19 147 ± 51* 150 Lésions observées (facteur de pondération) Œdème Modifications ischémiques Microinfarcti (x1) neuronales (x2) (x4) 0 66 ± 18 7 ± 10 2 84 ± 30 60 ± 35 Bilan Si la fonction neurologique des animaux diffèrait finalement peu entre ceux ayant subi un arrêt asphyxique et ceux dont l’arrêt était secondaire à une fibrillation ventriculaire, cela était très différent en ce qui concernait les lésions histologiques. En effet, l’asphyxie a provoqué des lésions neurologiques bien plus prononcées que la fibrillation ventriculaire. c. L’asphyxie et la fibrillation ventriculaire : deux entités physiopathologiques différentes Des deux études présentées ci-dessus, nous pouvons conclure que la cause de l’arrêt cardiaque a un effet significatif sur les fonctions myocardique et neurologique post-RACS. En particulier, l’arrêt cardiaque asphyxique est associé à une fonction cardiaque plus détériorée et à des lésions myocardiques et neurologiques plus sévères, ce qui apporte une explication supplémentaire au plus faible taux de survie observé suite à ce type d’arrêt. Par conséquent, l’arrêt cardiaque asphyxique et l’arrêt cardiaque sur fibrillation ventriculaire doivent être traités comme deux entités pathologiques différentes. S’agissant de deux entités pathologiques différentes, nous retiendrons que les résultats d’une stratégie thérapeutique testée sur un modèle animal d’arrêt asphyxique ne sont pas forcément applicables sur un modèle animal d’arrêt sur fibrillation ventriculaire, et vice-versa. 151 Pour simuler au mieux les différentes situations cliniques d’arrêt cardiaque chez l’Homme, il est possible d’induire ce dernier de différentes manières chez les modèles animaux. Une fibrillation ventriculaire peut ainsi être reproduite en stimulant électriquement le cœur, ou encore en provoquant une ischémie myocardique par ligature d’une artère coronaire. L’asphyxie ou l’administration intraveineuse de chlorure de potassium mènent, quant à elles, à une asystolie ou à une dissociation électromécanique. Une fois l’arrêt induit, il est laissé non traité pendant une durée définie, suite à quoi une RCP standard est réalisée. Chez les animaux chez lesquels un RACS est obtenu, il est particulièrement intéressant d’évaluer la dysfonction myocardique et la défaillance neurologique postarrêt cardiaque, car elles conditionnent la survie à plus long terme. Ces évaluations se font à l’aide de différents paramètres. En particulier, elles montrent des dysfonctionnements plus sévères lors d’arrêt cardiaque asphyxique que lors d’arrêt sur fibrillation ventriculaire. Les différentes stratégies thérapeutiques qui seront étudiées en troisième partie auront notamment pour but d’améliorer ces deux entités majeures du syndrome postarrêt cardiaque. Cependant, plusieurs conditions doivent être remplies pour pouvoir transférer de façon pertinente les résultats des études menées sur les animaux à l’Homme. 152 III. De l’expérimental à la clinique : pourquoi de telles différences ? Les modèles animaux sont très largement utilisés dans les recherches sur la RCP, et permettent une meilleure compréhension des mécanismes sous-jacents. Toutefois, même s’ils apportent une aide non négligeable dans les expériences préliminaires, ils ne peuvent substituer les essais cliniques aléatoires à grande échelle quand ceux-ci sont éthiquement acceptables. L’extrapolation des résultats obtenus chez l’animal à l’Homme doit se faire avec précaution. Au vu des faibles taux de survie chez les patients atteints d’arrêt cardiaque, de nombreuses études expérimentales ont été réalisées dans le but de trouver des stratégies thérapeutiques pouvant améliorer le pronostic des victimes. Dans la plupart de ces études, l’utilisation de traitements médicamenteux permet d’améliorer significativement le taux de survie des animaux. Pourtant, cette amélioration n’est souvent pas mise en évidence dans les essais cliniques conduits chez l’Homme par la suite (Larabee et al., 2012). Plusieurs explications peuvent être avancées quant à ces différences de résultats. Nous parlerons en particulier de l’intervalle de temps entre le début de l’arrêt et l’administration d’un traitement médicamenteux, de certaines limites des études, et de la nécessité de standardiser les protocoles. A. Moment d’intervention La durée entre le début de l’arrêt cardiaque et l’administration du premier traitement médicamenteux diffère considérablement entre les études animales et les études cliniques. Dans une étude clinique, Rittenberg et al. (2006) ont ainsi montré qu’il s’écoulait en moyenne 19,4 minutes entre le début de l’arrêt cardiaque et la première injection par voie intraveineuse de molécules. Or en regardant les données de 119 études expérimentales publiées entre 1990 et 2006 portant sur des modèles canins ou porcins, soit 2 378 animaux au total, Reynolds et al. (2007) ont constaté que cette durée moyenne n’était que de 9,5 minutes, ce qui était significativement plus court que la moyenne de 19,4 minutes pour les études cliniques. Dans un modèle porcin de fibrillation ventriculaire, Rittenberger et al. (2007) ont déterminé la probabilité de RACS en fonction du temps écoulé entre le début de l’arrêt et la mise en place d’un traitement médicamenteux. Cette relation est illustrée à la Figure 40. 153 Figure 40 : Probabilité de reprise d’activité cardiaque spontanée en fonction du temps écoulé entre le début de l'arrêt cardiaque et l'administration du traitement médicamenteux dans un modèle porcin de fibrillation ventriculaire (d'après Rittenberger et al., 2007) RACS : reprise d’activité cardiaque spontanée En ligne continue : animaux dont le protocole de réanimation est l’un des suivants : - Défibrillation immédiate - Réanimation cardio-pulmonaire et utilisation au besoin de principes actifs aux doses standards (adrénaline : 0,015 mg/kg ; lidocaïne : 1,5 mg/kg ; atropine : 0,02 mg/kg ; bicarbonates de sodium : 1,0 mequiv./kg) - Réanimation cardio-pulmonaire seule - Réanimation cardio-pulmonaire et utilisation d’une haute dose d’adrénaline (0,1 mg/kg) En ligne pointillée : animaux dont le protocole de réanimation est le suivant : - Réanimation cardio-pulmonaire et administration de propanolol (1 mg), d’adrénaline (0,1 mg/kg) et de vasopressine (40 UI) On remarque ainsi que, dans un protocole de réanimation optimale, comprenant un massage cardiaque à un rythme de 80 compressions thoraciques par minute, la mise en place d’une ventilation artificielle à un volume courant de 400 mL et à un rythme de 12 insufflations par minute, avec un rapport compression/ventilation de 5/1, accompagnés de l’administration de propranolol (1 mg), de vasopressine (40 UI) et d’une haute dose d’adrénaline (0,1 mg/kg), la probabilité de RACS est de 21 % s’il s’écoule 19,4 minutes entre le début de l’arrêt cardiaque et l’administration des traitements mentionnés, alors que cette probabilité est de 83 % si l’administration se fait 9,5 minutes après le début de l’arrêt. 154 Si l’on considère le modèle à trois phases de l’arrêt cardiaque proposé par Weisfeldt et Becker (2002), on constate que lors d’études expérimentales, les animaux reçoivent la première injection durant la phase circulatoire, soit 4 à 10 minutes après le début de l’arrêt. Dans les études cliniques, en revanche, le premier traitement médicamenteux se fait lors la phase métabolique. Il est ainsi probable que les traitements utilisés lors d’arrêt cardiaque et s’avérant efficaces chez l’animal ne le soient que lors de la phase circulatoire (Reynolds et al., 2007). Cela expliquerait leur inefficacité lorsqu’ils sont utilisés chez l’Homme, leur administration se faisant en moyenne dix minutes plus tard, lors de la phase métabolique. Ces considérations suggèrent qu’il est nécessaire de modifier la prise en charge des victimes d’arrêt cardiaque, en particulier lorsque ce dernier a lieu en dehors du milieu hospitalier. Si ces modifications en termes de prise en charge du patient sont l’idéal, elles sont en réalité difficiles à mettre en place. Pour pouvoir se rapprocher plus des situations cliniques, il est possible de revoir les modèles expérimentaux. C’est ce qu’a suggéré Mader (2008). Selon lui, l’intervalle de huit minutes pendant lequel l’arrêt cardiaque est laissé non traité dans les études expérimentales se base sur des estimations raisonables, mais considérées, avec recul, comme trop optimistes et donc erronées. Il a donc proposé un nouveau modèle expérimental de fibrillation ventriculaire chez le porc, illustré à la Figure 41. Dans ce modèle, l’arrêt cardiaque est laissé non traité pendant dix minutes, et ce en considérant qu’en situation clinique, il faut deux minutes pour reconnaître l’arrêt et appeler les secours, sept minutes minimum pour leur arrivée au lieu de l’accident et une minute pour qu’ils atteignent la victime. Un massage cardiaque est ensuite inité après dix minutes, et l’animal est intubé cinq minutes après. Un cathéter intraveineux est ensuite posé 19,5 minutes après le début de l’arrêt. Ainsi, les premiers traitements sont administrés pendant la phase métabolique, comme ce qui est actuellement observé chez l’Homme. Avec ce modèle, un RACS est observé dans 25 à 33 % des cas, ce qui coïncide avec les taux de RACS observé chez l’Homme suite à un arrêt cardiaque extra-hospitalier. Ce modèle se rapproche donc plus des situations cliniques et permet de tester de nouvelles stratégies thérapeutiques de façon plus réaliste. 155 156 Figure 41 : Protocole expérimental proposé par Mader (2008) avec induction d'une fibrillation ventriculaire suivie d'une réanimation cardio-pulmonaire CT : compressions thoraciques ; Def : tentative de défibrillation ; FV : fibrillation ventriculaire ; IET : intubation endotrachéale ; IV : pose d’une voie veineuse ; RACS : reprise d’activité cardiaque spontanée. B. Limites des études expérimentales Comme cela a déjà été mentionné, il convient de rappeler qu’aucune espèce animale ne présente un système cardio-pulmonaire identique à celui de l’Homme. La fréquence cardiaque élevée des rongeurs et la capacité de leur cœur à se défibriller spontanément (Papadimitriou et al., 2008), de même que les divergences au niveau du système de conduction entre le porc et l’Homme (Xanthos et al., 2007a), sont autant de caractéristiques qui diffèrent considérablement. Les particularités de chaque espèce doivent donc être prises en compte dans le choix de l’une d’entre elles plutôt que d’une autre pour une étude, ainsi que dans la conception des protocoles. De même, l’analyse des résultats et leur transposition à l’Homme doivent être faits avec un certain recul et une connaissance parfaite des spécifités anatomiques et physiologiques de chaque espèce. Dans une très grande majorité des études expérimentales, les sujets étudiés sont des animaux jeunes et en parfaite santé (Vaagenes et al., 1997 ; Wang et al., 2007 ; Xanthos et al., 2007a ; Wu et al., 2013), ce qui ne reflète pas la situation actuelle de l’arrêt cardiaque chez l’Homme. Comme nous l’avons vu, chez l’Homme, l’incidence des arrêts cardiaques augmente avec l’âge, et les victimes ont souvent plus de 65 ans (Chugh et al., 2008). La principale cause d’arrêt chez l’adulte est l’IDM. De plus, les comorbidités sont nombreuses et les victimes sont souvent atteintes d’affections favorisant l’instabilité cardiovasculaire, comme le diabète ou les maladies coronariennes (Chugh et al., 2008). Certains protocoles d’induction d’arrêt cardiaque sont mis en place mais n’évaluent pas les conséquences que ces derniers peuvent avoir sur d’autres paramètres que ceux mesurés. Par exemple, lorsqu’ils décrivent leur méthode d’induction d’une fibrillation ventriculaire par stimulation électrique transœsophagienne chez le rat et la souris, les auteurs mentionnent comme limite de leurs études l’absence de données permettant l’évaluation de la dysfonction myocardique (Chen et al., 2007a ; Chen et al., 2007b). De même, aucune donnée, comme le suivi de la PEtCO2 ou des gaz sanguins, ne permet de connaître d’éventuelles anomalies métabolique ou respiratoire. Si ces paramètres peuvent être évalués relativement facilement, d’autres nécessitent une surveillance plus invasive et de façon prolongée, ce qui complique les enregistrements. C’est particulièrement le cas chez les animaux de grand format (Xanthos et al., 2007b). Quand cette surveillance n’est pas mise en place, des complications extracérébrales peuvent survenir, mais passeront inaperçues et ne pourront être prévenues. Certaines de ces complications sont susceptibles de conduire à la mort de l’animal, et ce de façon indépendante au protocole (Katz et al., 1995). Enfin, pour certaines études expérimentales, lorsqu’il s’agit d’évaluer la fonction cardiaque ou neurologique post-arrêt cardiaque, le suivi des animaux ne se fait que sur quelques minutes, voire quelques jours (Vaagenes et al., 1997 ; Wu et al., 2013). Ce suivi sur 157 une durée très restreinte par rapport à l’espérance de vie potentielle des patients humains victimes d’arrêt cardiaque constitue une limite majeure de la plupart des études animales. Si certaines stratégies thérapeutiques améliorent à court terme la survie ainsi que les fonctions neurologique et cardiaque des animaux, leur effet et leur efficacité à plus long terme demeurent inconnus. C. Standardisation des protocoles Comme nous l’avons vu, la recherche sur la RCP repose sur l’utilisation de modèles animaux qui sont conçus de façon à simuler l’arrêt cardiaque chez l’Homme. Ces modèles sont utilisés pour étudier des nouveaux traitements ou pour affiner les protocoles employés lors d’interventions standards, comme la dose des médicaments, les techniques de massage cardiaque, les énergies de défibrillation, la réanimation cérébrale. Lorsque des résultats favorables sont obtenus chez l’animal, ces traitements nouveaux ou améliorés sont souvent appliqués peu de temps après chez les victimes humaines d’arrêt cardiaque. Toutefois, les résultats obtenus dans un laboratoire peuvent ne pas être reproductibles dans un autre laboratoire, ou lors d’essais cliniques. Certaines de ces différences s’expliquent par le simple fait qu’un modèle animal n’est jamais un modèle parfait d’arrêt cardiaque. Cependant, il est également possible que des résultats contradictoires soient dus à des différences de méthodes expérimentales ou de conception du modèle dans le laboratoire. Des variations dans la conception de l’étude, comme la qualité des compressions thoraciques et de la ventilation, la définition des variables ou les intervalles de temps entre un évènement et le début d’un traitement, sont très probablement responsables des nombreux décalages et contradictions rapportés (Idris et al., 1996). Le manque de standardisation et l’usage d’une terminologie non uniforme dans les rapports d’étude sur l’arrêt cardiaque chez l’Homme constituent des problèmes majeurs. C’est notamment à ce titre que l’Utstein Consensus Conference a eu lieu en 1990. Des discussions pour tenter d’harmoniser les études expérimentales débutent alors, et mènent, en 1996, à la publication de guidelines (Idris et al., 1996). Elles contiennent un glossaire de termes clés utilisés lors des études expérimentales de RCP, et énoncent les caractéristiques des études qui doivent être décrites pour pouvoir rapporter les résultats de façon standardisée. Ces dernières figurent dans le Tableau 28. 158 Tableau 28 : Résumé des différentes caractéristiques des études expérimentales à décrire et des données essentielles à fournir pour un rapport standardisé des résultats des études expérimentales relatives à l’arrêt cardiaque et à la réanimation cardio-pulmonaire (d'après Idris et al., 1996) ECG : électrocardiogramme ; RACS : reprise d’activité cardiaque spontanée Caractéristiques des études à décrire 1. Conception de l’étude 2. Sujets d’étude 3. Préparation des animaux 4. Méthodes de surveillance 5. Protocole expérimental Données essentielles à fournir Groupes contrôle Étude à l’aveugle Étude croisée Méthode de randomisation Espèces Genre Catégorie d’âge Catégorie de poids Critères d’inclusion, d’exclusion et d’abandon Préanesthésie Évaluation de l’état de référence Sédation, analgésie et anesthésie utilisées Description détaillée des doses administrées, de l’ordre et de la voie d’administration Méthode utilisée pour juger du niveau anesthésique Titration Période de stabilisation Instruments utilisés Nom de l’instrument Numéro de modèle Fabricant (ville, état, pays) Paramètres surveillés et contrôlés Séquence des évènements expérimentaux Ventilation artificielle Instrumentation Volume Rythme Mode de ventilation Changements réalisés pendant l’expérience Méthodes utilisées pour évaluer l’efficacité de la ventilation Assistance circulatoire Instrumentation Rythme des compressions thoraciques Force appliquée, pression générée… Durée des phases de compression et de décompression Changements réalisés pendant l’expérience Méthodes utilisées pour évaluer l’efficacité de la circulation Soins prodigués aux animaux après le RACS Technique d’euthanasie Études nécropsiques et méthodes utilisées 159 Tableau 28 (suite) : Résumé des différentes caractéristiques des études expérimentales à décrire et des données essentielles à fournir pour un rapport standardisé des résultats des études expérimentales relatives à l’arrêt cardiaque et la réanimation cardio-pulmonaire (d'après Idris et al., 1996) Caractéristiques des études à décrire 6. Variables étudiées 7. Approche statistique 8. Résultats 9. Discussion et conclusions 160 Données essentielles à fournir Questions méthodologiques à aborder Quelles variables ont été contrôlées et quelles variables n’ont qu’été observées ? Qu’a-t-il été mesuré ? Comment cela a-t-il été mesuré ? Comment cela a-t-il été validé ? Quelles sont les limites pertinentes de la technique de mesure ? La mesure a-t-elle modifié la physiologie de l’animal ? Variables cardiovasculaires et respiratoires Rythme cardiaque et tracé ECG Pouls détectable Respiration spontanée Pression sanguine (systolique, diastolique, moyenne) RACS Survie Description des méthodes analytiques et raisons de leur utilisation Hypothèse nulle pour chaque test statistique et valeur du « p » Explication de la taille de l’échantillon Utilisation de tableaux et de figures pour expliquer les arguments développés Présentation des résultats selon une séquence logique dans le texte, les tableaux et les figures Souligner ou résumer les informations importantes seulement ; ne pas répéter dans le texte toutes les données des tableaux et des figures Rapporter le nombre d’animaux étudiés, exclus, pour lesquels l’expérience a été abandonnée ou ceux pour lesquels les données ont été analysés et rapportés Description des méthodes statistiques utilisées Description des techniques analytiques utilisées Discussion portant sur les principaux résultats en mettant l’accent sur les aspects nouveaux et importants Discussion des limites et des conséquences des résultats, y compris les implications cliniques et celles pour de futures recherches Commentaire et comparaison sur la signification statistique et biologique des résultats Référence à d’autres données de la littérature, et discussion sur les points communs et les différences dans les résultats Formulation de nouvelles hypothèses Si les modèles animaux d’arrêt cardiaque permettent des avancées thérapeutiques considérables dans de nombreux domaines, ils restent imparfaits. Les traitements sont souvent administrés plus précocément que chez les victimes humaines d’arrêt cardiaque, ce qui peut expliquer l’inefficacité de certains chez ces derniers. En outre, des considérations d’ordre anatomique et physiologique entrent également en jeu, de même que le manque de standardisation des protocoles, avec des termes souvent définis différemment entre les études. Néanmoins le recours à ces modèles est obligatoire si l’on veut trouver des traitements susceptibles d’améliorer la survie à long terme et la récupération neurologique. 161 162 Troisième partie : APPROCHES THÉRAPEUTIQUES DE L’ARRÊT CARDIAQUE - BILAN DES ÉTUDES EXPÉRIMENTALES ET DES ÉTUDES CLINIQUES HUMAINES 163 164 I. Favoriser le retour à la circulation spontanée A. Actions sur les débits sanguins coronaire et cérébral 1. Les vasopresseurs Les vasopresseurs sont des substances dont l’action principale est la vasoconstriction de la vascularisation périphérique veineuse et artérielle. Ils sont essentiellement utilisés lors d’arrêt cardiaque dans le but d’augmenter les pressions de perfusion et les flux coronaires et cérébraux, favorisant ainsi le RACS. De plus, comme le relargage de vasoconstricteurs endogènes est insuffisant pendant l’arrêt cardiaque à cause du stress que ce dernier représente pour l’organisme, il n’apparaît pas inutile d’en administrer. Le bénéfice apporté par l’utilisation de vasopresseurs lors d’arrêt cardiaque est très discuté, notamment à long terme (Callaway, 2013 ; Michiels et Wyer, 2013). À ce jour, seules quelques études contrôlées randomisées ont comparé l’utilisation de vasopresseurs à celle de placebo (Larabee et al., 2012). Si elles montrent quasiment toutes qu’un taux de RACS plus important est obtenu suite à leur recours, aucune d’entre elles n’a montré d’effets bénéfiques sur le pronostic à long terme. Les deux principaux vasopresseurs utilisés lors d’arrêt cardiaque sont l’adrénaline et la vasopressine. Leurs mécanismes d’action et quelques résultats d’études sont présentés ciaprès. Aucun bénéfice quant à la survie n’a été prouvé avec d’autres agents, comme la noradrénaline, la phényléphrine, la méthoxamine ou la dopamine, en comparaison avec les vasopresseurs usuels (Larabee et al., 2012). a. L’adrénaline i. Mécanismes L’adrénaline est un puissant agoniste des récepteurs α- et β-adrénergiques. Elle présente une forte affinité vis-à-vis des récepteurs β1, β2 et α1 (Overgaard et Džavík, 2008). C’est pour ses effets α-adrénergiques que l’adrénaline est principalement utilisée dans le traitement de l’arrêt cardiaque. En effet, étant à l’origine d’une vasoconstriction périphérique, cela permet une redistribution du débit sanguin en faveur des organes vitaux, ainsi qu’une élévation de la pression artérielle lors des compressions thoraciques, et favorise de la sorte l’augmentation de la PPCo et de la PPC (Callaway, 2013). Les actions β-adrénergiques de l’adrénaline, en particulier ses effets chronotrope et inotrope positifs, peuvent contribuer à l’augmentation de la circulation coronaire et cérébrale (Papastylianou et Mentzelopoulos, 2012), mais sont aussi à l’origine d’effets délétères. La consommation d’oxygène par le myocarde s’en trouve accrue, ce qui aggrave la dysfonction myocardique. De plus, une tachycardie et d’autres arythmies ventriculaires apparaissent, de même qu’une hypoxémie transitoire secondaire à la vasoconstriction pulmonaire hypoxique. Par conséquent, des désordres microcirculatoires peuvent survenir, notamment du fait de la 165 thrombogenèse et de l’activation plaquettaire induite par l’adrénaline, et des insuffisances cardiaques peuvent se manifester après le RACS (Callaway, 2013). ii. Principaux résultats des études expérimentales et cliniques concernant l’adrénaline Les premières études animales comparant l’utilisation d’une forte dose d’adrénaline (> 0,2 mg/kg) à celle d’une dose plus faible (0,045 mg/kg à 0,1 mg/kg) suggéraient des résultats plus favorables dans le premier cas que dans le deuxième. Les essais initiaux menés chez l’Homme obtenaient des résultats cohérents, et montraient par exemple des augmentations doses-dépendantes de la pression sanguine, des diminutions doses-dépendantes du dioxyde de carbone artériel, ainsi que des taux plus élevés de RACS, et des pressions de perfusion aortique et coronaire améliorées lorsque des fortes doses étaient administrées (Larabee et al., 2012). Toutefois, une grande majorité d’autres études ont contredit ces résultats. Elles ont révélé par exemple que l’utilisation d’une forte dose d’adrénaline était associée à un pronostic neurologique plus faible, à une aggravation de la dysfonction myocardique, à une diminution des indices cardiaques et de l’oxygénation cellulaire, à une augmentation des concentrations en lactate et à une diminution des taux de survie 24 heures post-arrêt cardiaque (Larabee et al., 2012). Une méta-analyse de plusieurs études cliniques a montré que l’administration d’une forte dose d’adrénaline (5-15 mg) permettait d’obtenir un taux de RACS plus important que celle d’une dose standard (1 mg ou 0,02 mg/kg), mais qu’elle n’apportait aucun effet bénéfique sur la survie à long terme (Vandycke et Martens, 2000). Une dose initiale forte d’adrénaline peut donc augmenter la PPCo et la PPC et les taux de RACS, mais peut aussi exacerber la dysfonction myocardique et la défaillance neurologique post-arrêt cardiaque. Il est donc recommandé de commencer par administrer une dose standard d’adrénaline, et éventuellement d’augmenter les doses progressivement en cas d’absence des effets recherchés. b. La vasopressine Les effets non désirables liés à la stimulation des récepteurs β par l’adrénaline ont conduit à chercher d’autres vasopresseurs. L’idée d’utiliser la vasopressine comme agent alternatif résulte notamment du fait que, chez les victimes qui survivent à un arrêt cardiaque, les concentrations de vasopressine endogène sont plus élevées que chez les non-survivants (Papastylianou et Mentzelopoulos, 2012). i. Mécanismes d’action L’arginine vasopressine, également connue sous le nom d’hormone antidiurétique, est une hormone hypothalamique. Elle est libérée lorsque l’osmolalité plasmatique est accrue ou lorsque le volume plasmatique est réduit (Overgaard et Džavík, 2008). 166 Son mécanisme d’action passe par l’activation de récepteurs couplés avec des protéines G. Trois récepteurs spécifiques à la vasopressine, V1, V2 et V3, sont responsables de ses effets pharmacologiques (Papastylianou et Mentzelopoulos, 2012) : - Les récepteurs V1 sont situés au niveau des muscles lisses vasculaires, et permettent la vasoconstriction. Les récepteurs V2 sont localisés au niveau des tubules contournés distaux et des tubes collecteurs, et permettent l’antidiurèse. Les récepteurs V3 sont situés au niveau de l’hypophyse antérieure et des îlots pancréatiques. Ils influent sur la sécrétion d’insuline, facilitent la libération d’adrénocorticotropine, et modulent la mémoire, la température corporelle et la pression sanguine. Plusieurs avantages théoriques se dégagent de son utilisation par rapport à celle de l’adrénaline. En effet, elle améliore le flux sanguin au niveau cérébral et myocardique via la vasoconstriction médiée par les récepteurs V1, et ceci sans les effets β indésirables de l’adrénaline. Elle potentialise également les effets vasoconstricteurs des catécholamines endogènes. De plus, l’effet vasoconstricteur de la vasopressine est préservé pendant l’hypoxie et l’acidose sévères, ce qui n’est pas le cas de l’adrénaline (Charalampopoulos et Nikolaou, 2011). La vasopressine constitue ainsi un agent vasopresseur efficace pour augmenter la PPCo pendant la RCP, ce qui facilite par la suite la défibrillation du cœur. Son principal inconvénient est lié à sa longue demi-vie. Cette dernière varie entre 17 et 35 minutes, alors que les effets vasopresseurs de l’adrénaline sont dissipés en 5 minutes (Pellis et al., 2003). La postcharge est ainsi augmentée pendant plus longtemps, de même que le travail myocardique du cœur, alors que ce dernier est déjà endommagé par l’épisode ischémique qu’il vient de subir. ii. Principaux résultats des études expérimentales et cliniques concernant la vasopressine Les effets de la vasopressine lors de la RCP ont très largement été étudiés dans les modèles expérimentaux. Ces études ont montré que, comparée à l’adrénaline, la vasopressine augmentait le flux sanguin au niveau des organes vitaux, améliorait l’apport d’oxygène au cerveau, augmentait la probabilité de RACS et améliorait le pronostic neurologique. L’utilisation combinée d’adrénaline et de vasopressine permettait même de tripler la PPCo par rapport à celle obtenue suite à l’utilisation d’adrénaline ou de vasopressine seule (Papastylianou et Mentzelopoulos, 2012). Cependant, la plupart des essais cliniques menés jusqu’à présent n’ont montré aucun bénéfice quant à l’utilisation de vasopressine plutôt que d’adrénaline lors d’arrêt cardiaque. En effet, comme le montre le Tableau 29, cela n’améliore pas le taux de RACS, la survie à court et long terme, ni la survie sans séquelles neurologiques, et ce que l’arrêt cardiaque soit extra-hospitalier ou intra-hospitalier. Il en va de même lorsque l’on compare l’administration combinée de vasopressine et d’adrénaline, à celle d’adrénaline seule. 167 168 Tableau 29 : Principales études cliniques concernant l'utilisation de la vasopressine (adapté de Larabee et al., 2012) DH : décharge hospitalière ; RACS : reprise d’activité cardiaque spontanée En fonction des résultats de l’étude, la conclusion est « en faveur », « neutre », ou « contre » l’utilisation de la vasopressine par rapport à celle de l’adrénaline. Étude Type d’étude Lindner et al. (1996) Rapport de cas Lindner et al. (1997) Vasopressine vs. adrénaline Stiell et al. (2001) Wenzel et al. (2004) Aung et al. (2005) Méta-analyse Grmec et al. (2006) Étude de cohorte Essai contrôlé randomisé Essai contrôlé randomisé Essai contrôlé randomisé Étude de cohorte Essai contrôlé randomisé Callaway et al. (2006) Vasopressine seule ou en combinaison avec l’adrénaline vs. adrénaline Essai contrôlé randomisé Essai contrôlé randomisé Essai contrôlé randomisé Gueugniaud et al. (2008) Mentzelopoulos et al. (2009) Cody et al. (2010) Ducros et al. (2011) Mentzelopoulos et al. (2012) Méta-analyse Résultats rapportés RACS, survie à court terme, survie à la DH et survie sans séquelles neurologiques RACS, survie à court terme, survie à la DH et survie sans séquelles neurologiques RACS, survie à court terme, survie à la DH et survie sans séquelles neurologiques RACS, survie à court terme, survie à la DH et survie sans séquelles neurologiques RACS, survie à court terme, survie à la DH et survie sans séquelles neurologiques RACS, survie à court terme et survie à la DH RACS, survie à court terme, survie à la DH et survie sans séquelles neurologiques RACS, survie à court terme, survie à la DH et survie sans séquelles neurologiques RACS, survie à court terme, survie à la DH et survie sans séquelles neurologiques RACS, survie à court terme, survie à la DH Conclusion Pression artérielle Neutre RACS, survie à court terme, survie à la DH et survie sans séquelles neurologiques Neutre En faveur Neutre Neutre Neutre Neutre En faveur Neutre Neutre En faveur Neutre Une méta-analyse de certains de ces essais contrôlés randomisés a été réalisée par Mentzelopoulos et al. (2012). Elle a confirmé l’absence d’amélioration du taux de RACS, de la survie à plus ou moins long terme et du pronostic neurologique, chez les patients ayant reçu de la vasopressine avec ou sans adrénaline par rapport à ceux n’ayant reçu que de l’adrénaline. En revanche, en stratifiant chacun des deux groupes sur le rythme initialement identifié à l’ECG, cette méta-analyse a montré une probabilité de survie à long terme augmentée pour les patients en asystolie. Cela conforte les recommandations de l’AHA, qui, lors d’arrêt cardiaque avec rythme non choquable, préconise l’administration de vasopresseurs dès l’accès à une voie veineuse (Neumar et al., 2010). Du fait de son effet vasoconstricteur, cette administration rapide de vasopressine permet d’obtenir une pression artérielle diastolique plus élevée lors de la RCP, facilitant et accélérant ainsi le RACS. L’absence d’effets bénéfiques pour les patients en dissociation électromécanique peut s’expliquer par le fait que pour ce type de rythme, le RACS et la survie à long terme dépendent principalement de l’inversion des mécanismes qui sont à l’origine de ce rythme, plutôt que d’une vasoconstriction augmentée (Mentzelopoulos et al., 2012). c. Autres inotropes utilisables Si la vasopressine et l’adrénaline sont les deux principaux inotropes utilisés lors de la RCP, certaines études se sont intéressées à d’autres agents, et notamment à la dobutamine et au levosimendan. i. La dobutamine La dobutamine est une catécholamine de synthèse présentant une forte affinité pour les récepteurs β1. De fait, elle est considérée comme un agent inotrope et faiblement chronotrope positif. Elle a en plus une action β2-agoniste et des effets à la fois α1-agonistes et α1antagonistes. Ainsi, sa fixation aux récepteurs situés au niveau des muscles lisses des vaisseaux peut conduire soit à une vasodilatation, soit à une vasoconstriction, et ce en fonction du débit auquel la dobutamine est administrée (Overgaard et Džavík, 2008) : - - Pour des débits faibles, inférieurs à 5 μg/kg/min, l’effet global obtenu au niveau vasculaire est souvent une légère vasodilatation. Pour des doses plus élevées et jusque 15 μg/kg/min, la dobutamine augmente la contractilité cardiaque sans vraiment avoir d’effets sur la résistance vasculaire périphérique. Pour de débits de perfusion supérieurs, l’effet α1-adrénergique prédomine : on observe une vasoconstriction. La dysfonction myocardique post-arrêt cardiaque étant caractérisée par une dysfonction du ventricule gauche à la fois en systole et en diastole, l’administration d’agonistes β-adrénergiques, et notamment de dobutamine, a pendant longtemps été 169 recommandée pour augmenter la contractilité myocardique. De fait, les études expérimentales ont montré une amélioration de la fonction myocardique post-réanimation après son administration (Kern et al., 1997). Cependant, même si elle améliore effectivement la contractilité du myocarde et le débit cardiaque, la dobutamine peut avoir des effets néfastes, similaires à ceux de l’adrénaline. En effet, du fait de ses actions inotropes et chronotropes positifs, elle peut entraîner des tachycardies, augmenter la demande en oxygène du myocarde, entraîner des arythmies ventriculaires récurrentes de type fibrillation ventriculaire, et exacerber les lésions ischémiques (Huang et al., 2005c). Ces observations ont conduit à rechercher d’autres inotropes pour prendre en charge la dysfonction myocardique. ii. Le levosimendan Le levosimendan est un agent inotrope dénué d’effets β-adrénergiques, initialement utilisé dans le traitement de l’insuffisance cardiaque décompensée. Il s’agit d’un sensibilisateur calcique. Son mécanisme d’action est double : - - Il sensibilise les protéines contractiles au calcium, stabilisant ainsi la liaison entre la troponine C et le calcium, et prolongeant l’interaction actine-myosine. La sensibilisation de la troponine C cardiaque au calcium améliore la contractilité ventriculaire sans augmenter la concentration calcique intracellulaire, sans compromettre la relaxation diastolique, sans augmenter les besoins métaboliques du myocarde et sans provoquer d’arythmies (Huang et al., 2005a ; Koudouna et al., 2007 ; Overgaard et Džavík, 2008). Il favorise l’ouverture des canaux potassiques ATP-dépendants des cellules musculaires lisses, provoquant une hyperpolarisation et inhibant l’influx calcique. Cela entraîne donc une vasodilatation dans de nombreux territoires vasculaires, notamment au niveau pulmonaire, systémique et coronarien (Overgaard et Džavík, 2008). Une augmentation du diamètre artériel coronaire moyen, du débit coronaire ainsi qu’une diminution de la résistance vasculaire coronaire sont effectivement constatés (Koudouna et al., 2007). Le lévosimendan améliore donc la contractilité myocardique tout en diminuant la postcharge des deux ventricules, et ce sans effet arythmogène. L’étude expérimentale de Koudouna et al. (2007) a ainsi montré qu’administré en combinaison avec de l’adrénaline en début de RCP, le levosimendan permettait d’obtenir un débit cardiaque, une PPCo et une saturation en oxygène au niveau périphérique et cérébral significativement plus élevés que lors de l’administration d’adrénaline seule. Si cette amélioration ne persistait pas dans le temps, la contractilité myocardique était meilleure de façon transitoire, et ce sans augmentation de la consommation d’oxygène. 170 D’autres études expérimentales ont comparé la dobutamine et le levosimendan : elles ont révélé que le levosimendan était plus bénéfique que la dobutamine en termes de survie et d’hémodynamique cardiaque, avec notamment une fraction d’éjection du ventricule gauche et une fraction de raccourcissement plus importantes, ainsi qu’une augmentation plus faible de la fréquence cardiaque (Huang et al., 2005a ; Huang et al., 2005c). Chez l’Homme, des observations comparables ont été faites chez des patients présentant des états sévères d’insuffisance cardiaque à bas débit et traités avec du levosimendan, par rapport à ceux traités avec la dobutamine (Huang et al., 2005c). Cependant, aucune étude clinique n’a encore été entreprise pour connaître le réel bénéfice de cet agent inotrope lors d’arrêt cardiaque. iii. Autres catécholamines Le recours à d’autres agents vasopresseurs et inotropes a été étudié lors de RCP. Leurs effets adrénergiques et/ou dopaminergiques sont résumés au Tableau 30. Néanmoins, aucun réel bénéfice sur les paramètres évalués dans ces différentes études n’a été montré en comparaison avec l’adrénaline (Larabee et al., 2012). Tableau 30 : Autres catécholamines ayant été étudiées lors de réanimation cardio-pulmonaire et effets adrénergiques et/ou dopaminergique associés (d’après Overgaard et Džavík, 2008 ; Larabee et al., 2012) 0 à +++++ : affinité pour le récepteur en question n/a : non applicable Catécholamine Agoniste α1 Agoniste β1 Agoniste β2 Dopamine Noradrénaline Phényléphrine Méthoxamine +++ +++++ +++++ +++++ ++++ +++ 0 0 ++ ++ 0 0 Agoniste dopaminergique +++++ n/a n/a n/a B. Action sur la stabilité électrique et mécanique du cœur 1. Les antiarythmiques classiques Si la lidocaïne a pendant longtemps été utilisée comme agent antiarythmique de choix pour le traitement des fibrillations ventriculaires réfractaires à la défibrillation, ou pour prévenir la réapparition d’un tel rythme après le RACS, le recours à l’amiodarone est de plus en plus fréquent. Il a été montré que cette dernière améliorait le taux de RACS et la survie à l’admission hospitalière par rapport à la lidocaïne (Dorian et al., 2002). C’est pourquoi chez l’Homme, il est actuellement recommandé d’utiliser l’amiodarone en première intention pour le traitement des fibrillations ventriculaires et des tachycardies 171 ventriculaires réfractaires. S’il n’est pas possible de disposer de cette dernière, la lidocaïne peut être employée (Neumar et al., 2010). a. Amiodarone L’amiodarone est un agent antiarythmique de classe III selon la classification de Vaughan Williams. Elle est efficace aussi bien dans le traitement des tachyarythmies ventriculaires que supraventriculaires. Le mécanisme d’action de l’amiodarone inclut l’inhibition du courant potassique sortant. Cet antiarythmique entraîne un retard de la repolarisation des cellules cardiaques, et augmente la durée du potentiel d’action en allongeant la phase 3 par réduction de la conductance potassique. Elle allonge également la période réfractaire de toutes les cellules cardiaques. Par ailleurs, elle bloque les canaux calciques et les canaux sodiques, ce qui entraîne respectivement un raccourcissement de la phase 2 du potentiel d’action et un ralentissement de la conduction. Ces effets se manifestent au niveau électrocardiographique par un allongement de l’intervalle QT (Papastylianou et Mentzelopoulos, 2012). L’amiodarone provoque également d’importants effets cardiovasculaires. Elle possède une action anti-adrénergique, en bloquant de façon non compétitive les récepteurs α- et βadrénergiques. Ce faisant, elle dilate les artères coronaires, augmente le flux sanguin coronarien et provoque une vasodilatation artérielle périphérique. En revanche, elle peut aussi être responsable d’une hypotension et d’une bradycardie, principaux effets indésirables qui peuvent compromettre l’obtention d’une PPCo adéquate lors de la RCP. C’est en partie pour cette raison qu’il est recommandé de l’administrer après l’adrénaline (Papastylianou et Mentzelopoulos, 2012). Une étude expérimentale menée sur un modèle canin de fibrillation ventriculaire réfractaire s’est ainsi intéressée aux conséquences que l’amiodarone avait sur les paramètres hémodynamiques obtenus lors de la RCP, lorsqu’elle était administrée simultanément avec de l’adrénaline ou sans cette dernière (Paiva et al., 2003). Les résultats ont montré que l’adrénaline était indispensable pour augmenter la PPCo à un niveau tel qu’une perfusion raisonnable du myocarde soit possible, et que l’amiodarone ne compromettait pas ses effets. En revanche, lorsqu’elle était utilisée seule, sans agent vasoactif comme l’adrénaline, l’amiodarone ne permettait pas d’obtenir des paramètres hémodynamiques adéquats lors des efforts de réanimation. La Figure 42 illustre ces résultats. 172 Figure 42 : Comparaison de la pression de perfusion coronaire après l’administration d’adrénaline, d’amiodarone ou des deux, à des chiens lors de réanimation cardio-pulmonaire, suite à un arrêt cardiaque sur fibrillation ventriculaire (d’après Paiva et al., 2003) ↑ : administration de l’/(des) agent(s) pharmacologique(s) C’est grâce à l’étude clinique « ARREST » que l’amiodarone a été ajoutée dans les guidelines de l’AHA en 2000 (Kudenchuk et al., 1999). Il s’agit d’un essai contrôlé randomisé, comparant les effets de l’utilisation d’amiodarone à ceux liés à l’administration d’un placebo chez 504 adultes victimes d’arrêt cardiaque extra-hospitalier, avec fibrillation ventriculaire ou tachycardie ventriculaire sans pouls, réfractaires à la défibrillation. Cet essai a montré un taux de survie à l’admission hospitalière plus élevé après traitement avec l’amiodarone qu’après administration d’un placebo. En revanche, aucune différence significative n’a pu être notée en ce qui concerne la survie à plus long terme. L’amiodarone améliore ainsi de façon significative la prise en charge initiale des victimes, et ce peu importe le rythme initial (fibrillation ventriculaire, ou asystolie/dissociation électromécanique s’étant converties en fibrillation ventriculaire), comme l’illustre la Figure 43. 173 Figure 43 : Comparaison des taux de survie à l’admission hospitalière entre des victimes d’arrêt cardiaque extra-hospitalier ayant reçu pour traitement, lors de la réanimation cardiopulmonaire, de l’amiodarone et celles ayant reçu un placebo (d’après Kudenchuk et al., 1999) DEM : dissociation électromécanique ; FV : fibrillation ventriculaire b. Lidocaïne La lidocaïne est un anesthésique local et le chef de file de la catégorie des antiarythmiques de classe Ib dans la classification de Vaughan Williams. Son utilisation est exclusivement réservée au traitement des arythmies ventriculaires. Entraînant entre autres un blocage des canaux sodiques voltage-dépendants, elle accélère la repolarisation cellulaire en favorisant la sortie du potassium, et diminue la durée du potentiel d’action et la période réfractaire. Outre cet effet chronotrope négatif, la lidocaïne est également un agent inotrope négatif et vasodilatateur périphérique. Ses effets indésirables sont surtout neurologiques (paresthésie, convulsions, confusion…) et peuvent survenir de façon dose-dépendante. La dose maximale à ne pas dépasser chez l’Homme est de 3 mg/kg (Papastylianou et Mentzelopoulos, 2012). Deux études cliniques rétrospectives ont comparé les taux de survie à court et à long terme suite à l’administration de lidocaïne ou de placebo à des patients victimes d’arrêt cardiaque extra-hospitalier, présentant une tachycardie ventriculaire sans pouls ou une fibrillation ventriculaire réfractaires à la défibrillation (Harrison, 1981 ; Herlitz et al., 1997). Si dans la première étude, les taux de survie à l’admission et à la décharge hospitalière se sont révélés plus élevés dans le groupe ayant reçu de la lidocaïne, les différences entre les deux groupes n’étaient pas significatives (Harrison, 1981). En revanche, dans la deuxième, aucune conclusion n’a pu être faite quant à la survie à long terme, mais les taux de RACS et de survie à l’admission hospitalière étaient significativement plus importants pour les patients traités avec de la lidocaïne (Herlitz et al., 1997). 174 La comparaison des effets obtenus suite à l’utilisation de l’amiodarone ou de la lidocaïne a également fait l’objet d’études expérimentales et cliniques (Anastasiou-Nana et al., 1994 ; Dorian et al., 2002 ; Rea et al., 2006). Elles sont pour la plupart en faveur de l’emploi de l’amiodarone, ce qui explique que cette dernière est recommandée en première intention. Deux de ces études cliniques sont présentées ci-dessous. La première est un essai contrôlé randomisé, connu également sous le nom d’essai « ALIVE », et a été menée sur 347 patients victimes d’arrêt cardiaque extra-hospitalier, avec fibrillation ventriculaire résistante à la défibrillation (Dorian et al., 2002). Certains d’entre eux ont été traités avec de l’amiodarone, d’autres avec de la lidocaïne. Le taux de survie à l’admission hospitalière s’est avéré significativement plus élevé chez les patients traités avec de l’amiodarone que chez ceux traités avec de la lidocaïne, suggérant un réel bénéfice quant à l’utilisation de cette dernière en termes de prise en charge initiale du patient. Comme pour l’essai « ARREST », l’amélioration des taux de survie après traitement à l’amiodarone a été observée peu importe le rythme initial, comme l’illustre la Figure 44. De même, aucune différence significative n’a été constatée sur la survie à long terme. Figure 44 : Comparaison des taux de survie à l’admission hospitalière entre des victimes d’arrêt cardiaque extra-hospitalier ayant reçu pour traitement, lors de la réanimation cardiopulmonaire, de l’amiodarone et celles ayant reçu de la lidocaïne (d’après Dorian et al., 2002) DEM : dissociation électromécanique ; FV : fibrillation ventriculaire La deuxième étude est une étude rétrospective de cas, réalisée en 2006 sur des patients victimes d’arrêt cardiaque intra-hospitalier, présentant une tachycardie ventriculaire sans pouls ou une fibrillation ventriculaire, et traités avec de l’amiodarone, de la lidocaïne ou les deux (Rea et al., 2006). Les résultats semblaient à priori contredire ceux des études « ALIVE » et « ARREST » mentionnés ci-dessus. En effet, après analyse statistique, aucune différence n’a été notée en termes de survie 24 heures après l’arrêt cardiaque entre les différents groupes. L’analyse de régression de Cox indiquait même une probabilité de survie diminuée chez les patients ayant été traités avec de l’amiodarone par rapport à ceux ayant reçu de la lidocaïne. Les auteurs indiquent toutefois que l’amiodarone n’a été administrée à la dose recommandée de 300 mg que chez 25 % des 175 patients, les 75 % restants n’ayant reçu que 150 mg, et que cette administration avait lieu en moyenne huit minutes après celle de lidocaïne. Si ces deux points peuvent expliquer en partie les différences constatées, il faut également considérer le contexte dans lequel le traitement a été administré et le comportement pharmacologique de chacun des deux antiarythmiques : - Les essais « ARREST » et « ALIVE » se sont intéréssés aux arrêts cardiaques extrahospitaliers, alors que cette étude a porté sur les arrêts intra-hospitaliers. De nombreux facteurs influent sur les différences de mortalité entre ces deux contextes, comme la durée mise pour débuter la RCP et pour effectuer la première tentative de défibrillation, le rythme cardiaque initial, les causes sous-jacentes de l’arrêt, la durée de la réanimation, l’entraînement des réanimateurs, l’accès rapide à une voie veineuse, la possibilité d’effectuer une surveillance électrocardiographique… D’une manière générale, la RCP et l’administration du premier choc défibrillatoire se font plus rapidement lors d’un arrêt cardiaque intra-hospitalier que lors d’un arrêt cardiaque extra-hospitalier. D’un point de vue pharmacologique, les effets anti-fibrillation de la lidocaïne sont plus brefs que ceux de l’amiodarone, mais également plus rapides à se mettre en place. Cependant, il ne faut pas oublier que ces deux molécules augmentent le seuil de défibrillation ventriculaire, rendant la conversion en rythme sinusal plus difficile. En outre, l’affinité de la lidocaïne pour les récepteurs des canaux sodiques étant augmentée dans un environnement acide comme lors d’ischémie, le temps de récupération suite au blocage des canaux sodiques est doublé. - Ainsi, la possibilité d’une prise en charge rapide du patient lors d’arrêt cardiaque intrahospitalier, la rapidité des effets de la lidocaïne et le retard à l’administration d’amiodarone peuvent expliquer les différences observées en termes de survie à court terme entre les essais « ARREST » et « ALIVE » et cette dernière étude rétrospective de cas. c. Magnésium Le magnésium est un cofacteur de nombreux systèmes enzymatiques, en particulier de la Na /K+-ATPase myocardique. Il s’agit d’un agent antiarythmique émergent. + Le magnésium possède de nombreux effets électrophysiologiques (Papastylianou et Mentzelopoulos, 2012). Il entraîne le blocage des canaux calciques atriaux de type L et T, prolonge la période réfractaire atriale et la conduction, et inhibe l’entrée du potassium. Les effets électrophysiologiques du magnésium sont potentialisés en présence d’une concentration extracellulaire potassique augmentée. Par conséquent, le recours au magnésium s’avère très utile lors d’ischémie, puisque celle-ci entraîne une perte potassique cellulaire majeure. Classiquement, l’administration de sulfate de magnésium par voie intraveineuse est indiquée lors de torsades de pointe associée à un intervalle QT prolongé, lors de tachycardie 176 ventriculaire ou supraventriculaire associée à une hypomagnésémie, et lors d’intoxication à la digoxine. Du fait de ses propriétés antiarythmiques et de sa capacité à entraîner un blocage des canaux calciques, il a été supposé que le magnésium pouvait avoir un effet bénéfique lors d’arrêt cardiaque (Papastylianou et Mentzelopoulos, 2012). Cependant, quatre essais contrôlés randomisés (Fatovich et al., 1997 ; Thel et al., 1997 ; Allegra et al., 2001 ; Hassan et al., 2002) n’ont montré aucun bénéfice quant à son utilisation en routine dans cette situation. Parmi ces quatre études, trois essais ont concerné des patients atteints d’arrêt cardiaque extra-hospitalier : - - - L’étude de Fatovich et al. (1997) a été conduite dans le service des urgences d’un hôpital universitaire. Ont été inclus dans l’étude les patients victimes d’arrêt cardiaque extra-hospitalier dont l’arrêt persistait encore à l’arrivée au service des urgences. Leur prise en charge a été réalisée selon les recommandations standards pour la RCP.avancée À l’admission, 5 g de sulfate de magnésium ou un placebo leur a été administré. L’étude d’Allegra et al. (2001) s’est portée sur des patients avec fibrillation ventriculaire résistante aux électrochocs, traités avec de l’adrénaline, puis 2 g de sulfate de magnésium ou un placebo. Dans l’étude d’Hassan et al. (2002), la RCP a été réalisée selon les recommandations de l’European Resuscitation Council publiées en 1992. Les patients présentant soit une fibrillation ventriculaire résistante à trois chocs, soit un deuxième épisode de fibrillation ventriculaire au cours de la réanimation ont été inclus. Du sulfate de magnésium (2 g) ou un placebo ont été administrés par voie intraveineuse, avec éventuellement une deuxième dose de 2 g de sulfate de magnésium si six chocs supplémentaires s’étaient avérés inefficaces. Ces trois études n’ont montré aucune différence significative quant au RACS et à la survie à la décharge hospitalière entre les groupes traités avec du sulfate de magnésium et ceux traités avec un placebo. L’étude de Thel et al. (1997), qui a porté sur des patients victimes d’arrêt cardiaque intra-hospitalier, n’a pas montré non plus de bénéfices avec l’utilisation de sulfate de magnésium. Aucune amélioration du taux de RACS, de la survie à 24 heures ou de la survie à la décharge hospitalière n’a été constatée lorsque les patients étaient traités avec un bolus de 2 g de sulfate de magnésium, suivi d’une perfusion de 8 g sur 24 heures. Au vu de ces résultats, l’AHA ne recommande pas l’administration en routine de sulfate de magnésium lors d’arrêt cardiaque, sauf en présence de torsades de pointe (Neumar et al., 2010). 177 d. Autres La possible efficacité de nombreux autres agents antiarythmiques a également été testée. Seules quelques études portant sur certains d’entre eux sont développées. Le chlorhydrate de nifékalant est un nouvel agent antiarythmique de classe III, disponible depuis peu pour l’usage clinique. Il a pour effet principal de prolonger la durée du potentiel d’action, en bloquant tout particulièrement le courant potassique rapide IKr. Il a également un effet inhibiteur sur d’autres courants potassiques, comme le courant potassique transitoire sortant Ito, le courant potassique sensible à l’ATP IK,ATP, le courant potassique résultant de l’ouverture de récepteurs muscariniques à l’acétylcholine IK,Ach et le courant potassique rectifiant entrant IK1 (Kushida et al., 2002). De nombreuses études ont montré que le nifékalant était efficace pour la gestion des arythmies ventriculaires réfractaires aux traitements avec d’autres agents antiarythmiques. Quant à l’amélioration de la survie à plus ou moins long terme par rapport à l’amiodarone ou la lidocaïne, les résultats sont assez disparates : - - 178 Une étude expérimentale menée sur un modèle porcin d’arrêt cardiaque a comparé l’efficacité de l’amiodarone à celle du nifékalant (Ji et al., 2010). Après quatre minutes de fibrillation ventriculaire laissée non traitée, 12 porcs ont ainsi reçu du nifékalant (2 mg/kg), 12 autres de l’amiodarone (5 mg/kg) et 12 autres un placebo. Il a ainsi été montré que l’amiodarone et le nifékalant amélioraient de la même manière l’efficacité de la défibrillation en diminuant le nombre de chocs, l’énergie totale de défibrillation et la dose d’adrénaline requis. Administrés avant la défibrillation, ils étaient associés à des taux de RACS et de survie à 24 heures plus élevés, et amélioraient la fonction cardiaque post-réanimation. Récemment, quatre études cliniques ont également porté sur le nifékalant et sur la comparaison de son efficacité par rapport à la lidocaïne (Igarashi et al., 2005 ; Tahara et al., 2006 ; Shiga et al., 2010) ou à l’amiodarone (Amino et al., 2010). Les résultats de l’étude d’Igarashi et al. (2005) ont suggéré que le nifékalant était plus efficace que la lidocaïne en termes de réussite de la défibrillation car il favorisait le retour à un rythme sinusal. Ceux des études de Tahara et al. (2006) et de Shiga et al. (2010) ont montré que le nifékalant améliorait de façon significative le RACS et la survie à court terme par rapport à la lidocaïne, sans noter de différence significative quant à la survie à plus long terme. En revanche, l’étude d’Amino et al. (2010) a révélé que peu importe le paramètre étudié, le nifékalant n’apportait aucune amélioration comparé à l’amiodarone. 2. Les β-bloquants En provoquant une vasoconstriction systémique, l’adrénaline augmente la PPCo et facilite l’obtention d’un RACS. Comme nous l’avons vu, ses effets secondaires sont liés à son action sur les récepteurs β-adrénergiques. L’inotropisme et le chronotropisme positifs qu’elle provoque sont en effet à l’origine d’une consommation accrue d’oxygène, alors que les besoins métaboliques du cœur sont déjà augmentés et les stocks d’énergie sont faibles. En outre, l’arrêt cardiaque représente un réel stress pour l’organisme, et constitue dès lors un stimulus parfait pour une libération massive de catécholamines endogènes, résultant en une activation sympathique. Leur concentration restant élevée durant la RCP, l’administration supplémentaire d’adrénaline au même moment est à l’origine d’une stimulation βadrénergique intense. L’utilisation d’antagonistes de ces récepteurs, les β-bloquants, a ainsi été proposée. Il s’agit d’antiarythmiques de classe II selon la classification de Vaughan Williams. Chaque β-bloquant possède des propriétés pharmacologiques spécifiques, et chacun affecte donc de façon différente la fonction myocardique pendant la RCP. À titre d’exemple, alors que le propranolol est très lipophile, a une demi-vie de trois-quatre heures et ne possède pas de sélectivité pour un récepteur, l’esmolol est β1-sélectif, présente une faible lipophilité, ainsi que le mode d’action le plus rapide et la demi-vie la plus courte de tous les β-bloquants (9 minutes). L’aténolol est également β1-sélectif, mais sa lipophilité est élevée et sa demi-vie est plus longue (6-9 heures). Quant au carvedilol, sa demi-vie est semblable, mais il a une lipophilité élevée. Il est le seul β-bloquant disponible permettant un blocage associé des récepteurs α1 (de Oliveira et al., 2012). a. Études expérimentales Le Tableau 31 ci-après résume les principales études expérimentales concernant les βbloquants. 179 180 Tableau 31 : Études expérimentales concernant l’utilisation de béta-bloquants lors d’arrêt cardiaque avec fibrillation ventriculaire (d’après de Oliveira et al., 2012) Énergietot, def : énergie totale requise pour la défibrillation ; FV : fibrillation ventriculaire ; PAS : pression artérielle systolique ; PPCo : pression de perfusion coronaire ; RACS : reprise d’activité cardiaque spontanée ; RCP : réanimation cardio-pulmonaire Auteur Ditchey et al. (1994) Ditchey et Slinker (1994) Tang et al. (1995) Espèce d’étude Chiens Début de la RCP Dès le début de la FV Administration du traitement Pré-traitement Groupes Résultats Remarques RACS : 6/11 9/11 (a) Placebo (b) Propranolol (2mg/kg) Adrénaline administrée à tous les animaux. PPCo significativement plus élevée dans le groupe (b) Chiens Rats Dès le début de la FV Groupe 1 : 4 min après induction de la FV Groupe 2 : 8 min après induction de la FV Dès le début de la RCP Groupe 1 : 8 min après FV Groupe 2 : 12 min après FV (a) Massage cardiaque (b) Adrénaline (0,2 mg/kg) (c) Phényléphrine (0,4 mg/kg) (d) Phényléphrine et propranolol (1 mg/kg) Pour le groupe (d) : concentration myocardique en ATP significativement plus élevée et concentration myocardique en lactate plus faible que le groupe (a) ; PPCo plus élevée dans les groupes (b), (c) et (d) que dans le groupe (a), mais maintenue à des valeurs élevées pendant plus longtemps dans le groupe (d). (a) Placebo RACS - Survie (h) - Énergietot, def (J) Gpe 1 : 4/5 12 ± 11 12 ± 9 Gpe 2 : 3/5 2,5 ± 1 16 ± 10 (b) Adrénaline (30 μg/kg) Gpe 1 : 5/5 Gpe 2 : 5/5 8,2 ± 4 6,6 ± 4,9 20 ± 8 26 ± 9 (c) Phényléphrine (300 μg/kg) Gpe 1 : 5/5 Gpe 2 : 5/5 41 ± 10 38 ± 14 3±1 5±3 (d) Adrénaline (30 μg/kg) + esmolol (300 μg/kg) Gpe 1 : 5/5 Gpe 2 : 5/5 31 ± 11 30 ± 10 6±2 9±5 Pas de tentatives de défibrillation. Tableau 31 (suite): Études expérimentales concernant l’utilisation de béta-bloquants lors d’arrêt cardiaque avec fibrillation ventriculaire (d’après de Oliveira et al., 2012) Énergietot, def : énergie totale requise pour la défibrillation ; FV : fibrillation ventriculaire ; PAS : pression artérielle systolique ; PPCo : pression de perfusion coronaire ; RACS : reprise d’activité cardiaque spontanée ; RCP : réanimation cardio-pulmonaire Auteur Strohmenger et al. (1999) Espèce d’étude Porcs Début de la RCP 4 min après induction de la FV Administration du traitement 7 min après induction de la FV Groupes (a) Placebo (b) Zatébradine (0,5 mg/kg) (c) Esmolol (1 mg/kg) Hilwig et al. (2000) Porcs 1 min après induction de la FV (a) Adrénaline (0.02 mg/kg) (b) Adrénaline (0,02 mg/kg) + propranolol (0,04 mg/kg) (c) Adrénaline haute dose (0,2 mg/kg) + propranolol (0,04 mg/kg) (d) Phényléphrine (0,4 mg/kg) + propranolol (0,04 mg/kg) Remarques RACS Adrénaline (0.45 µg/kg) pour tous les animaux. Défibrillation 9 min après induction de la FV. 7/7 7/7 7/7 RACS Adrénaline : 8, 11 et 14 min après induction de la FV Phényléphrine : 8, 11 et 14 min après induction de la FV Propranolol : 8 et 15 min après induction de la FV Résultats - Survie à 24 h 10/12 9/12 10/12 10/12 5/10 4/10 9/10 9/10 PPCo significativement plus élevée dans le groupe (c) que dans les groupes (a) et (b). Oxygène à 100 % et autres modalités de RCP avancée 7 min après le début de la de FV. Défibrillation 15 min après le début de la de FV. 181 182 Tableau 31 (suite): Études expérimentales concernant l’utilisation de béta-bloquants lors d’arrêt cardiaque avec fibrillation ventriculaire (d’après de Oliveira et al., 2012) Énergietot, def : énergie totale requise pour la défibrillation ; FV : fibrillation ventriculaire ; PAS : pression artérielle systolique ; PPCo : pression de perfusion coronaire ; RACS : reprise d’activité cardiaque spontanée ; RCP : réanimation cardio-pulmonaire Auteur Espèce d’étude Début de la RCP Administration du traitement Groupes Résultats Remarques RACS - Nombre de chocs - Troponine Pellis et al. (2003) Killingsworth et al. (2004) Porcs Porcs 7 min après induction de la FV 8 min après l’induction de la FV (a) Adrénaline (20 μg/kg) Adrénaline ou (b) Pré-traitement propranolol vasopressine : (1 mg/kg) + prazosine 2 min après (0,5 μg/kg) + induction de la adrénaline (20 μg/kg) FV (c) Vasopressine Propranolol et (0,4 U/kg) prazosine : 15 min avant l’induction de la FV 8 min après l’induction de la FV (a) Placebo (b) Esmolol (0,1 mg/kg) 4/5 5/5 6,6 ± 3,8 1,6 ± 0,9 41 ± 15 μg/ml 3 ± 2 μg/ml 5/5 1,6 ± 0,9 36 ± 14 μg/ml Dans le groupe (a), énergie de défibrillation et nombre de chocs nécessaires significativement plus élevés que dans les groupes (b) et (c). Moins d’arythmies ventriculaires après la réanimation dans le groupe (b). RACS - Survie à 4h - Nombre de chocs 3/8 7/8 3/8 7/8 9,6 ± 8 5,2 ± 4 Administration d’adrénaline toutes les 3 minutes si PAS < 50 mmHg, et de dobutamine si après 1 h, l’animal ne maintient pas une PAS > 50 mmHg. Défibrillation dès le début de la RCP. Tableau 31 (suite): Études expérimentales concernant l’utilisation de béta-bloquants lors d’arrêt cardiaque avec fibrillation ventriculaire (d’après de Oliveira et al., 2012) Énergietot, def : énergie totale requise pour la défibrillation ; FV : fibrillation ventriculaire ; PAS : pression artérielle systolique ; PPCo : pression de perfusion coronaire ; RACS : reprise d’activité cardiaque spontanée ; RCP : réanimation cardio-pulmonaire Auteur Espèce d’étude Début de la RCP Administration du traitement Groupes Résultats Remarques RACS - Survie (h) - Nombre de chocs Cammarata et al. (2004) Huang et al. (2005b) Rats Rats 6 min après l’induction de la FV 8 min après l’induction de la FV (a) Placebo (b) Esmolol (300 μg/kg) 8 min après induction de la FV Carvedilol : 15 min avant induction de la FV Adrénaline : 10 min après induction de la FV (a) Placebo + placebo (b) Placebo + adrénaline (30 μg/kg) (c) Carvedilol (50 μg/kg) + adrenaline (30 μg/kg) (d) Carvedilol (50 μg/kg) + placebo 5/9 9/9 Porcs 5 min après l’induction de la FV Dès le début de la RCP 14 ± 6 7±4 Meilleure fonction contractile et meilleur lusitropisme dans le groupe (b). Pour le groupe (c) : réduction de l’incidence des arythmies ventriculaires post-réanimation ; concentration artérielle en lactate significativement plus faible 5 min après le RACS ; survie postréanimation plus longue et moindre déficit neurologique. Des augmentations équivalentes de la PPCo ont été observées après l’injection d’adrénaline, et ce indépendamment du pré-traitement avec le carvedilol. RACS Theochari et al. (2008) 20 ± 11 50 ± 25 (a) Placebo (b) Esmolol 2/6 7/8 - Durée RCP 16 ± 3,2 12,8 ± 1,4 183 PPCo significativement plus élevée dans le groupe (b) 6 min après le début de la RCP. Pas d’administration d’adrénaline. Défibrillation 12 min après induction de la FV Défibrillation 14 min après induction de la FV. Administration d’adrénaline pour tous les animaux après échec de la première tentative de défibrillation. 184 Tableau 31 (suite): Études expérimentales concernant l’utilisation de béta-bloquants lors d’arrêt cardiaque avec fibrillation ventriculaire (d’après de Oliveira et al., 2012) Énergietot, def : énergie totale requise pour la défibrillation ; FV : fibrillation ventriculaire ; PAS : pression artérielle systolique ; PPCo : pression de perfusion coronaire ; RACS : reprise d’activité cardiaque spontanée ; RCP : réanimation cardio-pulmonaire Auteur Espèce d’étude Début de la RCP Administration du traitement Groupes Résultats RACS Bassiakou et al. (2008) Porcelets 8 min après induction de la FV Dès le début de la RCP (a) Adrénaline (0,02 mg/kg) (b) Aténolol (0,05 mg/kg) + adrénaline (0,02 mg/kg) Remarques Nbre de récurrenceFV 4/10 18 ± 6 9/10 2±1 PPCo significativement plus élevée dans le groupe (b) que dans le groupe (a) 10 min après induction de la FV RACS - Nombre de chocs - RécurrenceFV Jingjun et al. (2009) Porcs 4 min après FV 8 min après FV (a) Placebo (b) Esmolol (0,5 mg/kg) Défibrillation 10 min après induction de la FV. 18/20 17/20 3,5 ± 0,5 1,5 ± 0,5 5/18 0/17 Fréquence cardiaque, pression sanguine et PPCo significativement plus basse 30 min post-réanimation dans le groupe (b). Administration d’adrénaline pour tous les animaux après 4 et 5 minutes de FV. Défibrillation 6 min après induction de la FV. L’utilisation de β-bloquants a ainsi été très largement étudiée dans divers modèles animaux d’arrêt cardiaque sur fibrillation ventriculaire. Ces études ont montré que le recours à ces agents permettait d’obtenir les effets suivants : - Stabilité électrique du myocarde. Cette stabilité rend plus facile la défibrillation : l’énergie des chocs administrés pour la défibrillation est plus faible suite à l’administration d’adrénaline et d’esmolol que suite à l’utilisation d’adrénaline seule ou d’un placebo lors de la RCP (Tang et al., 1995). De même, le nombre de chocs nécessaire pour obtenir une cardioversion est plus faible lorsqu’un β-bloquant est employé dans les procédures de RCP, comme l’illustre la Figure 45 (Cammarata et al., 2004 ; Killingsworth et al., 2004 ; Jingjun et al., 2009). Les mêmes résultats ont été obtenus lors de l’administration du β-bloquant avant l’arrêt (Pellis et al., 2003). Figure 45 : Comparaison entre le nombre de chocs délivrés en fonction du temps écoulé depuis le début de la fibrillation ventriculaire entre des porcs traités avec de l’esmolol et ceux traités avec un placebo (d'après Killingsworth et al., 2004) Cette stabilité électrique persiste également après la réanimation. Une diminution de l’incidence des arythmies ventriculaires post-réanimation a ainsi été constatée suite au blocage des récepteurs β- et α1-adrénergiques avec du propranolol et de la prazosine (Pellis et al., 2003), mais également suite à l’utilisation d’esmolol (Jingjun et al., 2009), d’aténolol (Bassiakou et al., 2008) et de carvedilol (Huang et al., 2005b). Dans leur étude, Jingjun et al. (2009) ont analysé les courbes de restitution du potentiel d’action. Ils ont montré que l’adrénaline avait pour effets d’accentuer la pente de ces courbes, et d’aggraver l’hétérogénéité spatiale de la repolarisation des cardiomyocytes, et que l’esmolol bloquait l’effet de l’adrénaline sur la restitution électrique, rendant ainsi le myocarde électriquement plus stable. Enfin, les auteurs ont également montré que l’esmolol limitait l’hyperphosphorylation du récepteur à la ryanodine du réticulum sarcoplasmique, empêchant ainsi un influx calcique important qui peut promouvoir une instabilité électrique et déclencher des arythmies. 185 186 - Augmentation de la PPCo lors de la RCP. Elle a été observée suite à l’administration combinée de l’adrénaline et d’un βbloquant, comme le propranolol (Ditchey et al., 1994), l’esmolol (Theochari et al., 2008) ou l’aténolol (Bassiakou et al., 2008). Cette PPCo était par ailleurs maintenue élevée pendant plus lontemps suite à l’administration d’un α-agoniste, la phényléphrine (Ditchey et Slinker, 1994). - Diminution des besoins du myocarde en oxygène. En effet, dans l’étude de Ditchey et Slinker (1994), les concentrations myocardiques en ATP et en lactate ont été déterminées sur des biopsies réalisées dix minutes après la RCP. La concentration myocardique en ATP était ainsi significativement plus élevée, et la concentration myocardique en lactate avait tendance à être plus faible dans le groupe de chiens traités avec du propranolol et de la phényléphrine que dans le groupe témoin. Or l’ischémie myocardique pendant la RCP est le résultat d’un flux sanguin coronaire faible, et de besoins myocardiques en oxygène élevés du fait de la stimulation sympathique cardiaque par les catécholamines endogènes. Si l’adrénaline et les autres vasoconstricteurs permettent d’augmenter le flux sanguin coronaire pendant la RCP, ils ne permettent pas d’améliorer la balance entre l’apport et les besoins myocardiques en oxygène dans ce contexte lorsqu’ils sont utilisés seuls. Cet équilibre entre besoins et apports en oxygène du myocarde pendant la RCP peut être amélioré en administrant de la phényléphrine et du propranolol, et non de grandes quantités d’adrénaline ou de phényléphrine seules. - Amélioration de la fonction myocardique post-arrêt cardiaque. Les β-bloquants peuvent avoir certains effets sur l’action de l’adrénaline. Jingjun et al. (2009) ont ainsi constaté que l’esmolol diminuait la réponse hémodynamique à l’adrénaline (fréquence cardiaque, pression artérielle moyenne et pression de perfusion coronaire significativement plus faibles pendant les trente minutes post-RACS dans le groupe esmolol que dans le groupe témoin). Cette diminution était toutefois transitoire et réversible, comme l’illustre la Figure 46, et n’avait aucune conséquence sur le pourcentage de survivants et sur le RACS. Figure 46 : Comparaison de la fréquence cardiaque, la pression artérielle moyenne et la pression de perfusion coronaire entre le groupe d’animaux ayant reçu de l'esmolol et celui ayant reçu un placebo (d'après Jingjun et al., 2009) CT : compressions thoraciques ; FV : fibrillation ventriculaire ; RACS : reprise d’activité cardiaque Globalement, les β-bloquants améliorent de façon significative la fonction cardiaque. La souffrance myocardique est d’une part plus faible après l’arrêt cardiaque. En effet, comme il a été montré dans l’étude de Pellis et al. (2003), une augmentation des concentrations en troponine I a ainsi été notée dans les deux groupes ayant reçu de 187 l’adrénaline seule ou de la vasopressine après réanimation, ce qui contrastait avec les observations faites chez les animaux dont les récepteurs α1- et β-adrénergiques étaient bloqués par la prazosine et le propranolol. Chez ces animaux, les concentrations en troponine I restaient maintenues proches des valeurs de base. D’autre part, même si une diminution du débit cardiaque a été observée chez tous les animaux après la réanimation, il a été très vite rétabli à des valeurs proches des valeurs de base chez les animaux ayant reçu de la prazosine et du propranolol avant l’arrêt, comme l’illustre la Figure 47. Cette amélioration de la dysfonction myocardique postarrêt cardiaque avec l’utilisation de β-bloquant est rapportée dans d’autres études (Tang et al., 1995 ; Cammarata et al., 2004 ; Huang et al., 2005b). Figure 47 : Débit cardiaque et fraction de raccourcissement déterminés par échocardiographie (d'après Pellis et al., 2003) Adr. : Adrénaline ; Propr. : Propranolol ; VB : valeur de base (avant arrêt) * : p<0.05 ; ** : p <0,01 vs. Adrénaline (Adr.) + Propranolol (Propr.) + Prazosine - 188 Faciliter le RACS Un taux significativement plus élevé de RACS a été observé suite à l’administration combinée d’adrénaline et d’aténolol que suite à l’administration d’adrénaline seule dans l’étude de Bassiakou et al. (2008). De même, dans l’étude de Cammarata et al. (2004), tous les animaux traités avec de l’esmolol ont été défibrillés avec succès, alors que seulement la moitié de ceux ayant reçu le placebo ont été réanimés. Cependant, lorsque l’adrénaline était administrée à une forte posologie et en association avec un β-bloquant, la réanimation était compromise (Hilwig et al., 2000). - Prolongation de la survie Dans certaines études s’intéressant à la durée de survie après réanimation, il a été constaté que les animaux traités avec un β-bloquant survivaient en moyenne plus longtemps (Tang et al., 1995 ; Killingsworth et al., 2004 ; Cammarata et al., 2004 ; Huang et al., 2005b). Remarquons cependant que certaines études n’ont montré aucun bénéfice quant au recours aux β-bloquants. Dans leur modèle porcin d’arrêt cardiaque, Hilwig et al. (2000) n’ont observé aucune différence en termes de RACS, de taux de survie et de paramètres hémodynamiques entre les animaux traités avec de l’adrénaline, de l’adrénaline et du propranolol, ou de la phényléphrine et du propranolol lors de la RCP. De la même manière, les taux de RACS et la durée de la RCP étaient globalement identiques entre les porcs traités avec de l’adrénaline et de l’esmolol et ceux traités avec de l’adrénaline et un placebo dans l’étude de Jingjun et al. (2009). Aucune différence en termes de survie à court terme n’a également été constatée. Les modèles porcins, canins et murins ont ainsi montré que l’utilisation des βbloquants permet de réduire le nombre de chocs nécessaire à la défibrillation en rendant le myocarde électriquement plus stable, de diminuer l’ischémie cardiaque en abaissant les besoins en oxygène du myocarde, d’améliorer la fonction myocardique post-arrêt cardiaque, de limiter les récidives d’arythmies et de prolonger la survie. Il est cependant à noter qu’il existe des différences d’expression des β-récepteurs, de fonction cardiaque et de réponses aux procédures de la RCP entre espèces. À titre d’exemple la proportion des récepteurs β1 et β2 diffère considérablement d’une espèce à l’autre, ce qui peut expliquer les résultats divergents entre les études. Au vu des nombreuses preuves qui s’accumulent et de la compréhension des mécanismes d’action de ces agents durant la RCP, il est paru raisonnable de penser que certains de ces résultats pouvaient être extrapolés à des situations cliniques chez l’Homme. b. Études cliniques Peu d’études cliniques concernant l’utilisation des β-bloquants chez l’Homme ont cependant été réalisées. Le plus souvent, il s’agit de cas cliniques. Seules deux études cliniques prospectives ont comparé les effets de ces agents à ceux d’un traitement standard chez des patients présentant des orages rythmiques. Un grand nombre de cas cliniques ont ainsi été publiés dans les années soixante, époque à laquelle le traitement pharmacologique des maladies ischémiques et des arrêts cardiaques était bien différent de celui entrepris de nos jours. Le plus souvent, le propranolol était le β-bloquant utilisé, comme le montre le Tableau 32. Dans la plupart des cas rapportés, les patients inclus présentaient une fibrillation ventriculaire secondaire à un IDM, et le blocage des récepteurs β a été utilisé en dernier recours pour tenter de convertir la fibrillation ventriculaire réfractaire à la défibrillation et ne répondant pas au traitement pharmacologique recommandé (de Oliveira et al., 2012). 189 190 Tableau 32 : Cas cliniques décrivant l'utilisation de β-bloquants pour traiter une fibrillation ou une tachycardie ventriculaire (d'après Bourque et al., 2007 ; de Oliveira et al., 2012) DH : décharge hospitalière ; FV : fibrillation ventriculaire ; IC : insuffisance circulatoire ; IDM : infarctus du myocarde ; IV : voie intraveineuse ; n/a : non applicable ; THAM : tris(hydroxyléthyl)aminométhane ; TV : tachycardie ventriculaire ; ♀ : femme ; ♂ : homme Auteur Besterman et al. (1965) Sloman et al. (1965) Iwatsuki et al. (1966) Ikram (1968) Rothfeld et al. (1968) Patients Autres thérapies précédant le blocage des récepteurs β β-bloquant utilisé Arythmie Contexte clinique Résultats ♀, 60 ans FV récidivante Surdosage d’isoprénaline n/a ♂, 44 ans FV récidivante IDM THAM, procaïnamide Propranolol (60 mg en tout, les premiers 10 mg en IV) Propranolol 22 mg IV ♀, 44 ans FV récidivante Intoxication à la digitaline n/a Propranolol 20 mg IV ♂, 61 ans FV récidivante et flutter ventriculaire IDM NaHCO3, digoxine, procaïnamide Propranolol 15 mg IV Terminaison FV, décès ultérieur par IC Terminaison FV, décès ultérieur par hypoxie Survie à la DH ♂, 22 ans FV récidivante Myocardite Procaïnamide Propranolol 4 mg IV Survie > 2 mois ♂, 54 ans FV récidivante IDM NaHCO3, procaïnamide Propranolol 1 mg IV Survie à la DH ♂, 54 ans FV récidivante IDM NaHCO3 Propranolol 1 mg IV Survie à la DH ♂, 64 ans FV récidivante IDM NaHCO3 Propranolol 1 mg IV Survie à la DH ♀, 73 ans FV récidivante IDM NaHCO3 Propranolol 1 mg IV Terminaison FV, décès ultérieur par IC ♂, 64 ans FV récidivante IDM NaHCO3, lidocaïne, procaïnamide Propranolol 5 mg IV Survie à la DH Terminaison FV Tableau 32 (suite) : Cas cliniques décrivant l'utilisation de β-bloquants pour traiter une fibrillation ou une tachycardie ventriculaire (d'après Bourque et al., 2007 ; de Oliveira et al., 2012) DH : décharge hospitalière ; FV : fibrillation ventriculaire ; IC : insuffisance circulatoire ; IDM : infarctus du myocarde ; IV : voie intraveineuse ; n/a : non applicable ; THAM : tris(hydroxyléthyl)aminométhane ; TV : tachycardie ventriculaire ; ♀ : femme ; ♂ : homme Auteur Mason et al. (1985) Van Dantzig et al. (1991) Patients Arythmie Contexte clinique ♂, 66 ans Flutter ventriculaire récidivant IDM ♂, 59 ans FV récidivante Prolongation intervalle QT ♀, 72 ans FV et TV sans pouls récidivante n/a ♂, 23 ans FV récidivante IDM ♀, 18 ans FV récidivante Post-opératoire transplantation hépatique Srivatsa et al. (2003) ♀, 20 ans FV récidivante Surdosage de synéphrine TV sans pouls récidivante Orage rythmique suite à l’implantation d’un défibrillateurcardioverteur ♂, 60 ans β-bloquant utilisé Résultats Propranolol 2 mg IV Terminaison FV NaHCO3, lidocaïne, adrénaline, brétylium, Propranolol 3 mg IV Survie à la DH Brétylium, procaïnamide, vérapamil Nitroprussiate de sodium, lidocaïne, procaïnamide Lidocaïne, amiodarone, stimulation cardiaque avec surmultiplication Lidocaïne, procaïnamide, magnésium Propranolol 5 mg IV Terminaison FV Schmidt et al. (2003) Tsagalou et al. (2005) Autres thérapies précédant le blocage des récepteurs β NaHCO3, lidocaïne, adrénaline, brétylium, procaïnamide Lidocaïne, amiodarone Esmolol 500μg/kg IV Survie à la DH Métoprolol 5 mg IV Survie à la DH Esmolol IV Survie à la DH Propranolol 0,5 mg IV Survie à la DH 191 La première étude clinique comparative prospective concernant l’utilisation des βbloquants lors de fibrillation ventriculaire réfractaire a été publiée par Nademanee et al. (2000). Elle a porté sur 49 patients présentant, dans les suites d’un IDM récent, des orages rythmiques, définis comme la survenue de plus de vingt épisodes de fibrillation/tachycardie ventriculaire par jour, ou de plus de quatre épisodes de fibrillation/tachycardie ventriculaire par heure. Tous les patients ont d’abord été pris en charge selon les recommandations pour la RCP avancée, puis ils ont été séparés en deux groupes : - - Une heure après l’arrêt de l’administration des antiarythmiques qu’ils avaient reçus dans le cadre de la RCP avancée, les 27 patients du groupe 1 ont reçu un traitement pour bloquer leur système sympathique. Un bloc du ganglion stellaire gauche à l’aide de xylocaïne a ainsi été réalisé chez 6 d’entre eux, alors que 7 autres ont reçu de l’esmolol et 14 autres du propranolol. Les traitements recommandés pour la RCP avancée ont été poursuivis chez les 22 autres patients du groupe 2. Nademanee et al. (2000) ont ainsi montré qu’après blocage du système sympathique, le nombre moyen d’épisodes de fibrillation ventriculaire était significativement réduit, alors que 91 % des patients du groupe 2 présentaient encore ces épisodes. En ce qui concerne la survie à court terme, elle était plus élevée après une semaine dans le groupe 1 que dans le groupe 2, comme l’illustre la Figure 48. Un an plus tard, 18/27 patients du groupe 1 étaient toujours en vie, ce qui était le cas d’un patient sur les 22 du groupe 2. Figure 48 : Courbes de survie de Kaplan-Meier de patients victimes d'arrêt cardiaque sur fibrillation ventriculaire, traités soit selon les recommandations usuelles pour la réanimation cardio-pulmonaire avancée, soit par blocage du système sympathique (d'après Nademanee et al., 2000) RCP : réanimation cardio-pulmonaire Le nombre figurant entre parenthèses au-dessus de chaque points correspond au nombre de survivants. 192 La deuxième étude clinique, menée par Miwa et al. (2010), a consisté en l’évaluation des effets du landiolol, agent bloquant de manière sélective les récepteurs β1, sur les épisodes d’orages rythmiques réfractaires. Quarante-deux patients présentant ce type de rythme réfractaire au traitement standard de la RCP avancée (défibrillation, adrénaline, vasopressine, atropine, magnésium et antiarythmique de classe III) ont été inclus dans l’étude. Du landiolol leur a été administré à des doses croissantes, allant de 2,5 μg/kg/min à 80 μg/kg/min, par voie intraveineuse. Chez 21 % des patients, ces administrations n’ont eu aucun effet quant à la terminaison des orages rythmiques et, n’ayant pas reçu d’autres traitements que le β-bloquant, ils sont tous décédés d’arythmies. En revanche, le landiolol a permis de mettre fin aux orages rythmiques chez 79 % des patients, comme l’illustre la Figure 49. Un traitement à base de carvedilol ou de bisoprolol, ainsi qu’une administration orale d’un β-bloquant, ont été mis en place chez respectivement 21 et 12 de ces patients. Huit de ces 33 patients sont décédés par la suite de défaillance multiviscérale, d’insuffisance cardiaque ou d’infections, les 25 autres ont survécu à la décharge hospitalière. Figure 49 : Tracé électrocardiographique d'un épisode d'orage rythmique et effets de l'administration de landiolol (d'après Miwa et al., 2010) ECG : électrocardiogramme L’analyse plus précise des groupes répondants/non-répondants au landiolol a montré d’importantes différences. En effet, les patients ayant répondu au landiolol étaient significativement plus jeunes, avaient un score APACHE II (Acute Physiology and Chronic Health Evaluation) significativement plus faible et un pH artériel sanguin significativement plus élevé. De même, des différences significatives ont été constatées entre les survivants et les non-survivants, notamment en termes d’âge, d’incidence d’IDM, du score APACHE II, du pH artériel sanguin et des antécédents d’hypertension. Malgré leur importance, ces deux études cliniques présentent des limites à prendre en considération. En effet, dans celle de Nademanee et al. (2000), les patients n’ont pas été répartis de façon aléatoire dans chacun des deux groupes, et l’étude n’a pas été conduite à l’aveugle. En outre, suite au bloc sympathique, tous les patients capables de prendre un traitement oral ont reçu de l’amiodarone par voie orale. Comme les patients de l’autre groupe 193 décédaient de façon précoce ou présentaient toujours des épisodes de fibrillation ventriculaire, ils ont été maintenus sous anesthésie gazeuse et ne pouvaient pas recevoir d’amiodarone par voie orale. Cela explique probablement la persistance des épisodes de fibrillation ventriculaire dans ce dernier groupe. Avec leur étude, Miwa et al. (2010) ont montré un réel bénéfice quant à l’utilisation de β-bloquants pour la prise en charge des orages rythmiques réfractaires aux traitements usuels. Cependant, les auteurs indiquent que l’efficacité du landiolol par rapport à celle de l’amiodarone ou du nifékalant pour la gestion de ce type de trouble du rythme serait liée au mécanisme de cette arythmie. Elle résulterait en effet plus d’un automatisme que d’un phénomène de réentrée, ce qui expliquerait pourquoi le blocage des récepteurs β était la seule stratégie efficace. De nombreux aspects concernant le recours aux β-bloquants doivent ainsi encore être étudiés. Même si les études cliniques montrent un effet bénéfique quant à leur utilisation chez des patients présentant un arrêt cardiaque avec fibrillation ventriculaire ou avec tachycardie ventriculaire sans pouls, des essais contrôlés de qualité doivent être entrepris pour le prouver. C. En luttant contre la réponse systémique inflammatoire Après le RACS, les victimes d’arrêt cardiaque développent souvent une instabilité hémodynamique. Les concentrations sanguines en cortisol restent souvent basses, ou augmentent de façon insuffisante pour faire face aux besoins du patient lors de ce stress hémodynamique. Cette insuffisance surénalienne est une composante du syndrome post-arrêt cardiaque, et survient chez 43-52 % des patients post-RACS, mais passe souvent inaperçue (Charalampopoulos et Nikolaou, 2011). Comme il a déjà été mentionné en première partie, le syndrome post-arrêt cardiaque partage de nombreuses caractéristiques avec le sepsis, comme la dysfonction myocardique réversible, la vasodilatation, une coagulopathie ou encore une augmentation de la concentration plasmatique en cytokines pro-inflammatoires (Adrie et al., 2002). Les corticoïdes ont un effet anti-inflammatoire majeur. Ils modulent également la réactivité vasculaire aux catécholamines et diminuent la production de vasodilatateurs, comme le monoxyde d’azote. De plus, de nombreuses études ont montré que les concentrations de cortisol étaient plus élevées chez les patients qui survivent suite à un arrêt cardiaque (Ito et al., 2004), et que des faibles concentrations en cortisol étaient associées à une mortalité post-réanimation précoce (Papastylianou et Mentzelopoulos, 2012). Ce sont ces observations qui ont poussé à tester l’utilisation de corticoïdes lors d’arrêt cardiaque. Peu d’études expérimentales sur le recours aux corticoïdes lors d’arrêt cardiaque ont été réalisées. L’une d’entre elle a cependant montré que l’administration d’hydrocortisone au début de la RCP à des rats chez lesquels l’arrêt cardiaque a été induit par injection de chlorure de potassium, augmentait de façon significative le taux de RACS (Smithline et al., 1993). En outre, une tendance à la diminution de la durée de la RCP et aux besoins en adrénaline a également été notée. 194 Pour ce qui est des études cliniques, Tsai et al. (2007) ont évalué les effets de l’administration d’hydrocortisone chez des patients victimes d’arrêt cardiaque extrahospitalier dans un essai clinique ouvert, prospectif et non randomisé. Lors de la RCP, une injection intraveineuse de 100 mg d’hydrocortisone a été effectuée pour 36 d’entre eux, les 61 autres patients ayant reçu 10 mL d’une solution saline à 0,9 % tenant le rôle de placebo. Il a ainsi été constaté que le groupe ayant été traité avec le corticoïde présentait un taux de RACS significativement plus élevé que le groupe traité avec le placebo. Cette différence restait significative tant que les administrations étaient faites dans les six minutes suivant l’arrivée d’une équipe médicale. Aucune différence significative n’a cependant été observée en ce qui concerne les taux de survie à un jour et à sept jours, ainsi que les taux de survie à la décharge hospitalière. Enfin, l’utilisation d’hydrocortisone n’a pas augmenté l’incidence des désordres électrolytiques, des saignements du tractus gastro-intestinal ou des infections durant la période suivant la réanimation. Dans un essai contrôlé randomisé en double aveugle, Mentzelopoulos et al. (2009) ont comparé le taux de RACS et le taux de survie à la décharge hospitalière suite à l’administration d’une part de vasopressine, d’adrénaline et de méthylprednisolone, suivie éventuellement d’hydrocortisone en cas de choc post-arrêt cardiaque, et d’autre part d’adrénaline et de placebo, suivie éventuellement d’une deuxième administration de placebo en cas de choc post-arrêt cardiaque. L’étude a été menée chez 100 patients victimes d’arrêt cardiaque intra-hospitalier. Les auteurs ont conclu que la combinaison vasopressineadrénaline-corticostéroïdes améliorait de façon significative le taux de RACS et la survie à long terme dans le cas d’arrêt cardiaque intra-hospitalier, ce qui s’expliquait en partie par une pression artérielle moyenne post-arrêt et une saturation veineuse centrale en oxygène plus élevées, ainsi que par une réponse inflammatoire systémique et une défaillance multiviscérale atténuées. Dans une étude plus récente, Mentzelopoulos et al. (2013) ont repris le même protocole d’étude sur des patients victimes d’arrêt cardiaque intra-hospitalier. Ils se sont intéressés cette fois au taux de survie à la décharge hospitalière avec un score CPC de 1 ou 2, ce qui correspond respectivement à des patients conscients et capables de vivre/travailler normalement, ou à des patients conscients et capables de mener des activités quotidiennes de façon indépendante, mais qui présentent des troubles de type hémiplégie, convulsions ou modifications cognitives (Tableau 5). Conformément aux résultats de leur précédente étude, les patients recevant la combinaison vasopressine-adrénaline-corticostéroïdes avaient une plus grande probabilité de RACS pendant vingt minutes ou plus que ceux ne recevant que de l’adrénaline et un placebo. Il était également plus probable que ces patients du premier groupe soient vivants à la décharge hospitalière, avec un bon rétablissement neurologique. L’administration de glucocorticoïdes au cours de la RCP pourrait ainsi avoir un effet neuroprotecteur, mais son utilisation à l’heure actuelle reste controversée. 195 D. Autres traitements disponibles D’autres traitements, comme l’atropine, le calcium, les bicarbonates de sodium, peuvent être administrés lors de la RCP, mais aucune étude n’a montré de bénéfices sur la survie à plus ou moins long terme lorsqu’ils sont utilisés en routine. Chez l’Homme, le recours à ces traitements doit ainsi se faire dans des situations bien particulières. 1. L’atropine L’atropine est un agent anticholinergique qui bloque les récepteurs muscariniques à l’acétylcholine. Elle empêche ainsi le nerf vague d’exercer son action sur les nœuds sinoatrial et atrio-ventriculaire, entraînant ainsi une tachycardie et facilitant la conduction atrioventriculaire. Elle est administrée par voie intraveineuse à des doses de 0,6-3 mg pour contrer une bradycardie qui accompagne une hypotension, et pour prévenir la bradycardie lors d’une stimulation vagale (Papastylianou et Mentzelopoulos, 2012). Les effets de l’utilisation de l’atropine lors de la RCP ont fait l’objet de nombreuses études, mais aucun essai clinique contrôlé n’a été conduit à ce jour. Si certaines études ont montré qu’elle était associée à de meilleurs taux de RACS et de survie, d’autres n’ont montré aucun effet bénéfique, que ce soit lors d’arrêt cardiaque extra-hospitalier ou intra-hospitalier. C’est notamment pour cela que la molécule n’est plus incluse dans l’algorithme décisionnel de la RCP avancée, et que son utilisation en routine lors d’activité électrique sans pouls ou d’asystolie n’est plus recommandée (Neumar et al., 2010). 2. Le calcium Il existe une relation entre de faibles concentrations plasmatiques de calcium ionisé et la durée de la réanimation ainsi que la mortalité. Cependant, les hautes concentrations calciques plasmatiques qui résultent de l’administration de calcium peuvent provoquer des dommages myocardiques et empêcher un bon rétablissement neurologique. Si des cas cliniques décrivant l’utilisation de calcium chez des enfants lors de chirurgie cardiaque suggèrent une amélioration de la survie à plus ou moins long terme, les études menées sur le recours à cet ion lors d’arrêt cardiaque ont montré des résultats contradictoires quant au RACS, mais aucun bénéfice en termes de survie, et ce que l’arrêt ait lieu en milieu hospitalier ou non (Papastylianou et Mentzelopoulos, 2012). L’administration en routine de calcium pour traiter l’arrêt cardiaque n’est ainsi pas recommandée. Elle peut être considérée dans des situations spécifiques, comme lors d’hyperkaliémie, d’hypocalcémie et de surdosage de molécules bloquant les canaux calciques (Neumar et al., 2010). 3. Les bicarbonates de sodium Pendant l’arrêt cardiaque et la RCP, une acidose respiratoire et une acidose métabolique se développent. Elles résultent de la rétention de dioxyde de carbone à cause de l’arrêt des échanges gazeux pulmonaires, et d’une disponibilité diminuée en oxygène au 196 niveau cellulaire, conduisant au passage à un métabolisme anaérobie et à la production d’acide lactique. La sévérité de l’acidose varie avec la durée de l’arrêt cardiaque et avec le flux sanguin et la teneur artérielle en oxygène lors de la RCP. Le retour à une teneur en oxygène adéquate au niveau des poumons à l’aide de la ventilation, à une perfusion tissulaire et à un débit cardiaque corrects grâce aux compressions thoraciques, et le RACS sont les éléments de base pour restaurer l’équilibre acido-basique lors d’arrêt cardiaque (Neumar et al., 2010 ; Papastylianou et Mentzelopoulos, 2012). Si certaines études ont montré une augmentation du RACS, du taux de survie à l’admission hospitalière et du taux de survie à la décharge hospitalière en association avec l’utilisation de bicarbonates de sodium, la majorité d’autres études n’ont montré aucun bénéfice. En effet, l’alcalinisation lors de RCP peut avoir des effets néfastes. Elle peut exacerber l’acidose intracellulaire puisqu’elle entraîne la formation de dioxyde de carbone qui peut librement diffuser au travers des membranes, et provoquer une hypernatrémie, une hyperosmolalité, une alcalose métabolique et un déplacement vers la gauche de la courbe de saturation de l’hémoglobine en oxygène, inhibant de ce fait encore plus la libération d’oxygène aux tissus (Papastylianou et Mentzelopoulos, 2012). L’administration en routine de bicarbonates de sodium n’est ainsi pas recommandée chez les patients victimes d’arrêt cardiaque, mais peut être envisagée lors d’hyperkaliémie ou de surdosage d’antidépresseurs tricycliques (Neumar et al., 2010). 197 Un grand nombre d’agents pharmacologiques sont actuellement disponibles pour améliorer les taux de RACS. Certains le permettent en augmentant la pression de perfusion coronaire générée pendant la RCP, comme c’est le cas des inotropes et des vasopresseurs, alors que d’autres agissent en rendant le myocarde électriquement stable pour faciliter la défibrillation ultérieure, comme c’est le cas des antiarythmiques classiques et des β-bloquants. À l’heure actuelle, le réel bénéfice apporté par l’administration d’adrénaline lors de la RCP est discutée. Elle reste cependant l’agent pharmacologique de base, recommandée par les guidelines. Si les résultats des études expérimentales et cliniques sont parfois contradictoires, ils s’accordent pour dire qu’aucun de ces agents pharmacologiques ne permet d’améliorer la survie à plus long terme. D’autres stratégies thérapeutiques doivent donc être mises en place pour ce faire. 198 II. Améliorer la survie à long terme A. Protection du cœur contre les lésions d’ischémie-reperfusion 1. Les inhibiteurs de l’échangeur Na+/H+ a. Généralités Les échangeurs Na+/H+ (NHE) constituent des systèmes de transport membranaire impliqués non seulement dans la régulation du pH, mais aussi dans la régulation du volume cellulaire et dans la réabsorption de NaCl, notamment au niveau des épithéliums rénal et intestinal. Ce sont des glycophosphoprotéines présentes chez tous les mammifères. Parmi les différents isoformes, le premier qui a été découvert, NHE1, est identifié sur la membrane plasmique de tous les tissus. Il joue un rôle crucial dans les lésions d’ischémiereperfusion. En effet, son activation est provoquée par une acidose intracellulaire, condition retrouvée lors d’ischémie du fait de l’hydrolyse de l’ATP et de la production d’acide lactique. Cette activation conduit à la sortie d’un proton contre l’entrée d’un ion sodium pour tenter de normaliser le pH intracellulaire. Comme l’activité de la Na+/K+-ATPase est diminuée voire arrêtée lors d’ischémie, le sodium s’accumule dans le cytosol. La surcharge sodique est ensuite suivie par une surcharge calcique du fait de l’activation et du fonctionnement en mode reverse de l’échangeur Na+/Ca2+. D’autre part, lors de la RCP, un sang normoacide perfuse le circuit coronaire. Ces conditions sont idéales pour que NHE1 reste activé tout au long des compressions thoraciques, et probablement pendant les premières minutes qui suivent le RACS (Ayoub et al., 2003). Comme nous l’avons vu, les dérangements métaboliques au cours de l’ischémie peuvent conduire à l’apoptose et à une contracture ischémique, cette dernière pouvant être causée par une production d’ATP insuffisante pour permettre la dissociation des complexes actine-myosine, ou par une énergie insuffisante pour rétablir les concentrations cytosoliques en calcium. La contracture ischémique se caractérise par un épaississement progressif de la paroi du ventricule gauche et par une importante diminution de la taille des cavités ventriculaires. La fonction diastolique, et en particulier le remplissage des cavités ventriculaires, sont fortement compromises, et le débit cardiaque s’en trouve réduit (Charalampopoulos et Nikolaou, 2011). Nous verrons que certains effets cardioprotecteurs des inhibiteurs de NHE1 sont liés à leurs effets sur la contracture ischémique. b. Bilan des études expérimentales et cliniques Les échangeurs NHE jouant ainsi le rôle d’importants médiateurs dans l’apparition des lésions d’ischémie-reperfusion à l’échelle cellulaire, leur inhibition est apparue comme une stratégie thérapeutique possible pour protéger le myocarde et empêcher la survenue d’arythmies lors d’arrêt cardiaque. 199 Les effets de l’utilisation d’inhibiteurs spécifiques de NHE1, en particulier le cariporide, ont été largement étudiés dans différents modèles expérimentaux d’arrêt cardiaque. Lors de fibrillation ventriculaire chez le rat et le porc : - L’administration de cariporide avant le début de la RCP améliore la fonction myocardique post-arrêt cardiaque, notamment en empêchant une dysfonction diastolique et en permettant un rétablissement rapide de la fonction systolique (Gazmuri et al., 2001 ; Gazmuri et al., 2002 ; Ayoub et al., 2010). Les paramètres hémodynamiques, comme la pression artérielle moyenne, l’index cardiaque ou l’index de travail systolique du ventricule gauche, étaient ainsi plus élevés dans les minutes qui suivent le RACS chez les animaux traités avec l’inhibiteur NHE1 que chez les groupes témoins, comme illustré à la Figure 50. Figure 50 : Évolution de la pression artérielle moyenne, de la fréquence cardiaque, de l’index cardiaque et de l’index de travail systolique du ventricule gauche, avant et après la réanimation, chez des porcs ayant reçu du cariporide ou du NaCl à 0,9 % (d'après Ayoub et al., 2010) o Animaux traités avec du cariporide Animaux traités avec du NaCl 0,9 % RACS : reprise d’activité cardiaque spontanée ; VB : valeur de base Les chiffres entre crochets indiquent l’effectif de chaque groupe. Les valeurs sont rapportées sous la forme de moyenne ± écart-type. * : p < 0,05 ; 200 : p < 0,001 vs. NaCl 0,9 %. - Le cariporide a également un effet bénéfique sur la contracture ischémique, en limitant l’augmentation de l’épaisseur de la paroi du ventricule gauche, comme illustré à la Figure 51 (Gazmuri et al., 2001 ; Gazmuri et al., 2002 ; Ayoub et al., 2003). Grâce à cet effet, le cariporide permet d’obtenir des PPCo plus élevées, et supérieures à un seuil, en-deçà duquel les chances de réanimation sont quasiment inexistantes (Ayoub et al., 2003 ; Ayoub et al., 2005). Figure 51 : Évolution de la pression de perfusion coronaire et de l’épaisseur de la paroi du ventricule gauche, avant et après la réanimation, chez des porcs ayant reçu du cariporide ou du NaCl à 0,9 % (d'après Ayoub et al., 2003) o Animaux traités avec du cariporide Animaux traités avec du NaCl 0.9 % PPCo : pression de perfusion coronaire ; RACS : reprise d’activité cardiaque spontanée ; VB : valeur de base Les valeurs sont rapportées sous la forme de moyenne ± écart-type. * : p < 0,05 ; - : p < 0,001 vs. cariporide. Le cariporide prévient enfin l’apparition d’arythmies suite à l’arrêt cardiaque. En effet, la reperfusion induit un raccourcissement de la durée du potentiel d’action, notamment du fait de l’ouverture des canaux sarcolemmaux K+ATP, mais aussi de l’activation de NHE1. Ce raccourcissement était moindre lorsque les animaux avaient reçu du cariporide, suggérant ainsi que ce dernier minimisait l’activité ectopique ventriculaire fréquemment observée suite au RACS, et permettait d’utiliser, pour la défibrillation, moins de chocs électriques. De fait, suite à l’administration de cariporide, l’incidence 201 des extrasystoles ventriculaires était plus faible (Gazmuri et al., 2001 ; Wirth et al., 2001; Gazmuri et al., 2002 ; Ayoub et al., 2003 ; Ayoub et al., 2005 ; Ayoub et al., 2010). Ces arythmies de reperfusion étant liées à la surcharge calcique et aux oscillations de la concentration cytosolique en calcium, leur amélioration après traitement avec le cariporide concorde avec le mécanisme supposé de l’inhibition de NHE1, à savoir la diminution de la surcharge calcique cytosolique induite par la surcharge en sodium. - Ces différents résultats expliquent l’obtention de taux de survie significativement plus élevés suite à l’administration de cariporide (Ayoub et al., 2003). L’efficacité d’autres inhibiteurs de NHE1 a également été étudiée. Ayoub et al. (2007) ont ainsi évalué les effets du zoniporide sur les paramètres hémodynamiques et sur le métabolisme, dans un modèle porcin de fibrillation ventriculaire. Après huit minutes d’arrêt cardiaque sans traitement, une circulation extracorporelle était mise en place chez tous les animaux pendant dix minutes, de façon à maintenir une PPCo supérieure à 10 mmHg, suite à quoi une RCP était entreprise. Une diminution de la compliance du ventricule gauche, accompagnée d’un épaississement de la paroi de ce dernier, ont été observés chez les animaux recevant un placebo, alors que ce n’était pas le cas chez ceux traités avec du zoniporide. Concernant les paramètres métaboliques mesurés, il a été noté que les animaux traités avec du zoniporide présentaient un ratio créatine phosphate/créatine plus élevé, ainsi que des concentrations myocardiques en adénosine et en lactate plus faibles que les animaux du groupe témoin. Le zoniporide permet ainsi de diminuer les lésions myocardiques lors de la réanimation en ayant des effets bénéfiques sur le métabolisme énergétique, et ce sans affecter la résistance vasculaire coronaire ou le flux sanguin coronaire. Plus récemment, Lin et al. (2013) ont étudié les effets du sabiporide, un nouvel inhibiteur sélectif du NHE1 présentant une demi-vie beaucoup plus longue que le cariporide (7 heures pour le sabiporide, 2,5 minutes pour le cariporide). Contrairement aux expériences précédentes où l’inhibiteur était administré avant la RCP, le sabiporide a été utilisé chez des porcs, 15 minutes après le RACS. D’autre part, le modèle d’étude était un modèle d’arrêt cardiaque asphyxique, caractérisé par des lésions sévères d’ischémie-reperfusion et par une acidose lactique globale. Les auteurs ont ainsi montré que le sabiporide permettait une protection contre les lésions d’ischémie-reperfusion à l’échelle de l’organisme, en observant : - - 202 Une atténuation de la dysfonction myocardique post-arrêt cardiaque, avec une fraction d’éjection systolique du ventricule gauche, une fraction de raccourcissement et un débit cardiaque plus élevés chez les porcs traités avec du sabiporide. Une meilleure perfusion du cerveau, du cœur, du rein, du foie et de la rate après le RACS, associée à une augmentation de la saturation veineuse mixte en oxygène et à une diminution du coefficient d’extraction de l’oxygène. Ce dernier correspondant à la - fraction d’oxygène apportée aux cellules et réellement consommée par celles-ci, sa diminution suggère une circulation plus efficace. Une diminution de la production de cytokines pro-inflammatoires. En revanche, relativement peu d’études cliniques ont été réalisées. Le cariporide a été utilisé dans deux études de phases III pour tester l’efficacité de la protection du myocarde lors de pontage aorto-coronarien. Les deux études ont montré une diminution du taux d’IDM, mais une augmentation du taux de mortalité à court terme et des lésions cérébrovasculaires ont été observées dans une étude. Six mois après le traitement, les effets bénéfiques étaient évidents dans les deux études, et la différence dans les taux de mortalité n’était plus significative (Charalampopoulos et Nikolaou, 2011). 2. Les agonistes des récepteurs aux opioïdes a. Généralités L’idée d’avoir recours à des agonistes des δ-récepteurs aux opioïdes pour protéger le cœur lors d’arrêt cardiaque est venue d’observations faites sur l’hibernation chez les mammifères. L’hibernation est un processus qui est en partie dû à des variations cycliques de concentrations en substances opioïdes dans le sang, et au cours duquel le récepteur δ aux opioïdes joue un rôle non négligeable. Lors de l’hibernation, le myocarde tolère le stress occasionné par l’hypoperfusion qui en résulte, et ce pendant de longues périodes. Sa consommation en oxygène et sa production d’énergie sont alors fortement réduits. Au réveil de l’animal, le cœur est à nouveau perfusé par du sang oxygéné, mais cela n’occasionne aucune lésion de reperfusion. b. Bilan des études expérimentales et cliniques De nombreuses études expérimentales ont ainsi montré que l’activation des récepteurs aux opioïdes conférait une cardioprotection en réduisant la taille de l’infarctus suite à une ischémie myocardique régionale. Cette activation a aussi un effet sur la viabilité des cardiomyocytes. Elle améliore la fonction du myocarde suite à l’ischémie et préserve son métabolisme énergétique (Fang et al., 2006b). Les effets cardioprotecteurs des agonistes aux récepteurs δ des opioïdes ont également été prouvés lors d’arrêt cardiaque. Dans leurs modèles rongeur et porcin de fibrillation ventriculaire, Fang et al. (2006b) ont démontré que l’administration avant RCP de pentazocine, agoniste non sélectif des récepteurs aux opioïdes, permettait d’induire de façon pharmacologique une sidération myocardique. Cela entraînait, chez les animaux traités, une diminution du métabolisme énergétique du myocarde, avec notamment une diminution de la production de lactate et une réduction de la consommation en oxygène. La PO2 était maintenue à des valeurs supérieures à 15 mmHg, alors qu’elle s’annulait dans les quatre minutes suivant le début de la fibrillation ventriculaire chez les porcs non traités. La survie était également prolongée, et la dysfonction myocardique post-arrêt cardiaque diminuée. Tous 203 les effets de la pentazocine sur la réduction du métabolisme ou sur les différents résultats suite à la réanimation ont été abolis chez les animaux recevant, en début d’expérience, de la naloxone, agent bloquant les récepteurs aux opioïdes. Ces auteurs ont trouvé les mêmes résultats dans une autre étude menée sur des rats avec fibrillation ventriculaire (Fang et al., 2006a), mais ils ont aussi montré que les effets bénéfiques de la pentazocine sur la fonction myocardique et la durée de survie étaient abolis chez les animaux ayant reçu, avant induction de l’arrêt cardiaque, du glibenclamide (agent bloquant les canaux KATP) comme l’illustre la Figure 52. La cardioprotection conférée par l’activation des récepteurs δ aux opioïdes serait ainsi en partie médiée par l’ouverture de ces canaux potassiques. Si le mécanisme exact de transduction du signal n’est à l’heure actuelle pas connu, les études semblent indiquer l’implication de la protéine C kinase comme médiateur. Figure 52 : Évolution de la contractilité myocardique et de l’index cardiaque avant et après la réanimation, chez des rats ayant reçu de la pentazocine, du glibenclamide, du glibenclamide et de la pentazocine, ou du NaCl à 0,9 % (d'après Fang et al., 2006a) Animaux traités avec de la pentazocine □ Animaux traités avec du glibenclamide ▲ Animaux traités avec du glibenclamide et de la pentazocine o Animaux traités avec du NaCl 0,9 % CT : compressions thoraciques ; DF : défibrillation ; FV : fibrillation ventriculaire ; VB : valeur de base Les chiffres entre parenthèses indiquent l’effectif de chaque groupe. Les valeurs sont rapportées sous la forme de moyenne ± écart-type. * : p < 0,05 ; ** : p < 0,001 vs. pentazocine. Par ailleurs, d’autres auteurs ont montré, dans un modèle de cœur isolé de rat, que cette dysfonction était moins importante lorsque le cœur était protégé pendant l’ischémie, à savoir quand la pentazocine était administrée avant l’épisode ischémique, que lorsqu’il l’était pendant la reperfusion (Shan et al., 2010). 204 L’efficacité d’un autre agoniste des δ-récepteurs aux opioïdes, l’enképhaline D-Ala(2)D-Leu(5) (DADLE), a également été testée lors d’ischémie. Si dans un modèle de cœur isolé de rat, l’activation de ces récepteurs par DADLE permettait une protection myocardique similaire à celle obtenue suite à un conditionnement pré-ischémique, avec notamment une diminution de la taille de l’IDM, ce rôle cardioprotecteur n’a pas été observé chez toutes les espèces. Au contraire, l’administration de DADLE quarante minutes avant quarante-cinq minutes d’occlusion coronaire chez des porcs n’apportait aucune amélioration de la fonction myocardique et avait même un effet pro-arythmique (Shen et al., 2012). De nombreuses études récentes ont montré que DADLE avait d’importants effets neuroprotecteurs contre les lésions d’ischémie-reperfusion. Il permet de réduire les dommages causés par l’excitotoxicité sur les neurones néocorticaux in vitro, et d’augmenter la tolérance vis-à-vis de l’hypoxie des neurones corticaux en culture. Par ailleurs, l’administration intracérébroventriculaire de DADLE avant induction d’un arrêt cardiaque asphyxique chez le rat était associée à une amélioration significative de la fonction neurologique post-arrêt, notamment en limitant l’apoptose des neurones au niveau de la région CA1 de l’hippocampe (Gao et al., 2010). 3. Les molécules ciblant la mitochondrie Le cœur ayant des besoins énergétiques élevés, les mitochondries sont des organites indispensables au fonctionnement des cardiomyocytes, et occupent 35 % de leur volume. Elles exercent des fonctions essentielles, comme la production d’ATP par phosphorylation oxydative, la biosynthèse de l’hème, la signalisation calcique, l’homéostasie ionique, ainsi que la régulation de la prolifération et de la mort cellulaires. Toute perturbation de leur activité peut avoir des conséquences néfastes sur la cellule, notamment via la libération du cytochrome C qui, en activant les caspases, peut aboutir à l’apoptose, ou encore via la libération d’espèces réactives de l’oxygène et de calcium, qui aboutit à l’activation de protéases et de lipases et à la nécrose cellulaire (Carreira et al., 2011). Si ces organites détiennent un rôle central dans les mécanismes du préconditionnement et du postconditionnement ischémiques, comme nous le verrons par la suite, il est également possible de cibler directement certains de leurs constituants, comme les canaux potassiques mitochondriaux ou le PPTm, et ce dans un but cardioprotecteur. a. Activateurs des canaux potassiques mitochondriaux Lors d’ischémie, des mécanismes physiologiques adaptatifs se mettent en place au sein du myocarde, rendant ainsi le cœur plus résistant aux lésions ischémiques. Parmi ceux-ci, le préconditionnement ischémique constitue l’un des moyens le plus efficace pour retarder les lésions myocardiques (vide infra) (Coetzee, 2013). Son mode d’action peut être mimé par certains agents pharmacologiques, notamment les activateurs des canaux potassiques mitochondriaux ATPase-dépendants, situés sur la membrane interne mitochondriale. En empêchant la rupture de la membrane externe et en limitant la dissipation d’énergie, ces canaux jouent un rôle essentiel dans l’homéostasie mitochondriale (O’Rourke, 2004). En effet, leur ouverture provoque un influx de cations K+, qui excède de façon 205 transitoire la capacité d’extraction de l’échangeur K+/H+ : le volume mitochondrial à l’équilibre s’en trouve ainsi augmenté. Il se produit aussi une dissipation du gradient de protons, qui conduit à une augmentation compensatrice du pompage de protons et de la consommation en oxygène pour maintenir le potentiel de membrane mitochondrial (ΔΨm) et la phosphorylation oxydative. Enfin, l’activation de ces canaux limite la libération d’espèces réactives de l’oxygène, atténue l’influx calcique au sein de la mitochondrie, et limite ainsi les dommages et la mort cellulaires (O’Rourke, 2004 ; Charalampopoulos et Nikolaou, 2011). Les études animales ont montré que ces agents avaient à la fois un rôle cardioprotecteur et neuroprotecteur lors d’ischémie (Charalampopoulos et Nikolaou, 2011 ; Coetzee, 2013). Dans le cœur, l’activation des canaux potassiques ATP-dépendants conduit également à la diminution de la durée du potentiel d’action, et contribue ainsi à l’établissement d’une stabilité électrique et à la suppression des arythmies secondaires à la surcharge calcique. Dans le cerveau, cette activation protège la microcirculation et la barrière hémato-méningée du stress ischémique. Des nombreux activateurs des canaux potassiques mitochondriaux ont été testés dans des études expérimentales. Citons à titre d’exemple le diazoxide ou le nicorandil, qui provoquent l’ouverture des canaux potassiques mitochondriaux, et ont un effet minime sur leurs isoformes situés au niveau du sarcolemme cardiaque. D’autres activateurs, comme le pinacidil, le cromakalim ou encore l’EMD 60480, ne discriminent pas les deux isoformes (O’Rourke, 2004). Parmi ces agents, le plus efficace et le plus étudié est le diazoxide, agent antihypertenseur. À ce jour, la plupart des études expérimentales, de même que des études in vitro menées sur des tissus cardiaques humains, ont montré que le diazoxide possèdait effectivement des propriétés cardioprotectrices. Ces études et leurs résultats sont résumés au Tableau 33. 206 Tableau 33 : Études animales in vivo et études in vitro sur des prélèvements de cœurs humains montrant le rôle cardioprotecteur du diazoxide (d'après Coetzee, 2013) Auteurs Garlid et al., (1997) Baines et al., (1999) Modèle étudié Cœurs isolés de rats Lapins (in vivo) Protocole 25 min d’ischémie globale, puis 30 min de reperfusion 30 min d’ischémie régionale, suivies de 3 h de reperfusion Pré-traitement au diazoxide, puis 40 min d’ischémie, suivies de 30 min de reperfusion 30 min d’ischémie régionale, suivies de 2 h de reperfusion Wang et al., (1999) Cœurs isolés-perfusés de rats (Langendorff) Fryer et al., (2000) Rats (in vivo) Ghosh et al., (2000) Prélèvements ou ponctions d’atrium droit d’Homme 90 min d’ischémie, suivies de 2 h de reperfusion Mura et al., (2000) Cœurs isolés-perfusés de rats (Langendorff) Pré-traitement au diazoxide avant 30 min d’ischémie, suivies de 60 min de reperfusion 90 min d’ischémie régionale, suivies de 6 h de reperfusion 30 min d’ischémie régionale, suivies de 2 h de reperfusion 40 min d’ischémie globale, suivies de 30 min de reperfusion 30 min d’ischémie régionale, suivies de 3 h de reperfusion 20 min d’ischémie globale, suivies de 1 h de reperfusion Sanada et al., (2001) Wang et al., (2001) Wang et al., (2001) Schwartz et al., (2002) Suzuki et al., (2003) 207 Wojtovich et al., (2013) Chiens, thorax ouvert Cœurs isolés de lapins Cœurs isolés de souris Porcs, thorax ouvert Cœurs isolés de souris Cœurs isolés de souris 30 min d’ischémie globale, suivies de 1 h de reperfusion Résultats Contracture ischémique apparaissant plus tardivement Réduction de la taille de l’infarctus lorsque l’administration se fait avant l’ischémie Amélioration de la pression télédiastolique du ventricule gauche, de la libération de lactate déshydrogénase et du flux coronaire après l’ischémie-reperfusion Réduction de la taille de l’infarctus lorsque l’administration se fait avant l’ischémie Moindre relargage sanguin de créatine kinase Réduction de la taille de l’infarctus et amélioration de la fonction mitochondriale Réduction partielle de la taille de l’infarctus Réduction de la taille de l’infarctus lorsque l’administration se fait avant l’ischémie Amélioration de la fonction cardiaque post-ischémique lorsque l’administration se fait 24 h avant ischémie Réduction de la taille de l’infarctus lorsque l’administration se fait avant l’ischémie Amélioration de la fonction cardiaque post-ischémique Amélioration de la fonction cardiaque post-ischémique et réduction de la taille de l’infarctus lorsque l’administration se fait avant l’ischémie Comme le montre la Figure 53, cette action cardioprotectrice est médiée par de nombreux effecteurs (Coetzee, 2013). En effet, le diazoxide agit : - - - - - - Sur les canaux potassiques ATP-dépendants des cellules musculaires lisses. En provoquant l’ouverture de ces derniers, le diazoxide a un effet vasodilatateur et est susceptible d’augmenter le flux coronaire, permettant une meilleure perfusion du cœur. Sur les canaux potassiques ATP-dépendants du sarcolemme cardiaque, mais ce seulement lorsque les concentrations cytosoliques en ADP sont suffisamment élevées, ce qui est le cas lors d’ischémie. L’ouverture de ces canaux est notamment responsable d’une augmentation de la durée du potentiel d’action durant les premières minutes d’ischémie. Sur les canaux potassiques ATP-dépendants mitochondriaux. Les mécanismes cardioprotecteurs qui font suite à l’influx de potassium dans la mitochondrie, notamment le maintien de l’intégrité de la membrane externe mitochondriale et le maintien du ΔΨm, ont été détaillés ci-dessus. Les effets du diazoxide sur ces canaux peuvent être bloqués par le 5-hydroxydécanoate et par le glibenclamide. Sur le complexe II de la chaîne respiratoire mitochondriale, la succinate deshydrogénase. En provoquant son inhibition, le diazoxide permet un découplage partiel de la phosphorylation oxydative et diminue la production d’espèces réactives de l’oxygène, limitant ainsi les lésions d’ischémie-reperfusion. D’autres mécanismes cardioprotecteurs impliquant le diazoxide et la mitochondrie sont en cours d’investigation. Sur les canaux potassiques ATP-dépendants endothéliaux. Le mécanisme exact de protection du diazoxide contre le dysfonctionnement endothélial n’est pour l’instant pas connu. Sur la libération de certains neurotransmetteurs. En effet, le diazoxide, comme d’autres agents activateurs de canaux potassiques ATP-dépendants, inhibe la libération de noradrénaline ainsi que l’augmentation de la fréquence atriale induite par la stimulation électrique du ganglion sympathique. De nombreux autres effecteurs seraient également mis en jeu. 208 Figure 53 : Représentation schématique des différents effecteurs du diazoxide et des mécanismes cardioprotecteurs mis en jeu (d'après Coetzee, 2013) Ach : acétylcholine ; Nad : noradrénaline ; NO : monoxyde d’azote ; canaux K(ATP) : canaux potassiques ATP-dépendants ; canaux mK(ATP) : canaux potassiques mitochondriaux ATP-dépendants D’autres études animales ont montré que le diazoxide possédait également des propriétés neuroprotectrices, notamment par son action sur la libération de neurotransmetteurs et sur les canaux potassiques ATP-dépendants mitochondriaux (Charalampopoulos et Nikolaou, 2011). Si le diazoxide semble avoir un effet protecteur lors de phénomènes d’ischémie et de reperfusion, aucune étude clinique n’a été réalisée à ce jour dans un contexte d’arrêt cardiaque. b. Inhibiteurs du PPTm Les mitochondries jouent un rôle central dans l’induction de l’apoptose ou de la nécrose cellulaire qui suivent les lésions d’ischémie-reperfusion. En effet, comme il a été mentionné en première partie, la formation et l’ouverture du PPTm dès la reperfusion myocardique sont des déterminants majeurs du dysfonctionnement mitochondrial et de la mort ultérieure des cardiomyocytes. Pour rappel, l’ouverture de ce pore se fait en réponse à la surcharge calcique, à la dépolarisation du potentiel de membrane mitochondrial, au stress oxydatif et à une diminution de la concentration en ATP. Ce pore constitue ainsi une cible critique en matière de cardioprotection. 209 Dans la fin des années 80, Crompton et al. ont découvert que l’ouverture du PPTm pouvait être inhibée de façon pharmacologique par la cyclosporine A, agent immunosuppresseur (Crompton et al., 1988). Après avoir induit l’ouverture de ce pore par ajout de calcium et de phosphate à des préparations mitochondriales de cœurs isolés de rats, ils ont en effet constaté que l’ajout de cet agent permettait de maintenir une concentration calcique intramitochondriale stable, de préserver le potentiel de membrane mitochondrial, et entraînait une imperméabilité membranaire au sucrose. Le mécanisme d’action n’a été découvert que quelques années plus tard, en 1990, par Harley et Davidson. Ces auteurs ont montré que l’inhibition passait par la fixation de la cyclosporine A à une protéine identifiée dans la matrice mitochondriale, la cyclophiline D. Cette fixation inhibe l’activité enzymatique de la cyclophiline D, l’empêche de s’associer au composant du PPTm situé sur la membrane interne, l’ANT, et induit un changement conformationnel de ce dernier (Hausenloy et al., 2012). L’action protectrice de la cyclosporine A est également médiée par l’inhibition de la calcineurine (Bünger et Mallet, 2013). En effet, comme les espèces réactives de l’oxygène, l’augmentation de la concentration calcique cytoplasmique peut provoquer l’ouverture du PPTm. Or en provoquant la déphosphorylation du phospholamban, principal régulateur de la Ca2+-ATPase du réticulum sarcoplasmique, la calcineurine peut entraîner une libération massive de calcium du réticulum sarcoplasmique vers le cytoplasme. La cyclosporine A permet ainsi d’éviter la surcharge calcique intracellulaire et de limiter la formation d’espèces réactives de l’oxygène induite par le calcium. De nombreuses études expérimentales et cliniques concernant le rôle cardioprotecteur de la cyclosporine A ont été publiées à ce jour. Une grande majorité d’entre elles portent sur les effets de l’administration de cette dernière, avant ou après l’ischémie ou la reperfusion myocardique, sur la taille de l’IDM (Gerczuk et Kloner, 2012 ; Hausenloy et al., 2012). Cour et al. (2011) ont réalisé la première étude expérimentale sur les effets cardioprotecteurs de la cyclosporine A dans un contexte d’arrêt cardiaque asphyxique chez des lapins. Chez les animaux ayant reçu, au début de la reperfusion, un bolus intraveineux de cyclosporine A, une amélioration de la survie à court terme, de la fonction cardiaque postarrêt, et des insuffisances hépatique et rénal ont ainsi été constatées. Les auteurs ont également montré que les effets bénéfiques de la cyclosporine A sur certaines entités du syndrome post-arrêt cardiaque étaient en partie dus à son action inhibitrice de l’ouverture du PPTm. En effet, l’administration de NIM 811, un inhibiteur spécifique de l’ouverture du PPTm se fixant exclusivement sur la cyclophiline D sans avoir d’autres effets sur la réponse immune et sur la réaction inflammatoire, conduit à une protection similaire à celle observée lors de l’administration de cyclosporine A. Des études cliniques demeurent à réaliser pour déterminer si l’inhibition pharmacologique de l’ouverture du PPTm permet d’obtenir une amélioration quant au syndrome post-arrêt cardiaque. 210 Cependant, l’utilisation de la cyclosporine A comme agent cardioprotecteur pose problème, notamment à cause de sa non-sélectivité pour le PPTm et de ses nombreux effets secondaires (Hausenloy et al., 2012). Parmi ces derniers, on peut citer la néphrotoxicité, l’hypertension, l’hyperlipidémie, la neurotoxicité, l’hépatotoxicité, l’anorexie, la nausée… D’autre part, elle possède également de nombreux autres effets non spécifiques du fait de son action inhibitrice sur d’autres cyclophilines intracellulaires, notamment les cyclophilines A et B. C’est pourquoi la recherche d’autres inhibiteurs plus spécifiques du PPTm reste primordiale. À ce jour, on peut citer : - des analogues non immunosuppresseurs de la cyclosporine A, n’inhibant pas la calcineurine, comme NIM811, CS29, Debio-0125 ; le SfA, un inhibiteur de la cyclophiline C qui n’inhibe pas la calcineurine ; la modification de la cyclosporine A, de façon à la rendre plus sélective pour la cyclophiline D mitochondriale, et moins sélective vis-à-vis de la cyclophiline A cytosolique. 4. Utilisation de gaz thérapeutiques a. L’hydrogène L’hydrogène est un antioxydant possédant de nombreux avantages. En effet, alors que les antioxydants hydrophiles ne peuvent traverser les membranes et atteindre le cytosol, et que ceux aux propriétés hydrophobes nécessitent des transporteurs spécifiques pour ce faire, l’hydrogène est capable de diffuser librement au travers des membranes et peut ainsi atteindre le noyau et les mitochondries. Il permet ainsi une protection de ces dernières ainsi que de l’ADN nucléaire dans des situations de stress oxydatif (Ohta, 2012). Les applications thérapeutiques de l’utilisation de l’hydrogène comme antioxydant sont nombreuses et de plus en plus étudiées. Les effets protecteurs de ce gaz ont été confirmés dans différents modèles animaux, qui ont montré qu’il était capable de limiter la taille de l’infarctus dans le cerveau et dans le cœur en diminuant les lésions d’ischémie-reperfusion sans altérer les paramètres hémodynamiques, et en conférant une protection contre les lésions multiviscérales provoquées par l’inflammation généralisée. Des études cliniques préliminaires ont montré les mêmes résultats quant au rôle cardioprotecteur et/ou neuroprotecteur de l’hydrogène dans différents contextes cliniques (Hayashida et al., 2012). En revanche, peu d’études se sont intéressées à ces différentes propriétés dans un contexte d’arrêt cardiaque. Dans leur étude, Hayashida et al. (2012) ont montré que l’inhalation de 2 % d’hydrogène au début de la RCP et poursuivie pendant 2 heures après le RACS permettait d’obtenir des résultats comparables à ceux observés suite à une hypothermie thérapeutique dans un modèle de fibrillation ventriculaire chez des rats. Une amélioration des fonctions cardiaque et cérébrale, une diminution de la réponse inflammatoire systémique, et une 211 augmentation du taux de survie post-arrêt, ont ainsi été constatés chez les animaux recevant de l’hydrogène. Des résultats semblables concernant le rôle neuroprotecteur ont été notés dans l’étude de Huang et al. (2013) suite à l’injection intrapéritonéale d’hydrogène à des lapins après fibrillation ventriculaire. b. Le monoxyde d’azote Le monoxyde d’azote (NO) joue un rôle central dans la physiopathologie de l’ischémie et de la reperfusion (Ichinose, 2013 ; Roberts et al., 2013). En effet, du monoxyde d’azote endogène est libéré lors de la conversion de la L-arginine en L-citrulline par la monoxyde d’azote synthase (NOS), dont il existe trois isoenzymes : - NOS1 ou nNOS, présente majoritairement dans les neurones et les cellules épithéliales ; NOS2 ou iNOS, exprimées dans différents types de cellules, dont les macrophages, après induction par les cytokines ; NOS3 ou eNOS, présente essentiellement dans les cellules endothéliales. Le monoxyde d’azote exerce différents effets pouvant s’avérer bénéfiques lors d’ischémie-reperfusion, comme le montre le Tableau 34 (Ichinose, 2013 ; Roberts et al., 2013). Sa principale cible est la guanylate cyclase soluble, dont il provoque l’activation en s’y fixant. Cette activation conduit à la formation du second messager, la guanosine monophosphate cyclique (GMPc), qui exerce ses différents effets en interagissant avec des protéines kinases GMPc-dépendantes, ainsi qu’avec des phosphodiestérases et des canaux ioniques régulés par le GMPc. Le monoxyde d’azote exerce également d’autres effets, notamment en réagissant avec de nombreuses protéines par l’intermédiaire de groupements thiol et de métaux de transition. Citons en particulier le NF-κB, certaines caspases et certains canaux ioniques, les enzymes du cytochrome p-450, les lipoxygénases et la xanthine oxydoréductase. Le monoxyde d’azote est enfin un puissant vasodilatateur. Il a un rôle antiinflammatoire, notamment en inhibant l’activation et l’adhésion des plaquettes et des leucocytes, un rôle antioxydant en inhibant les enzymes responsables de la production d’espèces réactives de l’oxygène et en piégeant directement ces dernières, et un rôle antiapoptotique. 212 Tableau 34 : Mécanismes de protection liés à l'administration de monoxyde d'azote dans un contexte d'ischémie-reperfusion (d'après Roberts et al., 2013) Mécanisme de protection Activation de la guanylate cyclase soluble Inhibition transitoire du complexe I de la chaîne respiratoire S-nitrosylation de protéines Vasodilatation Inhibition de l’activation des plaquettes Propriétés antiinflammatoires Effets Modification de la régulation du calcium intracellulaire et ouverture des canaux potassiques mitochondriaux ATPdépendants Diminution de la production d’espèces réactives de l’oxygène Modification de la régulation du calcium intracellulaire, régulation de l’apoptose, protection des groupements thiols des lésions oxydatives irréversibles Amélioration de la perfusion des tissus ischémiques Amélioration de la circulation à l’échelle microvasculaire et de la perfusion des tissus ischémiques Réduction de l’inflammation et amélioration de la perfusion des tissus ischémiques À partir de ces résultats, différentes stratégies thérapeutiques, ayant pour but d’augmenter les concentrations en monoxyde d’azote dans les tissus post-ischémiques, ont été testées. Plusieurs études expérimentales et cliniques ont en effet suggéré que l’administration de composés donneurs de NO dans une situation d’ischémie-reperfusion, comme le nitroprusside de sodium ou la nitroglycérine, s’avérait efficace en termes de cardioprotection et de neuroprotection (Roberts et al., 2013). En particulier, dans des modèles animaux d’arrêt cardiaque, il a été observé que l’administration par voie intraveineuse d’un agent donneur de NO permettait d’améliorer les paramètres hémodynamiques, les taux de réanimation et les taux de survie sans défaillance neurologique majeure (Dezfulian et al., 2009 ; Yannopoulos et al., 2011) . Chez l’Homme, des effets comparables ont été observés (Dezfulian et al., 2012). Cependant, du fait de leurs potentiels effets vasodilatateurs systémiques, l’administration parentérale de ces composés peut conduire à de l’hypotension et compromettre la perfusion tissulaire. Cela limite leur utilisation en routine chez des patients victimes d’arrêt cardiaque, leur pression artérielle étant souvent basse et instable. En revanche, il a été montré chez de nombreuses espèces que, lorsqu’il était inhalé à des concentrations allant jusqu’à 80 ppm, le monoxyde d’azote provoquait une vasodilatation pulmonaire sélective sans entraîner d’hypotension (Ichinose, 2013). De plus, il a également été constaté que l’inhalation de monoxyde d’azote atténuait les lésions d’ischémie-reperfusion au niveau du myocarde chez les souris et les porcs, ainsi que les lésions hépatiques liées à l’ischémie-reperfusion chez des patients subissant une transplantation hépatique (Minamishima et al., 2011). Les conséquences de l’inhalation de monoxyde d’azote lors d’arrêt cardiaque et de RCP ont ainsi fait l’objet de certaines études. Il a par exemple été montré une amélioration significative des taux de survie après dix jours chez des souris ayant subi un arrêt provoqué 213 par injection intraveineuse de chlorure de potassium, et ayant inhalé du monoxyde d’azote une heure après RCP, et ce pendant 23 heures (Minamishima et al., 2011). Cette amélioration allait de paire avec de meilleures fonctions myocardique et neurologique. 5. La thrombolyse L’IDM aigü et l’embolie pulmonaire faisant partie des principales causes d’arrêt cardiaque extra-hospitalier, le recours à la thrombolyse a été largement étudié dans le cadre des recherches tentant d’améliorer les résultats de la RCP (Charalampopoulos et Nikolaou, 2011 ; Papastylianou et Mentzelopoulos, 2012). En effet, comme il a déjà été expliqué plus haut, l’activation de la coagulation postarrêt cardiaque ne s’accompagne pas d’une fibrinolyse adéquate, ce qui entraîne la formation de microthrombi qui gênent la microcirculation : c’est le phénomène de « no-reflow ». La thrombolyse est donc utilisée dans l’espoir d’éliminer ces caillots de la circulation pulmonaire ou coronaire, d’améliorer ainsi les taux de RACS, et de favoriser la microcirculation, en particulier au niveau cérébral de façon à diminuer la dysfonction neurologique (Reffelmann et Kloner, 2002). Les données de l’expérimentation animale ont d’abord supporté cette idée que la thrombolyse permettait d’empêcher le phénomène de « no-reflow » dans la circulation cérébrale, améliorant ainsi le pronostic neurologique (Charalampopoulos et Nikolaou, 2011). Chez l’Homme, des cas cliniques, suivis de plusieurs études, ont également suggéré des effets bénéfiques apportés par cette technique chez des patients atteints d’embolie pulmonaire, d’IDM aigü ou ne répondant pas à une RCP standard (Papastylianou et Mentzelopoulos, 2012). Cependant, deux essais cliniques de large ampleur n’ont montré aucun bénéfice quant à l’utilisation d’un agent fibrinolytique lors de RCP (Abu-Laban et al., 2002 ; Böttiger et al., 2008). En particulier, l’étude TROICA, comparant les effets de l’utilisation de la ténectaplase à ceux d’un placebo chez des patients victimes d’arrêt cardiaque extra-hospitalier d’origine présumée cardiaque, a dû être arrêtée de façon prématurée, aucune amélioration de la survie n’étant notée et la thrombolyse augmentant les risques de saignements intra-crâniaux (Böttiger et al., 2008). Le recours à la thrombolyse ne doit ainsi pas être effectué en routine lors d’arrêt cardiaque. Il peut être envisagé lorsque l’étiologie suspectée ou diagnostiquée est une embolie pulmonaire (Neumar et al., 2010). 6. L’angioplastie cutanée Une autre technique destinée également à favoriser la revascularisation coronaire est l’angioplastie. Également appelée intervention coronarienne percutanée, elle consiste à poser, à l’aide d’un cathéter, un stent pour maintenir une artère coronaire ouverte. 214 Contrairement à la thrombolyse, le recours à l’angioplastie est fréquent et est même fortement recommandé si la cause de l’arrêt cardiaque est un IDM, puisque ce dernier s’accompagne souvent d’une sténose voire d’une occlusion artérielle complète. De nombreuses études cliniques ont en effet montré qu’elle avait un effet bénéfique sur la survie à court et à long terme (Spaulding et al., 1997 ; Dumas et al., 2012). B. Par des approches neuroprotectrices 1. L’hypothermie thérapeutique a. Généralités et définitions Les bienfaits de l’hypothermie sont connus depuis longtemps, et le recours à cette méthode à des fins thérapeutiques s’est fait dès le début du 19ème siècle. Notamment utilisée jusqu’au milieu du 20ème siècle par les forces armées pour prévenir et traiter l’état de choc, et pour réaliser des interventions chirurgicales chez des patients susceptibles de ne pas tolérer l’anesthésie ou des opérations à température corporelle normale (National Research Council, 1956), le rôle protecteur de l’hypothermie suite à un arrêt cardiaque, en particulier à des fins neuroprotectrices, n’a été décrit que dans les années 50 (G Rainey Williams, 1958). De nombreuses autres études expérimentales et cliniques ont par la suite suivi, et toutes ont montré un effet bénéfique sur le pronostic (Safar et Kochanek, 2002). Cependant, le recours à l’hypothermie suite à un arrêt cardiaque est resté rare jusqu’au début du 21ème siècle. En 2002, deux études cliniques randomisées, l’une menée en Australie (Bernard et al., 2002), l’autre en Europe (The Hypothermia after Cardiac Arrest Study Group, 2002), ont confirmé l’effet protecteur jusqu’alors suggéré. Une neuroprotection a en effet été observée suite à l’application d’une hypothermie modérée chez des patients victimes d’arrêt cardiaque extra-hospitalier présentant un rythme choquable (fibrillation ventriculaire), avec une température corporelle cible de 33°C pendant 12 heures dans la première étude, et entre 32°C et 34°C pendant 24 heures dans la deuxième. La proportion de survivants avec une bonne récupération neurologique à la décharge hospitalière était ainsi significativement plus importante dans les groupes traités par hypothermie. Comme nous le verrons par la suite, des études ultérieures ont montré le même résultat, même si la température cible optimale reste débattue (Nielsen et al., 2013). Les guidelines 2010 de l’AHA préconisent ainsi la mise en hypothermie modérée de tout patient comateux après un arrêt cardiaque extra-hospitalier sur fibrillation ventriculaire ou tachycardie ventriculaire sans pouls, avec une température cible entre 32°C et 34°C pendant 12 à 24 heures. Le même protocole est conseillé pour les arrêts cardiaques intrahospitaliers et pour les arrêts cardiaques extra-hospitaliers sur rythme non choquable (Peberdy et al., 2010). Si le bénéfice réel de l’hypothermie thérapeutique en médecine vétérinaire n’est pas documenté, les données expérimentales sont en faveur de son efficacité lorsqu’elle est utilisée chez les chiens. Elle est ainsi également recommandée en médecine vétérinaire chez les 215 animaux demeurant comateux après le RACS, mais reste rarement pratiquée (Gao et al., 2010). Classiquement, l’hypothermie thérapeutique peut être divisée en quatre classes, comme le montre le Tableau 35, mais le refroidissement des patients suite à un arrêt cardiaque se fait toujours de manière à ce que la température corporelle soit supérieure à 32°C, au risque de perturbations cardiovasculaires trop importantes (Kohlhauer, 2012). Tableau 35 : Les différentes catégories d'hypothermie (d'après Polderman et Herold, 2009) Type d’hypothermie Hypothermie thérapeutique légère Hypothermie thérapeutique modérée Hypothermie thérapeutique sévère Hypothermie thérapeutique profonde Température corporelle cible 34,0°C - 35,9°C 32,0°C - 33,9°C 30,0°C - 31,9°C < 30°C b. Les effets physiologiques de l’hypothermie Le refroidissement corporel a des effets sur de nombreux organes. Il possède ainsi des effets bénéfiques protecteurs, mais peut également induire des complications qu’il faut connaître pour les prendre en charge. i. Effets cardiovasculaires et hémodynamiques Les effets de l’hypothermie sur le myocarde sont complexes, et dépendent en partie d’une sédation adéquate du patient. D’une manière générale, une hypothermie légère engendre une diminution de la fréquence cardiaque et une augmentation de la contractilité myocardique. La fonction systolique est améliorée, mais une légère dysfonction diastolique peut être observée chez certains patients. La pression sanguine reste stable ou est susceptible d’augmenter légèrement, et le débit cardiaque diminue parallèlement à la réduction de la fréquence cardiaque (Polderman, 2009). Cependant, cette diminution égale, ou est légèrement inférieure à la baisse du taux métabolique induite par l’hypothermie, de sorte que la balance entre apports et besoins en oxygène reste constante ou est améliorée (Polderman et Herold, 2009). L’hypotension est également fréquente (Polderman, 2009). En effet, en activant le peptide natriurétique atrial, en diminuant les concentrations d’hormone antidiurétique et de son récepteur, et en engendrant une dysfonction tubulaire, l’hypothermie stimule la diurèse, et ce d’autant plus qu’elle augmente le retour veineux. Ce dernier est notamment causé par une vasoconstriction périphérique, résultant d’une augmentation des concentrations plasmatiques en noradrénaline induite par l’hypothermie, et par l’activation du système sympathique. Ce faisant, une hypovolémie est susceptible de se développer, et peut aboutir à une hypotension si elle n’est pas prise en charge. 216 L’hypothermie induit également des modifications de rythme cardiaque (Polderman, 2009). En effet, l’augmentation du retour veineux provoque une tachycardie sinusale, qui peut être plus prononcée en cas de sédation inadéquate et de frissonnements. Lorsque la température corporelle devient inférieure à 35,5°C, une bradycardie sinusale apparaît, et la fréquence cardiaque chute de façon concomitante avec la température, car la vitesse de dépolarisation spontanée du pacemaker cardiaque diminue, les potentiels d’action s’allongent et la conduction myocardique est réduite. Les modifications observées à l’ECG correspondent donc à des intervalles PR et QT prolongés, et à un élargissement du complexe QRS. Les études expérimentales suggèrent que l’hypothermie légère diminue les risques d’arythmies en stabilisant les membranes cellulaires, ce qui n’est pas le cas d’une hypothermie plus profonde. En provoquant cette bradycardie et en réduisant le métabolisme basal (vide infra), l’hypothermie thérapeutique protège le myocarde lors d’ischémie. De plus, une hypothermie légère (35°C) provoque une vasodilatation coronaire, et augmente ainsi la perfusion myocardique. ii. Modifications métaboliques Lorsque la température corporelle chute de 1°C, le métabolisme est réduit de ± 8 %, et ce parallèlement à une diminution de la consommation en oxygène et de la production de dioxyde de carbone. En-dessous de 32°C, le métabolisme général est de l’ordre de 50-65 % de sa valeur normale. Ces considérations nécessitent un ajustement fréquent des paramètres du ventilateur, en particulier lors de l’induction d’une hypothermie, pour éviter une hyperventilation accidentelle qui pourrait engendrer une vasoconstriction cérébrale (Polderman, 2009). Une discrète acidose métabolique peut apparaître du fait d’une augmentation du métabolisme des graisses, conduisant à une augmentation des concentrations de glycérol, d’acides gras libres, d’acides cétoniques et de lactate. Elle ne nécessite cependant pas de prise en charge particulière, car le pH ne baisse que peu. L’hypothermie est également à l’origine d’une diminution de la sensibilité à l’insuline et d’une réduction de la production d’insuline par les îlots pancréatiques (Polderman, 2009). Les risques d’hyperglycémie sont ainsi plus élevés lors de refroidissement. Or cette dernière assombrit le pronostic neurologique, car elle aggrave les lésions cérébrales, notamment en favorisant la nécrose cellulaire et le développement de l’infarctus à l’échelle neuronale (Lipton, 1999). La prévention et/ou la correction d’une hyperglycémie sévère doit ainsi faire partie de la stratégie thérapeutique lors d’un protocole de refroidissement. À l’inverse, l’apparition éventuelle d’une hypoglycémie lors du réchauffement doit également être surveillée. Des désordres électrolytiques peuvent également survenir lors d’hypothermie, puisque cette dernière entraîne une dysfonction tubulaire à l’origine d’une augmentation de l’excrétion rénale d’électrolytes (Polderman et Herold, 2009). De fait, le développement d’une hypomagnésémie, d’une hypokaliémie et d’une hypophosphatémie est fréquent lors de 217 refroidissement, avec un risque accru d’apparition d’arythmies et d’aggravation des lésions cérébrales. En outre, il faut également faire attention à la survenue éventuelle d’une hyperkaliémie lors du réchauffement, à cause de la libération du potassium séquestré dans le milieu intracellulaire à l’induction de l’hypothermie. iii. Réponse inflammatoire Les fonctions immunitaires et la réponse inflammatoire sont altérées par l’hypothermie. Ces modifications sont par ailleurs recherchées lors d’un refroidissement, et constituent l’un des mécanismes par lequel l’hypothermie exerce ses effets protecteurs. En effet, elle inhibe la sécrétion de cytokines pro-inflammatoires et empêche la migration leucocytaire et phagocytaire. Par contre, les patients refroidis deviennent plus vulnérables au développement d’infections, en particulier respiratoires et de plaies. Il est donc raisonnable d’envisager une antibioprophylaxie avant un protocole d’hypothermie, et de surveiller attentivement le patient en cherchant d’éventuels signes d’infection (Polderman et Herold, 2009). iv. Coagulation Si une hypothermie légère (35°C) n’affecte pas la coagulation, des températures corporelles de 33°C à 35°C engendrent des dysfonctionnements plaquettaires. En-dessous de 33°C, d’autres facteurs de la coagulation peuvent être affectés (Polderman et Herold, 2009). Le rapport bénéfices/risques d’une hypothermie doit donc être évalué avec attention pour les patients chez qui les risques de saignement sont élevés. v. Le frissonnement Pour lutter contre le refroidissement corporel, l’organisme produit de la chaleur : c’est la thermogenèse. Parmi les acteurs de ce mécanisme, les muscles sont particulièrement importants car ils exercent une activité mécanique dite de frisson (Kohlhauer, 2012). Chez le patient éveillé, le frissonnement est à l’origine d’une augmentation de la consommation d’oxygène et du métabolisme, ainsi que des fréquences respiratoire et cardiaque, cette dernière étant elle-même à l’origine d’une augmentation de la consommation en oxygène du myocarde (Polderman, 2009). Il s’agit donc d’une réaction qu’il faut prévenir ou prendre en charge de façon agressive, car d’une part elle complique l’installation de l’hypothermie, et d’autre part elle aggrave les lésions d’ischémie-reperfusion. Une sédation et une analgésie adéquates sont ainsi indispensables, d’autant qu’elles induisent une vasodilatation qui facilite la perte de chaleur. Une administration de sédatifs, d’anesthésiques, d’opiacées ou même d’agents curarisants au moment de l’induction de l’hypothermie thérapeutique permet ainsi de s’affranchir de ces réponses indésirables (Polderman et Herold, 2009). 218 vi. Clairance des médicaments La vitesse de la plupart des réactions enzymatiques étant température-dépendante, elle s’en trouve fortement diminuée par l’hypothermie thérapeutique. En particulier, le métabolisme hépatique de certains médicaments est réduit. Les concentrations plasmatiques et les durées d’action des principes actifs administrés sont ainsi augmentées (Polderman et Herold, 2009). c. Les modalités d’induction d’une hypothermie thérapeutique i. Physiologie du refroidissement La perte de chaleur peut se faire par quatre mécanismes : - la convection, avec un transfert de chaleur qui se fait d’une surface à l’air environnant ; la conduction, avec un transfert direct de chaleur d’une surface vers une autre surface adjacente ; la radiation ; l’évaporation : la chaleur est perdue par production de sueur L’hypothermie thérapeutique s’appuie en majeure partie sur les deux premiers mécanismes, les buts étant de maximiser la perte de chaleur par conduction ou par convection. Comme l’illustre la Figure 54, un protocole d’hypothermie thérapeutique se divise en trois phases : l’induction, le maintien et le réchauffement (Polderman et Herold, 2009). Figure 54 : Évolution de la température corporelle lors des différentes phases d'hypothermie thérapeutique La gestion de chaque phase est spécifique, et des complications inhérentes à chacune d’entre elles peuvent survenir (Maxwell et al., 2005) : 219 - - Le but de la phase d’induction est d’abaisser la température corporelle sous 34°C, et d’atteindre la température cible le plus rapidement pour minimiser les risques d’hypovolémie et d’hypotension, d’hyperglycémie et de désordres électrolytiques. Pendant la phase de maintien, la température corporelle doit rester la plus constante possible, avec des fluctuations qui ne doivent pas dépasser 0,5°C. Enfin, le réchauffement doit être lent et contrôlé (0,2-0,5°C/heure). Cette dernière phase est cruciale, car elle peut annuler tous les mécanismes protecteurs permis par l’hypothermie. La vitesse de réchauffement est en particulier très importante. Par exemple, lorsque le réchauffement est réalisé à une vitesse de 2°C/heure chez des rats, les effets cardioprotecteur et neuroprotecteur de l’hypothermie sont abolis, de même que la protection que cette dernière confère vis-à-vis de la réponse inflammatoire systémique (Lu et al., 2014). ii. Méthodes de refroidissement Méthodes non invasives et invasives Le refroidissement des patients peut se faire par des méthodes externes ou internes, respectivement appelées méthodes non invasives ou invasives. Comme le montre le Tableau 36, de nombreuses techniques existent, et chacune présente des avantages et des inconvénients à prendre en compte, notamment en termes de faisabilité, de rapidité de refroidissement et de maintien d’une température stable. Ainsi, les méthodes externes présentent l’avantage principal de pouvoir être appliquées immédiatement, et donc d’initier rapidement un protocole d’hypothermie. Cependant, les vitesses de refroidissement demeurent faibles dans une grande majorité des cas, et ce malgré le développement de nouvelles technologies, comme le système Arctic Sun®. En effet, une étude publiée en 2010 a montré que la durée moyenne pour atteindre la température cible de moins de 34°C était de 190 minutes pour les patients refroidis avec le système Arctic Sun® et de 244 minutes pour ceux refroidis à l’aide de couvertures froides (Heard et al., 2010). De plus, un contrôle précis de la température corporelle est compliqué avec la plupart des appareils à refroidissement externe, ce qui rend leur utilisation délicate pendant les phases de maintien et de réchauffement. En revanche, ce contrôle est possible avec les cathéters endovasculaires, qui sont dès lors très fiables pendant ces phases (Flint et al., 2007). Cependant, leur mise en place n’est pas sans risques et prend du temps, ce qui retarde l’induction de l’hypothermie. Si le moyen qui semble le plus simple pour faire diminuer rapidement la température reste ainsi la perfusion de cristalloïdes refroidis à 4°C, cette méthode ne permet cependant pas de maintenir la température corporelle entre 32 et 34°C pendant très longtemps, et ne peut être envisagée en phases de maintien ou de réchauffement (Kliegel et al., 2007). En outre, elle peut avoir une influence sur la volémie du patient, et donc également sur les chances de réanimation (Yannopoulos et al., 2009). Elle favorise également les phénomènes de congestion pulmonaire et ne semble pas apporter de bénéfices par rapport à une hypothermie thérapeutique classique (Kim et al, 2014). 220 Tableau 36 : Les différentes méthodes d'induction d'une hypothermie thérapeutique (adapté d'après Polderman et Herold, 2009 ; Seder et Van der Kloot, 2009) FABRICANT VITESSE D’INDUCTION AVANTAGES Exposition de la peau - Faible (≈ 0,5°C/h) Facile, peu coûteux, absence de risques lié à la procédure. Exposition de la peau + bains/sprays d’alcool ou d’eau - Faible à intermédiaire (≈ 1,0°C/h) Facile, peu coûteux, relativement efficace. Ventilateurs Divers Faible à intermédiaire (≈ 1,0°C/h) Facile, peu coûteux. Couverture refroidissante véhiculant de l’air frais Polar Air and Bair Hugger R, Arizant Healthcare Faible (≈ 0,5°C/h) Relativement peu coûteux. Faible à intermédiaire (≈ 1,0°C/h) Refroidissement du cerveau plus rapide. Utilisation fiable pour la phase de maintien et pour un réchauffement contrôlé. AIR MÉTHODES EXTERNES MÉTHODE Lits refroidissants Deltatherm, KCI INCONVÉNIENTS Relativement inefficace. Ne peut être utilisé en phases de maintien et de réchauffement. Requiert beaucoup de travail pour l’équipe de soins. Le patient reste mouillé pendant longtemps. Ne peut être utilisé en phases de maintien et de réchauffement. Risques d’infection ? Ne peut être utilisé en phases de maintien et de réchauffement. Pas plus efficace que l’exposition directe de la peau à l’air frais. Bruyant pendant la phase d’induction. Commercialisation en cours de retrait. 221 FLUIDES MÉTHODE MÉTHODES EXTERNES 222 Tableau 36 (suite) : Les différentes méthodes d'induction d'une hypothermie thérapeutique (adapté d'après Polderman et Herold, 2009 ; Seder et Van der Kloot, 2009) FABRICANT VITESSE D’INDUCTION AVANTAGES Packs de glace - Intermédiaire (≈ 1,0°C/h) Facile, peu coûteux. Immersion complète dans l’eau froide - Excellente (≈ 8°C à 10°C/h) Peu coûteux. Patchs refroidissants préréfrigérés Laerdal Medi+Cool, Laerdal Medical AS ? Adapté pour initier un refroidissement sur le terrain. Essai clinique préliminaire en cours. Patchs de surface préréfrigérés Emcools AC ? Inconnu. Uniquement testé chez l’animal. Blanketroll II hyperhypothermia, Cincinnati Sub-Zero Company ≈ 1,0°C à 1,5°C/h avec deux couvertures Réutilisable, prix significativement plus faible par rapport à la majorité des autres appareils disponibles. 1,5°C/h En partie réutilisable. Requiert moins de travail que la Blanketroll II. Peu cher. Couverture refroidissante avec circulation d’eau froide Blanketroll III hyperhypothermia, Cincinnati Sub-Zero Company INCONVÉNIENTS Risques de lésions cutanées et de brûlures. Non fiable si utilisé en phases de maintien et de réchauffement. Infaisable, en particulier en soins intensifs. Impossible de maintenir une température corporelle constante. Absence de systèmes permettant le contrôle de la température. Risques théoriques de lésions cutanées. Ne peut être utilisé lors de réchauffement et difficilement utilisable pour le maintien. Risques théoriques de lésions cutanées. Ne peut être utilisé pour les phases de maintien et de réchauffement. Requiert beaucoup de travail pour le personnel soignant, surtout pendant la phase d’induction. Deux couvertures sont nécessaires pour une induction rapide. Légers risques d’overcooling à l’induction. Tableau 36 (suite) : Les différentes méthodes d'induction d'une hypothermie thérapeutique (adapté d'après Polderman et Herold, 2009 ; Seder et Van der Kloot, 2009) FLUIDES MÉTHODES EXTERNES MÉTHODE FABRICANT 223 Patchs avec circulation d’eau froide Système CoolBlue Surface Pad, Innercool Therapies Patchs recouverts de gel avec circulation d’eau froide Système Arctic Sun Temperature Management Combinaison avec circulation d’eau Systèmes CritiCool et CureWrap, MTRE ; systems Meditherm II et III Circulation d’eau froide directement contre la peau du patient Système LRS ThermoSuit, Life Recovery Systems VITESSE D’INDUCTION ? ≈ 1,5°C à 2°C/h AVANTAGES Requiert moins de travail que la Blanketroll II. Peu cher comparé aux autres appareils disponibles. Résultats préliminaires prometteurs. Refroidissement relativement rapide alors que la totalité du corps ne doit pas être recouverte de patchs. Contrôle possible de la température. Requiert moins de travail que les couvertures véhiculant de l’eau. Fiable lors des phases de maintien et de réchauffement. Overcooling rare. Absence de complications vasculaires. INCONVÉNIENTS Peu de données cliniques. Non réutilisable. Cher. Légers risques de lésions cutanées si utilisé à sa puissance maximale pendant longtemps. ≈ 1,5°C/h Enveloppe le patient, permet un meilleur contact avec la peau que les couvertures. Peu de données cliniques disponibles. Matériel non réutilisable. Très rapide en théorie (≈ 10°C/h) Inconnu à ce jour, seulement testé chez l’animal ; études cliniques en cours. À usage unique. Ne peut être utilisé en phases de maintien et de réchauffement. MÉTHODE MÉTHODES INTERNES 224 Tableau 36 (suite) : Les différentes méthodes d'induction d'une hypothermie thérapeutique (adapté d'après Polderman et Herold, 2009 ; Seder et Van der Kloot, 2009) FABRICANT VITESSE D’INDUCTION CoolLine, Coolgard et Fortius, Alsius Corporation Relativement rapide (≈ 1,5°C à 2°C/h) Système Celsius Control, Innercool therapies Rapide (≈ 2°C à 4,5°C/h) SetPoint R and Reprieve Radiant Medical Rapide (≈ 2°C à 4,5°C/h) Perfusion de fluides refroidis (4°C) - Rapide (≈ 2,5°C à 3,5°C/h) Lavage péritonéal Velomedix ? Circulation extracorporelle Divers Très rapide (≈ 4°C à 6°C/h) Cathéters intravasculaires AVANTAGES INCONVÉNIENTS Utilise des ballonnets Cher. Nécessite pour leur mise en place une intravasculaires remplis de sérum procédure invasive qui comporte des risques et physiologique froid. retarde l’induction de l’hypothermie. Très fiable pendant les phases de Non réutilisable. maintien et de réchauffement. Peu de données concernant l’utilisation prolongée. Permet d’avoir un accès veineux. Risques faibles de thrombose Cathéter en métal pour accélérer la Cher. Nécessite pour leur mise en place une perte de chaleur. procédure invasive qui comporte des risques et Très fiable pendant les phases de retarde l’induction de l’hypothermie. maintien et de réchauffement. Non réutilisable. Permet d’avoir un accès veineux. Peu de données concernant l’utilisation Surveillance possible de la prolongée. température du sang grâce à un Risques faibles de thrombose capteur. Ballonnets remplis de sérum Cher. Nécessite pour leur mise en place une physiologique avec un système en procédure invasive qui comporte des risques et hélice pour améliorer l’extraction de retarde l’induction de l’hypothermie. chaleur. Très fiable pendant les Ne permet pas d’avoir un accès veineux. phases de maintien et de Risques faibles de thrombose réchauffement. Aucun feedback sur la température. Difficilement utilisable lorsqu’il faut maitenir la température Rapide. constante. Risque élevé d’overcooling. Nécessite Peut facilement être combinée à la perfusion d’une grande quantité de fluide. d’autres méthodes. Surveillance intensive par l’équipe soigante. Risques de congestion pulmonaire. Testé seulement chez l’animal. Lavage péritonéal à froid. Non disponible dans le commerce Procédure très invasive. Très fiable. Difficilement réalisable en soins intensifs iii. Cas particulier de l’hypothermie thérapeutique par ventilation liquide totale L’inconvénient d’une grande majorité des méthodes non invasives et invasives mentionnées ci-dessus est leur vitesse de refroidissement. Cependant, les études expérimentales ont démontré que lorsque la phase d’induction est rapide, la protection conférée par l’hypothermie était plus efficace vis-à-vis du cerveau (Guan et al., 2008 ; Tsai et al., 2008 ; Zhao et al., 2008), et pouvait même s’étendre au cœur (Tissier et al., 2009). Si certaines modalités de refroidissement, comme la perfusion de cristalloïdes refroidis ou la pose d’un cathéter endovasculaire, permettent de diminuer plus rapidement la température corporelle, nous avons vu que leur utilisation pouvait comporter certains risques. Depuis quelques années, un nouveau procédé de refroidissement est utilisé expérimentalement pour induire une hypothermie thérapeutique : la ventilation liquide totale avec des perfluorocarbones. Généralités sur les perfluorocarbones Les perfluorocarbones (PFC) sont des hydrocarbures synthétiques dont plusieurs ou la totalité des atomes d’hydrogène ont été remplacés par des atomes de fluor. Les PFC liquides présentent une très forte solubilité pour les gaz comme l’oxygène et le dioxyde de carbone. Ils sont chimiquement et biologiquement inertes, présentent une faible tension de surface et une densité élevée, et ne sont métabolisés ni par le rein, ni par le foie (Kaisers et al., 2003). La ventilation liquide avec des perfluorocarbones En 1966, Clark et Gollan rapportent la possible utilisation des PFC comme support respiratoire. En effet, en immergeant pendant une courte durée des souris et des chats dans ce type de liquide oxygéné de façon continue, ils ont observé une survie de ces animaux pendant plusieurs semaines, et ont expliqué en partie leurs observations du fait de la très grande solubilité de l’oxygène et du dioxyde de carbone dans les PFC (Clark et Gollan, 1966). De ces premières observations est née la possibilité d’utiliser les PFC pour de la ventilation liquide. Cette dernière peut se réaliser selon deux modalités, comme illustré à la Figure 55 : - la ventilation liquide partielle (VLP), qui consiste à remplir les poumons de PFC par voie intra-trachéale, puis à ventiler de façon conventionnelle le patient ; la ventilation liquide totale (VLT), qui consiste à remplir les poumons et la trachée de PFC, puis à ventiler le patient avec un ventilateur liquidien spécifique dont la fonction est d’aspirer puis de réinstiller au patient ces PFC. 225 Figure 55 : Principes de la ventilation liquide totale et de la ventilation liquide partielle (d’après Kohlhauer, 2012) A : Ventilation liquide totale ; B : Ventilation liquide partielle En bleu : PFC Le Tableau 37 ci-dessous résume les principaux avantages et inconvénients liés à ces deux modalités de refroidissement. 226 Tableau 37 : Avantages et inconvénients liés à la ventilation liquide partielle et à la ventilation liquide totale (d'après Kohlhauer, 2012 ; Kaisers et al., 2003) PEP : pression expiratoire positive ; PFC : perfluorocarbone ; VLP : ventilation liquide partielle ; VLT : ventilation liquide totale Les avantages/inconvénients écrits en italique sont propres à la VLP ou à la VLT, ceux écrits en romains sont communs aux deux modalités. *Le phénomène de « trapping » correspond au piégeage de bulles de gaz au niveau de bronchioles et/ou d’alvéoles, ce qui entraîne la réduction de la surface d’échange alvéolaire. Avantages - Amélioration des échanges gazeux - Amélioration de l’oxygénation lors d’affections pulmonaires aigües - Amélioration de la compliance pulmonaire VLP - Effet anti-inflammatoire des PFC - Lavage alvéolaire et bronchique - Recrutement des territoires pulmonaires collabés - Amélioration des échanges gazeux - Amélioration de l’oxygénation lors d’affections pulmonaires aigües - Amélioration de la compliance pulmonaire par disparition de la surface air-liquide - Effet anti-inflammatoire des PFC - Lavage alvéolaire et bronchique VLT - Expansion et recrutement des alvéoles collabées avec des pressions beaucoup plus basses - Diminution des risques de volotraumatisme et de barotraumatisme - Ventilation alvéolaire plus homogène Inconvénients - Risque de pneumothorax si la PEP en fin d’expiration est insuffisante - Interférences avec l’image radiographique - Durée d’élimination du PFC trop longue, donc risque de toxicité - Réajustement de la quantité de PFC dans les poumons nécessaire, du fait de la haute volatilité de ces liquides. - Risques de volotraumatisme (volume de PFC instillés mal contrôlé) et de barotraumatisme - Phénomène de « trapping » - Risque de pneumothorax si la PEP en fin d’expiration est insuffisante - Interférences avec l’image radiographique Durée d’élimination du PFC trop longue, donc risque de toxicité - Défaillance circulatoire possible du fait d’une potentielle diminution du retour veineux - Nécessite un ventilateur liquidien spécifique - Risque d’accumulation de CO2 en cas de mauvais réglages du ventilateur liquidien Les PFC ne présentant pas tous les mêmes caractéristiques, comme la solubilité pour l’O2 et le CO2 ou la densité, ils ne peuvent pas tous être utilisés lors de VLT. Le PFC idéal pour ce type d’usage doit présenter les caractéristiques suivantes (Kaisers et al., 2003) : - une solubilité élevée pour l’oxygène et le dioxyde de carbone, afin de ne pas compromettre les échanges gazeux ; 227 - - une densité plus grande que les fluides corporels, pour qu’il atteigne préférentiellement les zones atelectasiées, et qu’il recrute les territoires pulmonaires collabés ; une faible tension de surface, pour mimer au mieux le surfactant et améliorer la compliance pulmonaire ; une absence de métabolisation, ou une élimination de façon intacte par évaporation lors de l’expiration ou de transpiration cutanée ; une volatilité suffisante pour pouvoir être éliminé dans un laps de temps acceptable. L’hypothermie thérapeutique par ventilation liquide totale avec des PFC (VLT-PFC) La ventilation liquide à l’aide de PFC a beaucoup été étudiée dans un contexte de détresse respiratoire chez l’enfant et l’adulte. Outre les propriétés déjà mentionnées des PFC, ce type de liquide présente également la particularité d’avoir une conductivité thermique élevée, ce qui permet leur utilisation dans d’autres situations que lors de problèmes purement respiratoires. En effet, la possibilité de refroidir rapidement les PFC, combinée au fait que le poumon représente une surface d’échange thermique majeure, a conduit à envisager l’utilisation de la VLT avec des PFC refroidis pour induire une hypothermie thérapeutique, et ce tout en maintenant les échanges gazeux. L’un des plus grands avantages de cette technique est la vitesse de refroidissement, qui est très rapide. Chez des lapins sous VLT, il est ainsi possible d’obtenir des températures tympanique et oesophagienne entre 32°C et 33°C en 5 minutes, voire moins, et une température rectale entre 32°C et 33°C en 20 minutes (Chenoune et al., 2011). L’induction en quelques minutes de cette hypothermie a permis d’obtenir, en plus d’une neuroprotection, une puissante cardioprotection (Tissier et al., 2009). Un autre système utilisant également les PFC a également été mis au point et est utilisé pour induire une hypothermie thérapeutique : c’est le système RhinoChill®. Il s’agit d’un cathéter nasal qui instille des PFC dans la cavité nasale. Comme le liquide est volatile, il s’évapore instantanément, ce qui permet un refroidissement rapide de la cavité nasale. Le froid est transmis au cerveau majoritairement de façon hématogène, à travers les plexus veineux nasaux, ainsi que par convection directe. Le refroidissement du corps se fait plus tardivement. 228 d. Les mécanismes protecteurs mis en jeu i. Neuroprotection Les mécanismes de protection neuronale liés à l’hypothermie sont multiples et restent pour la plupart mal compris. Les principaux sont développés par la suite. Réduction du métabolisme cérébral Initialement, il a été supposé que les propriétés protectrices de cette technique étaient purement dues à la diminution du métabolisme cérébral qu’elle provoquait. En effet, ce dernier chute de 5-6 % pour chaque diminution de 1°C de la température cérébrale (Erecinska et al., 2003). La réduction de la consommation de glucose et d’oxygène par le cerveau permet ainsi de diminuer les risques de déplétion énergétique et de minimiser la formation de lactate et l’apparition consécutive d’une acidose. Cependant, bien d’autres mécanismes sont impliqués dans la protection neuronale conférée par l’hypothermie. Atténuation de la cascade neuro-excitotoxique L’hypothermie a également un effet sur l’excitotoxicité, qui, comme il a déjà été mentionné, est un processus spécifique au tissu nerveux qui survient suite à une ischémiereperfusion. L’hypothermie limite la libération et l’accumulation extracellulaire de neurotransmetteurs excitateurs, comme le glutamate, par plusieurs mécanismes. D’une part, en diminuant le métabolisme cérébral, elle minimise la déplétion en ATP. La conservation de cette molécule permet de maintenir les gradients ioniques, donc de stabiliser les membranes et de limiter l’influx calcique, ce qui minimise l’exocytose des vésicules de glutamate (Yenari et Han, 2012). D’autre part, l’hypothermie a une action sur plusieurs récepteurs présents au niveau des synapses, dont GLT-1. Il s’agit d’un transporteur présent à la surface membranaire des astrocytes. Si son rôle principal est d’assurer la capture du glutamate libéré par exocytose, il a toutefois été montré qu’il peut également fonctionner en mode reverse lors d’ischémie, et entraîner ainsi une accumulation extracellulaire de glutamate. Dans une étude récente, Wang et al. (2013) ont montré, sur des cultures de neurones et d’astrocytes in vitro, que le refroidissement provoquait une diminution des concentrations extracellulaires en glutamate lors d’ischémie en « down-régulant » ce transport en mode reverse effectué par GLT-1. Enfin, l’hypothermie prévient également les conséquences de l’excitotoxicité en limitant l’influx calcique à travers les canaux AMPA. En effet, elle atténue la « downregulation » induite par l’ischémie de la sous-unité du glutamate receptor 2 du récepteur AMPA, dont le rôle en condition physiologique est de limiter l’influx calcique (Colbourne et al., 2003). La durée pendant laquelle il est possible d’agir sur cette cascade de neuroexcitotoxicité reste cependant inconnue. Les résultats des études animales sont controversées, certaines suggérant que le processus ne peut être bloqué que lorsque l’hypothermie est 229 appliquée de façon précoce, d’autres mentionnant des intervalles beaucoup plus larges (Polderman, 2009). Diminution de la libération d’espèces réactives en oxygène Le stress oxydatif et la dysfonction mitochondriale représentent des facteurs déterminants dans l’extension des lésions ischémiques cérébrales. Les espèces réactives produites en excès lors d’ischémie-reperfusion peuvent, de surcroît, réagir avec le monoxyde d’azote pour former des espèces réactives de l’azote, qui génèrent également des dommages tissulaires cérébraux. Ces deux types d’espèces réactives provoquent en effet la peroxydation des lipides et des protéines mitochondriaux, inhibent l’activité des enzymes respiratoires et engendrent des cassures de l’ADN mitochondrial. D’après une étude conduite par Gong et al. (2012), les auteurs ont démontré que l’hypothermie permettait une protection contre ce stress oxydatif. En utilisant un modèle porcin d’arrêt cardiaque et en isolant des mitochondries du cortex cérébral des animaux, ils ont en effet observé, chez les animaux traités par hypothermie, une diminution de la peroxydation des lipides et des protéines de la membrane mitochondriale, une amélioration du fonctionnement des enzymes respiratoires et donc une diminution de la production d’espèces réactives en oxygène, ainsi qu’une augmentation de l’activité de la manganèse superoxyde dismutase (MnSOD), qui correspond à une enzyme antioxydante présente exclusivement dans la matrice mitochondriale, et une stimulation de l’activation du facteur nucléaire Nrf2, dont le rôle est la régulation de gènes codant pour des protéines antioxydantes. La diminution de la production d’espèces réactives de l’oxygène permet ainsi aux mécanismes antioxydants endogènes de mieux gérer les quelques radicaux libres libérés. Il est à noter que cette protection contre le stress oxydatif passe également par une diminution de l’expression des monoxyde d’azote synthases, et donc par une réduction de la formation de monoxyde d’azote et de ses métabolites. Inhibition de l’apoptose L’hypothermie affecte également plusieurs aspects de la mort cellulaire par apoptose (Yenari et Han, 2012). Comme le montre la Figure 56, elle peut agir sur les voies intrinsèque et extrinsèque. Elle peut ainsi modifier l’expression de la famille de gènes Bcl-2 en stimulant celle du gène anti-apoptotique Bcl-2 et en diminuant celle du gène pro-apoptotique Bax, ce qui réduit par la suite la libération du cytochrome C par la mitochondrie. L’hypothermie inhibe par ailleurs l’activation de caspases, peut bloquer la translocation du cytosol à la mitochondrie de la protéine kinase C (PKC) δ qui contribue aux lésions d’ischémiereperfusion, et peut stimuler l’action de la PKCε dont le rôle anti-apoptotique est reconnu. Enfin, il a été montré qu’elle inhibait la libération par la mitochondrie de l’AIF. 230 Figure 56 : Représentation schématique des mécanismes protecteurs de l'hypothermie thérapeutique vis-à-vis de l'apoptose (d'après Yenari et Han, 2012) AIF : apoptosis inducing factor ; APAF 1: apoptotic peptidase activating factor 1 ; BAX : Bcl-2–associated X protein ; BCL-2 : B-cell lymphoma 2 ; BID : BH3 interacting-domain death agonist ; FADD : Fas-associated death domain protein ; FASL : ligand du récepteur FAS ; PKC : protéine kinase C Suppression de la réponse inflammatoire Une modulation de la réponse inflammatoire cérébrale est également observée suite à une hypothermie, non seulement au niveau cellulaire mais également au niveau moléculaire. En effet, un dysfonctionnement des neutrophiles et des macrophages est constaté suite à un refroidissement (Polderman, 2009 ; Yenari et Han, 2012). Les concentrations de nombreux médiateurs inflammatoires sont par ailleurs impactées, comme le prouve l’étude de Meybohm et al. (2010). Dans celle-ci, les auteurs ont comparé l’expression d’ARNm de différents médiateurs inflammatoires sur des échantillons de cortex cérébral de porcs ayant subi un arrêt cardiaque par fibrillation ventriculaire. Sur les 231 échantillons d’animaux traités par hypothermie, ils ont ainsi constaté une diminution de l’expression de l’ARNm des certaines cytokines pro-inflammatoires, à savoir l’IL-6, l’IL-1β et le TNFα, ainsi que de l’ICAM-1, molécule d’adhésion permettant la migration et l’extravasation leucocytaire. En outre, l’hypothermie inhibe l’activation du NF-κB, un facteur de transcription qui peut activer de nombreux gènes en relation avec l’inflammation (Webster et al., 2009). Si cette inhibition se fait par modulation des protéines régulatrices de ce facteur lors d’ischémie cérébrale focale, l’activité de ces protéines n’est pas modifiée lors d’ischémie globale comme lors d’arrêt cardiaque. Enfin, il semblerait que l’hypothermie affecte également la voie de la mitogen activated protein kinase (MAPK), notamment en agissant sur la signalisation de l’extracellular signal-related kinase (ERK) (Yenari et Han, 2012). Si ces différentes observations suggèrent que l’hypothermie possède des propriétés anti-inflammatoires, celles-ci sont toutefois contredites dans certaines études. Le mécanisme peut en réalité dépendre du modèle animal, du type de lésion cérébrale, de la profondeur et de la durée de l’hypothermie. Une connaissance plus précise des rôles des réactions immunoinflammatoires dans la dynamique des lésions cérébrales permettrait de mieux comprendre à quoi ces différences de résultats sont dues. Protection de l’intégrité de la barrière hémato-encéphalique Comme il a déjà été mentionné en première partie, la BHE se rompt dans les minutes qui suivent un arrêt cardiaque, ce qui a pour principale conséquence un risque accru d’œdème et d’hémorragie cérébrale. Cette rupture est causée par la détérioration fonctionnelle et structurale des composants de l’unité neurovasculaire, à savoir les protéines des jonctions serrées, les protéines de transport, la membrane basale, les cellules endothéliales, les astrocytes, les péricytes et les neurones (Yenari et Han, 2012). De nombreux modèles d’ischémie cérébrale et d’hémorragie intracérébrale ont montré que l’hypothermie protégeait la barrière hémato-méningée et prévenait la formation de l’œdème (Preston et Webster, 2004 ; MacLellan et al., 2006 ; Kawanishi et al., 2008). En particulier, elle préserve l’intégrité de la BHE en empêchant l’activation de métalloprotéinases matricielles, qui possèdent une activité protéolytique envers la matrice extracellulaire (Nagel et al., 2008). Elle atténue par ailleurs la formation de l’œdème cérébral en préservant l’équilibre hydrique du cerveau, car elle inhibe l’expression de l’aquaporine 4, qui correspond à l’aquaporine la plus abondante dans le système nerveux central, et qui couvre plus de 95 % de la surface des capillaires cérébraux (Xiao et al., 2004). 232 ii. Cardioprotection Si l’hypothermie thérapeutique est souvent reconnue pour ses propriétés neuroprotectrices, elle exerce également une action sur le cœur et limite la dysfonction myocardique post-arrêt cardiaque (Hsu et al., 2009 ; Tissier et al., 2010 ; Tissier et al., 2012). Cependant, les mécanismes de protection myocardique restent mal identifiés. Parmi les plus probables, on peut citer, comme pour le tissu nerveux, la moindre diminution des stocks énergétiques engendrée par le refroidissement. En limitant la production d’espèces réactives de l’oxygène, ce dernier préserve la fonction mitochondriale et la chaîne respiratoire, et limite la déplétion en ATP (Tissier et al., 2013). Ce mécanisme ne permet d’expliquer qu’une partie des effets observés sur le myocarde. En effet, pour des températures corporelles supérieures à 34°C, comme celles observées lors d’hypothermie thérapeutique légère, la seule préservation des réserves énergétiques ne suffit pas à expliquer la protection conférée (Kohlhauer, 2012). Cette dernière implique ainsi d’autres voies de signalisation, comme la voie des ERK (Yang et al., 2011) ou celle impliquant le NO, la protéine kinase B (Akt), l’IP3-kinase ou encore le mTOR (Tissier et al., 2012). Peu importe la voie empruntée, il semblerait que, tout comme pour le conditionnement ischémique, le principal effecteur final de cette action cardioprotectrice soit le PPTm. En effet, la préservation des réserves énergétiques, la diminution de la formation des espèces réactives de l’oxygène, ainsi que les voies de signalisation des ERK et du NO, de l’Akt, de l’IP3-kinase ou du mTOR, sont toutes susceptibles d’inhiber la formation du PPTm. Les études expérimentales sont également en faveur de cette hypothèse, puisque sur des échantillons de ventricules de lapins ayant subi une occlusion des artères coronaires, il a été montré qu’une hypothermie modérée à 32°C inhibait la formation du PPTm induite par le calcium (Tissier et al., 2009). Le mécanisme exact par lequel l’hypothermie thérapeutique agit sur le PPTm n’est cependant pas connu. e. Bilan des études expérimentales Un précédant travail ayant déjà fait l’état des études expérimentales jusqu’en 2008, nous ne présenterons que les principales d’entre elles réalisées depuis. Elles sont montrées dans le Tableau 38. 233 234 Tableau 38 : Bilan des études expérimentales publiées depuis 2008 évaluant le bénéfice apporté par le refroidissement de l’organisme ATP : adénosine triphosphate ; BRN : bonne récupération neurologique ; conso. : consommation ; cste de tps : constante de temps ; CT : compressions thoraciques ; DC : débit cardiaque ; DEM : dissociation électromécanique ; ECG : électrocardiogramme ; FEVG : fraction d’éjection du ventricule gauche ; FR : fraction de raccourcissement ; FV : fibrillation ventriculaire ; hippo. : hippocampe ; HT : hypothermie thérapeutique ; HTPréA : hypothermie thérapeutique initiée avant arrêt cardiaque ; HTPostA : hypothermie thérapeutique initiée à la réanimation ; hypo. : hypothermie ; IDM : infarctus du myocarde ; IRM : imagerie par résonance magnétique ; KCl : chlorure de potassium ; LOAP : loss of aortic pulsations ; NORM : normothermie ; Pmax : pression maximale ; PFC : perfluorocarbones ; PPCo : pression de perfusion coronaire ; RACS : reprise d’activité cardiaque spontanée ; RCP : réanimation cardio-pulmonaire ; refr. : refroidissement ; RI : relaxation isovolumique ; RLP : ratio lactate/pyruvate ; SDH : score de dommages histopathologiques ; SDN : score de déficit neuronal ; SjO2 : saturation veineuse jugulaire en oxygène ; T° : température ; Tx : Taux ; anx : animaux ; VG : ventricule gauche ; VLT : Ventilation liquide totale * : p < 0.05 vs. HT ou vs. HT (A) s’il existe plusieurs groupes HT ** : p < 0.05 vs. (D) *** : p < 0.05 vs Gpe 1 ÉTUDE Staffey et al. (2008) MODÈLE ANIMAL ; DURÉE DE L’ARRÊT Porcs, FV ; 11 min NOMBRE D’ANIMAUX 33 : - 11 HT (A) - 11 HT (B) - 11 NORM GROUPE HYPOTHERME - T° - Méthode de refr. - Durée de - Moment du refr. l’hypo. - VLT-PFC, les PFC étant aux températures de - 35°C -15°C et de 33°C pour les groupes - 11 min (A) et (B) respectivement - Dès le début de l’ischémie RÉSULTATS COMMENTAIRES HT NORM (A) (B) Tx de RACS 82 % 73 % 27 %* PPCo (mmHg) 10 10 10 - Influence de la température des PFC sur le RACS : amélioration plus significative du RACS avec des PFC refroidis (-15°C) qu’avec des PFC à 33°C. Tableau 38 (suite) : Bilan des études expérimentales publiées depuis 2008 évaluant le bénéfice apporté par le refroidissement de l’organisme ÉTUDE MODÈLE ANIMAL ; DURÉE DE L’ARRÊT GROUPE HYPOTHERME NOMBRE D’ANIMAUX - Méthode de refr. - Moment du refr. - T° - Durée de l’hypo. RÉSULTATS HT Zhao et al. (2008) Hsu et al. (2009) Souris, KCl ; 8 min Rats, asphyxie ; 6,5 min 45 : - 15 HT (A) - 15 HT (B) - 15 NORM - HT - NORM - Couvertures refroidissantes - 30°C - (A) : après 6,5 min d’ischémie (B) : après 8 min d’ischémie - 15 mL de cristalloïdes refroidis (0°C à 2°C) administrés oralement + ventilateur -1h dP/dtmax (mmHg/s) - 30°C à 31°C - 1,5 h Riter et al. (2009) Porcs, FV ; 11 min 24 : - 8 HT (A) - 8 HT (B) - 8 NORM 235 - 8 min après l’ischémie dP/dt (B) 93 % 53 % 25 % 0 %* 66 % 33 % 0 %* 6000 4500 3800* - 3 min 80 % HT NORM 70 47* Différence significative statistiquement entre les deux groupes et en faveur du groupe HT Tx de survie à4h Tx de survie à 3 jours 82,6 % 38,5 %* 33,3 % 25 %* HT - 35°C NORM (A) 93 % FR à 120 min (%) - Après le RACS - (A) : VLT-PFC (PFC refroidis à -15°C) (B) : perfusion intraveineuse de cristalloïdes refroidis Tx de RACS Tx de survie à 7 jours BRN COMMENTAIRES Amélioration de la contractilité myocardique, du pronostic neurologique et de la survie lors d’hypothermie thérapeutique, qu’elle soit précoce ou retardée. Amélioration de la dysfonction myocardique post-arrêt cardiaque et de la survie suite à l’hypothermie. NORM (A) (B) Tx de RACS 88 % 25 % 12 %* Tx de survie à1h 100 % 100 % 100 % PPCo (mmHg) 14 8 10 - Amélioration du RACS seulement lorsque l’hypothermie est induite par VLT. 236 Tableau 38 (suite) : Bilan des études expérimentales publiées depuis 2008 évaluant le bénéfice apporté par le refroidissement de l’organisme ÉTUDE MODÈLE ANIMAL ; DURÉE DE L’ARRÊT GROUPE HYPOTHERME NOMBRE D’ANIMAUX - Méthode de refr. - Moment du refr. - T° - Durée de l’hypo. RÉSULTATS HT Menegazzi et al. (2009) Nordmark et al. (2009) Porcs, FV ; 8 min Porcs, FV ; 8 min 42 : - 14 HTPréA (A) - 14 HT (B) - 14 NORM 16 : - 8 HT - 8 NORM - Perfusion intraveineuse rapide de cristalloïdes refroidis (30 mL/kg, à 4°C) - (A) : 5 min avant FV (B) : au début de la RCP, soit après 8 min d’ischémie - Perfusion intraveineuse de critalloïdes refroidis (30 mL/kg, 4°C) - 1 min après le début de la RCP, soit après 9 min d’ischémie COMMENTAIRES NORM (A) (B) Tx de RACS 71 % 86 % 43 %* Tx de survie à 20 min 64 % 57 % 36 % (A) = 35,5°C PPCo Non significativement différent ECG Moins détérioré pendant la FV pour le groupe (A) que pour les groupes (B) et NORM (B) = 34°C Tx de RACS - 32 à 34°C -3h Tx de survie à6h % anx avec RLP > 30 SjO2 à 6 h HT NORM 100 % 100 % 100 % 100 % 29 % 88 %* Significativement plus élevée dans le groupe HT - HTPréA : absence d’amélioration du RACS et de la survie mais diminution du seuil de défibrillation (effets électrophysiologiques bénéfiques) et chances de défibrillation efficace plus grandes à la réanimation. - HTPostA : amélioration du RACS mais absence d’amélioration des taux de survie. L’hypo. permet : - de diminuer l’insuffisance énergétique (cf. RLP). - une meilleure oxygénation du cerveau (cf. SjO2). Tableau 38 (suite) : Bilan des études expérimentales publiées depuis 2008 évaluant le bénéfice apporté par le refroidissement de l’organisme - (A) : Cathéter endovasculaire (B) : Perfusion intraveineuse de cristalloïdes refroidis (5 ml/kg/min, 4°C) + après le RACS couvertures refroidissantes et packs de glace (C) : Perfusion intraveineuse de cristalloïdes (5 mL/kg/min, 28°C) (D) : Couvertures refroidissantes + packs de glace - (A), (B), (C) : dès le début de la RCP (D) : après 5 min de RCP - T° - Durée de l’hypo. RÉSULTATS COMMENTAIRES HT NORM - 33°C A B C D Tx de RACS 44 %* 46 : - 9 HT (A) - 11 HT (B) - 8 HT (C) - 9 HT (D) - 9 NORM - Méthode de refr. - Moment du refr. 12,5 %* NOMBRE D’ANIMAUX 54 %* Yannopoulos et al. (2009) Porcs, occlusion artère coronaire ; 5 min GROUPE HYPOTHERME 100 % ÉTUDE MODÈLE ANIMAL ; DURÉE DE L’ARRÊT 67 %* PPCo (mmHg) 21 15 13 20 21 FEVG (%) 32 18* 18 21 23* -±3h - Lorsque l’HT est induite par cathéter endovasculaire, la T° cible est atteinte rapidement, moins de chocs défibrillatoires sont nécessaires pour obtenir un RACS, la dose totale d’adrénaline nécessaire est moins grande, la RCP dure moins longtemps et le cœur est électriquement plus stable. Pas d’avantages quant à la réussite de la RCP en utilisant d’autres techniques de refr. - Diminution significative de la taille de l’IDM et meilleure fonction du VG lors de refr. par cathéter endovasculaire. Meilleure fonction du VG lors de refr. externe que lorsque la méthode de refr. influe avec la volémie 237 238 Tableau 38 (suite) : Bilan des études expérimentales publiées depuis 2008 évaluant le bénéfice apporté par le refroidissement de l’organisme GROUPE HYPOTHERME ÉTUDE MODÈLE ANIMAL ; DURÉE DE L’ARRÊT NOMBRE D’ANIMAUX Albaghdadi et al. (2010) Porcs, asphyxie ; 5 min 20 : - 9 HT - 11 NORM - Méthode de refr. - Moment du refr. - VLT-PFC - 2 min après le LOAP/le début de l’ischémie - T° - Durée de l’hypo. - 36°C - 3 min RÉSULTATS Tx de RACS HT 78 % NORM 45 % PPCo 14 mmHg 14 mmHg HT Janata et al. (2010) Porcs, FV ; 15 min 24 : - 8 HT + CT (A) - 8 HT (B) - 8 NORM - Flush intraaotique de cristalloïdes refroidis (200 mL/kg, 4°C) - 34,5°C - 16 h - Dès le début de la RCP Schwarzl et al. (2011) Porcs, FV ; 5 min 16 : - 8 HT - 8 NORM - Cathéter intravasculaire (ThermoGard) - 10 min après le RACS - 33°C -6h COMMENTAIRES Tx de RACS Tx de survie à 9 jours Performance cognitive SDN à 9 jours SDHcerveau à 9 jours Pmax VG (mmHg) dP/dtmin (mmHg/s) Cste de tps de la RI (ms) Conso. O2 (mL/min) Absence d’amélioration de la survie et de la PPCo suite à l’hypo. NORM (A) 100 % (B) 87,5 % 87,5 % 71,4 % 25 %* 2/5 3/5 3/5 13 % 45 %* 45 % 98 129* 211 50 % HT NORM 93 84 - 811 - 1538* 171 38* 177 268* Amélioration de la dysfonction neurologique et prolongation de la survie après HT et massage cardiaque. Amélioration de la fonction systolique, de l’équilibre entre les besoins et l’apport en oxygène, et diminution de la réponse sympathique après arrêt cardiaque, permis par HT. Tableau 38 (suite) : Bilan des études expérimentales publiées depuis 2008 évaluant le bénéfice apporté par le refroidissement de l’organisme ÉTUDE MODÈLE ANIMAL ; DURÉE DE L’ARRÊT GROUPE HYPOTHERME NOMBRE D’ANIMAUX - Méthode de refr. - Moment du refr. - T° - Durée de l’hypo. RÉSULTATS Tx de survie à 7 jours Che et al. (2011) Rats, asphyxie ; 10 min 210 : - 21 dans chacun des 8 groupes HT - 42 NORM - Ventilateur + spray + patchs thermiques - (A) : 0 min post RACS (B) : 1h post-RACS (C) : 4h post-RACS (D) : 8h post-RACS - 33°C ● Groupe 1 : 24 h ● Groupe 2 : 48 h Tx de survie avec BRN à 7 jours Comptage des neurones pyramidaux en region CA1 de l’hippo. (en % par rapport à la normale) HT vs. NORM Gpe 1 vs. Gpe 2 (A) vs. (B) vs. (C) vs. (D) HT vs. NORM Gpe 1 vs. Gpe 2 (A) vs. (B) vs. (C) vs. (D) HT vs. NORM Gpe 1 vs. Gpe 2 (A) vs. (B) vs. (C) vs. (D) COMMENTAIRES 33 % vs. 17 %* 36 % vs. 30 % 45 %** vs. 36 %** vs. 36 %** vs. 14 % 17 % vs. 2 %* 17 % vs. 17 % 24 %** vs. 24 %** vs. 19 %** vs. 0 % 53 % vs. 9 %* 42 % vs. 68 %*** 53 % vs. 53 % vs. 51 % vs. 65 % Le bénéfice apporté par l’hypothermie sur la fonction neurologique est comparable si l’hypo. est initiée entre 0 et 4h post-RACS, mais disparaît après 4h. Protection neuronale plus grande si l’hypo. est maintenue pendant 48h. 239 240 Tableau 38 (suite) : Bilan des études expérimentales publiées depuis 2008 évaluant le bénéfice apporté par le refroidissement de l’organisme ÉTUDE Chenoune et al. (2011) MODÈLE ANIMAL ; DURÉE DE L’ARRÊT Lapins, FV ; 5 min (Groupe 1) ou 10 min (Groupe 2) GROUPE HYPOTHERME NOMBRE D’ANIMAUX 70 : Groupe 1 - 10 HT - 10 NORM Groupe 2 - 15 HT (A) - 10 HT (B) - 10 VLTNORM - 15 NORM - Méthode de refr. - Moment du refr. - Groupe 1 : VLT Groupe 2 : (A) : VLT-PFC (B) : Perfusion intraveineuse de cristalloïdes refroidis (NaCl 0,9 %, 30mL/kg, 4°C) + couvertures refroidissantes pour (A) et (B) - T° - Durée de l’hypo. Weihs et al. (2012) Porcs, FV; 15 min 24 : - 8 HT - 8 Flush norm - 8 NORM - Dès le début de la RCP COMMENTAIRES Groupe 1 HT NORM Tx de RACS 100 % 100 % 90 % 50 %* 1,3/5 1,8/5* - 34°C Tx de survie à 7 jours Sévérité des lésions cérébrales -3h Groupe 2 HT NORM (A) (B) 66 % 70 % 66 % 70 % 28,6 % 0 %* 1,5/3 2,1/3 2,5/3* HT Flush norm NORM Tx de RACS 37,5 % 37,5 % 0% Tx de survie à 9 jours 100 % 66,6 % - SDN (%) 0, 6, 13 0, 49 - Tx de RACS Tx de survie à 7 jours Sévérité des lésions cérébrales - 10 min après le RACS - Flush intraaortique de cristalloïdes refroidis (30 mL/kg, 4°C) + couvertures refroidissantes RÉSULTATS - 33°C - 16 h Atténuation de la dysfonction myocardique et hémodynamique, de la dysfonction neurologique et prolongation de la survie suite à une HT. T° cible atteinte plus rapidement lors de VLT-PFC. Effets bénéfiques de l’hypo. en relation avec la rapidité du refroidissement. L’injection intraaortique d’un petit volume de cristalloïdes refroidis permet d’atteindre la T° cible rapidement, mais n’apporte aucun bénéfice en termes de survie et de pronostic neurologique. Tableau 38 (suite) : Bilan des études expérimentales publiées depuis 2008 évaluant le bénéfice apporté par le refroidissement de l’organisme ÉTUDE Lee et al. (2012) Zhao et al. (2012) MODÈLE ANIMAL ; DURÉE DE L’ARRÊT Porcs, FV ; 8 min Miniporcs, FV ; 8 min GROUPE HYPOTHERME NOMBRE D’ANIMAUX 10 : - 5 HT - 5 NORM 29 : - 13 HT - 16 NORM - Méthode de refr. - Moment du refr. - Perfusion intraveineuse de cristalloïdes refroidis + couvertures refroidissantes - T° - Durée de l’hypo. RÉSULTATS COMMENTAIRES HT NORM Troponine I 6 h postRACS (ng/ml) 0,29 3,58 - Après le RACS SDHcoeur 6,0 9,0* HT NORM - Cathéter intravasculaire (CoolGard) Tx de survie à 24 h Tx de survie à 72 h SDN à 24 h 75 % 37,5 % 62,5 % 25 % 112,5 230 61 207,5 - 32 à 34°C - 24 h - 33°C - 12 h - Après le RACS SDN à 72 h Ye et al. (2012) Rats, FV; 8 min 24 : - 6 HT2h (A) - 6 HT5h (B) - 6 HT8h (C) -6 NORM - Packs de glace + ventilateur + couvertures refroidissantes - 7 min après le RACS - 33°C -(A) : 2 h (B) : 5 h (C) : 8 h (A) HT (B) (C) Tx de survie à 3 jours (en %) 66,6 16,6 16,6 0 %* SDN 208 425 447 500* FEVG (%) 68 50 50 40* NORM Diminution des lésions myocardiques, augmentation de la concentration en ATP myocardique, limitation des processus apoptotiques grâce à l’hypothermie. Amélioration du pronostic neurologique et de la survie après hypothermie. La protection neurologique est notamment médiée par une inhibition de la réponse inflammatoire. Amélioration des dysfonctions myocardique et neurologique, ainsi que de la survie, notamment après une courte durée d’hypothermie 241 242 Tableau 38 (suite) : Bilan des études expérimentales publiées depuis 2008 évaluant le bénéfice apporté par le refroidissement de l’organisme ÉTUDE MODÈLE ANIMAL ; DURÉE DE L’ARRÊT GROUPE HYPOTHERME NOMBRE D’ANIMAUX - Méthode de refr. - Moment du refr. - T° - Durée de l’hypo. RÉSULTATS COMMENTAIRES HT Darbera et al. (2013) Lapins, occlusion artère coronaire puis FV; 8 min 30 : - 10 HT (A) - 10 HT (B) - 10 NORM - (A) VLT-PFC (PFC à 20°C puis 32°C) (B) : Perfusion intraveineuse de cristalloïdes refroidis (NaCl 0,9 %, 30 mL/kg, 4°C) + couvertures refroidissantes NORM Tx de RACS - 32°C -3h Aire à risques d’infarctus (% du VG) - Après le RACS Tang et al. (2013) Porcs, FV ; 8 min 30 : - 15 HT - 15 NORM - Cathéter intravasculaire - Après le RACS Tx de survie à 7 jours dP/dtmax chez survivants - 33°C - 12h Tx de survie à 3 jours SDN à 3 jours Résultats IRM (A) (B) 100 % 100 % 100 % 80 % 30 % 0 %* 4,9 1,8 5,5 35 34 40 HT NORM 73,3 % 33,3 %* 35 120* En faveur de l’utilisation de l’hypothermie Atténuation des lésions neurologiques, diminution de la taille de l’IDM, prévention de la dysfonction cardiaque et diminution des taux de mortalité après hypothermie par VLT-PFC. La rapidité du refroidissement influe sur les effets cardioprotecteur et neuroprotecteur de l’hypothermie Amélioration de la survie et de la dysfonction neurologique après hypo. Les résultats suivants peuvent être déduits de ces études : - La modalité d’induction de l’hypothermie influe sur les résultats, de même que le moment choisi pour l’induction. Il existe en effet une fenêtre de protection, en-deçà et au-delà de laquelle les effets protecteurs de l’hypothermie sont plus ou moins nuls. Aucune amélioration du taux de RACS n’a ainsi été constatée lorsque l’hypothermie était mise en place avant l’arrêt dans l’étude de Menegazzi et al. (2009), alors que la différence était significative si l’induction se faisait après arrêt. L’hypothermie thérapeutique par VLT s’est également montrée plus efficace pour obtenir un RACS que la perfusion de cristalloïdes refroidis (Riter et al., 2009). La température des PFC peut également influer (Staffey et al., 2008). D’une manière générale, plus la température cible est atteinte rapidement, et plus l’hypothermie est induite de façon précoce suite à l’arrêt cardiaque, meilleurs sont ses effets protecteurs (Yannopoulos et al., 2009 ; Chenoune et al., 2011 ; Darbera et al., 2013). - La durée de la période d’hypothermie est également déterminante. Chez l’Homme, il est actuellement recommandé de l’appliquer pendant une durée variant de 12 à 24 heures (Peberdy et al., 2010), ce qui peut être considéré comme trop long. Dans leur étude, Ye et al. (2012) ont en effet montré que, chez des rats ayant subi un arrêt cardiaque sur fibrillation ventriculaire, et par la suite mis en hypothermie pendant 2 heures, 5 heures ou 8 heures, le taux de survie à 3 jours était amélioré chez les animaux ayant subi le plus court épisode d’hypothermie. Cependant, il a récemment été montré, dans un modèle porcin de fibrillation ventriculaire, que la neuroprotection était plus efficace après 48 heures d’hypothermie qu’après 24 heures, l’apoptose neuronale étant en particulier diminuée (Suh et al., 2014). - L’hypothermie a un effet cardioprotecteur. Elle permet une diminution de la taille de l’IDM dans des modèles d’arrêt cardiaque induit par occlusion d’une artère coronaire (Yannopoulos et al., 2009 ; Darbera et al., 2013), ainsi qu’une amélioration de la dysfonction myocardique post-arrêt cardiaque (Zhao et al., 2008 ; Hsu et al., 2009 ; Chenoune et al., 2011 ; Schwarzl et al., 2011 ; Lee et al., 2012 ; Ye et al., 2012 ; Darbera et al., 2013). Les fonctions systolique et diastolique du myocarde sont ainsi meilleures. - L’hypothermie a un effet neuroprotecteur. Celui-ci est observé lors d’arrêt cardiaque avec rythme choquable (Chenoune et al., 2011 ; Ye et al., 2012 ; Zhao et al., 2012 ; Darbera et al., 2013 ; Tang et al., 2013), mais aussi non choquable (Zhao et al., 2008 ; Che et al., 2011). Si l’hypothermie thérapeutique possède des effets bénéfiques, et si certaines études montrent des taux de RACS améliorée après son application, elle ne peut cependant se substituer aux traitements standards classiques. En particulier lorsqu’elle est mise en place pendant la RCP chez des lapins ne recevant pas d’adrénaline, elle ne permet l’obtention d’un RACS chez aucun animal (Kohlhauer et al., 2014). Elle ne possède ainsi pas d’effet 243 hémodynamique ou vasculaire direct. De même, le massage cardiaque reste indispensable (Janata et al., 2010). Outre l’hypothermie thérapeutique conventionnelle, entraînant un refroidissement de l’ensemble de l’organisme, il existe aussi des méthodes permettant le refroidissement sélectif du cerveau. Les résultats de quelques études expérimentales à ce sujet sont présentés au Tableau 39. 244 Tableau 39 : Bilan des études expérimentales publiées depuis 2008 évaluant le bénéfice apporté par le refroidissement sélectif du cerveau adré. : adrénaline ; CPC : catégorie de performance cérébrale ; déf. : défibrillation ; DEM : dissociation électromécanique ; FEVG : fraction d’éjection du ventricule gauche ; FV : fibrillation ventriculaire ; HT : hypothermie thérapeutique ; hypo. : hypothermie ; NORM : normothermie ; PPCo : pression de perfusion coronaire ; RACS : reprise d’activité cardiaque spontanée ; RCP : réanimation cardiopulmonaire ; refr. : refroidissement ; SDN : score de déficit neuronal ; T° : température ; Tx : taux * : p < 0.05 vs HT ou HT (A) ÉTUDE Guan et al. (2008) Jeung et al. (2008) MODÈLE ANIMAL ; DURÉE DE L’ISCHÉMIE Porcs, FV ; 10 min Chiens, FV ; 9 min GROUPE HYPOTHERME NOMBRE D’ANIMAUX 22 : - 8 HT (A) - 8 HT (B) - 8 NORM 14 : - 7 HT - 7 NORM - Méthode de refr. - Moment du refr. - (A) : Refroidissement transnasal (RhinoChill™) (B) : couvertures refroidissantes - (A) : dès le début de la RCP, soit 10 min après le début de l’ischémie (B) : 2 h après la RCP - Flush de la carotide avec un soluté salé refroidi - 8 min après le début de l’ischémie - T° - Durée de l’hypo. RÉSULTATS HT COMMENTAIRES NORM (A) (B) Tx de survie à 4 j 100 % 86 % 29 %* SDN à 4 j 0 0 400* - 34 à 35°C - (A) : 4 h (B) : 8 h - 35°C - 1 min Tx de RACS Tx de survie à 3 j 245 SDN à 3 j HT NORM 100 % 100 % 72 % 72 % 18 % 42 %* - Effets bénéfiques de l’hypo. sur la survie et le pronostic neurologique quelle que soit la modalité d’induction. - Meilleur taux de survie et meilleur pronostic neurologique après hypo. sélective cérébrale précoce Le refroidissement rapide et sélectif du cerveau permet une amélioration significative du pronostic neurologique 246 Tableau 39 (suite) : Bilan des études expérimentales publiées depuis 2008 évaluant le bénéfice apporté par le refroidissement sélectif du cerveau ÉTUDE Tsai et al. (2008) Brader et al. (2010) MODÈLE ANIMAL ; DURÉE DE L’ISCHÉMIE Porcs, FV ; 10 min Chien, FV; 4 min GROUPE HYPOTHERME NOMBRE D’ANIMAUX 24 : - 8 HT (A) - 8 HT (B) - 8 NORM 12 : - 6 HT - 6 NORM - Méthode de refr. - Moment du refr. - (A) : Refroidissement transnasal (RhinoChill™) (B) : couvertures refroidissantes - (A) : dès le début de la RCP, soit 10 min après le début de l’ischémie (B) : 2 h après le RACS - Packs de glace autour de la tête - Dès le début de l’ischémie - T° - Durée de l’hypo. - 34°C -4 h, ou arrêt du refr. dès atteinte de la température cible pour le groupe (A). 10 h, ou arrêt du refr. dès atteinte de la température cible pour le groupe (B) - 36°C - Jusqu’au RACS RÉSULTATS HT Tx de RACS Tx de survie à 4 j PPCo (mmHg) FEVG Tx de RACS Tx de survie à 24 h SDN à 24 h COMMENTAIRES NORM (A) (B) 100 % 88 % 88 % 100 % 63 % 25 %* 21 20 18 63 % 52 %* 51 %* HT NORM 82 % 82 % 33 % 0% 37 % 62 %* Diminution du nombre de chocs défibrillatoires requis pour obtenir un RACS, et amélioration de la survie et de la dysfonction myocardique post-arrêt cardiaque dans les groupes hypothermes. Bénéfice plus significatif lors de refr. rapide précoce. Meilleur pronostic neurologique lors d’hypo. cérébrale sélective Tableau 39 (suite) : Bilan des études expérimentales publiées depuis 2008 évaluant le bénéfice apporté par le refroidissement sélectif du cerveau ÉTUDE Wang et al. (2010) Yu et al. (2010) Cho et al. (2011) MODÈLE ANIMAL ; DURÉE DE L’ISCHÉMIE Porcs, FV ; 15 min Porcs, FV ; 15 min Porcs, FV/DEM ; 15 min GROUPE HYPOTHERME NOMBRE D’ANIMAUX 16 : - 8 HT - 8 NORM 14 : - 7 HT (A) - 7 HT (B) 16 : - 8 HT - 8 NORM - Méthode de refr. - Moment du refr. - T° - Durée de l’hypo. - Refroidissement transnasal (RhinoChill™) - 34°C - Dès le début de la RCP, soit 15 min après le début de l’ischémie - (A) : Refroidissement transnasal (RhinoChill™) (B) : perfusion de cristalloïdes refroidis (30 mL/kg, 4°C) + couvertures refroidissante pour (A) et (B) - 4 h, ou dès atteinte de la température cible - Non renseigné -4h RÉSULTATS 247 HT NORM 87 % 25 %* 58 % 10 %* 25 16* HT (A) HT (B) Tx de RACS 100 % 28,6 %* Durée RCP 354 sec 728 sec* 30 90* 57,1 % 100 % Entre 0 et 300 ≈ 200 HT NORM 75 % 12 % * 9,3 h 0,1 h* 25 14 * Tx de RACS Tx de déf. réussie PPCo (mmHg) Dose totale d’adré. (µg/kg) Tx de survie à 4 j - Dès le début de la RCP SDN à 4 j - Refroidissement transnasal (RhinoChill™) Tx de RACS Durée de survie PPCo (mmHg) - Dès le début de la RCP. - 36°C à 37°C -4h COMMENTAIRES Amélioration du taux de RACS et de la RCP après refroidissement transnasal Facilitation de la RCP, amélioration des taux de RACS suite à une hypo. par refroidissement transnasal. La perfusion de cristalloïdes refroidis ne permet pas de refroidir suffisamment le cerveau. Amélioration des résultats de la réanimation (RACS, durée de survie, PPCo) suite au refr. transnasal suite à un arrêt cardiaque prolongé 248 Tableau 39 (suite) : Bilan des études expérimentales publiées depuis 2008 évaluant le bénéfice apporté par le refroidissement sélectif du cerveau ÉTUDE Li et al. (2012) MODÈLE ANIMAL ; DURÉE DE L’ISCHÉMIE Porcs, FV ; 10 min GROUPE HYPOTHERME NOMBRE D’ANIMAUX 16 : - 8 HT - 8 NORM - Méthode de refr. - Moment du refr. - Refroidissement transnasal (RhinoChill™) - Dès le début de la RCP - T° - Durée de l’hypo. - 34°C -4h RÉSULTATS Tx de RACS Tx de survie à 4 j CPC à 4 j COMMENTAIRES HT NORM 100 % 87,5 % 100 % 25 % 1 4 Amélioration de la variabilité de la fréquence cardiaque après refroidissement transnasal, associée à une survie prolongée et à un meilleur rétablissement neurologique f. Bilan des études cliniques Malgré les résultats prometteurs obtenus lors des études expérimentales, l’efficacité de l’hypothermie thérapeutique reste controversée chez l’Homme. En effet, les études cliniques montrent des résultats contradictoires. Neuroprotection Dans les deux études premières études cliniques, l’hypothermie permettait une amélioration de la survie et de la fonction neurologique lorsqu’elle était mise en place chez des patients présentant un rythme choquable (Bernard et al., 2002 ; The Hypothermia After Cardiac Arrest Study Group, 2002). Ces résultats ont à nouveau été observés dans des études ultérieures (Walters et al., 2011 ; Nielsen et al., 2013). Cependant, lorsque la victime présente un rythme non choquable, les observations sont plus contradictoires. Si la plupart des études, qu’elles soient randomisées ou non, ont montré un effet neuroprotecteur et une amélioration de la survie, une méta-analyse de ces dernières par Kim et al. (2012) a montré qu’elles comportaient en réalité de nombreux biais et des imprécisions, en particulier à cause de la taille limitée de l’échantillon d’étude. Au vu de cette méta-analyse, les auteurs ont tout de même conclu à une réduction de la mortalité en relation avec le recours à l’hypothermie chez les patients réanimés d’un arrêt cardiaque sur rythme non choquable, mais ils ont aussi suggéré de faire attention lors de l’interprétation des résultats du fait des risques de biais et de preuves insuffisantes. Si l’on considère les plus récentes études, on constate que certaines ont montré que les propritétés neuroprotectrices de l’hypothermie étaient conservées avec ce type de rythme non choquable. C’est le cas par exemple de l’étude rétrospective de Lundbye et al. (2012), portant sur 100 patients victimes d’arrêt cardiaque, et dont le premier rythme détecté à l’ECG était soit une asystolie, soit une dissociation électromécanique. Chez les patients mis en hypothermie pendant 18 heures, il a été montré un effet bénéfique en termes de survie (38 % de survie vs. 19 %) et de récupération neurologique. Les mêmes conclusions ont été observées par Testori et al. (2011) dans leur étude portant sur 374 patients victimes d’arrêt cardiaque sur rythme non choquable : 35 % des patients mis en hypothermie pendant 24 heures présentait ainsi une bonne récupération neurologique, alors que ce n’était le cas que chez 23 % des patients normothermes. En revanche, d’autres études ont montré des résultats contraires. C’est par exemple le cas des études de Dumas et al. (2011) ou de Storm et al. (2012). La première est une étude rétrospective portant sur 1145 patients qui ont été séparés en deux groupes en fonction du rythme initial à l’ECG : choquable ou non choquable. Dans chacun des groupes, certains patients ont été mis en hypothermie pendant 24 heures. Il a ainsi été constaté qu’après un arrêt non choquable, le pourcentage de patients présentant une amélioration de la fonction neurologique après une hypothermie n’était pas amélioré par rapport à ceux n’ayant pas été soumis à une hypothermie (17 % vs. 15 %), alors que c’était le cas si le rythme initial était choquable (44 % vs. 29 %) (Dumas et al., 2011). De la même manière, dans la seconde étude portant sur 175 victimes d’arrêt cardiaque sur rythme non choquable, une amélioration non 249 significative de la récupération neurologique et de la survie a été observée chez les patients soumis à une hypothermie (Storm et al., 2012). L’efficacité de l’hypothermie thérapeutique en termes de survie et de récupération neurologique semble donc bien réelle lorsqu’elle est mise en place suite à un arrêt choquable, alors que les résultats sont plus variables lorsque le rythme est non choquable. Plusieurs raisons peuvent expliquer ces observations : - - - Les arrêts cardiaques sur rythme choquable ont le plus fréquemment une cause cardiaque, alors que l’étiologie des arrêts sur rythme non choquable est bien plus vaste (hypovolémie, sepsis, thrombo-embolie pulmonaire, tamponnade cardiaque…). Ces causes sont souvent associées à de multiples comorbidités, ce qui réduit encore plus les chances de survie du patient, et ce sans tenir compte d’une mise en hypothermie. L’arrêt cardiaque sur rythme non choquable est souvent précédé par un épisode d’hypoxie ou d’hypoperfusion, qui aggrave les dommages neurologiques liés à l’ischémie. L’asystolie représente l’évolution terminale de toutes les arythmies lors d’arrêt cardiaque. Lorsqu’elle est présente, c’est souvent compte tenu d’un intervalle entre l’arrêt et le début de la RCP trop long, ou d’une RCP initiale inefficace. En ce qui concerne les techniques de refroidissement sélectif du cerveau, il va de soi qu’elles sont, pour la plupart, plus pratiques et plus simples à mettre en place, et qu’il paraît donc envisageable de le faire sur le terrain, dès le RACS. Leur efficacité est en cours d’évaluation (Nordberg et al., 2013). Ces techniques permettent en particulier de s’affranchir des effets indésirables de la perfusion de cristalloïdes refroidis qui, lorsqu’ils sont administrés avant l’admission hospitalière, ne permet pas d’améliorer la survie, ni la récupération neurologique (Kim et al., 2014). Cardioprotection L’hypothermie est actuellement très étudiée pour la cardioprotection qu’elle confère dans le cadre de l’IDM. Si les études expérimentales ont montré qu’elle permettait de diminuer la taille de l’infarctus (Tissier et al., 2010), ces résultats n’ont pas été observés dans les deux essais cliniques de grande envergure « Intravascular Cooling Adjunctive to Primary Coronary Intervention » (ICE-IT) et « Cooling as Adjunctive Therapy to Percutaneous Intervention in Patients with Acute Myocardial Infarction » (COOL-MI) (Schwartz et al., 2012). Cependant, il a été constaté qu’une température inférieure à 35°C n’était atteinte que chez 1/3 des patients avant la reperfusion. Chez les patients dont la température descendait sous 35°C en 8 heures, une diminution significative de la taille de l’IDM a en revanche été observée. Si l’effet cardioprotecteur de l’hypothermie est ainsi mis en évidence chez l’Homme, il fait l’objet de très peu d’études cliniques dans le cadre de l’arrêt cardiaque. 250 2. L’érythropoïétine a. Généralités L’érythropoïétine (EPO) est une hormone de nature glycoprotéique, dont le rôle principal est de régir l’érythropoïèse, c’est-à-dire la production d’érythrocytes par la moelle. Sa séquence génétique ayant été déterminée, le gène de l’EPO a pu être cloné en 1985, et à partir de ce dernier, une protéine recombinante humaine (rhEPO) a pu être constituée. Chez l’adulte, l’EPO est principalement synthétisée par le rein, et secondairement par le foie. Ce dernier est le principal lieu de production de l’EPO chez le fœtus. Une baisse de la pression partielle en dioxygène étant à l’origine d’une sécrétion accrue d’EPO, toute situation d’hypoxie entraîne une augmentation de la production de cette hormone. Les récepteurs à l’EPO (rEPO) ont d’abord été identifiés à la surface des cellules souches érythroblastiques, mais ils sont également exprimés au niveau de cellules non hématopoïétiques, en particulier les cellules cardiaques, les cellules endothéliales, les neurones et les astrocytes (Incagnoli et al., 2009). b. L’érythropoïétine lors d’arrêt expérimentales et cliniques cardiaque - études Si l’EPO est principalement connue pour ses effets hématopoïétiques, elle protège également de nombreux organes, et notamment le cœur et le cerveau, contre les lésions d’ischémie-reperfusion. En effet, dans des modèles expérimentaux d’ischémie-reperfusion régionale myocardique et d’occlusion permanente d’une artère coronaire, une diminution de la taille de l’infarctus, ainsi qu’une amélioration de la fonction ventriculaire gauche, ont été constatées suite à l’administration d’EPO (Moon et al., 2003). De même, une diminution des lésions tissulaires au niveau cérébral, ainsi qu’une amélioration de la récupération des fonctions cognitives, ont également été rapportées suite à l’utilisation d’EPO dans un modèle expérimental d’accident vasculaire cérébral (Sirén et al., 2001). Ces observations ont conduit à envisager l’utilisation de l’EPO ou de la rhEPO lors d’arrêt cardiaque. i. Cardioprotection Le mécanisme exact à l’origine des effets cardioprotecteurs observés suite à l’utilisation de l’EPO reste à l’heure actuelle en partie inconnu. Cependant, des études expérimentales impliquant l’utilisation de certains agents pharmacologiques ont permis de mettre en évidence la mise en jeu de plusieurs facteurs. La protection conférée par l’EPO est le résultat d’une cascade complexe d’évènements cellulaires survenant suite à la liaison de l’EPO à son récepteur, comme illustré à la Figure 57 (Joyeux-Faure et al., 2005). En effet, cette fixation provoque l’homodimérisation de rEPO, et par suite, la phosphorylation et l’activation de la Janus Kinase 2 (JAK 2). Ce dernier entraîne à son tour la phosphorylation des tyrosines cytoplasmiques de rEPO, qui deviennent des sites 251 de fixation pour les domaines SH2 de diverses molécules de signalisation. Le signal transducer and activator of transcription 3 (STAT 3), ainsi que STAT 5 et l’IP3-K sont ainsi activés suite à leur fixation aux résidus phosphorylés de rEPO. STAT 5 agit par la suite en se dimérisant, puis en pénétrant dans le noyau et en induisant la transcription de certains gènes cardioprotecteurs, alors que l’IP3-K active l’Akt, inhibant ainsi l’apoptose par inactivation de nombreuses protéines pro-apoptotiques, comme la caspase 9. Les voies de signalisation impliqueraient également la PKC, la voie des MAPK et le facteur NF-κB. Si toutes les protéines médiant la cardioprotection induite par l’EPO demeurent également inconnues, certains médiateurs ont récemment été identifiés. En particulier, les canaux potassiques ATP-dépendants joueraient un rôle conséquent et pourraient être les médiateurs finaux d’une voie impliquant rEPO, la PKC et enfin les MAPK. De même, des canaux potassiques calcium-dépendants, situés sur la membrane interne mitochondriale et sur la membrane sarcoplasmique, pourraient être impliqués. Figure 57 : Représentation schématique des différents voies de signalisation de l'érythropoïétine (d'après Joyeux-Faure et al., 2005) Akt : protéine kinase B ; Canal K(ATP) : canal potassique ATP-dépendant ; Canal K(Ca) : canal potassique calcium-dépendant ; EPO : érythropoïétine ; IP3 : inositol triphosphate ; JAK : Janus Kinase ; MAP : mitogen-activated protein ; PKC : protéine kinase C ; rEPO : récepteur à l’érythropoïétine ; STAT : signal transducer and activator of transcription Un nombre limité d’études expérimentales ont à ce jour montré un effet cardioprotecteur de l’EPO dans un contexte d’arrêt cardiaque. Le Tableau 40 fait l’état de certaines d’entre elles. 252 Tableau 40 : Études expérimentales ayant montré un effet cardioprotecteur de l'érythropoïétine lors de son utilisation dans un contexte d'arrêt cardiaque AC : arrêt cardiaque ; Akt : protéine kinase B ; EPO : érythropoïétine ; ERK : extracellular signal-related kinase ; PAM : pression artérielle moyenne ; PKC : protéine kinase C ; PPCo : pression de perfusion coronaire ; RACS : reprise d’activité cardiaque spontanée ; RCP : réanimation cardio-pulmonaire ; rhEPO : érythropoïétine recombinante humaine ; VG : ventricule gauche ÉTUDE ESPÈCE ÉTUDIÉE TYPE D’ARRÊT CARDIAQUE 253 Singh et al. (2007) Rats Fibrillation ventriculaire Huang et al. (2007) Rats Asphyxie Huang et al. (2008) Rats Asphyxie Incagnoli et al. (2009) Rats Asphyxie Radhakrishnan et al. (2013) Rats Fibrillation ventriculaire BorovnikLesjak et al. (2013) Porcs Fibrillation ventriculaire PROTOCOLE RÉSULTATS EPO plus efficace lorsqu’elle est administrée au début de la RCP qu’avant AC. rhEPO administrée Administrée au début de la RCP, l’EPO améliore l’efficacité de la réanimation 15 min avant AC (PPCo plus élevée pour une profondeur de compression thoracique donnée) ou à la reperfusion ainsi que l’index cardiaque, la fraction d’éjection systolique et l’index de résistance vasculaire systémique. Amélioration de la survie à court terme. EPO administrée 3 Préservation des fonctions systolique et diastolique du VG. min après le RACS Amélioration de la fraction de raccourcissement. Mise en jeu de l’activation des voies de transduction Akt et ERK. EPO administrée Amélioration de la survie. après 6,5 ou 9,5 Amélioration des fonctions systolique et diastolique du VG après la RCP. min d’AC Résultats améliorés après utilisation d’une forte dose d’EPO. rhEPO administrée Amélioration du RACS et de la survie après 3 jours. 15 min avant AC Réanimation facilitée (dose d’adrénaline plus faible). Sans dobutamine : pas d’amélioration de la fonction myocardique ni de la survie suite à l’administration d’EPO ; avec dobutamine : amélioration de la EPO administrée fonction myocardique (index cardiaque et PAM plus élevés). juste avant le Mise en jeu de voies de signalisation intervenant dans la protection massage cardiaque mitochondriale (Akt, PKCε, cytochrome C). Préservation de l’activité du complexe IV de la chaîne respiratoire EPO administrée Diminution de la sidération myocardique post-arrêt, se traduisant par une dans les 8 premières amélioration de la fraction d’éjection et de la fonction systolique du VG ainsi min d’AC que de la perfusion du myocarde. Dans ces études, l’administration d’EPO avant arrêt cardiaque (Incagnoli et al., 2009), pendant l’arrêt (Singh et al., 2007 ; Borovnik-Lesjak et al., 2013 ; Radhakrishnan et al., 2013) ou après le RACS (Huang et al., 2007 ; Huang et al., 2008) a exercé des effets bénéfiques sur la dysfonction myocardique post-arrêt cardiaque. Ces derniers ont été observés aussi bien suite à un arrêt cardiaque sur rythme choquable (Huang et al., 2007 ; Huang et al., 2008 ; Incagnoli et al., 2009) que non choquable (Singh et al., 2007 ; Borovnik-Lesjak et al., 2013 ; Radhakrishnan et al., 2013). En 2009, Grmec et al. se sont appuyés sur les résultats de ces études animales pour montrer un effet bénéfique de l’EPO sur l’efficacité de la RCP chez des patients atteints d’arrêt cardiaque extra-hospitalier. Dans cette étude, un bolus d’EPO était administré à certains patients de façon quasi-concomittante avec l’initiation du massage cardiaque. Chez ces derniers, il a ainsi été observé des valeurs de PEtCO2 plus élevées, suggérant une meilleure efficacité des compressions thoraciques, ainsi que des taux de RACS, de survie à 24 heures et de survie à la décharge hospitalière plus importants. Si ces résultats paraissent prometteurs, ils sont cependant à considérer avec précaution. Plusieurs sources de biais ont en effet été constatés, notamment car l’EPO et la dobutamine ont été administrées de façon non-randomisée. ii. Neuroprotection Les potentialités neuroprotectrices de l’EPO lors d’un épisode ischémique rélèvent de plusieurs arguments (Cariou et al., 2010) : - - la maturation complète du système nerveux central nécessite la production d’EPO et l’expression de rEPO au cours du développement fœtal et embryonnaire ; la production d’EPO et l’expression de rEPO au niveau cérébral sont majoritaires au niveau de zones particulièrement sensibles à l’ischémie, en particulier le cortex et l’hippocampe ; l’hypoxie influence de façon majeure la production d’EPO et l’expression de rEPO. Tout comme les mécanismes cardioprotecteurs, ceux à l’origine des effets neuroprotecteurs ont essentiellement des effets antiapoptotiques, avec l’intervention des voies de signalisation cellulaire JAK 2 et IP3-kinase/Akt. De nombreuses études ont confirmé l’existence d’un rôle neuroprotecteur de l’EPO, que ce soit sur des cultures cellulaires neuronales isolées ou dans des modèles expérimentaux d’ischémie cérébrale focale (Sirén et al., 2001). Parmi les principaux effets observés suite à l’administration de l’EPO, on peut citer la diminution de la taille de l’infarctus cérébral, la réduction de l’apoptose et de l’inflammation neuronales, ainsi que l’atténuation de la libération de glutamate. 254 Toutefois, lorsque l’EPO est utilisée dans un contexte d’arrêt cardiaque, des effets neurologiques bénéfiques significatifs peinent à être mis en évidence dans les études animales. Dans l’étude expérimentale de Huang et al. (2007), une amélioration de la fonction neurologique trois jours après l’arrêt cardiaque asphyxique a ainsi été constatée chez les rats ayant reçu de l’EPO, mais les scores neurologiques entre le groupe témoin et le groupe traité avec de l’EPO ne se sont pas révélés statistiquement différents. Une absence d’effet neuroprotecteur a également été mise en évidence par Popp et al. (2007). Dans leur étude où l’arrêt cardiaque a été induit par fibrillation ventriculaire, aucune différence n’a été montrée en termes de score de déficit neuronal entre le groupe de rats traités avec de l’EPO et le groupe témoin. De la même façon, des lésions neuronales sévères ont été observées à l’histologie de la région CA1 de l’hippocampe chez tous les animaux, avec peu de neurones viables. À ce jour, une seule étude clinique portant sur les éventuels effets neuroprotecteurs de l’EPO a été publiée (Cariou et al., 2008). Il s’agit d’une étude non randomisée, dans laquelle un groupe de patients victimes d’arrêt cardiaque extra-hospitalier a reçu une première dose d’EPO dès le RACS, puis quatre doses supplémentaires à douze heures d’intervalle. Ce groupe a été comparé à un autre groupe de patients, et les deux groupes ont notamment été traités par hypothermie thérapeutique pendant 24 heures. Vingt-huit jours après l’arrêt cardiaque, le taux de survie s’élevait à 55 % dans le groupe traité contre 47,5 % dans le groupe témoin, la différence étant non significative. Le taux de survie avec récupération neurologique optimale, correspondant à un CPC égal à 1, était de 55 % dans le groupe traité contre 37,5 % dans le groupe témoin, avec là encore une différence non significative. Des effets secondaires ont été observés, parmi lesquels des thrombocytoses et des thromboses artérielles, et certains de ces effets étaient plus fréquemment observés dans le groupe traité avec de l’EPO que dans le groupe témoin. D’autres études cliniques sont en cours. Un essai randomisé et contrôlé de grande ampleur de phase III s’intéresse actuellement, en France, au rôle potentiellement neuroprotecteur de l’EPO lorsqu’elle est administrée à des survivants d’arrêt cardiaque 60 jours après le RACS. En Australie et en Nouvelle-Zélande, d’autres études sont également réalisées, et testent si l’EPO pourrait faciliter la récupération neurologique de patients atteints de lésion cérébrale traumatique (Charalampopoulos et Nikolaou, 2011). 255 C. Le préconditionnement et le postconditionnement ischémiques 1. Le préconditionnement ischémique a. Généralités Le préconditionnement ischémique est un puissant mécanisme de protection endogène par lequel un ou plusieurs brefs épisodes d’ischémie augmentent la tolérance d’un ou de plusieurs organes vis-à-vis des lésions pouvant survenir lors d’une ischémie-reperfusion prolongée ultérieure. Ce phénomène a pour la première fois été démontré par Murry et al. en 1986. Ces auteurs ont constaté une importante atténuation des lésions d’ischémie-reperfusion, en particulier de la taille de l’IDM, lorsque l’occlusion d’une artère coronaire pendant quarante minutes (épisode ischémique appelé « ischémie princeps ») était précédée de quatre épisodes de cinq minutes d’occlusion de cette même artère/cinq minutes de reperfusion (Penna et al., 2013). Ils ont par ailleurs découvert que cette protection était due à un retard dans la survenue de la déplétion en ATP et de la nécrose cellulaire, à une diminution de la consommation d’oxygène et à une rétention des structures intracellulaires (Sanada et al., 2011). La découverte ayant été faite chez le chien, le même phénomène a pu être reproduit dans d’autres espèces, telles que la souris, le rat, le lapin, le chat, le mouton, le singe et même l’Homme. Outre l’application d’une ischémie myocardique régionale par occlusion d’une artère coronaire, le préconditionnement ischémique peut également se faire à distance. En effet, il a été montré que l’ischémie brève d’un organe, tel que le rein, le tube digestif ou le muscle squelettique, pouvait également conférer une cardioprotection (Heusch et al., 2012). Si au départ, Murry et al. pensaient que la protection apportée par le préconditionnement ischémique était d’autant plus importante que la durée entre la fin de la dernière brève période d’ischémie et le début de l’ischémie princeps était courte, il a en réalité été montré que le préconditionnement conférait deux fenêtres de protection, comme illustré à la Figure 58 (Penna et al., 2013) : - - 256 La première se met en place dans les secondes qui suivent le stimulus préconditionnant, et dure environ trois heures. On parle de préconditionnement précoce. Ainsi, lorsque la durée séparant le stimulus préconditionnant (alternance de brèves séquences d’ischemie-reperfusion) de l’ischémie princeps dépasse trois heures, la protection disparaît. Il s’ensuit donc une période de vulnérabilité de quelques heures, avant l’apparition d’une deuxième fenêtre de protection douze heures après le stimulus préconditionnant. Cette protection peut durer trois à quatre jours : c’est le préconditionnement tardif. Figure 58 : Représentation schématique des deux fenêtres de protection conférées par le préconditionnement (adapté d'après Penna et al., 2013) En gris : ischémie b. Mécanismes La découverte des mécanismes protecteurs sous-jacents s’est révélée plus compliquée, et les données demeurent encore incomplètes trois décennies plus tard. Il semblerait que le préconditionnement précoce et le préconditionnement tardif impliquent des mécanismes différents. Ainsi, le préconditionnement ischémique précoce fait plutôt intervenir des réactions rapides, comme l’activation de canaux ioniques, la phosphorylation/activation d’enzymes préexistantes ou la translocation de substances, alors que le préconditionnement ischémique tardif implique des réactions qui mettent plus de temps, comme des néo-synthèses protéiques, en particulier des protéines canal ou des récepteurs, des enzymes, des protéines chaperonnes ou des neurotransmetteurs (Sanada et al., 2011). L’adénosine constitue l’un des stimuli les plus importants (Mar n-Garc a et Goldenthal, 2004 ; Sanada et al., 2011 ; Penna et al., 2013). Elle est produite en grande quantité au cours d’une ischémie myocardique du fait du métabolisme de l’ATP, et il a été montré que l’administration d’antagonistes du récepteur à l’adénosine empêchait la cardioprotection induite par un préconditionnement ischémique. Sa fixation à son récepteur couplé à une protéine G entraîne l’activation de la phospholipase C et la production de diacylglycérol (DAG), qui à son tour stimule la PKC. Parallèlement, d’autres ligands, comme les opioïdes, la bradykinine, l’acétylcholine et l’endothéline, peuvent se lier à des récepteurs couplés à une protéine G, et intervenir dans le mécanisme cardioprotecteur du préconditionnement ischémique, notamment par l’activation d’autres voies de signalisation impliquant des cascades PKC-dépendantes, tyrosine-kinase-dépendantes ou IP3Kdépendantes. Tous ces mécanismes convergeraient vers la mitochondrie et réguleraient en particulier l’ouverture des canaux potassiques mitochondriaux, comme illustré à la Figure 59. 257 La cardioprotection est également permise par l’augmentation de la production mitochondriale d’espèces réactives de l’oxygène et par la modulation de l’entrée calcique mitochondriale, de l’ouverture du PPTm et de l’activité de la chaîne de transport des électrons (Mar n-Garc a et Goldenthal, 2004). Figure 59 : Représentation schématique des évènements cellulaires impliqués dans le préconditionnement ischémique précoce (d'après Mar n-Garc a et Goldenthal, 2004) AMP : adénosine monophosphate ; ATP : adénosine triphosphate ; CTE : chaîne de transfert des électrons ; ERO : espèces réactives de l’oxygène ; IP3 : inositol triphosphate ; MAP : mitogen-activated protein ; Mito K(ATP) : canal potassique ATP-dépendant mitochondrial ; PKC : protéine kinase C ; Sarc K(ATP) : canal potassique ATP-dépendant sarcoplasmique ; Pour ce qui est du préconditionnement ischémique tardif, les stimuli, les récepteurs et les cibles sont globalement identiques à ceux impliqués dans la première fenêtre de protection. Les différentes voies de signalisation sont cependant plus complexes, comme l’illustre la Figure 60. En effet, contrairement au préconditionnement précoce, elles font intervenir le monoxyde d’azote et sa synthase, des protéines de choc thermique et des cytokines. Certains effecteurs doivent être entièrement synthétisés, ce qui implique une régulation coordonnée de nombreux gènes. 258 Figure 60 : Représentation schématique des évènements cellulaires impliqués dans le préconditionnement ischémique tardif (d'après Mar n-Garc a et Goldenthal, 2004) CTE : chaîne de transfert des électrons ; eNOS : monoxyde d’azote synthase endothéliale ; ERO : espèces réactives de l’oxygène ; HSP : protéine de choc thermique ; IL : interleukine ; MAPK : mitogen-activated protein kinase ; Mito K(ATP) : canal potassique ATP-dépendant mitochondrial ; MnSOD : manganèse superoxyde dismutase ; NFκB : nuclear factor kappa B ; NO : monoxyde d’azote ; PKC : protéine kinase C ; TNF : tumor necrosis factor Quelle que soit la fenêtre de protection, le préconditionnement ischémique exerce ses effets protecteurs lors de la reperfusion, en ciblant les cellules qui demeurent intactes suite à l’ischémie, mais qui sont destinées à mourir consécutivement à l’ouverture du PPTm. Comme le montre la Figure 61, on distingue ainsi plusieurs phases : - - une phase de déclenchement, au cours de laquelle les ligands se fixent aux différents récepteurs, déclenchant ainsi des cascades de signalisation menant à l’activation de la PKC ou d’autres kinases ; une phase intermédiaire, correspondant à l’épisode d’ischémie prolongée. Les kinases activées persistent en tant que « mémoire » ; la phase de reperfusion, pendant laquelle une transduction du signal s’effectue et aboutit à une protection, notamment en prévenant l’ouverture du PPTm. 259 Figure 61 : Séquence des évènements lors de préconditionnement ischémique (adapté d'après Penna et al., 2013) En gris : ischémie Ade : adénosine ; Akt : protéine kinase B ; Brad : bradykinine ; eNOS : monoxyde d’azote synthase endothéliale ; ERO : espèces réactives de l’oxygène ; ERN : espèces réactives de l’azote ; GSK : glycogène synthase kinase ; IP3K : inositol triphosphate kinase ; JAK : Janus Kinase ; mK(ATP) : canal potassique ATP-dépendant mitochondrial ; PKC : protéine kinase C ; PKG : protéine kinase G ; PPTm : pore de perméabilité de transition mitochondrial ; RISK : reperfusion injury salvage kinase ; SAFE : survivor activating factor enhancement ; STAT : signal transducer and activator of transcription 2. Le postconditionnement ischémique a. Généralités Le postconditionnement ischémique consiste à appliquer de brèves périodes d’ischémie en alternance avec de courtes périodes de reperfusion dès le début de la reperfusion qui suit une ischémie prolongée, comme illustré à la Figure 62. Il confère une cardioprotection similaire au préconditionnement ischémique, et est beaucoup plus facilement applicable que ce dernier en situation clinique (Sanada et al., 2011). Figure 62 : Protocole de postconditionnement ischémique (adapté d'après Penna et al., 2013) En gris : ischémie 260 Ce phénomène a été découvert par Zhao et al. en 2003. Sur un cœur de chien, ils ont observé qu’appliquer trois épisodes de trente secondes de reperfusion/trente secondes d’ischémie immédiatement après soixante minutes d’occlusion coronaire réduisait de façon drastique les lésions de reperfusion (Penna et al., 2013). Pour avoir un rôle protecteur efficace, le postconditionnement nécessite toutefois d’être appliqué dans certaines conditions (Sanada et al., 2011) : - - - La durée de l’ischémie princeps doit être suffisamment longue. En effet, une réduction de la taille de l’IDM n’est observée que si le postconditionnement se fait après une ischémie princeps de 45 minutes ou plus in vivo. Le postconditionnement aggrave les lésions d’ischémie-reperfusion si l’ischémie princeps dure moins de 30 minutes. L’intervalle de temps entre l’ischémie princeps et le début des stimuli postconditionnants doit être suffisamment court. Une cardioprotection peut ainsi être obtenue si cet intervalle est de moins d’une minute, mais l’effet protecteur disparaît au-delà chez les rongeurs. Toutefois, il peut encore être présent après 3 minutes dans des modèles animaux de plus grand format et chez l’Homme. Le nombre et la durée des épisodes d’ischémie/reperfusion conditionnent également l’effet cardioprotecteur. Ainsi, in vivo, il a été montré qu’au moins trois cycles d’ischémie/reperfusion permettaient cet effet, et que l’application de cycles supplémentaires ne conférait pas une plus grande protection. De même, des périodes variant de 10 secondes à une minute semblent optimales pour limiter l’infarctus, avec des durées plus courtes pour des animaux de petit format. b. Mécanismes De façon plus évidente que pour le préconditionnement ischémique, le postconditionnement est un mécanisme qui exerce ses effets protecteurs au cours de la reperfusion et cible le même type de cellules, à savoir celles qui mourront en cas de formation et d’ouverture du PPTm. Comme il a été mentionné ci-dessus, la procédure de postconditionnement doit démarrer dans la minute qui suit l’ischémie prolongée, et de brefs épisodes ischémiques de moins d’une minute doivent être répétés plusieurs fois, pendant une durée totale de plusieurs minutes. Le préconditionnement ischémique ne nécessitant pas le respect de plages de temps aussi strictes que le postconditionnement, il semble raisonnable de penser que les mécanismes impliqués dans ces deux processus diffèrent. En particulier, les courtes périodes ischémiques du postconditionnement appliquées en début de reperfusion doivent activer des déclencheurs ou médiateurs à l’origine d’une cardioprotection instantanée, l’activation des effecteurs finaux du préconditionnement pouvant se faire en une durée plus longue (soit au cours de l’ischémie prolongée, soit à la reperfusion). Comme l’illustre la Figure 63, la cardioprotection est ainsi permise par : - L’acidose qui persiste de façon transitoire après la période d’ischémie prolongée (Sanada et al., 2011). Les courts épisodes ischémiques retardent la normalisation du 261 - pH, atténuant ainsi les concentrations calciques intracellulaires et la production d’espèces réactives de l’oxygène, et différant la formation et l’ouverture du PPTm. Cela permet l’activation de voies de signalisation protectrices par les espèces réactives de l’oxygène. L’activation des voies reperfusion injury salvage kinase (RISK) et survivor activating factor enhancement (SAFE), qui peut se réaliser après une courte période d’ischémie (Sanada et al., 2011 ; Penna et al., 2013). Elle aboutit à la phosphorylation de la PKCε et de la glycogen synthase kinase 3β (GSK-3β), permet ainsi l’ouverture des canaux potassiques mitochondriaux et inhibe également l’ouverture du PPTm. Figure 63 : Séquence des évènements lors de postconditionnement ischémique (adapté d'après Penna et al., 2013) En gris : ischémie Akt : Protéine kinase B ; eNOS : monoxyde d’azote synthase endothéliale ; ERO : espèces réactives de l’oxygène ; ERN : espèces réactives de l’azote ; IP3K : inositol triphosphate kinase ; JAK : Janus Kinase ; GSK : glycogène synthase kinase ; mK(ATP) : canal potassique ATP-dépendant mitochondrial ; PKC : protéine kinase C ; PKG : protéine kinase G ; PPTm : pore de perméabilité de transition mitochondrial ; RISK : reperfusion injury salvage kinase ; SAFE : survivor activating factor enhancement ; STAT : signal transducer and activator of transcription 3. Transposition au contexte clinique La survenue d’un infarctus aigü du myocarde ou d’un arrêt cardiaque n’étant pas prévisible, le recours au préconditionnement ischémique dans de tels contextes cliniques n’est souvent pas envisageable, les patients étant dans une grande majorité des cas diagnostiqués alors que le myocarde subit une période d’ischémie prolongée. Si ce mécanisme de protection pourrait toutefois être appliqué lors d’interventions planifiées, par exemple lors de chirurgies cardiaques, ces dernières sont aujourd’hui réalisées sous anesthésie et cardioplégie, qui procurent déjà une certaine cardioprotection, et le bénéfice apporté par l’utilisation d’autres traitements supplémentaires est controversé. 262 Du fait de la découverte de certains « effecteurs finaux du préconditionnement » et de certains « contributeurs au postconditionnement », la plupart des stratégies thérapeutiques concernant le conditionnement du myocarde sont testées chez l’Homme à la reperfusion avec des susbtances pharmacologiques dont le rôle est avéré. Cependant, très peu d’essais cliniques ont à ce jour montré une cardioprotection suffisante (Sanada et al., 2011). En ce qui concerne le postconditionnement ischémique, un très grand nombre d’études expérimentales ont confirmé son efficacité en termes de réduction de la taille de l’infarctus. Elle a en effet d’abord été prouvée chez le chien, puis confirmée ensuite chez la plupart des espèces, les animaux étant jeunes et en bonne santé (Skyschally et al., 2009). Récemment, deux études expérimentales ont intégré le postconditionnement ischémique à des protocoles de RCP standards après arrêt cardiaque par fibrillation ventriculaire, et ont montré une amélioration des fonctions cardiaque et neurologique pour les animaux traités ainsi (Segal et al., 2012 ; Yannopoulos et al., 2013). De nombreuses études cliniques ont par la suite vu le jour. Une grande majorité d’entre elles ont ainsi montré que le postconditionnement ischémique permettait, comme chez l’animal, une réduction de la taille de l’infarctus (Heusch, 2012). Cependant, deux études récentes, dans lesquelles l’algorithme traditionnel de postconditionnement ischémique a été utilisé, à savoir quatre cycles d’une minute d’occlusion/reperfusion, n’ont pas montré de protection. En effet, aucune diminution de la libération de créatine kinase et de troponine, et aucune réduction de la taille de l’infarctus évalué par IRM, n’ont été observées (Sörensson et al., 2010 ; Freixa et al., 2012). En réalité, le postconditionnement ischémique tel qu’il a été caractérisé dans les études animales est un phénomène de protection endogène du cœur sain. Sa transposition au contexte clinique n’est pas si facile, car chez l’Homme, des nombreux facteurs atténuent ou suppriment la protection conférée par le postconditionnement ischémique. Elle diminue par exemple avec l’âge. De même, certaines comorbidités fréquemment identifiées chez les patients atteints d’infarctus aigü du myocarde sont associées à une perte de protection par le postconditionnement ischémique, comme l’hypercholestérolémie, le diabète, l’obésité, l’hypertension, et certains médicaments comme les β-bloquants, les statines ou les antidiabétiques. À l’inverse, d’autres molécules augmentent la protection. Toute transposition clinique doit donc être minutieuse, et la connaissance plus approfondie des mécanismes protecteurs sous-jacents, notamment en termes de transduction du signal, permettra probablement une meilleure utilisation du postconditionnement ischémique en clinique. 263 De nombreuses stratégies thérapeutiques possèdent un effet cardioprotecteur et/ou neuroprotecteur. Lorsqu’elles sont mises en place suite à un arrêt cardiaque, ces effets sont souvent observés dans les modèles expérimentaux, mais peinent à être démontrés dans les études cliniques. À l’heure actuelle, seule l’hypothermie thérapeutique est recommandée par les guidelines pour ses effets cardioprotecteurs, mais surtout neuroprotecteurs. 264 CONCLUSION Grâce aux nombreuses recherches biomédicales réalisées ces dernières années sur l’arrêt cardiaque et la réanimation cardio-pulmonaire, et grâce aux modèles animaux, une compréhension plus fine des mécanismes physiopathologiques de l’arrêt cardiaque a été rendue possible. La recherche de nouvelles stratégies thérapeutiques demeure néanmoins un point clé au vu du faible taux de survie à court et moyen terme. Certaines approches visent une amélioration de la qualité de la RCP à l’aide d’agents pharmacologiques. Ceux-ci sont destinés à favoriser le RACS. Ils permettent d’augmenter les débits sanguins coronaire et cérébral, ou favorisent une stabilité électrique et mécanique du cœur. D’autres approches se focalisent plutôt sur l’amélioration de la survie à long terme et de la qualité de vie des patients. La plupart de ceux chez lesquels un RACS est obtenu développent par la suite un syndrome post-arrêt cardiaque, qui se caractérise en particulier par une dysfonction myocardique et une défaillance neurologique, mais aussi par un syndrome de réponse inflammatoire systémique et une défaillance multiorganique. De plus en plus d’études suggèrent que chacun de ces composants sont potentiellement traitables. Certaines stratégies permettent ainsi de protéger le cœur contre les lésions d’ischémie-reperfusion, alors que d’autres ont plutôt une action protectrice vis-à-vis de la fonction neurologique, comme l’hypothermie thérapeutique. Cependant, beaucoup de contradictions entre les résultats des différentes études persistent, et certains constats jusqu’alors indéniables, comme l’efficacité de l’adrénaline pour obtenir un RACS ou celle de l’hypothermie à 33°C pour améliorer la survie et la récupération neurologique, sont aujourd’hui remis en question. C’est pourquoi les recherches sur l’arrêt cardiaque et la réanimation cardio-pulmonaire doivent continuer. 265 266 BIBLIOGRAPHIE ABU-LABAN RB, CHRISTENSON JM, INNES GD, VAN BEEK CA, WANGER KP, MCKNIGHT RD et al. (2002). Tissue plasminogen activator in cardiac arrest with pulseless electrical activity. New Engl. J. Med., 346(20), 1522–1528. ADABAG AS, LUEPKER RV, ROGER VL, GERSH BJ. (2010). Sudden cardiac death: epidemiology and risk factors. Nat. Rev. Cardiol., 7(4), 216–225. ADRIE C, ADIB-CONQUY M, LAURENT I, MONCHI M, VINSONNEAU C, FITTING C et al. (2002). Successful cardiopulmonary resuscitation after cardiac arrest as a ‘sepsis-like’ syndrome. Circulation, 106(5), 562–568. ADRIE C, LAURENT I, MONCHI M, CARIOU A, DHAINAOU J, SPAULDING C. (2004). Postresuscitation disease after cardiac arrest: a sepsis-like syndrome? Curr. Opin. Crit. Care, 10(3), 208–212. ADRIE C, MONCHI M, LAURENT I, UM S, YAN SB, THUONG M et al. (2005). 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Malgré les recherches biomédicales entreprises depuis plusieurs décennies, les taux de survie restent faibles et le pronostic est réservé, que ce soit chez l’Homme ou les carnivores domestiques. La reprise d’une activité cardiaque spontanée est rarement observée, et ce même si la réanimation est optimale, et la survie à long terme est, quant à elle, conditionnée par les conséquences du syndrome post-arrêt cardiaque, en particulier la récupération neurologique. La nécessité de développer des stratégies thérapeutiques efficaces est donc indispensable, et passe par l’utilisation de modèles animaux. Chez ces derniers, il est effectivement possible de reproduire un arrêt cardiaque choquable ou non choquable, et de se rapprocher ainsi des situations cliniques observées chez l’Homme. Grâce aux études expérimentales, les principaux facteurs à l’origine des lésions d’ischémie-reperfusion et de la défaillance multiviscérale qui font suite à l’arrêt cardiaque ont pu être identifiés. Ces études ont ainsi permis de développer tout un arsenal thérapeutique, visant à faciliter la reprise d’activité cardiaque spontanée, ou à visée cardioprotectrice ou neuroprotectrice. Si chaque traitement fait d’abord l’objet d’une étude expérimentale, les éventuels effets bénéfiques mis en évidence ne sont pourtant pas forcément identifiés dans les études cliniques ultérieures. À l’heure actuelle, seule l’hypothermie thérapeutique a montré un bénéfice en ce qui concerne la survie à long terme et la récupération neurologique. MOTS-CLÉS : ARRÊT CARDIAQUE / CARDIOPROTECTION / HYPOTHERMIE / THÉRAPEUTIQUE / NEUROPROTECTION / RÉANIMATION CARDIO-PULMONAIRE / SYNDROME POST-ARRÊT CARDIAQUE / MODÈLE ANIMAL / MÉDECINE HUMAINE / MÉDECINE VÉTÉRINAIRE JURY : Président : Pr. Directeur : Pr. TISSIER Assesseur : Dr. ZILBERSTEIN COMPARATIVE AND SYSTEMATIC STUDY OF DIFFERENT ANIMAL MODELS OF CARDIAC ARREST AND MAIN THERAPEUTIC APPROACHES FOR HUMAN MEDICINE AND FOR VETERINARY MEDICINE SURNAME: BLONDEL Given name: Margaux SUMMARY: Nowadays, cardiac arrest constitutes a real scourge. Despite biomedical research that have been undertaken over decades, survival rates remain low and prognosis is uncertain for both human beings and domestic carnivores. Return of spontaneous circulation is rarely observed, even if resuscitation was optimal, and long term survival is determined by the consequences of the post-cardiac arrest syndrome, in particular neurological recovery. The need to develop effective therapeutic strategies is therefore essential, and is based on the use of animal models. Indeed, it is possible to reproduce in these models a shockable or anon-shockable cardiac arrest, and thus to get closer to human clinical situations Thanks to experimental studies, it has been possible to identify the main factors responsible for ischemia-reperfusion damages and for multivisceral failure following cardiac arrest. These studies on animal models have enabled the development of different treatments, aimed at facilitating the return of spontaneous circulation, or at ensuring cardioprotection or neuroprotection. If each treatment is first tested in an experimental study, the potential beneficial effects discovered may not be identified in later clinical studies. At present, therapeutic hypothermia is the only treatment which has shown a beneficial effect on long term survival and on neurological recovery. KEY WORDS: CARDIAC ARREST / CARDIOPROTECTION / HYPOTHERMIA / THERAPY / NEUROPROTECTION / CARDIOPULMONARY RESUSCITATION / POSTCARDIAC ARREST SYNDROME / ANIMAL MODEL / HUMAN MEDICINE / VETERINARY MEDICINE JURY : President : Pr. Director : Pr. TISSIER Assessor: Dr. ZILBERSTEIN