MISE AU POINT Infarctus après une chirurgie cardiaque Myocardial infarction after cardiac surgery N. Al-Attar*, T. Bourguignon*, S. Alkhoder*, C. Radu*, R. Raffoul*, P. Nataf* N. Al-Attar * Service de chirurgie cardiaque, hôpital Bichat-Claude-Bernard, Paris. L’ infarctus du myocarde (IDM) périopératoire concerne 2 à 15 % des patients qui subissent une chirurgie cardiaque. Il est associé à une augmentation des coûts et de la durée de séjour hospitalier, ainsi qu’à une diminution de la survie à court et à long terme (1-3). Hors du contexte chirurgical, le diagnostic de l’IDM repose sur un faisceau d’arguments : symptômes cliniques, élévation des biomarqueurs cardiaques spécifiques et modifications de l’électrocardiogramme (ECG). Dans les suites d’une chirurgie cardiaque, le diagnostic d’IDM peut être bien plus difficile à établir. Même en l’absence de complication ischémique périopératoire avérée, des modifications électriques et une élévation des biomarqueurs cardiaques au-delà des niveaux retenus pour le diagnostic de l’IDM dans la population générale sont fréquemment observées (1). En 2007, un groupe de travail réunissant l’American College of Cardiology, l’American Heart Association, la Société européenne de cardiologie et la World Heart Tableau I. Classification clinique des différents types d’infarctus du myocarde (4). Type 1 IDM dû à un événement coronarien primaire tel que l’érosion, la rupture, la fissure ou la dissection d’une plaque Type 2 IDM par ischémie secondaire à une demande accrue ou à un apport réduit d’oxygène (spasme des artères coronaires, embolie coronaire, anémie, arythmies, hypertension ou hypotension) Type 3 Mort cardiaque subite imprévue, incluant l’arrêt cardiaque, souvent avec des symptômes suggérant une ischémie myocardique, accompagnés d’un sus-décalage du segment ST présumé nouveau, d’un nouveau BBG ou d’une preuve d’un nouveau thrombus dans une artère coronaire décelé à l’angiographie et/ou à l’autopsie ; mais la mort survient avant que l’on ait pu obtenir des échantillons de sang, ou avant l’apparition des biomarqueurs cardiaques dans le sang Type 4a IDM lié à une intervention coronarienne percutanée Type 4b IDM lié à une thrombose intrastent documentée par angiographie ou à l’autopsie Type 5 IDM faisant suite à une complication d’un PAC 14 | La Lettre du Cardiologue • n° 456 - juin 2012 Federation, a élaboré un document de consensus pour la Définition universelle de l’infarctus du myocarde. Ce document souligne l’importance de l’association d’une élévation des biomarqueurs à des symptômes cliniques, à des modifications de l’ECG, ou à une confirmation par l’imagerie (4). Malgré un manque de preuves à l’appui, le groupe de travail a retenu pour les IDM postopératoires une élévation des biomarqueurs à plus de 5 fois la limite supérieure de la normale (LSN) du laboratoire, dans les 72 premières heures après la chirurgie, associée à l’apparition de nouvelles ondes Q pathologiques ou d’un bloc de branche gauche (BBG). Néanmoins, les recommandations du comité de consensus n’ont pas été systématiquement validées et leur généralisation à la population des opérés cardiaques reste discutable (5, 6). Classification clinique des différents types d’infarctus du myocarde Les IDM peuvent être classés en 5 catégories, selon leur physiopathologie et la présence ou non d’un antécédent d’intervention coronarienne percutanée ou d'un pontage aortocoronarien (PAC) [tableau I]. L’IDM qui survient au décours d’un PAC est ainsi classé comme type 5. Facteurs favorisant les infarctus postopératoires en chirurgie cardiaque Les comorbidités préopératoires et les facteurs de risque cardiovasculaire sont les facteurs déterminants des complications postopératoires en Points forts » L’infarctus du myocarde (IDM) postopératoire concerne 2 à 15 % des patients qui subissent une chirurgie cardiaque. » Il est défini par une augmentation des biomarqueurs 5 fois supérieure au 99e percentile au cours des 72 premières heures après l’opération et par l’apparition de nouvelles ondes Q pathologiques ou d’un nouveau bloc de branche gauche ; ou bien par l’occlusion nouvelle d’une artère coronaire native ou d’un greffon vasculaire documentée par une coronarographie, ou encore par la preuve d’une nouvelle perte de myocarde viable à l’examen d’imagerie. chirurgie de revascularisation myocardique. La présence d’épisodes d’ischémie peropératoire, notamment avant la mise en route de la circulation extracorporelle (CEC), est un facteur de risque majeur d’infarctus postopératoire. Ces épisodes sont souvent aggravés par des modifications hémodynamiques survenant après la chirurgie, telles la tachycardie, l’hypotension et l’anémie. La persistance d’anomalies de la contraction segmentaire du ventricule gauche (VG) après revascularisation est un facteur de risque directement lié à la survenue d’un infarctus postopératoire (7). Dans une étude portant sur des revascularisations à cœur battant, V.A. Moisés et al. ont montré que 71 % des complications cardiaques postopératoires survenaient chez des patients qui, au moment de la chirurgie, n’avaient pas encore récupéré de leur syndrome coronarien aigu, c’est-à-dire qu'ils présentaient des anomalies segmentaires avant la chirurgie. A contrario, aucune complication n’est enregistrée chez ceux qui ont une contractilité segmentaire normale (8). Les facteurs de risque préopératoire sont résumés dans le tableau II. Mécanismes des infarctus postopératoires Il existe un traumatisme myocardique direct dû à la dissection des artères coronaires et aux manipulations du cœur. Une protection myocardique déficiente pendant la procédure peut également entraîner une ischémie globale ou régionale. Par ailleurs, les événements microvasculaires liés à la reperfusion, ainsi que les lésions myocardiques Mots-clés Infarctus du myocarde Postopératoire Chirurgie Pontage coronaire induites par la génération de radicaux libres d’oxygène et l’ischémie qui persiste au niveau du myocarde non revascularisé (car non revascularisable) sont autant de causes potentielles de lésions myocardiques (10-12). En postopératoire, la majorité des nécroses myocardiques sont ainsi associées à des nécroses d’étendue limitée (4) qui ne reflètent pas toujours une atteinte de la macrocirculation, mais plutôt des atteintes de la microcirculation dans des zones sous-endocardiques, entrant dans le cadre général de la dysfonction endothéliale. Ces lésions ischémiques minimes ne sont généralement pas systématisées aux territoires coronariens, bien que leur distribution dans le myocarde soit souvent orientée par les sténoses coronaires préexistantes, comme cela a été démontré par des études d’imagerie par résonance magnétique postopératoire (13). Highlights Diagnostic Keywords Le diagnostic de l’IDM postopératoire peut s’avérer très difficile. Il existe un large spectre de lésions, allant de l’ischémie transitoire vers la lésion réversible jusqu’à la nécrose transmurale. L’application simple des éléments diagnostiques classiques (douleur angineuse typique, modification électrocardiographique et élévation des taux sériques de troponine et de créatinine kinase [CK]-MB) en période postopératoire, aboutirait à la non-détection de nombreux événements d’origine coronaire. En effet, les symptômes peuvent être masqués après l’intervention par la prise d’antalgiques (ischémie silencieuse), les ondes Q peuvent être absentes et » Perioperative Myocardial Infarction (MI) occurs in 2-15% of patients after cardiac surgery. It leads to reduced survival, longer hospital stays and greater hospital costs. » Biomarker values above 5 times the 99th percentile of the normal reference range during the initial 72 hrs following CABG, associated with new pathological Q-waves or new LBBB, or angiographically documented new graft or native coronary artery occlusion, or imaging evidence of new loss of viable myocardium, are considered diagnostic of CABG-related MI. Myocardial infarction Postoperative CABG Surgery Tableau II. Facteurs favorisant l’IDM postopératoire (9). • • • • • • • • • Âge > 70 ans Sexe féminin Insuffisance rénale Diabète Maladie artérielle polyvasculaire Intervention en urgence ou rédux Dysfonction ventriculaire importante (fraction d’éjection du ventricule gauche < 35 %) ou choc cardiogénique Ischémie myocardique (syndrome coronarien aigu) préopératoire Lésions du tronc commun ou de l’artère interventriculaire antérieure proximale La Lettre du Cardiologue • n° 456 - juin 2012 | 15 MISE AU POINT Infarctus après une chirurgie cardiaque Tableau III. Définition universelle des IDM postopératoires. 1 - Élévation de troponine Ic après l’acte chirurgical au-delà du 99e percentile de la limite supérieure de référence (en l’absence d’autre explication, telle une embolie pulmonaire). 2 - Associée à l’un des critères suivants : – Symptômes cliniques d’ischémie – Modifications ECG • Apparition progressive d’onde Q (≥ 30 ms dans 2 dérivations ECG contiguës) • Modifications du segment ST (sus-décalage ≥ 1 mm, sous-décalage ≥ 1-2 mm) dans au moins 2 dérivations contiguës • Inversion symétrique de l’onde T (> 1 mm) – Mise en évidence d’une perte de viabilité myocardique par échocardiographie, par scintigraphie ou par imagerie par résonance magnétique • Lésion impliquant plus de 20 % de l’épaisseur de la paroi myocardique • Nouvelles altérations de la cinétique segmentaire les CK peuvent être augmentées par la lésion chirurgicale elle-même. L’utilisation du rapport des CK-MB aux CK totales est ainsi peu fiable et a tendance à sous-estimer la lésion cardiaque. Par conséquent, la triade classique est rarement retrouvée en postopératoire. Dans la nouvelle classification, l’IDM postopératoire (de type 5) est défini par une augmentation des biomarqueurs 5 fois supérieure au 99e percentile et l’apparition de nouvelles ondes Q pathologiques ou d’un nouveau BBG, ou l’occlusion nouvelle d’une artère coronaire native ou d’un greffon vasculaire documentée par une coronarographie, ou la preuve d’une nouvelle perte de myocarde viable visible à l’examen d’imagerie. Par ailleurs, L. Nalysnyk et al. ont montré qu’après un pontage coronarien, lorsque les valeurs initiales de la troponine étaient normales, l’élévation des biomarqueurs cardiaques au-dessus du 99e percentile indiquait un IDM périopératoire (2). La présence d’une onde Q ou une élévation des CK-MB plus de 5 fois supérieure à la normale traduit des lésions Tableau IV. Diagnostic différentiel de l’élévation de la troponine hors IDM postopératoire (4). • • • • • • • • • • • Dissection aortique Embolie pulmonaire Maladies inflammatoires (myocardite) Contusion cardiaque et traumatisme chirurgical Hypertension pulmonaire sévère Insuffisance rénale sévère État de choc, particulièrement lorsqu’il est associé à une insuffisance respiratoire ou à une septicémie Insuffisance cardiaque aiguë Accident neurologique aigu (AVC majeur, hémorragie sous-arachnoïdienne) Arythmies non contrôlées Toxicité médicamenteuse ou toxines 16 | La Lettre du Cardiologue • n° 456 - juin 2012 transmurales importantes, mais de petites zones sous-endocardiques peuvent échapper à la détection. Les troponines sont des marqueurs plus fiables. Bien qu’elles ne permettent pas de faire la différence entre une ischémie et les dégâts provoqués par l’intervention chirurgicale elle-même, elles constituent des indicateurs spécifiques de l’infarctus, cela même après une chirurgie cardiaque (14). Leur évolution dans le temps (pic entre 12 et 24 heures) impose toutefois un certain délai diagnostique (15). En pratique, le diagnostic d’IDM est le plus souvent incomplet au moment où l’élévation postopératoire des biomarqueurs est observée. Dans ces conditions, il convient donc d’utiliser le terme de nécrose myocardique et de garder celui d’IDM pour les cas confirmés par l’imagerie. Les critères de diagnostic de l’IDM selon la définition universelle sont résumés dans le tableau III (4). L’ascension des troponines est proportionnelle à l’importance du dommage myocardique, mais elle n’est pas spécifique de sa cause. Après un pontage aortocoronarien, il existe une relation linéaire entre le taux de mortalité et le taux d’enzymes postopératoire, cela aussi bien pour les CK-MB que pour les troponines. Le risque relatif de mortalité est de 3 %, 8,7 % et 27 % pour des valeurs respectives de CK-MB égales à 5 à 10 fois la norme, 20 à 30 fois la norme et plus de 40 fois la norme. Concernant les troponines, le risque de mortalité s'élève à 2 % lorsqu’elles sont augmentées de 20 fois, à 3,6 % lorsqu’elles sont augmentées de 40 à 90 fois, et à 11 % au-delà de 100 fois (16). Dans un contexte postopératoire et en l’absence de cardiopathie ischémique manifeste, il convient d’exclure d’autres causes de l’élévation des biomarqueurs (tableau IV). MISE AU POINT Prise en charge L’approche thérapeutique de l’ischémie aiguë après un PAC dépend de la mise en évidence des lésions par l'imagerie coronaire. Chez les patients symptomatiques, l’occlusion précoce du greffon est identifiée comme la cause de l’ischémie dans 75 % des cas. La coronarographie postopératoire a montré des taux d’occlusion de 8 % des greffons veineux saphènes et de 7 % des greffons artériels mammaires internes gauches (17). L’angioplastie urgente, avec la désobstruction du greffon occlus et éventuellement la mise en place d’une endoprothèse, peut être une alternative raisonnable à la réintervention chirurgicale, avec des résultats acceptables et moins de complications (18). Ce geste peut avoir pour cible soit le réseau coronaire natif, soit le corps de l’artère mammaire interne. En aucun cas le site anastomotique ou le greffon veineux ne doit être concerné pour ne pas risquer une perforation ou une embolisation. Lorsque la faisabilité d’un geste d’angioplastie paraît compromise ou lorsque plusieurs greffons sont occlus, la réintervention chirurgicale doit être privilégiée. Chez les patients asymptomatiques, la réintervention chirurgicale et l’angioplastie ne seront considérées que si l’artère concernée est de calibre suffisamment grand, avec un rétrécissement sévère, et si elle vascularise un territoire myocardique important. Le choix entre les 2 options thérapeutiques doit être fait après une concertation pluridisciplinaire, au mieux au sein d’un “heart team”. ■ Références bibliographiques 1. Chen JC, Kaul P, Levy JH et al. Myocardial infarction following coronary artery bypass graft surgery increases healthcare resource utilization. Crit Care Med 2007;35: 1296-301. 2. Nalysnyk L, Fahrbach K, Reynolds MW, Zhao SZ, Ross S. Adverse events in coronary artery bypass graft (CABG) trials: a systematic review and analysis. Heart 2003;89:767-72. 3. Ramsay J, Shernan S, Fitch J et al. Increased creatine kinase MB level predicts postoperative mortality after cardiac surgery independent of new Q waves. J Thorac Cardiovasc Surg 2005;129:300-6. 4. 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