Éditorial mt cardio 2005 ; 1 : 205-6 Choc cardiogénique et arrêt cardiaque : fin du scepticisme thérapeutique ? Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.70.218 le 17/04/2017. Gilles Montalescot Institut de cardiologie, CHU Pitié-Salpêtrière, 47, boulevard de l’Hôpital, 75013 Paris <[email protected]> À côté des causes virales, médicamenteuses et puerpérales de choc cardiogénique, l’infarctus du myocarde (IDM) demeure la cause largement prédominante d’incompétence myocardique aiguë : son diagnostic est en général fait précocement, mais celui de choc trop souvent tardivement, lorsqu’il est déjà bien installé. La fréquence de l’arrêt cardiaque ressuscité augmente avec le développement et l’amélioration des systèmes d’urgences mobiles, de l’éducation du grand public aux manœuvres de premier secours et de la vulgarisation de la défibrillation dans les lieux publics, au moins dans certains pays (États-Unis en particulier). Dans le cas de l’arrêt cardiaque ressuscité, c’est le diagnostic d’IDM qui est souvent trop tardif devant l’absence fréquente de description de l’événement, d’interrogatoire avec un électrocardiogramme parfois d’interprétation délicate, aboutissant au bilan angiographique tardif de l’IDM. Néanmoins, ces deux complications dramatiques de l’IDM se rejoignent actuellement devant les nouveaux territoires thérapeutiques qui s’offrent à elles. La prise de conscience de cette évolution est nécessaire tant par les acteurs de la chaîne de soins que par les autorités de tutelle qui ont l’impératif d’organiser et de rationaliser (sans rationner) les moyens en question. Les étapes de la réflexion peuvent suivre les étapes chronologiques de l’évolution récente et rapide que nous avons connue dans la prise en charge de l’infarctus aigu du myocarde. Au milieu des années 1990, la fibrinolyse par t-PA confirme « l’hypothèse de l’artère ouverte », mais cette mt cardio, vol. 1, n° 3, mai-juin 2005 époque apparaît désormais comme la préhistoire du traitement de l’IDM [1]. Depuis lors, 23 essais randomisés ont établi la supériorité des interventions percutanées sur la thrombolyse, soulevant alors la question de l’accès aux nouveaux standards de soins pour la population [2]. En effet, la majorité des patients se présentent dans des structures ne disposant pas du plateau technique et/ou de l’équipe nécessaire pour effectuer l’angioplastie de revascularisation. Faut-il alors retransférer ces patients vers une autre structure plus distante disposant de cette compétence, avec des délais surajoutés de reperfusion de l’artère coupable, reperfusion qui sera complète et définitive dans 90 % des cas, ou bien effectuer sur place la thrombolyse avec une reperfusion immédiate mais obtenue dans seulement 50 % des cas et n’évitant pas une coronarographie pour autant dans les jours qui suivent ? La méta-analyse récente des 6 essais ayant examiné cette question suggère fortement de transférer ces patients, avec des délais pouvant atteindre 3 heures dans DANAMI-2 [3]. Néanmoins, le transfert pour angioplastie s’associe à la survenue de chocs cardiogéniques (2,5 % dans le bras angioplastie de CAPTIM versus 0 % pour la thrombolyse) et de quelques fibrillations ventriculaires défibrillées. La réalité est aussi que la fibrinolyse demeure la seule alternative possible dans bon nombre de régions où le transfert n’est pas envisageable, mais elle pourrait dans un avenir proche devenir aussi un traitement orphelin de l’angioplastie après l’arrêt prématuré de l’étude ASSENT-4 pour un excès de mortalité dans le bras throm- 205 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.70.218 le 17/04/2017. Choc cardiogénique et arrêt cardiaque 206 bolyse et angioplastie associées. La pharmacologie propose les inhibiteurs de GPIIb/IIIa qui, administrés précocement, reperfusent 30 % des artères coronaires (autant que la streptokinase), protègent le myocarde, ne font pas courir le risque d’hémorragie intracrânienne et diminuent les complications dont le choc cardiogénique [4]. Dans cette quête de la reperfusion la plus efficace et la plus rapide possible, l’angioplastie « facilitée » par les inhibiteurs de GPIIb/IIIa combinés à une dose réduite de thrombolyse est également en cours d’évaluation (étude FINESSE). Si « l’hypothèse de l’artère ouverte » est devenue une réalité, les meilleurs moyens pour l’accomplir demeurent un savant mélange de pharmacologie, de techniques interventionnelles et d’organisation régionale de prise en charge de la pathologie. Dans cette organisation, la nécessité de centres régionaux de gros volume aux compétences multiples et à disponibilité permanente saute aux yeux pour la prise en charge de cas déjà compliqués, ou potentiellement graves, ou rares. La défaillance hémodynamique du sujet jeune en est le parfait exemple : tout ne s’arrête pas à la contre-pulsion intra-aortique ; la revascularisation la plus complète possible, souvent longue et compliquée, s’impose en un temps où les décisions rapides d’assistance cardiaque percutanées ou plus généralement chirurgicales doivent être discutées dans les premières heures ; les orages d’arythmies ventriculaires nécessitent la prise en charge par un rythmologue ; les complications vitales pulmonaires, rénales, hémorragiques ou infectieuses nécessitent la disponibilité sur le site des techniques lourdes de ventilation, dialyse, endoscopies, d’un centre de transfusion, et de l’ensemble des compétences extracardiologiques. L’arrêt cardiaque ressuscité, le plus souvent sur l’IDM, nécessite également, dès son arrivée en salle de cathétérisme, la collaboration de l’urgentiste, du réanimateur et du cardiologue interventionnel. Les techniques d’hypothermie ont montré dans des essais randomisés leur efficacité pour réduire la mortalité et, plus récemment, la première étude randomisée dans l’IDM aigu suggère que les IDM antérieurs pourraient eux aussi en bénéficier [5]. Là encore, cette technique percutanée, disponible dans quelques centres français dont la Pitié-Salpêtrière, devrait être disponible pour les patients les plus graves. Il y a une vraie logique à combiner support hémodynamique et hypothermie pour les victimes d’arrêt cardiaque et pour les chocs cardiogéniques les plus sévères, et la recherche clinique au travers des essais en cours devra répondre à cette question. Nous sommes encore loin de voir les victimes d’arrêt cardiaque et de choc cardiogénique bénéficier des meilleurs soins ; il faudra pour cela définir, motiver et équiper les centres devant les accueillir, améliorer la perception du problème par les premiers acteurs de soins en charge de ces patients, développer des algorithmes décisionnels efficaces et économiquement viables et, enfin, lutter contre le scepticisme devant des pathologies à lourde mortalité malgré l’élargissement des champs thérapeutiques. Aucune de ces missions ne dépend d’études randomisées. En revanche, il faut espérer que les études randomisées qui débutent chez l’homme sur la régénération myocardique après infarctus, utilisant les cellules souches de moelle osseuse ou des facteurs de croissance, participent à plus d’ambition et d’optimisme quand vient l’heure des décisions [6]. La régénération myocardique pourrait devenir le traitement complémentaire de la reperfusion coronaire, quand celle-ci a échoué, est survenue trop tardivement ou n’a pas eu lieu. Comme le symbole d’une deuxième chance, de la réversibilité d’une maladie trop souvent considérée comme irréversible, elle justifie les efforts qu’il nous reste à produire pour mieux traiter ces patients. Références 1. The GUSTO investigators. An international randomized trial comparing four thrombolytic strategies for acute myocardial infarction. N Engl J Med 1993 ; 329 : 673-82. 2. Keeley EC, Boura JA, Grines CL. Primary angioplasty versus intravenous thrombolytic therapy for acute myocardial infarction. A quantitative review of 23 randomized trials. Lancet 2003 ; 361 : 13-20. 3. Dalby M, Bouzamondo A, Lechat P, Montalescot G. Transfer for primary angioplasty versus immediate thrombolysis in acute myocardial infarction. A meta-analysis. Circulation 2003 ; 108 : 1809-14. 4. Montalescot G, Barragan P, Wittenberg O, et al., for the ADMIRAL Investigators. Platelet glycoprotein IIb/IIIa inhibition with coronary stenting for acute myocardial infarction. N Engl J Med 2001 ; 344 : 1895-903. 5. The hypothermia after cardiac arrest study group. Mild therapeutic hypothermia to improve the neurologic outcome after cardiac arrest. N Engl J Med 2002 ; 346 : 549-56. 6. Stamm C, Westphal B, Kleine HD, et al. Autologous bone-marrow stem-cell transplantation for myocardial regeneration. Lancet 2003 ; 361 : 45-6. mt cardio, vol. 1, n° 3, mai-juin 2005