regard social sur le vieillissement Ce livre approfondit la réflexion sur l’âgisme et ouvre des pistes de solution. On y présente les manifestations et les conséquences de l’âgisme, depuis la représentation des aînés dans les médias jusqu’aux pratiques âgistes dans les soins de santé, en passant par la discrimination des travailleurs vieillissants. Textes de : Denis Bachand Anne Bourbonnais Bernadette Dallaire Hubert Doucet Luc Dupont Florian Grandena Anne-Marie Guillemard Yves Joannette Martine Lagacé Jérôme Pellissier Jean-Pierre Thouez Jean Vézina Francine Tougas Marcel Mérette Couverture : iStockphoto Sciences sociales ISBN 978-2-7637-8781-7 Martine Lagacé Martine Lagacé L'âgisme regard social sur le vieillissement Comprendre et changer le La population canadienne est vieillissante. Malgré cela, l’âgisme, cette forme de discrimination sur la base de l’âge se manifeste de manière explicite ou insidieuse et est encore trop peu dénoncée. Faut-il chercher les raisons de ce silence dans l’absence d’informations ou plutôt l’insuffisance de connaissances sur le vieillissement et les aînés ? L'âgisme L'âgisme le regard social sur le vieillissement Sous la direction de Comprendre et changer Sous la direction de Comprendre et changer le Martine Lagacé L'âgisme Sous la direction de Comprendre et changer le regard social sur le vieillissement L’âgisme Comprendre et changer le regard social sur le vieillissement L’âgisme Comprendre et changer le regard social sur le vieillissement Sous la direction de Martine Lagacé Les Presses de l’Université Laval reçoivent chaque année du Conseil des Arts du ­Canada et de la Société d’aide au développement des entreprises culturelles du ­Québec une aide financière pour l’ensemble de leur programme de publication. Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise de son Programme d’aide au développement de l’industrie de l’édition (PADIÉ) pour nos activités d’édition. Mise en pages : Diane Trottier Maquette de couverture : Laurie Patry ISBN 978-2-7637-8781-7 e-ISBN 9782763707815 © Les Presses de l’Université Laval 2010 Tous droits réservés. Imprimé au Canada Dépôt légal 2e trimestre 2010 Les Presses de l’Université Laval Pavillon Maurice-Pollack 2305, rue de l’Université, bureau 3103 Québec (Québec) G1V 0A6 CANADA www.pulaval.com Je dédie cet ouvrage à ma mère, Annette et à celui qui m’accompagne, Belgacem. Toujours, ils sont ceux qui m’inspirent et me motivent dans ma réflexion sur le mieux-être des aînés. Merci d’être là. M. L. Table des matières Préface – Un ouvrage qui arrive à point . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . XV Remerciements. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . XIX Introduction. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 Martine Lagacé Partie I Stéréotypes et figures de l’âgisme : médias, publicité, cinéma et recherche Âgisme et stéréotypes : quand l’âgisme conduit à la haine de soi et au conflit entre générations. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13 Jérôme Pellissier Comment en est-on arrivé là ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13 Comment en est-on arrivé là ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15 Âgisme : des stéréotypes qui sèment la discorde. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16 Démographie : l’invasion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16 « Plus de vieux, moins de vie » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17 « Les gloutons » (des retraites, de la sécu). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20 Tous les vieux sont riches. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22 Le complot…. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23 Guerre des âges, guerre des générations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25 Un « excédent de personnes âgées » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27 X L’âgisme – Comprendre et changer le regard social sur le vieillissement Que faire des « erreurs » ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29 À chaque mal son remède . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29 Radicaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31 De la guerre psychologique à la guerre au-dedans de soi. . . . . . . . . . . . . . . 32 La guerre au-dedans de soi. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33 En guise de conclusion. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35 Sur la représentation du vieillissement dans la publicité. . . . . . . . . . . . 41 Luc Dupont La publicité : un discours culturel. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42 La publicité : un code. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44 L’image de la vieillesse dans la publicité. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45 Vieillesse et consommation. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52 Au crépuscule des jours. Regards sur la vieillesse dans le cinéma québécois. . . . . . . . . . . . . . . . 59 Denis Bachand De l’âge et du désir : une remise en question de l’asexualisation des aînés dans le cinéma français ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77 Florian Grandena L’âgisme dans la littérature scientifique : le cas des sciences sociales. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93 Jean-Pierre Thouez La classification des individus selon l’âge chronologique. . . . . . . . . . . . . . . 94 Problèmes méthodologiques reliés à l’âgisme. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96 L’analyse des populations territorialisées. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 98 Le lieu, le contexte géographique et la santé. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99 Rapports entre groupes d’âge et représentations sociales de l’âgisme. . . . 102 Commentaires et conclusion. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105 Table des matières XI Partie II Figures de l’âge et pratiques âgistes dans la relation de soins Vieillir : déclin ou changement ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113 Yves Joanette, Karima Kahlaoui, Manon Maheux et Bernadette Ska À quel âge le corps vieillit-il ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 114 Le corps : déclin ou changement ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 115 La cognition : changements et compensations. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 118 Des différences inter et intra-individuelles importantes . . . . . . . . . . . 119 Expression de déficits ou mise en place de stratégies adaptatives ?. . . 120 Les bases neurobiologiques des stratégies adaptatives. . . . . . . . . . . . . . . . . 124 Les facteurs qui favorisent un vieillissement cognitif optimal. . . . . . . . . . . 126 Conclusion : vieillir n’est pas toujours synonyme de déclin. . . . . . . . . . . . . 127 Quelles attitudes les étudiants universitaires du domaine de la santé ­entretiennent-ils envers les personnes âgées ? Un état de la question. . . . 133 Jean Vézina Synthèse des études antérieures à 1990. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 135 L’état de la question jusqu’à aujourd’hui. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 137 Instruments. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 139 Les attitudes des étudiants en médecine. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 140 Les attitudes des étudiants en sciences infirmières . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 141 Les attitudes des autres étudiants du domaine de la santé . . . . . . . . . . . . . 142 Discussion. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 143 Âgisme et professions d’aide… des paradoxes dans une société vieillissante ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 155 Anne Bourbonnais et Francine Ducharme Quelques valeurs et croyances qui influencent les professionnels de la santé. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 156 Les paradigmes coexistants face au vieillissement. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 158 Les manifestations de l’âgisme chez les professionnels de la santé. . . . . . . 160 L’âgisme dans certains milieux de soins. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 163 Les conséquences de l’âgisme sur la santé des personnes âgées. . . . . . . . . 165 Des stratégies pour réduire l’âgisme dans le domaine de la santé. . . . . . . 166 En conclusion. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 169 XII L’âgisme – Comprendre et changer le regard social sur le vieillissement Vieillissement et trouble mental grave : questions de représentations, questions d’intervention. . . . . . . . . . . . 175 Bernadette Dallaire, Michael McCubbin et Mélanie Provost Le cumul TMG-vieillissement : conséquences m ­ ultiples et vulnérabilité accrue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 176 Du cumul des problématiques au cumul des disqualifications/ stigmatisations : le rôle des représentations sociales dans l’exclusion des aînés présentant des TMG. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 178 Des services à améliorer. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 184 Promesses et défis de la réadaptation ­psychosociale auprès des aînés atteints de TMG . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 186 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 188 Soigner les personnes âgées : entre abandon et acharnement. . . . . . 199 Hubert Doucet Les silences de la bioéthique quant à l’âgisme. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 200 Le critère de l’âge dans la limitation des traitements . . . . . . . . . . . . . . . . . 202 Respecter les cycles naturels de vie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 204 La nouvelle culture du vieillissement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 206 Orientations à privilégier. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 208 Le plan interpersonnel. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 208 Le plan gestionnaire. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 211 Le plan politique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 213 En guise de conclusion. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 214 Partie III L’âgisme au travail et ses conséquences La discrimination à l’encontre de l’âge dans l’emploi. Une perspective internationale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 221 Anne-Marie Guillemard Une relégation des seniors d’ampleur très inégale selon les pays. . . . . . . . 222 Les disparités dans l’évolution des taux d’emploi . . . . . . . . . . . . . . . . 222 Une fragilisation de la seconde moitié de carrière en Europe continentale. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 224 Table des matières XIII Les cultures de l’âge et la discrimination à l’encontre de l’âge . . . . . . . . . 226 Les cultures de l’âge et les configurations de politiques publiques. . . . 226 Une configuration politique qui construit une « culture de la cessation anticipée d’activité ». . . . . . . . . . . 229 Une configuration politique produisant une « culture du droit au travail à tout âge ». . . . . . . . . . . . . . . . 231 Le recours massif aux mesures d’âge entraîne une spirale d’effets pervers . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 232 L’âge : premier facteur de discrimination dans l’emploi. . . . . . 234 De la gestion segmentée par l’âge à la gestion de la diversité et de la synergie des âges au travail. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 236 « À quand la retraite ? » Le paradoxe de l’âgisme au travail dans un contexte de pénuries de main-d’œuvre. . . . . . . . . . . . . . . . . . 241 Martine Lagacé et Francine Tougas Quand la séniorité au travail est synonyme de désuétude : les stéréotypes âgistes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 243 Perspectives théoriques de l’âgisme au travail . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 244 La communication âgiste au travail et ses conséquences. . . . . . . . . . . . . . . 248 Diminuer sinon mettre fin à l’âgisme au travail : quelques pistes de réflexion. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 251 Coût de l’âgisme au travail. Une première estimation pour le Canada. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 263 Marcel Mérette Des évidences quant à la discrimination envers les travailleurs âgés. . . . . . 265 De récents progrès au Canada contre l’âgisme institutionnel. . . . . . . . . . . 267 Les coûts économiques de l’âgisme au travail . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 270 L’approche comptable. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 271 L’estimation du coût économique de l’âgisme en 2006. . . . . . . . . . . . 271 Le coût de l’âgisme en 2031. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 272 Le coût de l’âgisme en considérant les effets d’équilibre général. . . . 274 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 275 Préface Un ouvrage qui arrive à point Enfin, une vue globale et constructive sur l’âgisme C e travail est unique, la plupart des livres sur l’âgisme ont été jusqu’ici l’œuvre d’un auteur. Collectif écrit par des spécialistes de réputation nationale et internationale, il s’agit, à notre avis, d’un des premiers ouvrages de cette envergure dans la littérature occidentale. À titre de directeur-fondateur de l’Observatoire vieillissement et société (OVS), c’est avec une très grande joie et une très vive satisfaction que je prends acte du contenu de cet ouvrage qui bonifie admirablement bien la mission de base que s’est donnée l’OVS lors de sa fondation il y a presque 6 ans, soit la lutte contre l’âgisme, ce fléau social. Relativement faible au début, l’intérêt du public pour l’âgisme est devenu de plus en plus évident et a culminé lors de la première journée mondiale sur l’âgisme, tenue à guichet fermé à Montréal en mars 2009. Le nombre de réunions et de symposiums consacrés à ce sujet augmente régulièrement. Nul ne peut maintenant prétendre ne pas être au courant de l’importance du sujet. L’Observatoire vient de s’enrichir d’un outil informatif de haute crédibilité. Véritable œuvre de nature encyclopédique, ce livre vise d’abord à faire comprendre le phénomène de l’âgisme dans différents secteurs de l’activité humaine : le travail, les médias, les sciences, les arts, la santé, XVI L’âgisme – Comprendre et changer le regard social sur le vieillissement l’enseignement, etc. Le mot âgisme, un terme s’appliquant à une construction sociale qui semble avoir son origine en Occident, est utilisé depuis moins de 45 ans. D’abord employé de façon générale puis appliqué surtout aux personnes âgées il s’est répandu comme une traînée de poudre à mesure que l’ampleur du vieillissement de la population et de ses conséquences se précisait. Il semble d’ailleurs que ces phénomènes sociaux peuvent exister longtemps avant qu’on ne les définisse. Pensons au « racisme » et au « sexisme », dont il n’était pas question lorsque les gens de couleur étaient séparés des Blancs des pays « civilisés » ou que les femmes étaient infantilisées socialement et administrativement. Nul doute que le premier objectif du livre sera atteint s’il permet une meilleure compréhension de l’âgisme. Changer le regard social – Deuxième objectif qui nous paraît plus difficile à atteindre mais pas irréaliste. La tâche est énorme, car il faudra d’abord, à notre avis, émietter morceau par morceau cette construction sociale qu’est l’âgisme, la « déconstruire » en quelque sorte. Comment procéder pour détruire ce fléau social dont les causes et les conséquences ont été si bien identifiées dans ce livre ? Seule une réaction concertée de la population, des décideurs et des inter­venants, y compris des aidants naturels, aura quelques chances de succès. Cette action devra s’exercer à plusieurs niveaux. Mentionnons-en ­quelques-uns : – Enseignement et formation des jeunes – Interventions axées sur une représentation positive et non caricaturale de la vieillesse. – Monde du travail (incluant employeurs et syndicats) – Plusieurs considèrent encore les travailleurs âgés comme un fardeau et non comme un capital additionnel et encore comme une maind’œuvre bon marché. – Enseignement et apprentissage – Chaque année près de 100 000 personnes, au Québec seulement, atteignent l’âge de 65 ans ; ils vivent encore pendant presqu’une génération et souvent ne demanderont pas mieux que de rester utiles. – Santé – Qu’on cesse de parler de coûts exagérés des soins médicaux, de « limites d’âge d’intervention » ; il faut aussi faire attention à « l’euthanasie », vocable qui devra être défini et redéfini si l’on veut éviter certaines situations déplorables qui font partie de l’histoire de l’Occident ; il ne faut pas non plus négliger les paramètres « sociaux » de la santé. Préface – Un ouvrage qui arrive à point XVII Je souhaite de tout cœur que cet ouvrage devienne un catalyseur capable de motiver la population, les décideurs et le législateur à agir ensemble dans un seul but dont les éléments ont été si bien et si ­clairement énoncés. Enfin, à qui ce livre est-il destiné ? De lecture facile avec un minimum de termes techniques, il est à la portée de tout lecteur même non spécialisé. Il nous paraît un « must » pour tous ceux et celles qui ont de près ou de loin un contact avec les personnes âgées : gérontologues, universitaires ou non, intervenants et décideurs. Il devrait de plus être diffusé auprès des multiples associations et regroupements de personnes âgées. Enfin, il ne faut pas oublier les géné­rations plus jeunes et même très jeunes dont chaque membre a eu ou aura tôt ou tard à faire face à ce phénomène contre lequel il devra être prêt à lutter. Il leur appartient également de faire en sorte que leurs interventions d’aujourd’hui servent à humaniser cette transition au moment où ils arriveront, à leur tour, à cette étape de leur vie. André Davignon, m.d. Directeur de l’Observatoire vieillissement et société Remerciements L a parution d’un ouvrage n’est possible que grâce à l’engagement d’individus et d’organisations qui croient en son importance et à sa pertinence. En premier lieu, je remercie mon collègue, le professeur Luc Dupont, pour sa précieuse et « multiple » collaboration à cet ouvrage : d’abord à titre d’auteur de l’un des treize chapitres mais également pour ses encouragements continus ainsi que son aide précieuse dans la révision de l’ensemble des textes. Il va sans dire qu’un tel appui est inestimable. En second lieu, je remercie l’institution de l’Université d’Ottawa, notamment la Faculté des arts, pour son soutien dans la publication de ce collectif. S’agissant de contribution financière, je remercie aussi M. Claude Bonnet qui m’a toujours encouragée dans ma démarche de réflexion sur le mieuxêtre des aînés. Je ne pourrais passer sous silence l’appui de deux organisations dont je suis fièrement membre et dont les raisons d’être et les interventions visent, entre autres, la lutte à l’âgisme : l’Asso­ ciation québécoise de gérontologie, présidée par Mme Catherine Geoffroy et l’Observatoire vieillissement et société, fondé par le Dr André Davignon. Enfin, merci aux Presses de l’Université Laval et à tous les auteurs de cet ouvrage qui ont accepté, sans hésiter, de contribuer à cette importante réflexion sur l’âgisme. Introduction Martine Lagacé Université d’Ottawa «C ar c’est notre regard qui enferme souvent les autres dans les plus étroites appartenances et c’est notre regard aussi qui peut les libérer. » Cet extrait d’un ouvrage d’Amin Maalouf (Les Identités meurtrières, 1998, p. 29) exprime avec la plus grande lucidité le pouvoir réducteur tout autant que captif des stéréotypes. Ainsi, lorsque le regard sur l’autre est teinté de fausses croyances et de préjugés généralisés, il empreinte la voie pernicieuse des stéréotypes et emprisonne cet autre dans des schèmes de pensées dont les frontières sont imperméables. Mais lorsqu’il laisse entrevoir l’unicité, la singularité de l’autre, il est alors libérateur. À la source du présent ouvrage, une réflexion sur le regard, précisément, celui posé sur le processus de vieillissement, sur l’état de la vieillesse et sur la place ainsi que sur le rôle des aînés dans nos sociétés contemporaines. Cette réflexion a été guidée par le souhait implicite qu’exprime Maalouf dans l’extrait ci-haut : constater, sans détour, que si le regard actuel sur les aînés est trop souvent teinté de fausses croyances et de préjugés, la démarche même de faire une telle constatation peut constituer le premier pas pour changer ce regard. Or, comment se traduit le regard actuel sur le vieillissement et sur les aînés ? Quand il n’est pas foncièrement négatif, il est à tout le moins des plus ambivalents. Vieillir dans les sociétés occidentales est en effet, pour plusieurs, un processus à éviter, à tout le moins, à contrôler coûte que coûte. Un paradoxe des plus étonnants d’ailleurs, dans un contexte démographique où la longévité s’accroît et où, forcément, la population vieillit. Malgré cela, le regard, la représentation du vieillissement et des aînés restent en décalage face à cette progression sur le plan de l’espérance de vie. De fait, plusieurs études 2 L’âgisme – Comprendre et changer le regard social sur le vieillissement montrent que plus souvent qu’autrement, les aînés sont perçus (entre autres) comme des personnes gentilles et fiables tout autant que confuses, lentes, malades, résistantes aux changements, déprimées, etc. Dans les organisations, le travailleur âgé doit faire face à des croyances décalées en ce qui a trait à sa capacité d’apprendre et de se renouveler, à sa motivation et à sa productivité par rapport à celles de ses plus jeunes collègues. Faut-il alors s’étonner des réactions de négation et d’évitement vis-à-vis du vieillissement ? Faut-il aussi se surprendre que, par extension, ces représentations ouvrent la voie à la marginalisation, voire à la discrimination des aînés ? Le gérontologue Robert Butler a été le premier chercheur à évoquer le concept d’âgisme, en faisant état d’un processus selon lequel une personne est stéréotypée et discriminée en raison de son âge (1968). Depuis son initiative de conceptualiser l’âgisme, nombre d’études ont permis d’établir que si les jeunes comme les adultes peuvent en être la cible, la réalité tend à montrer que ce sont les aînés qui le plus souvent en font les frais. En outre, quoique l’âgisme partage avec le racisme et le sexisme d’étroites ressemblances (il s’articule sur une même logique visant l’exclusion d’un individu ou d’un groupe sur la base d’un critère), il s’en distingue cependant en ce qu’il est, dans une large mesure, toléré et tout au moins peu dénoncé. Conséquemment, tant ses manifestations que ses répercussions ne sont pas suffisamment documentées. D’où la pertinence de la réflexion que nous menons dans le présent ouvrage. Il s’agit de circonscrire l’âgisme, depuis la façon dont sont représentés le vieillissement et les aînés jusqu’aux répercussions psychologiques, sociales et économiques de telles représentations, à la fois sur les aînés et sur celles et ceux qui sont en lien avec eux. Cet exercice de réflexion, auquel se sont livrés plus d’une dizaine de chercheurs de la francophonie, est en outre essentiel au regard des multiples études suggérant des effets foncièrement délétères de l’âgisme sur les aînés. Ces effets se traduisent notamment par une fragilisation de leur santé psychologique ainsi que par un processus de désengagement, de retrait des différentes sphères sociales. Par exemple, c’est le travailleur âgé qui, face à la blessure créée par l’image négative qu’on lui renvoie en raison de son âge, se désengage de son milieu de travail, d’abord de manière virtuelle puis de manière bien réelle. À cet égard, une question légitime se pose : combien de décisions de retraites « anticipées » ont-elles été guidées par un tel processus et, par ricochet, dans quelle mesure ces décisions Introduction 3 étaient-elles profondément réfléchies et volontaires ? L’effet pernicieux de l’âgisme, c’est aussi le désengagement de l’aîné dont l’autonomie est vulnérabilisée. Celui-ci réagit aux préjugés âgistes (particulièrement notoires en ce qui a trait aux aînés en situation de fragilité) en s’auto-marginalisant, en acceptant, de fait, de se mettre en voie d’accotement, croyant n’avoir plus rien à offrir à la société. Ces réactions de désengagement ont ceci de sournois (en plus d’être dommageables pour l’aîné) : elles confirment en quelque sorte la légitimité des stéréotypes âgistes. En effet, lorsque l’aîné intériorise les fausses croyances sur le vieillissement et qu’il les reproduit dans son comportement, il en génère, certes sans le vouloir, le renforcement. Quelles pertes alors pour l’ensemble de la société qui se prive de l’expertise, du savoir-faire et, surtout, du savoir-être des travailleurs âgés tout autant que de l’ensemble des aînés. Car, rappelons-le, dans le contexte des pénuries de main-d’œuvre, mais également dans celui où il est essentiel de construire des ponts et des points de repère entre les générations, la mise à l’écart des plus vieux apparaît comme complètement paradoxale. L’intégration des stéréotypes sur la base de l’âge par l’aîné ouvre non seulement la voie du désengagement, mais aussi celle d’une forme de banalisation de l’âgisme. Et c’est là la véritable puissance des stéréotypes et de la discrimination : lorsque ceux-ci ne sont pas dénoncés, ils apparaissent tels des phénomènes « naturels ». À preuve, les messages d’humour sur l’âge, certes dénigrants, voire dégradants, sont pourtant largement répandus. Les cartes de souhait d’anniversaire en sont la plus belle démonstration. Pourrait-on en imaginer à contenu ouvertement raciste ou sexiste ? Devant l’âgisme, cependant, règne l’indifférence, voire le silence. Cette non-reconnaissance des préjugés et de l’exclusion sur la base de l’âge se reflète même dans le milieu de la recherche scientifique où les évidences et la prédominance de l’âgisme sont parfois remises en question. D’ailleurs, la démarche même du présent ouvrage a suscité, chez certains chercheurs, un questionnement, un doute : l’âgisme serait-il à ce point omniprésent dans nos sociétés contemporaines et ses conséquences aussi délétères qu’on le prétend ? C’est précisément pour éviter la banalisation de l’âgisme, rendue possible par un phénomène de non-reconnaissance, voire d’acceptation de cette forme d’exclusion, que ce travail trouve toute sa raison d’être. L’objectif, comme nous l’avons évoqué plus haut, est de circonscrire les manifestations d’attitudes et de comportements 4 L’âgisme – Comprendre et changer le regard social sur le vieillissement âgistes ainsi que leurs multiples conséquences. Pour ce faire, il importe de saisir, au préalable, les sources de l’âgisme. Elles résident notamment dans les représentations, les images et les évocations entourant le vieillir et la vieillesse qui, elles-mêmes, se nourrissent des stéréotypes de l’âge. Conséquemment, le premier pas pour contrecarrer l’âgisme consiste, d’abord et avant tout, à dire et à saisir ces stéréotypes. C’est à cette tâche qu’est consacrée la première partie de l’ouvrage, Stéréotypes et figures de l’âgisme : médias, publicité, cinéma et recherche. Le discours des médias sur le vieillissement ainsi que les images que ceux-ci en véhiculent peuvent parfois constituer de puissantes courroies de transmission des stéréotypes âgistes. Dans un exercice de décryptage des mots, des expressions et des illustrations des aînés, Jérôme Pellissier, secrétaire de l’Observatoire de l’âgisme en France, montre que les médias contemporains peuvent, en effet, être de puissantes fabriques de stéréotypes. Les clichés oscillent entre le « fléau » démographique que sous-tend le vieillissement de la population et, par ricochet, la « catastrophe » économique qui en résulte : à commencer par la hausse en flèche des coûts des soins de santé et le pompage des caisses de retraite. Le caractère foncièrement négatif de ces regards caricaturaux du vieillissement et de l’aîné n’est pas innocent. Il génère, voire nourrit, selon l’auteur, une fausse guerre des générations et, pire encore, il risque de conduire à la haine de soi pour l’aîné qui intériorise de tels regards. La publicité pose aussi le problème des stéréotypes âgistes. Dans ce cas, l’exclusion sur la base de l’âge se manifeste de manière des plus explicites, tout simplement par l’« invisibilité » des aînés. De fait, dans son analyse de la représentation du vieillissement, le chercheur Luc Dupont constate une quasi-absence des gens âgés dans la publicité, lesquels représenteraient environ 15 % des modèles publicitaires. En revanche, lorsqu’ils sont présents, ils sont dépeints, plus souvent qu’autrement, comme des êtres dont la contribution est sans importance et dont l’individualité est gommée par une vision homogène du vieillissement, traduisant ainsi une seule façon, un seul modèle du vieillir. Il est impossible d’évoquer les représentations du vieillissement et de l’aîné dans les médias et la publicité en passant sous silence l’image cinématographique. Le cinéma est certainement, comme le souligne Denis Bachand dans son chapitre, « un lieu privilégié d’observation de l’aventure humaine depuis la naissance jusqu’à son Introduction 5 inéluctable achèvement ». Il y entreprend une analyse exploratoire de sept films québécois (documentaires et fictions) dont certains dépeignent une image d’espoir quant au vieillir alors que d’autres traduisent un regard des plus pessimistes. Le cinéma québécois s’avère d’ailleurs un terrain tout indiqué dans une démarche de réflexion sur les stéréotypes de l’âge en ce qu’il a très tôt manifesté une préoccupation pour la question du vieillissement. Dans son texte intitulé De l’âge et du désir, Florian Grandena poursuit cette incursion dans le cinéma francophone et son regard face à la vieillesse en analysant cinq productions françaises. Quoique, constate-t-il, le cinéma français soit marqué par une certaine ouverture sur la diversité depuis les deux dernières décennies, la vieillesse demeure, plus souvent qu’autrement, en marge de cette diversité. L’étouffement du désir et de l’expression de toute forme de sexualité chez les personnages aînés à l’écran traduit d’ailleurs puissamment leur mise à l’écart dans ce domaine. L’auteur montre cependant qu’un certain progrès et un changement des mentalités semblent s’effectuer lentement, mais sûrement : certaines productions osent remettre en question les plus puissants stéréotypes âgistes, soit ceux de la non-sexualité et de l’asexualisation des aînés. Une réflexion essentielle portant sur la présence d’indicateurs d’âgisme dans le domaine de la recherche, précisément en sciences sociales, clôt cette première partie. Nous considérons en effet cette réflexion essentielle parce que le regard des chercheurs sur le vieillissement est porteur de leurs propres valeurs et préjugés face à ce phénomène. À son tour, la recherche peut servir de base aux décisions politiques et, en ce sens, elle comporte le risque d’introduire ou de renforcer l’âgisme dans les pratiques. Jean-Pierre Thouez passe ici en revue quelques travaux empiriques en sciences sociales et montre, au moyen de critères théoriques et méthodologiques utilisés par les chercheurs, que la notion de vieillesse demeure largement considérée comme un « problème » et que les aînés sont trop souvent dépeints comme un groupe « homogène ». La deuxième partie, Figures de l’âge et pratiques âgistes dans la relation de soins avec l’aîné, vise à circonscrire les croyances et les pratiques âgistes dans des sphères psychosociales précises, notamment celles concernant les relations d’aide et de soins entre les professionnels de la santé et les aînés. Ce faisant, nous examinons les représentations, les stéréotypes et les regards stigmatisants que peuvent parfois entretenir les professionnels de la santé à l’égard des aînés, mais 6 L’âgisme – Comprendre et changer le regard social sur le vieillissement également leurs répercussions en matière de pratiques de soins. Il peut sembler paradoxal de penser que la relation d’aide et de soins avec l’aîné soit teintée d’âgisme, particulièrement dans le contexte d’une population vieillissante, alors que, par définition, la relation d’aide a pour but d’améliorer tant le bien-être physique que psychologique d’un individu. Or, c’est oublier que cette relation est largement dérivée de la culture sociale dans laquelle elle s’inscrit. Et cette culture, nous le constatons dans la première partie de l’ouvrage, demeure peu valorisante pour l’aîné, son rôle et sa place dans une société. Il n’est donc pas étonnant de constater que pour ce qui est des soins de santé, des professionnels qui les prodiguent et, plus globalement, de la relation soignant-soigné, des progrès importants restent à faire. Dans le premier chapitre de cette deuxième partie, Yves Joannette et ses collègues abordent la question du vieillir d’un point de vue médical, précisément dans une perspective physiologique. Les auteurs relèvent les nombreux mythes entourant le vieillissement physiologique, selon lesquels ce processus est associé uniquement, voire exclusivement, à un « déclin ». En outre, tout en ne niant pas les changements du corps comme ceux du cerveau avec l’avancement en âge, ils font, du même coup, la démonstration que les notions de « progrès » et de « compensation » sont, à toutes fins utiles, évacuées de la représentation du vieillir physiologique. La réflexion qu’ils mènent permet donc, dans une certaine mesure, de mettre en doute l’équation stéréotypée et des plus tenaces : vieillir = déclin. Lorsque les professionnels de la santé intériorisent les images sociétales négatives sur le vieillissement, la qualité des soins prodigués aux aînés est sans aucun doute mise en péril. Dans un contexte de vieillissement de la population, actuel comme futur, il s’avère important de saisir quelles sont les représentations, les croyances et les attitudes entretenues par les futurs professionnels de la santé face aux personnes aînées. Jean Vézina montre qu’énormément de travail reste à faire à cet égard. À titre d’exemple, il souligne dans son chapitre portant sur les attitudes des étudiants universitaires du domaine de la santé envers les personnes âgées que « seulement deux pour cent des jeunes médecins mentionnent vouloir travailler auprès d’une clientèle âgée ». Parmi les facteurs expliquant potentiellement les attitudes sinon négatives mais à tout le moins ambivalentes des nouvelles cohortes de travailleurs de la santé face au aînés, il souligne Introduction 7 l’insuffisance, voire l’absence, de formation adéquate en ce qui a trait à la thématique du vieillissement. Dans la continuité de cette réflexion sur l’âgisme et sur les professionnels de la santé prodiguant des soins, Anne Bourbonnais et Francine Ducharme discutent de l’influence de certaines valeurs et croyances sur ces professionnels, comme la productivité, l’indépendance et les craintes devant la mort, qui peuvent conduire à la stigmatisation des personnes âgées, particulièrement les plus vulnérables. Plus encore, elles remettent en question certains modèles du vieillissement « en santé », lesquels contribuent à mettre l’accent sur une responsabilité individuelle face aux déficits de certains aînés et, de ce fait, nourrissent l’âgisme. La stigmatisation sur la base de l’âge peut parfois se juxtaposer à d’autres stigmates générant ainsi un cumul d’effets dénigrants sur la santé tant physique que mentale d’une personne. Les individus dont le parcours est marqué par des problèmes de santé mentale font souvent les frais de l’exclusion et de la discrimination. L’aîné victime de tels troubles est alors à risque d’une double disqualification/stigmatisation. Pourtant, les personnes âgées souffrant de troubles mentaux graves constituent une population peu évoquée, que ce soit en recherche ou dans la pratique des soins de santé. Cette constatation est à la base de la réflexion menée dans le chapitre de Bernadette Dallaire et de ses collègues. Les auteurs explorent notamment les représentations sociales et professionnelles entourant les aînés souffrant de troubles mentaux graves et tracent un portrait de la situation en ce qui concerne les services de santé qui leur sont dispensés. Il aurait été impensable de clore ce volet sur les soins aux personnes âgées sans aborder la délicate question de l’éthique en lien avec le thème de l’âgisme qui guide le présent ouvrage. Dans le contexte actuel des pratiques de soins, des écoles de pensées s’affrontent toujours sur la question du vieillissement dans une perspective médicale et sur la question du « sens » du vieillissement dans une perspective anthropologique. Elles influencent forcément la distribution des soins tout autant qu’elles nourrissent de nombreux débats (notamment celui sur le critère de l’âge pour limiter les traitements à dispenser). Le chercheur Hubert Doucet présente, de manière critique, ces écoles de pensées et propose, dans son texte, quelques orientations à privilégier dans les soins aux personnes âgées : « entre 8 L’âgisme – Comprendre et changer le regard social sur le vieillissement l’abandon et l’acharnement, privilégier l’accompagnement », souligne-t-il. Le monde du travail est influencé par la culture sociétale dans laquelle il évolue. En ce sens, il est imprégné, du moins en partie, des valeurs et des croyances entourant le vieillissement et en la matière, forcément, des défis, sinon des obstacles, restent à relever. L’âgisme au travail est un véritable enjeu et, pourtant, quand on le compare à d’autres formes d’exclusion, tels le sexisme ou le racisme, il est pratiquement tenu sous silence, à tout le moins peu dénoncé. Une situation des plus paradoxales dans un contexte où de nombreux secteurs de travail font et feront face à des pénuries de main-d’œuvre et où cette main-d’œuvre se fait de plus en plus vieillissante. La troisième partie, L’âgisme au travail et ses conséquences, propose une réflexion sur ce sujet dans des perspectives sociologique, psychologique et économique. Précisément, les manifestations de l’âgisme au travail sont explorées tout autant que le sont leurs répercussions coûteuses pour la société, l’entreprise et le travailleur. Dans un exercice de comparaison entre l’Europe continentale, les pays scandinaves, l’Amérique du Nord et le Japon, Anne-Marie Guillemard montre que les configurations politiques de ces pays génèrent deux cultures de l’âge, pratiquement opposée l’une et l’autre : une culture de l’âge basée sur l’idée de cessation anticipée d’activité et une culture où prime le droit au travail à tout âge. La première engendre forcément une fragilisation, une dépréciation du travailleur avançant en âge et, ce faisant, favorise son exclusion ; en revanche, la seconde encourage un vieillissement actif et, surtout, une reconnaissance de l’apport du travailleur âgé quant à la vitalité et à la productivité de l’entreprise. Pour sortir de la logique sous-jacente à la culture de sortie précoce, l’auteur en appelle à la création de nouveaux instruments qui soient adaptés aux réalités contemporaines, soit celles d’une société où les connaissances sont mondialisées et où les temps sociaux sont flexibilisés. La stigmatisation et la marginalisation âgistes sont coûteuses non seulement pour la société et l’entreprise, mais inévitablement pour le travailleur qui en est la cible. Dans le deuxième chapitre de cette thématique de l’âgisme au travail, Martine Lagacé et Francine Tougas montrent, depuis une approche psychologique, que les stéréotypes sur la base de l’âge fragilisent l’équilibre psychologique du travailleur avançant en âge : ce travailleur réagit à l’âgisme par un processus de désengagement virtuel, lequel mine son estime de soi et Introduction 9 l’incite ensuite à un départ réel. En outre, les auteures suggèrent, sur la base de résultats d’études antérieures, que la communication organisationnelle pourrait être l’un des tenants de l’âgisme au travail. Mettre fin à cette forme d’exclusion exige, soulignent-elles, une approche choc, de type « tolérance zéro », à laquelle devraient souscrire pleinement les dirigeants d’entreprises. Le dernier chapitre de l’ouvrage quantifie les coûts de l’âgisme en milieu de travail. Il est en effet plausible de penser qu’en souscrivant au processus d’exclusion sur la base de l’âge, les entreprises s’auto-pénalisent et mettent même en péril leur survie à long terme en se privant de l’engagement et de la connaissance des travailleurs les plus expérimentés. Mais combien coûte précisément l’exclusion de ces travailleurs ? Le chercheur Marcel Mérette effectue une première estimation du coût de l’âgisme au travail dans le contexte canadien. Une telle mesure de l’impact économique des sorties anticipées du travail est tout à fait pertinente sachant que, bien que la littérature sur l’âgisme soit relativement étoffée, très peu d’études s’intéressent à ses effets économiques. En outre, nous espérons que cet exercice d’estimation en dollars de l’impact de l’âgisme en milieu de travail, actuel comme futur, pourra contribuer à convaincre entreprises, syndicats et gouvernements d’agir. Partie I Stéréotypes et figures de l’âgisme : médias, publicité, cinéma et recherche Âgisme et stéréotypes : quand l’âgisme conduit à la haine de soi et au conflit entre générations1 Jérôme Pellissier Observatoire de l’âgisme en France L a scène montre un « senior », habillé en randonneur, arborant lunettes de soleil et sourire radieux, canne à la main, en train de siffloter d’un air heureux et insouciant. Plus loin, de jeunes chômeurs faisant la queue devant une « agence pour l’emploi » le regardent avec des visages énervés et fatigués. L’un d’eux lui lance : « Eh, les vieux, vous ne pourriez pas siffloter moins fort ? Il y en a qui voudraient travailler ! » Cette scène n’est autre que la scène sociale, ici perçue par Jean Plantu, le dessinateur de presse français le plus célèbre actuellement, telle que montrée à la une du journal Le Monde le 1er décembre 2008. Comment en est-on arrivé là ? Jean Plantu n’est pas plus âgiste qu’un autre. Pas moins non plus. Son dessin n’est qu’une des nombreuses – et quasi quotidiennes – illustrations de la vision des « seniors » et des âges qui désormais domine dans les médias français et, partant, dans une partie de l’opinion. En voici quelques autres : 1. L’auteur tient à remercier très chaleureusement Geneviève Laroque et Marielle PoussouPlesse pour leur lecture critique et bienveillante de ce texte. 14 Partie I – Stéréotypes et figures de l’âgisme Avril 2008. Interrogée par un journaliste, Valérie Pécresse, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, indique que toutes les réformes engagées par le gouvernement français dans le domaine de la santé ont pour objet de « lutter contre le fléau qui va arriver, celui du vieillissement de la population2 ». Octobre 2008. Sans fournir une seule indication sur le sérieux de telles propositions, le journal Le Monde informe ainsi ses lectrices et lecteurs : « Pour limiter la “ surreprésentation ” prévisible des seniors dans le corps électoral des pays développés, plusieurs chercheurs ont proposé de minorer le vote des plus âgés3. » Hiver 2008. Malgré les promesses de plusieurs gouvernements successifs, le « minimum vieillesse4 » reste toujours, en France, inférieur au seuil de pauvreté européen5. Plus d’un million de vieux pauvres vivent avec moins de 650 euros par mois (soit environ 250 euros sous le seuil de pauvreté6). En ce début de XXIe siècle, 62,5 % des femmes retraitées perçoivent une retraite inférieure à 899 euros (soit quasiment le montant du « seuil de pauvreté ») et 45 % des hommes retraités perçoivent une retraite inférieure à 1 200 euros (soit environ 1,35 fois le seuil de pauvreté7). Malgré ces chiffres, connus, à la suite d’une étude de l’INSEE portant sur une « courbe du bonheur » qui culminerait autour de l’âge de 65 ans8, de nombreux médias français titrent sur le « bonheur des sexagénaires », les « sexagénaires privilégiés par notre société », « l’iniquité entre générations » et « les jeunes générations sacrifiées », etc.9. 2. Émission Ripostes (France 5), 24 avril 2008. 3. Le Monde, 9 octobre 2008. 4. Le « minimum vieillesse », appelé aussi Allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), est le minimum garanti aux personnes de plus de 65 ans pauvres. La personne qui en bénéficie reçoit un montant qui couvre la différence entre ses ressources et la somme de 633,13 euros. Somme très inférieure au seuil de pauvreté – voir note suivante. 5. Le seuil de pauvreté européen, calculé sur la base de 60 % du revenu médian, se situe autour de 880 euros pour une personne seule. Jusqu’à tout récemment, le seuil de pauvreté français était calculé sur la base de 50 % du revenu médian et tournait donc autour de 700 euros. 6. Sur ce sujet, voir : http://www.jerpel.fr/spip.php ?article244. 7. Sur les montants des retraites, voir les différents numéros que la revue de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), Études et résultats, consacre au sujet régulièrement. Voir également Carole Bonnet (2006). 8. Voir Cédric Afsa et Vincent Marcus (2008). 9. La « courbe du bonheur » témoigne de ce que le sentiment de satisfaction quant à sa vie décroît progressivement depuis l’entrée dans l’âge adulte jusque vers la cinquantaine (elle est au plus bas entre 45 et 50 ans), puis remonte nettement avant de chuter sévèrement à Âgisme et stéréotypes : quand l’âgisme conduit à la haine de soi… 15 Comment en est-on arrivé là ? Car l’âgisme n’est pas nouveau. Le racisme anti-vieux, les stéréotypes et les clichés qui prennent pour cibles les vieilles personnes, les discriminations – dans l’accès à la formation professionnelle, à l’emploi, aux soins – du fait de l’âge, les généralisations caricaturales sont, depuis plusieurs années maintenant, dénoncées par des gérontologues, sociologues, anthropologues, etc.10. Pour autant, la menace de conflits entre les générations, de guerre des âges, est plus réelle que jamais : dans plusieurs domaines, sous les couleurs de l’âgisme ordinaire, pointent en effet de nouvelles formes d’accusations et d’arguments : ceux qui, loin de se contenter de caricaturer les vieilles personnes, de leur attribuer en bloc telle ou telle tare, les rendent désormais responsables, voire coupables, de dégradations sociales et les accusent d’appauvrir et de léser les autres générations. Au-delà des appels au meurtre social des vieilles personnes, un autre phénomène méritera d’être souligné : on voit en effet celles et ceux qui dénigrent la vieillesse développer peu à peu une véritable haine, pathogène, de leur propre devenir et de leur propre vieillissement. Qu’elles prennent la forme d’auto-dénigrements (« Je ne vaux plus rien » ; « De toutes façons, maintenant, je suis un “ vieux ” »), de conduites compulsives en quête d’éternelle jeunesse (surconsommation de produits « anti-âge », recours incessants à la chirurgie plastique), d’angoisses hypocondriaques (peur obsessionnelle d’être soudain « dément », « gâteux », etc.), de dégoût de soi (« Je ne peux plus me regarder dans la glace »), de culpabilité (« Je suis un poids pour mes enfants, vous savez »), ces pensées, ces conduites, témoignent des dégâts psychiques que l’intégration des stéréotypes et phobies âgistes commence à provoquer11. partir des environs de 70 ans. Cette courbe est systématiquement interprétée comme témoignant du « bonheur des retraité(e)s » et non du « malheur des actifs ». Ce « bonheur » des sexagénaires étant lui-même toujours décrit comme le témoin de ce qu’elles et ils ont une meilleure vie que leurs concitoyen-ne-s, comme si n’existaient pas les études ayant montré que nous nous ajustions en vieillissant et que nous adoptions des objectifs et aspirations plus réalisables et donc plus souvent sources de plaisirs. 10. Le premier grand ouvrage en majeure partie consacré à la manière dont nos sociétés occidentales perçoivent la vieillesse et traitent les vieilles personnes est celui que Simone de Beauvoir écrivit en 1970, intitulé La Vieillesse. Seul de tous ses ouvrages à être resté de longues années non édité, il est encore aujourd’hui l’un de ses livres les moins connus. 11. Voir Jérôme Pellissier (2007a) pour l’analyse de certaines de ces pensées et conduites.