124 [thm:revet-universel] 3. Groupoïdes fondamentaux et revêtements ☞ 176 Théorème. Soit (X, ∗) un espace pointé connexe, localement connexe par arcs et semi-localement simplement connexe. Alors (X, ∗) a un revêtement universel, qui est un revêtement principal de groupe π1 (X, ∗), dont l’espace total est connexe par arcs et simplement connexe. Démonstration. Recouvrons X par des ouverts (non vides) (Ui )i∈I connexes par arcs et assez petits pour que tout lacet de l’un de ces ouverts soit homotope à un lacet constant dans X. Dans chaque Ui choisissons un point ai . Il est possible de faire en sorte que a0 soit le point de base ∗ de X. Soit τi un chemin de ∗ à ai (le chemin constant dans le cas de a0 ). Posons Ei = Ui × π1 (X, ∗). On va recoller les Ei (via une colimite dans Top) pour en faire l’espace total d’un revêtement sur X. Pour tout x ∈ Ui ∩ Uj , on choisit un chemin u de ai à x dans Ui et un chemin v de aj à x dans Uj . Ui τj ai τi aj Uj u ∗ v x C’est possible puisque Ui et Uj sont connexes par arcs (ce qui n’est pas nécessairement le cas de Ui ∩ Uj ). De plus, les classes d’homotopie (dans X) de u et v ne dépendent pas des choix de u et v. En effet, si u� est un autre choix pour u, le lacet u� �u−1 est homotope à un lacet constant dans X. On a donc [u� ][u]−1 = 1ai dans le groupoïde fondamental Π(X, X), et par conséquent [u] = [u� ]. On définit le lacet γi,j (x) de (X, ∗) comme la concaténation τi �u�v −1 �τj−1 . Bien que ce lacet dépende des choix de u et v, sa classe d’homotopie [γi,j (x)] n’en dépend pas. Construction du revêtement : Pour chaque paire (i, j) de I × I, Posons E i,j = (Ui ∩ Uj ) × π1 (X, ∗). On définit les applications : Ei � � αi,j Ej βi,j Ei,j 125 3.8. Revêtement universel par αi,j (x, [σ]) = (x, [σ]) et βi,j (x, [σ]) = (x, [σ][γi,j (x)]).( 6 ) Les flèches αi,j et βi,j (pour tous les couples (i, j)) forment alors un diagramme dans Top, et on définit E comme la colimite de ce diagramme. Chaque Ei et chaque Ei,j se projette sur X (par (x, [σ]) �→ x), et ces projections, qui commutent avec les flèches du diagramme, définissent une flèche (c’est-à-dire une application continue) π : E → X. On notera [Ei , x, [σ]] l’image du couple (x, [σ]) ∈ Ei par l’insertion canonique θi de Ei dans la colimite E. On prend [E0 , ∗, 1] comme point de base ∗ de E. Il reste à montrer que π est un revêtement principal, que E est connexe par arcs et simplement connexe (lemme 173 (page 122)). L’insertion canonique θi : Ei → E est injective. En effet, Soient (x, [σ]) et (y, [τ ]) deux éléments de Ei tels que [Ei , x, [σ]] = [Ei , y, [τ ]]. En appliquant π aux deux membres de cette égalité, on obtient x = y. Il reste donc à prouver que [σ] = [τ ]. La colimite E est le quotient de l’union disjointe des Ei par la relation d’équivalence engendrée par les équations [Ei , x, [σ]] ∼ [Ej , x, [σ][γi,j (x)]]. Comme cette équation est équivalente à [Ej , x, [σ]] ∼ [Ei , x, [σ][γj,i (x)]], il suffit donc de prouver que toute composition de la forme [γi1 ,i2 (x)][γi2 ,i3 (x)] . . . [γin−1 ,in (x)], telle que i1 = in (= i dans le cas qui nous intéresse), est égale à 1. Or, si u1 , . . . , un sont des chemins tels que uk relie aik à x dans Uik , on a : −1 −1 −1 [γi1 ,i2 (x)] . . . [γin−1 ,in (x)] = [τi1 u1 u−1 2 τi2 ] . . . [τin−1 un−1 un τin ] −1 = [τi1 u1 u−1 n τi n ] = 1 car u1 = un et τi1 = τin . De plus, l’insertion canonique de Ei dans E est une application ouverte. En effet, il suffit de montrer que si V est un ouvert de Ei , alors pour tout j, θj−1 θi (V ) est 6. Noter qu’on peut intervertir i et j, et qu’on a donc les flèches βj,i Ej,i � Ei � αi,j ϕj,i � Ei,j αj,i � � Ej βi,j où ϕj,i (x, [σ]) = (x, [σ][γj,i (x)]). Ce diagramme est commutatif, ϕj,i est un homéomorphisme, et on voit qu’on a une forme de redondance. On a également Ei,i = Ei et αi,i = βi,i = 1Ei . Alternativement, on pourrait supposer I totalement ordonné et ne considérer que les couples (i, j) tels que i < j. 126 3. Groupoïdes fondamentaux et revêtements un ouvert de Ej . Or, on a le diagramme commutatif : �E � θi θj Ei � Ej � αj,i βj,i Ej,i fait d’applications injectives. En fait, il s’agit d’un carré cartésien. En effet, notons P le produit fibré (ensembliste usuel) des flèches θi et θj . On a le diagramme commutatif : �E � θj θi E � � j Ei� � P� βj,i αj,i ϕ Ej,i et, comme ϕ est clairement injective, il y a juste à montrer qu’elle est surjective. Un élément de P est de la forme ((x, [σ]), (x, [τ ])), où x ∈ Uj,i et où θi (x, [σ]) = θj (x, [τ ]). Compte tenu la définition de αj,i , un antécédent de ((x, [σ]), (x, [τ ])) par ϕ ne peut être que (x, [τ ]). Il y a donc juste à montrer que βj,i (x, [τ ]) = (x, [σ]), ce qui résulte de l’injectivité de θi et de la commutativité du diagramme ci-dessus. −1 On en déduit que θj−1 θi (V ) = αj,i βj,i (V ),( 7 ) qui est ouvert car αj,i est une application ouverte. Ceci montre que pour tout i, le carré : θi Ei �E π p1 � Ui �� � �X est cartésien (dans Top). En effet, donnons-nous deux applications continues ϕ : Z → Ui et ψ : Z → E, telles que pour tout z ∈ Z, on ait π(ψ(z)) = ϕ(z). Alors 7. Cette propriété est la « condition de Beck-Chevalley », qui s’applique à tout carré cartésien dans tout topos. Dans le cas de la catégorie des ensembles, c’est une propriété tout à fait élémentaire laissée en exercice au lecteur. 127 3.8. Revêtement universel πψ(z) ∈ Ui et ψ(z) est donc de la forme [Ei , ϕ(z), [σ]]. Définissons ζ : Z → Ei en posant ζ(z) = (ϕ(z), [σ]). L’injectivité de θi montre que ζ est bien définie. Par ailleurs, le composé θi ◦ ζ (qui est égal à ψ) est continu. Comme θi est injective et ouverte, on voit que ζ est continue. Par ailleurs, toujours par injectivité de θ i , elle est la seule flèche telle que θi ◦ ζ = ψ. L’application π est donc un revêtement de fibre π1 (X, ∗), et il est bien sûr trivial au dessus de chaque Ui . Comme l’application [σ] �→ [σ][γi,j ] qui a servi plus haut à définir βi,j est équivariante pour l’action à gauche de π1 (X, ∗) sur lui-même (de même bien sûr que l’application [σ] �→ [σ] qui sert à définir αi,j ), le revêtement π : E → X est principal de groupe π1 (X, ∗). Relèvement d’un chemin le long de π : Soit σ un chemin de ∗ à un point x de X. Soit k ∈ I tel que x ∈ Uk , et soit u un chemin de ak à x dans Uk . Nous allons montrer que l’unique relèvement de σ partant de ∗ aboutit à [Ek , x, [σ �u−1 �τk−1 ]] (ceci quel que soit le choix de u). τk ak ∗ τk−1 u x v Uk σk τk−2 w Uk−2 xk ak−1 ak−2 σ xk−1 Uk−1 Par compacité de l’intervalle [0, 1], σ est une concaténation de chemins σ 0 � . . . �σk , où chaque σi est contenu dans un Ui . Si k = 0, σ est contenu dans U0 , et le lacet σ �u−1 �τ0−1 , qui est contenu dans U0 est homotope à un lacet constant dans (X, ∗). Autrement-dit, on a [σ �u−1 �τ0−1 ] = 1. Par ailleurs, dans le revêtement trivial p1 : U0 × π1 (X, ∗) → U0 , le relèvement de σ à partir de (∗, 1) aboutit à (x, 1), donc dans le revêtement π, le relèvement de σ à partir de ∗ ∈ E aboutit à [E0 , x, 1]. Supposons maintenant k > 0 et raisonnons par récurrence sur k. Soient u et v des chemins dans Uk de ak à x et à xk (l’origine de σk ) respectivement, et w un chemin dans Uk−1 de ak−1 à xk . Par hypothèse de récurrence, le relèvement de σ0 � . . . �σk−1 (qui va de ∗ à xk ) à partir de ∗ ∈ E aboutit à −1 ]] [Ek−1 , xk , [σ0 � . . . �σk−1 �w−1 �τk−1 128 3. Groupoïdes fondamentaux et revêtements Or, par définition de la colimite E, cet élément est le même que −1 �τk−1 �w �v −1 �τk−1 ]] [Ek , xk , [σ0 � . . . �σk−1 �w−1 �τk−1 c’est-à-dire [Ek , xk , [σ0 � . . . �σk−1 �v −1 �τk−1 ]], ou encore [Ek , xk , [σ0 � . . . �σk �u−1 �τk−1 ]] puisque v −1 est homotope à σk �u−1 dans X par l’hypothèse de connexité simple semi-locale. Comme par ailleurs le revêtement est trivial au dessus de Uk , on voit que le relèvement du chemin σ à partir de ∗ ∈ E aboutit à [Ek , x, [σ0 � . . . �σk �u−1 �τk−1 ]], ce qui termine cette preuve par récurrence. E est connexe par arcs : Si maintenant σ est un lacet de (X, ∗), l’unique relèvement de σ à partir de ∗ ∈ E aboutit donc à [E0 , ∗, [σ �u−1 �τ0−1 ]] (où u est un lacet contenu dans U0 ), c’est-à-dire à [E0 , ∗, [σ]]. Comme [σ] ∈ π1 (X, ∗) est arbitraire, on voit que tout point de la fibre de π au dessus de ∗ ∈ X peut être relié par un chemin à ∗ ∈ E. Comme par ailleurs, la connexité par arcs de X et le théorème de relèvement des chemins montrent que tout point de E peut être relié à un point de cette fibre, on voit que E est connexe par arcs. E est simplement connexe : Soit enfin σ un lacet de (E, ∗). π ◦ σ est alors un lacet de (X, ∗), dont le relèvement à partir de ∗ ∈ E est σ. Comme ce relèvement aboutit à [E0 , ∗, [π ◦ σ]], on a [π ◦ σ] = 1. Ainsi, π ◦ σ est homotope à un lacet constant, et il en est donc de même de σ par relèvement de cette homotopie. ❏ ☞ 177 Remarque. Le théorème 176 s’applique en particulier aux variétés topologiques connexes de dimension n (n ∈ N), c’est-à-dire aux espaces (connexes) localement homéomorphes à Rn . ☞ 178 Théorème. Soit (X, ∗) un espace pointé connexe, localement connexe par arcs et semi-localement simplement connexe. Soit H un sous-groupe (non nécessairement distingué) de π1 (X, ∗). Alors il existe un revêtement pointé π : (E, ∗) → (X, ∗) tel que H soit l’image de π∗ : π1 (E, ∗) → π1 (X, ∗). De plus, ce revêtement a H\π1 (X, ∗) comme fibre.( 8 ) Démonstration. Il résulte du théorème 176 (page 124) que (X, ∗) a un revêtement universel π : E → X, et que π1 (X, ∗) agit librement (à gauche) sur E (car π est un revêtement principal). Ainsi, H agit librement à gauche sur E, et on a la projection π : E = H\E → X. Il est immédiat que π est un revêtement (qui n’est généralement pas principal( 9 )) vérifiant les dernières affirmations de l’énoncé. ❏ 8. Où H\π1 (X, ∗) est le quotient de π1 (X, ∗) par l’action à gauche de H. Lire : « H sous π1 (X, ∗) ». 9. On va voir plus loin en 186 (page 132) qu’il l’est si et seulement si H est distingué dans π1 (X, ∗).