Paternalisme, autonomie et respect de la personne : un dilemme ?

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S c i e n c e
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c o n s c i e n c e
Paternalisme, autonomie et respect de la personne :
un dilemme ?
● Th.
du Puy-Montbrun*
I
l est d’expérience immédiate que la relation médecin-malade, telle qu’elle se vit
aujourd’hui, diffère profondément de ce
qu’elle était pour nos aînés. En quelques
décennies, l’attente des patients s’est transformée : les exigences ne sont plus les mêmes,
avec des conséquences sur le rôle et la place
du médecin dans la société. S’agit-il d’un
changement de degré ou de nature, d’une
simple modification relationnelle ou d’une
révolution structurelle ? Quelles sont les
causes d’une telle évolution et ses conséquences sur le questionnement éthique qui
fonde cette relation si particulière à l’autre
qu’est l’exercice de la médecine ?
L’ensemble de la problématique tient ici à ce
que nous passons du modèle paternaliste à
celui de l’autonomie, transformation complexe et non sans risque, car elle sous-tend des
approches culturelles fort différentes. Qu’en
est-il précisément ? Jusqu’à ces dernières
années, la relation médecin-malade était, en
France, de type paternaliste et fondée sur le
principe de bienfaisance. Le malade n’avait
d’autre possibilité que d’être réduit au statut
* Service de colo-proctologie,
hôpital Léopold-Bellan, Paris.
Le Courrier de colo-proctologie (II) - n° 1 - mars 2001
d’enfant de par l’ignorance dans laquelle il
était maintenu de la nature et des causes de son
mal ainsi que des moyens d’y remédier. “Tout
patient est et doit être pour [le médecin]
comme un enfant à apprivoiser, (...) à sauver,
(...), à guérir ”, déclarait L. Portes (1), président de l’Ordre national des médecins, il y a
quelque cinquante années. Dans cette analyse,
la relation médecin-patient est fondamentalement inégalitaire, le patient s’en remettant à
la décision du médecin, qui sait et qui agira –
principe de bienfaisance oblige – pour son bien
à lui, malade qui ne sait pas. Mais là se pose
une question de fond : qu’est-ce que le bien
du malade ? Au nom de quoi et de qui
appartient-il au médecin de s’approprier le
droit de le définir ? De fait, comme le signale,
B. Baertschi (2), “la maladie n’est pas le seul
mal, ni la santé le seul bien, et parmi les biens
que poursuit un individu, il y en a beaucoup
d’autres” ; et – sauf à se substituer au choix
de l’autre (mais comment le justifier ?) – le
médecin est-il fondé à hiérarchiser ce qui est
bien pour son patient ? Finalement, peut-il –
même au nom de la bienfaisance – décider à
la place de l’autre 1, le priver de sa faculté de
1. Le cas des enfants sort du champ de cette réflexion.
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choisir et, partant, porter atteinte à son intégrité en tant que personne ?
À tout cela les partisans de l’autonomie vont
répondre par la négative. Si le paternalisme
“affirme savoir mieux qu’un autre ce qui est
bon, bénéfique pour lui” (2) et s’autorise à lui
imposer une conduite, le principe d’autonomie inscrit la relation médecin-malade dans
un rapport d’égalité, la consultation n’étant
qu’une prestation de services qui permet au
malade de recueillir le maximum d’informations afin qu’il puisse se déterminer. “La
valeur première, ici, n’est pas [pour le médecin] de faire le bien du patient mais de respecter sa liberté, sa dignité d’être qui prend
lui-même les décisions qui le concernent sous
couvert d’une négociation contractuelle.” (3)
Finalement, respecter l’autonomie du patient,
“c’est respecter sa conception de la vie heureuse et l’histoire personnelle qui la soustend” (2).
Ainsi sommes-nous en présence de deux projets relationnels radicalement opposés et,
comme toujours en de telles situations, il
convient de s’interroger sur les fondements de
l’un et de l’autre. En d’autres termes, qui du
paternalisme ou de l’autodétermination prime
l’autre ? Faire le bien de l’autre au nom de ce
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que je pense être son bien – parce que j’ai la
connaissance et lui non – ou respecter la personne qu’il est, sa liberté de choix, c’est-à-dire
sa dignité ? Pour résoudre ce dilemme, on peut
se référer au principe selon lequel la proposition qui a le plus de valeur doit être préférée,
“puisqu’un bien plus élevé est un bien plus
désirable, c’est-à-dire préférable” (2). Dans
cette hypothèse, on peut admettre que la seule
personne qui soit à même de décider pour le
patient est le patient lui-même – sauf à nier sa
liberté – et qu’il n’est pas dans les prérogatives du médecin d’imposer sa propre échelle
de valeurs. Dès lors, l’autodétermination
prime, non qu’elle soit hiérarchiquement
supérieure, mais, comme le dit très justement
B. Baertschi, “parce qu’elle est au fondement
de tout choix” (2). En termes kantiens, cela
rappelle que la personne doit être prise comme
une fin et non comme un moyen. Du point de
vue de l’exercice médical, cette primauté de
l’autonomie signifie donc que savoir mieux
que le sujet n’implique pas l’existence d’un
droit d’autorité du médecin sur le patient.
Est-ce pour autant que le dilemme est résolu ?
Non, car il reste à savoir quel sens recouvre le
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terme d’autonomie. C’est là un point d’importance, l’autonomie dans son acception
anglo-saxonne s’opposant, sur le fond, radicalement à notre cadre philosophique et culturel. De fait, elle implique, par un médecin
“prestataire de soins neutre et indifférent” (3),
le respect du choix de chaque individu, quel
que soit ce choix, y compris s’il est irrationnel ou dangereux pour le sujet. Or, et bien que
nous ayons souligné toute la nécessité de poser
le primat de l’autonomie, il semble qu’elle ne
puisse totalement “s’exercer contre le principe
de bienfaisance” (3). C’est, par exemple, ce
qu’a reconnu la Cour administrative d’appel
de Paris, à propos de patients transfusés contre
leur gré (Témoins de Jéhovah) : l’obligation
qu’a le médecin de toujours respecter la
volonté du malade trouve sa limite dans l’obligation qu’il a aussi de protéger la vie même
de l’individu 2.
Par conséquent, si le paternalisme ne peut fonder la relation soignant-soigné – il réifie le
sujet en lui ôtant sa liberté – l’autonomie ne
paraît pas non plus, bien que primant le paternalisme, devoir s’imposer comme étant le
paradigme de cette relation, du moins dans sa
forte acception anglo-saxonne. L’autonomie,
pour avoir du sens, doit participer d’une
volonté d’universalisabilité de nos actes et
s’inscrire dans une référence constante à
l’autre, “lui et moi” étant liés dans la solidarité collective. Faute de quoi, elle risque de
n’être qu’un avatar de l’utilitarisme.
■
R É F É R E N C E S
B I B L I O G R A P H I Q U E S
1. Portes L. Du consentement du malade à l’acte
médical. In : À la recherche d’une éthique médicale.
Paris, Masson, 1964, cité par S. Rameix, Fondements
philosophiques de l’éthique médicale, Paris, Ellipses,
1996.
2. Baertschi B. La valeur de la vie humaine et l’intégrité de la personne. Paris, PUF, coll. “philosophie
morale”, 1995.
3. Rameix S. Du paternalisme des soignants à l’au2. Cours administrative d’appel de Paris, jugement du
9 juin 1998. Voir l’article 36 du code de déontologie.
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tonomie des patients ? In : Revue Laennec, Paris,
octobre 1997.
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