Les relations médecins patients en 2015 - Rein

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Les relations médecins patients en 2015
Les malades ont aujourd’hui bien changé.
Parfois (souvent ?) moins respectueux, ils se montrent surtout plus curieux de comprendre les
mécanismes de leur maladie et des médicaments qui leur sont prescrits et refusent de se
laisser soigner passivement. Internet, on l’a dit mille fois, a très largement contribué à cette
évolution, en donnant accès à des informations jusque là impossibles à compiler pour le
commun des mortels. Face à ces attitudes nouvelles, les praticiens ne pouvaient qu’eux aussi
transformer leur pratique. Cette évolution s’est faite le plus souvent de bonne grâce (mais sans
doute pas toujours)… et parfois de façon militante. Il est des médecins qui mettent un point
d’honneur à ce que leurs discours, leur accompagnement, donnent une place centrale aux
patients, à leurs choix et à leurs aspirations. Cependant, quotidiennement, ces médecins
constatent les difficultés d’un tel engagement, voire les limites.
Explique toujours, tu m’intéresses !
Tout d’abord, d’un point de vue purement pragmatique, faire le choix d’expliquer les tenants
et aboutissants de chaque geste et prescription nécessite du temps… temps parfois employé en
vain, quand les arguments mille fois répétés ne sont pas entendus. C’est ce qu’illustre une
note récente du blog "docteur du 16". Dans son "Histoire de consultation 180 ", il raconte
comment un couple lui a récemment une nouvelle fois demandé la prescription d’un dosage
du PSA. « Moi : "Vous voulez que je recommence à vous dire pourquoi le dosage du PSA en
général et en particulier chez un homme de votre âge dont l'espérance de vie (…) est
d'environ une quinzaine d'années, ne présente pas un intérêt évident quand on analyse le
rapport bénéfices / risques ?" Ils attendent que je refasse complètement le boulot. J'explique,
je réexplique, et je m'ennuie comme quelqu'un qui répète presque toujours la même chose et
qui finit par se demander si l'autoritarisme, le paternalisme, l'avis d'expert, l'autorité de la
chose jugée, le mieux disant médical et tout ce que vous pouvez imaginer, ne seraient pas
mieux que les valeurs et préférences des patients... Je refais donc le boulot (…). J'ai
convaincu Monsieur qui reformule qu'il n'a pas envie des complications, du suivi, de l'attente
des résultats, dans le désordre. Un PSA prescrit par un collègue était à 1,25 (pour une
normale inférieure à 4) il y a environ deux ans. Mais Madame A :"Je préfèrerais que vous le
prescriviez et nous ne tiendrons pas compte du résultat" ». Cette anecdote suggère la lassitude
pouvant s’installer chez les médecins s’étant donnés pour âpre mission d’offrir aux patients
les meilleures armes pour faire leur choix face au refus d’entendre de certains. Elle évoque les
limites d’une attitude basée sur la rationalité absolue et la transparence (même si ces limites
n’invalident nullement la pertinence de cette attitude)… notamment parce que les nouveaux
comportements des patients les poussent plus fréquemment à la défiance ou au recueil
d’informations auprès d’autorités pas toujours incontestées (mais qu’ils écoutent pour leur
part sans ciller).
Explique toujours, tu m’angoisses !
Au-delà de ces inévitables "échecs", d’autres s’interrogent sur les éventuelles conséquences
délétères du "recul du paternalisme" ou plus certainement des nouveaux rapports qui se sont
instaurés entre les patients et les praticiens. Dans une note ancienne, mais dont la réflexion est
toujours d’actualité, intitulée "Le paternalisme en médecine, à éviter", l’auteur de
"toubib92" évoquait ainsi le risque de créer la confusion, voire de faire naître l’angoisse chez
certains patients. Ce praticien le signale lui-même, il fait partie de « ces médecins qui luttent
quotidiennement pour ne pas (ou ne plus) être doctes, péremptoires, affirmatifs. Au contraire
je tente d’informer, d’échanger, de rappeler les controverses, de souligner les alternatives, de
lister les complications possibles, de m’adapter au cas par cas…écouter, échanger,
m’adapter… c’est mon crédo ». Néanmoins, cette ligne remarque-t-il n’est pas sans revers. «
Nous provoquons parfois l’anxiété. Nous informons, nous donnons de nombreuses
alternatives, nous laissons le choix final au patient… mais parfois la viscosité mentale
s’installe chez notre patient, "trop d’information tue l’information ", le patient n’a pas le
temps de tout ingérer, intégrer, certains mots que nous avons utilisés sont peut être mal
compris, mal interprétés, sources d’une angoisse que nous ne pouvions soupçonner, et le
reste de notre discours médical ou de notre écrit n’est plus compris, ou n’est plus
enregistré…Que faire ? Revenir en arrière ? Redevenir autoritaire, fermer la porte à toute
discussion, pour préserver le patient d’une angoisse incontrôlable ? Heureux les simples
d’esprit ? La politique de l’autruche ? A mon avis il faut continuer à lutter contre ce
paternalisme mais il faut s’adapter au cas par cas, ne pas faire flamber une angoisse qui peut
être destructrice et contre productive, et surtout, quand c’est possible, dire ce que nous
ferions pour nous même ou pour notre famille, même si le vécu de chacun est différent.
Souvent cette proposition soulage, guide humainement le patient » estimait-il, proposant une
solution que tous sans doute ne reconnaîtront pas comme la meilleure. Certains remarqueront
par ailleurs que le défaut d’informations est plus fréquemment source d’angoisse que leur
profusion.
Explique toujours, tu ne me forces pas !
Comme l’indique le blog "toubib92" , l’une des conséquences d’une attitude "anti
paternaliste" est de redonner au patient le pouvoir de décision, qui lui a souvent été confisqué.
Mais là encore, une telle "doctrine" n’est pas sans comporter quelques effets secondaires.
C’est la blogueuse Jaddo qui le constate dans une récente note. Elle observe combien de « la
décision partagée » idéale, prenant en compte l’ensemble des incertitudes et arguments
médicaux vers une décision univoquement adoptée par le patient reposant principalement sur
des considérations non médicales, la frontière est imperceptible. Jugeant (sans doute trop)
sévèrement sa propre pratique, elle explique son attitude, qu’elle décrit majoritairement en
utilisant le terme de « gentillesse », d’une part par sa propension à « vouloir être aimée » et
d’autre part « par réaction » contre les « médecins autoritaires et paternalistes » dont elle est
« entourée ». Cependant, à la faveur du cas d’un patient qu’elle n’a pas voulu « forcer » à être
hospitalisé et qui lors d’une admission en urgence a frôlé l’amputation, mettant en évidence le
fait qu’une hospitalisation plus précoce aurait été salutaire, elle fait son introspection. « Je me
ré-entends. Avec mes "quand même" et mes "peut-être" , avec mes conditionnels, avec mon
ton de voix qui dit de toutes ses forces : " Non mais c’est vous qui décidez, personne peut
décider à votre place, dites-moi (…)." J’aurais du taper du poing sur la table. J’aurais pu
dire " Non mais là on n’a plus le choix, sinon peut-être on vous coupe le pied ". (…) J’ai pas
voulu l’embêter, et j’ai pas voulu le déranger, et j’ai pensé à sa mère dont personne ne
s’occuperait. J’ai dit "Bon ok, on va essayer les mêmes antibiotiques que la dernière fois. " Et
bien sûr Voltaire et la médecine me donnent raison. Y a neuf fois sur dix où il se trouve que le
patient a guéri tout seul, ou un peu avec moi, où ça s’est pas fini si mal que ça. Mais mon
boulot, (…) c’est d’être sûre. De peut-être hospitaliser neuf types qui en ont pas besoin (…)
pour un type à qui ça va sauver la vie. Et je le fais pas. Je m’endors sur les statistiques, je me
love dans la couette de la vie qui continue malgré moi. Pour qu’on m’aime. Pour qu’on
trouve que j’ai été gentille. (…) Parce que j’ai une idéologie un peu idiote et surtout lâche en
définitive, je me mets tout à l’autre bout de la balançoire, comme si ça allait changer les
médecins autoritaires. Sur l’autel de mon militantisme, je sacrifie des patients que j’aurais dû
secouer davantage. (…) Je milite pour le choix du patient, et je les laisse faire des bêtises au
lieu de taper du poing. Un jour, sur Twitter, quelqu’un avait dit qu’il y avait pire que les
médecins méchants : les médecins gentils et incompétents. Que c’était les plus dangereux »
résume-t-elle.
http://www.jim.fr/medecin/jimplus/posts/edocs/debattre_cest_bien_etre_efficace_cest_encore_mieux__151233/document_jim_plus.pht
ml
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