&² Question de Question de Mai 2008 Christine Steinbach Quelques lignes d'intro Développement durable, croissance ou décroissance économique, empreinte écologique … On en parle beaucoup. De quelle décroissance parleparle-t-on et pourquoi ? Le 8 mars 2008, 2008, lors lors d’une journée communautaire, M.Hadelin de Beer nous a livré un exposé très dynamique et éclairant sur ces idées relativement nouvelles. Le but ici est d’essayer de mieux comprendre pour pouvoir s’en faire sa propre idée. L'auteure Christine Steinbach Steinbach est permanente communautaire aux Equipes Populaires, Populaires, en charge des missions d'étude. Edité par les Equipes Populaires Rue de Gembloux, 48 à 5002 St Servais 081/73.40.86 -- [email protected] Texte disponible sur le site www.e-p.be Qu'est-ce que le développement durable ? Hadelin de Beer est président du service public fédéral de programmation du développement durable SPF PDD). Sa première préoccupation dans cette fonction, est de faire du développement durable une question qui traverse tous les secteurs : “ce ne doit pas être le souci des quelques fonctionnaires d’un service, mais une logique qui concerne aussi la santé, l’énergie, le logement, l’emploi, etc.” Aujourd’hui, on met de tout sous le terme “développement durable” (D.D.). Par exemple, vous pouvez trouver sur Internet des textes qui disent que rouler en voiture, ça permet de construire des voitures, donc d’assurer de l’emploi. Donc c’est durable ! A l’inverse, vous pourrez lire aussi que rouler en voiture ça pollue, donc ce n’est pas bon pour l’environnement et la santé, donc ce n’est pas durable ! La définition officielle du D.D. est celle-ci : “Répondre aux besoins d’aujourd’hui sans compromettre ceux des générations futures”. De quels besoins parle-t-on ? Il y a des besoins vitaux : manger, se loger, se chauffer, etc. Mais, au-delà, on peut évidemment se demander ce qui détermine un besoin. Se déplacer est un besoin, mais se déplacer en Ferrari, est-ce que cela relève du besoin ? Comme on ne s’est pas mis d’accord sur ce qu’est vraiment un besoin, on a contourné le problème. On a décidé que quand on parle de besoins, en termes de développement durable, il s’agit d’abord des besoins des plus démunis. Autrement dit, la Ferrari, c’est peut-être un besoin... mais on verra cela après. Le développement durable, un mode de vie respectueux de la “capacité de charge” et solidaire Il faut remarquer que dans la définition officielle du D.D., on n’y trouve pas le terme «environnement ». Ca vaut la peine de le noter. En effet, cette notion de D.D. vient de l’ONU. Et l’ONU ne pense pas qu’il y a un problème en soi avec l’environnement, avec les ressources. Elle estime que la planète est assez vaste pour suffire aux besoins de tous. Et que le problème se situe au niveau de l’organisation sociale et des technologies trop polluantes et énergivores. Prenons un exemple : j’ai besoin d’aller de Bruxelles à Namur. Si l’organisation sociale ne prévoit pas de transports en commun, me voilà obligé de prendre une voiture. Et si l’industrie automobile ne produit que des 4X4, je vais consommer beaucoup de carburant et polluer plus. Par contre, un système social bien conçu aura mis en place des transports publics et privilégié de bonnes techniques (bus hybride, etc.), ce qui me permettra de répondre à mon besoin de déplacement en consommant peu d’énergie et en polluant moins. Deux bonnes questions avant de décider quelque chose Quoique l’on veuille faire, comme individu ou comme acteur politique, il y a une double question à se poser en matière de développement durable : est-ce que c’est généralisable dans le temps et dans l’espace ? Autrement dit : ce que je décide est-il tenable à long terme et est ce qu’on peut l’appliquer partout ? Prenons encore l’exemple de l’auto. Je décide d’acheter une voiture : mais ce mode de déplacement peut-il être généralisé partout sur la planète et de génération en génération ? - 2 - Non, car aujourd’hui déjà, l’énergie nécessaire pour fabriquer et utiliser une voiture représente une charge trop lourde 1 pour la planète. Or, tout le monde n’a pas encore de voiture. Il y a donc deux possibilités : soit la voiture devient le privilège d’un petit nombre (mais cela ne va pas dans le sens d’une réponse aux besoins des plus démunis). Soit on cherche une alternative. Par exemple le système de voiture partagée, (système Actuellement, il y a environ une voiture pour deux « Cambio »). personnes en Belgique. Dans le système Cambio, on compte un véhicule pour 30 abonnés. Ce qui La difficulté c’est que la plupart des alternatives divise par 15 le nombre de voitures en circulation… durables posent la question de l’emploi. Par et à fabriquer. On constate aussi que ces abonnés exemple, moins de véhicules fabriqués signifie roulent moins, car ils ne louent que lorsqu’ils en ont moins de ventes. Idem dans l’alimentation. Il faut vraiment besoin. Ce qui diminue encore le besoin donc mettre des politiques de transition qui en énergie et la charge pour la planète. Voilà donc permettent de développer l’emploi dans d’autres un système qui mérite d’être soutenu par les secteurs (par exemple celui des éoliennes). pouvoirs publics. Nécessaire, mais pas simple à faire ! Deux indicateurs de ce qui est durable Au niveau international, on a retenu deux indicateurs qui font office de « test de durabilité ». Autrement dit, ces deux indicateurs doivent servir de guide pour vérifier si les pays prennent le chemin d’un développement plus durable. L’un est l’indicateur de développement humain (IDH). L’autre est l’empreinte écologique. - L’indicateur de développement humain (IDH) L’IDH s’intéresse à des besoins humains fondamentaux : vivre longtemps, en bonne santé, avec un bon accès à la formation et un revenu suffisant pour se procurer les choses indispensables. En somme, peutêtre pas le bonheur, mais les conditions pour y arriver. En fait, l’IDH mesure l’espérance de vie, le degré de formation et le revenu par habitant d’un pays. En fonction de ces critères, il fait un classement des pays et observe leur progression. - L’empreinte écologique Ce second indicateur mesure la surface totale utilisée par une personne pendant un an pour répondre à ses besoins. Selon les moyens utilisés, elle est plus ou moins grande. Rouler en vélo représente une quantité de surface plus petite que rouler en Ferrari. On a aussi mesuré la surface disponible par personne pour conserver un équilibre. Cela représente actuellement 1,8 hectare par personne. Or, nous sommes en train de dépasser la part annuellement disponible. Par exemple, nous utilisons chaque année plus d’arbres qu’il n’en pousse. En fait, nous ‘mangeons’ notre capital naturel, les réserves de la planète. Le développement durable est en quelque sorte le chemin que les pays doivent parcourir en articulant un développement humain satisfaisant (mesuré par l’IDH) avec une empreinte écologique supportable. La croissance et le développement durable vont-ils ensemble ? Quand on parle de croissance (ou de décroissance), il s’agit de la croissance économique, et surtout de l’augmentation annuelle de la richesse, mesurée par le Produit intérieur brut, le PIB. Notons que ce PIB ne mesure que des flux financiers, c’est-à-dire les sommes d’argent qui circulent et représentent une valeur ajoutée. Si j’achète une tarte, je donne de l’argent au pâtissier, qui achètera autre chose avec cette somme, etc. Plus l’argent circule vite, plus il y a de valeur ajoutée. Dans les discours politiques, croissance et développement durable vont de pair. Mais chez les économistes, il y a plusieurs sons de cloche. On s’accorde pour dire que l’économie est le récit d’une amélioration : au cours de leur histoire, les sociétés augmentent leurs richesses tandis que le temps de travail diminue. A partir de là, les points de vue varient. Ils peuvent se classer en trois catégories : l’école des orthodoxes, celle de l’économie écologique et celle qui prône un « alterdéveloppement » (voir encadré plus loin). Pour ces derniers (les “décroissants”), il y a un triple enjeu fondamental, du fait que les ressources de la 1 Sur l’ensemble de l’énergie nécessaire pour une voiture, 20% sont consommés pour sa production et 80% par l’utilisateur (le carburant). - 3 - planète ne sont pas inépuisables : il faut répartir de façon juste les richesses entre les populations, respecter l’autodétermination des pays et définir une norme d’autosuffisance qui permet de ne pas dépasser l’empreinte écologique tenable. Enfin ils plaident pour une société qui privilégierait les liens plutôt que les biens. On peut pointer trois faiblesses dans le raisonnement décroissant. La première, c’est qu’il néglige la question du rapport de forces entre les intérêts des uns et des autres. La deuxième, c’est que leur argumentation est faible sur la question du financement des politiques publiques, si l’on sort de la croissance (car la richesse permet aussi d’alimenter les caisses de l’Etat). La troisième, c’est une certaine forme de religiosité, un côté prédicateur qui pose question. Cela implique en tout cas un profond changement de société, et qui demande du temps. Beaucoup de temps. Trois catégories d’économistes Le point de vue des économistes « orthodoxes » Ce sont les plus nombreux. Pour eux, la croissance, c’est la solution. Selon eux, les sociétés humaines se développent toutes en suivant les mêmes étapes dans leur histoire. Depuis l’époque de la cueillette jusqu’à la consommation de masse. L’étape suivante sera, disent-ils, celle du développement durable. On produira toujours en masse, mais avec de meilleures des techniques moins énergivores et moins polluantes. Plus une société devient riche, plus elle a accès à des techniques « propres », plus sa population en profite, et mieux l’Etat fonctionne. Donc il faut poursuivre la croissance pour atteindre un développement durable, tant sur le plan social qu’environnemental et économique. Oui mais… Pour que cette ère de bonheur se réalise, il faut que ces sociétés devenues riches investissent, notamment dans la recherche, pour développer ces technologies. Et dans les mécanismes de redistribution afin que les gens en profitent. Si les riches ne mettent leur argent que dans les paradis fiscaux ou les voitures de luxe, le raisonnement ne tient pas la route. Et il faut aussi que la pollution occasionnée ait un prix à payer, sinon, il n’y a aucun intérêt pour les riches à réaliser des investissements écologiques. Le point de vue des économistes « écologiques » En économie, il y a trois sortes de « capital » : le capital naturel (eaux, forêts, etc.), le capital social (écoles, réseaux de transport, etc.) et le capital économique (entreprises, bureaux, etc.). Ils les considèrent comme équivalents. Par exemple, si l’on abat un morceau de forêt pour bâtir une école, on a tout simplement remplacé un capital par un autre, et donc rien n’est perdu. Mais imaginons un monde sans eaux et rempli de bureaux ! On a du mal à admettre qu’il n’y aurait pas de perte. Aussi les économistes écologiques veulent réussir à définir un « seuil critique », le capital minimum qu’il faut laisser pour ne pas compromettre l’avenir des générations futures. Mais ce seuil est difficile à fixer (combien de pigeons, de tigres, de bouleaux… ?). Il faut se donner des critères et puis arriver à les faire respecter. Une théorie qui a du bon sens, donc, mais difficile à appliquer. Ceux qui remettent en question le développement A côté de ces deux positions, il y en a d’autres qui remettent en cause le lien entre croissance et développement, voire la notion même de développement. En effet, peut-on vraiment parler de développement alors que les échanges entre pays restent inégaux ? Pour certains critiques de la société de consommation, le développement est devenu un poison qu’il faut se sortir de la tête. A partir de ces critiques plusieurs courants sont nés qui vont du « développement soutenable » vers la recherche d’un autre mode de développement. Pour les « décroissants », cela passe par une « décroissance » économique dans les pays riches. Ils observent que la croissance du PIB n’apporte pas le bonheur (on consomme de plus en plus d’antidépresseurs) et ne permet pas une empreinte écologique tenable. Les meilleures technologies, bien qu’utiles, n’empêchent pas que les ressources sont limitées. Leur critique la plus importante concerne ce qu’on appelle « l’effet rebond ». Par exemple, nous savons aujourd’hui fabriquer des voitures moins polluantes, et des lave-vaisselle plus économiques en énergie. Mais comme en même temps on achète de plus en plus de voitures et de lave-vaisselle, au total, la pollution et la consommation d’énergie tend à augmenter. Cet effet rebond limite l’efficacité des progrès techniques, évidemment. Les décroissants constatent aussi que le rythme de travail tend à augmenter, au détriment du bien-être. On voit même aujourd’hui que la part des salaires diminue dans le PIB : les travailleurs profitent donc de moins en moins de la richesse produite. Actuellement, il y a environ une voiture pour - 4 -