Schizophrénie - Une maladie qui se conjugue au pluriel

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Sommaire
• Qu’est-ce que
la schizophrénie ?
• Évolution et pronostic
• Traitement
• Quand
l’accompagnement
devient présence
et engagement
dans le temps
Schizophrénie
Une maladie
qui se conjugue au pluriel
• Rôle infirmier :
aider les patients à vivre
un quotidien possible
© Daquebo-Phanie
La schizophrénie est une psychose dissociative
chronique ; c’est une affection de l’adulte
jeune (15-35 ans). La schizophrénie
est rare après 40 ans. Sa prévalence
est de 2 à 3 0/00 dans la population
générale. Le risque de morbidité
par une schizophrénie sur une vie entière
serait en Europe de 0,3 à 1,35 %. On devrait
en fait parler de schizophrénie au pluriel.
L
a notion de schizophrénie est apparue au début du XXe siècle. En 1887, Émile Kreapelin
décrit la démence précoce sur le critère évolutif
de l’état démentiel précoce. C’est Bleurer, en
1911, qui crée le terme de schizophrénie
(schizo = diviser, et phrénie = esprit) qui rend
compte de la dissociation.
Les facteurs qui ont amélioré le pronostic de
cette pathologie sont la découverte des neuroleptiques (découverte de Largactil® en 1952 par
Delay et Deniker), notamment ceux à action
prolongée qui améliorent l’observance et le développement des prises en charge extrahospitalières ou de secteur.
Qu’est-ce que la schizophrénie ?
Les troubles schizophréniques s’ordonnent autour de trois grandes dimensions sémiologiques : la dissociation ou syndrome dissociatif,
le délire, l’autisme (différent de l’autisme de
Kanner).
Les expressions cliniques sont très variées d’un
patient à un autre et fluctuent dans le temps. Il
est rare d’observer un tableau clinique complet
chez un malade. L’éclosion des troubles peut être
brutale, ou progressive et insidieuse.
Dissociation psychique
La dissociation ou la discordance est le trouble
fondamental de la schizophrénie. C’est la perte
de la cohésion et de l’unité de la personnalité qui
s’exprime dans le domaine psychique et dans le
comportement. Ce syndrome se caractérise par :
– l’ambivalence : existence simultanée d’affects,
d’attitudes ou de propos contradictoires concernant le même domaine (amour et haine, désir et
rejet, affirmation et négation) ;
– la bizarrerie : aspect insolite, inhabituel des
sentiments ou des actes qui donnent une impression d’étrangeté ;
– le détachement : tendance du sujet à perdre “le
contact vital avec le réel”, à évoluer dans le
monde de la subjectivité ;
– l’impénétrabilité : aspect énigmatique et incompréhensible. Les idées, les actes et les intentions
des patients revêtent un aspect hermétique.
Le syndrome dissociatif se manifeste dans la
sphère de la pensée, dans le langage, dans l’affectivité et au niveau du comportement.
• Trouble de la pensée : l’intelligence potentielle
est conservée mais son usage est perburbé. La
pensée est embrouillée, désordonnée, chaotique : tantôt ralentie (stagnation, persévération), parfois prolixe, tantôt discontinue. L’absence d’axe thématique donne un aspect
différent au discours. Le barrage (panne verbale), symptôme presque patognomonique, traduit au niveau du langage le trouble du cours de
la pensée : c’est la suspension brutale du discours qui reprend sur le même thème ou sur un
autre sujet. Les associations s’enchaînent par
contamination, persévération, substitution et
donnent un caractère saugrenu aux propos.
• Troubles du langage : le langage perd sa fonction de communication, allant du monologue
abstrait, du coq-à-l’âne, aux réponses à ●●●
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Schizophrénie
●●● côté jusqu’au mutisme. Parfois, il existe des
impulsions verbales ou l’emploi de néologismes
qui sont la création de mots nouveaux ou un
changement de sens d’un mot connu.
• Altération du système logique : la pensée du
schizophrène n’est pas dénuée de logique
comme celle du dément, mais elle répond à la
logique du malade. Cette pensée est paralogique, utilisant plus la métaphore et le symbole
que le raisonnement rationnel.
• Les troubles de l’affectivité : ils s’expriment par
l’ambivalence affective dont les manifestations
émotionnelles sont inappropriées, paradoxales
(rires dans un contexte de deuil, ou pleurs lors
de moments de joie). On retrouve aussi un
émoussement des affects, avec froideur dans le
contact, une indifférence à autrui, une perte de
l’élan vital, un désintérêt, un retrait social. Ces
Tous les mécanismes délirants peuvent être retrouvés : l’illusion, l’imagination, l’interprétation et surtout le mécanisme hallucinatoire (hallucinations acoustico-verbales, cénestésiques
ou visuelles).
L’automatisme mental est fréquent, avec énonciation et commentaires des actes et de la pensée, vol ou devinement, échos de la pensée ou
actes imposés.
Évolution du délire au long cours : le délire peut se
manifester au décours d’une expérience délirante aiguë inaugurale de l’affection ou apparaître de façon insidieuse. Il peut évoluer sur un
mode permanent ou sous forme de poussées
processuelles parfois suivies de périodes de rémission. Il s’appauvrit en général au cours de
son évolution. Le délire est vécu dans une angoisse très profonde. Dans l’accès schizophrénique, la conscience en général n’est pas altérée
et les troubles somatiques sont absents.
Autisme schizophrénique
Il se manifeste par le repli progressif du sujet
dans son monde intérieur qui se ferme à toute
communication, avec un isolement et un désinvestissement de la réalité. Le patient est lointain,
distant, inaccessible. Cet investissement du
monde intérieur vient probablement combler le
vide de la dissociation psychique.
Différents types de schizophrénie
© P. Garo-Phanie
troubles induisent des perturbations de la vie
sociale, familiale et sentimentale.
• Troubles du comportement : ils se manifestent
par un maniérisme (stéréotypies gestuelles), une
mimique inadaptée (rires et pleurs immotivées
et athymormies) ou des crises d’agitation, des
crises clastiques imprévisibles, des passages à
l’acte auto- et hétéroagressifs (suicide, automutilation ou homicide). La fugue, l’errance, les actes
relevant du médico-légal (viols, dévergondage
sexuel) peuvent être retrouvés.
Syndrome délirant
Il s’agit d’un délire paranoïde : c’est un délire
flou, diffluent, mal systématisé, illogique. Il peut
être riche, à thèmes multiples.
Plusieurs thèmes sans lien logique, donnant un
aspect absurde au délire sont retrouvés, tels la
persécution, l’hypochondrie, la sensation de
transformations corporelles, l’érotomanie et les
thèmes de grandeurs et mystiques.
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• Schizophrénie paranoïde : c’est la description
type décrite ci-dessus associant le syndrome dissociatif, le délire, l’autisme.
Elle évolue par poussées, avec des moments de
stabilisation ou rémission entre les accès.
• Hébéphrénie : le début est insidieux, l’aggravation est rapide. Elle se manifeste par le syndrome
dissociatif où domine l’apragmatisme ; le délire
est pauvre, le pronostic est peu favorable. C’est
une forme devenue rare actuellement avec l’introduction des neuroleptiques désinhibiteurs.
• Hébéphrénie catatonique : très rare, avec perte
de l’initiative motrice, stupeur, négativisme.
• Schizophrénie simple : le syndrome dissociatif
est modéré :
– ambivalence, indifférence affective, retrait
social ;
– pas de trouble majeur du cours de la pensée ;
– pas de production délirante ;
– l’activité est pauvre et stéréotypée et peut rester adaptée ;
– souvent, c’est un mode de stabilisation d’une
schizophrénie paranoïde ou hébéphrénique.
• Schizophrénie dysthymique : c’est un tableau
de schizophrénie où dominent les troubles de
l’humeur de type maniaque ou dépressif, ou
mixte (troubles de l’humeur atypiques).
• Héboïdophrénie : forme évoluant sur un mode
de déséquilibre psychopathique avec des comportements antisociaux associés à des manifestations de discordance.
• Schizophrénie pseudonévrotique : c’est l’association des symptômes dissociatifs (troubles du
cours de la pensée, de l’affectivité, etc.) avec une
symptomatologie névrotique, phobique, obsessionnelle et hystérique.
Évolution et pronostic
La généralisation des soins psychiatriques, l’apparition des neuroleptiques ont bouleversé le
cours évolutif des schizophrénies. L’évolution
déficitaire vers un tableau d’allure démentiel est
devenue rare.
Selon certaines statistiques, il y aurait guérison
dans 25 % des cas, évolution défavorable déficitaire dans 25 % des cas et évolution intermittente, avec alternance de poussées évolutives et
de périodes de rémission, dans 50 % des cas.
Les facteurs de bon pronostic sont le début
des troubles à un âge tardif, le sexe féminin,
le déclenchement après un stress, l’association d’un délire à des troubles de l’humeur, l’absence d’antécédent de troubles de la personnalité, la bonne réponse aux neuroleptiques, la
présence de périodes de rémission complète
dans l’évolution.
Traitement
Il est important d’éliminer les étiologies organiques qui se révèlent par un tableau psychiatrique avant de poser le diagnostic de schizophrénie et de mettre en place un traitement : il peut
s’agir de tumeurs cérébrales, de certaines maladies
infectieuses inflammatoires et métaboliques,
d’épilepsies ou de certaines prises de toxiques.
La prise en charge du schizophrène comporte
trois volets : la chimiothérapie, la psychothérapie et la sociothérapie.
Chimiothérapie
Elle est basée essentiellement sur les neuroleptiques incisifs et sédatifs, associés parfois à des
hypnotiques et aux antidépresseurs (à utiliser
avec prudence car ils peuvent aggraver ou déclencher le délire). L’hospitalisation dans les
phases aiguës est incontournable pour cadrer le
patient et mettre en place un traitement d’attaque
avec des doses importantes en intramusculaire ou
d’emblée per os, en fonction de la tolérance du patient. Les correcteurs des effets secondaires des
neuroleptiques sont souvent associés. En fonction
de l’évolution, on adaptera la posologie pour arriver à un traitement d’entretien à doses réduites. La
forme retard des neuroleptiques sera privilégiée
pour une meilleure observance dans les cas de
non-consentement aux soins, assez fréquents.
Psychothérapie
• Psychothérapie de soutien, qui aide le patient
à renouer avec la réalité et l’aide à poursuivre le
traitement.
• Psychothérapie d’inspiration analytique : l’indication est à poser pour certains cas.
• Psychothérapie familiale pour permettre d’éviter le rejet ou la surprotection du patient.
Les mesures sociothérapiques
Durant l’hospitalisation, l’ergothérapie et les
thérapies occupationnelles permettent de limiter
l’apragmatisme des patients. A la sortie de l’hôpital, il faut s’assurer que le logement et les
conditions d’existence des patients sont corrects ; on peut les soutenir pour suivre une formation professionnelle, pour retrouver un emploi, continuer une scolarité déjà entamée ou
obtenir une pension d’invalidité si la réinsertion
socioprofessionnelle est impossible.
Certaines mesures transitoires peuvent être proposées : hôpital de jour, de nuit, foyer de postcure, centre d’accueil thérapeutique à temps
partiel (CATTP).
En conclusion, la prise en charge du schizophrène, conçue dans la politique du secteur, doit
être coordonnée par les différents soignants
(infirmiers, assistantes sociales, médecins généralistes, psychologues, psychiatres, etc.) avec
l’objectif de conserver une bonne relation thérapeutique avec lui, d’apprécier l’évolution et
de dépister des rechutes éventuelles en vue de
la mise en place d’une prise en charge adaptée,
de s’assurer de la bonne observance du traitement et de sa bonne tolérance, de soutenir les
démarches d’autonomisation et de réinsertion
socioprofessionnelle.
L’équipe soignante capable de contribuer à une
évolution favorable de l’affection est celle qui sait
être reconnue par le patient et sa famille comme
une équipe stable dans le temps et sur laquelle
on peut compter.
Dr D. Mebtouche
psychiatre, hôpital Sud francilien,
unité Jacques-Lacan, Yerres
Pour en savoir plus...
H. Hey. Manuel de Psychiatrie.
Revue de l’étudiant en médecine : Psychiatrie (24-2-06-3).
J. Daniel-Guelfi, P. Boyer, S. Consoli, R. Olivier-Martin. Psychiatrie. Puf,
coll. “Fondamental”.
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Schizophrénie
Pratiques soignantes
Quand l’accompagnement devient
présence et engagement dans le temps
Dans notre vocabulaire de clinicien, nous utilisons maintenant, de manière
courante, le terme d’accompagnement pour qualifier un ensemble
de pratiques soignantes proposées aux patients schizophrènes ou,
plus généralement, souffrant de troubles psychotiques. Que recouvre ce mot ?
V
enant en contrepoint du terme traitement
qui s’applique aux soins dispensés en milieu hospitalier et qui est le résultat d’une démarche clinique élaborant un projet de soins à
partir d’une évaluation et d’un diagnostic, l’accompagnement semble s’arrêter aux portes des
soins. Il vient occuper un espace flou où la relation paraît hésiter à se situer franchement du
côté du thérapeutique.
Comment en effet considérer comme du soin
toutes ces pratiques résolument concrètes, répondant avant tout à des besoins ? Les visites au
domicile des patients, l’aide aux démarches administratives, le soutien aux actes simples de la
vie quotidienne, les accueils infirmiers, passent
souvent pour n’être pas du soin et rivalisent
mal, du côté des évaluations, avec les protocoles, les grilles comportementales et les essais
thérapeutiques.
Entre suppléance à l’incapacité, apprentissage de
savoir-faire, présence parfois protectrice auprès
de patients psychotiques, l’accompagnement
pourrait vite être réduit à une démarche de réhabilitation. Il est porté par les équipes extrahospitalières, dispensé dans la cité, loin du cénacle
hospitalier, place forte et parfois toute-puissante,
dispensant les traitements “scientifiquement” patentés. Il est donc facile de le glisser du côté du
social, ce qui n’est pas sans risquer d’en perdre
l’attribution dans le contexte de rentabilité financière dont nous sommes tous dépendants.
Vous avez dit “accompagnement” ?
Quand un patient souffrant de troubles schizophréniques, ou plus généralement psychotiques, quitte l’hôpital où il a reçu des soins pour
un épisode aigu, il retrouve le tissu social qui est
le sien.
Le plus souvent, le contexte relationnel dans lequel les troubles sont advenus n’a pas changé. Le
temps de l’hospitalisation a de surcroît créé une
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coupure que l’apparition des symptômes avait
déjà initiée.
Pour peu que l’épisode d’hospitalisation ne soit
pas le premier et/ou que la désorganisation de la
relation à l’autre engendrée par la maladie soit
déjà responsable d’une fragilité des liens sociaux
du patient, ce retour au domicile, dans la cité, est
difficile : le patient perd, le jour de sa sortie, la
présence permanente des soignants qui portaient totalement l’organisation de sa vie et la réponse à ses besoins.
Les équipes de secteur, en collaboration avec leurs
collègues de l’intrahospitalier, organisent pour lui
et avec lui, un prolongement des soins visant à lui
offrir une palette de relations pour le soutenir et
l’aider à faire face aux difficultés concrètes qu’il
pourra rencontrer dans sa vie quotidienne.
Outre le suivi médical proposé par les consultants du secteur au centre médico-psychologique (CMP), les équipes soignantes l’assurent
de leur disponibilité de manière souple et adaptée à ses besoins.
Le malade peut rencontrer ses référents infirmiers de façon régulière ou informelle, les recevoir à son domicile, être aidé dans la gestion de
son quotidien, pour les courses par exemple, la
préparation de ses repas ou l’entretien de son logement, la prise de son traitement.
Des rencontres multipartenariales avec les travailleurs sociaux, le médecin traitant ou des organismes de formation permettent de comprendre
et d’aborder les difficultés qui apparaissent et
d’œuvrer ensemble pour maintenir à flot le malade dans son milieu.
L’équipe soignante a devant elle un vaste champ
d’interventions qui, s’adaptant à chaque cas, demande une solide capacité créatrice. Les grandes
lignes de cette prise en charge sont bien sûr évaluées lors des premiers contacts, mais elles doivent être adaptées aux circonstances et aux difficultés qui apparaissent sur le terrain.
une vie moins perturbée, moins dérangeante et
plus décente. Sans aller jusqu’à généraliser l’humour grinçant de Claude Barrois* : « ce que les
traitements font de mieux pour les psychotiques c’est
de les rendre discrets... », on peut tout de même
constater que peu de soignants considèrent l’accompagnement des patients comme un soin à
part entière.
Il me semble qu’il faut s’interroger sur cette perception, cette méconnaissance et tenter de préciser le concept d’accompagnement pour éclairer son apport spécifique dans l’éventail des
soins. Il n’est peut-être pas inutile d’éclairer une
pratique dont le savoir-faire cache parfois la solidité d’une praxis.
L’ensemble de ces prestations sont dispensées
en temps de jour et, le plus souvent, sur des
temps ponctuels qui laissent au patient de larges
périodes de temps personnel. Ce n’est plus un
regard continu qui suit le patient comme à
l’hôpital, mais un regard partiel où la présence du
patient ne dépend que de son propre désir de rencontre. Là, plus d’obligations ou de contraintes,
mais une véritable relation qui donne place à des
choix, des refus, des argumentations traduisant
l’exercice d’une liberté de penser et d’agir.
De cet espace relationnel ouvert naît une perception clinique différente du patient psychotique.
Différente en tout cas de la perception qu’en ont
eu les soignants pendant l’épisode aigu.
© P. Garo-Phanie
Pourquoi cette méconnaissance ?
Baigné dans sa réalité quotidienne et ses obligations, le patient montre, par ses limites et ses difficultés, la traduction concrète de ses troubles
psychiques : l’altération partielle ou progressive
de son lien social.
La place de l’accompagnement se situe là, au
plus près de la réalité sociale. A la fois pour repérer, identifier et évaluer les difficultés, mais
aussi pour restaurer le lien altéré.
Il ne s’agit pas, loin s’en faut, de suppléer, de corriger, mais bien d’un véritable travail clinique
de soin.
Pourtant, à regarder ces soignants “faire avec” le
patient, on aurait vite fait de les confondre avec
des assistants sociaux ou des éducateurs.
Parfois, même au sein de l’hôpital, ce travail clinique de fourmis, effectué par les équipes dites
de secteur, est perçu comme un adjuvant aux
soins, ne permettant au mieux qu’une meilleure
observance des traitements médicamenteux,
Peut-être faut-il voir là les conséquences de l’origine de l’apparition du mot accompagnement
dans le vocabulaire médical.
Utilisé d’abord à propos des personnes en fin de
vie pour qualifier l’organisation des soins quand
toutes les démarches curatives ont échoué, le
terme reste attaché à la notion d’incurabilité. La
maladie mentale, surtout dans ses formes psychotiques, étant elle-même presque toujours
perçue comme inéluctablement destructrice de
la personnalité, il n’est (peut-être) pas étonnant
de voir apparaître la notion d’accompagnement
quand les soins hospitaliers sont finis.
Rester sur ce versant de l’accompagnement, c’est
placer le rôle des soignants dans un objectif de curabilité visible et, à court terme, par exemple obtenir la disparition des symptômes. C’est considérer
qu’une fois apaisée, la symptomatologie restante
est résiduelle et que le patient doit vivre avec.
L’accompagnement devient, dans cette vision
des soins aux patients psychotiques, une façon
d’aider, de soutenir là où le patient est défaillant,
un peu comme on aide les personnes physiquement handicapées.
Pourtant, son éthymologie (accompagnement
vient de compagnon : partager son pain) cache,
au-delà de la notion d’humanité dont elle est porteuse, bien plus que de “l’humanitaire”.
L’accompagnement comme base du soin
La psychose crée, pour la personne qui la vit, un
isolement relationnel responsable d’une solitude
psychique dramatique et des perturbations graves
de la structuration et de la perception du temps.
L’objectif à long terme des soins, son horizon
d’attente, est de construire avec le patient, d’une
part, une altérité (point de départ de la relation)
et, d’autre part, une temporalité (organisatrice
●●●
de la cohérence psychique).
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Schizophrénie
●●● On ne peut pas soigner dans le vide, à partir de rien. Il faut, pour le patient et le soignant,
un support à la relation, un espace où la relation
pourra être visible, palpable, permettant ainsi
que l’on en dise quelque chose.
Toutes les pratiques soignantes de l’accompagnement sont la colonne vertébrale d’un dispositif de soins particulier. L’analyse de ce qui s’y
déroule au fil de la relation établie est le moteur
d’un changement profond et donc d’un traitement possible.
Il y a, dans la notion même d’accompagnement,
l’idée de présence et l’idée de durée.
La présence comme base du soin
Incapable de se percevoir et donc de percevoir
l’autre, le patient psychotique vit dans un désert.
Il n’y cherche pas “un homme” comme Diogène,
ce qui supposerait qu’il en connaisse l’existence,
il adresse au monde ses symptômes et son langage étrange.
Il se peut que quelqu’un rencontre cet homme
étrange, ce fou. Et que de cette rencontre
quelque chose soit vu, compris, entendu. Le fou
croise alors “un homme” capable, au moins un
peu, de traduire cette folie qu’il lui adresse.
A ce moment, c’est la personne entière du “traducteur” qui s’engage dans la relation nécessaire
de la traduction. Cette qualité-là de rencontre
est le premier temps, fondateur, de la relation
thérapeutique.
Pour qu’il soit vu, ce “traducteur-soignant” doit
faire la preuve de sa présence réelle. Il devient le
“thérapon”, ainsi que les Grecs de l’Antiquité désignaient l’écuyer qui aide le guerrier au combat.
Ce n’est pas une place passive. Elle demande à
celui qui la prend, infirmier ou médecin, une
mise à disposition de sa personne, un véritable
engagement psychique et physique.
Être perçu dans sa totalité d’être humain ne s’apprend pas dans les manuels de l’université ou
des IFSI. Cette façon d’être au monde n’est pas
forcément reconnue, loin s’en faut, non plus que
valorisée dans les cursus de formation médicale
ou infirmière. On apprend plutôt aux soignants
à se méfier de leur subjectivité, témoin de leur
humanité, et à utiliser pour plus de “sûreté” des
savoir-faire en lieu et place de savoir-être.
Pourtant, la plupart des personnes attirées dans
leur parcours professionnel par les soins aux patients psychotiques ont souvent sans le savoir
consciemment cette capacité particulière d’être
en présence de l’autre, calmement planté là,
aussi près qu’il est possible de se trouver, parfois
au bord du vide immense de leur douleur. Il
n’est pas donné à tout le monde de pouvoir s’ap-
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procher de cette zone vertigineuse, en gardant sa
capacité de penser intacte...
La temporalité, rythme de l’accompagnement
On n’accompagne pas un patient pour 5 minutes. L’engagement dans la durée (garanti par
l’esprit de la loi de sectorisation) est indissociable de la notion d’accompagnement. Dans la
durée signifie un certain temps, pour ne pas dire
un temps certain.
Loin d’un jeu de mot ou de langage, cette certitude rattachée au mot temps, éloigne définitivement le découpage “shizophrénique” des
protocoles, des programmes, qui confondent
rigueur de la temporalité et quantification
chronométrique.
Le temps de la relation n’est pas marqué du tictac des horloges, mais des repères événementiels
qui marquent la succession chronologique.
Dans le travail d’accompagnement, comme dans
le travail psychothérapique, il est un moment
particulier qui revêt, quand on le remarque, une
importance considérable dans le processus de
reconstruction de la personnalité : c’est celui où
le patient dit “avant je faisais” ou “avant je pensais” ou bien encore “maintenant je...”. Voilà
qu’apparaît là le vocabulaire d’une syntaxe chronologique qui indique que le patient a jalonné la
relation d’un point d’ancrage. Il y a pour lui, dorénavant, un “avant” et un “après”, quelque
chose de vécu qui fait date.
Le travail d’élaboration psychique a donc bien
commencé. Il peut se poursuivre dans le support
concret des accompagnements et vers un avenir
ouvert.
Il y a beaucoup de choses à découvrir derrière
l’utilisation courante du terme d’accompagnement, si l’on veut bien s’y attarder un peu et le
centrer sur ce qui le supporte : notre positionnement éthique de soignant. Comme Monsieur
Jourdain faisait de la prose sans le savoir, les “accompagnants” font du soin parfois sans le savoir.
Ce compagnonnage pourrait bien être, pour les
soignants, le lieu de l’apprentissage initiatique de
leur métier et, pour les patients, le lieu de la découverte de la relation reconstructrice à l’autre.
Et si la psychose apparaissait, dans ce cheminement, non plus comme une structure mais
comme un état, suceptible d’évoluer, pourquoi
pas de guérir ?
Mais ça, c’est une autre histoire...
Dr B. Montaclair
praticien hospitalier, Caen.
* Claude Barrois est psychiatre, psychanalyste, ancien chef de
service au Val-de-Grâce, spécialiste des traumatisme psychiques.
Rôle infirmier
Aider les patients à vivre
un quotidien possible
Les personnes atteintes de schizophrénie ont longtemps été traitées
exclusivement dans des établissements spécialisés sans qu’on les croie
capables de pouvoir un jour sortir de ces asiles, puisque la plupart
y mouraient. Pourtant, force est de constater que ces patients peuvent
avoir une vie sociale convenable en dehors de toute institution.
S
© P. Garo-Phanie
i l’utilisation temporaire de l’hôpital est importante pour les moments de crise, l’hospitalisation trop longue cristallise les symptômes,
favorise la chronicité, laissant alors le champ
libre à une inactivité quasi constante, facteur aggravant de repli sur soi et de la symptomatologie
autistique classique de cette pathologie.
Il s’agit donc d’aider ces patients à vivre à l’extérieur de l’institution dans une société qui est,
faut-il le rappeler, la leur. Mais cette aide ne peut
se mettre en place que si elle s’appuie sur les
compétences d’une équipe pluriprofessionnelle
motivée, à même de s’adapter à chaque situation
et de remettre régulièrement en question la pertinence de ses interventions.
L’essentiel du travail s’accomplit dans la cité, au
sein de la population. Le soignant est alors un médiateur entre le malade et l’environnement social.
Cet accompagnement peut se décliner de multiples façons. Tout d’abord ce sont des temps de
rencontres réguliers avec les membres de l’équipe.
Ces temps peuvent prendre la forme d’entretiens
psychothérapiques réalisés par des médecins, des
infirmiers ou des psychologues. Ces entretiens
peuvent se dérouler pendant l’hospitalisation,
dans les centres médico-psychologiques (CMP) et
toutes les structures du dispositif de secteur. Ils
doivent être réguliers et fixés à l’avance. Ces moments souvent privilégiés permettent aux patients, s’ils sont en confiance, d’exprimer leurs
souffrances, leurs difficultés et la manière dont ils
perçoivent leur situation. Cela permet de travailler avec eux à une résolution au moins partielle de leurs difficultés.
D’autres moments peuvent être consacrés à des
activités ponctuelles, choisies, animées par des
soignants dans des groupes fermés ou ouverts. Il
peut s’agir de groupes de paroles, d’esthétique,
de sorties diverses. Ces activités permettent de
réorganiser petit à petit les conditions de la socialisation du patient.
Les sociothérapies, hôpitaux de jour ou centre d’accueil thérapeutique à temps partiel
(CATTP), par exemple, sont des lieux d’accueil à
temps plein ou partiel où se déroulent des activités précises, repérées en tant que telles par les patients. L’activité devient alors un tiers médiateur,
médiateur de la communication et de la relation.
Pour ce faire, le soignant doit être capable d’accepter les angoisses, le délire, les moments de
stupeur, sans rejet, sans y voir d’incompétence de
sa part ou d’impossibilité à aider. Il doit garder
constamment à l’esprit ce qui caractérise sa fonction : l’accompagnement thérapeutique. C’est-àdire se garder à tout prix d’agir à la place du patient qui, dans le cas contraire, verrait son
identité niée au bénéfice de celle du soignant.
Cela veut dire que les soins infirmiers s’appuient
en premier lieu sur des connaissances cliniques
approfondies, régulièrement ajustées par ●●●
23
Schizophrénie
●●● le biais de formations, confrontées à celles
des membres de l’équipe. Ils s’appuient également sur des qualités d’observation importantes
permettant de repérer de façon précise l’évolution des troubles constatés, les éléments déclenchants, les périodes d’accalmie et les périodes de
tumulte propres à cette pathologie.
Enfin, des relais systématiques doivent être mis
en place avec de nombreux partenaires du
champ sanitaire comme du champ social.
Chaque prise en charge doit être pensée en
termes communautaires où l’espace social dans
son ensemble est partenaire du soin.
L’analyse de la situation clinique, familiale et sociale du patient permettra de déterminer quels
partenaires il peut être utile de solliciter.
Dans cet esprit, les infirmiers voient leur rôle et
leur mission évoluer. Le travail de soutien au
domicile du patient se développe considérablement que ce soit à sa demande ou sur proposition des soignants eux-mêmes. Il s’agit de faire
le point avec le patient sur le déroulement de la
vie quotidienne, tant sur le plan des difficultés
rencontrées que sur le plan des satisfactions
constatées.
Le soin faisant partie d’une situation de soin ellemême incluse dans une situation de vie, les soignants travaillent de plus en plus avec la famille
ou les proches du patient. Car une famille qui
comprend et qui accepte est une famille qui devient aidante. Ce travail de soutien peut aller jusqu’à la mise en place de thérapies familiales.
Le travail conjoint avec les éducateurs et les services sociaux permet au patient d’établir des
liens avec le voisinage, avec le tissu associatif,
ceci l’amenant progressivement à organiser luimême sa vie dans son environnement.
Une collaboration régulière avec le juge des tutelles et les tuteurs, quand les patients sont dans
le cadre d’une mesure de protection, permet
également à ces patients de maîtriser l’organisation matérielle de leur vie.
Enfin, des contacts réguliers avec les entreprises
et employeurs locaux favorisent les possibilités
d’obtention d’une activité professionnelle, même
aménagée.
C’est au sein même de l’espace social qu’une aide
efficace peut être apportée. Les infirmiers, de par
l’évolution de leurs compétences et du champ de
leurs interventions, peuvent largement contribuer à ce que l’on considère les psychoses en général et la schizophrénie en particulier comme un
trouble de la santé mentale et non comme une exclusion de l’espace social.
Marc et Michelle Livet
cadres infirmiers en psychiatrie, Paris-Yerres.
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75 mm
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270 mm
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