Les schizophrénies I) Encore de l’histoire De la démence précoce à la schizophrénie : - Morel : « Démence précoce des jeunes gens » (1860) - Hecker : « Hébéphrénie » (1871) - Kahlbaum « catatonie » (1874) Modèles contemporains : année 1980 - Dimensionnels plutôt que catégoriel - Essentiellement dans le but de recherche au départ (critères ayant une bonne fidélité inter-juge) - Mais pertinence avec les modèles neuropathologiques Ils ont abouti à une disparition des symptômes : - « Positifs » : symptômes « Productifs » - « Négatifs » : symptômes « déficitaires » L’hypothèse dopaminergique : 1950 : découverte fortuite Chlorpromazine (Largactil*) 1975 : récepteur dopaminergique dans le cerveau 1990 : sous type de récepteurs (D2) 2003 : concept de la dopamine (DA) considéré comme neuroméodulateur de la saillance (Kapur) La DA est un médiateur qui donne à nos expériences une signification appropriée au contexte. Dans la schizophrénie, il y aurait décharge de DA. Ceci peut entraîner une signification aberrante à un objet externe ou à une représentation interne. Et en fonction de sa culture, de ses expériences, un sujet peut développer un schéma cognitif (« explicatif ») pour ce schéma : délire. Symptômes négatifs et positifs : - Voie nigrostriée : motricité volontaire, contrôle du tonus musculaire - Voie mésolimbique : régulation de l’humeur, conduite motivationnelle - Certains comportements additifs Symptômes positifs schizophréniques : - Voiemésocorticale : intégration des sens, fonctions cognitives et mnésiques, motricité volontaire, éveil et vigilance, processus d’apprentissage… 1 Symptômes négatifs schizophréniques : - Voie hypothalamo-hypophysaire ou tubéro infundibulaire : contrôle des hormones Apports de la neuro-imagerie +/- fonctionnelle : - Etude taille ventriculaire, hippocampe - Etude de l’activation de certaine zone cérébrale (ex : une tache complexe inactive l’activité frontale chez le schizophrène) - Altérations supposées de certaines voies cérébrales (ex : altération du faisceau arqué) II) Quelles définitions ? 1) Conception classique Schizophrénie : groupe de psychose dont le noyau est la DISSOCIATION de la vie psychique Dislocation de la pensée, des sentiments, de la cohérence physique des relations aux autres : « Spaltung » PAS DE DEDOUBLEMENT DE LA PERSONNALITE ! Le « spaltung » est la désagrégation, pas de construction d’un autre soi-même. 2) Dans l’approche contemporaine La schizophrénie se définit en fonction de 3 groupes de signes : - Des signes positifs : hallucinations, délire, discours désorganisé et comportement désorganisé - Des signes négatifs : émoussement des affects, apathie (absence d’initiative de cause frontale, pas de paresse !), alogie (diminution de la spontanéité verbale) - Troubles cognitifs : trouble de l’attention, de la mémoire, trouble des fonctions exécutives Fonctions exécutives : fonctions frontales, essentiellement à un comportement autonome dirigé : sélection du but, anticipation et planification, persistance dans la tâche, capacité d’adaptation au changement, évaluation (autocritique) III) Epidémiologie Difficultés : Population étudiée : sujet « caché » Prévalence : 1% de la population générale Age de début : 15 à 35 ans dans 75% des cas Sexe : pas de différence (mais prévalence masculine supérieur chez les jeunes) 2 Surmortalité : Notamment suicidaire : 1 décès/10 patients dans les 10 premières années de la maladie Conduites addictives : toxicomanie (10% de toxicomanes sont schizophrènes), alcoolisme IV) Aspect étiologique 1) Facteurs de vulnérabilité a) Vulnérabilité génétique - Jumeaux homozygotes : 50% Faux jumeaux : 14% Si un parent premier degré malade (père, mère, fratrie) : 10% Si les 2 parents malades : 40% b) Vulnérabilité liée aux facteurs d’environnement - Vie embryonnaire : stress maternel, produit toxique ?, grippe au 2ème trimestre de grossesse, dénutrition Souffrance néo-natale, hypoxie, incompatibilité rhésus Cette vulnérabilité est liée à une anomalie du développement des neurones : - Anomalie de leur migration (de la profondeur du cerveau vers le cortex) - Anomalie de différentiation cellulaire - Perturbation de la synaptogénèse pendant la gestation ou la petite enfance 2) Facteur déclenchant = agression du système dopaminergique - ??? Stress psychique ? Tétra-hydro-cannabinaol (cannabis) +++ V) Encore de la définition On peut donc formuler une définition plus complète de la schizophrénie (mais pas « définitive » pour autant !…) La schizophrénie est une maladie du cerveau : des neurones - Lié à une anomalie neuro-développementale :anomalie des neurones lors du développement embryonnaire - Qui du point de vue chimique implique un neurotransmetteur : la dopamine - Et qui entraîne cliniquement : Des signes positifs 3 Des signes négatifs Des troubles cognitifs VI) Etude clinique : le début – Installation de la maladie 1) Forme progressive et insidieuse Chez l’adolescent, adulte jeune Changement de comportement, rapporté par l’entourage - Réfléchissement de l’activité, négligence (hygiène, apparence) Retrait social Modification du caractère : indifférence, agressivité, émotion inappropriée Croyance bizarre, excentricité, originalité caricaturale (attitudes paradoxales chez un sujet devenu indifférent) Toxicomanie et/ou conduite délictueuse Anorexie mentale Manifestation névrotique : nosophobie, éreutophobie (= érythrophobie : peur de rougir en public), dysmorphophobie (crainte ou conviction d’avoir une malformation physique) 2) Début par accès psychotique aigu - Bouffée délirante (cf. critère de pronostic) Etat maniaque « atypique » (moindre syntonie, froideur, hermétisme, thème délirant… Etat dépressif « atypique » (important dans le diagnostic différentiel à l’adolescence) Révélation par un passage à l’acte impulsif : crime « immotivité », trouble des conduites sexuelles, fugue (voyage pathologique), tentative du suicide, autocastration… 3) Installation par assauts progressifs VII) Etude clinique : la phase d’état 3 grands symptômes : la dissociation, le délire, (l’autisme) 1) Dissociation - Dissociation idéique : de la pensée Dissociation affective Dissociation psychomotrice 4 a) Dissociation de la pensée Altération du langage : n’et plus un échange Trouble de l’attention, de la concentration : champs de la conscience constamment envahie par des perceptions extérieures et intérieures que le sujet ne peut intégrer. - Troubles du cours de la pensée (fluidité, flux) Flux idéique ralenti Accéléré-verbigération BARRAGE – FADING VERBAL (ralentissement de plus en plus de la pensée puis redevient normale) - - Trouble du contenu de la pensée : Trouble des associations idéiques, coq à l’âne Appauvrissement verbal : écholalie, palilalie, stéréotypie verbale Altération sémantique : paralogisme, néologisme, schizophasie - Conservation de l’intelligence potentielle. C’est l’usage de l’intelligence qui est perturbé (ce n’est pas une « démence ») - Dissociation idéique observée dans les productions graphiques b) Dissociation affective - Froideur, émoussement, indifférence Mais souvent : hypersensibilité (mécanisme de défense) Réactions émotionnelles inappropriées (DISCORDANCE) Ambivalence : simultanéité de sentiments contraires c) Dissociation psychomotrice - Expression paradoxale de la mimique : sourires discordant, PARAMIMIES - Suggestibilité paradoxale : échomimie (répète nos gestes), écholalie (répète nos paroles), échopraxie - Maniérisme - Stéréotypie : gestuelles, d’aptitude - Négativisme : refus de la main tendue - Impulsion motrice - Catalepsie : perte d’initiative motrice, flexibilité cireuse, conservation des attitudes - Perturbations instinctuelles : Sexuelles : auto-érotisme, exhibition, expression de désirs normalement réprimés ou négation de la génitalité 5 Alimentaires : régression, boulimie, potomanie Excrémentielles : manipulation, barbouillage, coprophagie 3) Le délire Mécanismes : - Interprétation - Illusions - Hallucinations psychosensorielles - Hallucinations psychiques (voies intérieures) - « Automatisme mental » Thèmes : - Persécution - Influence - Transformation corporelle - Possession diabolique - Filiation - Mystique - Sexuelles, érotisme - Mégalomanie… Organisation : « Paranoïde » : pas de logique interne, pas de sens, difficilement communicable Vécu : - Adhésion immédiate - Etrangeté, déréalisation, dépersonnalisation - Expérience ineffable (« pas de mots ») - Contexte affectif : surtout angoisse Evolution : - Fixée - Fluctuante avec accès aigus - Entre les accès : appauvrissement des thèmes 4) L’autisme Monde clos sur lui-même, impénétrable, résultante de la dissociation et du délire. Correspond pour partie à la notion actuelle de symptômes négatifs : Repli, retrait social, négligence pour l’hygiène, l’alimentation, indifférence pour le monde extérieur, clinophilie, apragmatisme… 6 VII) Formes cliniques de la schizophrénie 1) La schizophrénie paranoïde - Délire paranoïde plus ou moins riche Syndrome dissociatif Sensible aux chimiothérapies 2) L’hébéphrénie - Début typique à l’adolescence Emoussement des affects, repli social, apragmatisme, clinophilie… Délire moins marqué, centré sur l’individu, symptômes speudo-névrotique (phobique, obsessionnels) Importance du syndrome dissociatif Poussée/rémission où s’installe un état déficitaire Moins sensible aux chimiothérapies 3) La schizophrénie catatonique - Devenue rare Syndrome dissociatif psychomoteur - Stupeur catatonique : catalepsie, mutisme, oppositionnisme ou obéissance automatique/accès de fureur Délire non-verbalisé mais intense, hallucination, expérience terrifiantes de morcellement Signes somatique : hypersudation, hypersalivation, altération veille/sommeil Pronostic classiquement plus sévère - 4) La schizophrénie simple Personne marginale avec une bonne adaptation sociale. 5) L’héboïdophrénie Conduites anti-sociales. Mais inadaptées en référence même aux principes de la délinquance (absurdité, appât du gain absent) Alcool, drogues… 6) Forme pseudo-névrotique Symptômes : défense contre l’angoisse et la dissociation (au moins en dehors des crises). Plus fréquente sous l’effet des traitements : - Phobies 7 - Obsessions Manifestation hystérique 7) Schizophrénie dysthymique - Symptomatologie dépressive, maniaque ou mixte Evolution sur un mode intermittent Thymorégulateurs VIII) Diagnostic différentiel 1) Pathologie organique Tumeurs cérébrales, dysthyroïdie, épilepsie, toxicomanie 2) Pathologies psychiques - Problème des états dépressifs et maniaques « atypiques » - Névrose hystérique : états crépusculaires, « réponses à côté » (syndrome de GANSER), maniérisme théâtral - Névrose obsessionnelle : rétention des affects, mentisme, mécanismes pseudoobsessionnelles : paranoïa, psychose hallucinatoire chronique (PHC), paraphrénie 3) Examens complémentaires - - A la recherche d’une organisité Test de la personnalité : RORCHACH (1921) : 10 planches MMPI Données de la neuropsychologie : Multiplies les tests mettant en évidence les troubles attentionnels, mnésiques, des fonctions exécutives IX) Evolution - Mode d’entrée - 2 modalités évolutives selon que le sujet se soigne ou pas : Multitudes d’épisodes aigus Hospitalisation fréquentes (éventuellement sous contrainte) Désorientation et rupture familiale Complication : alcoolise, toxicomanie, suicide 8 - La question de la guérison et selon quels critères ? Déjà sous Bleuler : 10 à 20% de guérisons Notions de « stabilisation » : critères médico-sociaux Actuellement : notion de « qualité de vie » (échelle) « Réhabilitation psychosociale » : inspiration cognitivo-comportementale Globalement 3/4 patients se stabilisent en quelques années - « Facteurs de pronostic » (mais variation inter-individuelle) Début aigu Age tardif de survenu Bon niveau socioprofessionnel Absence de trouble prémorbide de la personnalité Traitement précoce - Evolution des idées : Henry EY : « Le diagnostic de la schizophrénie est à la fin… » Aujourd’hui : annonce du diagnostic, information du patient et de sa famille 9