dossier thématique Cancers de l’adolescent Spécificité de la prise en charge des adolescents et des jeunes adultes en cancérologie Cancer in teenagers and young adults: a specific care H. Pacquement*, V. Laurence** L es adolescents et les jeunes adultes sont considérés comme une population parti­ culière depuis longtemps, comme en témoigne cette citation de Platon citant Socrate, au ve siècle av. J.C. : “Les jeunes d’aujourd’hui aiment le luxe, ils ont de mauvaises habitudes, méprisent l’autorité ; ils n’ont aucun respect pour l’âge et bavardent au lieu de travailler. À notre époque, les enfants sont des tyrans. Ils ne se lèvent pas lorsqu’un adulte pénètre dans la pièce où ils se trouvent. Ils contredisent leurs parents, plastronnent en société, se hâtent d’engloutir leurs desserts, et tyrannisent leurs maîtres.” Qu’est-ce que l’adolescence ? Quels critères retenir ? * Département d’oncologie pédiatrique ; ** service d’oncologie médicale, ­Institut Curie, Paris. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) définit l’adolescence comme la période s’étendant de 10 à 19 ans, avec la préadolescence entre 10 et 14 ans, l’adolescence même entre 15 et 19 ans, et la postadolescence de 20 à 25 ans. Elle inclut donc les périodes pré- et péripubertaires, dominées par les changements corporels, et la phase de socialisation et d’émancipation (15 à 19 ans) marquant la deuxième partie de l’adolescence. La dépendance économique et sociale des jeunes largement au-delà de 20 ans justifie socialement de les inclure dans la problématique de cette prise en charge. 138 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XVIII - n° 3 - mars 2009 Outre l’âge, le niveau de développement physique, le niveau de scolarité et le statut marital font également partie des critères de définition de l’adolescence. Le développement physique lui-même fait appel au développement pubertaire (survenue des premières règles chez les filles, plus flou chez les garçons) et au niveau de croissance. De fait, l’adolescence correspond à un processus dynamique d’acquisitions multiples : de son identité personnelle, de son autonomie affective, sociale, financière, de ses choix d’orientations scolaire et professionnelle, de ses choix de vie plus largement. Elle correspond à une période de transition au cours de laquelle se font les processus de maturation physique, psychologique, sexuelle et sociale. Ce concept est flexible dans le temps et selon les individus. On rappelle qu’en France la majorité sexuelle est fixée à 15 ans, et la majorité légale à 18 ans depuis 1974. Quel est l’impact d’un cancer à l’adolescence ? Tout d’abord, le cancer et son traitement ont des conséquences corporelles telles que la perte des cheveux, des modifications de poids (amaigrissement ou prise de poids) et une pâleur souvent difficiles à vivre ; la mise en place de cathéters, ainsi que les Résumé La prise en charge des adolescents et des adultes jeunes atteints de cancer nécessite une approche spécifique, intégrant les caractéristiques propres à l’adolescence et l’impact d’un cancer à cette période de la vie si particulière. Elle est fondée sur la multidisciplinarité, la flexibilité et le dialogue entre pédiatres et oncologues médicaux. Mots-clés Adolescents et adultes jeunes Cancer Multidisciplinarité Spécificité interventions génèrent des cicatrices et parfois des séquelles fonctionnelles (résections articulaires, mise en place de prothèses internes, voire amputation) difficiles à accepter. Ensuite, les contraintes liées au traitement pèsent sur la vie scolaire et l’orientation professionnelle, obligeant parfois à des redoublements ou des réorientations, et donc à des renoncements. Enfin, sur le plan psychologique, la survenue d’un cancer à cet âge, avec ses conséquences en termes relationnels (vis-à-vis des parents, du groupe de pairs, du conjoint ou ami[e] éventuel[le]), la confrontation à une mort possible, le renforcement de la dépendance vis-à-vis des parents dans une période d’acquisition de l’autonomie, bouleversent un équilibre déjà instable et rendent les jeunes plus vulnérables ; les parents, “lâchant” difficilement le jeune, se trouvent en état de surinvestissement ; les jeunes sont parfois culpabilisés d’être à nouveau très dépendants de leurs parents. Les équipes soignantes doivent veiller à aider le jeune à conserver sa place, sans le réduire à l’état d’“objet de soin”. La notion de patients acteurs de leur santé a pris forme officiellement lors des Premiers États généraux des malades atteints de cancer et de leurs proches, le 22 novembre 1998. Les patients euxmêmes ont pu témoigner, à cette occasion, de la place particulière des grands adolescents et des jeunes adultes dans le système de soins, des difficultés de prise en charge sociale et éducative, ainsi que de leur sentiment à la fois d’isolement dans les services de médecine adulte et de double exclusion, comme malade parmi les malades, et comme jeune parmi ses pairs. Quels modèles de soins leur proposer ? Le médecin référent, relayé par l’équipe multidisciplinaire, est le pivot de l’information et du dialogue. Les soignants (infirmières, aide-soignants et/ou auxiliaires de puériculture, kinésithérapeute), les psychologues, l’équipe socio-éducative (assistante sociale, éducatrice, professeur) sont aussi des interlocuteurs privilégiés du jeune, auxquels il saura faire appel si un lien de confiance a été établi, à des moments divers de sa prise en charge. Les informations, transmises au jeune sont également délivrées le plus souvent à ses parents, que celui-ci soit ou non majeur, avec son accord bien entendu. Il faut parfois aussi intégrer le conjoint. Des équipes spécialisées dans la prise en charge des jeunes patients et compétentes pour les pathologies rencontrées à cet âge de la vie sont nécessaires. Une collaboration active entre pédiatres et oncologues médicaux est indispensable ; les équipes soignantes doivent être motivées et formées afin de permettre une interaction optimale avec le patient, mais aussi ses parents, sa famille et son entourage. Le bénéfice d’un soutien social et scolaire n’est plus à démontrer dans la prise en charge de ces patients, dont le traitement dure en général plusieurs mois, voire plusieurs années. Dans quel cadre sont traités les jeunes patients atteints de cancer ? Highlights The care of young adults and adolescents affected by cancer needs a specific approach, that takes into account both the teenagers’ characteristics and the impact of cancer at this very particular period of life. It is based on multidisciplinarity, flexibility, and dialogue between paediatrists and oncologists. Keywords Adolescents and young adults Cancer Multidisciplinarity Specificity Il faut noter que les enfants de moins de 15 ans sont quasiment tous traités dans des centres coopératifs membres de la Société française de lutte contre les cancers et leucémies de l’enfant et de l’adolescent (SFCE), et selon des protocoles de recherche clinique ou des recommandations de pratiques validées sur le plan national ou international. Chez les adultes, la prise en charge (Centres de lutte contre le cancer, CHU, cliniques, centres hospitaliers généraux) est naturellement plus diverse, au regard du nombre de patients concernés ; l’inclusion dans les essais cliniques est beaucoup plus faible et concerne 10 % des patients. Les adolescents et les jeunes adultes sont également dans cette situation, puisque seuls 7 à 10 % des 15-19 ans et 2 % des 20-29 ans sont traités dans des essais coopératifs. Cela peut s’expliquer par : ➤➤ la spécificité psychosociale de cette population : délai au diagnostic, un accès peut-être moindre au système de soins ; ➤➤ des problèmes “supposés ou réels” de compliance ; ➤➤ des essais thérapeutiques moins nombreux pour cette tranche d’âge. La Lettre du Cancérologue • Vol. XVIII - n° 3 - mars 2009 | 139 doSSIER ThÉmATIQuE Cancers de l’adolescent Spécificité de la prise en charge des adolescents et des jeunes adultes en cancérologie En France, quel est le parcours de soin des patients de 15 à 19 ans atteints de cancer ? Référence bibliographique 1. Des andes E, Lacour B, Sommelet D et al. Cancer adolescent pathway in France between 1988 and 1997. Eur J Oncol Nurs 2007;11:74-81. L’étude de E. Desandes (1) nous donne des éléments de réponse : la première consultation a lieu auprès d’un généraliste dans 67 % des cas ; le médecin référent devient ensuite un oncologue d’adulte dans 52 % des cas, un pédiatre dans 7,1 % des cas et un chirurgien dans 25,6 % des cas. Ces patients sont pris en charge majoritairement en service public de médecine adulte (67,8 %) ; en effet, seuls 5,5 % des cas sont admis en service de pédiatrie. On peut souligner que cette étude a été réalisée à partir des 640 patients de 15 à 19 ans dont les données ont été enregistrées dans seulement neuf registres régionaux, représentant 10 % du territoire français, entre 1988 et 1997, et que les informations concernant les jeunes de la région Île-de-France (un quart de la population de cette tranche d’âge) n’étaient pas disponibles. Par ailleurs, les modalités de prise en charge se sont peu à peu modifiées, avec l’identification claire d’une médecine pour adolescents et une réflexion sur la prise en charge des jeunes patients atteints de cancer. À l’Institut Curie, les patients de cette tranche d’âge sont traités dans deux départements : celui d’oncologie pédiatrique comporte 18 lits et 5 places d’hôpital de jour, accueillant en moyenne 10 à 12 patients par jour. En oncologie médicale, il y a 42 lits d’hospitalisation et 14 lits d’hôpital de jour, avec 50 à 70 passages par jour. Avant 15 ans, tous les patients sont adressés dans un service d’oncologie pédiatrique ; après 18 ans, ils sont habituellement adressés en oncologie médicale. Pour les patients de 15 à 18 ans, le choix du lieu de prise en charge dépend du médecin prescripteur, du souhait du patient et/ou de ses parents, de la pathologie dont il souffre et de son niveau d’insertion dans la vie (étudiant, vie active, lycéen…). Pour tous, nous avons commencé à élaborer en 2002 une réflexion commune aux deux départements. Une formation en médecine de l’adolescent a été effectuée par un médecin de chaque département et plusieurs soignants. Une animatrice travaillant dans les deux départements a été recrutée en 2003. Nous avons mis en place un fonctionnement transversal pour les patients de 12 à 24 ans. Une réunion multidisciplinaire bimensuelle “ados/jeunes adultes”, commune aux deux départements et au Département interdisciplinaire de soins de support du patient en oncologie (DISSPO) a été mise en place. 140 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XVIII - n° 3 - mars 2009 Elle a comme objectifs de discuter la prise en charge psychosociale et éducative de tous les nouveaux patients – et de ceux présentant des problématiques particulières –, de faire la liaison au sujet des difficultés rencontrées avec patients et famille, de proposer des solutions et de permettre l’échange d’expérience entre les deux équipes. Y participent les médecins et soignants référents de chaque département, les intervenants transversaux (kinésithérapeutes, diététiciennes), les assistantes sociales des deux départements, l’animatrice ados/jeunes adultes, les psychologues des deux départements spécifiquement impliqués et le pédopsychiatre ainsi que l’équipe éducative. La prise en charge médicale s’unifie progressivement sur les plans national et international grâce à des protocoles de traitement communs, notamment en ce qui concerne les tumeurs osseuses et les sarcomes. Si beaucoup se préoccupent de la prise en charge des patients de cette tranche d’âge, qu’en est-il réellement de leurs souhaits ? Pour le savoir, un questionnaire a été élaboré et proposé, à l’Institut Curie, aux jeunes de 15 à 25 ans en cours de traitement, ou à moins de 2 ans de la fin de celui-ci, dans les deux départements. Il s’agit d’un questionnaire anonyme, comportant une dizaine d’items abordant les thèmes de l’accueil en hospitalisation ; le même est proposé aux accompagnants du jeune. Quatre-vingt-dix pour cent des jeunes souhaitent un service dédié, comportant préférentiellement des chambres seules ou à deux, où ils puissent recevoir leur famille et leurs amis, prendre leur repas dans leur chambre ou dans une pièce à part, et disposer d’espace Internet. Ils souhaitent que soient favorisés les échanges, les animations et les rencontres avec d’autres jeunes. Conclusion La multidisciplinarité, la flexibilité, le dialogue entre les équipes d’oncologie pédiatrique et d’oncologie médicale ainsi que la formation des soignants sont les bases de la prise en charge des adolescents et jeunes adultes atteints de cancer. À l’Institut Curie, les échange d’expérience et de pratiques entre les deux équipes se sont développés depuis plusieurs années : on peut ainsi parler d’une unité virtuelle, transversale. Cette démarche s’intègre, aux niveaux national et international, aux recommandations de prise en charge de ces patients. ■