20131114 TC Luciani Daniel

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Travail de candidature :
De l’utilité pédagogique
d’un cours à contenu socio-anthropologique au sein de
l’Enseignement Secondaire
Luciani Daniel
Par la présente, je déclare avoir réalisé ce travail de mes propres
moyens.
Luciani Daniel
2
Luciani Daniel
Candidat au Lycée de Garçons Esch-sur-Alzette
De l’utilité pédagogique
d’un cours à contenu socio-anthropologique au sein
de l’Enseignement Secondaire
3
Résumé :
Le travail présent vise à analyser et juger le contenu et les méthodes
didactiques du cours à option intitulé « Cultures et sociétés » au sein de
l’Enseignement Secondaire. Plus loin, le travail vise à questionner de façon
plus
générale
l’utilité
pédagogique
des
réflexions
d’ordre
socio-
anthropologique pour le Secondaire.
Les méthodes employées comporteront des recherches théoriques (sur la
raisons
et
la
nécessité
du
développement
des
sciences
socio-
anthropologiques ; sur les méthodes didactiques appropriées) ainsi qu’une
confrontation entre objectifs relatifs au contenu et aux méthodes employés
d’une part et les résultats obtenus, d’autre part.
La conclusion mènera à des réflexions plus générales au sujet des atouts et
des problèmes soulevés par les sciences socio-anthropologiques ainsi que
leur emploi au sein de l’Enseignement Secondaire au Grand-Duché.
4
5
« Si les dieux de chacun à leur heure sortent du temple
et deviennent profanes, nous voyons par contre des choses
humaines et sociales – la patrie, la propriété, le travail,
la personne humaine – y entrer l’une après l’autre »
(Marcel Mauss, 1906)
6
I.
Premières réflexions
Lorsque je proposais, en 2007, un cours à option intitulé « Cultures et Sociétés »
aux élèves des futures classes de 3e, 2e et 1ère, ce fut le fruit d’une longue réflexion
au sujet de l’insertion des pensées issues des sciences anthropologiques et
sociologiques au sein de l’Enseignement Secondaire. Ma proposition fut sanctionnée
par un franc succès : à en croire le directeur adjoint, qui gérait l’inscription des cours
à option, plus de 60 élèves cochaient leur croix en faveur de mon cours pour l’année
scolaire 2007/2008.
Un succès qui, à lui seul, n’est évidemment pas encore garant pour une quelconque
valeur pédagogique. En 2010, l’achèvement de mon stage pédagogique et ma
nomination au statut de candidat-professeur m’inspiraient à porter de nouvelles
réflexions au sujet du cours à option. Qu’en était-il de la valeur et de l’utilité
pédagogique ? Car en effet, si le stage pédagogique m’a permis de me munir des
concepts, outils et autres instruments pédagogiques afin de bien réaliser ma
« vocation » de professeur en Formation Morale et Sociale, il me paraît impératif de
soumettre les cours à option en question aux mêmes réflexions et à la même
distance critique que le cours de FoMoS.
Afin de bien saisir le cheminement de pensée qui m’a mené à réaliser le cours
« Cultures et Sociétés », je me permets d’abord d’exposer les premiers motifs qui se
trouvent à son origine.
1. Études en sociologie et anthropologie
Il me serait impossible de nier l’influence qu’aura mon itinéraire personnel d’étudiant
en anthropologie sur le développement du cours « Cultures et Sociétés ». Car, en
effet, les premiers cours d’anthropologie sociale et culturelle à l’Université Libre de
Bruxelles me marqueront d’une manière bien profonde. Comme pour la majorité des
Européens, mes conceptions d’un « Autre culturel » étaient marquées de préjugés
7
qui se fondaient sur des stéréotypes et sur l’ignorance des cultures étrangères. Des
rites de passage douloureux en Afrique ou en Amérique, en passant par la
tauromachie espagnole, jusqu’au rôle conféré à la femme dans les sociétés
traditionnelles, voilà bien des exemples qui me menaient à penser que « ces
sociétés-là » nécessitaient quelques valeurs de notre société… civilisée.
Au fur et à mesure que cette conception unidimensionnelle d’un Autre non-civilisé
s’ébranlait, s’installait dans mon esprit davantage un intérêt, voire même une
fascination pour le sens profond, caché de ces phénomènes sociaux et culturels.
C’est alors que je me rendais compte que « le barbare, c’est d’abord l’homme qui
croit à la barbarie », comme le formulait Claude Lévi-Strauss.
2. Le parcours professionnel d’enseignant
De retour au Luxembourg, transformer ces nouveaux acquis en savoir-faire
professionnel s’avérait plutôt difficile. L’enseignement me paraissait, pour de
nombreuses raisons, comme le meilleur choix. C’est ainsi que je commençais, dès
1999, à dispenser des cours de sociologie au sein de l’Institut d’Etudes Educatives
et Sociales (IEES, actuellement le Lycée Technique pour Professions Educatives et
Sociales). Et quel public pourrait mieux se prêter aux réflexions sociologiques, voire
même anthropologiques que les futurs éducateurs, des acteurs sociaux eux-mêmes
qui seraient censés connaître et comprendre le milieu dans lequel ils agissent ?
Je me suis rendu compte qu’il y avait (et qu’il y a toujours), dans le milieu socioéducatif, un besoin en connaissances anthropologiques. A titre d’exemple, je citais
l’anecdote suivante, relatée par ma mère qui fut institutrice dans l’enseignement
primaire : des enfants immigrés, d’origine africaine, ne savaient pas faire la
distinction entre frères/sœurs et cousins/cousines. Le personnel enseignant
l’attribuait à des problèmes psychologiques. Or, il s’agissait d’une problème de
différence culturelle : un bon nombre de sociétés africaines suivent un système de
parenté qui ne fait pas de distinction entre frères/sœurs et cousins/cousines – ou
encore, exprimé en terminologie de parenté : tous les parents de la génération d’ego
sont appelés par le même terme.
8
A l’aide de cet exemple en somme banal, j’ai attiré l’attention des futurs éducateurs
sur le fait qu’un être humain s’inscrit dans un cadre culturel dont il fait partie – et son
comportement, son identité en sera influencé. La racine de certains problèmes peut
résider dans des différences culturelles, donc dans des « faits sociaux totaux »
(dans le sens de Marcel Mauss) et non pas dans des problèmes psychologiques.
3. Le Luxembourgeois et l’Autre
L’anthropologie sociale et culturelle (synonyme du terme « ethnologie ») est un
produit direct de la colonisation européenne. Comme le formulait Claude LéviStrauss dans un entretrien mené par le Nouvel Observateur :
« Il est difficile pour un ethnologue de parler du colonialisme, parce que s’il n’y avait
pas eu le colonialisme, il n’y aurait peut-être pas eu d’ethnologie. C’est vrai pour la
France mais aussi pour l’ethnologie en général, née comme une science anglosaxonne au XIXe siècle. Dans le pas du colonisateur, les ethnologues ont découvert
des valeurs négligeables pour celui-ci mais essentielles pour eux, et ce en deux
sens différents, parce que ce sont des éléments objecifs du patrimoine humain et
parce que chaque société a une beauté qui lui est propre.»1
Or, le Grand-Duché du Luxembourg n’a jamais colonisé des territoires, et durant
certaines périodes, la population s’est plutôt considérée comme une nation
colonisée. Néanmoins, une minorité des Luxembourgeois a connu la colonisation
par le biais des colonies de nos pays voisins, belges ou autres :
« Dans ce contexte, on peut se demander si le Grand-Duché a des responsabilités
dans le processus de la colonisation du Congo. De nombreux compatriotes ont
participé à l’exploitation / à la mise en valeur – le lecteur choisira le terme en fonction
de ses convictions tiers-mondistes ou colonialistes – des richesses de l’Afrique
centrale. L’État luxembourgeois n’y était pas directement engagé comme la
Belgique, devenue en 1908 propriétaire de l’immense territoire conquis par Léopold
II est déguisé d’abord en État indépendant du Congo. Mais l’Union belgoluxembourgeoise (1923) signée par les deux pays prévoyait que les
1
Claude Lévi-Strauss, dans : « Claude Lévi-Strauss, êtes-vous surréaliste ? », Le Nouvel
Observateur – hors-série N°74, novembre-décembre 2009
9
Luxembourgeois désirant entrer dans l’administration coloniale pourraient le faire au
même titre que les Belges, en passant par l’École royale coloniale de Bruxelles,
l’Université coloniale à Anvers ou l’École et Institut de médecine tropicale à
Anvers. » 2
Une étude récente mené par l’historien luxembourgeois Régis Moes au sujet du rôle
joué par les Luxembourgeois dans la colonisation du Congo belge constate que…
« La participation des Luxembourgeois à la colonisation du Congo belge est donc
bien un fait établi : entre 1880 et 1960, avec plus ou moins de réussites
personnelles, ils s’intégrèrent parfaitement dans la société coloniale belge, tout en
gardant leur spécificité, leurs habitudes et des liens avec les organisations coloniales
au Luxembourg. »3
Plus loin, Régis Moes affirme que…
« L’activité des associations coloniales luxembourgeoises dans les années 1930 à
1960 démontre pourtant l’existence d’un lobby colonial très actif et présent sur la
scène publique du Grand-Duché. Le soutien que les hommes politiques les plus
influents de la droite, mais aussi de la gauche et, un peu moins, du centre
apportèrent au Cercle Colonial Luxembourgeois et à l’Alliance Coloniale, puis à
Luxembourg-Outre-Mer, dénote la volonté du monde politique luxembourgeois de
prendre une part effectife à un système qui à l’époque apparaissait comme porteur
de prestige national. Le cautionnement de l’activité coloniale luxembourgeoise fut
encore renforcé par le soutien étonnament constant et concret de la Cour grandducale. »4
Le colonialisme n’était donc pas inconnu des Luxembourgeois, mais le contact trop
diffus et trop furtif pour qu’il en naisse, à l’époque, une réflexion d’ordre scientifique
au sujet des cultures humaines : les Luxembourgeois constituaient une minorité sur
le territoire immense du Congo belge et leur objectif était surtout de nature
économique.
2
Frank Wilhelm, Regards sur la colonisation de l’Afrique et du Congo I & II, dans : Forum, N°209/210,
Luxembourg, juillet / septembre 2001
3
Régis Moes, Cette colonie qui nous appartient un peu, Editions d’Letzebuerger Land, Luxembourg,
2012, p.96
4
ibid, p.394
10
Que le Luxembourg n’ait pas de longue tradition d’anthropologie n’est donc guère
surprenant. Toutefois, le Luxembourgeois d’aujourd’hui est en contact perpétuel
avec l’étranger : d’abord par l’immigration, toujours bien présente au Grand-Duché.
En effet, 43% de la population luxembourgeoise est en possession d’une nationalité
non-luxembourgeoise. De plus, le solde migratoire reste, depuis des décennies,
positif et se trouve toujours en légère hausse5. Et même si cette immigration se
résumait, durant des décennies, à une immigration issue de l’espace culturel
européen, l’origine des étrangers s’est considérablement diversifiée : du Cap-Vert en
passant à l’Europe de l’Est, voire jusqu’en Asie. L’immigration du Grand-Duché du
Luxembourg s’inscrit aujourd’hui donc bel et bien dans un cadre de globalisation où
transitent les flux humains au même titre que les biens matériels ou les capitaux
financiers.
Ensuite, le Luxembourgeois entre également en contact avec l’Autre en effectuant
des voyages. Car le Luxembourgeois, lui-aussi, voyage. Qu’il entre réellement en
contact avec des phénomènes culturels de sociétés étrangères est une question qui
ne me sera pas possible de répondre ici – retenons néanmoins que le
Luxembourgeois voyage, et ce à une amplitude supérieure à celle des autres
nations européennes 6
Enfin, un dernier facteur va aussi jouer un rôle considérable dans la perception de l’
« Autre » par le Luxembourgeois : l’image véhiculée par les médias, et leur vision
souvent uni-dimensionnelle des cultures lointaines. Voilà un demi-siècle que l’ère
coloniale a touché à sa fin, ce qui n’empêche pas que notre regard sur les pratiques
culturelles de l’Autre soit souvent biaisé : qu’il s’agisse de sujets comme la polygynie
ou la société des castes en Inde, les regards portés sur ces faits sociaux font
rarement preuve de la distance critique nécessaire en sciences sociales.
5
Statnews N°14/2011, www.statec.lu
http://www.statistiques.public.lu/
6
« Les caractèristiques les plus marquantes du comportement de voyage sont les suivantes :
- Une part extrêmement élevée des voyages (99%) à l’étranger, ce qui constitue le taux le plus
élevé de l’UE loin devant les Belges (79%) et les Irlandais (73%). » (Statnews N°50/2006)
http://www.statistiques.public.lu
11
4. Les attentes de la part des autorités scolaires
Dans un entretien mené avec avec la direction du Lycée de Garçons Esch,
établissement où j’ai effectué mon stage en Formation Morale et Sociale et auquel
j’ai obtenu ma nomination en 2010, j’ai tenté de distiller les attentes posées à un
cours d’option.
Le directeur adjoint, Mr Decker, m’a ainsi révélé que l’établissement souhaite
pouvoir proposer aux élèves des cours qui sortent du cadre scolaire commun et qui
seraient motivés par l’intérêt que porte l’enseignant pour son cours respectif. Il
s’agirait aussi d’une manière d’élargir l’horizon des élèves, avec un regard pour des
sujets qui pourraient, dans certains cas, se voir crédités d’une reconnaissance de la
part de l’université qui accueillera le futur étudiant. Le législateur n’aurait pas défini
des critères qui jugeraient de la pertinence d’un cours d’option, et il incombe ainsi
donc à la direction d’apprécier (ou non) les qualités du cours proposé.
Le directeur, Mr Thill, a lui-aussi souligné l’aspect de la culture générale qui serait
davantage forgée par le savoir et le savoir-faire acquis dans le contexte des cours
d’option, qui proposent de se familiariser avec des domaines auxquels l’élève
n’aurait pas d’accès.
Le cours constituerait, idéalement, une plus-value à la fois pour l’élève, tout comme
pour l’enseignant et aussi l’établissement qui se voit en mesure de proposer à ses
élèves ce cours. Car ces cours contribuent aussi à forger une image, et par
conséquent une identité pour l’école, tout comme un projet d’établissement. La
motivation d’apprentissage serait plus haute, car basée sur une participation
(relativement) volontaire.
Partant de ces critères non pas « flous », mais certes formulés de manière plus
étendue, je me suis donc mis à formuler des objectifs et à choisir les thèmes qui
remplissent le curriculum du cours qui s’intitule « Cultures et Sociétés »…
12
II.
Les objectifs du cours
1. L’objectif « suprême »
Si l’anthropologie sociale et culturelle constitue une science qui cherche à saisir
l’essence de l’homme à travers ses différences culturelles, mon objectif consistera à
transmettre ce savoir à mes élèves de façon évocatrice.
Dans ce sens, le cours « Cultures et Sociétés » pourra être perçu comme un
prolongement, voire un approfondissement d’une des questions fondamentales en
Formation Morale et Sociale, formulée par Immanuel Kant parmi ses quatre
questions : « Qu’est-ce que l’homme ? »7.
Il s’agit d’une question qui nous offre une multitude de voies à explorer afin d’en
trouver des éléments de réponse. La voie que j’emprunterai dans le cadre du cours
s’inscrit bel et bien dans le cadre des sciences anthropologiques (et/ou
sociologiques, ces deux sciences pouvant être considérées comme des sciences
jumelles). Car ce sont les sciences sociologiques et anthropologiques qui ont su,
d’après mon estimation, formuler au mieux la volonté de comprendre autrui tout en
respectant cette « distance critique », nécessaire à toute prétention scientifique.
Comme le formulait Maurice Godelier :
« Comprendre les croyances des autres sans être obligé de les partager, les
respecter sans s’interdire de les critiquer, et reconnaître que chez les autres et grâce
aux autres on peut mieux se connaître soi-même : tel est le noyau scientifique, mais
aussi éthique et politique, de l’anthropologie d’hier et de demain. »8
Claude Lévi-Strauss se posait également la question …
« A quoi faire l’ethnologie en général ? C’est une des nombreuses manières
d’essayer de comprendre l’homme. Si on veut comprendre l’homme, on peut, à la
manière du philosophe, se replier sur soi-même et essayer d’approfondir les
7
Gilbert Hottois, Introduction historique à la philosophie contemporaine, De Boeck et Larcier,
Bruxelles, 1996
8
Maurice Godelier, Au fondement des sociétés humaines, Ed.Albin Michel, 2007, pp.72-73
13
données de la conscience. On peut essayer de regarder ce qui, dans les
manifestations de la vie humaine les plus proches de nous, considérer notre histoire
depuis ces origines greco-romaines jusqu’aujourd’hui. Ou bien, on peut essayer
d’élargir la connaissance de l’homme pour y inclure même les sociétés les plus
lointaines et qui nous paraissent les plus humbles et les plus misérables, de manière
à ce que rien d’humain ne nous reste étranger. »9
Dans son œuvre devenue célèbre, « Tristes tropiques », il affirme également que
« l’ethnographie m’apporte une satisfaction intellectuelle, comme histoire qui rejoint
par ses deux extrémités celle du monde et de la mienne, elle dévoile du même coup
leur commune raison. Me proposant d’étudier l’homme, elle m’affranchit du doute,
car elle considère en lui ces différences et ces changements qui ont un sens pour
tous les hommes, à l’exclusion de ceux, propres à une seule civilisation, qui se
dissoudraient si l’on choisissait de rester en dehors. »10
Ainsi, le cours, en posant la question de l’hétérogénéité culturelle, débouche sur la
question de la compréhension de l’ « Autre » - donc l’Autre culturel, l’être humain qui
semble différent de nous dans son essence puisque sa culture l’a ainsi forgé, sans
pour autant tomber dans un relativisme culturel absolu.
Car n’est-ce pas là l’une des vocations majeures de l’enseignement secondaire –
tenter de cerner et de comprendre ce qu’est l’homme ? Et alors que la biologie
essaie de comprendre ce qu’est la dimension matérielle de l’être humain, alors que
la philosophie et la formation morale approchent la question sous un angle idéaliste,
l’élève n’est guère invité, en étudiant l’homme, à considérer le paradigme culturel.
En Formation Morale et Sociale, le thème des différences culturelles est brièvement
mentionné dans le deuxième champ d’études (tel qu’il a été défini par le Ministère de
l’Education nationale11) et formulé de façon peu conçise : « die Frage nach dem
Anderen ».
9
Claude Lévi-Strauss dans : Claude Lévi-Strauss par lui-même – un film de Pierre-André Boutang et
Annie Chevallay
10
Claude Lévi-Strauss, Tristes tropiques, p.63, Librairies Plon, 1955/1993
11
Fragenkreis 2 : Die Frage nach dem Anderen
14
De plus, le sujet des cultures me permet également de tresser le lien avec la
déclaration des droits de l’homme – car tenter de comprendre l’autre, c’est aussi
l’accepter et le considérer comme un être humain à pied d’égalité.
Article premier : Tous les êtres humains naissent libres et égaux en droits et en
dignité.
Article 18 – Toute personne a le droit à la liberté de pensée, de conscience et de
religion ; ce droit implique (…) la liberté de manifester sa religion ou sa conviction,
seule ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le
culte et l’accomplissement des rites.
Article 27 – 1. Toute personne a le droit de prendre part librement à la vie culturelle
de la communauté (…). 12
Le thème de la diversité sociale et culturelle chez l’homme me permettrait ainsi de
me servir de sujets et méthodes propres à l’anthropologie et à la sociologie afin
d’essayer de répondre à la question classique « Qu’est-ce que l’homme ? », tout en
tenant compte des valeurs incluses dans la déclaration universelle des droits de
l’homme.
12
Marie Agnès Combesque (dir.), Introduction aux droits de l’homme, La Découverte et Syros, Paris
1998
15
2. Le choix des matières à traiter : Les mythes et les rites
En été 2007, le cours « Cultures & Sociétés » fut en quelque sorte une page vide
qu’il s’agissait de remplir, un contenant sans contenu. Lorsque m’incombait la tâche
d’établir une table de matières, je réalisais que le choix des sujets était soumis à un
dilemme particulier. Trop vulgarisant, je risquais d’en faire une sorte de cabinet de
curiosités digne de l’époque coloniale. Trop scientifique, les élèves risqueraient
d’être débordés et de perdre la motivation. Il me fallait donc trouver des thèmes qui
devraient éveiller l’intérêt des élèves et d’autre part se prêter à une analyse
scientifique.
Mon choix tombait sur des phénomènes sociaux et culturels qui, d’une façon ou
d’une autre, ont inspiré l’imaginaire occidental, et qui ne sont donc pas inconnus des
élèves. Les croyances relatives à la mort et à la naissance s’y prêtent bien, puisqu’il
s’agit de questions qui paraissent universelles : « Dans toutes les sociétés (…), les
humains se sont interrogés sur ce que signifie (…) de naître, de vivre et de mourir
(…). »13
L’un des principaux sujets sera documenté au fil du travail présent, à savoir le
vampirisme, ou plus précisément la croyance en l’existence de créatures nommées
‘vampires’. Pour une bonne raison : il s’agit d’un sujet qui a été largement traité,
voire exploité, par la culture populaire de l’Occident, et qui est donc parfaitement
connu des élèves sous forme de films de fiction. La légende du vampire fait
néanmoins partie de l’imaginaire mythologique de la population roumaine (surtout
rurale, ces croyances ayant largement disparu dans l’espace urbain) et s’inscrit dans
un contexte particulier, celui de la mort.
De cette façon, j’invite les élèves à replacer la représentation de cette figure féerique
(ou grotesque, selon le point de vue) dans son contexte initial, à savoir une croyance
se rattachant à tout un système culturel. Par le biais de cette figure du vampire, je
cherche donc à montrer aux élèves que toute compréhension scientifique d’un fait
social passe par l’acte de le replacer dans l’intégralité du système social dont il fait
13
Maurice Godelier, Au fondement des sociétés humaines, p.62, Ed.Albin Michel, 2007
16
partie. Le fait social devient ainsi « fait social total », expression chère à Marcel
Mauss (qui est généralement considéré comme le « père de l’anthropologie
française »).
Les sujets à traiter au fil du cours ont donc été choisis en fonction des objectifs
poursuivis : issus d’un contexte socio-culturel traditionnel « exotique », ils doivent
idéalement avoir influencé l’imaginaire occidental afin de ne pas être complètement
inconnus des élèves et se prêtent à une interprétation d’ordre scientifique. Ainsi, le
Vaudou (religion traditionnelle issue de l’Afrique de l’Ouest ayant largement
influencé les pratiques religieuses des descendants des esclaves en Caraïbe), tout
comme le chamanisme des Indiens d’Amérique ou encore les légendes urbaines
occidentales ont été choisis selon ces critères.
Il s’agit là de thèmes qui peuvent certes « choquer » ou révolter quelques-uns des
élèves de par leur nature morbide, mais n’est-ce justement par ces questions qui
sont relevées par toutes les sociétés humaines que nous aurons le meilleur aperçu
de ce qui est propre à la nature de leur pensée, de leur cosmogonie, donc de leur
culture ?
Ainsi, Maurice Olender, dans l’avant-propos de l’œuvre recueillant des essais de
Claude Lévi-Strauss, « Nous sommes tous des cannibales », constate que :
« Lévi-Strauss fait valoir ainsi que tout usage, toute croyance ou coutume, ‘si
bizarre, choquante ou même révoltante qu’elle paraisse’, ne peut s’expliquer que
dans son propre contexte. »14
Le choix des thèmes s’inscrit donc dans le principe de ce que j’ai désigné comme
objectif suprême, à savoir la compréhension de « l’Autre culturel », et ce en usant
des thèmes qui ont trait aux mythes et aux rites des sociétés humaines. Car ce sont,
d’après mon expérience, les mythes et les rites qui soulèvent le plus l’intérêt des
élèves. Certes, il me serait possible de focaliser le cours sur des thèmes comme les
structures parentales en Afrique ou sur des sujets d’ordre plus sociologiques
(groupes sociaux, chômage, etc). Toutefois, il faut tenir compte des facteurs comme
14
Claude Lévi-Strauss, Nous somme tous des cannibales, p.10, Editions du Seuil, 2013
17
le caractère (relativement) volontaire de la participation des élèves, qui rend
impératif le souci d’éveiller l’intérêt des élèves, tout comme les objectifs que je me
suis posés et les indications de la direction (donner une plus-value à l’élève en lui
transmettant un savoir et un savoir-faire qui l’intéresse, tout comme il intéresse
l’enseignant), j’ai délimité clairement le champ d’études en me focalisant sur les
mythes et les rites…
18
3. Les objectifs pédagogiques
En me basant sur des connaissances acquises lors de ma formation pédagogique
(et lors de ma pratique quotidienne en tant qu’enseignant), je formulerai les objectifs
pédagogiques comme suit :
a. Structuration nette du cours
Idéalement, le cours suivra un fil rouge, organisé selon des principes élaborés à
l’avance. Ceci devrait permettre à l’élève de suivre au mieux la trame logique du
contenu du cours, ce qui devrait mener à une compréhension plus facile et plus
intense de la matière enseignée.
b. Eveiller l’intérêt des élèves
De par sa nature curieuse, l’homme est facilement étonné de quelque chose –
déjà Aristote et Platon ont souligné qu’au début de toute réflexion philosophique
se trouve un acte d’étonnement. Par conséquent, il m’importe de concevoir le
cours de façon telle à faire s’étonner les élèves, ce qui devrait les amener à
formuler des réflexions au sujet du thème en question.
Dans le contexte de l’enseignement, l’acte d’étonnement nécessite, à mon avis,
une stimulation sensorielle : une image ou un extrait de film (visuel), un objet
rituel (visuel / sensoriel), une musique (auditif) pourraient servir d’entrée au sujet.
c. Participation des élèves
La structure du cours devra prévoir des plages qui demandent la participation
active de l’élève. La pédagogie moderne (et même moins moderne) nous
enseigne que l’être humain, loin d’assimiler ses connaissances de façon
exclusivement passive, contribue à ‘construire’ activement, dans un processus
d’assimilation, son savoir.
Par conséquent, il me semble impératif d’offrir aux élèves des activités qui leur
permettent de ‘construire’ par eux-mêmes les connaissances qui font l’objet du
cours.
19
d. Hétérogénéité des méthodes employées
Ce critère, inspiré par le sixième des dix critères d’un « bon enseignement » dans
le livre « Was ist guter Unterricht ? » de Hilbert Meyer15, me paraît
particulièrement pertinent. Car en effet, mon expérience (en Formation morale et
sociale) me confirme que l’emploi d’une multitude de méthodes employées se
répercutera de façon positive sur l’apprentissage des élèves.
En me basant sur le modèle de méthodes suggéré par le didacticien allemand
Ekkehard Martens16, je me concentre, pour le cours en question, sur les
méthodes suivantes :
•
Méthode phénomènologique
Il s’agit d’amener l’élève à saisir un phénomène de façon
sensorielle, afin qu’il puisse le décrire de façon aussi complète
que possible. Cette méthode offre une multitude de sources
possibles (images telles que des photos ou des extraits de B.D. ;
des extraits de films, des objets ethnographiques comme par
exemple un masque).
•
Méthode herméneutique
Cette méthode vise à approfondir les connaissances de l’élève
par la lecture de textes. Dans le cas du cours présent, mon choix
tombera sur des textes qui sont en majorité de nature socioanthropologique ou philosophique.
•
Méthode analytique
Dans le contexte de la méthodologie proposée par E.Martens, à
savoir les cours de philosophie et de morale, la méthode
analytique consiste à mettre en évidence et à examiner, voire
valider les termes et les arguments essentiels d’un texte. Dans le
contexte du cours présent, j’appliquerai cette méthode aux
concepts sociologiques et/ou anthropologiques qui peuvent
15
16
Hilbert Meyer, Was ist guter Unterricht ?, Cornelsen, Berlin, 2004
Ekkehard Martens, Methodik des Ethik- und Philosophieunterrichts, p.56, Siebert, Hannover, 2003
20
s’avèrer inconnus par les élèves – citons un terme comme « rite
de passage » en guise d’illustration.
•
Méthode dialectique
Il s’agit d’une méthode propre à la philosophie qui vise à dénouer
un dilemme ou un dialogue, mais qui ne jouera qu’un rôle mineur
dans le contexte du cours en question. Toutefois, il me paraît
évident que toute forme d’interprétation d’un phénomène socioculturel peut et doit se soumettre à une réflexion critique et pourra
donc, au fil du cours, être mise en question et confrontée à une
interprétation différente – à condition que celle-ci respecte la
méthodologie des sciences sociales !
•
Méthode spéculative
Tout comme pour la méthode dialectique, je n’attribue qu’un rôle
mineur à cette méthode proposée par E. Martens.
Par conséquent, je souligne la nécessité de varier le répertoire des méthodes
employées, afin de solliciter l’attention des élèves d’une part, et d’assurer un bon
apprentissage d’autre part.
Considérant la nature de la matière à enseigner, il me semble donc pertinent de
recourir à la méthode du cours magistral, tout comme aux travaux de groupes et
aux travaux individuels. Je vais également tenter d’assurer l’hétérogénité du
matériel didactique employé : textes, images, photos, films, tout comme certains
objets ethnographiques seront utilisés à cette fin.
e. Vocation interdisciplinaire du cours
La connaissance est, on le sait, loin de constituer un ensemble de domaines
figés, séparés les uns des autres, ce qui a mené maints pédagogues à souligner
l’importance de tresser des liens entre les différentes disciplines enseignées au
secondaire. Or, je vais tenter de mettre en évidence les atouts d’un cours à
contenu anthropologique dans le contexte de la pluridisciplinarité, car le cours, de
par sa nature, semble offrir toute une panoplie de possibilités. Replacer un
21
phénomène social ou culturel dans son contexte, cela signifie également recourir
aux autres disciplines qui ont trait au phénomène - que ce soit l’histoire, la
psychologie ou la littérature…
En guise de conclusion, la recherche présente m’a amené à considérer une série de
critères (structuration, diversité des méthodes employées, interdisciplinarité,
participation active des élèves, etc) que je vise à respecter afin de maximiser
l’efficacité de l’apprentissage du cours que j’ai élaboré…
22
4. Les indicateurs d’une « utilité pédagogique » du cours
Le travail de candidature présent prétend valider (ou non) l’« utilité pédagogique »
du cours intitulé « Cultures et Sociétés ». Or, il me faudra encore définir cette « utilité
pédagogique ». Chose pas si évidente si l’on cherche à définir des indicateurs qui
aideront à évaluer l’utilité pédagogique d’un cours à option qui ne connaît guère de
frères semblables au sein de l’enseignement secondaire luxembourgeois…
a. Aspects méthodologiques
Les objectifs développés ci-dessus ont été synthétisés sur base des critères que l’on
retrouve soit dans la littérature vouée à la méthodologie des disciplines d’éthique et /
ou de philosophie, soit dans la littérature relative à la méthodologie générale de
l’enseignement secondaire.
Par conséquent, je me permets de les utiliser, dans un premier moment d’évaluation,
comme indicateur de la pertinence des méthodes appliquées. Ainsi, je jugerais la
méthodologie adéquate et pertinente si la majorité des objectifs méthodologiques a
été respectée. En résumé, ces indicateurs sont constitués par les critères suivants :
1. Y a-t-il une structuration nette et claire du cours ?
2. Ai-je réussi à éveiller l’intérêt des élèves par le biais de médias divers ?
3. Ai-je prévu, à des moments déterminés à l’avance, une participation active
des élèves ?
4. Ai-je respecté le principe de l’hétérogénéité de méthodes employées ?
5. Ai-je tenté de tresser des liens avec d’autres disciplines ?
Bien évidemment, ces indicateurs, voués au seul aspect méthodologique, seront
complétés de réflexions au sujet du contenu du cours.
23
b. « Utilité pédagogique » du contenu du cours
Il s’agit là certes d’un critère qui s’avère plus difficile à juger. Car dans quelle mesure
me sera-t-il possible de juger d’une matière que j’ai choisie moi-même de
l’enseigner, par rapport à laquelle il me manque par conséquent toute distance
critique ?
J’ai choisi de me reférer à mon objectif que j’ai nommé « suprême » : comprendre
l’homme en considérant les paradigmes culturel et social. La question que je vais me
poser, en analysant les travaux des élèves sera dès lors : ai-je amené les élèves à
élargir leurs connaissances et à développer leurs réflexions au sujet de ce qu’est
l’homme dans la diversité de sa vie culturelle et sociale ?
Je vais donc tenter de cerner des éléments de réflexion des élèves qui pourront me
confirmer ou non l’apport d’un savoir d’ordre socio-anthropologique.
Dans un premier temps, cet apport pourra se traduire de façon assez banale par la
compréhension de la matière enseignée, et, par conséquent, par le fait de réaliser
les devoirs imposés de manière aussi pertinente que possible. Bref, les travaux des
élèves nous indiquent-ils qu’ils ont « saisi » le sujet en question ?
Dans un deuxième temps, l’apport de savoir devrait se manifester sous une forme
plus latente : l’élève saura-t-il transposer et appliquer un savoir acquis d’un contexte
donné à un autre ? Par exemple, saura-t-il replacer les croyances en relation avec
les vampires dans le contexte des mythes qui jouent un rôle à transmettre des
valeurs morales d’une génération à l’autre, connaissance qu’ils ont acquise au fil du
chapitre au sujet des légendes urbaines ?
24
III.
Analyse didactique d’un chapitre du cours
1. Les objectifs
Dans le cadre du travail présent, je vais me concentrer sur le vampirisme17, donc sur
les croyances qui présupposent l’existence d’être « morts-vivants » que sont les
vampires. Issues de traditions pluricentenaires de l’Europe de l’Est, ces croyances
ont su envoûter des spectateurs occidentaux de tous âges (même les plus jeunes,
qui ont fait connaissance avec « Count Count » de la « Sesame Street » ). Le sujet
se prête donc à mon objectif : partir d’un phénomène parfaitement familier aux
élèves afin de plonger dans une analyse et dans une interprétation qui permettrait de
saisir la signification des mythes et rites qui s’attachent à ce phénomène. Car les
croyances roumaines en relation avec la figure mythologique du vampire s’inscrivent
dans un contexte socio-culturel particulier, à savoir celui de la mort. Par le biais de la
figure du vampire, je saurai donc également être en mesure de traiter le sujet de la
mort et du deuil ainsi que des thèmes qui s’y apparentent : le rite et le mythe.
Replacer le sujet dans son contexte social et culturel porterait garant aux aspirations
scientifiques du cours et devrait permettre aux élèves de comprendre que :
-
la figure du vampire fait partie intégrante des croyances traditionnelles
roumaines (en pays rural) ;
-
les croyances et rites relatifs aux vampires se rattachent à la conception
roumaine de la mort (le chapitre en question s’inscrit donc dans le 7e champ
d’études de la FoMoS 18) et ne pourront pas être appréhendés sans les
replacer dans leur contexte d’origine;
-
l’être humain, en quête de « comprendre » la mort, a recours à cette fin aux
mythes et rites;
-
la figure du vampire constitue, en dernier lieu, une métaphore du « Mal ».
17
La table de matière complète du cours est jointe dans l’addenda. Y figurent également des extraits
du chapitre sur les croyances relatives aux vampires.
18
Fragenkreis 7 : Sterben und Tod
25
Il s’agit là d’objectifs que je vais considérer ici comme spécifiques au chapitre en
question – et qui me permettront d’évaluer le degré de compréhension de la matière
enseignée…
1ère partie du chapitre :
Le contexte sociologique et historique – La mort en Roumanie
a. le contenu
Comme je l’ai souligné plus haut, la compréhension d’un fait social – dans ce cas les
croyances populaires et les rites qui se rattachent à la figure du vampire - ne pourra
se faire que lorsqu’on replace le fait dans son contexte d’origine. Or, le vampire
constitue, dans les croyances populaires roumaines, une figure inhérente à la
conception de la mort : m’incombera donc d’abord la tâche de fournir aux élèves la
base du contexte de la mort en Roumanie.
A cette fin, deux aspects s’imposeront pour être analysés, à savoir l’aspect
mythologique et l’aspect rituel. Le premier comportera tous les éléments qui ont trait
à l’imaginaire roumain en relation avec la mort : la mort qui s’annonce par un rêve ;
le moment de la mort durant lequel l’âme sort de la bouche du mourant (tel un
souffle) ; l’âme qui se met en route pour trouver son chemin vers l’au-delà ; l’âme qui
traverse un paysage imaginaire plein de souffrances ; l’âme qui doit revivre son
propre passé, etc.
Le deuxième aspect concerne les moyens par lesquels l’homme essaye d’influencer
le monde imaginaire : c’est l’aspect rituel qui vise à aider l’âme du défunt à s’intégrer
dans l’au-delà. Ce côté rituel est très prononcé durant les 40 jours suivant le décès
de la personne : des veilles durant les 3 premiers journées, avec des pleureuses et
les connaissances de la famille qui rendent visite, en passant par l’enterrement le
troisième jour après le décès, jusqu’au rite de la « libération », 40 jours après le
décès.
Il m’importe à ce stade de souligner l’importance du rite : les élèves devront
comprendre que le rite constitue – en nous appuyant encore sur Claude LéviStrauss - une action verbale et gestuelle qui nécessite une manipulation d’objets.
26
Mais il y a également un côté symbolique inhérent au rite, « en ce sens qu’ils n’ont
souvent pas d’utilité sui generi, leur action se situant à un autre niveau. Les
cérémonies rituelles ont en effet la particularité de ‘défonctionnaliser’ le corps et les
gestes, les objets et les paroles, pour les réinvestir symboliquement, transformant
les rapports, les états et les statuts, ou renforçant des liens existants. »19
Ainsi, la base théorique ne servira pas uniquement de voie à saisir la fonction
sociale du vampire, mais elle constitue en elle-même une connaissance
sociologique – ainsi, elle me permettra d’illustrer et d’expliquer aux élèves deux
concepts-clés de l’anthropologie : le mythe et le rite.
b. la méthodologie
Pour des raisons qui me semblent évidentes, j’ai prévu une méthode assez
‘classique’ afin de présenter cette partie du chapitre – le cours magistral, tout en
mélangeant celui-ci à une forme de maïeutique qui me permet d’élaborer certains
points à partir d’un dialogue sous forme de questions-réponses que je mène avec
les élèves (p.ex. « De quelle façon les êtres humains s’imaginent-ils la mort ? » au
départ pour en venir aux conceptions roumaines de la mort, qui peuvent s’avérer soit
différentes, soit similaires).
Cette méthode me permettra ainsi de donner aux élèves une base de savoir dans un
laps de temps assez restreint. Cette base leur est fournie sans qu’ils aient à faire de
longues recherches fastidieuses, et il me sera possible de contrôler, par le biais de
petites questions, que le contenu a été assimilé. Une fois cette base acquise
(certains pédagogues parleraient dans ce contexte d’un « socle »…), une base qui
se constitue néanmoins de concepts tels que le rite et le mythe, il leur sera possible
de suivre le cours en employant d’autres méthodes didactiques – notamment des
recherches, qui sont davantage axées sur l’activité de l’élève.
19
Pascal Lardellier, Faut-il brûler les rites ?, p.13, Les éditions de l’Hèbe, 2007
27
En me référant aux objectifs pédagogiques que j’ai formulés (p.11), je tiens donc à
retenir que cette première partie du chapitre demande :
-
une structuration nette ;
-
que j’éveille l’intérêt des élèves (p.ex. en posant des questions qui ont trait à
leurs connaissances au sujet de la mort) ;
-
une participation active des élèves (ici sous forme de questions-réponses) ;
-
des liens avec d’autres disciplines (dans le cas du chapitre présent : avec
l’histoire et la littérature française et britannique) ;
2e partie du chapitre :
Les croyances et les rites relatives à la figure mythologique du ‘vampire’
a. le contenu
Cette partie sera vouée à l’image du vampire, aux mythes et rites qui ont trait à
cette figure. Le contenu de cette partie du chapitre est composé d’extraits d’un livre
s’intitulant « Où sont passés les vampires ? » de l’anthropologue roumaine Ionna
Andreesco, un ouvrage qui a ceci de particulier qu’il se compose d’une multitude
d’entretiens avec des habitants (surtout féminins) de Balota, un village rural de la
Roumanie. Ces habitants se voient, depuis quelques mois, confrontés à des
événements qu’ils mettent en relation avec le décès d’un villageois de mauvaise
réputation : Dodu, surnommé « le Bulgare ».
Ces femmes témoignent de ce qu’était et ce qu’est devenu ce fameux « Bulgare »,
et elles proposent l’explication suivante : de par sa nature « mauvaise », qui le
rattache au monde du Mal et par conséquent au diable, son âme n’a su s’intégrer
dans l’au-delà et elle s’est donc offerte au Mal. Ainsi, le Mal – ou le Diable – prend
forme en empruntant la dépouille terrestre de Dodu et sème la maladie, la mort entre
les vivants. C’est ce qui correspond à l’image d’un « moroï » ou « strigoï »,
dénominations roumaines du vampire.
J’ai effectué ce choix sur base d’un argument en somme banal : faire travailler les
élèves avec ces entretiens me permet de les confronter à une « matière première »,
à des données qui ont été recueillies et qui n’ont été altérées que par leur traduction.
D’une part, cela devrait éveiller leur intérêt dans le sens qu’ils auront à faire à un
28
recueil d’informations « brutes » au lieu d’un extrait d’un ouvrage offrant déjà a priori
une lecture contenant une synthèse et une analyse des données, et par ce biais
aussi la vision de l’auteur.
D’autre part, ceci leur permettra d’avoir une première impression de ce qu’est le
travail d’un chercheur en anthropologie (ou en sociologie ou des sciences humaines
apparentées) et de réaliser leur propre synthèse et analyse – ce qui, de plus, me
permet de rester fidèle à l’un des objectifs poursuivis. Car si les élèves ‘construisent’
ici leur propre connaissance socio-anthropologique, aussi rudimentaire fût-elle, cela
s’inscrit dans le contexte constructiviste : l’élève qui produit ses propres
connaissances à partir d’activités menées par lui-même.
b. la méthodologie
La méthodologie propre à cette deuxième partie du chapitre découle facilement du
contenu : le cours est axé sur l’activité des élèves, qui prendra ici la forme de
travaux en groupes.
Afin de mettre les élèves sur une piste et afin de structurer les connaissances à
acquérir au sujet des vampires, j’ai décidé de leur fournir cinq questions qui
permettront aussi de diviser la classe en cinq groupes qui travailleront, le long d’une
à deux leçons de façon autonome à leur sujet. Ces questions sont formulées selon
une logique temporelle à respecter lors des présentations en classe :
a. Quelles sont les mesures préventives pour éviter une vampirisation?
b. Quelles personnes sont susceptibles de se transformer en vampires?
c. Comment le mort devient-il un vampire?
d. Comment le vampire se manifeste-t-il?
e. Comment repérer et éliminer le vampire?
Ces travaux feront ensuite l’objet d’une présentation et d’une discussion de la
matière traîtée dans ce chapitre : chaque groupe, constitué de 2 à 4 élèves, devra
présenter en classe un résumé oral de son travail, ce qui permettra de synthétiser
les éléments les plus importants. Chaque travail se verra donc replacé dans son
contexte d’origine et les élèves pourront ainsi saisir le « tout » en y insérant leur
apport et en appréhendant les travaux des autres…
29
Les travaux réalisés par les élèves seront ensuite cotés sur vingt ou trente points qui
interviendront dans le calcul de la note trimestrielle. Le fait de noter ces travaux et de
les faire intervenir dans le calcul de la note trimestrielle me permettra d’une part de
garantir un certain niveau de motivation des élèves – tout en évitant de façon
« élégante » un devoir en classe conventionnel (qui constitue de toute façon un
casse-tête d’un point de vue logistique : les élèves sont originaires d’une douzaine
de classes différentes, toutes sections confondues, et leur agenda ne me donne
jamais l’opportunité de les faire rédiger un devoir en classe sans violer l’interdiction
d’un deuxième devoir en une journée scolaire).
Finalement, il m’est possible, par le biais de ces travaux en groupe, de diversifier la
méthodologie d’une part (cf.indicateur N°4), d’autre part de mener les élèves à
participer activement au déroulement du cours (cf.indicateur N°3).
3e partie du chapitre :
L’influence des croyances roumaines sur le monde occidental
a. Le contenu
Après avoir plongé les élèves dans le monde des croyances traditionnelles
roumaines en relation avec la mort et les vampires, j’ai jugé nécessaire d’analyser
l’influence de ces croyances sur ce que j’appellerai ici la « culture populaire moderne
de l’Occident ».
Une première étape qui permet de saisir leur porté sur l’Occident constitue la
littérature romantique du XIXe siècle, qui se révolte contre le rationalisme du siècle
des Lumières. Les bourgeois anglais, français et allemands de l’époque ‘dévorent’
littéralement les romans et nouvelles à contenu surnaturel, et certains auteurs
recourent même aux thèmes morbides (comme c’est le cas, en Allemagne,
notamment pour E.T.A. Hoffmann). Les récits de vampires se prêtent parfaitement à
cette nouvelle passion, d’autant plus que certains thèmes (celui de la séduction
mortelle, par exemple) et décors (dans le style gothique) chers au mouvement
romantique conviennent très bien à ces histoires. Ainsi, nombre de romans, comme
par exemple « The vampyre » (par J.W. Polidori) ou « Varney the vampire » (dont
30
l’auteur est resté anonyme) voient le jour. De même, l’on voit surgir sur le continent
européen des œuvres littéraires à contenu vampirique – citons « Métamorphoses du
vampire » de Baudelaire (1866) à titre d’exemple.20
Plus tard, par le biais de l’écrivain Bram Stoker, l’intérêt pour ces histoires
phantastiques et morbides connaîtra une renaissance car son œuvre majeure,
« Dracula » (1897), inspirera nombre de cinématographes, qui à leur tour
envoûteront des millions de spectateurs assoiffés d’hémoglobine artificielle. A Bram
Stoker revient en outre le mérite de présenter le vampirisme dans une version plus
fidèle aux croyances roumaines, ce qui s’explique par le fait que Stoker entretenait
une amitié avec Arminus Vambery, professeur de langues orientales à l’Université
de Budapest. Celui-ci connaissait parfaitement les coutumes et croyances relatives
au vampirisme dans les régions rurales de l’Europe de l’Est et transmettait son
savoir à Bram Stoker. Celui-ci eut le bon goût de relier ce personnage morbide aux
contes de vampires.
S’imposera alors une brève biographie sur le personnage historique du Vlad Tepes
(« Vlad l’empaleur »), prince de la Valachie, dont le surnom « Dracula » provient de
son père, Vlad Dracul, qui avait pris ce nom en référence à l’Ordre du Dragon
Renversé, auquel il avait accédé à l’aide de Sigismond du Luxembourg. En effet, le
terme « Dracul » est porteur d’une ambiguité particulière, signifiant à la fois
« dragon » tout comme « diable », ce qui se prêtait à un glissement de sens qui fait
ainsi référence à la cruauté excessive dont faisait preuve le fils.
Enfin, c’est ce moment du cours qui invite à traiter les œuvres cinématographiques
qui font référence aux vampires. J’invite donc les élèves à visionner l’un des
classiques du genre, à savoir « Nosferatu » (de Friedrich Wilhelm Murnau (1921),
bien que je ne tienne pas à me priver de la liberté de choisir alternativement la
version modernisée de Werner Herzog, celle-ci datant de 1979). Ces films ont ceci
de particulier de faire recours à une esthétique prononcée, sans doute inspirée, par
moments, par la peinture romantique (notamment celle de Caspar David Friedrich).21
20
21
Marigny Jean, Sang pour sang, Gallimard Coll. »Découvertes », Paris 1993
« Erkennbar greift Murnau jedoch in seinen Naturdarstellungen und Bildkompositionen auf sehnsuchtsvolle
und verklärende Elemente der Romantik zurück, am offensichtlichsten auf Bildmotive von Caspar David
Friedrich, dessen Vergegenständlichungen transzendenter Zustände für viele szenische Aufbauten Murnaus
Pate gestanden zu haben scheinen. Grafe erkennt besonders in den Szenen mit Ellen etliche Verweise auf
Werke Friedrichs, etwa auf Frau am Fenster oder auf Friedrichs Strandbilder.[52] Ellen sei in diesen artifiziell
gestalteten Filmbildern „die verkörperte Melancholie, die Freud als eine Blutung des Innenlebens bezeichnete“,
31
Ces trois volets, à savoir littéraire, historique et cinématographique, me permettent
ainsi de satisfaire au 5e indicateur défini dans le chapitre précédent (p.13), à savoir
celui de l’interdisciplinarité. Les références faites au courant romantique en littérature
française et anglaise, à l’histoire (Vlad Tepes) ainsi qu’à l’histoire de l’art tressent
ainsi des liens avec toute une gamme de disciplines hétéroclites.
L’emploi du film comme média, à son tour, répondra à l’indicateur N°2.
b. La méthodologie & l’emploi de médias audiovisuels dans le cours
Comme cette partie est dotée d’une multitude se sources diverses, et comme le
cours magistral constitue, dans un premier temps, la méthodologie dominante, je
propose aux élèves de réaliser un travail en groupe sous forme d’ une comparaison
entre la figure du vampire dans les croyances populaires roumaines et celle qu’ils
ont pu admirer lors du visionnement du film « Nosferatu » (celui de Werner Herzog,
complété par une séquence de la version originale de Friedrich Wilhelm Murnau).
À la base de cet exercice se trouve la volonté de faire explorer la thématique du
vampire sous une multitude de perspectives, et ainsi ne pas délaisser l’impact qu’ont
eu les croyances roumaines sur ce que l’on appelle la « culture populaire » de
l’Occident : littérature, peinture, théatre, cinéma.
Or, recourant à une représentation plus graphique (litres d’hémoglobine et baisers
érotiques à l’appui), c’est sous sa forme cinématographique que la figure du vampire
a su envoûter le plus de spectateurs. Et il me semble que chaque génération de
cinéphiles ait connu « son » acteur de vampire emblématique : de Max Schreck
dans Nosferatu de l’ère expressioniste allemande, en passant par Bela Lugosi des
films Universal et Christopher Lee des Hammer Studios d’Angleterre, jusqu’à Robert
Pattinson de la saga cinématographique plus récente Twilight, mettant en scène un
vampire à la morale humaine, voire même puritaine22.
Comme pour chaque emploi d’un support cinématographique dans n’importe quel
autre cours du secondaire, plusieurs réflexions préalables vont s’imposer. Car le
merkt Grafe an. Andere Topoi der Romantik wie die Beseeltheit der Natur und die Wirkungsmacht des Schicksals
werden früh im Film eingeführt: Ellen fragt ihren Ehemann, der ihr einen Blumenstrauß bringt: „Warum tötest du
die schönen Blumen?“; ein Passant warnt Hutter beiläufig: „Niemand entflieht seinem Schicksal.“ »
(http://de.wikipedia.org/wiki/Nosferatu_–_Eine_Symphonie_des_Grauens)
22
cf Clémentine Baron, Nouveaux épisodes, pp. 72-73, dans : Le Magazine littéraire Mars 2013
32
recours au film risque d’exposer le cours à certains danger, notamment celui
d’encourager les élèves à une réception purement passive – ce qui s’oppose
manifestement aux objectifs du cours (cf. chapitre II / 4.a : objectifs
méthodologiques : « prévoir la participation active des élèves »). N’oublions pas que
de nombreux pédagogues, philosophes et sociologues ont largement critiqué la
culture cinématographique, soit de façon générale, soit de façon précise dans le
contexte de l’enseignement. Ainsi, Adorno considérait le cinéma comme une
« fabrique de rêve » qui ne contribuerait pas, mais pervertirait et détruirait l’art. Le
cinéma, tout comme d’autres manifestations de la culture de masse, se transforme
ainsi en instruments d’oppression.
De même, le sociologue américain Neil Postman met en cause la connexion entre
divertissement et enseignement : « Aber noch nie hat jemand behauptet oder
angedeutet, dass sinnvolles Lernen wirksam, dauerhaft und wirklich bewerkstelligt
werden kann, wenn der Unterricht zur Unterhaltung wird »23. Plus loin, il s’appuye
sur des statistiques afin de prouver que l’emploi de médias dans l’enseignement ne
favorise pas, mais freine même l’acte d’apprentissage.
D’autre part, l’on trouve aujourd’hui une panoplie d’œuvres didactiques vouées à
l’emploi de films dans le cadre de l’enseignement. Je vais me concentrer dans le
cadre du travail présent sur celles qui traitent l’emploi de films dans le contexte des
cours de philosophie et/ou de morale, tout comme je l’ai fait jusqu’ici pour les
objectifs et pour les indications méthodologiques.
Ainsi, Cynthia A.Freeland et Thomas Wartenberg déclarent dans « Philosophy and
Film » : « we may respect films as themselves reflective, world-creating,
philosophical achievements »24.
L’œuvre cinématographique est ici donc perçue comme un médium qui réussit, par
le biais de stimulations sensorielles, à plonger le spectateur dans un monde qui lui
est propre. Selon les auteurs, ceci permettrait au spectateur d’user de cette
expérience afin de réaliser des réflexions d’ordre philosophique.
23
24
Neil Postman, Wir amüsieren uns zu Tode, p. 179
Cynthia A.Freeland, Thomas E.Wartenberg, Philosophy and Film, p. 3, Routledge, New York, 1995
33
Dans la même lignée, les auteurs de l’œuvre « Philosophie im Film » indiquent que
le potentiel de romans, d’images, de contes et finalement aussi de films pourrait être
utilisé à des fins d’ordre philosophique :
« Mit der Propagierung einer philosophischen Filmanalyse wird der Wert der
filmästhetischen Analyse nicht bestritten. Im Gegenteil : die philosophische
Filmanalyse bedient sich vieler Elemente der klassischen Filmanalyse ; jedoch sind
diese nicht Selbstzweck, sondern haben eine dienende Funktion. Leitendes Ziel ist
es, das jeweilige philosophische Potenzial des Filmes auszuschöpfen. »25
Dans « Anschaulich philosophieren », Jörg Peters et Bernd Rolf argumentent en
faveur de l’emploi de films dans l’enseignement :
« Ein zweckmäßiger Grund, einen Film oder einen Filmausschnitt zum
Untersuchungsgegenstand innerhalb einer Unterrichtsreihe zu machen, liegt darin
begründet, dass durch ihn (manchmal) ein Problem besser als durch einen Text auf
den Punkt gebracht werden kann, weil er (meist) kürzer, anschaulicher und eventuell
auch emotionaler ist. »26
Je tiens néanmoins à différencier les observations réalisées par ces auteurs pour le
cours à option, car l’objectif premier du visionnement de l’une des deux versions de
« Nosferatu » ne réside pas dans la confrontation de l’élève avec un problème moral
précis. Le support filmique ne sert pas à illustrer un sujet de réflexion, il devient luimême sujet. En effet, l’objectif consiste à saisir le phénomène de l’image du vampire
sous toutes ses facettes, y incluses ses représentations cinématographiques, qui
sont les mieux connues par la population occidentale.
25
Jörg Peters, Martina Peters, Bernd Rolf, Philosophie im Film, p.5, C.C.Buchners Verlag, Bamberg,
2006
26
Jörg Peters, Bernd Rolf, Spielfilme im Ethik- und Philosophieunterricht, in : Anschaulich
philosophieren, Beltz Verlag, Weinheim und Basel, 2007
34
2. Analyse des travaux des élèves
Ayant mené le cours comme je l’ai décrit dans le troisième chapitre, je vais dès lors
analyser et évaluer les travaux effectués par les élèves afin de les confronter aux
objectifs que j’ai définis dans le deuxième chapitre.
Je tiens à préciser que je vais évaluer les travaux qui ont été réalisés par les élèves
au fil de la deuxième partie et de la troisième partie du chapitre, la première partie
ayant surtout servi d’introduction au thème et de fond qui permet de saisir le
contexte culturel de la figure du vampire.
2e partie du chapitre :
Les croyances et les rites relatives à la figure mythologique du ‘vampire’
Comme annoncé plus haut, les élèves sont confrontés à un travail en groupe ;
chaque groupe se voyant assigné une question particulière. Afin de pouvoir analyser
et juger le contenu des travaux, passons en revue ces cinq questions et les travaux
respectifs:
a. Quelles sont les mesures préventives pour éviter une
vampirisation?
En 2011-2012, le groupe chargé de la question a) a formulé la réponse de la façon
suivante :
« Pour éviter de devenir un vampire, les Roumains ont élaboré différentes méthodes
préventives assurant la ‘non-vampirisation’. Comme par exemple de mener une vie
honnête et pas cèder à la tentation. On peut alors dire qu’un individu qui mène une
vie tout en non-respectant ces règles deviendra très probablement un vampire après
sa mort.
Mais il existe aussi d’autres règles que les Roumains doivent respecter. Prenons
l’exemple de la tradition exigeant de mourir seulement en présence de lumière.
35
Sinon on souffre d’une mort noire, terrible, pleine de souffrances, qui entraînera la
vampirisation.
Pour éviter qu’une personne se transforme en vampire, on peut également découper
un peu de chair de la jambe ou du bras de la personne en question pour lui metter
dans la bouche par après. Le résultat est la non-vampirisation.
Une dernière méthode, énoncée par Coca, est de mettre des clous dans le corsage
et sur la poitrine de la personne en question, pour qu’elle ne puisse pas sortir de sa
tombe. » 27
Ici, les élèves ont su synthétiser les éléments essentiels qui permettent de répondre
à la question comment les Roumains cherchent à éviter la ‘vampirisation’ d’une
personne décédée (par le biais des rites cités), mais également comment ils tentent
de prévenir leur propre transformation en vampire (« comme par exemple de mener
une vie honnête et ne pas céder à la tentation »).
Ce dernier volet constitue la dimension morale de la mythologie du vampire, celui-ci
servant de métaphore puissante du Mal absolu, du Mal qui s’est emparé de l’âme du
malheureux qui n’a pas su respecter les normes et valeurs morales de ce qu’était sa
société. Ce volet sera notamment approfondi au cours de la deuxième question…
Quant au premier volet, les élèves ont bel et bien mis en évidence les différents rites
roumains qui visent à prévenir l’emprise du Mal sur le corps du défunt et par
conséquent d’éviter qu’il ne se transforme en ‘vampire’. Il s’agit de deux rites qui,
certes, ne constituent guère les plus appétissants, mais qui ne sont pour autant pas
dépourvu d’un symbolisme manifeste : découper un peu de chair de la jambe du
défunt et la poser dans sa bouche revient à lui faire subir exactement ce qu’il risque
de faire subir à ses proches : il les « dévorerait »… au sens figuré. Car c’est là un
mal sociétal qui est attribué à un mal commis par une personne qui semble avoir, de
par son avidité et son égoïsme, mis en déroute l’équilibre de la société.
C’est ainsi que pourra ressortir ensuite le lien entre mythe et rite : le dernier vise à
rétablir un équilibre qui se base sur une cosmogonie opposant le « bien » au
« mal ». Par le rite, les villageois roumains tentent d’intervenir au niveau de cette
dichotomie mythique, dans le but de rétablir cet équilibre.
27
Des copies des originaux se trouvent dans l’annexe.
36
Les travaux des élèves s’avèrent ainsi presque complets – le seul élément qui aurait
rendu le travail plus exhaustif serait de mentionner les rites funéraires, qui, eux,
visent aussi à aider l’âme à retrouver l’au-delà et donc de subir une « bonne mort »,
qui, elle, est opposée à la « mort noire » (réservé aux gens qui se transformeront en
vampires). Le travail a ainsi été sanctionné d’un total de 25 sur 30 points.
b. Quelles personnes sont susceptibles de se transformer en
vampires?
Toujours en 2011-2012, deux élèves ont formulé la réponse de la façon suivante :
«Es gibt viele verschiedene Art und Weisen, zu einem solchen ‘Vampir’ zu werden.
Zunächst lässt sich im allgemeinen feststellen, dass besonders Menschen mit
mangelhaften moralischen Wertevorstellungen in Frage kommen. Das heißt, unter
anderem Diebe, Neider, Mörder und Vergewaltiger. Materialistisches Denken und
Gier sind weitere Chararakteristiken, die einen Vampir zu Lebzeiten ausmachen.
Hierbei sollte man anmerken, dass nach allgemeiner rumänischer Auffassung die
Bösartigkeit den betroffenen Menschen oftmals bereits vor der Geburt innewohnt.
Anzeichen dafür sind beispielsweise Haare auf dem Kopf oder eine ‘unnatürliche’
Position bei der Geburt (nicht mit dem Kopf nach vorne). Folglich kann man
behaupten, dass ein solcher Determinismus eine wesentliche Rolle spielt. (…)»
Les élèves résument ici l’essentiel de ce qui constitue la nature du vampire. Celui-ci
est, déjà de son vivant, une personne qui incarne le « Mal », car il ne cherche pas à
endiguer la soif de faire mal à autrui. Ces deux élèves ont su, d’ailleurs, à soulever
une question fondamentale de la représentation du vampire : s’agit-il d’un choix
délibéré de « faire le mal », ou l’homme est-il victime de son propre sort auquel il ne
pourra échapper ? Il s’agit là d’une question philosophique qui nécessitera un
approfondissement lors des présentations en classe, et qui n’est pas communément
soulevée par les élèves.
Plus loin, les élèves saisissent d’ailleurs très bien le contexte des valeurs morales de
la société dans lequel s’inscrit la croyance aux vampires :
37
« Die Menschen haben klare Vorstellungen von Gut und Böse, und sehen die Welt
praktisch nur in schwarz und weiß. Sie halten an einem gewissen Aberglauben fest,
und achten pedantisch auf gute sowie auf schlechte Omen. Dies geht deutlich
hervor, als Alouette und die Ionna Andreesco sich hüten, in Schlammpfützen und
Schlaglöcher zu treten, aus Angst mit dem Bösen in Kontakt zu kommen. »
Et bien que les élèves fassent ici preuve d’un jugement de valeurs («sie halten an
einem gewissen Aberglauben fest… »), ils soulignent l’importance de la
différenciation entre le « Bien » et le « Mal », dont le vampire en est une métaphore.
Ils reconnaissent également le côté symbolique de la description de l’itinéraire suivi
par le témoin Alouette et l’anthropologue Andreesco : marcher dans la boue, cela
revient à choisir le chemin du « Mal ».
En 2012-2013, le groupe chargé de cette question a constaté que…
« … ce sont les personnes avec un caractère dans lequel la méchanceté prédomine,
qui sont le plus susceptibles de se transformer en vampires. Cette méchanceté peut
être constatée par le fait que ces personnes ont par exemple ‘le mauvais œil’, c’està-dire qui désirent les possessions des autres, ou qui aiment les ténèbres. Une
catégorie de gens méchants est resprésentée par les avares et les profiteurs. Ces
personnes veulent toujours plus et ils ne sont jamais satisfaits. Même dans la mort,
ils désirent encore car ils hantent les vivants. Dans le texte, il y a par exemple un
homme qui est devenu vampire et qui désire toujours plus de nourriture. Il s’agit de
personnes qui s’emparent par exemple des biens des plus pauvres. Ce fait montre
l’avidité du diable qui est présent dans l’âme des envieux et haineux. (…) »
Ce groupe a également isolé le côté transcendant du mal incrusté au sein de cette
personne : elle est mauvaise par nature, qu’elle soit vivante ou morte ! Des
exemples sont fournis : le vampire est aussi avare que l’être humain qui l’incarnait
avant sa mort.
Plus loin, les élèves soulignent également le côté symbolique de cette avidité :
« On peut donc dire qu’ils ‘sucent le sang’ ce qui est un symbole pour leur voracité. »
Elles soulèvent également la question de la part de la culpabilité de la personne
concernée – car s’il s’agit d’un destin, d’une méchanceté « enracinée » en elle,
38
comment pourrait-on la rendre coupable de ses méfaits ? En d’autres termes, c’est
une question classique de la philosophie moderne qui est soulevée, sommes-nous
sujets à un déterminisme absolu ou disposons-nous d’une liberté de volonté ?
Les élèves interprètent les réponses d’Alouette, villageoise de Balota, de façon
suivante :
« Selon le texte, les personnes qui deviennent des vampires sont vouées de le
devenir. On pourrait donc dire qu’elles n’ont pas le choix. Or, leur faute est de se
laisser tenter par le diable. Elles pourraient améliorer leur destin en résistant à la
tentation, mais peut-être elles ont un caractère trop faible, car le diable tente tous
ceux dont il sait qu’ils se laissent tenter. Chacun a un côté mauvais mais il faut le
combattre. (…) »
Les élèves ont ici synthétisé de façon pertinente les conceptions roumaines de la
prédisposition à faire du mal (d’ailleurs conforme à la conception du ‘mal radical’ de
Kant) : celui-ci est enraciné en chacun de nous, mais il incombe également à chacun
d’y résister.
En conclusion, cette question vise à faire ressortir la fonction métaphorique du
vampire – car l’ombre de celui-ci plane sur chacun qui cède à l’avidité, à la haine
ainsi qu’aux autres pêchés humains ! Le vampire, serait-ce donc finalement une
sorte d’ange-gardien qui ne tient sa fonction que par inversion ??
c. Comment le mort devient-il un ‘vampire’ ?
En 2011-2012, un groupe répondait à cette question de façon moins cohérente :
« Die erste Möglichkeit ist, dass das Herz des Toten sozusagen weiterschlägt, und
die Seele, die an die Erde gebunden ist, Gestalt annimmt und als sogenannter
‘strigoï’ umher irrt und von den Lebenden wahrgenommen wird.
Die zweite Variante handelt vom Teufel persönlich, der vom Körper des Toten Besitz
ergreift und als Vampir Unruhe unter den Lebenden stiftet. In einem Punkt stimmen
beide Varianten überein : ein Vampir verspürt einen ständigen Hunger nach dem
Fleisch oder eher nach dem Blut der Lebenden. »
Manifestement, ces élèves ont distillé les facteurs les plus essentiels à une
transformation, sans pour autant formuler une réponse cohérente à la question
39
posée. Car il s’agit d’un seul processus et non de deux variantes, fait que j’ai annoté
sur leur copie : le mort reprend « vie » (au sens métaphorique), c’est-à-dire son
cœur ne cesse de battre (toujours au sens métaphorique), car le Mal (représenté
sous la figure du diable) a pris possession de sa dépouille terrestre.
Les élèves ont donc « saisi » l’essentiel, mais leur réponse nécessiterait une
formulation plus pertinente afin d’obtenir une très bonne note. Leur travail a été
sanctionné de 24 sur 30 points.
En 2012/2013, les élèves chargées de cette question ont répondu que…
« Les personnes qui se transforment en vampire meurent dans le noir. Après
l’enterrement, on remarque que le mort n’est pas comme tous les autres morts,
comme il y a par exemple certaines personnes de son entourage qui tombent
gravement malades. (…) On peut dire que l’âme est cédée au diable qui se
réincarne dans cet esprit impur qui n’est désormais plus le mort lui-même. Cet esprit
est le synonyme d’une ombre errante qui n’a pas de repos, comme l’âme n’a pas
atteint ni intégré l’au-delà comme elle n’a pas pu continuer les dures épreuves qui
ont comme but l’intégration dans l’au-delà. En effet, l’esprit s’est laissé tenter par le
diable pendant son dur chemin. »
Ce travail a le mérite de considérer la « transformation » de la personne décédée en
vampire comme un seul processus, contrairement au travail précédent. Le thème
principal, celui de la conquête de l’âme du décédé par une force maléfique, est ici
mis en évidence de façon pertinente, même si certaines formulations pourraient se
livrer à des malentendus.28 En outre, le travail est conçu de façon peu structuré : les
éléments-clés se retrouvent dans la conclusion, alors que la partie principale de la
réponse fournit plutôt des éléments destinés à la question d). Il s’agit néanmoins de
faiblesses mineures dans le cadre d’un travail presque complet. Par conséquent, le
travail a été sanctionné de 26/30p.
Quoiqu’il en soit, il importe qu’à ce niveau, la métamorphose de la personne
décédée en vampire soit comprise à un niveau symbolique : il n’est pas question de
considérer le vampire comme un être matériel, mais comme la manifestation d’un
esprit maléfique. D’ailleurs, de nombreux témoignages confirment cette
28
Ainsi, par exemple, l’ombre errante n’est pas « synonyme » mais plutôt la manifestation de l’esprit.
40
interprétation, comme celui-ci qui fait partie des textes fournis aux élèves : « Ce n’est
pas le mort qui sort, Madame, c’est l’esprit qui prend forme »29.
En outre, le concept du vampire fait ressortir la dichotomie de chacun des
paradigmes suivants : le vampire s’oppose par sa nature maléfique à toute
conception du « bien », tout comme il s’oppose au « vivant » par le fait d’appartenir
aux règne des « morts ». Cette double opposition nous donne un champ
sémantique, en outre représenté sous forme d’un graphique dans le syllabus
distribué aux élèves :
Vivant
Gens ordinaires
Gens voués,
Sorciers
Bon
Mauvais
Revenants
Vampire,
zmeu, etc
Mort
En guise de conclusion, je tiens donc à souligner l’importance que j’attribue à la
dimension métaphorique de la figure du vampire : les élèves devront faire preuve de
la compréhension de cette figure comme d’une entité qui appartient aux catégories
de la mort et du maléfique, deux catégories qui définissent la cosmogonie rurale
roumaine et les mythes et rites qui en découlent…
29
Andreesco Ionna, Où sont passés les vampires, Payot, Paris, 1997, p. 92
41
d. Comment le vampire se manifeste-t-il ?
Cette question vise à faire ressortir le côté mythologique des croyances relatives aux
vampires. Car, même si tout esprit rationnel et critique se défendra contre l’existence
d’une créature surnaturelle comme un vampire, il s’agit ici bel et bien d’une croyance
qui est enracinée dans la conscience collective d’une culture et qui, par le biais de
de témoignages des villageois, fait « naître » un être qui, certes, n’existe pas en
chair et en os. Néanmoins, cette figure occupe une place importante dans leur
cosmogonie, ce qui a des retombées sur la vie sociale et culturelle des villageois de
Balota.
Voici deux extraits des réponses des élèves :
« (…) Pour que le cœur continue à battre, le vampire boit du sang et dévore sa
parentèle(…) Mais le sang ne rassasie jamais la soif du vampire. Pendant la
promenade nocturne, il arrive qu’il y a une rencontre entre vivant et vampire.
Souvent, le vampire retourne à la maison familiale où il réclame à manger et met le
désordre à l’intérieur. Finalement, il y a un rapport sexuel avec la veuve. (…) »
« Le vampire qui erre sur terre n’est qu’un esprit, une ombre. Pendant la nuit, l’âme
du vampire se lève et se rapproche du village, poussé par l’avidité du diable. Il a le
désir de dévorer le sang des vivants pour maintenir le fonctionnement de son cœur
qui a recommencé à battre après sa mort. Cependant, ce sang ne les rassasie pas,
ils ont toujours faim.
Puis, après minuit, son âme retourne dans le tombeau (probablement pour éviter la
lumière du nouveau jour). Ce va-et-vient de l’esprit fait retourner le corps du vampire
dans la tombe. »
Ce qui frappe dès la première lecture, c’est la redondance du caractère avide du
vampire : il réclame à manger, ainsi que des rapports sexuels avec sa veuve. Les
élèves ont parfaitement isolé ce trait en annonçant dès le début que le vampire
mène à bout ce qu’il recherchait déjà de son vivant : consommer au dépit des
autres. La soif à consommer devient ainsi symbole de l’avidité du Mal – et c’est
surtout à ce niveau symbolique qu’il faut percevoir l’acte de ‘consommer autrui’. Les
interprétations cinématographiques, on le verra plus loin, ont tendance à représenter
cet acte sous une forme bien plus graphique.
42
e. Comment repérer et éliminer le vampire ?
Si la question (f) traite le côté mythologique (comment les témoignages individuels
rentrent dans la conscience collective d’un peuple), cette dernière question vise les
rites (tout comme la première, d’ailleurs) : qu’est-ce que les villageois vont-ils
entreprendre afin de mettre fin aux méfaits du vampire ?
En 2011-2012, un groupe s’est chargé de cette question en répondant :
« Les deux textes fournissent diverses méthodes de repérage d’un strigoï. Dans
‘Alouette’, on parle de malades après l’enterrement. De plus, les strigoï semblent
avoir des effets sur les animaux, notamment sur les chevaux qui refusent de passer
sur la tombe d’un strigoï potentiel. (…) »
Les élèves fournissent ici des éléments, qui indiqueraient la présence d’un vampire
dans le village – mais ils omettent d’expliquer en détail le « test » du cheval : il s’agit
d’un rite qui confirmerait qu’un défunt se serait transformé en vampire.
Ensuite, les élèves affirment que…
« (…) en déterrant les gens en question, ceux-ci sont couchés sur le flanc et non
plus sur le dos.
Afin de se débarasser du strigoï, les deux récits présentent plusieurs méthodes.
Dans ‘Alouette’, les strigoï sont aspergés de pétrole et brûlés (…). Dans ‘Baba
Coca’, on met du feu dans la tombe du strigoï et on lui enlève le cœur.
En guise de conclusion, les deux récits sur les vampires se ressemblent dans de
nombreux points, notamment en ce qui concerne l’élimination des vampires et la
découpure d’organes. »
Les élèves soulignent à juste titre l’importance du feu – fait qui est relaté dans les
entretiens sans pour autant en fournir une explication au niveau symbolique. Car
c’est le feu auquel on attribue dans la plupart des cultures européennes (et ailleurs)
un pouvoir purificateur. Il s’agit là d’une interprétation que je tenterai de mettre en
évidence lors de la présentation des travaux des élèves.
43
De même, les élèves ont généralisé leur conclusion en parlant d’une « découpure
d’organes ». Evidemment, il ne s’agit pas de n’importe quel organe, mais du cœur,
qui représente le centre vital de la dépouille qui est possédée par le « Mal ». Par
conséquent, j’ai rajouté ceci sous forme de remarque sur la copie des élèves, que
j’ai notée à 26 sur 30 points, tenant compte des détails manquants ou flous.
44
3e partie du chapitre : le vampire dans la culture populaire occidentale
Dans cette partie, il m’importe de vérifier si les élèves ont saisi la signification de
l’image du vampire dans les croyances populaires roumaines au point où ils savent
la différencier de celle du vampire dans les œuvres cinématographiques
occidentales. Car si le vampire constitue, dans l’imaginaire roumain, un apparence,
une ombre qui est du ressort du « Mal », donc du diable, et si les malfaits de ce
vampire ce rattachent à tout un ordre social dont il fait partie, le vampire
cinématographique représente plutôt une figure mythique supposée de provoquer
des frissons chez le spectateur. L’on peut admettre qu’il rentre également dans la
cosmogonie occidentale dans le sens qu’il représente le « Mal », mais il ne fait
aucunément partie d’une conception de ce qu’est la mort, ni d’une conception se
rattachant à la morale occidentale.
Le but du travail présent consiste donc à vérifier si les élèves savent mettre en
évidence l’une ou l’autre différence relative à la nature du vampire.
En 2011/2012, un groupe d’élèves affirme :
« Im rumänischen Glauben bleibt der Körper des Vampirs im Sarg liegen, seine
Seele wandert, außerdem ist der Körper mit Blut überströmt und Haare und Nägel
wachsen weiter. Im modernen Film30 ist es der Körper des Vampirs der wandert, im
alten Film es eher eine schattenartige Gestalt (siehe Szene auf dem Schiff). Die
Vampire haben eine Glatze und sehr lange Nägel. Nosferatu ist nie Blut
überströmt. »
Un autre groupe déclare :
« Im rumänischen Glauben verlässt der Untote sein Grab während seiner Suche
nach menschlichem Blut nie ; es ist nur sein ‘Geist’ der auf Wanderschaft geht. In
dem Film jedoch sieht man, wie Nosferatu regelmäßig aus seinem Grab aufsteht. »
Les élèves soulignent ici, dès le début, la différence en ce qui concerne l’essence du
vampire dans les films : il s’agit d’habitude d’un être en chair et en os, d’une créature
matérielle (exception : le Nosferatu de Friedrich Wilhelm Murnau). Par contre, le
vampire propre aux conceptions roumaines, n’est qu’une ombre, une apparence
non-matérielle.
30
Werner Herzog, Nosferatu, 1979
45
C’est cependant le travail d’un élève ayant opté pour un travail individuel qui a le
plus retenu mon attention. Après avoir emprunté le « Nosferatu » original de
Friedrich Wilhelm Murnau et après l’avoir visionné chez soi dans son intégralité,
Francisco constate :
« Dans le film ‘Nosferatu’ de 1922, réalisé par F.W.Murnau, le vampire est
représenté comme un personnage de l’ombre, une sorte d’apparition ou de fantôme,
capable d’intervenir négativement dans le monde des vivants. Cette représentation
de la ‘créature’ est assez proche de celle des légendes roumaines, où le vampire est
vu comme l’âme d’un pêcheur qui n’a pas pu trouver le chemin du ciel, et qui a été
possédé par le mal. Même si dans le film la légende n’est pas racontée de façon
aussi précise, on peut supposer que Murnau s’est inspiré dans les croyances et les
traditions roumaines pour construire son personnage. »
Plus loin, il réalise une comparaison entre les deux versions différentes de
‘Nosferatu’ :
« Ce film réalisé par Werner Herzog prétend rendre hommage au classique de 1922,
en restant le plus proche possible. Effectivement, on peut constater que c’est le cas
pour la majorité des détails. (…)
D’un autre côté, cette version de ‘Nosferatu’ s’éloigne plus des mythes anciens en
nous présentant le vampire comme un être en chair et en os. Comme déjà évoqué,
le vampire est censé être une sorte de fantôme, une ombre, ou une vision. »
L’élève poursuit son analyse en confrontant cette image du vampire à d’autres qui
suivent dans l’histoire du cinéma :
« Il s’agit là des deux films où le vampire est le plus proche des légendes
traditionnelles, car tout au long des années, le cinéma a forgé son propre vampire.
Cela a commencé dans les années 30, avec le ‘Dracula’ de Tod Browning, où le
fameux comte est interprété par l’acteur Bela Lugosi. Dans cette version
hollywoodienne, le vampire est plutôt présenté comme un personnage séducteur, un
homme de charme, beau et mystérieux. Cette approche au vampire est bien
évidemment fausse en ce qui concerne les légendes originales. Cependant, c’est
cette image du vampire qui est restée dans la mémoire, et la plupart des films
utilisant le vampire comme personnage en font usage.
46
Un film intéressant dans ce contexte est la version des années 90 de ‘Dracula’, film
réalisé par Francis Ford Coppola. Dans ce métrage, le personnage du comte
Dracula nous est présenté de différentes manières. Tout d’abord, on nous présente
l’homme en tant que personnage historique, après on nous nous présente le
vampire en tant que monstre, et finalement en tant que séducteur. (…) »
La comparaison sera encore davantage étendue et appliquée à des œuvres comme
«Interview with a vampire », avant qu’il n’arrive à la conclusion :
« Pour conclure, on peut donc dire que la plupart des vampires cinématographiques
ne correspondent pas vraiment aux légendes existantes. Ils sont surtout, pour la
plupart, humanisés ou embellis, peut-être afin de les rendre plus ‘propres’ au
cinéma. »
On l’aurait compris – Francisco se connaît en films de vampires et a su rendre un
travail qui a largement dépassé les attentes que j’ai posées au sujet des travaux à
rendre. L’essentiel, néanmoins, reste de savoir s’il a su saisir ce que distingue le
vampire des croyances roumaines du vampire cinématographique. Et il ne faut
certes pas rentrer dans les détails pour constater qu’il a bel et bien réussi à formuler
une réponse pertinente : le « vampire roumain » reste une apparition, une
« ombre », alors que le vampire cinématographique constitue un être en chair et en
os, qui sème la terreur parmi les vivants.
Considérons ces extraits du film original de Friedrich Wilhelm Murnau afin d’illustrer
cette différence relative à la nature du vampire :
47
A maintes reprises, le vampire est représenté sous forme d’une ombre, avec des
membres disproportionnés par rapport à la taille du corps.
Murnau utilisait d’ailleurs une technique peu courante à cette époque afin de
représenter le vampire de façon translucente, à savoir la superposition de deux
images afin d’en créer une image-synthèse avec le résultat escompté :
48
Même s’il s’agisse de la partie finale du film, qui met en scène la « mort » (ou plutôt
la disparition) du vampire, cette technique est néanmoins utilisée plusieurs fois au
cours du film afin de souligner sa nature « immatérielle ».
De façon générale, ni la version de Werner Herzog, ni les films qui suivaient ont eu
recours à ce type de représentation du vampire sous forme d’une apparition
immatérielle (à moins que l’on ne considère le fait que la plupart des vampires
restent invisibles dans les réflections d’un miroir comme dérivé de cette
représentation originale du vampire…).
Pour en revenir aux travaux des élèves : de façon générale, la presque totalité des
élèves réussissent à cet exercice, ce qui me mène à la conclusion que d’une part
l’exercice est tout à fait justifié et valable au sein du programme que j’ai établi,
d’autre part que les élèves savent très bien faire la distinction entre le mythe du
vampire dans les croyances sociales (et par là aussi la fonction sociale qu’il tient) et
l’image du vampire dans les œuvres cinématographiques occidentales…
49
3. Conclusions relatives aux travaux des élèves
a. Le contenu
Au début de la présentation du chapitre traitant les vampires, j’ai fixé quatre objectifs
relatifs au contenu de ce chapitre particulier. Je me permets ci-dessous de les
passer en revue afin d’évaluer s’ils ont été atteints :
1er objectif : les élèves apprennent que la figure du vampire fait partie
intégrante des croyances traditionnelles roumaines (en pays rural).
Il s’agit là d’un objectif qui s’avère difficile à contrôler. Traiter la figure du vampire
dans le cours et fournir un modèle d’explication en est un indice, mais certainement
pas une garantie. L’extrait suivant montre plutôt qu’une bonne dose
d’ethnocentrisme reste certainement enraciné dans l’esprit d’un élève européen, que
l’on fournisse une explication d’ordre scientifique ou non :
« Die Menschen haben klare Vorstellungen von Gut und Böse, und sehen die Welt
praktisch nur in schwarz und weiß. Sie halten an einem gewissen Aberglauben fest,
und achten pedantisch auf gute sowie auf schlechte Omen.»
Il faut cependant distinguer entre un jugement de valeur comme dans le cas présent
et d’autre part la compréhension des croyances, et ce à un niveau symbolique.
Car les élèves font également preuve d’une compréhension de la matière par le
simple fait de ne pas la traiter au premier degré, mais de considérer le contenu de
ces témoignages au niveau symbolique, comme le prouve cet extrait de l’un des
travaux des élèves :
« On peut donc dire qu’ils ‘sucent le sang’ ce qui est un symbole pour leur voracité. »
Le système de croyances roumains ne se comprend dès lorsqu’on s’élève audessus des apparences d’une superstition sans fondement ni fonction sociale. En
soulignant l’aspect symbolique, les élèves ont pourtant su interpréter les croyances
afin de les replacer dans leur contexte : des croyances traditionnelles qui fournissent
une explication à la question fondamentalement humaine : qu’est-ce la mort ?
50
2e objectif : les élèves apprennent que les croyances et rites relatifs aux
vampires se rattachent à la conception roumaine de la mort (le chapitre en
question s’inscrit donc dans le 7e champ d’études de la FoMoS 31) et ne
pourront pas être appréhendés sans les replacer dans leur contexte d’origine.
Quant au deuxième objectif, je pense pouvoir conclure que les élèves ont
effectivement su replacer les croyances aux vampires dans le contexte de la
conception roumaine de la mort. Considérons l’extrait suivant :
« Nach rumänischem Glauben ist es wichtig, dass ein Mensch keinen ‘dunklen Tod’
oder ‘schwarzen Tod’ erleidet. (…) Die Seele eines Menschen, der solch eines
dunklen Todes starb, kann nicht ins Jenseits übergehen. »
Ici ressort clairement le lien qu’entretient la conception de la mort avec l’image du
vampire. Car l’existence de ce dernier ne serait même pas envisageable sans le
dualisme inhérent à la conception de la mort des Roumains : à une « bonne mort »
s’oppose la « mort noire », une mort qui signifie des souffrances pour l’âme qui ne
réussit pas à s’intégrer dans l’au-delà, une mort qui se solde par l’emprise du Mal
sur cette âme et donc par la constitution de ce qu’ils appellent un « vampire ». Ce
faisant, les élèves ont donc replacé les croyances aux vampires dans le contexte
social et culturel correspondant, ce qui leur a permis, à mon avis, de mieux
comprendre la fonction sociale de ces croyances.
3e objectif : les élèves apprennent que l’être humain, en quête de
« comprendre » la mort, a recours à cette fin aux mythes et rites.
Tout le chapitre voué aux vampires poursuit cet objectif : répertorier, décrire ainsi
qu’interpréter et fournir un modèle d’explication aux mythes et rites qui ont
directement ou indirectement trait aux vampires, et, par ce biais, également à la
mort. Ainsi, les questions a) et e) fournies aux élèves font directement allusion aux
rites, les questions b), c), d) sont en relation avec le côté mythologique de la
conception roumaine de la mort. Du simple fait que les élèves ont réalisé leurs
travaux de façon plus que satisfaisante, je considère cet objectif comme étant
atteint.
31
Fragenkreis 7 : Sterben und Tod
51
4e objectif : les élèves apprennent que la figure du vampire constitue, en
dernier lieu, une métaphore du « Mal ».
D’après mon jugement, les élèves ont parfaitement su établir le lien entre la figure
du vampire et les valeurs morales de cette culture. Considérons l’extrait suivant :
« Es gibt viele verschiedene Art und Weisen, zu einem solchen ‘Vampir’ zu werden.
Zunächst lässt sich im allgemeinen feststellen, dass besonders Menschen mit
mangelhaften moralischen Wertevorstellungen in Frage kommen. »
Les élèves ont effectivement su replacer l’image du vampire dans le contexte des
valeurs de cette société – ils ont su saisir la portée de ce que Marcel Mauss appelait
un « fait social total », un fait qui ne se comprend que lorsqu’on le replace dans la
totalité du système social dont il fait partie. La compréhension du phénomène de la
croyance en vampires ne peut se faire que lorsqu’on considère la société rurale
roumaine dans toutes ses facettes, et qu’on établisse les liens avec le contexte
spécifique du système de valeurs respectif.
52
Autres objectifs
Finalement, reste encore à me répondre à deux questions d’ordre plus général,
questions que j’avais formulées ci-dessus de façon suivante :32
Ai-je amené les élèves à élargir leurs connaissances au sujet de ce qu’est l’homme
dans la diversité de sa vie culturelle et sociale ?
En considérant les travaux des élèves repris ci-dessus, et en considérant la portée
que ces travaux impliquent sur le niveau de la compréhension des rites et mythes en
relation avec la mort en Roumanie, je suis d’avis que je suis en mesure de répondre
par l’affirmative : les élèves ont effectivement élargi leurs connaissances au sujet de
ce qu’est l’homme dans la diversité de sa vie culturelle et sociale.
Autre question qui m’incombe à vérifier : l’élève saura-t-il transposer et appliquer un
savoir acquis d’un contexte donné à un autre ?
Comme cet acquis ne m’est guère possible de vérifier à ce stade, l’analyse d’un
autre devoir des élèves s’impose ici…
32
chapitre II.4 (b) : Utilité pédagogique du contenu du cours, p.16
53
La méthodologie
Voyons à présent si la méthodologie employée au cours de ce chapitre se trouve en
accord avec les indicateurs définis dans le chapitre II, à savoir :
1. Y a-t-il une structuration nette et claire du cours ?
2. Ai-je réussi à éveiller l’intérêt des élèves par le biais de médias divers ?
3. Ai-je prévu, à des moments déterminés à l’avance, une participation active
des élèves ?
4. Ai-je respecté le principe de l’hétérogénéité des méthodes employées ?
5. Ai-je tenté de tresser des liens avec d’autres disciplines ?
Passons donc en revue ces 5 indicateurs :
Le premier indicateur, concernant la structuration du chapitre, peut être considéré
comme atteint. Le chapitre est soumis à une structuration rigoureuse, où le contenu
est divisé en trois parties distinctes : les mythes et rites en Roumanie rurale, les
mythes et rites en relation avec l’image du vampire, et finalement la figure du
vampire dans les cultures occidentales. De même, la méthodologie employée
change pour chaque partie respective.
Quant aux médias employés, je tiens à souligner le recours fait aux entretiens avec
des villageois de Balota, donc des témoignages de « première main », ainsi qu’aux
images, peintures et illustrations réalisées dans le contexte des représentations de
vampires dans les sociétés occidentales. Finalement, le visionnement de l’une des
deux versions de « Nosferatu » s’inscrit tout aussi clairement dans cette volonté
d’offrir aux élèves une certaine diversité de sources médiatiques.
La participation active des élèves a également été, à mon avis, assurée par la
réalisation et la présentation de travaux en groupes. Ainsi, la partie essentielle du
chapitre, à savoir les mythes et rites en relation directe avec les croyances relatives
aux vampires, est synthétisée et partagée par les élèves eux-mêmes.
Le critère de l’hétérogénéité des méthodes employées s’inscrit dans le même esprit
que le précédent, car assurer une participation active des élèves demande à ce que
54
l’on utilise des méthodes diversifiées. Plus concrètement, je me suis vu employer
d’abord le cours magistral, que j’ai interrompu à des moments précis par un jeu de
questions-réponses afin de solliciter une réception active de la part des élèves ; j’ai
ensuite pris recours à des travaux en groupes. Ces travaux ont ensuite fait objet d’un
échange en plénière, de façon à ce que les élèments de réponse de chaque groupe
aient été présentés en classe. La partie finale a ensuite été présentée à nouveau
sous forme de cours magistral, mais non sans impliquer de nouveau les élèves qui
savent généralement contribuer leurs connaissances et opinions relatives aux films
de vampires.
Finalement, le critère de l’interdisciplinarité a été largement respecté : le thème
principal, celui des mythes et rites en relation avec la mort s’inscrit dans le
programme du cours de Formation Morale et Sociale. La dernière partie se prête
particulièrement bien à établier des liens avec la littérature française (le
romanticisme), l’histoire (la période victorienne) et également l’histoire de l’art (à
nouveau le courant romantique).
Afin de formuler une conclusion d’un ordre plus général, je pense pouvoir affirmer
que le cours que j’ai développé et réalisé au fil des dernières années correspond
largement aux objectifs et aux critères formulés a priori. Le seul critère dont la
réalisation m’est restée impossible à vérifier concerne la transposition et l’application
d’un savoir acquis d’un domaine à un autre – question que je vais tenter d’élucider
au cours de la prochaine partie de ce chapitre.
55
Transposition d’un savoir acquis : les sociétés et cultures américaines
Une fois le sujet du vampirisme achevé, la matière du cours se concentre, durant un
trimestre, sur les sociétés américaines : les sociétés indiennes (surtout
amazoniennes), mais également des rites et mythes issus d’une fusion de
différentes conceptions culturelles se retrouveront au centre de l’attention.
Plus concrètement : le chamanisme, les têtes réduites des Indiens Jivaro ainsi que
le Vaudou seront examinés sous un angle socio-anhthropologique. Je me permets
ici de mettre en évidence des travaux réalisés au sujet du Vaudou, sujet controversé
car longtemps associé à la superstition et/ou à la magie noire. Cependant, le
Vaudou occupe aujourd’hui bel et bien le statut d’une religion (religion d’Etat pour
Haïti) et est reconnu à pied d’égalité avec d’autres religions dans le monde – même
si quelques-unes des pratiques inhérentes au Vaudou provoquent toujours la
répulsion chez certains…
Les objectifs d’apprentissage et la méthodologie employée sont largement
identiques à celles décrites dans le contexte du vampirisme, je me contenterai donc
ici de les synthétiser de façon sommaire
:
Objectifs d’apprentissage :
•
les élèves conçoivent le Vaudou comme un système de
pensée qui est propre aux peuples qui le pratiquent et ne se
comprend que lorsqu’on le replace dans son contexte social et
culturel ;
•
les élèves comprennent que la structuration de la religion
Vaudou s’oppose vivement aux structures des grandes
religions monothéistes (il s’agit d’un culte acéphale, dépourvu
de toute instance autoritaire, bref : chacun peut devenir un
prêtre Vaudou, et chacun peut prêter son corps comme
« récipient » à un « loa », un esprit Vaudou) ;
56
•
les élèves savent replacer l’historique du développement de la
religion Vaudou dans le contexte de la colonisation du
continent américain et de l’esclavage ;
•
les élèves savent distinguer entre les faits socio-culturels et
historiques relatifs à la religion Vaudou d’une part, et les
stéréotypes promus et répandus par la culture populaire
occidentale (cliché de la poupée Vaudou, par exemple).
La méthodologie se résume aux points suivants :
•
les élèves conçoivent et rédigent les questions en régie
autonome ; en cas de fausse route, ils seront invités à
repenser et à re-formuler leur question ;
•
les élèves disposeront d’un ensemble de textes issus de
sources diverses (extraits de livres, entretien avec une
prêtresse Vaudou, article de la revue « Sciences humaines »)
que je leur aurai distribués préalablement ;
•
les élèves visionneront un film documentaire sur le Vaudou,
réalisé par la National Geographic Society ;
•
les élèves devront user de ces sources afin de formuler les
réponses aux questions qu’ils se sont posées au début ;
•
les travaux réalisés feront l’objet d’une brève présentation qui
devra se solder par une conclusion générale au sujet du
Vaudou.
En résumé, les élèves sont amenés à formuler eux-mêmes les « pistes » qu’il s’agit
de suivre dans le but de comprendre le phénomène Vaudou, avant d’user des
sources fournies par l’enseignant afin de répondre aux questions. Par conséquent,
les élèves jouissent d’une relative autonomie au cours de cet exercice…
57
Les travaux des élèves
Afin de vérifier s’il y a eu une « transposition » d’un savoir ou d’un savoir-faire, d’une
« compétence », je tiens à considérer en premier lieu les questions que se sont
posées les élèves :
Groupe A :
Où est-ce que le Vaudou est apparu pour la première fois et comment s’est-il
développé ?
Quelle est la signification de « Vaudou » ?
Quelle est la symbolique du Vaudou ?
Comment est-il pratiqué en Haïti ?
Groupe B :
Von wo kommt Voodoo ?
Bedeutung (wortwörtliche + symbolische) von Voodoo ?
Entstandene Missverständnisse und Vorurteile ?
Groupe C :
Unter welchen Umständen kam es zur Entstehung des Voodoo ?
(Welches ist die) Bedeutung von Voodoo ?
Welches sind die Grundgedanken des Voodoo ?
Gibt es eine bestimmte Struktur/Hierarchie im Voodoo ?
Gibt es echte Voodoo-Puppen ? Wenn ja, wie stellt man sie her und zu welchem
Zweck ?
Il me paraît ici difficile de nier la volonté des élèves de chercher une « signification
symbolique » qui se cacherait de façon sous-jacente derrière le phénomène du
Vaudou : le groupe A déclare rechercher la « signification » ainsi que la
« symbolique » du Vaudou, le groupe B tente en dénicher la « signification littérale et
symbolique », le groupe C reste plus vague en formulant une question relative à la
signification du Vaudou.
58
Par conséquent, si je me permets de déclarer que les élèves auront assimilé la
moindre connaissance au cours des chapitres précédents, ce serait celle de la
conscience d’une présence d’un sens plus profond, d’une « signification
symbolique » qui serait inhérente à un système religieux comme le Vaudou – alors
qu’il s’agit clairement d’un phénomène qui, au sein du grand public, est plutôt
assimilé à la magie noire et à la superstition.
J’en conclus que les élèves font ici réellement preuve d’une transposition d’un savoir
assimilé lors des chapitres précédents : en se voyant confronté à un sujet jusque-là
inconnu, même largement tâché par des stéréotypes culturels, les élèves ont appris
à l’appréhender sans préjugés et à en dégager les significations symboliques
préalablement. C’est justement l’un des objectifs que j’avais formulés dans le
contexte du vampirisme, donc la question de ce que représente la figure du
vampire :
Objectif 4 : la figure du vampire constitue, en dernier lieu, une métaphore du « Mal ».
Il s’agit là de l’une des connaissances fondamentales des sciences socioanthropologiques, car comme le formulait Pascal Lardellier : « Les rites n’ont pas
d’utilité en soi, mais leur action se situe à un niveau symbolique »33. Et c’est
justement cette volonté de chercher à extraire la signification symbolique dont les
élèves ont fait preuve…
Néanmoins, force est aussi de constater que j’ai prévu un nombre très limité
d’exercices qui me permettraient de juger si un savoir acquis peut être transposé
d’un domaine à un autre. Par conséquent, tout en tenant compte des indicateurs
et des résultats décrits au cours de ce chapitre, je pense devoir consolider cet
aspect en prévoyant davantage d’exercices de ce genre.
33
Pascal Lardellier, Nos modes, nos mythes, nos rites, Editions EMS, Cormelles-Le-Royal, 2013
59
60
IV.
Conclusion
Formuler une conclusion générale à l’égard de mon propre cours que j’ai élaboré au
fil des années n’est certes pas chose aisée. Il m’importe ici d’éviter de tomber dans
le piège de déclarer l’évident et de formuler des louanges à propos de « mon »
cours.
Je tiens donc à me limiter, dans un premier temps, à la constatation que le travail
présent m’a permis de confronter objectifs et résultats du cours et que la balance de
cette confrontation donne une impression tout à fait positive : il est, à mon
estimation, parfaitement possible de dispenser un cours à contenu socioanthropologique auprès des classes de 1ère et 2e, sans pour autant faire abstraction
des concepts et méthodes didactiques que j’ai acquis au fil de ma formation de
professeur de morale. Les élèves font preuve d’une motivation parfois bien
supérieure à celle que possèdent mes élèves des classes de morale. Ils semblent
majoritairement intéressés par les thèmes proposés et contribuent, par moment,
même à en proposer d’autres. Je les juge absolument capables de discerner la
signification symbolique des rites et mythes auxquels je les ai confrontés en classe,
qu’il s’agisse d’un rite d’initiation ou d’un culte religieux comme la Vaudou, que je
traîte un mythe « exotique » ou une légende luxembourgeoise.
Dans ce sens, je considère que j’ai atteint les objectifs que je me suis fixés au début
de la recherche présente. Je me considère également en mesure de leur fournir,
pour reprendre ici la formulation des directeurs du LGE, une « plus-value » à leur
formation lycéenne.
Néanmoins, il me reste à poser la question de la pertinence et de l’utilité
pédagogique à un niveau au-dessus du seul souci si cette matière peut être
enseignée au secondaire, à un « méta-niveau » pour ainsi dire. Je tiens ici à revenir
aux causes qui m’ont inspiré à proposer aux élèves de l’enseignement secondaire
un cours à contenu socio-anthropologique : partant du paradigme de la
compréhension de « l’Autre », cherchant à saisir la signification des rites et mythes
61
qui nous peuvent paraître dépourvus de sens, voire même ridicules ou choquants,
l’on arrive à comprendre ce qu’est l’être humain dans sa diversité culturelle.
Bref, les sciences sociologiques et anthropologiques fournissent donc une grille de
lecture qui devrait permettre de (mieux) comprendre les phénomènes sociaux et
culturels. Mais leur compréhension ne se limite pas au seul souci d’élargir les
connaissances scientifiques. Il s’agit d’un savoir dont les retombées et implications
peuvent influencer notre manière de pensée, voire même sur notre comportement.
Comprendre un tel phénomène qui nous paraissait, jusque-là, un fait barbare et
dépourvu de tout sens, nous permet de repenser le jugement que nous avions porté
au sujet de la société concernée. Dans ce sens, la compréhension d’autrui pourrait
(ou devrait) mener à un regard plus tolérant envers les cultures qui nous paraissent
si différents. Je pense qu’il s’agit là d’une illustration d’une transposition d’un savoir à
une compétence, facultée si prônée par les pédagogies (plus ou moins) récentes.
Car notre société occidentale reste une société ethnocentriste : elle juge selon ses
normes, ses valeurs et finit souvent par imposer sa volonté, sa manière de voir.
L’ère coloniale semble, hélas, pas tout à fait appartenir au passé.
Comprendre l’Autre
Les connaissances d’ordre socio-anthropologiques me semblent dans cette optique
prédisposées à former l’esprit contre la tendance fâcheuse de l’être humain à
s’opposer à tout ce qui lui paraît « différent » :
«Pour des raisons de méthode, elle (l’anthropologie) étudie plus particulièrement les
sociétés dites ‘primitives’, dont elle ambitionne de sauvegarder et de revaloriser les
cultures. De manière peut-être utopiste, elle vise à promouvoir la solidarité humaine,
le dialogue entre peuples et un certain humanisme basé sur la connaissance dans
son unité et sa diversité. »34
Cependant, ce regard « neutre » sur les cultures étrangères soulève une question
d’ordre éthique qui n’est certes pas nouvelle : si nous entendons porter un regard
« neutre » et exempt de tout jugement de valeur, est-ce pour autant que « tout
va » ? Bref, est-ce que nous nous soumettons ici à un relativisme culturel absolu ?
34
P.de Maret, Anthropologie sociale (syllabus), Presses Universitaires de Bruxelles, Bruxelles, 1994,
p.12
62
Le débat n’est certes pas nouveau et il est loin d’être résolu. En 1994, la philosophe
suisse Annemarie Pieper, en parlant de la pratique des (anciennes) sociétés des
Inuit qui consiste à provoquer la mort des personnes âgées, affirmait :
« Müssen wir grundsätzlich alles tolerieren, was nicht auf unserem Boden
geschieht ? (…) Auch hier lautet die Antwort : Nein. Aber diesbezüglich gilt es zu
differenzieren. Wir dürfen uns nicht deshalb einmischen, weil wir meinen, eine
bessere Moral oder Religion zu haben, die absolut gilt, sondern weil wir davon
ausgehen, dass es auf einer übergeordneten, neutralen Ebene möglich sein muss,
über solche Praktiken vernünftig miteinander zu reden. (Es gibt) so etwas wie einen
überregionalen Bereich, in dem man sich über das, was wir als Menschenrechte
bezeichnen, die jedem Menschen unangesehen seiner Rasse, Religion und
Volkszugehörigkeit unverbrüchlich zustehen, verständigen kann. »35
Or, invoquer les droits de l’homme me semble peu utile à la discussion du
relativisme culturel. Car d’une part, n’est-ce pas la déclaration universelle des droits
de l’homme qui stipule que « toute personne a le droit de prendre part librement à la
vie culturelle de la communauté. » (article 27) ?
De plus, les droits de l’homme, bien qu’ils soient indispensables à assurer un climat
de paix et de stabilité politique dans les sociétés occidentales empreintes de ce que
l’on appelle la « modernité », ne constituent pour autant pas un ensemble de valeurs
universelles et inamovibles. Certains anthropologues, comme Maurice Godelier,
soulignent dans ce contexte que les droits de l’homme sont « avant tout définis
comme attachés aux individus en tant que personnes qu’en tant que membres d’une
communauté particulière, ethnique, religieuse ou autre »36 et qu’il s’agit de « valeurs
qui avaient pris la place dévolue aux siècles précédents au christianisme, la seule
‘vraie’ religion »37. Bref, en invoquant la dimension universelle de la déclaration des
droits de l’homme, ne tombons-nous pas dans le piège d’affirmer, une fois de plus,
« notre » supériorité en termes de valeurs et de normes éthiques ?
35
Annemarie Pieper, Andere Ländere – andere Sitten – ist in der Moral alles relativ ?, dans :
Standpunkte der Ethik, Ferdinand Schöningh Verlag, Paderborn, 2000, p.28
36
Maurice Godelier, Au fondement des sociétés humaines, Ed.Albin Michel, 2007, p.27
37
ibid, p.20
63
Finalement, si j’en arrive à questionner la « nécessité d’une morale minimale »38, ce
n’est pour autant pour affirmer que « tout est bon ». Comme je l’avais déjà
mentionné en formulant l’objectif principal au fil du deuxième chapitre, la
préoccupation de l’anthropologue est de :
« Comprendre les croyances des autres sans être obligé de les partager, les
respecter sans s’interdire de les critiquer, et reconnaître que chez les autres et grâce
aux autres on peut mieux se connaître soi-même : tel est le noyau scientifique, mais
aussi éthique et politique, de l’anthropologie d’hier et de demain. »39
L’opposition entre ces points de vue divergents ne devrait donc former aucune
entrave au cours que je propose aux élèves. Tout au plus, je pense pouvoir user de
cette opposition afin de lancer des débats autour de sujets controversés tels
l’excision ou autres rites d’initiation à caractère douloureux. Si l’on déclare que
l’objectif serait en première ligne de « comprendre les croyances des autres sans
être obligé de les partager » et de « les respecter sans s’interdire de les critiquer »,
la critique d’Annemarie Pieper perd tout impact…
Sociétés « traditionnelles » ?
Qu’importe la différence entre société dite « moderne » (ou encore « postmoderne ») et société dite traditionnelle ? Car la raison d’être du cours présent se
prêterait bel et bien à une critique particulière, à savoir celle que l’on adresse à
l’anthropologie sociale et culturelle depuis quelques décennnies : à quoi bon faire de
l’anthropologie si les « cultures » succombent de plus en plus à la mondialisation, et,
pire, à une occidentalisation ? Les cultures dites « traditionnelles » seraient en voie
d’extinction, dit-on. Et les exemples sont légions – n’en citons que celui, devenu
célèbre, des Lapons qui auraient retardé leur migration annuelle vers le Nord de
quelques jours – dans le but de ne pas rater l’épisode de Dallas qui révélait le
personnage qui avait tiré sur J.R …40
38
Norbert Hoerster, Über die Notwendigkeit einer Minimalmoral, dans : Standpunkte der Ethik,
Ferdinand Schöningh Verlag, Paderborn, 2000, p.29
39
Maurice Godelier, Au fondement des sociétés humaines, Ed. Albin Michel, 2007, pp.72-73
40
Neil Postman, Wir amüsieren uns zu Tode, p.108-109
64
Or, d’une part, toutes les sociétés au monde ne sont pas américanisées ou
occidentalisées aujourd’hui… et avec l’avènement des sociétés asiatiques sur les
scènes économiques et politiques internationales, la mondialisation n’est plus aussi
unilatérale qu’elle ne l’était il y a 30 ans.
Comprendre soi-même
D’autre part, il m’importe ici à souligner que la « plus-value » offerte à l’élève,
sollicitée par la direction, ne se limite pas au seul domaine des cultures
« exotiques ». En réalisant qu’il n’y a guère de mythe et de rite qui n’est pas porteur
d’un sens plus profond, il nous est possible d’en revenir à notre propre culture et de
jeter un regard plus saillant, plus critique, mais aussi plus scientifique (car doté d’une
distance critique, nécessaire à toute connaissance scientifique) sur les phénomènes
de notre propre société qui peuvent nous paraître soit naturels ou évidents, soit
ringards. Ainsi, je pense absolument être en mesure de fournir une plus-value aux
élèves, dans le sens que le cours leur fournit les instruments à cerner, à saisir et à
décoder les mythes et rites qui sont propres à notre culture.
Ainsi, en proposant aux élèves un travail au sujet de « comportements à caractère
mythologique ou religieux au sein de notre société », j’ai réalisé qu’ils ont su me citer
plusieurs thèmes dignes d’être ré-évalués dans une optique Barthes-esque : les
supermarchés (et la consommation), les sports (football et marathon), les concerts
de rock etc. Dans la suite, une discussion au sujet de la dimension religieuse de la
marque Apple s’enflammait en classe : les iconographies de la marque « à la
pomme », dimension « biblique » du personnage de Steve Jobs41, comportement
religieux des adeptes prêts à faire des « sacrifices » afin de s’accaparer d’un
nouveau i-produit, etc ad absurdum…
Tout ceci pour comprendre que le langage symbolique et/ou mythologique est
omniprésent dans toute société, qu’on s’en rende compte ou non. Marcel Mauss
déclarait en 1906, donc à une époque encore moins empreinte des valeurs athées et
matérialistes :
41
cf. Pascal Lardellier, Le livre de Jobs…le culte de la pomme, religion numérique, dans : Nos
modes, nos mythes, nos rites, p.240
65
« Si les dieux de chacun à leur heure sortent du temple et deviennent profanes,
nous voyons par contre des choses humaines et sociales – la patrie, la propriété, le
travail, la personne humaine – y entrer l’une après l’autre »42.
Un siècle plus tard, cette affirmation me semble toujours valide – à condition de
rajouter à la liste les joueurs de foot, rock stars et autres idoles de la culture pop…
Mythes et rites
Mais à quoi bon savoir interpréter nos mythes et rites, me dirait-on ?
Or, je considère cette faculté comme essentielle à toute formation d’un esprit critique
qui soit capable de remettre en question ses propres usages et sa propre culture. Il
s’agit d’une faculté qui permet de comprendre pourquoi nous nous engageons dans
certaines actions qui sont plus du ressort du symbolique que du pragmatique.
Finalement, il s’agit aussi d’un questionnement de ce qu’est l’être humain et des
représentations qu’il se forge au sujet de sa propre existence. Et comme je l’ai
souligné d’emblée dans le premier chapitre, il s’agit de comprendre l’homme sous
les paradigmes social et culturel – une perspective qui ne connaît que peu d’intérêt
au sein de l’enseignement secondaire.
Dans cette ligne de pensée, je pense effectivement être en mesure d’offrir aux
élèves une plus-value permettant de saisir une pièce du puzzle qui consiste à
connaître l’homme – connaître l’autre mais aussi soi-même. Dimension sociale et
dimension culturelle, voilà deux inconnues qu’il s’agit de prendre en compte,
d’analyser et de décoder. En tenant compte des réactions des élèves, des travaux
réalisés, tout comme des questions posées et réponses fournies, des réflexions
faites au fil du cours, et ce de façon spontanée, j’accorde à ce cours la possibilité de
transmettre aux élèves une « plus-value » non négligeable, et qui a trait à la
question qui nous, les êtres humains, sommes.
Dans ce sens, oui, je souhaiterais même voir davantage des réflexions et de
connaissances d’ordre socio-anthropologique ancrées dans les programmes de
l’enseignement secondaire. Surtout si les efforts entrepris dans la voie d’un cours
unique (fusionnant les cours de FoMoS et de Morale Chrétienne) se poursuivaient…
42
Marcel Mauss, Introduction à l’analyse de quelques phénomènes religieux, 1906
66
V.
Bibliographie
Clémentine Baron, Nouveaux épisodes, pp. 72-73, dans : Le Magazine littéraire
Mars 2013
Roland Barthes, Mythologies, Ed. du Seuil, Paris, 1957
Marie Agnès Combesque (dir.), Introduction aux droits de l’homme, La Découverte
et Syros, Paris 1998
Cynthia A.Freeland, Thomas E.Wartenberg, Philosophy and Film, p. 3, Routledge,
New York, 1995
Maurice Godelier, Au fondement des sociétés humaines, Ed.Albin Michel, 2007
Gilbert Hottois, Introduction historique à la philosophie contemporaine, De Boeck et
Larcier, Bruxelles, 1996
Andreesco Ionna, Où sont passés les vampires, Payot, Paris, 1997
Pascal Lardellier, Faut-il brûler les rites ?, p.13, Les éditions de l’Hèbe, 2007
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Claude Lévi-Strauss, dans : « Claude Lévi-Strauss, êtes-vous surréaliste ? », Le
Nouvel Observateur – hors-série N°74, novembre-décembre 2009
Claude Levi-Strauss, Tristes tropiques, Terres humaines, Plon
Claude Lévi-Strauss, Nous somme tous des cannibales, Editions du Seuil, 2013
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Ekkehard Martens, Methodik des Ethik- und Philosophieunterrichts, p.56, Siebert,
Hannover, 2003
Marigny Jean, Sang pour sang, Gallimard Coll. »Découvertes », Paris 1993
Régis Moes, Cette colonie qui nous appartient un peu, Editions d’Letzebuerger
Land, Luxembourg, 2012, p.96
Hilbert Meyer, Was ist guter Unterricht ?, Cornelsen, Berlin, 2004
Jörg Peters, Martina Peters, Bernd Rolf, Philosophie im Film, p.5, C.C.Buchners
Verlag, Bamberg, 2006
67
Jörg Peters, Bernd Rolf, Spielfilme im Ethik- und Philosophieunterricht, in :
Anschaulich philosophieren, Beltz Verlag, Weinheim und Basel, 200
Annemarie Pieper, Andere Ländere – andere Sitten – ist in der Moral alles relativ ?,
dans : Standpunkte der Ethik, Ferdinand Schöningh Verlag, Paderborn, 2000
Neil Postman, Wir amüsieren uns zu Tode, S.Fischer Verlag, Frankfurt a.M., 1988
Statnews N°14/2011, www.statec.lu, http://www.statistiques.public.lu/
Frank Wilhelm, Regards sur la colonisation de l’Afrique et du Congo I & II, dans :
Forum, N°209/210, Luxembourg, juillet / septembre 2001
68
VI.
Annexes
Annexe 1 : Extrait du syllabus distribué aux élèves
(Chapitre consacré aux vampires)
69
II. Le vampirisme dans les croyances
populaires roumaines et dans le cinéma
70
La mort en Roumanie
„Ma fille a pleuré dans sa tombe, je crois l’avoir entendue
crier. Elle m’est apparue dans un champ, vers la vallée,
et elle pleurait dans les vignes et dans les champs de maïs.
Mais quand je l’ai appelée par son prénom, elle a disparu.“
(témoignage d’une femme roumaine)
Les croyances et les rites de la mort en Roumanie sont issus d’une tradition plurimillénaire
dans son fond païen et millénaire dans sa tradition chrétienne. Comme un peu partout en
Europe, le christianisme, installé entre le premier et le troisième siècle dans les régions de
l’Est, a lutté contre les coutumes païennes, sans pour autant les anéantir complètement.
Certaines ont été enrayées, d’autres ont su se maintenir par le fait d’avoir adapté un objet
culturel chrétien ou deux, s’étant ainsi transformé en fête chrétienne. Les rites de la mort en
Roumanie font partie de cette dernière catégorie.
I.
Le monde imaginaire de la mort
Nombre de cultures humaines s’imaginent la mort comme un passage d’un monde vers un
autre monde, ou d’un état vers un autre.
Dans la cosmogonie roumaine, elle constitue une transition du monde des vivants vers „l’audelà“, mais cette conception a ceci de particulier que le passage ne s’achève pas
instantanément. Une fois que l’âme a quitté le corps par la bouche, tel un souffle (le mot
roumain „suflet“ signifiant d’ailleurs à la fois „souffle“ et „âme“), elle est censée effectuer un
voyage à travers un monde imaginaire avant de s’intégrer dans l’au-delà.
Mais avant que la mort ne frappe un
individu, elle s’annonce elle-même,
soit par le rêve, soit par une rencontre
avec „La Mort“ en personne, imaginée
en tant que vieille femme d’une laideur
repoussante, avec de longs cheveux
sales et défaits et de longues dents...
Au moment où la mort frappe, il importe qu’elle soit précédée par la lumière. Mourir
dans l’obscurité équivaut à une mort „noire“, terrible et pleine de souffrances. C’est ici
que ressort le caractère dualiste de la conception de la mort en Roumanie – il s’agit de
l’opposition entre la „bonne mort“ (ou „mort lumineuse“) et la „mauvaise mort“ (dite
„mort noire“).
On met donc tout en oeuvre afin que l’âme subisse une bonne mort, qu’elle passe dans
l’au-delà. Dans le cas contraire, l’individu subira une mort abominable, et l’âme ne
saura s’intégrer dans l’au-delà. Le mort se transformera en revenant et sera susceptible
de devenir un vampire.
71
Le premier moment important de la séparation entre corps et âme s’effectue lors du
lever du soleil. L’âme quitte alors le corps, doit parcourir un nombre de trajets, avant de
s’installer définitivement dans l’au-delà.
Un premier cycle de séparation s’étend sur 40 jours, temps que nécessite le corps
humain pour commencer à pourrir. La putréfaction symbolise la séparation définitive
entre l’âme et le corps.
Pendant ces 40 jours, l’âme oscille entre le monde terrestre et l’au-delà. Selon les
croyances roumaines, l’âme est obligée de passer par toutes les étapes importantes de sa
vie durant cette période. Elle doit revivre son propre passé. A cette fin, elle se fait
aider par des guides, anges gardiens ou diables, sur son chemin qui mène à travers un
monde cruel et sinistre. C’est un monde qui torture l’âme, un monde sans repos ni
lumière, sans possibilité de subvenir à sa soif ou à sa faim...
A la dernière étape se décide le sort définitif de l’âme, elle connaîtra son jugement et
prendra le chemin pour l’un ou l’autre camp – ciel ou enfer.
Un deuxième cycle de séparation débute après ces 40 jours et ne prend fin que sept ans
plus tard. Ce cycle de séparation se base sur le processus de putréfaction du corps, qui
est indispensable à l’intégration de l’âme dans l’au-delà. Par la putréfaction, la mort
défait tous ses liens avec le monde terrestre, et son corps devient à nouveau terre – tout
comme il a été fait de terre. En effet, les Roumains affirment que „ne pas pourrir, c’est
une malédiction“ ou encore „Si on passe par la terre, on se purifie“.
Une fois les sept ans révolus et le corps entièrement décomposé, le défunt fait
dorénavant partie du monde des ancêtres.
II.
Les rites en relation avec la mort
Les rites funéraires et autres pratiques sont en relation directe avec ce monde imaginaire
concernant la mort. Elles ne constituent pas une simple commémoration, mais visent à
agir sur le monde imaginaire de l’au-delà, afin d’assurer le bien-être de l’âme et son
passage vers le monde des ancêtres.
b) les 3 premiers jours suivant le décès
La toilette funéraire est assurée par des membres de la famille qui lavent le corps,
coupent les cheveux, les ongles etc.
Ensuite, le corps du défunt sera exposé dans sa maison durant trois jours. Le corps
sera veillé jour et nuit durant cette période, des visiteurs passeront afin de rendre
hommage au défunt.
On prendra soin d’allumer un cierge à côté du mort, et les visiteurs se présenteront
eux-aussi avec un cierge – ceci afin d’illuminer le chemin de l’âme.
La veillée est marquée par des cycles de deuil tout à fait opposés. Le jour, les
femmes veillent le corps, pleurent et lamentent. Le soir, les visiteurs arrivent et l’on
constate un ambiance joyeuse, tout comme divers jeux et plaisanteries. Bien que
jugés irrespectueux par l’Eglise, ces jeux sont encore pratiqués de nos jours.
Un exemple d’une telle plaisanterie, observée durant les années 70 :
Quand les jeux sont finis, quelqu’un dit „Allons à la maison!“. Les gens se lèvent. Un
complice du premier, ayant attaché une corde au cou du mort, tire la corde et le mort se
lève aussi. Effrayés, les gens s’enfuient, mais rentrent dans un bassin d’eau qui les
attend dehors.
72
c) le troisième jour, jour de l’enterrement
Le corps est mis en bière, emmené à l’église, puis au cimetière où il sera enterré.
Ensuite, les participants retournent à la maison du défunt.
A chacune de ces étapes sont associés des rites spécifiques. Ainsi, lors de la mise en
bière, on y dépose un certain nombre d’objets, qui sont censés faciliter à l’âme le
voyage vers l’au-delà et la protéger contre les incursions du diable. Exemples : des
morceaux d’ail, des cierges, etc.
Le cortège vers l’église sera interrompu au moins trois fois. C’est à cette occasion
que ressort le lien étroit entre les rites funéraires et le monde imaginaire du voyage
vers l’au-delà que l’âme doit effectuer. Tous ces rites visent à aider l’âme sur son
chemin!
Les arrêts symbolisent des „ponts“ ou „douanes“ que l’âme doit passer. Il s’agit de
représentations conçues par les vivants pour l’âme, symbolisées par des tissus
étendus sur le sol, près d’un rivage, en bordure d’une route, ou –si possible- près
d’un carrefour.
Symboliquement parlant, le carrefour est un lieu d’ouverture vers un autre monde,
tout comme le point qui passe au-dessus d’un fleuve. Il s’agit donc de rites qui ont
pour objectif de guider l’âme saine et sauve vers l’au-delà.
Des offrandes diverses, appelées „pomana“ en roumain, seront placées sur le tissus
et sont également destinées à soulager l’âme. Il s’agit d’un verre de vin pour
atténuer la soif de l’âme, un morceau de pain rituel („colac“) pour réjouir les anges,
un cierge permettant à l’âme d’illuminer son chemin, et enfin une pièce de monnaie
pour payer la „taxe“ indispensable au passage de l’âme.
Une fois les offrandes accomplies, le cercueil béni et encensé par le prêtre, le
cortège reprend son relais. A l’église, le cercueil est déposé devant l’autel. Après le
service religieux, les femmes reprennent les lamentations, et l’on donne de
nouvelles offrandes.
73
Le cortège se reforme et se dirige vers le cimetière. Le prêtre bénit le corps et la
fosse avec du vin et de l’eau, les cierges sont éteints et jetés dans la fosse. Les
fossoyeurs ferment le couvercle, le clouent et descendent le cercueil dans la fosse.
La cérémonie se termine par un immense repas collectif à la maison du défunt, où
chaque visiteur reçoit un cierge et un morceau de pain en tant que „pomana“...
d) de l’enterrement aux 40 jours
Les 40 jours qui suivent l’enterrement sont marqués par le thème de la séparation, il
s’agit de se séparer du mort afin que son âme puisse elle-aussi se séparer de ce
monde.
Une offrande particulière est très prononcée durant cette quarantaine, celle de l’eau.
Chaque matin, la tâche de la „délivrance de l’eau“ est effectuée par une fille vierge
du village. Elle s’engage à puiser le premier seau d’eau de la fontaine, avant le lever
du soleil pour l’offrir à une personne âgée et/ou malade. Le rite est riche en
symbolisme : la fille vierge, l’eau non-entamée sont des métaphores du „pur“, du
„lumineux“, du „bien“ – la personne âgée et/ou malade est un être proche de la
mort!
Il s’agit donc, symboliquement parlant, de „purifier“ l’âme du défunt!
Le rite de la délivrance de l’eau connaît son paroxysme au bout des 40 jours. Les
détails du rite varient selon la région, mais l’on peut mettre en évidence certains
traits communs :
La fille porteuse d’eau ainsi qu’une femme âgée faisant partie de la famille du
défunt se rendent au bord d’une rivière, éventuellement accompagnées par d’autres
membres du village. Le rite, parfois appelé la „libération“ (!), met alors en scène la
porteuse d’eau qui puise de l’eau de la rivière et la verse soit vers le soleil levant,
soit sur un tissus blanc (è le „pur“) qu’elle tient dans la main. Ensuite, des
offrandes (cierges, etc) sont déposées et fixées dans un demi-potiron ou dans des
moitiés d’écorces de citrouille. Ceux-ci sont mises à l’eau et doivent être pris par le
courant, jusqu’à disparaître de la vue des gens. On considère alors que l’eau a été
pure et qu’elle a été reçue, puisque les cours d’eau mènent justement vers l’au-delà.
e) après un an
Le cycle funéraire prend fin un an plus tard, l’âme étant alors intégrée dans l’audelà. La famille du défunt sort du deuil et se voit ré-intégrée dans la communautée
villageoise par une danse intitulée „hora de pomana“. De nouvelles offrandes
(è „pomana“) sont distribuées au nom du mort, et la commémoration se termine
par un repas collectif.
f) après sept ans
Au bout de 7 ans, les ossements sont déterrés afin que „le soleil les voit
encore une fois“. Ensuite, ils sont lavés à l’eau, aspergés de vin, recueillis
dans un sac de toile blanche et bénis par le pope. Notons le souci de pureté
(eau, toile blanche, etc) même à ce stade-ci. Enfin, ils sont ré-enterrés.
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III.
Les vampires
Les rites de la mort en Roumanie visent donc à assurer l’intégration de l’âme du défunt
dans le monde de l’au-delà. Par contre, que va-t-il se passer si l’âme n’est pas intégré
paisiblement dans l’au-delà?
Les croyances roumaines ont donc une nature dualiste : elles opposent le bien au mal,
une „bonne mort“ à une „mauvaise mort“, qui connaît son paroxysme, sa version la plus
terrifiante sous l’appellation de la „mort noire“.
Une mauvaise mort implique des problèmes, voire l’impossibilité de l’âme de s’installer
dans l’au-delà. Elle sera perdue et errante, et sa carcasse terrestre sera soumise aux
tentations du diable qui risque de s’y réfugier et de semer la terreur parmi les vivants.
Cette apparition du diable est appelé „strigoï“ ou „moroï“, qu’on traduit indifféremment
par le terme de vampire.
Le vampire s’inscrit dans une tradition où la croyance à l’existence de créatures de
l’autre monde est très répandue. Le vampire ne constitue qu’une figure parmi bien
d’autres (exemples : dragons nommés „zmeu“, la Mère de la Forêt „Mumia Padurii“, ou
encore la Mort en personne...)
A la dualité „bien-mauvais“ s’ajoute une autre, celle de l’opposition entre vivant et
mort. Car si le revenant „normal“ s’oppose à l’homme ordinaire par le fait d’être mort,
il s’oppose aux vampires et autres créatures imaginaires par son inoffensivité.
Cette double opposition peut être représentée de façon suivante :
Vivant
Gens ordinaires
Gens voués,
Sorciers
Bon
Mauvais
Revenants
Vampire,
zmeu, etc
Mort
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„GUIDE DU PETIT CHASSEUR DE VAMPIRES“
Notre analyse des croyances aux vampires va s’articuler autour des questions suivantes :
a.
b.
c.
d.
e.
Quelles sont les mesures préventives pour éviter une vampirisation?
Quelles personnes sont susceptibles de se transformer en vampires?
Comment le mort devient-il un vampire?
Comment le vampire se manifeste-t-il?
Comment repérer et éliminer le vampire?
Les recueils suivants, tirés de l’ouvrage „Où sont passés les vampires?“ d’Ionna
Andreesco, permettront de répondre à ces questions.
Il s’agit d’un ouvrage datant de 1997, qui rassemble une série d’entretiens avec des
femmes d’un petit village rural nommé Balota, apparemment hanté par un vampire, qui,
de son vivant, s’appelait „Dodu“ (surnom „le Bulgare“).
Travail à réaliser : Lisez attentivement les entretiens et tentez de répondre aux
questions de façon aussi complète que possible.
76
Le vampire dans la littérature
Des croyances populaires au mythe moderne...
Si les légendes de vampires étaient répandues dans la presque totalité de l’Europe
médiévale, elles se sont retirées dans des régions rurales isolées de l’Europe de l’Est
encore avant l’aube de l’ère industrielle. Comment expliquer alors la résurrection de la
popularité des contes de vampires dans des pays qui se vantent de vivre dans un monde
rationnel?
On doit chercher la réponse à cette question dans l’Angleterre du 19e siècle, où l’on
assiste à l’avènement du courant romantique. Celui-ci se révolte contre le rationalisme
du siècle des Lumières ( Voltaire, Rousseau, etc) et se manifeste aussi bien dans la
littérature qu’en peinture. Les bourgeois anglais de l’époque dévorent littéralement les
romans et nouvelles à contenu surnaturel, voire même morbide. Les récits de vampires
se prêtent parfaitement à cette nouvelle passion, d’autant plus que certains thèmes (celui
de la séduction mortelle, par exemple) et décors (dans le style gothique) chers au
mouvement romantique conviennent très bien à ces histoires. Ainsi, nombre de romans,
comme par exemple „The vampyre“ (par J.W.Polidori) ou „Varney the vampire“ (dont
l’auteur est resté anonyme) voient le jour. De même, l’on voit surgir sur le continent
européen des oeuvres littéraires à contenu vampirique – citons „Métamorphoses du
vampire“ de Baudelaire (1866) à titre d’exemple.
Illustrations du roman original „Varney the vampire“
Cependant, les récits de vampires risquent de se heurter à la censure anglaise de
l’époque, dans un contexte social où le puritanisme religieux constitue une valeur
fondamentale. Ainsi, les auteurs optent pour la transcription de tout contenu ambigu
dans un univers métaphorique. Et l’on est en droit de voir dans le vampirisme présenté
par Le Fanu dans „Carmilla“ (1871) plutôt une métaphore pour l’homosexualité
féminine – un tabou absolu dans la société victorienne! En effet, le roman raconte
l’histoire d’une femme vampire qui ne choisit que des femmes pour victimes, tout en
restant une „créature sensuelle“.
Ces récits de vampires permettent donc au lecteur d’assouvir son goût, par ailleurs
refoulé, pour des histoires „obscènes“, tout en restant fidèle au puritanisme de l’époque.
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Et, en fin de compte, le récit se solde par une défaite du Mal et par une victoire du Bien,
dont le représentant ultime est la société victorienne.
Mais ce n’est qu’en 1897 que sortira le roman de vampires le plus influent jusqu’à nos
jours. Il s’agit évidemment de „Dracula“ de Bram Stoker. A Bram Stoker revient le
mérite de présenter le vampirisme dans une version plus fidèle aux croyances originales,
issues de l’Europe de l’Est. Ceci s’explique par le fait que Stoker entretenait une amitié
avec Arminus Vambery, professeur de langues orientales à l’Université de Budapest.
Celui-ci connaissait parfaitement les coutumes et croyances relatives au vampires dans
les régions rurales de l’Europe de l’Est et transmettait son savoir à Bram Stoker. Il lui
racontait également les excès sadiques du personnage historique de Dracula. Bram
Stoker eut le bon goût de relier ce personnage morbide aux contes de vampires.
L’importance que joue l’oeuvre de Stoker dans toute manifestation à traits vampiriques
du 20e siècle rend incontournable un petit aperçu historique du personnage de Dracula...
Vlad Dracula
Vlad Dracula, né en 1431 en
Transylvanie, fut trois fois prince de la
Valachie. Il hérita ce nom du côté de
son père, Vlad Dracul, „dracul“
signifiant „diable“ ou „dragon“, selon le
cas. Le père avait pris ce nom en
référence à l’Ordre du Dragon
Renversé, auquel il avait accédé à l’aide
de Sigismond du Luxembourg (13681437), à l’époque roi de Hongrie.
„Dracula“ signifie „fils de Dracul“, et
son nom connut un glissement de sens
par la cruauté excessive dont faisait
preuve le fils.
„Dracula“ prenait alors, pour la
population souffrante, plutôt le sens de
„fils du diable“. Vlad Dracula, lui-aussi,
régnait sous la bannière du dragon
renversé et entrait dans les annales sous
le nom de Vlad Tepes...“Vlad
l’empaleur“. En effet, il possédait la
mauvaise habitude de faire empaler
toutes sortes de gens, dès qu’il en
trouvait la moindre raison. Ainsi, il fit
empaler un aristocrate qui était en visite
et qui s’était montré irrespectueux
envers lui, puisqu’il avait osé se pincer
le nez à cause de l’odeur envahissante
de putréfaction, provenant des empalés!
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Outre l’empalement, Vlad Tepes faisait preuve d’une ingéniosité remarquable lorsqu’il
s’agissait de mettre au point de nouvelles méthodes de torture. Sa réputation s’étendait
jusqu’en Allemagne et l’on attribue sa misanthropie sadique au fait qu’il avait été
prisonnier des Turcs durant des années, où lui-aussi a dû endurer de nombreuses
souffrances.
Mais sa réputation n’est pas uniquement de nature négative, car il récoltait beaucoup de
respect pour son engagement contre les Turcs, qui, à l’époque, mettaient en péril
l’Europe de l’Est. Vlad Dracula s’avérait un excellent stratège et ses plans d’attaques
hautement élaborés faisaient fuir les troupes turques, bien que ceux-ci lui infligeaient
une défaite au bout d’une longue bataille, de par leur supériorité en nombre.
L’histoire du „vrai“ prince Dracula a ceci de particulier que sa vie est entré dans la
tradition orale de certaines régions de l’Europe de l’Est. Ainsi, en Roumanie, certains se
réclament d’une souche de guerriers ayant combattu les Turcs aux côtés de Dracula,
l’ayant aidé à fuir après sa défaite.
Bram Stoker’s Dracula
Bram Stoker a donc su fusionner deux
légendes propres à l’Europe de l’Est,
tout en plaçant son récit dans un décor
„gothique“ (château en ruines, etc), et
en le présentant sous forme d’un
documentaire. Le roman „Dracula“
consiste en effet en une suite de lettres
et d’extraits du journal intime de
Jonathan Harker, qui entre en contact
avec le comte Dracula. Le vampire
illustré sera relativement proche de ceux
que nous décrit l’imaginaire roumain : il
peut se muer en animal impur, il craint
l’ail, n’est actif que durant le nuit, et se
nourrit de sang – bien qu’ici, cette
forme particulière d’anthropophagie est
décrite de façon explicite et non pas
métaphorique.
Enfin, l’influence qu’exercera ce roman sur pratiquement tous les films de vampires est
considérable. Car même si tous les films ne se réclament pas directement de l’oeuvre de
Stoker, ils s’inspirent néanmoins de cette oeuvre majeure de l’ère romantique...
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Le vampire et le cinéma
Nombreuses sont les oeuvres cinématographiques qui parlent de vampires. A côté de
quelques oeuvres majeures de l’histoire du cinéma (Nosferatu de F.W.Murnau ou de Werner
Herzog, Vampyr de Carl Theodor Dreyer), l’on trouve également une infinité de films de
série B (voire Z, donc de qualité exécrable) voués à ce sujet...des titres comme „Vampyros
Lesbos“ (de Jess Franco) ou „Dracula vs.Frankenstein“ (Al Adamson) en témoignent...
Choix de films proposés :
-
Nosferatu, eine Symphonie des Grauens (F.W.Murnau)
Dracula (Tod Browning)
Nosferatu (Werner Herzog)
Bram Stoker’s Dracula (Francis Ford Coppola)
Interview with the vampire (Neil Jordan)
Bibliographie
ANDREESCO IONNA, Où sont passés les vampires?, Payot, Paris 1997
ANDREESCO IONNA, BACOU MIHAELA, Mourir à l’ombre des carpathes, Payot, Paris
1986
CUISENIER JEAN, Le feu vivant – la parenté et ses rituels dans les Carpathes, PUF Coll.
„Ethnologies“, Paris 1994
MARIGNY JEAN, Sang pour sang, Gallimard Coll.“Découvertes“, Paris 1993
MARKALE JEAN, L’énigme des vampires, Pygmalion, Paris 1991
MC NALLY RAYMOND, FLORESCU RADU, A la recherche de Dracula, Robert Laffont,
Paris 1973
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