Le guarani, langue officielle du Paraguay

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Entretien avec Susy Delgado
Entrevista con Susy Delgado
Traduction complète
Le guarani, langue officielle du Paraguay
Avant le guarani n’était que langue nationale du Paraguay. Ensuite, il est devenu aussi langue
officielle. Peux-tu nous expliquer à quel moment et ce que cela a signifié pour tous ceux qui, au
Paraguay, parlent guarani ?
Le Gua
Oui. En 1992, une nouvelle Constitution a été proclamée. Il s’agit de notre dernière Constitution, dans
laquelle le guarani a été déclaré langue officielle, au même titre que l’espagnol. Et il s’est agit d’un fait
historique, de revendication, très important pour le guarani, car bien que dans les discours, et sous une
forme déclamatoire fausse à mon sens, depuis toujours historiquement, on dise que le guarani était notre
langue aimée, cependant, dans les faits, tout au long de cette histoire, le guarani s’est retrouvé relégué, et
cela dans tous les domaines. Ce n’est que récemment, que cette reconnaissance concrète comme langue
officielle a ouvert les espaces ou les portes, qui faisaient défaut à la langue guarani et plus
particulièrement grâce à son intégration dans les cours, postérieurement, quelques années après, avec la
mise en place de la réforme éducative. Ce fut un événement fondamental qui a réactivé ou apporté le
souffle qui manquait, depuis longtemps, à la langue guarani.
Qu’est-ce que le jopara ?
Le jopara est un mélange. C’est le mélange qui est utilisé quotidiennement. C’est la langue du peuple, le
mélange d’espagnol et de guarani. En réalité, il y a des gens qui nient l’existence du jopara, en se fondant
sur le fait que les langues en contact fusionnent toujours. On peut s’en rendre compte à chaque fois que
la situation se produit. Il y a des gens qui nient l’existence du jopara, parce qu’il y a toujours une base plus
forte d’espagnol, ou une base plus forte de guarani. Dans ce cas, les linguistes et les spécialistes de la
question disent : là, en réalité, on est en train de parler guarani, ou bien, en réalité, on parle espagnol,
disent-ils. En raison d’un plus ou moins grand mélange, ou avec une plus ou moins grande quantité
d’emprunts, rien de plus. Au Paraguay, c’est un des sujets polémiques de la situation bilingue.
Pourrais-tu nous dire, grosso modo, sans que ce soit une donnée statistique, quel est le
pourcentage de bilingues au Paraguay ?
Le pourcentage de bilingues au Paraguay est d’environ 60%. Il y a environ 35% de monolingues en
guarani, tandis que les monolingues en espagnol sont bien moins nombreux. Les monolingues en
espagnol se trouvent, c’est normal, on peut aisément le comprendre, dans les zones urbaines et surtout
dans la capitale et les monolingues en guarani se trouvent en zone rurale, naturellement.
Quelles incidences a ce bilinguisme sur la production culturelle du pays ?
Petit à petit, il commence a avoir des incidences mais peu nombreuses pour l’instant parce que le guarani
continue surtout à être une langue orale et le processus qui débouche, par exemple, sur la production
littéraire ou autres est relativement récent, parce que la réforme éducative qui prévoit l’alphabétisation en
langue guarani est assez récente : elle n’a qu’une dizaine d’années. Ses résultas pour l’instant ne
commencent qu’à se faire sentir. A cela il faut ajouter d’autres facteurs de type socio-historique qui
déterminent une encore faible participation du guarani, notamment dans certains types de production. La
littérature compte sur une sorte de tradition parce que, d’une certaine façon, on écrit de la littérature
depuis longtemps avec une écriture un peu anarchique, avant l’élaboration de certaines normes fixes. En
1950, a eu lieu un Congrès, à Montevideo, au cours duquel les plus grands spécialistes de la question
ont fixé des normes graphiques, par exemple, mais même avant cela, on produisait de la littérature avec
une graphie peut-être un peu anarchique. De toute façon, la littérature elle a déjà à son actif une certaine
production, qui aujourd’hui est en augmentation. Elle est en pleine croissance depuis la reconnaissance
officielle du guarani, en 92, avec la nouvelle Constitution de cette année-là et ensuite avec la mise en
place de la réforme éducative.
On établissait une distinction entre littérature guarani et littérature en guarani. On appelait littérature
guarani simplement celle qui venait des cultures indigènes, des ethnies guarani. La littérature en guarani
c’est celle qui provient de la production métisse ou blanche. Selon une autre optique, la littérature guarani
serait tout ce qui est produit aujourd’hui par nous autres, les métis, par ceux qui sommes considérés
désormais aujourd’hui comme les propriétaires, les héritiers légitimes et les propriétaires, à présent, de
cette langue et de cet héritage. C’est pourquoi il y a des gens qui utilisent cette nouvelle dénomination, en
englobant toute cette nouvelle littérature.
La poésie a toujours été le genre le plus cultivé au Paraguay, dans les deux langues, en guarani aussi. Au
Paraguay, il y a une production de poésie très nombreuse. Il n’y a guère d’explications à ça, surtout si on
prend en considération la situation économique, culturelle, le système d’éducation du pays. Les écrivains
au Paraguay écrivent un peu avec une étrange résistance à toute cette situation absolument défavorable.
Le Paraguay a l’un des indices de lecture les plus faibles du continent et cependant il y a une production
très importante de littérature et particulièrement de poésie.
Séquence 2
Tu as des poèmes en guarani, en espagnol, tu as aussi un livre de contes publié en espagnol.
Pourrais-tu nous expliquer ces différences ?
Je ne sais pas si c’est parce que je suis Paraguayenne, ou si de naissance, simplement, je suis plus
tentée par la poésie. La poésie m’a toujours attirée beaucoup plus que d’autres genres, et en fin de
compte, après avoir fait une première tentative, une première ébauche, comme je dis, dans le domaine du
conte, je ne sais pas si pour finir, je n’ai pas écrit simplement à nouveau de la poésie. Finalement, peu
m’importe. Je me sens poète, fondamentalement. Ça oui.
Pour ce qui est des langues que tu choisis pour la poésie et la prose : aurais-tu, par exemple, pu
écrire des contes en guarani, comme les poèmes ?
Je crois qu’il faut que je me lance à le faire. De la même façon, qu’un jour j’ai dû me lancer à écrire de la
poésie en guarani. Je l’ai fait, bien après avoir commencé à écrire en espagnol, en raison d’un respect
excessif, d’une pudeur exagérée à l’égard de ma langue maternelle. De la même façon, je crois qu’il faut
que j’ose écrire de la prose en guarani, des contes ou autre chose.
Les thèmes qui me viennent en guarani sont surtout ceux en rapport avec la femme de la campagne, que
j’ai été et que, dans le fond, je continue d’être intérieurement. J’ai eu une enfance paysanne, typiquement
paraguayenne. J’ai grandi avec mes grands-parents qui étaient deux modestes agriculteurs paraguayens,
de la campagne du Paraguay et les expériences caractéristiques de la campagne qui ont été les miennes
durant cette enfance m’ont profondément marquée. Avec le temps, les thèmes de l’enfant paysan, la
femme paysanne, les habitudes, les coutumes, les odeurs, ainsi que les tristesses, la solitude et la
mélancolie et les angoisses de la campagne ont fleuri dans mon œuvre. Ce sont les thèmes qui naissent
en moi en guarani. C’est comme une forme de récupération de l’enfance. Les couleurs et aussi les
angoisses, les rêves de l’enfance, comme s’ils voulaient sortir dans leur propre langue, qui est le guarani.
Dans cet ensemble, il y a un recueil de poèmes qui est organisé autour du feu, de cet élément.
Quelle importance a le feu dans le foyer guarani ?
Ce livre Tataypype recueille justement les moments vécus autour du feu, à la campagne, dans la cuisine
paraguayenne. Dans le recueil, le feu est symbolique et sert aussi à récupérer un élément bien réel dans
la cuisine paysanne, dans les foyers paraguayens. J’ai voulu récupérer, dans ce recueil, cette habitude si
agréable, qui consiste à s’asseoir autour du feu, que j’ai connue avec mes grands-parents. Mon grandpère aimait beaucoup nous raconter des contes, près du feu, tôt le matin et aussi en soirée. Et j’ai eu la
chance d’avoir en mon grand-père un excellent conteur. Lorsque j’ai eu quelques années de plus, je l’ai
observé pour voir comment il racontait. J’observais comment il bâtissait ses récits, faisait les pauses,
comme il montait le ton, marquait l’emphase, comment il créait le suspense et l’inquiétude. Par la suite, de
loin, cela m’a permis d’analyser un peu ce qu’est le conteur populaire, qui garde les clés du récit
paraguayen. C’est difficile ensuite de transposer ça sur le papier mais c’est un thème passionnant, qui je
crois peut apporter beaucoup à un écrivain. En revenant un peu à tout ça, à cette habitude d’écouter des
contes près du feu, je crois que c’est dans cette expérience quotidienne avec mes grands-parents qu’a
été semée en moi cette graine, qui avec le temps et dans ma jeunesse, chercherait à être cultivée par les
mots. Je crois que la semence profonde, qui ensuite chercherait ainsi l’expression, vient de là. Et la parole
est bien entendu une valeur essentielle que nous recherchons tous au Paraguay. Nous la recherchons
tous, peut-être sans le savoir, et peut-être sans le savoir héritons-nous cette valeur ancienne, la valeur la
plus haute de nos ancêtres guarani. Je crois que nous ne cessons de la rechercher. Dans ce feu paysan,
que j’ai connu et vécu pendant mon enfance, la parole nous réunissait, le feu de la parole nous réunissait.
Et d’une façon ou d’une autre, nous revenons toujours à cette quête.
Et dans cet autre livre (Ayvu membyre. Hijo de aquel verbo, Fils de ce verbe), je me suis centrée sur cette
quête de la parole en effectuant une sorte de voyage intérieur, à la recherche des fonds les plus enfouis
où est gardée la parole que nous recherchons. C’est ce qui se passe aussi dans le cas d’un écrivain en
langue guarani. Car nous sentons que, dans une certaine mesure nous avons perdu le guarani et dans
une certaine mesure, par grande chance, il a survécu. Mais nous sommes comme en phase de
récupération de notre propre langue, de profonde réconciliation avec elle, de recherche de ses
profondeurs, de ses accents les plus profonds, de sa flexibilité, de ses aromes les plus profonds et mon
recueil est une sorte de voyage vers ça. Et vers le sens essentiel de la parole, qui pour nous est sans
doute toujours le même que pour les Guarani : celui de l’âme.
D’où ce titre en espagnol, Fils de ce verbe, de ton dernier recueil bilingue ?
J’ai pris comme titre un mot qui marque un peu l’inspiration, la source de ce livre, l’Ayvu, comme parole
primordiale et le titre guarani qui m’est venu est Ayvu membyre. J’ai eu beaucoup de mal à le traduire en
espagnol, en décomposant ses différentes parties, l’équivalent serait ‘le fils orphelin de cette parole
primordiale’ dont parlaient nos ancêtres guaranis. Après avoir beaucoup travaillé, j’ai trouvé cette petite
formule qui m’a paru la plus proche : ‘fils de ce verbe’, verbe dans le sens de parole, un peu dans le sens
biblique, qui m’a paru la plus adéquate, c’est pourquoi j’ai gardé ‘Fils de ce verbe’.
Séquence 3
Ces recueils en guarani que tu as écrits, c’est très intéressant, ont été traduits en anglais,
allemand, portugais. Comment l’expliques-tu ?
Je n’en ai pas la moindre idée. C’était une surprise inattendue à chaque fois, des cadeaux que je
n’attendais pas. On m’a toujours étonnée en m’apprenant que mes travaux avaient été traduits. Tous,
presque tous, sont des textes écrits en guarani. Un seul de mes textes en espagnol, un très long poème
intitulé « Mon peuple » a aussi fait l’objet d’une traduction en portugais. Dans tous les autres cas, il s’agit
de textes originaux en guarani.
Le Paraguay fait partie du Mercosur, est-ce que cela a des incidences sur les échanges culturels et
littéraires du pays ?
Dans une certaine mesure, il y en a toujours eu et par ailleurs, il reste toujours beaucoup à faire.
Culturellement parlant, le Mercosur a toujours existé, bien avant que cette dénomination ait été inventée,
bien avant. Et en même temps, les rapprochements, le travail, les facilités de contact dans bien des
domaines ne suffisent toujours pas. Il en est de même pour les échanges culturels et littéraires. Sur le
plan littéraire, depuis quelques années, les communications étant plus fluides, plus simples, de plus
grands rapprochements s’effectuent petit à petit. Mais, comme je le disais, nous sommes loin du compte.
Actuellement, par exemple, nous devrions disposer d’une revue culturelle du Mercosur, des choses
comme ça qui matérialisent plus clairement les liens profonds qui nous unissent de fait. Lorsqu’il nous
arrive de nous réunir, nous confirmons toujours ces liens profonds, cet intérêt commun qui est le nôtre. Et
malgré ça, il faut que nous travaillions un peu plus à les transformer en rapprochements concrets et en
faits concrets.
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