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Bernard SENECAL, Jésus le Christ à la rencontre de Gautama le Bouddha, Identité Chrétienne et Bouddhisme, Cerf, Paris, 1998,
252 p.
Le P. Bernard SENECAL est depuis plusieurs années en Corée. Il donne ici le fruit de son expérience en milieu asiatique, très fortement
marqué par le bouddhisme.
1 - Qu'est-ce que le bouddhisme ?
1a Les fondements du bouddhisme
« Le sermon de Bénarès, alors prononcé par le Bouddha (après son expérience d’une radicalité absolue vécue au pied de l’arbre Bodhi,
ou arbre de l’illumination), nous donne l’essentiel des quatre nobles vérités, référence indéfectible de tous les bouddhistes de par le
monde. Résumons-les : tous les êtres sont aux prises avec les multiples formes de la souffrance ; en réagissant sans cesse par la
soif, la passion et l’aversion, à un monde dont ils ignorent le caractère impermanent, ils s’enchaînent indéfiniment au cycle des
naissances et des morts ; afin d’échapper à ce cycle, il faut mettre un terme sans appel à ces réactions désordonnées ; c’est la libération
définitive à laquelle conduit la mise en pratique du chemin octuple, voie spirituelle intégrant morale, méditation et sagesse.
L’illumination (libération) peut se produire subitement ou se mettre en place graduellement sur plusieurs décennies. Les écoles
subitistes et gradualistes coexistent ou s’opposent. Le rapport réciproque de l’étude des sutras (écrits dans lesquels sont retranscrits les
paroles du bouddha et ses différents enseignements) à la pratique de la méditation donne également lieu à différentes interprétations.
Primat de l’étude ? Primat de la méditation ? De grandes figures monastiques ont proposé des synthèses intégrant harmonieusement ces
différents paramètres. La pratique de la méditation y occupe toujours une place centrale ». (p.79-80)
1b Méditer ou pratiquer le « zazen »
« Une séance de pratique du zen s’appelle une « assise ». Elle peut se faire seul ou à plusieurs. Elle dure une période de temps
prédéterminée, variant généralement d’une trentaine de minutes à une heure. Chacun s’assoit dans un position qui se rapproche de celle
du lotus, dos droit et yeux mi-clos ou fermés, et reste aussi immobile que possible jusqu’à l’écoulement du temps fixé. Pendant le
temps de l’assise, suivant les traditions et le point où l’on en est, on peut fixer son attention soit sur sa respiration, de préférence
abdominale, soit sur ses sensations physiques. Dans certaines écoles du bouddhisme mahayana, le maître peut proposer une énigme :
le koan, paradoxe qui ne peut se résoudre qu’avec l’intuition. Le méditant a pour consigne de ne penser qu’à l’objet qui a été proposé à
son attention. L’observation impartiale de ce qui se passe est de rigueur. La fin de chaque assise est suivie de quelques minutes de
pause. On peut méditer ainsi plusieurs heures par jour pendant plusieurs jours. Une telle retraite s’appelle un sessbin. Il existe toutes
sortes de formules, de durée et d’intensité variables... Le travail se fait toujours sous la surveillance d’un maître. On peut dire que tout
l’effort de l’assise se résume simplement à « être là » (p. 80-81).
1c Que se passe-t-il pendant le « zazen » (méditation) ?
« « Etre là » peut se révéler extrêmement difficile. Douleurs physiques d’intensité variable. Esprit qui s’agite en roulant tour à tour
vers le passé et vers l’avenir. Venant des profondeurs de l’inconscient, interminable émergence, dans le champ de la conscience, des
innombrables conflits de toute sorte lentement accumulés au fil de l’existence. Une seule et unique chose à faire : observer soit son
souffle, soit ses sensations, soit ses pensées, de façon impartiale, sans la moindre trace de passion ou d’aversion. Il y a toujours un
lien entre le contenu des pensées, le rythme respiratoire et les sensations physiques. Petit à petit, au terme d’un temps de décantation de
durée variable, la paix insondable de l’ « être là » peut commencer à sourdre des profondeurs. Souvent, il faut entendre que l’assise soit
terminée pour en éprouver les bienfaits. » (p. 81)
2 - Le chrétien face au bouddhisme
2a Point de vue chrétien sur l’illumination
« Prise dans le contexte d’un monde où la révélation définitive de l’absolu dans le temps est totalement inconcevable, la voie de
libération élaborée par le Bouddha est le fruit d’un effort tout a fait extraordinaire, peut-être le plus remarquable de l’histoire humaine :
celui d’un homme se hissant à mains nues jusqu’à l’ultime fondement de toutes choses.
Prise dans le contexte de l’avènement de Jésus-Christ, cette voie propose une expérience radicalement différente de la nôtre… Le
chrétien est celui qui, sans jamais cesser d’être une personne, fait par, avec et en Jésus-Christ – Fils de Dieu, unique médiateur , l’expérience fondamentale de son union avec l’Absolu ; c’est-à-dire de sa propre filiation divine. Suivant une telle définition, il
est théoriquement impossible à une conscience authentiquement christianisée de faire l’expérience de l’Absolu proposée par le
bouddhisme. Qu’en est-il au plan pratique ? La négation de la réalité de tout ce qui existe, inhérente à la quête de l’illumination, bien
qu’ayant comme ultime finalité le détachement total du monde, ne peut-elle pas aussi permettre au chrétien de retrouver à leur
juste place respective, au terme de l’expérience, le monde et le soi dont la réalité a été niée dans un premier temps ? » (p.82)
2b Bienfaits du « zazen » (méditation) pour un chrétien
Le P. B. SENECAL analyse longuement les conséquences positives et négatives que peut avoir, pour un chrétien, la pratique du
« zazen ». Comme lecteur de son livre et habitué de l’expérience de moments « d’immobilité » (associée au « moment présent » et à
« l’ici et le maintenant ») depuis plusieurs dizaines d’années à la suite de la lecture de l’abondante littérature sur le Yoga, le Zen et
autres pratiques connues en Asie, j’en retiendrai l’essentiel.
« Il est possible d’énumérer les nombreux bienfaits qui, au cœur même de cette crise (risque de perdre contact avec l’Eglise et JésusChrist), peuvent pourtant déjà découler de la pratique du zazen : paix profonde, présence à soi, aux autres et au monde ; « être là »
sans raisonnement inutiles ; augmentation de la capacité de concentration et donc de l’efficacité dans le travail ; réduction du
besoin de sommeil ; augmentation de l’aptitude à percevoir l’essentiel par un discernement devenu plus intuitif. La pratique du
zazen révèle aussi les limites d’une prière chrétienne souvent vécue de façon trop cérébrale. Cependant, nous sommes encore fort loin
d’un profond sentiment d’unification de toute la vie intérieure. » (p. 85)
2c Cependant des difficultés !
« Quelques bienfaits éprouvés sur le plan existentiel certes, mais accompagnés de sérieux problèmes de compatibilité doctrinale.
Cependant, nous avons dit aussi que cette nouvelle expérience religieuse paraissait pouvoir se suffire à elle-même, indépendamment de
la foi au Christ…
Une autre solution se dessine du côté de l’attente pleine d’espérance, dans la nuit de la foi, jusqu’à ce qu’une nouvelle expérience du
mystère, sous forme de consolation sans cause par exemple (« lorsque rien ne s’offre ni à nos sens, ni à notre intelligence, ni à notre
volonté qui puisse par soi-même causer une consolation de ce genre », Exercices n°330), appelle un nouveau discours. Mais, entre le
moment fugitif où son éclair se produit, dans la nuit, et le moment où elle pourra s’énoncer durablement, dans la chair, le temps d’une
gestation s’impose. Temps de patience, douloureux par instants, et de durée indéterminée. Les spiritualités de l’abandon à la divine
providence (J.-P. de Caussade : l’Abandon à la Providence divine) aident beaucoup à traverser ces moments de marche dans
l’obscurité. » (p. 86-87)
2d Le « devenir disciple »
Le P. B. SENECAL est bien convaincu qu’il faut « proscrire, sans appel, toute tentative cherchant à mettre bout à bout, par construction
intellectuelle, des systèmes de pensées issus d’univers religieux différents » (p. 86) Ensuite, il poursuit l’étude de diverses tentatives de
dialogue entre les religions. Il montre comment, dans un premier temps, la foi en Dieu est gardée, et dans un deuxième temps, la
foi en Jésus-Christ fils de Dieu reprend toute sa place. En aucun cas, la foi ne peut être mise de côté. Il précise aussi qu’il convient
de lire l’Evangile comme un tout ou comme un ensemble centré autour du texte de Marc 1, 17 : « Venez derrière moi ! Je vous ferai
devenir pêcheurs d’hommes ou je vous ferai pêcher des hommes. » Ce qui veut dire : « Soyez mes disciples ! ». « Au cœur de cette
structure, le « devenir disciple » de ceux qui, en réponse à son appel, s’engagent à la suite de Jésus de Nazareth, est caractérisé par une
double et incessante tâche d’identification : l’identifier comme Christ et Fils de Dieu, et devenir comme lui afin d’entrer dans le
partage de sa mission… » (p. 114-115)
3 - Quelle rencontre possible ?
3a La rencontre entre bouddhisme et christianisme
« Cette rencontre ne saurait se vivre en vérité sans un enracinement profond dans l’expérience personnelle du mystère du
Christ. C’est donc la mystique qui constitue le terrain ultime de la rencontre entre bouddhistes et chrétiens. Moyennant un certains
nombre d’adaptations… les Exercices spirituels de S. Ignace peuvent offrir un tel point d’ancrage…
Certains demandent ce qui autorise ce type d’intégration de la dynamique du zen à celle des Exercices. Essayons donc maintenant de
leur montrer comment, au contact du Bouddha et du Christ, nous en sommes progressivement arrivé à concevoir le « Jésus en zazen »
qui sous-tend une démarche pastorale…». (p.140-141)
3b Attention ! Précautions !
« Attention cependant ! Il ne s’agit aucunement de sombrer dans le redoutable piège qui consisterait, pour ce faire, à détacher le Christ
du contexte de la tradition chrétienne ; il s’agit, bien au contraire, en s’appuyant fermement sur le meilleur de notre tradition, d’aller à la
rencontre du Bouddha et de la sienne.
L’Evangile n’est-il pas, en effet, porteur d’une extraordinaire dynamique de rencontre de l’autre, hors de quoi il ne saurait être
question de parler de disciple de Jésus ? Car c’est la rencontre qui, faisant bouger et en transformant, provoque l’approfondissement
de la conversion au mystère de Jésus-Christ-Fils de Dieu, conversion qu’est sans cesse appelé à vivre celui qui entend mettre ses pas
dans ceux de Jésus (« être disciple »). Nous ne nous intéresserons qu’à l’aspect le plus essentiel de la conversion à laquelle se trouve
appelé un chrétien au contact du bouddhisme : par la redécouverte de la prière du Christ, le renouvellement en profondeur de « la
marche à sa suite » ou du « devenir disciple de Jésus-Christ ». (p. 143)
3c La prière de Jésus-Christ
« Comment Jésus priait-il dans le secret ? Bien que l’Evangile ne nous dise pratiquement rien des formes de méditation ou de
contemplation employées par Jésus, il nous est permis de penser que sa prière était le lieu où, dans une relation de parfaite
communion à son Père, il puisait le dynamisme nécessaire à son action de Fils envoyé parmi les hommes. D’un point de vue chrétien,
l’horizon de l’illumination peut donc être défini comme l’accession au partage de la conscience filiale de Jésus-Christ. Cependant,
l’imprécision à peu près complète dans laquelle nous a laissés l’Evangile, non quant à l’esprit mais quant aux méthodes employées, n’at-elle pas invité toute la tradition chrétienne, aujourd’hui comme hier, à inventer ? Il y a certes en Occident de nombreuses écoles de
prière, mais le dynamisme de l’Evangile ne nous presse-t-il pas toujours, sans pour autant faire fi de cet inestimable acquis, d’aller à la
rencontre des religions des nations ? Ce faisant, à partir du moment où la visée, telle que nous l’avons définie, est devenue parfaitement
claire, dans quelle mesure ne sommes-nous pas autorisés à nous inspirer, avec toute la prudence et le discernement que cela
exige, de pratiques qui nous viennent d’autres grandes traditions religieuses de l’humanité et du zazen en particulier ? » (p. 144)
4 - Exercices Spirituels et zazen
4a La prière du chrétien
Le P. B. Senécal, après avoir présenté diverses expériences d’association des méthodes, met en garde contre une présentation
simplificatrice ou même « caricaturale » de la distinction entre la méditation chrétienne et la méditation bouddhiste : « la distinction des
deux formes de méditation est plus subtile ». Il ne faut pas dire que la méditation bouddhiste est seulement un « processus de négation
du monde » ni que la méditation ignatienne, par exemple, qui part d’un objet… ne peut pas atteindre l’union ou suppression de la
tension objet-sujet comme cela peut se produire dans la « consolation sans cause ».
« La découverte progressive et la « rumination », par le retraitant, du verset évangélique exprimant au mieux le mystère du
Christ dans sa vie (comme cela se fait dans « zazen »), peut l’aider beaucoup à trouver l’équilibre qui lui convient entre parole et
non-parole. La synthèse des exercices de type ignatien et du zazen, deux formes de méditation, chacune complète en soi et axées sur
des visées apparemment aussi contradictoires que le « penser » et le « non-penser », ne saurait absolument pas s’obtenir à l’arraché.
Cela dit, à tout moment, c’est la dynamique des Exercices, mise au service de celle, plus fondamentale, de la Parole de Dieu, qui préside
au déroulement de l’expérience ; la dynamique zen intervient donc en synergie pour favoriser l’approfondissement de la double
circularité des Exercices et de l’Evangile ; cela signifie, bien sûr, qu’il y a christianisation du zen. » (p. 152)
4b « Ruminer » la Parole de Jésus…
Le P. B. Senécal fait encore des recommandations pour ne pas se méprendre dans l’expression d’une expérience « intégrant la
dynamique du zen à celle des Exercices de S Ignace de Loyola ». Il constate que le langage a des limites dans ce domaine : « Ce sont,
nous dit Thérèse d’Avila, trois choses différentes : d’avoir une faveur de Dieu, de le savoir et de pouvoir en parler. N’est-ce pas autre
chose encore que pouvoir l’écrire et la relire ? » (p.161). Le lire, le dire, l’écrire et le relire sont étroitement liés au contexte
religieux et culturel, dans lequel nous vivons. Il faut donc passer par un « assainissement de notre rapport à l’Ecriture », c’est-àdire de la manière de la lire « par pièces détachées », pour la lire en « une lecture continue respectant l’unité de chacun de ses
récits. Au terme de ce travail, nous avions retrouvé Jésus de Nazareth, l’homme historique, son corps si l’on peut dire, et avec lui toute
la dynamique du « devenir-son-disciple » ; devenir qui ne correspond pas à autre chose qu’à devenir soi-même corps du Christ… » De
même que rechercher l’illumination prépare « à devenir-Bouddha », de même « ruminer » la Parole de Jésus prépare « à devenir corps
du Christ » ou, en d’autres termes : sa Parole. (162)
4c « L’itinéraire de la parole libre… »
« L’expérience spirituelle à l’état pur est une vue de l’esprit n’ayant aucune réalité en soi. Toute expérience spirituelle est
intimement liée à un ensemble de structures psychiques, culturelles, sociales et religieuses auxquelles correspond un discours. «Au cœur
même du rapport immédiat à Dieu, nous ne sommes pas affranchis de nos conditionnements historiques, et ce sont eux qui se font sentir
dès que la conscience est sortie de l’Instant ineffable. Il faut même dire que cet instant n’est traduit dans et par la conscience réfléchie
qu’au moyen du matériau psychique propre à l’être humain : il peut être purifié ou libéré de certaines contingences, mais il peut être
également – et il l’est au moins en partie – grevé par ces contingences. Une expérience mystique, même très authentique, est
toujours vécue réflexivement et interprétée selon une culture et dans le cadre d’une époque ; ce qui explique que les saints restent
de leur époque et en épousent parfois les préjugés et les aberrations, même quand à la pointe d’eux-mêmes ils ont émergé dans
l’éternel ». (E. Pousset, La vie dans la foi et la liberté….). Même lorsqu’il s’agit du sommet de l’expérience mystique, le discours
précède et suit le jaillissement de l’Origine. Il est, dirions-nous, le siège de son envol et le lieu de son retour. Comment le surgissement
de l’Absolu pourrait-il être concevable hors de l’histoire d’une fidélité simple se nouant au fil de l’existence, tissée d’événements et de
rencontres qui, précisément, l’appellent et peut-être même le suscitent ? Et si, dans l’expérience spirituelle qualifiée de « pratique », le
jaillissement de l’Origine paraît premier, a l’initiative en quelque sorte, c’est toujours, pour reprendre les mots de notre définition de la
mystique, comme «secret de la naissance de la parole libre ». Selon H. Laux, l’auteur de cette définition, la mystique ainsi comprise
désigne, comme catégorie, une certaine dimension de la philosophie de la foi, un tiers concept qui, à titre d’indice de l’engendrement
de cette parole libre, se trouve aussi bien en l’une qu’en l’autre ? N’est-ce pas ainsi que le Verbe se fait chair ? ». (p.167-168)
4d Retour au dynamisme de l’Evangile
« Le dynamisme des Exercices, compris comme se déduisant de celui de l’Ecriture, et ainsi mis au service de l’Evangile, constitue donc,
en mettant à l’abri d’un stérile face à face avec l’imaginaire, un solide contexte pour la pratique d’un zen chrétien. Il faut cependant,
pour affiner, simplifier et unifier ce contexte, et donc le rapport discours-expérience qu’il contient, développer au maximum tous les
points de convergence existant entre dynamique zen, ignatienne et évangélique. On peut, par exemple, démontrer combien la
posture de l’assise, l’immobilité qu’elle exige et les contraintes physiques qui en découlent, s’intègrent harmonieusement au
développement de l’attitude du fondement, ou à l’accueil de la grâce qui lui correspond ; grâce d’autant plus fondamentale
qu’elle traverse tous les Exercices, du début à la fin… De tels développements, en vue d’adapter le zen à un discours chrétien, nous
permettent de disposer d’une pédagogie spirituelle souple intégrant l’interaction constante des dynamiques zen et ignatienne, au service
de la lecture, de la méditation et de la contemplation d’un récit évangélique ; au profit, donc, d’une connaissance toujours plus grande
du mystère du Christ. » (187)
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