La presse en France en 2006 (J.

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La presse française en 2006
A)
Une première impression d'abondance et de
diversité
Imaginons que je commence par vous donner ces chiffres :
4218 « titres », un chiffre d’affaires de plus de 10 milliards
d’euros, 200.000 emplois directs ou indirects, 9 milliards
d’exemplaires vendus par an, j’imagine que vous serez
admiratifs. Plusieurs centaines de titres nouveaux par an (mais
autant de disparitions après quelques années ou quelques
semaines)
Et pourtant :
B) La réalité est beaucoup plus contrastée.
- Les divers médias ne cessent de nous entretenir des
difficultés financières que rencontrent de nombreux journaux
ou magazines.
- Quant ils ne disparaissent pas – ou pour éviter qu’ils ne
disparaissent, on annonce, ici et là, de nombreux
« dégraissages » ou des « plans sociaux » dans les rédactions.
Par ailleurs, de nombreux journalistes sont au chômage.
- Les kiosques, où l’on vend les journaux, sont de moins en
moins nombreux dans les rues des grandes villes. Le métier
de kiosquier est très pénible et très peu rémunérateur.
- Forte concurrence des journaux gratuits à Paris et dans
métropoles régionales
C) La situation est très différente en fonction du type de
presse.
- C’est la presse quotidienne nationale qui connaît les difficultés
les visibles (-2,1%).
- Les magazines connaissent également une baisse de diffusion
(_2,8%) particulièrement inquiétante compte tenu de
l'augmentation constante de leurs coûts de fonctionnement et de
fabrication.
- Longtemps champions absolus de la diffusion, les magazines
de télévision et les « féminins » connaissent une baisse
significative de leurs ventes en 2006.
- Quant à la presse spécialisée - en fonction de sa spécialisation elle tire mieux son épingle du jeu, mais certaines réussites ont
tendance à masquer les difficultés du secteur.
D) La presse quotidienne nationale et ses titres.
14 titres se partagent le marché:
(par ordre de diffusion décroissante) de 500.000 exemplaires à
moins de 50.000 ex.
L'Equipe.
Unique « quotidien » spécialisé dans le sport, ce journal est
depuis des décennies le journal le plus lu dans tous les milieux.
Le Parisien-Aujourd'hui. Longtemps considéré comme le
journal des « commères et des concierges », il est spécialisé dans
les faits divers et les « nouvelles de proximité ». Une
spécialisation qui fait sa force, mais qui lui coûte très cher.
Le Monde. "C'est un journal dont on renonce à faire l'éloge, de
crainte que, non sans raison, il ne le trouve insuffisant". Angélo
Rinaldi, de l'Académie Française.
«Avec LeFigaro, il s’agit, comme l’a dit Raymond Aron, « des
deux pôles extrêmes de la pensée française non communiste ».
Le Figaro* C'est "le directeur de conscience de la
bourgeoisie française", selon Jean d'Ormesson, de l’Académie
française et ancien directeur de ce quotidien..
Un journal dont 43,4% des lecteurs ont plus de 60 ans, et ne
parvient pas à gagner un lectorat plus jeune.
Libération Ce journal, créé par d’anciens gauchistes de « mai
68 », connaît des difficultés très importantes qui ont nécessité de
nombreuses recapitalisations entreprises sous la direction du
banquier Edmond de Rotschild. La dernière vient d’entraîner la
démission de Serge July, son patron historique.
Les Echos. Quotidien économique qui intéresse les cadres et les
patrons.
France Soir
*Jusqu'aux années 1970, ce journal, que dirige alors Pierre
Lazareff, vend plus d'un million d'exemplaires tous les jours.
En 2006, le quotidien ne vend plus en moyenne que 60.000
exemplaires tous les jours et accuse 450.000 euros de pertes tous
les mois. Des repreneurs apparaissent régulièrement.
La Tribune. Quotidien économique qui intéresse les cadres et
les patrons.
L'Humanité. C'est le dernier survivant de la presse
communiste qui, à la fin de la seconde guerre mondiale,
comprenait 16 quotidiens, 82 hebdomadaires et 28 revues et
périodiques. Ce journal, fondé par Jean Jaures. Connaît de
grosses difficultés financières dues à la chute considérable de sa
diffusion. 45 millions de francs de déficit annuel et 50 millions
de francs de dettes (2000-2001). Son capital a du s’ouvrir à des
financiers extérieurs sans apporter de véritable résurrection.
La presse catholique, elle aussi, voit son lectorat diminuer
progressivement :
le quotidien La Croix, les magazines La Vie (ex La Vie
catholique) et Le Pélerin ont perdu près du tiers de leurs
lecteurs depuis 1999.
Le Journal du dimanche (hebdo mais au "format quotidien")
« Il nous a toujours coûté de l’argent, explique son propriétaire,
mais nous le gardons car il est leader sur son marché ».
Paris Turf (pronostics hippiques et résultats des courses).
Présent (catholiques intégristes) Marginal tant par son
positionnement politique que par son tirage.
Malgré l'extrême difficulté à faire apparaître des titres nouveaux
dans le domaine de la PQN, deux quotidiens gratuits sont
apparus à Paris et dans certaines grandes villes, en régions : le
suédois Métro et le norvégien 20 minutes.
Présents depuis plus de deux ans, ils affirment distribuer plus de
350.000 exemplaires, pour Métro et 450.000, pour 20 minutes
(à Paris), et avoir (presque ?) atteint leur seuil de rentabilité.
E) La presse quotidienne régionale
- Elle subit également une érosion mais de moindre
importance.
Malgré l'importance de son "ancrage" local et régional
Les principaux titres du marché :
(par ordre de diffusion décroissante de 800.000 ex. à 150.000
ex.)
Ouest France
La Voix du Nord
Sud Ouest
Le progrès de Lyon
Le Dauphiné Liberé
La Nouvelle République du Centre Ouest
Nice Matin
La Montagne
L'Est Républicain
La Dépêche du Midi
Le Bien Public. Quotidien de Dijon, créé par Lamartine et né en
1868. Tire à 60.000 ex. Et emploie 50 journalistes.
- appartiennent à des groupes financiers solides
- ancrage régionnal fort
- traitent de sujets de « proximité », ce qui fait leur spécificité et
leur force. (éditions locales)
- bénéficient de petites annonces et d’annonces légales
- bénéficient également d’habitudes de lecture encore fortes hors
des grandes villes (+ curiosité)
- MAIS leur lectorat est vieillissant.
F) Les News magazines
(L’Express, Le Point, Le Nouvel Observateur)
Ce sont de grosses « pompes à pub ».
Diffusent un prêt a penser politique pour de jeunes cadres à plus
ou moins forts revenus
Ecrivent ce qu’il faut penser, lire et voir pour briller dans les
conversations du week-end.
G) L'économie de la presse.
a) les produits (ce qui rapporte de l'argent)
Les ventes (au numéro) en kiosque.
- la publicité (un ratio "rédaction/pub" variable d'un titre à
l'autre). Faute de lecteurs, les journaux sont tentés d'accpter plus
de pages de publicité pour équilibrer leur budget. Mais moins un
journal a de lecteurs moins les publicitaires sont tentés de
l'utiliser comme support pour leurs campagnes publicitaires.
*Un cas unique de journal sans pub : Le Canard enchaîné.
- les abonnements (campagnes d’abonnements richement dotées)
- les petites annonces et/ou les « annonces légales »
- la distribution d'exemplaires – gratuits, par exemple dans les
avions. (Certes, elle ne rapporte rien, mais elle s'ajoute à la
distribution payée dans le calcul de la distribution totale ; un
chiffre très apprécié des publicitaires)
- les aides gouvernementales à la presse : aides directes à la
pluralité d'opinion ou fiscales sous forme de subventions, de
baisses de taxes (TVA) ou de tarifs postaux avantageux.
b) les charges (ce qui coûte de l'argent)
- le papier (de plus en plus cher et « écologiquement incorrect »)
- l'impression (de plus en plus chère)
- la photogravure (de plus en plus chère)
- les salaires, charges et impôts divers (en augmentation
constante. Poids des syndicats des techniciens – "le syndicat du
Livre" - et des journalistes)
- la distribution (NMPP)
H) Le modèle économique de la presse est en crise.
- le prix au numéro (des quotidiens) est jugé trop cher (de 90
cents à 1 euro30, pour Le Monde)
- les lecteurs fidèles à un seul titre disparaissent.
- de moins en moins de lecteurs lisent un quotidien tous les
jours.
- les Français lisent de moins en moins en général et les jeunes
tout particulièrement. (faible renouvellement du lectorat)
- la concurrence des autres médias (radio, TV, Internet) est très
sensible
- le temps consacré à la lecture des journaux se heurte à la une
forte concurrence au sein du "temps disponible pour les loisirs".
- de plus en plus rares sont les lecteurs qui lisent intégralement
leur quotidien. Ou même la plus grande partie de celui-ci.
- les annonceurs publicitaires choisissent de plus en plus
l'affichage, la publicité directe (prospectus), la télévision, le
cinéma, et maintenant, Internet, (en progression constante) pour
véhiculer leurs messages et leurs campagnes.
- l'habitude et le piège de la gratuité provoqué par l'usage
d'internet et la présence de la presse gratuite.
I) Les réponses à la crise
Pour répondre à cette crise, les éditeurs de journaux et de
magazines ont mis en place diverses mesures :
- des campagnes d’abonnements avec des cadeaux (appareils
photos numériques, téléphones, assistants personnels..)
- la vente au numéro avec un film en DVD (ou une
encyclopédie) pour le numéro du week end. Tout cela est
payant, mais destiné à "fidéliser le lecteur")
- la mise en place de services sur internet (présentation de la
« une » et des articles les plus importants. Archives.
- la mise en place de suppléments divers (bourse, livres,
télévision, mode, économie, spectacles et programmes de la
télévision..) pour tenter de fidéliser le lecteur tout au long
de la semaine.
- La réorganisation des services du média afin d’en réduire
les coûts.
- En dernier recours, des recapitalisations (apport d’argent
frais de la part d’actionnaires nouveaux).
MAIS il s’agit là de consolidations d’entreprises en crise ou qui
le seront un jour ou l’autre.
- les secteurs en crise
La presse quotidienne (nationale plus que régionnale), la presse
magazine féminine et celle spécialisée dans la télévision et ses
programmes, principalement.
J) Mais il existe encore des raisons sociologiques à cette
situation.
- l'attrait de l'instantanéité. La presse écrite avait souffert de
l'arrivée des radios et de la télévision. Elle souffre et souffrira
encore plus dans les années à venir, de la concurrence de
l'information diffusée sur internet. (flux RSS, blogs)
- l’attrait de la gratuité, favorisé par l’arrivée des journaux
distribués gratuitement sur la voir publique, et la progression de
l’utilisation d’internet.
- la presse était jusqu’à ces dernières années "segmentée" en
fonction des opinions politiques de ses lecteurs (gauche,
droite, centre…). Constatons que si le clivage gauche/droite
est toujours présent dans la société française - d'autres
clivages
s'imposent
désormais
:
partisans
du
marché/opposants au marché, partisans du libéralisme ou
adversaires, écologistes et leurs très nombreuses chapelles,
partisans ou adversaires du traité constitutionnel européen,
par exemple ; des clivages, qui chassent la vieille bipolarité
pour donner naissance à un véritable éclatement des
polarités. Sur les diverses questions soumises au débat
-
-
-
-
politique, les majorités d'idées - au coup par coup - tendent
à remplacer les vieilles classifications politiciennes.
Tout cela fait que de plus en plus de lecteurs "se
reconnaissent de moins en moins" dans le clivage politique
traditionnel et dans les journaux qui les portent.
Ajoutons de plus que les grands médias nationaux ou
régionaux sont des « généralistes » qui traitent dans un
même numéro de sujets aussi divers que la politique
nationale ou internationale, les faits divers, le sport et les
loisirs.
Le lecteur de ce début de siècle ne veut plus savoir « un peu
de tout », mais « tout » sur ce qui l’intéresse. Ce que seul
un média hyper spécialisé peut faire.
De plus, ce lecteur veut avoir son information « en temps
réel ».
Enfin, il ne se contente plus d'être un lecteur passif, il veut
être le partenaire d’un processus d’information interactive.
Il veut réagir et diffuser sa réaction. Une réaction qui en
entraînera d’autres de la part d’autres lecteurs.
K) Devant cette demande nouvelle d’informations quasi
instantanées et hyper spécialisées, une demande incompatible
avec le modèle économique traditionnel, je crois fortement à la
création et au développement des medias en ligne.
Devant la demande de medias interactifs, je crois également à la
création de blogs.
S’il fallait une preuve de la validité de mon raisonnement,
j’indiquerais que :
- le nombre d’internautes connectés chaque jour aux sites
fournissant des informations plus ou moins spécialisées sur
l’actualité – en France comme en Europe ou dans les monde
industrialisé - ne cesse de croître d’une manière quasi
exponentielle.
- les sites et blogs liés aux très prochaines élections
présidentielles sont légion, et de très nombreuses informations
en provenance des candidats, sont d’abord publiées sur leurs
sites officiels.
- toutes les écoles de journalisme forment désormais leurs
étudiants à la création et à la pratique des « médias en ligne ».
Il reste trois questions :
- Quel sera le nouveau modèle économique de ces médias ?
- Quelle part les médias internet prendront-ils dans le paysage et
comment évolueront les parts de marché entre les chaînes de
télévisions, les radios, la presse écrite et internet ?
- Comment le lecteur arrivera-t-il a gérer la profusion des
informations et des images souvent insuffisamment vérifiées et
mises en perspective ?
En conclusion, je ne suis pas en train de vous annoncer la mort
de la presse, ni celle de l’écrit, mais la (lente ?) disparition du
support papier. Ainsi que la multiplication des sites et des blogs
sur internet qui remplaceront vite les principaux médias
d’information que nous connaissons actuellement.
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