Le point actuel sur la thyroglobuline.

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A. Charrié
Le point actuel sur la thyroglobuline.
Laboratoire de Techniques Nucléaires et Biophysiques
Centre Hospitalier Lyon Sud - Pierre-Bénite
Anne Charrié
Résumé
La thyroglobuline, protéine précurseur de la synthèse des hormones thyroïdiennes est
détectable au niveau sérique. Son dosage est un vrai challenge. Les techniques actuelles, pour la
plupart immunométriques, n’ont pas toutes les qualités requises, ce qui rend difficile l’interprétation des résultats de thyroglobuline. Il existe une grande variabilité interlaboratoires en partie liée
à l’absence de standard international, mais aussi à la grande hétérogénéité de la molécule de
thyroglobuline ce qui retentit sur son immunoréactivité. La limite de détection, la reproductibilité
interséries, la possibilité d’un effet crochet sont d’autres caractéristiques à tester. Le problème
majeur reste l’interférence due aux autoanticorps antithyroglobuline. Ils induisent une sousestimation des concentrations de thyroglobuline par ces méthodes immunométriques. Aucune
méthode actuelle de dosage n’est totalement exempte de cette interférence. Il est donc recommandé de doser systématiquement les anticorps antithyroglobuline, en parallèle du dosage de
thyroglobuline, à l’aide d’une méthode sensible. Les tests de récupération doivent être éliminés.
L’interprétation des résultats de dosage de thyroglobuline doit tenir compte de l’état thyroïdien du
sujet, de la masse de tissu thyroïdien et de la stimulation du récepteur à TSH.
Thyroglobuline sérique / Dosage / Interférence / Anticorps antithyroglobuline / Caractéristiques techniques
STRUCTURE
ðGlycoprotéine de haut poids moléculaire (660 kDa) et de coefficient
de sédimentation 19S, la thyroglobuline est constituée de 2 sous-unités
identiques liées par des ponts disulfures et de 2 750 acides aminés cha-
cune. Les 2 chaînes polypeptidiques
sont identiques au moment de leur
synthèse puis subissent des modifications du type glycosylations, phosphorylations, iodations.
La thyroglobuline (Tg) est stockée
dans la lumière folliculaire où elle
constitue 90 % des protéines de la
colloïde. Elle contient de l’iode sur
les résidus tyrosyls. Les sites d’iodations les plus précoces sont situés en
Figure 1
5 points bien précis (Figure
1). Il est
à noter que 44 % de la synthèse de T4
et 25 % de la synthèse de T3 sont réalisés au niveau du site Tyr5 (extrémité
N terminale). Plusieurs espèces de Tg
sont connues aujourd’hui, en particulier la Tg humaine et la Tg porcine
qui ont 77 % d’homologie.
Correspondance :Anne Charrié - Laboratoire de Techniques Nucléaires et Biophysiques - Centre Hospitalier Lyon Sud
69495 Pierre-Bénite Cedex
Tel. : 04 78 86 21 50 - Fax : 04 78 86 32 63 - E-mail : [email protected]
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Le point actuel sur la thyroglobuline
Figure 1 - Représentation schématique du monomère de hTg
D’après Y. Malthiér
y [1]
Malthiéry
ANTIGÈNE THYROÏDIEN
PROBLÈMES ANALYTIQUES
ðLa Tg est une protéine fortement antigénique. C’est le principal auto-antigène thyroïdien ; la fréquence des
auto-anticorps anti-Tg est importante.
La molécule exprime au moins 40
déterminants antigéniques ; une douzaine d’épitopes est bien identifiée,
6 ou 7 sont constants [1].
ðIls peuvent être classés en 5 items :
- différences de standardisation,
- sensibilité des techniques,
- reproductibilité interséries,
- présence de l’effet crochet,
- interférence par les auto-anticorps.
Les techniques classiques de l’immunologie (inhibition de liaison, réactivité croisée) ont permis de déterminer une carte épitopique de la molécule. La région centrale est majoritaiFigure 1
rement immunoréactive (Figure
1).
Standardisation
ðElle pose à l’heure actuelle encore
des problèmes qui peuvent en partie
expliquer les différences de résultats
notées sur les contrôles Probioqual
(Figure
2).
Figure 2
Les standards utilisés dans les différentes trousses de dosage sont extraits de tissu thyroïdien normal ou
pathologique. Selon les procédés de
fabrication, on peut s’attendre à une
certaine variabilité de composition en
iode, en sucres, en aminoacides entre les Tg des standards.
Un standard européen a été développé (CRM 457) ; disponible, il n’est
pas encore utilisé dans les trousses
de dosage de Tg [2]. Son utilisation
pourrait diminuer - selon les études de 40 à 20 % la variabilité des résultats de Tg d’une trousse à une autre.
Ce standard recommandé ne résout
cependant que partiellement les problèmes.
DOSAGE DE LA THYROGLOBULINE
ðA l’heure actuelle, il existe une
quinzaine de trousses sur le marché.
Elles sont de caractéristiques différentes et de qualités variables. A l’exception de quelques rares trousses de
dosage RIA, le marché international
est constitué essentiellement de
trousses de type sandwich avec marqueurs radioactifs, chimiluminescents et fluorescents.
Malgré l’amélioration des méthodes
due à l’utilisation des anticorps monoclonaux, il existe une grande dispersion des résultats.
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- Figure 2 Enquête Probioqual Décembre 2002
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Le standard idéal serait une préparation extraite du sang et non du tissu
thyroïdien comme c’est le cas actuellement. La forme circulante de la Tg
est pratiquement exclusivement la
forme dimérique produite par la thyroïde, de 660 kDa et de coefficient de
sédimentation 19S. Druetta et coll. [3]
ont montré qu’il n’y avait pas de
molécules de masse différente présente au niveau sanguin : la dispersion des enquêtes interlaboratoires
pourraient être dues à des différences de motifs antigéniques reconnus
sur la Tg : il existe une immuno-réactivité différente entre la Tg tissulaire
et la Tg sanguine. Ces différences
d’immunoréactivité seraient la con-
séquence du processus de sécrétion
de la Tg circulante. Trois hypothèses
Figure
de sécrétion ont été évoqués (Figure
3 ) [3]. Dans le cas d’une thyroïde
normale ou stimulée (maladie de
Basedow), la thyroglobuline fortement iodée située dans l’espace folliculaire clos réintègre le milieu
intracellulaire afin de libérer les hormones thyroïdiennes dans la circulation sanguine (par 2 mécanismes décrits : la macropinocytose et la micropinocytose). Il existe un transport
apico-basolatéral de Tg ou transcytose
de petites quantités variables de Tg
qui explique la présence physiologique de Tg dans le sérum. Dans le cas
de la thyroïdite subaigüe, après rup-
ture de certains follicules, il y a apparition de Tg dans la circulation directement sans passer par la cellule. Cette
Tg est identique à la Tg de la thyroïde.
Dans le troisième cas, il existe une
perturbation de l’organisation cellulaire (cancer) et la sécrétion de Tg est
directe, sans stockage. Les molécules
de Tg sont peu ou pas iodées. Dans
le cas du cancer, il existe une hétérogénéité en iode et en résidus glycosylés qui ont des effets sur la conformation de la molécule. Les anticorps
du dosage sont dirigés contre des
épitopes conformationnels. Ceci peut
expliquer que cette hétérogénéité
produise des réponses différentes
suivants les anticorps employés.
- Figure 3 Schéma hypothétique de la sécrétion de la thyroglobuline selon la situation de la thyroïde
(D’après L. Druetta)
Limite de détection
ðCe paramètre a une importance capitale pour :
- mieux déceler les résidus thyroïdiens post thyroïdectomie totale,
- déceler le plus précocement les résidus de cancer thyroïdien même
pour des patients sous freinage thyréotrope,
- déceler lors de l’administration de
TSH recombinante une augmentation
de Tg, signe de résidu ou de récidive.
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La limite de détection analytique indiquée par les fournisseurs de trousses n’est pas utilisable pour le suivi
des patients. Il faut utiliser la limite
de détection fonctionnelle définie
comme étant la plus faible concentration pouvant être mesurée de façon répétitive en reproductibilité
interessais avec un coefficient de variation de 20 %. Elle doit être définie
pour chaque trousse et étudiée sur
une durée suffisamment longue :13
séries minimum espacées sur 6 à 12
mois selon les critères de C. Spencer [4].
Mais les valeurs de cette limite de
détection fonctionnelle ne sont pas
comparables d’une trousse à une
autre si le standard de référence n’est
pas le même.
Pour la trousse de dosage actuelle
Schering Cis Biointernational (trousse
développée initialement par Sanofi
Pasteur [5]), la limite de détection
fonctionnelle déterminée avec les
critères de C. Spencer est de 1µg/L
Figure 4
(Figure
4) [6].
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- Figure 4 Détermination de la sensibilité fonctionnelle grâce au profil de précision.
(D’après P
i)
P.. Flor
Flori)
Reproductibilité interséries
Effet crochet
ðLe dosage de Tg lors du suivi des
cancers thyroïdiens différenciés est
généralement annuel ce qui justifie
une bonne reproductibilité d’une
année sur l’autre. Une mauvaise reproductibilité pourrait différer la détection de rechute de progression de
la maladie.
Les coefficients de variations en
interséries interlaboratoire sont inférieurs à 15 % (Probioqual) si l’on s’intéresse à des valeurs supérieures à 5
µg/L. Pour des valeurs inférieures à 5
µg/L, les coefficients de variation augmentent plus on se rapproche de la
sensibilité fonctionnelle pour atteindre alors 20 %. Cette constatation a
amené la réflexion suivante : substituer une reproductibilité intrasérie
toujours meilleure à la reproductibilité interséries (C. Spencer).
Ceci implique de conserver les sérums des patients à –20° C pour pouvoir les doser ultérieurement lorsqu’un nouveau prélèvement est réalisé de manière à effectuer les deux
dosages dans la même série.
ðCe phénomène existe comme dans
beaucoup de techniques immunométriques sandwich lorsque les domaines de concentration sont très
importants. L’effet crochet abaisse
faussement le résultat des dosages.
Dans certaines techniques en 1 étape,
l’effet crochet existe à partir de 300
µg/L.
Comment y remédier ?
- soit faire une dilution systématique
lors du dosage, ce qui augmente
significativement le coût du dosage.
- soit utiliser une technique en 2 étapes (avec incubation séquentielle des
réactifs et lavage) qui affranchit alors
du phénomène.
La fréquence des résultats de thyroglobuline très élevés est rare (de l’ordre de 3 à 4 % pour des valeurs supérieures à 500 µg/L), mais existe.
Interférence par les auto-anticorps
ðCe problème d’interférence dans
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les dosages de thyroglobuline est majeur, et non résolu à l’heure actuelle.
La prévalence des auto-anticorps antithyroglobuline est variable selon les
études : de 15 à 45 %, en particulier
chez des patients atteints de cancers
différenciés de la thyroïde. Cette variabilité dépend des méthodes de
détection. La variabilité d’affinité, la
quantité d’anticorps, la durée nécessaire pour que l’équilibre réactionnel
antigène-anticorps soit atteint font que
chaque méthodologie détecte une
certaine catégorie de molécules.Techniquement, les auto-anticorps interfèrent dans les méthodes sandwich soit
en empêchant la thyroglobuline de
se fixer aux anticorps de la phase
solide, soit en inhibant la liaison du
deuxième anticorps : l’anticorps marqué. Dans tous les cas la valeur de
thyroglobuline est faussement abaissée.
Comment prendre en compte ces
anticorps antithyroglobuline ?
Pour détecter le sens et l’importance
de cette interaction, un test de récupération ou test de surcharge est proposé dans certaines techniques. Il est
réalisé en additionnant de la thyro-
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globuline étalon à un échantillon de
sérum et en calculant le pourcentage
de thyroglobuline retrouvé. L’interprétation du test est très délicate :
- le pourcentage de récupération admis comme acceptable fluctue en
fonction des études et est compris
dans la fourchette de 70 à 130 % de la
quantité ajoutée. Le problème est que
ce pourcentage varie suivant les études et semble important,
- la quantité préconisée de thyroglobuline utilisée pour la surcharge n’est
pas définie,
- la thyroglobuline utilisée pour surcharger est différente de la thyroglobuline à doser donc les auto-anticorps
peuvent se lier à des épitopes différents de ceux de la thyroglobuline
du sérum,
- le temps d’incubation n’est pas suffisant pour que l’équilibre d’association antigène-anticorps soit atteint,
- il n’existe pas de corrélation entre
le titre des anticorps anti-thyroglobuline et un mauvais test de récupération.
En conclusion, le test de récupération tel qu’il est pratiqué à l’heure
actuelle ne peut servir de critère de
validation du dosage de thyroglobu-
line [7]. Il est actuellement déconseillé. En revanche, il est nécessaire
de doser les anticorps anti-thyroglobuline par une méthode suffisamment sensible (les méthodes par
hémagglutination sont à proscrire)
systématiquement lors du dosage de
la thyroglobuline.
INTERPRÉTATION DU DOSAGE
DE THYROGLOBULINE
Valeurs de référence
ðEtablies dans une population de sujets euthyroïdiens indemnes de toute
pathologie thyroïdienne n’ayant pas
d’anticorps anti-thyroïdiens, non fumeurs, elles vont de 3 à 40 µg/L. La
thyroglobuline est plus élevée chez
la femme enceinte. La palpation du
cou n’entraîne pas d’augmentation de
la thyroglobuline ; en revanche la
ponction à l’aiguille fine augmente les
valeurs de thyroglobuline.
La demie-vie de la thyroglobuline
sérique est de 2.7 jours.
Interprétation en fonction
de la pathologie
ðLe dosage de thyroglobuline est utilisé pour le suivi des cancers différenciés de la thyroïde. La thyroglobuline n’est pas un élément diagnostic
de cancer puisqu’elle signe la présence de tissu thyroïdien qu’il soit
sain ou pathologique. Son interprétation doit tenir compte du statut
thyroïdien du sujet [8] :
- thyroïdectomie totale suivie d’une
totalisation isotopique : dans ce cas
la thyroglobuline doit être indosable,
- chirurgie thyroïdienne partielle (lobectomie, loboisthmectomie) : on
surveille l’évolution de la thyroglobuline dosable.
Simultanément, les anticorps anti-thyroglobuline sont dosés. Après thyroïdectomie totale, les auto-anticorps se
négativent dans les mois ou années
qui suivent, pour ceux qui ne présentent pas de récidives. La présence ou
l’augmentation d’auto-anticorps antithyroglobuline à distance (plusieurs
années) reste un facteur de mauvais
pronostic et parfois le signe d’une
récidive.
Current status of thyroglobulin
Thyroglobulin, the precusor protein for thyroid synthesis is detectable in the serum. Its
assay is a real challenge. Current methods, most of them immunometric, don’t present all the
required qualities to enable a proper interpretation of thyroglobulin results. A great interlaboratory
variability exists party due to an absence of worldwide standardisation but also to an important
heterogeneity of the thyroglobulin molecule which has an incidence on its immunoreactivity.
Detection limit, between run precision, and a hook effect possibility are other characteristics which
have to be tested. The major problem lies in the interference due to thyroglobulin autoantibodies .
They lead to an underestimation of thyroglobulin concentrations through these immunometric
methods. No current thyroglobulin method is garanteed free from this interference. It is
recommanded to systematically assess autoantibodies at the same time as evaluating thyroglobulin
by a sensitive method. Recovery tests should be eliminated. Thyroglobulin interpretation should
take into account the thyroid status of the patient, the thyroid mass and the TSH receptor stimulation.
Serum thyroglobulin / Assay / Interference / Autoantibodies / Performance characteristics
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