Rituels et mise au monde psychique

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Rituels et
mise au monde psychique
Extrait de la publication
Collection Mille et un bébés
dirigée par Patrick Ben Soussan
Des bébés en mouvements, des bébés naissant à la pensée, des
bébés bien portés, bien-portants, compétents, des bébés malades, des
bébés handicapés, des bébés morts, remplacés, des bébés violentés,
agressés, exilés, des bébés observés, des bébés d’ici ou d’ailleurs, carencés ou éveillés culturellement, des bébés placés, abandonnés, adoptés
ou avec d’autres bébés, des bébés et leurs parents, les parents de leurs
parents, dans tous ces liens transgénérationnels qui se tissent, des
bébés et leur fratrie, des bébés imaginaires aux bébés merveilleux…
Voici les mille et un bébés que nous vous invitons à retrouver
dans les ouvrages de cette collection, tout entière consacrée au bébé,
dans sa famille et ses différents lieux d’accueil et de soins. Une collection ouverte à toutes les disciplines et à tous les courants de pensée,
constituée de petits livres – dans leur pagination, leur taille et leur
prix – qui ont de grandes ambitions : celle en tout cas de proposer des
textes d’auteurs, reconnus ou à découvrir, écrits dans un langage clair
et partageable, qui nous diront, à leur façon, singulière, ce monde
magique et déroutant de la petite enfance et leur rencontre, unique,
avec les tout-petits.
Mille et un bébés pour une collection qui, nous l’espérons, vous
donnera envie de penser, de rêver, de chercher, de comprendre,
d’aimer.
Retrouvez tous les titres parus sur
www.editions-eres.com
Rituels
et mise au monde psychique
Les nouvelles présentations au Temple
Joëlle Rochette
Préface de Georges Bailly-Salins
MIEUX
érès
Extrait de la publication
CONNAÎTRE LES BÉBÉS
Version PDF © Éditions érès 2012
- ISBNPDF : 978-2-7492-2321-6
Première édition © Éditions érès 2002
33 avenue Marcel-Dassault, 31500 Toulouse
ME
www.editions-eres.com
Extrait de la publication
Table des matières
PRÉFACE ......................................................................
INTRODUCTION ............................................................
Des naissances rituellement assistées aux nouvelles
présentation au Temple… ................................
Dans un foyer maternel : banale naissance ou
sacrée naissance ? ..............................................
L’observation, pour « écouter » le bébé-dans-ses-liens
On n’a rien inventé ! ..............................................
Et si les peintres de la Renaissance avaient tout dit
sur la périnatalité ! ............................................
Résumé du parcours ..............................................
L’HÉRITAGE CULTUREL
..................................................
Le groupe, société de naissance ..............................
L’enveloppe culturelle :
un berceau et un trousseau................................
Une mère en panne de rituel ..................................
Des mythes pour contenir et organiser
la vie fantasmatique autour du berceau ............
Rites de passage et transformations psychiques ......
9
13
13
14
17
18
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23
27
27
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47
LE DEVENIR MÈRE ........................................................
Un travail psychique ..............................................
Le continuum mère-bébé........................................
Le sentiment de détresse de Freud ..........................
Esther Bick et les anxiétés primitives ......................
De la dépendance absolue du bébé aux
expériences d’« outre-enfance » de sa mère ........
L’insoutenable dépendance du bébé ........................
Le « groupe interne » de la mère ............................
53
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56
57
59
61
65
LA PRÉSENTATION AU TEMPLE COMME POINT
D’ORGUE DE LA NAISSANCE PSYCHIQUE ..........................
67
Une allégorie de l’enfantement :
le récit de l’enfance ..........................................
L’iconographie, gisement d’imaginaire ....................
68
72
DE LA PRÉSENTATION AU TEMPLE À L’EXPÉRIENCE
D’UN GROUPE MÈRES-BÉBÉS EN FOYER MATERNEL ..........
Le dispositif et ses conditions ritualisantes :
retour à la clinique dans un foyer maternel ......
Contenir le chaos de la naissance :
l’observation, une médiation ? ..........................
Les participants comme représentants
du groupe interne de la mère ..........................
77
79
81
91
CONCLUSION ET PERSPECTIVES .................................... 101
BIBLIOGRAPHIE ............................................................ 105
Extrait de la publication
Aux trois bébés qui m’ont fait mère :
Quentin, Héloïse et Lancelot.
À Olivier.
À ma grand-mère Rosaria-Giovanna
qui m’a ouvert les portes des chapelles italiennes.
Aux fées au-dessus des berceaux…
Extrait de la publication
Préface
Naissance : bonheur, nouveauté, mais aussi angoisse, détresse.
Après beaucoup de banalisation ou d’idéalisation, les réalités
psychiques de la maternité nous apparaissent de façon plus juste,
inquiétantes et difficiles souvent, parfois intolérables. Au cœur de
cette période, la figure centrale de la mère qui devra, malgré ses
propres soucis, répondre aux besoins de l’enfant, contenir ses
angoisses et l’investir, l’humaniser.
Depuis toujours, et c’est le sens et l’utilité de beaucoup de
rituels sociaux auxquels s’intéresse Joëlle Rochette, la mère est
accompagnée, soutenue dans sa tâche par le groupe humain : le
père, mais aussi et tout autant d’autres hommes et d’autres
femmes, d’autres mères. Que sont devenus aujourd’hui ces rituels,
ces organisations étayantes nées d’une nécessité psychique de toujours ? N’ont-elles pas disparu avec l’organisation familiale couvrant plusieurs générations ? Ne sont-elles pas compromises par les
ruptures imposées par l’immigration et l’acculturation ?
Extrait de la publication
10
Rituels et mise au monde psychique
C’est le constat que fait l’auteur au début de son ouvrage, inspiré par son expérience de psychologue en centre maternel : la clinique (malheureusement bien contemporaine) qu’elle nous décrit
est une clinique de l’isolement du couple mère-bébé, où la fragilité
psychique de l’un comme de l’autre émerge, dans ces moments
pourtant essentiels pour l’avenir. Les divers « psys » qui s’impliquent dans ces prises en charge précoces seraient-ils les substituts de
ces organisations sociales défaillantes ? On peut le penser avec
Joëlle Rochette, d’autant plus que son analyse de ces mécanismes
sociaux d’étayage nous convainc : leur référence aux mythes, leur
organisation en rites culturels, leur appui sur plusieurs générations, la nécessité de leur continuité font apparaître la tâche des
soignants comme essentielle mais forcément partielle. D’où l’importance qu’ils sachent susciter l’invention de lieux « psychosociaux » aidants et étayants : l’exemple que développe Joëlle
Rochette du « groupe mère-bébé » du centre maternel, où s’unissent l’observation empathique et attentive du psychologue et la
liberté d’échange et de liens des mères entre elles me semble un
modèle.
Au-delà de ce thème du soutien groupal de la psyché maternelle, Joëlle Rochette aborde, de façon très originale, ce qu’elle
appelle « la présentation au Temple ». Sa formulation vient de la
référence à l’iconographie des peintres anciens, c’est le moment où
l’enfant est amené à d’autres, dévisagé et reconnu par des représentants du groupe social ou religieux. Elle a eu l’intuition de l’importance de ce moment où s’exprime la dynamique délicate mais
nécessaire de la position parentale : investir l’enfant, mais le laisser investir à son tour d’autres objets. (Cette Vierge qui tend les
Préface
11
bras vers l’Enfant porté par un prêtre vient-elle de le donner, ou
veut-elle le reprendre ?)
Il est probable en effet que, de la même façon que le groupe
externe réel « donne corps » à des imagos du groupe interne maternel et en apaise l’effet, laisser l’enfant investir d’autres personnes,
accepter de s’en dessaisir un temps pour ce commerce, lui donne la
possibilité de commencer à tisser une réalité psychique nouvelle, la
sienne.
Georges Bailly-Salins
Pédopsychiatre, psychothérapeute d’enfants
Extrait de la publication
Extrait de la publication
Introduction
« Rien de ce qui touche au maintien
et à la transmission de la vie n’est indemne du sacré. »
C. Parot, L’inconscient et le sacré, Paris, PUF, 2002.
Des naissances rituellement assistées
aux nouvelles présentations au Temple…
P
ourquoi appeler la dimension sacrée ou mythique
pour un livre qui, somme toute, se veut d’abord le
témoignage d’une expérience ?
Extrait de la publication
Introduction
« Rien de ce qui touche au maintien
et à la transmission de la vie n’est indemne du sacré. »
C. Parot, L’inconscient et le sacré, Paris, PUF, 2002.
Des naissances rituellement assistées
aux nouvelles présentations au Temple…
P
ourquoi appeler la dimension sacrée ou mythique
pour un livre qui, somme toute, se veut d’abord le
témoignage d’une expérience ?
Extrait de la publication
Introduction
« Rien de ce qui touche au maintien
et à la transmission de la vie n’est indemne du sacré. »
C. Parot, L’inconscient et le sacré, Paris, PUF, 2002.
Des naissances rituellement assistées
aux nouvelles présentations au Temple…
P
ourquoi appeler la dimension sacrée ou mythique
pour un livre qui, somme toute, se veut d’abord le
témoignage d’une expérience ?
Extrait de la publication
14
Rituels et mise au monde psychique
Dans un foyer maternel 1 :
banale naissance ou sacrée naissance ?
Engagée de longue date dans la périnatalité et particulièrement comme psychologue dans un foyer maternel, j’ai été
marquée par une étonnante banalisation de la naissance dans
ces collectivités hébergeant des femmes en difficulté sociale et
psychologique avec leur bébé. Ici rien de plus commun que
d’être enceinte, d’accoucher, de donner des soins à un nourrisson. Je vous invite à pénétrer dans ce foyer.
A J5 Doris revient de la maternité avec son bébé Paco. Comme
espace personnel, elle dispose d’une petite chambre avec une baignoire pour le bébé. Les repas se prennent en commun. Dès demain,
son bébé pourra aller à la halte-garderie du foyer. Une puéricultrice
est allée la chercher à la maternité, elle aide à l’installation dans la
chambre. Le lit du bébé dans un coin de la pièce est déjà prêt ; il faudra aller chercher le lait et les couches chez l’infirmière ; la porte se
referme. Doris, assise au bord du lit, écoute les bruits du couloir et
l’autre mère à travers la cloison. Un nouveau-né pleure, un « grand »
trotte dans le couloir et cogne avec ses jouets. Doris est désorientée :
comment vivre ici seule ? (Non ! à deux maintenant, avec ce petit être
étrange et intime.) Elle mesure sa solitude, la crainte de ne pas y arriver. Elle voudrait fuir mais où aller ?
1. Les centres maternels sont des établissements départementaux qui
hébergent, depuis le septième mois de grossesse jusqu’à ce que l’enfant ait
3 ans, des mères mineures ou en difficulté psychologique et sociale.
Conçus dans l’après-guerre pour prévenir les abandons et contribuer à la
reprise de la natalité, ils sont passés de la contention d’une « déviance
sociale » (la maternité hors mariage) à une vocation de réinsertion et de
soin du lien précoce.
Extrait de la publication
14
Rituels et mise au monde psychique
Dans un foyer maternel 1 :
banale naissance ou sacrée naissance ?
Engagée de longue date dans la périnatalité et particulièrement comme psychologue dans un foyer maternel, j’ai été
marquée par une étonnante banalisation de la naissance dans
ces collectivités hébergeant des femmes en difficulté sociale et
psychologique avec leur bébé. Ici rien de plus commun que
d’être enceinte, d’accoucher, de donner des soins à un nourrisson. Je vous invite à pénétrer dans ce foyer.
A J5 Doris revient de la maternité avec son bébé Paco. Comme
espace personnel, elle dispose d’une petite chambre avec une baignoire pour le bébé. Les repas se prennent en commun. Dès demain,
son bébé pourra aller à la halte-garderie du foyer. Une puéricultrice
est allée la chercher à la maternité, elle aide à l’installation dans la
chambre. Le lit du bébé dans un coin de la pièce est déjà prêt ; il faudra aller chercher le lait et les couches chez l’infirmière ; la porte se
referme. Doris, assise au bord du lit, écoute les bruits du couloir et
l’autre mère à travers la cloison. Un nouveau-né pleure, un « grand »
trotte dans le couloir et cogne avec ses jouets. Doris est désorientée :
comment vivre ici seule ? (Non ! à deux maintenant, avec ce petit être
étrange et intime.) Elle mesure sa solitude, la crainte de ne pas y arriver. Elle voudrait fuir mais où aller ?
1. Les centres maternels sont des établissements départementaux qui
hébergent, depuis le septième mois de grossesse jusqu’à ce que l’enfant ait
3 ans, des mères mineures ou en difficulté psychologique et sociale.
Conçus dans l’après-guerre pour prévenir les abandons et contribuer à la
reprise de la natalité, ils sont passés de la contention d’une « déviance
sociale » (la maternité hors mariage) à une vocation de réinsertion et de
soin du lien précoce.
Extrait de la publication
14
Rituels et mise au monde psychique
Dans un foyer maternel 1 :
banale naissance ou sacrée naissance ?
Engagée de longue date dans la périnatalité et particulièrement comme psychologue dans un foyer maternel, j’ai été
marquée par une étonnante banalisation de la naissance dans
ces collectivités hébergeant des femmes en difficulté sociale et
psychologique avec leur bébé. Ici rien de plus commun que
d’être enceinte, d’accoucher, de donner des soins à un nourrisson. Je vous invite à pénétrer dans ce foyer.
A J5 Doris revient de la maternité avec son bébé Paco. Comme
espace personnel, elle dispose d’une petite chambre avec une baignoire pour le bébé. Les repas se prennent en commun. Dès demain,
son bébé pourra aller à la halte-garderie du foyer. Une puéricultrice
est allée la chercher à la maternité, elle aide à l’installation dans la
chambre. Le lit du bébé dans un coin de la pièce est déjà prêt ; il faudra aller chercher le lait et les couches chez l’infirmière ; la porte se
referme. Doris, assise au bord du lit, écoute les bruits du couloir et
l’autre mère à travers la cloison. Un nouveau-né pleure, un « grand »
trotte dans le couloir et cogne avec ses jouets. Doris est désorientée :
comment vivre ici seule ? (Non ! à deux maintenant, avec ce petit être
étrange et intime.) Elle mesure sa solitude, la crainte de ne pas y arriver. Elle voudrait fuir mais où aller ?
1. Les centres maternels sont des établissements départementaux qui
hébergent, depuis le septième mois de grossesse jusqu’à ce que l’enfant ait
3 ans, des mères mineures ou en difficulté psychologique et sociale.
Conçus dans l’après-guerre pour prévenir les abandons et contribuer à la
reprise de la natalité, ils sont passés de la contention d’une « déviance
sociale » (la maternité hors mariage) à une vocation de réinsertion et de
soin du lien précoce.
Extrait de la publication
Introduction
15
Les histoires de Doris, de Rosy ou d’Aïcha constitueront la
trame vivante de l’ouvrage, autour de leur vécu subjectif de la
maternité. Qui sont-elles ? Jamais réductibles aux vignettes cliniques, ces mères et ces bébés témoignent d’une expérience
particulièrement douloureuse : vivre seules la mise au monde
et la venue au monde, sans le soutien d’un conjoint, à l’écart
de leur groupe d’appartenance. Qu’elles aient connu l’exil ou
des carences de soin dans leur enfance, elles sont, chacune à
leur manière, des voyageuses sans bagage dans l’aventure de la
maternité.
Pourtant, dans un moment de grande fragilité, la mère et
le bébé ont besoin d’un nid, d’une enveloppe culturelle et
groupale. Comme nous le développerons, « ce n’est jamais une
mère seule qui accouche », la mise au monde est une affaire de
famille, de communauté, de tradition dans le moment de l’accouchement et après dans la naissance psychique et le devenir
mère. D’une culture à l’autre, on retrouve l’équivalent rituel
d’un « soin social ». La mère et le bébé sont d’abord traités
« aux petits soins » avant le temps des relevailles, « retour de
couche social » qui est aussi le moment de présentation du
bébé au socius ; un temps qui con-sacre. La mise au monde
est toujours « rituellement assistée » par le groupe autour de la
nouvelle accouchée.
Alors que l’événement de la naissance qualifié trop génériquement « d’heureux événement » représente sans doute pour
chaque femme une étape mutative singulière, le caractère initiatique d’une telle expérience en foyer maternel particulièrement semble perdu, dilué dans un vécu d’indifférenciation qui
en gomme les étapes individuelles.
Extrait de la publication
Introduction
15
Les histoires de Doris, de Rosy ou d’Aïcha constitueront la
trame vivante de l’ouvrage, autour de leur vécu subjectif de la
maternité. Qui sont-elles ? Jamais réductibles aux vignettes cliniques, ces mères et ces bébés témoignent d’une expérience
particulièrement douloureuse : vivre seules la mise au monde
et la venue au monde, sans le soutien d’un conjoint, à l’écart
de leur groupe d’appartenance. Qu’elles aient connu l’exil ou
des carences de soin dans leur enfance, elles sont, chacune à
leur manière, des voyageuses sans bagage dans l’aventure de la
maternité.
Pourtant, dans un moment de grande fragilité, la mère et
le bébé ont besoin d’un nid, d’une enveloppe culturelle et
groupale. Comme nous le développerons, « ce n’est jamais une
mère seule qui accouche », la mise au monde est une affaire de
famille, de communauté, de tradition dans le moment de l’accouchement et après dans la naissance psychique et le devenir
mère. D’une culture à l’autre, on retrouve l’équivalent rituel
d’un « soin social ». La mère et le bébé sont d’abord traités
« aux petits soins » avant le temps des relevailles, « retour de
couche social » qui est aussi le moment de présentation du
bébé au socius ; un temps qui con-sacre. La mise au monde
est toujours « rituellement assistée » par le groupe autour de la
nouvelle accouchée.
Alors que l’événement de la naissance qualifié trop génériquement « d’heureux événement » représente sans doute pour
chaque femme une étape mutative singulière, le caractère initiatique d’une telle expérience en foyer maternel particulièrement semble perdu, dilué dans un vécu d’indifférenciation qui
en gomme les étapes individuelles.
Extrait de la publication
Introduction
15
Les histoires de Doris, de Rosy ou d’Aïcha constitueront la
trame vivante de l’ouvrage, autour de leur vécu subjectif de la
maternité. Qui sont-elles ? Jamais réductibles aux vignettes cliniques, ces mères et ces bébés témoignent d’une expérience
particulièrement douloureuse : vivre seules la mise au monde
et la venue au monde, sans le soutien d’un conjoint, à l’écart
de leur groupe d’appartenance. Qu’elles aient connu l’exil ou
des carences de soin dans leur enfance, elles sont, chacune à
leur manière, des voyageuses sans bagage dans l’aventure de la
maternité.
Pourtant, dans un moment de grande fragilité, la mère et
le bébé ont besoin d’un nid, d’une enveloppe culturelle et
groupale. Comme nous le développerons, « ce n’est jamais une
mère seule qui accouche », la mise au monde est une affaire de
famille, de communauté, de tradition dans le moment de l’accouchement et après dans la naissance psychique et le devenir
mère. D’une culture à l’autre, on retrouve l’équivalent rituel
d’un « soin social ». La mère et le bébé sont d’abord traités
« aux petits soins » avant le temps des relevailles, « retour de
couche social » qui est aussi le moment de présentation du
bébé au socius ; un temps qui con-sacre. La mise au monde
est toujours « rituellement assistée » par le groupe autour de la
nouvelle accouchée.
Alors que l’événement de la naissance qualifié trop génériquement « d’heureux événement » représente sans doute pour
chaque femme une étape mutative singulière, le caractère initiatique d’une telle expérience en foyer maternel particulièrement semble perdu, dilué dans un vécu d’indifférenciation qui
en gomme les étapes individuelles.
Extrait de la publication
16
Rituels et mise au monde psychique
À l’isolement des femmes par rapport à leur contexte familial, vient se surajouter une proposition paradoxale de l’institution : vivre seule mais collectivement l’attente, l’arrivée et la
première rencontre avec le bébé. Ces institutions ont pourtant
évolué et progressé dans l’accueil : des liens se nouent entre
résidentes, entre professionnels et accueillis. Mais les équipes
peinent à penser les effets du groupe de vie, du partage souvent
chaotique et conflictuel des repas, des loisirs, de certains
moments de maternage entre des femmes qui souffrent toutes
des fragilités de ce qu’on pourrait appeler « leur groupe
interne ». Solitude groupale, où le fait d’être en nombre ne
constitue pas, en soi, un antidote à la solitude psychique…
Pour ces mères isolées, rejetées, exilées, c’est l’environnement institutionnel qui se trouve, par la force des choses, à la
place de l’environnement naturel manquant. Elles sont à ce
moment crucial de leur histoire en situation de grande vulnérabilité.
Dans leur parcours, lorsque l’enfant paraît… le cercle de
famille, l’enveloppe du culturel fait défaut : pas d’applaudissement mais des silences, des reproches ou des rejets qui entrent
en résonance avec les défaillances parentales ayant marqué leur
histoire infantile et avec la fragilité de leurs assises identitaires.
Deux paramètres rendaient pour moi urgente une réflexion
sur les dispositifs groupaux nécessaire à « la mise au monde »
du bébé : d’une part l’absence du groupe d’appartenance – et
ceci par défection ou abandon du géniteur de l’enfant, par
l’éloignement géographique de la culture d’origine, par des
phénomènes de déculturation ou encore par le rejet familial –
et d’autre part l’inadéquation de la réponse institutionnelle.
Extrait de la publication
16
Rituels et mise au monde psychique
À l’isolement des femmes par rapport à leur contexte familial, vient se surajouter une proposition paradoxale de l’institution : vivre seule mais collectivement l’attente, l’arrivée et la
première rencontre avec le bébé. Ces institutions ont pourtant
évolué et progressé dans l’accueil : des liens se nouent entre
résidentes, entre professionnels et accueillis. Mais les équipes
peinent à penser les effets du groupe de vie, du partage souvent
chaotique et conflictuel des repas, des loisirs, de certains
moments de maternage entre des femmes qui souffrent toutes
des fragilités de ce qu’on pourrait appeler « leur groupe
interne ». Solitude groupale, où le fait d’être en nombre ne
constitue pas, en soi, un antidote à la solitude psychique…
Pour ces mères isolées, rejetées, exilées, c’est l’environnement institutionnel qui se trouve, par la force des choses, à la
place de l’environnement naturel manquant. Elles sont à ce
moment crucial de leur histoire en situation de grande vulnérabilité.
Dans leur parcours, lorsque l’enfant paraît… le cercle de
famille, l’enveloppe du culturel fait défaut : pas d’applaudissement mais des silences, des reproches ou des rejets qui entrent
en résonance avec les défaillances parentales ayant marqué leur
histoire infantile et avec la fragilité de leurs assises identitaires.
Deux paramètres rendaient pour moi urgente une réflexion
sur les dispositifs groupaux nécessaire à « la mise au monde »
du bébé : d’une part l’absence du groupe d’appartenance – et
ceci par défection ou abandon du géniteur de l’enfant, par
l’éloignement géographique de la culture d’origine, par des
phénomènes de déculturation ou encore par le rejet familial –
et d’autre part l’inadéquation de la réponse institutionnelle.
Extrait de la publication
16
Rituels et mise au monde psychique
À l’isolement des femmes par rapport à leur contexte familial, vient se surajouter une proposition paradoxale de l’institution : vivre seule mais collectivement l’attente, l’arrivée et la
première rencontre avec le bébé. Ces institutions ont pourtant
évolué et progressé dans l’accueil : des liens se nouent entre
résidentes, entre professionnels et accueillis. Mais les équipes
peinent à penser les effets du groupe de vie, du partage souvent
chaotique et conflictuel des repas, des loisirs, de certains
moments de maternage entre des femmes qui souffrent toutes
des fragilités de ce qu’on pourrait appeler « leur groupe
interne ». Solitude groupale, où le fait d’être en nombre ne
constitue pas, en soi, un antidote à la solitude psychique…
Pour ces mères isolées, rejetées, exilées, c’est l’environnement institutionnel qui se trouve, par la force des choses, à la
place de l’environnement naturel manquant. Elles sont à ce
moment crucial de leur histoire en situation de grande vulnérabilité.
Dans leur parcours, lorsque l’enfant paraît… le cercle de
famille, l’enveloppe du culturel fait défaut : pas d’applaudissement mais des silences, des reproches ou des rejets qui entrent
en résonance avec les défaillances parentales ayant marqué leur
histoire infantile et avec la fragilité de leurs assises identitaires.
Deux paramètres rendaient pour moi urgente une réflexion
sur les dispositifs groupaux nécessaire à « la mise au monde »
du bébé : d’une part l’absence du groupe d’appartenance – et
ceci par défection ou abandon du géniteur de l’enfant, par
l’éloignement géographique de la culture d’origine, par des
phénomènes de déculturation ou encore par le rejet familial –
et d’autre part l’inadéquation de la réponse institutionnelle.
Extrait de la publication
Introduction
L’observation, pour « écouter »
le bébé-dans-ses-liens
Sensibilisée à la méthode de l’observation psychanalytique
du bébé selon Esther Bick, approche facilitée par une expérience psychanalytique personnelle, j’étais convaincue de la
nécessité, en particulier pour ces femmes vulnérables, de la
rencontre dans la période très proche de la naissance, de dispositifs de soin où s’exercerait à leur égard (mère et bébé) une
fonction d’attention. Voici un extrait d’observation (voir aussi
p. 86) :
Dans un groupe mères-bébés, Doris et Paco (J40). Doris arrive la
première avec Paco. Elle l’a enveloppé dans un de ses pulls, la face du
bébé est contre son épaule. Elle le retourne prestement. Paco est un
bébé joufflu, je croise son regard qui balaye la pièce 2…
Dans ce dispositif, la sensibilité et la rigueur de la méthode
permettent d’être au plus près du vécu émotionnel complexe
et archaïque de la périnatalité, de favoriser l’accueil du nouveau-né et de marquer le passage à la parentalité. L’attention
des soignants est activée et démultipliée, tendant une « toile de
fond » où viennent s’inscrire des éléments bruts en attente de
sens.
2. À J40, le souvenir de l’accouchement est encore très vivace pour Doris.
Parfois, elle revit presque des sensations, l’afflux du « trop de la naissance ». Paco n’est pas le bébé comblant et inquiétant de la grossesse. Il
pleure, se salit, griffe son sein. Sa famille adoptive n’a pas voulu le voir.
Venir « présenter son bébé » et parler de la naissance ! Elle est étonnée de
cette proposition.
Introduction
L’observation, pour « écouter »
le bébé-dans-ses-liens
Sensibilisée à la méthode de l’observation psychanalytique
du bébé selon Esther Bick, approche facilitée par une expérience psychanalytique personnelle, j’étais convaincue de la
nécessité, en particulier pour ces femmes vulnérables, de la
rencontre dans la période très proche de la naissance, de dispositifs de soin où s’exercerait à leur égard (mère et bébé) une
fonction d’attention. Voici un extrait d’observation (voir aussi
p. 86) :
Dans un groupe mères-bébés, Doris et Paco (J40). Doris arrive la
première avec Paco. Elle l’a enveloppé dans un de ses pulls, la face du
bébé est contre son épaule. Elle le retourne prestement. Paco est un
bébé joufflu, je croise son regard qui balaye la pièce 2…
Dans ce dispositif, la sensibilité et la rigueur de la méthode
permettent d’être au plus près du vécu émotionnel complexe
et archaïque de la périnatalité, de favoriser l’accueil du nouveau-né et de marquer le passage à la parentalité. L’attention
des soignants est activée et démultipliée, tendant une « toile de
fond » où viennent s’inscrire des éléments bruts en attente de
sens.
2. À J40, le souvenir de l’accouchement est encore très vivace pour Doris.
Parfois, elle revit presque des sensations, l’afflux du « trop de la naissance ». Paco n’est pas le bébé comblant et inquiétant de la grossesse. Il
pleure, se salit, griffe son sein. Sa famille adoptive n’a pas voulu le voir.
Venir « présenter son bébé » et parler de la naissance ! Elle est étonnée de
cette proposition.
Introduction
L’observation, pour « écouter »
le bébé-dans-ses-liens
Sensibilisée à la méthode de l’observation psychanalytique
du bébé selon Esther Bick, approche facilitée par une expérience psychanalytique personnelle, j’étais convaincue de la
nécessité, en particulier pour ces femmes vulnérables, de la
rencontre dans la période très proche de la naissance, de dispositifs de soin où s’exercerait à leur égard (mère et bébé) une
fonction d’attention. Voici un extrait d’observation (voir aussi
p. 86) :
Dans un groupe mères-bébés, Doris et Paco (J40). Doris arrive la
première avec Paco. Elle l’a enveloppé dans un de ses pulls, la face du
bébé est contre son épaule. Elle le retourne prestement. Paco est un
bébé joufflu, je croise son regard qui balaye la pièce 2…
Dans ce dispositif, la sensibilité et la rigueur de la méthode
permettent d’être au plus près du vécu émotionnel complexe
et archaïque de la périnatalité, de favoriser l’accueil du nouveau-né et de marquer le passage à la parentalité. L’attention
des soignants est activée et démultipliée, tendant une « toile de
fond » où viennent s’inscrire des éléments bruts en attente de
sens.
2. À J40, le souvenir de l’accouchement est encore très vivace pour Doris.
Parfois, elle revit presque des sensations, l’afflux du « trop de la naissance ». Paco n’est pas le bébé comblant et inquiétant de la grossesse. Il
pleure, se salit, griffe son sein. Sa famille adoptive n’a pas voulu le voir.
Venir « présenter son bébé » et parler de la naissance ! Elle est étonnée de
cette proposition.
18
Rituels et mise au monde psychique
L’expérience singulière de l’accouchement, de la naissance
psychique du bébé, l’instauration des premiers liens trouvent
ainsi un contenant ritualisé où se déployer.
La création de petits groupes de « présentation de bébés »
au temps psychique des relevailles, la proposition d’un babyclub fonctionnant aussi sur des modalités de l’observation
attentive, des thérapies mère-bébé – nombre des éléments cliniques illustrant cet ouvrage en sont issus – étaient en quelque
sorte un réquisitoire à la reconnaissance du caractère « sacré »
de la naissance dans cette institution, questions qui concernent
chacun de nous, à la frontière entre le biologique et le philosophique.
Cette aventure m’a menée tout naturellement et par voisinage sémantique à aborder la question des mythes et des rites
entourant la naissance et plus particulièrement l’entrée du
nouveau bébé et de la nouvelle mère dans le socius.
On n’a rien inventé !
Groupes parents-bébé, consultations familiales…, force est
de constater que les propositions de soins psychiques en périnatalité entretiennent avec les dispositifs rituels des rapports de
parenté complexes, non linéaires mais indéniables ! Et si les
formes actuelles de soin pouvaient se penser comme des dérivés, tantôt sophistiqués, tantôt triviaux, des productions issues
des champs mythiques, rituels, artistiques ou poétiques ?
Où que l’on se tourne, ailleurs, dans des cultures éloignées
de la nôtre, autrefois, dans des temps reculés, la naissance psychique de l’individu semble toujours avoir été considérée
18
Rituels et mise au monde psychique
L’expérience singulière de l’accouchement, de la naissance
psychique du bébé, l’instauration des premiers liens trouvent
ainsi un contenant ritualisé où se déployer.
La création de petits groupes de « présentation de bébés »
au temps psychique des relevailles, la proposition d’un babyclub fonctionnant aussi sur des modalités de l’observation
attentive, des thérapies mère-bébé – nombre des éléments cliniques illustrant cet ouvrage en sont issus – étaient en quelque
sorte un réquisitoire à la reconnaissance du caractère « sacré »
de la naissance dans cette institution, questions qui concernent
chacun de nous, à la frontière entre le biologique et le philosophique.
Cette aventure m’a menée tout naturellement et par voisinage sémantique à aborder la question des mythes et des rites
entourant la naissance et plus particulièrement l’entrée du
nouveau bébé et de la nouvelle mère dans le socius.
On n’a rien inventé !
Groupes parents-bébé, consultations familiales…, force est
de constater que les propositions de soins psychiques en périnatalité entretiennent avec les dispositifs rituels des rapports de
parenté complexes, non linéaires mais indéniables ! Et si les
formes actuelles de soin pouvaient se penser comme des dérivés, tantôt sophistiqués, tantôt triviaux, des productions issues
des champs mythiques, rituels, artistiques ou poétiques ?
Où que l’on se tourne, ailleurs, dans des cultures éloignées
de la nôtre, autrefois, dans des temps reculés, la naissance psychique de l’individu semble toujours avoir été considérée
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Rituels et mise au monde psychique
L’expérience singulière de l’accouchement, de la naissance
psychique du bébé, l’instauration des premiers liens trouvent
ainsi un contenant ritualisé où se déployer.
La création de petits groupes de « présentation de bébés »
au temps psychique des relevailles, la proposition d’un babyclub fonctionnant aussi sur des modalités de l’observation
attentive, des thérapies mère-bébé – nombre des éléments cliniques illustrant cet ouvrage en sont issus – étaient en quelque
sorte un réquisitoire à la reconnaissance du caractère « sacré »
de la naissance dans cette institution, questions qui concernent
chacun de nous, à la frontière entre le biologique et le philosophique.
Cette aventure m’a menée tout naturellement et par voisinage sémantique à aborder la question des mythes et des rites
entourant la naissance et plus particulièrement l’entrée du
nouveau bébé et de la nouvelle mère dans le socius.
On n’a rien inventé !
Groupes parents-bébé, consultations familiales…, force est
de constater que les propositions de soins psychiques en périnatalité entretiennent avec les dispositifs rituels des rapports de
parenté complexes, non linéaires mais indéniables ! Et si les
formes actuelles de soin pouvaient se penser comme des dérivés, tantôt sophistiqués, tantôt triviaux, des productions issues
des champs mythiques, rituels, artistiques ou poétiques ?
Où que l’on se tourne, ailleurs, dans des cultures éloignées
de la nôtre, autrefois, dans des temps reculés, la naissance psychique de l’individu semble toujours avoir été considérée
Introduction
19
comme distincte de la naissance biologique, en même temps
que le passage de l’état de femme à celui de mère était marqué
rituellement et pas seulement par le fait objectif de l’accouchement.
Fin de la quarantaine pour la mère chez les musulmans,
tonte des cheveux du bébé chez les bouddhistes, présentation
au Temple et purification chez les judéo-chrétiens, cérémonie
des relevailles dans nos campagnes…, ces moments codifiés
montrent un besoin d’intégration du nouveau-né dans la communauté en même temps qu’un marquage de la parentalité
psychique.
Je ne propose pas ici une étude exhaustive de ces rituels, ce
serait l’objet d’un travail d’anthropologie, mais une saisie partielle et partiale de certains de ces « contenants culturels », au
service d’un éclairage et d’une conceptualisation de ma pratique de psychologue et de thérapeute. Il s’agit d’une anthropologie au service de la clinique des premiers liens.
C’est donc avec ce parti pris que je demande au lecteur de
m’accompagner à la croisée entre cette clinique avec des mères
(des pères) et des bébés, l’approche des rituels postnataux et
enfin leur transposition dans l’iconographie.
À partir de ce triptyque (clinique, rite, iconographie) j’ai
voulu montrer, en élargissant mon étude au-delà de mon expérience princeps en centre maternel, que les dispositifs à visées
préventive et thérapeutique, proposés avec plus ou moins de
bonheur aux jeunes parents, simplement esseulés ou sévèrement isolés, dans cette période sensible du post-partum tendent, peut-être, à renouer avec des rituels disparus dont ils
tirent très inconsciemment leur inspiration.
Introduction
19
comme distincte de la naissance biologique, en même temps
que le passage de l’état de femme à celui de mère était marqué
rituellement et pas seulement par le fait objectif de l’accouchement.
Fin de la quarantaine pour la mère chez les musulmans,
tonte des cheveux du bébé chez les bouddhistes, présentation
au Temple et purification chez les judéo-chrétiens, cérémonie
des relevailles dans nos campagnes…, ces moments codifiés
montrent un besoin d’intégration du nouveau-né dans la communauté en même temps qu’un marquage de la parentalité
psychique.
Je ne propose pas ici une étude exhaustive de ces rituels, ce
serait l’objet d’un travail d’anthropologie, mais une saisie partielle et partiale de certains de ces « contenants culturels », au
service d’un éclairage et d’une conceptualisation de ma pratique de psychologue et de thérapeute. Il s’agit d’une anthropologie au service de la clinique des premiers liens.
C’est donc avec ce parti pris que je demande au lecteur de
m’accompagner à la croisée entre cette clinique avec des mères
(des pères) et des bébés, l’approche des rituels postnataux et
enfin leur transposition dans l’iconographie.
À partir de ce triptyque (clinique, rite, iconographie) j’ai
voulu montrer, en élargissant mon étude au-delà de mon expérience princeps en centre maternel, que les dispositifs à visées
préventive et thérapeutique, proposés avec plus ou moins de
bonheur aux jeunes parents, simplement esseulés ou sévèrement isolés, dans cette période sensible du post-partum tendent, peut-être, à renouer avec des rituels disparus dont ils
tirent très inconsciemment leur inspiration.
Introduction
19
comme distincte de la naissance biologique, en même temps
que le passage de l’état de femme à celui de mère était marqué
rituellement et pas seulement par le fait objectif de l’accouchement.
Fin de la quarantaine pour la mère chez les musulmans,
tonte des cheveux du bébé chez les bouddhistes, présentation
au Temple et purification chez les judéo-chrétiens, cérémonie
des relevailles dans nos campagnes…, ces moments codifiés
montrent un besoin d’intégration du nouveau-né dans la communauté en même temps qu’un marquage de la parentalité
psychique.
Je ne propose pas ici une étude exhaustive de ces rituels, ce
serait l’objet d’un travail d’anthropologie, mais une saisie partielle et partiale de certains de ces « contenants culturels », au
service d’un éclairage et d’une conceptualisation de ma pratique de psychologue et de thérapeute. Il s’agit d’une anthropologie au service de la clinique des premiers liens.
C’est donc avec ce parti pris que je demande au lecteur de
m’accompagner à la croisée entre cette clinique avec des mères
(des pères) et des bébés, l’approche des rituels postnataux et
enfin leur transposition dans l’iconographie.
À partir de ce triptyque (clinique, rite, iconographie) j’ai
voulu montrer, en élargissant mon étude au-delà de mon expérience princeps en centre maternel, que les dispositifs à visées
préventive et thérapeutique, proposés avec plus ou moins de
bonheur aux jeunes parents, simplement esseulés ou sévèrement isolés, dans cette période sensible du post-partum tendent, peut-être, à renouer avec des rituels disparus dont ils
tirent très inconsciemment leur inspiration.
20
Rituels et mise au monde psychique
Que fait-on dans les groupes postnataux à la maternité ?
Que viennent chercher les mères lorsqu’elles se pressent dans
les services de Protection maternelle et infantile pour peser leur
bébé ou encore pour montrer leur bébé bien portant au
pédiatre ? Que se passe-t-il dans ces visites à domicile des puéricultrices finalement attendues par les femmes nouvellement
accouchées ? Que viennent chercher ces parents, issus de tous
les milieux, lorsqu’ils se rendent régulièrement dans des lieux
d’accueils et d’écoute parents-bébés, lieux pourtant poussiéreux et inconfortables ?
Autant d’interrogations, issues également de ma pratique
de supervision d’équipes engagées dans l’accueil périnatal,
d’une longue expérience en crèche, d’une plus récente en PMI
et en centre médico-psychologique 3.
Outre le fait d’offrir « une société de naissance » artificielle
mais répondant à une attente de contenance groupale que
nous explorerons dans les rites, on peut imaginer que ces dispositifs répondent au besoin fondamental de tout individu de
transformer psychiquement ce qui lui arrive, dans et par l’intersubjectivité, dans et par la rencontre avec d’autres en position de réceptivité.
Or, comme nous le verrons, l’accouchement, et plus largement l’événement de la naissance du point de vue du bébé et
du parent, est une expérience subjective sans précédent propre
à déborder les capacités élaboratives du seul sujet. Elle recèle de
multiples composantes d’abord très archaïques, un magma de
3. Secteur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent du CHS Le Vinatier
(69 Bron), chef de service Pierre Coulet.
20
Rituels et mise au monde psychique
Que fait-on dans les groupes postnataux à la maternité ?
Que viennent chercher les mères lorsqu’elles se pressent dans
les services de Protection maternelle et infantile pour peser leur
bébé ou encore pour montrer leur bébé bien portant au
pédiatre ? Que se passe-t-il dans ces visites à domicile des puéricultrices finalement attendues par les femmes nouvellement
accouchées ? Que viennent chercher ces parents, issus de tous
les milieux, lorsqu’ils se rendent régulièrement dans des lieux
d’accueils et d’écoute parents-bébés, lieux pourtant poussiéreux et inconfortables ?
Autant d’interrogations, issues également de ma pratique
de supervision d’équipes engagées dans l’accueil périnatal,
d’une longue expérience en crèche, d’une plus récente en PMI
et en centre médico-psychologique 3.
Outre le fait d’offrir « une société de naissance » artificielle
mais répondant à une attente de contenance groupale que
nous explorerons dans les rites, on peut imaginer que ces dispositifs répondent au besoin fondamental de tout individu de
transformer psychiquement ce qui lui arrive, dans et par l’intersubjectivité, dans et par la rencontre avec d’autres en position de réceptivité.
Or, comme nous le verrons, l’accouchement, et plus largement l’événement de la naissance du point de vue du bébé et
du parent, est une expérience subjective sans précédent propre
à déborder les capacités élaboratives du seul sujet. Elle recèle de
multiples composantes d’abord très archaïques, un magma de
3. Secteur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent du CHS Le Vinatier
(69 Bron), chef de service Pierre Coulet.
20
Rituels et mise au monde psychique
Que fait-on dans les groupes postnataux à la maternité ?
Que viennent chercher les mères lorsqu’elles se pressent dans
les services de Protection maternelle et infantile pour peser leur
bébé ou encore pour montrer leur bébé bien portant au
pédiatre ? Que se passe-t-il dans ces visites à domicile des puéricultrices finalement attendues par les femmes nouvellement
accouchées ? Que viennent chercher ces parents, issus de tous
les milieux, lorsqu’ils se rendent régulièrement dans des lieux
d’accueils et d’écoute parents-bébés, lieux pourtant poussiéreux et inconfortables ?
Autant d’interrogations, issues également de ma pratique
de supervision d’équipes engagées dans l’accueil périnatal,
d’une longue expérience en crèche, d’une plus récente en PMI
et en centre médico-psychologique 3.
Outre le fait d’offrir « une société de naissance » artificielle
mais répondant à une attente de contenance groupale que
nous explorerons dans les rites, on peut imaginer que ces dispositifs répondent au besoin fondamental de tout individu de
transformer psychiquement ce qui lui arrive, dans et par l’intersubjectivité, dans et par la rencontre avec d’autres en position de réceptivité.
Or, comme nous le verrons, l’accouchement, et plus largement l’événement de la naissance du point de vue du bébé et
du parent, est une expérience subjective sans précédent propre
à déborder les capacités élaboratives du seul sujet. Elle recèle de
multiples composantes d’abord très archaïques, un magma de
3. Secteur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent du CHS Le Vinatier
(69 Bron), chef de service Pierre Coulet.
Conclusion et perspectives
103
D. (puéricultrice) engage la conversation avec la maman d’Enzo.
Tout en déshabillant le bébé, la mère parle : « Je ne sais pas s’il a pris
suffisamment de poids. Autour de moi j’ai des amis qui ont des gros
bébés. Ils sont joufflus. On me dit qu’il faut bien essuyer le bébé dans
les plis de la peau. Mais, il n’a pas de plis ! dit-elle en riant et en me
montrant ses cuisses. Je trouve qu’il n’a pas de joues, et puis sa tête est
trop fine par rapport au corps. » Je m’adresse au bébé. Enzo m’écoute,
me sourit. Dans la séance de reprise et d’élaboration, nous associerons
sur les nombreux plis de l’imaginaire maternel, tel un origami, qui
sont en quête d’un lieu où se déployer pour ne pas rester des anxiétés
diffuses qui obèrent le lien précoce.
Ici aussi, l’observation attentive permet de tisser une toile
de fond sur laquelle viennent s’inscrire des éléments bruts de
sens, en deçà d’une souffrance intrapsychique bien définie et
immédiatement formulable sous la forme d’une demande. Le
« geste psychique de l’attention » soutient le surgissement de
l’émotion, levier essentiel à la reprise d’un travail de symbolisation et de croissance mis en stand-by par l’afflux traumatique
de la naissance.
Nous avons montré « en direct » cette reprise élaborative
pour la mère, pour le bébé, processus potentialisés et soutenus
par « les effets de présence » (O. Avron), la rencontre avec un
autre et plus d’un autre psychiquement présent. Ces effets de
présence sont l’outil majeur des interventions en périnatalité.
Pour finir, à titre anecdotique et sans discuter du mode
opératoire du soin, je cite ce que Freud (1892-1893) rapporte
d’une visite à domicile chez une jeune accouchée, intervention
atypique par rapport au cadre psychanalytique de la cure,
d’une étonnante modernité, et qui nous laisse à penser que nos
« inventions » de dispositifs souples et adaptés à l’état psychique du post-partum ont eu des précédents historiques.
Conclusion et perspectives
103
D. (puéricultrice) engage la conversation avec la maman d’Enzo.
Tout en déshabillant le bébé, la mère parle : « Je ne sais pas s’il a pris
suffisamment de poids. Autour de moi j’ai des amis qui ont des gros
bébés. Ils sont joufflus. On me dit qu’il faut bien essuyer le bébé dans
les plis de la peau. Mais, il n’a pas de plis ! dit-elle en riant et en me
montrant ses cuisses. Je trouve qu’il n’a pas de joues, et puis sa tête est
trop fine par rapport au corps. » Je m’adresse au bébé. Enzo m’écoute,
me sourit. Dans la séance de reprise et d’élaboration, nous associerons
sur les nombreux plis de l’imaginaire maternel, tel un origami, qui
sont en quête d’un lieu où se déployer pour ne pas rester des anxiétés
diffuses qui obèrent le lien précoce.
Ici aussi, l’observation attentive permet de tisser une toile
de fond sur laquelle viennent s’inscrire des éléments bruts de
sens, en deçà d’une souffrance intrapsychique bien définie et
immédiatement formulable sous la forme d’une demande. Le
« geste psychique de l’attention » soutient le surgissement de
l’émotion, levier essentiel à la reprise d’un travail de symbolisation et de croissance mis en stand-by par l’afflux traumatique
de la naissance.
Nous avons montré « en direct » cette reprise élaborative
pour la mère, pour le bébé, processus potentialisés et soutenus
par « les effets de présence » (O. Avron), la rencontre avec un
autre et plus d’un autre psychiquement présent. Ces effets de
présence sont l’outil majeur des interventions en périnatalité.
Pour finir, à titre anecdotique et sans discuter du mode
opératoire du soin, je cite ce que Freud (1892-1893) rapporte
d’une visite à domicile chez une jeune accouchée, intervention
atypique par rapport au cadre psychanalytique de la cure,
d’une étonnante modernité, et qui nous laisse à penser que nos
« inventions » de dispositifs souples et adaptés à l’état psychique du post-partum ont eu des précédents historiques.
Conclusion et perspectives
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D. (puéricultrice) engage la conversation avec la maman d’Enzo.
Tout en déshabillant le bébé, la mère parle : « Je ne sais pas s’il a pris
suffisamment de poids. Autour de moi j’ai des amis qui ont des gros
bébés. Ils sont joufflus. On me dit qu’il faut bien essuyer le bébé dans
les plis de la peau. Mais, il n’a pas de plis ! dit-elle en riant et en me
montrant ses cuisses. Je trouve qu’il n’a pas de joues, et puis sa tête est
trop fine par rapport au corps. » Je m’adresse au bébé. Enzo m’écoute,
me sourit. Dans la séance de reprise et d’élaboration, nous associerons
sur les nombreux plis de l’imaginaire maternel, tel un origami, qui
sont en quête d’un lieu où se déployer pour ne pas rester des anxiétés
diffuses qui obèrent le lien précoce.
Ici aussi, l’observation attentive permet de tisser une toile
de fond sur laquelle viennent s’inscrire des éléments bruts de
sens, en deçà d’une souffrance intrapsychique bien définie et
immédiatement formulable sous la forme d’une demande. Le
« geste psychique de l’attention » soutient le surgissement de
l’émotion, levier essentiel à la reprise d’un travail de symbolisation et de croissance mis en stand-by par l’afflux traumatique
de la naissance.
Nous avons montré « en direct » cette reprise élaborative
pour la mère, pour le bébé, processus potentialisés et soutenus
par « les effets de présence » (O. Avron), la rencontre avec un
autre et plus d’un autre psychiquement présent. Ces effets de
présence sont l’outil majeur des interventions en périnatalité.
Pour finir, à titre anecdotique et sans discuter du mode
opératoire du soin, je cite ce que Freud (1892-1893) rapporte
d’une visite à domicile chez une jeune accouchée, intervention
atypique par rapport au cadre psychanalytique de la cure,
d’une étonnante modernité, et qui nous laisse à penser que nos
« inventions » de dispositifs souples et adaptés à l’état psychique du post-partum ont eu des précédents historiques.
104
Rituels et mise au monde psychique
…On alla me chercher comme médecin, au soir du quatrième
jour, auprès de cette femme amicalement connue. Je la trouvai au lit,
les joues enflammées, furieuse de son incapacité à nourrir l’enfant,
qui augmentait à chaque tentative et à laquelle elle résistait pourtant
de toutes ses forces. Pour éviter les vomissements, elle n’avait rien pris
de toute la journée […]. Loin de me souhaiter la bienvenue comme
un sauveur à l’heure de la détresse, on ne m’accueillit manifestement
qu’à contrecœur et je ne pouvais guère compter sur une grande
confiance (p. 34).
Freud procède à l’hypnose, puis reviendra encore deux fois
au chevet de l’accouchée. Le succès est total, l’allaitement peut
s’installer. Dans ce texte, Freud s’étonne de son succès thérapeutique « [qu’]une série de circonstances accessoires ont
rendu plus probant et plus transparent que d’ordinaire ». Il
souligne aussi l’incroyable manque de gratitude de la patiente
et de sa famille. « Je trouvais seulement incompréhensible et
contrariant qu’il ne fût jamais question entre nous de ce
remarquable résultat » (p. 35).
Ce cas condense les caractéristiques de telles interventions :
pas de demande manifeste, une conflictualité psychique « diffuse », l’importance du « venir-près » comme modalité de prévention, une attention du thérapeute souvent en deçà de
l’interprétation, l’offre d’une contenance qui renoue peut-être
avec les rituels disparus… Ce n’est jamais une mère seule qui
accouche, c’est le groupe, les voisins, la parentèle…
104
Rituels et mise au monde psychique
…On alla me chercher comme médecin, au soir du quatrième
jour, auprès de cette femme amicalement connue. Je la trouvai au lit,
les joues enflammées, furieuse de son incapacité à nourrir l’enfant,
qui augmentait à chaque tentative et à laquelle elle résistait pourtant
de toutes ses forces. Pour éviter les vomissements, elle n’avait rien pris
de toute la journée […]. Loin de me souhaiter la bienvenue comme
un sauveur à l’heure de la détresse, on ne m’accueillit manifestement
qu’à contrecœur et je ne pouvais guère compter sur une grande
confiance (p. 34).
Freud procède à l’hypnose, puis reviendra encore deux fois
au chevet de l’accouchée. Le succès est total, l’allaitement peut
s’installer. Dans ce texte, Freud s’étonne de son succès thérapeutique « [qu’]une série de circonstances accessoires ont
rendu plus probant et plus transparent que d’ordinaire ». Il
souligne aussi l’incroyable manque de gratitude de la patiente
et de sa famille. « Je trouvais seulement incompréhensible et
contrariant qu’il ne fût jamais question entre nous de ce
remarquable résultat » (p. 35).
Ce cas condense les caractéristiques de telles interventions :
pas de demande manifeste, une conflictualité psychique « diffuse », l’importance du « venir-près » comme modalité de prévention, une attention du thérapeute souvent en deçà de
l’interprétation, l’offre d’une contenance qui renoue peut-être
avec les rituels disparus… Ce n’est jamais une mère seule qui
accouche, c’est le groupe, les voisins, la parentèle…
104
Rituels et mise au monde psychique
…On alla me chercher comme médecin, au soir du quatrième
jour, auprès de cette femme amicalement connue. Je la trouvai au lit,
les joues enflammées, furieuse de son incapacité à nourrir l’enfant,
qui augmentait à chaque tentative et à laquelle elle résistait pourtant
de toutes ses forces. Pour éviter les vomissements, elle n’avait rien pris
de toute la journée […]. Loin de me souhaiter la bienvenue comme
un sauveur à l’heure de la détresse, on ne m’accueillit manifestement
qu’à contrecœur et je ne pouvais guère compter sur une grande
confiance (p. 34).
Freud procède à l’hypnose, puis reviendra encore deux fois
au chevet de l’accouchée. Le succès est total, l’allaitement peut
s’installer. Dans ce texte, Freud s’étonne de son succès thérapeutique « [qu’]une série de circonstances accessoires ont
rendu plus probant et plus transparent que d’ordinaire ». Il
souligne aussi l’incroyable manque de gratitude de la patiente
et de sa famille. « Je trouvais seulement incompréhensible et
contrariant qu’il ne fût jamais question entre nous de ce
remarquable résultat » (p. 35).
Ce cas condense les caractéristiques de telles interventions :
pas de demande manifeste, une conflictualité psychique « diffuse », l’importance du « venir-près » comme modalité de prévention, une attention du thérapeute souvent en deçà de
l’interprétation, l’offre d’une contenance qui renoue peut-être
avec les rituels disparus… Ce n’est jamais une mère seule qui
accouche, c’est le groupe, les voisins, la parentèle…
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