Chapitre 2 - fonds pour la recherche en ethique economique

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Chapitre 2. La pensée classique : de l’agrarianisme à l’analyse systématique
de la production
1. La pensée agrarienne.
1.1. Les physiocrates.
1.2. Adam Smith (1723 - 1790)
2. La pensée systématique ou Le matérialisme de David Ricardo à Piero Sraffa. ??
2.1. David Ricardo
2.2. Piero Sraffa
Introduction ?
L'économie politique classique aurait pu naître en France avec des précurseurs tels que
Vauban ou Boisguilbert, mais elle a trouvé un climat plus favorable en Angleterre avec le
puritanisme. Elle s'ordonne autour de la production et de la séquence :
valeur---> répartition---> prix
1) On peut faire remonter la pensée classique à Vauban ( dont notre collège s'honore
de porter le nom...). Sébastien le Prestre, Seigneur de Vauban ( 1633- 1707), Maréchal de
France, écrivit une foule d'écrits sur les fortifications, la guerre, la marine, les finances
publiques, la religion, la monnaie, l'agriculture et la colonisation. En 1698, il met en place un
recensement de la population et surtout élabore en 1707 un projet d'impôt dit de "dîme royale"
et son "testament politique": afin de simplifier les impôts ( nombreux, compliqués et
inefficaces), il propose un impôt unique sur le revenu, pouvant être de différents taux mais
dont le maximum serait de 10 %.... proposition qui compromettra sa position de favori au près
de Louis XIV. Il est conscient que l'impôt touche l'organisme économique au coeur.
Afin de justifier ce projet ( que l'on retrouvera chez Mirabeau et plus tard
chez....Allais), Vauban argumente avec tous les faits possibles, usant, à la manière de Petty,
de faits, poids et mesures. Non seulement il sera réputé comme créateur de la statistique mais
comme utilisateur de celle- ci aux fins de son argumentation.
" C'est ce qui fait de lui un économiste classique, au sens apologétique du mot, et un
précurseur des tendances modernes, bien qu'il n'ait pas contribué à l'appareil théorique
moderne de la science économique" ( Schumpeter, HEA, pp.203 passim).
La pensée de Vauban et celles de nombreux intellectuels français se retrouve tiraillée
entre la volonté de réformes et une résistance conservatrice très forte. La résolution de cette
tension n'interviendra qu'un siècle plus tard. De ce fait, la pensée classique trouvera plutôt son
inspiration dans l'extraordinaire révolution anglaise.
- 2- L'éthique protestante (Cf. le débat de Max Weber à Tawney) ne constitue pas une
entité globale. Il existe dans l'Angleterre du XVII° siècle une multitude de formes d'esprit
issues de la Réforme. Celle ci liée à l'origine au problème matrimonial de Henri VIII fait de
l'église une institution dont le pouvoir économique et politique sera considérablement réduit;
avec en particulier la dissolution des monastères et la disparition des abbés de la chambre des
Lords. La Réforme a eu en Angleterre un caractère irréversible. Jamais la religion de Rome ne
pourra rétablir son autorité. Tous les souverains qui se compromettront avec Rome y
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trouveront leur perte, en particulier Charles I° et Charles II. Elle fournit une approche du
monde adaptée à la nouvelle idéologie. En insistant sur la différence entre la connaissance
surnaturelle et la connaissance naturelle, elle donne à cette dernière les moyens de son
émancipation. Cette idée se trouvait déjà chez Calvin dans sa doctrine de la foi active, avec la
dissociation entre la hiérarchie céleste et la hiérarchie terrestre, entre causes principales et
causes secondaires. Mais l'idéologie de Calvin renferme aussi l'idée du contrôle direct de Dieu
sur ses créatures. Aussi, le rôle de Calvin deviendra de plus en plus diffus dans la religion
réformée anglaise Celle- ci minimise le domaine où intervient la puissance divine pour
proclamer le rôle de la nature. A la façon de John Preston, célèbre prédicateur puritain (Cf. Ch
Hill,1958): "Dieu n'altère pas la loi de la nature". Les sermons de John Preston ,comme
d'autres, ont lieu dans des centres contestataires. Chassés de Cambridge avant la révolution,
ils prêchent à Lincoln's Inn ou Gray's Inn où se retrouvent des puritains éclairés. La doctrine
prêchée est celle de la convention : Dieu est omnipotent mais il peut passer une convention
avec son serviteur pour limiter son pouvoir et dès lors ses actions deviennent prévisibles et
compréhensibles. Les "lecturers" , payés par les marchands, seront persécutés par
l'archevêque Laud jusqu'à la révolution; payés par leurs ouailles, ils peuvent proclamer l'après
midi, l'exact opposé de ce qu'a pu dire le matin le clergé officiel.
La tolérance des pays protestants est souvent opposée à l'intolérance qui régnait au
XVI/XVII° siècle dans les pays catholiques. Ainsi la tolérance anglaise pouvait être opposée à
l'intolérance qui régnait en France. Néanmoins, la tolérance en Angleterre n'atteignait pas le
niveau de celle qui régnait en Hollande ; un centre tel que celui de Leydes accueillera de
nombreux jeunes anglais épris de nouvelles techniques et de discussions théologiques.
Jacques II se préoccupera des mauvaises influences acquises par la jeunesse anglaise dans "un
endroit aussi infect que l'université de Leydes.." (cité dans Hill, 1972). La révolution de 1640
fera aboutir, sur la tolérance, les conceptions de Hobbes, Harrington avec de multiples
conséquences idéologiques. La religion perd définitivement l'importance qu'elle avait
auparavant. La pensée devient autonome. La réflexion économique peut s'affranchir de la
morale et s' appuyer sur le seul calcul des avantages et désavantages pour la richesse de
l'individu et de la nation. Le nouvel esprit intellectuel et le nouvel esprit religieux peuvent
coïncider. La nouvelle religion fondée sur l'individualisme permet la méthode expérimentale.
La religion elle- même, représente un terrain d'expérimentation où l'usage de l' autorité
diminue au profit des "soul experiments". Enfin la tolérance religieuse favorise la
productivité: on connaît les calculs de Petty dans ce domaine, montrant comment la tolérance
accroît la productivité de 50% ...
- 3- Plus généralement la pensée classique, sur les fondements socio- politiques du
XVII° siècle, analyse la production, les causes et l'évolution de la richesse. Elle pose de
l'équation pono- physiocratique en partant de l'agriculture ( Physiocrates- Smith- Malthus) et
en terminant par le travail ( Ricardo- Marx).
Elle ne reste pas à la superficie ou aux évidences, en développant des lois contreintuitives telle l'analyse ricardienne de la rente, ou les analyses (Smith, Ricardo) de la valeur.
D'où l'idée ( Marx) qu'elle est susceptible d'une critique logique. Elle se différencie ainsi du
sensualisme de Condillac (1776, Le commerce et le gouvernement considérés relativement
l'un à l'autre) et de ce qui sera plus tard le positivisme de Comte ( 1852, le Catéchisme...). Elle
est centrée sur la production, l'offre mais aussi les contradictions sociales. Certes la demande
peut intervenir, résultant de l' expansion démographique ou de l'évolution du pouvoir d'achat
ou encore du comportement des classes dépensières. Mais, elle prend ainsi un aspect
secondaire ou exogène.
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L' équation ponophysiocratique caractérise la pensée des premiers classiques ( Petty,
1660; et Cantillon, 1755 ). Prenons l'expression qu'en donne Cantillon dans les premières
phrases de son " Essai sur la nature du commerce en général":
" La terre est la source ou la matière d'où l'on tire la richesse; le travail est la forme qui
la produit.."
Cette expression aura de nombreuses versions ( terre mère/travail père) dans l'analyse
de la richesse classique. Une partie des classiques ( physiocrates, Smith, Malthus) insistera
plutôt sur la terre, la seule à même de produire plus qu'elle ne coûte. Une autre considérera
plutôt le travail et le capital ( Ricardo, Marx, Sraffa). Dans ce dernier cas intervient un
problème systématique qui correspond à la séquence de pensée valeur/répartition/prix.
Ainsi on peut poser cette subdivision entre classiques; en distinguant les agrariens d'un
côté et la pensée systématique de l'autre.
1. La pensée agrarienne.
Cette pensée privilégie la terre comme facteur exclusif ( les physiocrates) ou
prioritaire ( Smith et Malthus). Cette pensée est largement répandue en Europe au XVIII° .
1.1. Les physiocrates.
1.1.1. Généralités
a. Les troupes: en grande partie des intendants et contrôleurs généraux des
finances,
Les précurseurs: Boisguilbert ( Le Détail de la France, 1697 ;le Factum de la France),
Cantillon ( cf. supra) , Gournay ( père de la formule laissez faire/ laissez passer) mais ces
précurseurs ne situent pas uniquement en France compte tenu de l'influence de l'agrarianisme
anglais.
Les principaux membres :
Dupont de Nemours ( 1735- 1817), il prépare avec Turgot l'édit sur la liberté du
commerce des grains de 1764; inventeur de l'étiquette "physiocrate", il sera amené à s'exiler
aux États Unis à la fin de sa vie...
Le Mercier de la Rivière, théoricien politique; il est séduit, comme Diderot, par
l'expérience de Catherine II en Russie et expose sa conception du despotisme éclairé dans
l'"ordre naturel et essentiel des sociétés politiques"
Victor de Riqueti, marquis de Mirabeau ( père de..), (1715- 1783), écrit "l'ami des
hommes ou traité de la population" (1759) où il défend l'idée que la richesse dépend de la
population qui dépend des subsistances lesquelles dépendent de la terre...c'est donc la terre qui
est à l'origine de toute richesse.Il rédige l'essentiel, avec Quesnay, de la "philosophie rurale" (
1763).
François Quesnay ( 1694- 1774).
D'origine modeste ( son père issu de la terre est petit avocat au Parlement), il réalise
des études de médecin chirurgien et devient médecin personnel de la Pompadour puis du roi.
Il s'installe à Versailles qui devient le lieu de l'école.
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Il écrit deux articles de l'encyclopédie ( 1751): "fermiers" et "grains",le tableau
économique ( 1758) et aussi " Le Droit naturel " (1765) qu'il publie dans le "Journal de
l'agriculture, du commerce et des finances", journal dirigé par Dupont de Nemours; il y publie
plusieurs commentaires sur le Tableau. Citons encore " ses maximes générales du
gouvernement d'un royaume agricole "(1758) et encore des propos ayant trait au despotisme
de la chine ou encore au gouvernement des incas du Pérou.
Les sympathisants: de nombreux contrôleurs généraux ( Bertin,1715-1788, grand
protecteur de l'agriculture, Callone, et intendants des finances ( Truden, 1709-1769 et surtout
Turgot..).
Le sympathisant le plus connu est Turgot (1727- 1791), renonçant à la prêtrise et à
l'enseignement, il devient intendant à Limoges où il effectue des recensements. Les idées
physiocrates classiques sont très améliorées avec des théories nouvelles: minimum
physiologique, loi des rendements non proportionnels. I
Les adversaires
Les derniers mercantilistes: Forbonnet, l'abbé Galiani, l'abbé Terray et surtout Necker
qui fera l'éloge de Colbert.
Les classiques: Graslin ( 1727- 1790) selon lequel l'industrie peut être également
productrice nette, ce que l'on retrouve chez l' abbé de Condillac ( 1714- 1780) avec son
ouvrage économique en 1776: du commerce et du gouvernement considérés relativement l'un
à l' autre.
Les pré- socialistes ( Rousseau dont la philosophie sur l'ordre naturel diverge du
conservatisme des physiocrates et surtout ses idées politiques sur la propriété et les inégalités;
l'abbé Mably, Morelly).
Voltaire dont le conte sur l' "homme aux quarante écus" attaque la physiocratie...
b. Généralités sur la pensée des physiocrates
La pensée des physiocrates a toujours été source d'interrogations tant elle repose sur
des dilemmes, sinon apparaît contradictoire:
- dilemme pensée réactionnaire/ moderne. réactionnaire quand elle fait appel à l'ordre
naturel, à la propriété au royaume.
- dilemme "secte française" ou mouvement international
- dilemme entre pensée sociale "macro"( avec des catégories représentatives) et
réflexion sur l'homme. Ainsi Louis Dumont y voit la naissance d'un "tout ordonné", sinon du
holisme
Elle commence ainsi par une réflexion sur la philosophie de l'homme.. puis des classes
et finit par une réflexion sur les agrégats eux mêmes. Cette pensée peut être résumée par trois
ordres:
- l'ordre naturel: une certaine conception de la nature, l'homme et de la société.
Il existe des lois naturelles: "..la législation positive consiste donc dans la déclaration
des lois naturelles, constitutives de l'ordre évidemment le plus avantageux possible aux
homme réunis " en société. ( Droit Naturel). Les transgressions du droit naturel sont la source
de tous les maux. D'où une négation de l'histoire et une immuabilité de l'ordre des choses. La
meilleure critique contemporaine est celle de Rousseau.
L'homme est soumis aux lois naturelles, mû par l'hédonisme ( il est dans la nature
humaine de maximiser son intérêt personnel) et une certaine sociabilité ( le XVIII° est le
siècle de la bienveillance).
La société, régie par le contrat social, met en harmonie les intérêts particuliers et la
société; "l"'intérêt particulier est le premier lien de la société; d'où il suit que la société est
d'autant plus assurée que l'intérêt particulier est le plus abri" ( Mirabeau). Les hommes sont
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égaux , mais l'inégalité est le fruit des différences de milieu et de capacité dans le travail. D'où
l'idée que la liberté implique la liberté de sa personne et celle des choses acquises par le
travail.
Toute atteinte à la liberté du commerce et de l'industrie est une atteinte aux droits de
l'homme; la liberté permet la concurrence et la diminution des coûts. Il faut donc condamner
les monopoles et privilèges.
- l'ordre économique: critiques du mercantilisme ( sur l'enrichissement, l'agriculture
productrice nette, libéralisme afin d'assurer un revenu élevé à l' agriculture), les rapports entre
les classes et le tableau économique).
- La richesse ne se confond pas avec le stock monétaire ( car tout dépend de la
consommation productive, i.e ce que , ce que l'on peut consommer sans s'appauvrir. Elle ne se
confond pas plus avec la population. L'expression de Mirabeau est restée célèbre: " Les
hommes se multiplient comme des rats dans un grenier s'ils ont les moyens de subsister"
- Seule l'agriculture est productrice nette:
" Les travaux de l'agriculture dédommagent des frais, payent la main d'oeuvre de la
culture , procurent des gains aux laboureurs et de plus, ils produisent les revenus des biens
fonds( la rente foncière). Ceux qui achètent les ouvrages d'industrie, payent les frais, la main
d'oeuvre et le gain des marchands, mais ces ouvrages ne paient aucun revenu au delà.
L'industrie et le commerce sont stériles, et on ferait double emploi si, dans le but de
calculer la valeur du produit national, l'on additionnait la valeur des biens agricoles et celle
des biens industriels.
- Seule la liberté peut assurer un revenu élevé à l'agriculture. Elle réduit les coûts et
abolit les monopoles. Elle permet d' obtenir de bons prix et d'élever la productivité:
" Abondance et non valeur n'est point richesse. Disette et cherté est misère. Abondance
et cherté est opulence". ( Quesnay). ( cf. editn GF. p. 111)
La liberté intérieure et extérieure est la condition de la richesse:
Turgot: " Quiconque n'oubliera pas qu' il y a des frontières entre les nations, ne traitera
jamais bien d'aucune question d'économie politique".
- L'ordre économique règle les rapports entre les trois classes fondamentales: classe
productive, classe des propriétaires et classe stérile.
* La classe productive ( voir def . in GF p. 209): "celle qui fait renaître par la culture
du territoire, les richesses annuelles de la Nation" Il s'agit en fait des fermiers qui font des
avances:
- avances primitives: dépense en capital fixe ( machines etc....).
- avances annuelles: capital circulant ( semences et salaires).
* "La classe des propriétaires comprend le souverain, les possesseurs de terre et les
décimateurs".(ibid p. 210).Elle subsiste par le revenu ou produit net qui lui est payé
annuellement par la classe productive. Cette classe par sa distribution (naturelle) conditionne
le développement harmonieux du pays ( cf; Malthus plus tard avec le rôle des dépense de
luxe), il est donc nécessaire de protéger la "propriété foncière qui est le prolongement de la
liberté individuelle...". Ces propriétaires font aussi des avances, les avances foncières : fonds
de terre ou infrastructures ( de la part du souverain).
* La classe stérile.
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Tous les autres... dont les dépense sont payées par la classe productive et celle des
propriétaires.
- Le tableau économique est le reflet de l'ordre économique
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La troisième invention capitale..après l'écriture et la monnaie ( Mirabeau). Dans sa
première version, le ZIZAC, il montre le rôle central de la distribution effectuée pour moitié
entre moyens de subsistance et pour moitié de produits façonnés (ou propension à
consommer..) Soit une avance par la classe productive de 2 milliards qui produit 3 milliards
dont 2 de produit net. Soit la classe productive (I) qui alloue ses 2 milliards de produit net à la
la classe des propriétaires ( II) ; celle ci répartit ses dépenses raison de 1 milliards pour classe
productive (I) et I milliards pour la classe stérile ( III) et à leur tour chaque classe répartit à
raison de 1/2 entre dépenses agricoles et commerciales etc....( voir p. 150 de GF).
Le tableau lui même étudie les flux des dépense entre catégories représentatives, il est
typiquement macro-économique et on peut même l'interpréter au delà de l'état stationnaire
comme un phénomène multiplicateur.
Soit 5 milliards d'avances annuelles, à raison de 2 pour la classe I, 2 ( en fait du
revenu) pour la classe II et 1 pour la classe III. La classe II conserve sa propension à
consommer ( I/2 entre I et III). Le milliard de la classe stérile est utilisé pour acheter de la
subsistance à I . Néanmoins la classe I achète 1 milliards à la classe stérile.
Au total, la classe productive auto consomme 2 milliards, verse 2 milliards aux
propriétaires et achète 1 milliards aux "stériles". Elle effectue ainsi 5 milliards de dépenses
Extrait du site CHPE ( Paulette TAIEB)
On voit ainsi nettement un tableau qui préfigure les schémas des avances de Marx et
plus encore les tableau input/ouput de type Léontief.
- l'ordre politique: despotisme légal, la contradiction entre l'agrarianisme et l'impôt sur
l'agriculture.
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Les physiocrates en défendant le despotisme légal s'éloignent de Rousseau et
Montesqieu comme on l'a vu sur le tableau précédent, le souverain a les mêmes intérets que
les propriétaires fonciers ( il est le propriétaire éminent). Il déclare et protège dans ses
applications les lois naturelles. Le pouvoir politique ( cf. le Mercier de la Rivière) est
nécessaire, il doit être concentré dans les mêmes mains et il faut que la monarchie soit
héréditaire. Déclarant les lois naturelles et s'y conformant, elle ne peut être arbitraire.
Si le produit net est le seul à produire des richesses, lui seul doit être taxé. Donc le
souverain a tout intérêt à protéger l'agriculture seule base fiscale......Les "économistes" sont
ainsi pour un impôt direct ( impôt direct = pauvre paysan pour Quesnay) proportionnel au
produit net. Il servira à payer les fonctionnaires ( chargés de l'ordre naturel), aux
infrastructures, et enfin à l'éducation publique et obligatoire.
Enfin l'expansion coloniale est pour eux préjudiciable à la classe des fermiers et à celle
des propriétaires fonciers.
1.1.2. Mouvement ou école physiocratique ?
La pensée physiocratique aux yeux des historiens est apparue dans la plupart des cas
comme une pensée dogmatique strictement limitée dans le temps et dans l'espace,
correspondant à une "forme d'esprit bien Française" (Barrère). La physiocratie est encore
apparue comme une réaction organisée contre les excès des mercantilistes, Colbert
notamment. Les "physiocrates" ont pu être caricaturés au point d'apparaître comme un
ramassis de courtisans "réactionnaires". Ainsi a-t-on pu écrire que la doctrine physiocratique
était une tentative désespérée des propriétaires fonciers pour arrêter le progrès technique, un
essai de renversement de la noblesse pour sauver la monarchie contre le Tiers-Etat. ( Bernard,
1963, Goldman, 1952).
Selon Paul Harsin (1964) dans sa préface à l'ouvrage de J.F.Faure-Soulet ("DeMandeville à Turgot"), il faut apporter une "très sérieuse atténuation à l'opposition accusée
entre mercantilistes et physiocrates. Les néo-mercantilistes à la fin du 17è siècle et à la
première moitié du 18è siècle (Petty, Cantillon) tirent leur philosophie et plus d'une de leurs
conceptions du même fond idéologique que les physiocrates".
Il faut remarquer, à propos de la physiocratie, qu'elle représente un mouvement où les
hétérodoxes sont plus nombreux que les disciples orthodoxes de Quesnay. Certes, il y a une
école physiocratique après la conversion de Mirabeau et la mort de Gournay (1758); elle se
constitue même en parti en 1767, avec son journal "les éphémérides du citoyen"), jusqu'en
1770 où , frappée de disgrâce, elle disparaîtra.
Mais la pensée physiocratique :
- a des origines beaucoup plus anciennes : Quesnay et Mirabeau vantent les grandes
vues de Sully, que nombre de physiocrates considèrent comme le fondateur du mouvement, et
le "Gouvernement économique idéal", aurait, selon eux, déjà existé lors des dix premières
années du 17è siècle.
- se poursuit bien au-delà de la disparition des Ephémérides en 1772. A cette époque,
l'école physiocratique, elle-même, disparaît, mais le mouvement se poursuit sous des formes
diverses:
- En France, avec Turgot, qui expose une vision synthétique de la doctrine
physiocratique, avec Morellet qui tente une synthèse entre les deux courants divergents qui
coexistent depuis la mort de Gournay, de façon aussi heureuse avec les abbés Baudeau et
Roubaud, ou encore avec des auteurs postérieurs comme Daire, Passy, le Marquis G.Garnier,
(qui publie, en 1796 "l'abrégé de la lumière des principes de l'Economie Politique), et enfin
avec Dutens qui publie sa philosophie de l'Economie Politique en 1835.
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- En Allemagne avec Th. A. H. Schmalz, Conseiller du Roi de Prusse, et avec
Margrave, Charles Frédéric de Bade, qui après avoir publié une "Analyse abrégée des
principes de l'économie politique" fera l'expérience malheureuse de l'impôt unique dans
plusieurs villages de son territoire.
- En Italie, avec de nombreux auteurs, tels que Filangieri, F. Paoletti.La pensée
physiocratique influencera d'ailleurs plusieurs ministres toscans.
- Mais aussi en Pologne : avec Strognowski et en Russie avec le Prince Galitzin.
Mais le mouvement connaîtra aussi d'importants prolongements en Angleterre, pays
qui n'échappe ni au mouvement physiocratique ni à ses excès. C'est ainsi qu'on y trouve des
auteurs qui, tel W.Spence, reprennent, tels quels, les principes physiocratiques en les
caricaturant, ou encore l'auteur anonyme de "the essential principles of the wealth of nations",
(Londres 1797), auquel Marx consacre un chapitre de ses théories de la plus value. Smith a
été largement influencé par les physiocrates; on sait que Marx consacrera un des chapitres des
"Théories sur la plus value" aux aspects physiocratiques de l'oeuvre de Smith. L'analyse
comparée des auteurs Anglais antérieurs et postérieurs à l'école physiocratique pourrait
démontrer à quel point cette dernière est débitrice vis-à-vis des auteurs Anglais, à la fois par
ses origines et ses prolongements.
S'il y a "école physiocratique" avec des particularités nationales, il y a un mouvement
physiocratique qui, lui, est international, et correspond à certains problèmes posés par un état
donné de complexité des modes de production.
Marx dans les Théorie sur la plus value, concilie ainsi le déterminisme géographique
et l' analyse économique quand il affirme : "le système physiocratique se présente comme la
nouvelle société capitaliste, s'installant dans le cadre de la société féodale. Il correspond donc
à la société bourgeoise à l'époque, où elle nait du système féodal. Son lieu de naissance est
donc la France, pays surtout agricole, et non pas l'Angleterre où dominent le commerce,
l'industrie et la navigation maritime".
Marx insiste, à plusieurs reprises, sur la division de l'école classique, en deux pensées,
"Anglaise et Française"; montrant comment les contrastes nationaux existant entre deux
pensées, permettent d'éclairer les différences sociales économiques de l'Angleterre et de la
France.
Précisément, pour pouvoir analyser la plus value, il fallait que les auteurs se centrent
sur le problème de la production hors des problèmes de la circulation. A ce point de vue, la
France était un pays privilégie, étant donné la prédominance de l'agriculture dans l'activité
générale du pays. C'est dans des conditions historiques données (tenant surtout à l'apparition
du capitalisme rural) que le mouvement physiocratique arrivera à rassembler en système, des
idées qui avaient été émises en France, et surtout en Angleterre. (Cf. Histoire des Doctrines
Economiques - op. cit. p. 51). Cette vision systématique permettra à certains physiocrates une
analyse plus poussée du capital, de sa circulation et de sa reproduction. La pensée
physiocratique n'est donc pas un accident historique, elle n'est pas, non plus, une pensée
réactionnaire.
Conscients de la décadence de l'agriculture Française et des difficultés rencontrées par
les fermiers, ils auront tendance à associer difficultés des fermiers et difficultés des
propriétaires, en condamnant le métayage, qui signifie, pour eux, pénurie de capital agricole.
(Cf. Weulersse op Cit I p. 358). Ainsi, ils recommandent la grande agriculture et affirment
que la productivité de la terre est en proportion des capitaux qui lui sont appliqués; seuls, la
grande culture, et donc de grands capitaux, permettant l'introduction du progrès technique.
C'est un véritable bouleversement technique que proposent les physiocrates dans le
cadre de leur projet de grande culture : on note dans leurs suggestions, l'extension de la
méthode de l'assolement triennal qui n'était appliqué que dans le Nord et le Nord-Ouest de la
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France à l'époque, le développement de l'élevage grâce aux prairies artificielles et aux engrais,
qui loin de se substituer à la culture, doit, au contraire, la favoriser : "telles sont les richesses
en bestiaux, telles sont les richesses de l'agriculture". (Quesnay - Article "Hommes").
Ils encourageront la mécanisation de l'agriculture, par exemple le semoir que Voltaire
déjà recommandait. H.Denis souligne, avec raison, que "les physiocrates firent la théorie d'un
capitalisme agraire" . Il rejoint en cela les conclusions du magnum opus de Weulersse, ou
antérieurement, de Jean Jaurès, qui écrivait que "la conception terrienne des Economistes
faisait corps avec le capitalisme moderne". Puisque toutes les propositions techniques et les
propositions politiques qui leur sont assorties sont amenées en référence au modèle Anglais, il
est donc impossible de comprendre le mouvement physiocratique sans faire référence à ce
modèle, lui-même.
1.1.3. Le rôle important du modèle anglais sur la formation de la pensée
physiocratique
Au 18è siècle, le modèle Anglais se substituera en France au modèle Hollandais ;
Quesnay explique pourquoi dans les maximes du Gouvernement Economique (Appendice à
l'article "Grains").
" La Hollande ne se soutient que par des privations éternelles. De là ce caractère
laborieux, ces moeurs tristes, entretenus par la police et les lois les plus rigoureuses.
L'opulence est presque aussi sombre que la misère. On louera donc le Hollandais, mais
on n'enviera pas son sort ; son bonheur serait le malheur de tout autre peuple."
La politique économique Anglaise est enviée, car elle a permis d'enrayer, à partir du
milieu du 18è siècle la baisse des produits agricoles, et donc des rentes qui sévissaient depuis
un siècle. L'Angleterre après avoir manqué de blé "est en état, maintenant, de porter le blé aux
nations qui en manquent". (Quesnay - Article "Grains"). Le sort du fermier Anglais déjà
admiré par Voltaire (Voltaire, fin de la 9ème lettre sur les Anglais), est cité en exemple par la
plupart des auteurs. (Cf. l'article "Fermiers", l'article "Grains",etc..)
Ainsi, constatant la décadence de l'agriculture Française, (les prix des denrées avaient
diminué de moitié de 1665 à 1695) Boisguillebert cite : "L'exemple de l'Angleterre qui achète
la sortie des grains à prix d'argent. (Cf factum - chapitre XI p. 344). S'ils ne sont pas d'accord
sur les moyens de la réaliser, tous les "Economistes" demandent la diminution du taux de
l'intérêt, à l'exemple de ce qui s'est passé en Angleterre, car selon Boisguillebert "toute hausse
de l'intérêt signifie la mort et la ruine de l'Etat". (Dissertation - chapitre V ); l'intérêt trop haut
retarde et même empêche le progrès de la culture.
Les techniques Anglaises permises par le développement du capitalisme agraire sont
discutées et leur application est recommandée. (Cf. S.J. Bourde "the Influence of England on
the French Agronome". 1750 - 1789 - Cambridge. 1953). En matière économique, comme
dans l'ensemble de la pensée, la France vit à l'heure Anglaise. Le Journal Economique écrit
ainsi en 1755 que la France "achève de devenir Newtonienne". De façon générale, les
économistes et les écrivains Anglais qui ont, peu ou prou ,encouragé le progrès des
techniques, particulièrement en agriculture, sont admirés.
Par exemple, commentant Swift qui écrit "Si j'avais un homme qui me produisit deux
épis au lieu d'un, je le préférerais à des génies politiques" ; le philosophe Raynal ravi ajoute :
"La Nation qui produisait de tels écrivains devait réaliser cette belle sentence. L
'Angleterre double le produit de sa culture. L'Europe vit, sous les yeux, pendant plus d'un
demi-siècle, ce grand exemple sans en être assez vivement frappée pour le suivre".
(Abbé Raynal : "Histoire philosophique et politique des établissements et du
commerce des Européens dans les deux Indes 1770 - Livre XIX Chapitre VII, Tome X )
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Les traductions, les adaptations, les abrégés d'auteurs étrangers, surtout d'auteurs
Anglais, se multiplient : En 1729 le "Paradis perdu" de Milton est traduit par Dupré De St
Maur en 1736;il introduira, dix ans plus tard, "l'Economie Politique" de Locke en France,
grâce à son ouvrage "Essais sur les Monnaies" (1746).
Déjà, d'Argenson écrit en 1736 "Les Français s'anglicisent".
Après la paix de 1748, l'influence de l'Angleterre devient plus grande encore : Dangeul
publie, en 1754 ses "Remarques sur les avantages et les désavantages de la France et de la
Grande-Bretagne par rapport au commerce et aux autres sources de puissance des états. "Son
ouvrage se présente comme une pseudo-traduction d'un auteur Anglais, "John Nickolls".Il y
célèbre les Economistes Anglais les plus connus de Petty. Vincent De Gournay traduit Cupler,
Culpeper, Child, puis Gee (dont certaines oeuvres seront traduites par Secondat, le fils de
Montesquieu), encourage à la lecture de Cantillon. Forbonnais publie un abrégé du "British
Merchant du King en 1753, ("Le négociant Anglais" deux volumes 1753). La même année,
Turgot traduit les "Questions Importantes" de Josiah Tucker. Depuis la fin de l'année 1752, le
Journal Economique publie de larges extraits des journaux Anglais. L'Anglo-manie qui
régnait en France deviendra telle que Linguet, par exemple, dénoncera "la peste agronomique
qui est venue des bords de la Tamise.".
Parmi les auteurs Anglais qui ont contribué à la formation de la pensée physiocratique,
Petty occupe une place importante, malgré difficultés de la publication de ses ouvrages, et ses
comparaisons peu flatteuses pour la France. Ainsi, Petty est cité par Law dans ses
"Considérations sur le Numéraire". Law reprend notamment les calculs de Petty à propos de
l'évaluation de la valeur d'un homme, du lien qui existe entre le numéraire, le commerce et
l'augmentation de population. Petty est cité également par Melon dans son Essai politique sur
le commerce. Melon reconnait à Petty le mérite d'avoir inventé l'Arithmétique Politique, qui
permet de calculer la puissance d'un Etat et fonde la politique du commerce. Cet auteur, tout
en regrettant que Petty cherche à élever la puissance de l'Angleterre au-dessus de la France,
admire ses procédés de calculs pour la valeur des terres, des hommes, de la navigation, de
l'utilité des canaux, de la facilité des transports,etc.. (Melon "Essais politiques sur le
commerce" in Daire op. cit. p. 809 à 812).
Petty est lu par Vincent De Gournay, selon Morellet : "dans un temps où la langue
Anglaise n'était que fort peu cultivée parmi nous". En 1754 Dangeul trouve chez Petty une
répartition de l'état en trois classes : "Les productifs, ceux qui sont rémunérés pour leurs
services , ceux qui reçoivent de l'argent gratuitement". Quesnay cite Petty dans son article
"Hommes" en 1757, de même que Mirabeau dans "l'ami des hommes" en 1758 .
A partir de Juillet 1757, le Journal Economique traduit quasi intégralement
"l'Arithmétique Politique" de Petty, chapitre par chapitre en les assortissant de critiques,
particulièrement, sur la technique de calcul de la population. Petty, dans cette traduction, n'est
que cité incidemment, mais on retrouve tous les titres de chapitres de "l'Arithmétique
Politique". L'influence de Petty s'exprimera souvent de façon indirecte à travers Locke, par
exemple, ou Cantillon. Les idées économiques de Locke que Voltaire avait déjà révélées au
public Français sont encore reprises par Dupré de St Maur, par Quesnay, par Mirabeau.
Cependant, ce sont les aspects de la pensée de Locke les plus différents des idées de Petty, qui
seront accentués. Et c'est surtout par Cantillon que les idées de Petty seront dévoilées aux
physiocrates.
L'oeuvre de Cantillon sera connue tardivement, seulement vers 1755, grâce à Vincent
de Gournay. Le succès de l'ouvrage de Cantillon est considérable; selon "l'ami des hommes"
c'est le plus bel ouvrage sur ces matières qui ait paru, et il reprend de celui-ci la formuleponophysiocratique que Cantillon avait reprise à Petty. Selon Quesnay, Cantillon est l'auteur des
"vérités fondamentales". Quant à Turgot, il le range parmi les fondateurs de la "Science
Nouvelle" sur le même plan que Quesnay lui-même. Les physiocrates emprunteront chez
11
Cantillon de très nombreuses idées : La répartition en trois types de revenus, les progressions
techniques en matière agricole, la condamnation de toute domination légale du taux de
l'intérêt, ou encore l'idée que la quantité d'argent nécessaire à un état doit être limitée et
déterminée d'après le revenu net du territoire. Sous l'influence de Cantillon, Herbert cherche
la valeur intrinsèque des marchandises ; projet qui dévie par la suite, les physiocrates glissant
de l'idée d'un prix déterminé par le libre jeu de la concurrence à une conception subjective de
la valeur, notamment avec Turgot.
Cette influence des auteurs Anglais et de Petty est normale, car la France connait sur le
plan économique (en matière de développement agricole, notamment, ) et sur le plan
monétaire, (surtout à propos du taux d'intérêt,) des problèmes similaires à ceux que
l'Angleterre a connus auparavant.
De nombreux auteurs reprendront, désormais, à leur compte, les arguments qu'avaient
déjà évoqués les auteurs Anglais, tels que Petty, ou Davenant, pour condamner toute
intervention de l' Etat sur le plan monétaire, tels d'Argenson, Forbonnais, Mirabeau, Turgot.
Mais d'autres auteurs, tels que Vivens, Cliquot Blervache, Quesnay, Le Trosne, prendront
parti pour une limitation légale du taux de l'intérêt.
Conclusion sur la physiocratie
La pensée physiocratique est apparemment une "secte" hiérarchisée ( cf . le
pragmatisme) avec ses journaux et ses chefs, très marquée par le contexte (réactionnaire) de
Versailles. Elle peut être replacée dans un contexte agrarien international au nom d'une lecture
plus relativiste. Enfin un point de vue absolutiste , par exemple celui de Sraffa (1960), montre
que le traitement du produit net chez nos "économistes" préfigure celui effectué par la théorie
moderne des prix de production.
Assez curieusement, c'est surtout l'économie environnementale qui redécouvre la
physiocratie de façon récurrente, et en fait un cas particulier de la problématique du
développement durable. Enfin la théorie de l'ordre naturel ( Le Mercier de la Rivière)
réapparaît de façon curieuse comme une des rares façons de régler les conflits de normes du
droit international contemporain, notamment le droit d'ingérence.
En marge de la physiocratie: Rousseau
Jean Jacques Rousseau (1712- 1794), voir en particulier le Discours sur l'Economie
Politique de 1754 (la même année que le Discours sur l'inégalité).
Dans le triomphe physiocratique du XVIII° siècle ( et celui de l'ordre naturel immuable), la
théorie de Rousseau est discordante: l'ordre naturel est déjà perdu au profit de l'ordre du
besoin.... (Seul Voltaire , également critique des économistes dans l'homme aux quarante
écus, brocardera Rousseau qui "veut nous faire marcher à quatre pattes". Kant dans la
métaphysique des moeurs n' effectue pas ce nouveau procès). L 'impôt unique (obsession de
Vauban à Mirabeau le père) n'est qu'une commodité technocratique, l'important est de taxer
l'inégalité, non la richesse elle même.
La puissance de Rousseau tient dans sa philosophie et notamment dans son
anthropologie philosophique ( Mairet, 1992). Il ne l'invente peut être pas, mais en fait la
pratique. La question de l'inégalité par exemple est d'abord celle de l'homme , "la plus utile et
la moins avancée de toutes les connaissances.." (p. 65); "C'est de l'homme que j'ai à parler."
(p. 75).
Ce philosophe, contemporain des physiocrates et d'Adam Smith, a profondément
marqué les sciences sociales, en decà de sa philosophie ; l'anthropologie de toute évidence, en
tant qu'anthropologie philosophique, référence obligée et le plus souvent manquante dans les
histoires de l'anthropologie ( sociale et culturelle); l'économie dans une moinde mesure, la
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tradition physiocratique ( pour ne pas dire technocratique) l'emportant sur la philosophie
sociale de Rousseau.
Lévi Strauss (1962) ne manque pas de rendre hommage à Rousseau: "fondateur des
sciences de l'homme", " ne s'est pas borné à prévoir l'ethnologie; il l'a fondée.Le "discours sur
l' inégalité est le premier traité d'ethnologie générale et lui donne sa principale maxime
théorique: " Quand on veut étudier les hommes, il faut regarder près de soi; mais pour étudier
l'homme, il faut apprendre à porter sa vue très loin; il faut regarder les différences pour
découvrir les propriétés" ( Essai sur l'origine des langues, ch. VIII).
Le "Discours sur l'origine de l'inégalité" est l"enseignement proprement
anthropologique de Rousseau" ; "On découvre le fondement de ce doute, lequel réside dans
une conception de l'homme qui met l'autre avant le moi". L'identification à autrui ( cf
actuellement Harsanyi) accompagne la pitié, "la répugnance innée à voir souffrir son
semblable" ( Discours).
Il définit l' économie p.144, par un retour à l'oikos( maison) et au nomos ( loi), devenue par
extension l'économie publique, différente de l'économie particulière.Enfin, il a une influence
sur Kant ( le rôle du moi libre).
Sa conception du contrat social est célébre, notamment sous cette expression :
« Vous avez besoin de moi, car je suis riche et vous êtes pauvre ; faisons donc un
accord entre nous : je permettrai que vous ayez l’honneur de me servir à condition que vous
me donnerez le peu qui vous reste pour la peine que je prendrai à vous commander »,
(Rousseau, Sur l’économie politique, 1754).
1.2. Adam Smith (rien sur Malthus ?)
Mots clefs: bienveillance, division du travail, travail commandé, avantage absolu,
travail productif.
D'origine écossaise, étudie à Glasgow puis Oxford, deux universités où il enseigne la
logique, la philosophie morale en reliant très tôt éthique et économique. Après la publication
de la Théorie des Sentiments Moraux ( désormais TSM) en 1759, et de considérations sur la
formation du langage en 1761, il abandonne l'université pour devenir precepteur, puis
commissaire aux douanes en 1778. Il publie en 1776 la Richesse des Nations et se consacre à
la révision de ses écrits avant son décès en 1790. Plusieurs idées de la RDN sont déjà inscrites
dans les notes de cours ( Lectures on Justice, Police, Revenue and Arms, prises en 1763 et
publiées en 1896, edit. Cannan: Oxford).
Au cours d'un voyage de deux ans en Europe ( 1764- 1766) , il rencontre Quesnay et
Turgot à Paris et fréquente les grands salons parisiens.
C'est avec Smith que se termine la prise en compte directe des auteurs qui l'ont
précédé. Pour la majorité des historiens la publication de la "Richesse des Nations" marque le
passage d'une pensée pré-scientifique à une pensée scientifique. Malheureusement, le cas de
Smith permet- il d'illustrer une coupure dans le "Discours Economique", marquée par
l'avènement d'idées originales ? On connait les jugements sévères de Marx et de Schumpeter à
cet égard . Marx ironise à propos de Smith: "A.Smith a fait aux richesses spirituelles
l'application de son proverbe Ecossais : "Gagne petit, gagnera gros", et prend une peine
mesquine à cacher les sources auxquelles il doit le peu, dont il a su, en vérité, tirer beaucoup.
(in "Critique de l'Economie politique". Op. Cit I. P.430). Certains passages de la "Richesse
des Nations" sont littéralement copiés. Le début du Livre I de la "Richesse des Nations" par
exemple, n'est qu'un plagiat de Mandeville. Schumpeter est plus catégorique : "Le fait est qu'il
n'y a pas, dans la "Richesse des Nations" sur le plan de l'analyse, une idée, un principe, une
13
méthode qui ne soient, en 1776, entièrement nouveaux". (History of Economic Analysis, op.
cit. p.474.475).
1.2.1. TSM, la controverse sur la bienveillance.
"Every faculty in one man is the measure by which he judges of the like faculty in
another. I judge of your sight by my sight, of your ear by my ear, of your reason
by my reason, of your resentment by my resentment, of your love by my love. I
neither have, nor can have, any other way of judging about them." TSM, I.I.29
MALVEILLANCE (XVII°), BIENVEILLANCE ( XVIII° ) , ALTRUISME ( XIX°) ,
ENVIE (XX°).
La nature de l'homme suscite de nombreuses discussions théoriques parmi les
économistes depuis Adam Smith et cela d'autant que la science économique ( tout autant que
les politiques qui s'en inspirent) est d'abord un pari sur l'homme. Ce pari joue dans les
hypothèses de la microéconomie et dans l'insertion (tant risquée) d'hypothèses de
comportement dans les modèles de la macroéconomie . Ce socle anthropologique mérite un
constat approfondi sans pour autant réclamer une science économique "plus" humaine.
L'économie politique, constituée avec Adam Smith, commence par s'interroger sur la
nature de l'homme. L'anthropologie smithienne énoncée dans la théorie des sentiments
moraux est un préalable à la Richesse des Nations. La relation entre cette anthropologie et
l'économie a fait l'objet de longues discussions ( le Das Adam Smith Problem, Knies,
1853,Viner 1972). La nature bienveillante de l'homme sympathique de la TSM n'est- elle pas
en contradiction avec l'égoïsme calculateur de la RDN ?. L'histoire de la pensée économique
commencerati ainsi par une fracture entre anthropologie et économie .
L'anthropologie en économie analyse les moeurs économiques de facon hypothétique.
Ses hypothèses ont trait à l' environnement (X), aux biens, aux individus, à la relation ( ntuples Ri d'ordres individuels) entre les invidus et les biens. Au delà, elle peut porter sur les
choix que les hommes portent sur les choix des autres hommes. Cette attention à l'autre
implique de dépasser l'information sur l'ensemble des choix possibles afin de pouvoir juger de
la dotation de l'autre en termes de ses propres goûts ( Sen, 1977). Ainsi être concerné par
l'autre peut avoir un sens économique soit du point de vue habituel de l'altruisme ( en général
assimilé dans la tradition sociologique à la bienveillance) soit du point de vue philosophique
de la capacité à se mettre à la place de l'autre.
La bienveillance n'est qu'une des hypothèses possibles que l'on puisse établir d'emblée
sur l'autre, l'altruisme peut être bienveillant. Dans un processus ( jeu par ex.) le même
individu pourra être simultanément bienveillant ou malveillant. Mais, dans le jeu initial
d'hypothèses , une construction relativement complexe pourra être établie sur toutes les
hypothèses de comportement en faisant référence par exemple à un type de société ( état de
nature ou contrat social).
Cette question de la nature de l'homme a connu d'importants prolongements dans la
pensée contemporaine. Est- il envieux, malveillant, tolérant, jaloux, frustré ? Tous ces termes
ont fait l'objet de discussions approfondies chez les économistes, quelquefois avec les
sociologues (ex. la discussion sur la frustration avec Boudon (1981), beaucoup plus rarement
avec les "anthropologues " convaincus avec Polanyi du handicap anthropologique des les
économistes.
La nature de l'homme est considérée comme hypothétique dans la littérature
économique contemporaine : s'il est social, quel type de comportement a priori ? a- social/
sympathique, égoïste/altruiste, bienveillant/ malveillant , jaloux, rancunier envieux,
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complaisant, tolérant, frustré, juste, mimétique; ces différents termes pouvant être combinés.
On peut ainsi faire l'hypothèse d'un égoïste/ malveillant/tolérant. Des modalités ( faible/fort)
peuvent compléter l'édifice dont la complexité s'aggrave avec les relations de second ordre et
les choix de l'un sur les choix de l'autre.
Une théorie de l'anthropologie économique ne peut traiter de l'homme isolément; elle
étudie la condition humaine ou la nature humaine; il s'agit en général de l'homme en
interaction et partant, des sentiments que les hommes éprouvent entre eux; d'où l'importance
du type de relation que les hommes tissent entre eux, soit de leur interaction. Cette interaction
donne lieu à de multiples hypothèses. On peut postuler un état de nature ( l'"anthropologie
hobbienne" reposerait sur la fiction de la condition naturelle des hommes, cf; Michel Meyer,
La philosophie anglo- saxonne, Paris, PUF, 1994) ou rentrer dans le sentimentalisme du
XVIII°siècle. L'interaction, autant que la nature des individus rentre dans un cadre
hypothétique.
Il manque un concept entre la "sympathie" et la "bienveillance", avant la confusion
introduite par le concept sociologique de l'altruisme ( qui inclut forcément la bienveillance).
L'idée de sympathie n'est pas intuitive en langue française ("sympathique " a une valeur
positive).
Hume: la bienveillance première
L' "Enquête sur les principes de la morale", écrit en 1751, traite de façon systématique
de la morale, de son origine et notamment de la bienveillance ( comme principe général) et de
la sympathie ( pour quelqu'un). Cet univers ,loin du dilemme âge d'or/ état de nature entend
donner un fondement rationnel aux vertus sociales, par exemple à la bienveillance et à la
justice. En fait, justice et vertus sociales en général, ont une utilité . Si donc, on ne peut
postuler tel Hobbes dans le Léviathan ( Selfish system of morals selon Hume) que nous
sommes dans un état de nature où s'opposent des hommes égoïstes, c'est bien sûr parceque les
hommes attribuent naturellement de l'utilité et que cette utilité ( II, V) plaît .
David Hume se situe ainsi, avec Hutcheson et Butler dans le camp de ceux qui fondent
la morale naturelle sur la bienveillance( le XVIII°) serait caractérisé par une contre révolution
sentimentale après l'apologie de l'égoïsme du XVII° siècle) laquelle se manifeste comme une
passion tendre mais trouve une généralité rationnelle dans l'utilité.
La sympathie est donc généralisée dans l' Enquête par rapport au Traité de la Nature
Humaine (1738- 1740) et trouve un fondement rationnel.
Adam Smith: De la sympathie à la bienveillance limitée .
La sympathie occupe une place particulière dans la Théorie des Sentiments Moraux
(1759), au sein de la tradition de la philosophie écossaise. Mais, l'ordre des valeurs morales
change, la bienveillance perd du terrain ( Dupuy, Sacrifice et Envie, p. 82/ 83) au profit de
l'amour propre ( voir encore R.H.Coase, " Adam Smith's view of man, JLE, 19, Oct. 76, pp.
529- 546).
La sympathie est ( chapitre I) de la TSM un " principe d'intérêt pour ce qui arrive aux
autres.." comme "faculté de partager les passions des autres quelles qu'elles soient". Cette
sympathie comme "extended sympathy", devenue mutuelle donne du plaisir ( ch. 2) . Mais
que penser de cette sympathie ? Dans le chapitre III, Smith nous rappelle que nous pouvons
approuver ce sentiment s'il est convenable, le blâmer autrement ( cf. p.14).
Le sentiment vis à vis de l'Autre est le point de départ de la TSM:
" How selfish soever man may be supposed, there are evidently some principles in his
nature, which interest him in the fortune of others, and render their happiness necessary to
him, though he derives nothing from it except the pleasure of seeing it."
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La sympathie ( à la base de la TSM) est éprouvée grâce à l'imagination en se mettant à
la place de l'autre.
" They never did, and never can, carry us beyond our own person, and it is by the
imagination only that we can form any conception of what are his sensations. Neither can that
faculty help us to this any other way, than by representing to us what would be our own, if we
were in his case. It is the impressions of our own senses only, not those of his, which our
imaginations copy. By the imagination we place ourselves in his situation, we conceive
ourselves enduring all the same torments, we enter as it were into his body, and become in
some measure the same person with him, and thence form some idea of his sensations, and
even feel something which, though weaker in degree, is not altogether unlike them. "
Ce problème est inséparable du Das Adam Smith Problem (Knies,1853) ( revirement
ou non de Smith vis à vis de la sympathie et de la bienveillance, première dans la TSM,
secondaire dans la RDN avec la fameuse phrase sur la non pertinence de la bienveillance du
boucher...mais de son intérêt par rapport à notre propre intérêt.etc.... ).
Les passions peuvent être sociales , asociales ou être mues par l'égoïsme:
"Besides those two opposite sets of passions, the social and unsocial, there is another
which holds a sort of middle place between them; is never either so graceful as is sometimes
the one set, nor is ever so odious as is sometimes the other. Grief and joy, when conceived
upon account of our own private good or bad fortune, constitute this third set of passions. "(
premières lignes du Ch. 5)
Smith part de Hume ( sans le citer) et s'interroge sur le fondement utilitaire de la
sympathie vis à vis des sentiments ou du jugement des autres:
"Leur utilité, dira-t-on , est ce qui nous porte le plus à les estimer".....mais selon Smith,
l'utilité "est une arrière pensée, et jamais le premier motif de notre approbation"
Ce qui est important c'est la justesse ou encore la perspicacité du jugement de l'autre
ou sa conformité à notre jugement". Ou encore la capacité "imaginaire eventuellement" à se
mettre à la place des autres. Dès lors on peut juger des passions des autres.....et voir si elle est
"convenable".
Dans la TSM, Smith s'éloigne de la conception rationaliste de Hume en mettant en
avant la capacité de l'imagination à se placer au lieu de l'autre ( donc de l' intégrer dans ses
préoccupations). Le commentateur de la traduction française évoque à ce propos, l'"erreur
systématique" de Smith "qui ramène "tout à la sympathie" au lieu de partir du jugement ( ce
que Hume appelle l'entendement).
On s'étonne avec Henri Baudrillart ( compte tenu des clichés sur l'homo oeconomicus
smithien) de la position de Smith sur l'utilité et l'égoïsme , :
" Smith se sépare ici et se séparera plus profondément encore de ce qui suit de ces
philosophes qui font de l'utilité la seule règle de nos jugements".
Si nous éprouvons ( Smith, p. 46) plus facilement de la sympathie pour la douleur ( il
existe une implication plus facile pour la douleur que pour la joie), l'implication est telle que
"la douleur sympathique est moins forte que celle de la personne intéressée" ( p.46).
Mais, le plaisir tient dans la "sympathie réciproque" quand nous constatons que les
sentiments sont en accord chez les deux partenaires d'où l'importance du" sentiment de
l'approbation."
La "sympathie" peut donc être agréable ou désagréable et n'être pas forcément
bienveillante. ( Cf. Dupuy, la sympathie n'est pas forcément bienveillante).
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" L'observation la plus frappante qui s'offre ordinairement à nous, c'est qu'il nous est
naturel de sympathiser fortement avec la douleur, et faiblement avec le plaisir" ( Smith,
ibid.p.47.
" We are generally most disposed to sympathize with small joys and great sorrows."
La sympathie peut donner lieu à de l'envie qui empêche la "sympathie pour la joie".
« We readily, therefore, sympathize with it in others, whenever we are not prejudiced
by envy. But grief is painful, and the mind, even when it is our own misfortune, naturally
resists and recoils from it. We would endeavour either not to conceive it at all, or to shake it
off as soon as we have conceived it. Our aversion to grief will not, indeed, always hinder us
from conceiving it in our own case upon very trifling occasions, but it constantly prevents us
from sympathizing with it in others when excited by the like frivolous causes: for our
sympathetic passions are always less irresistible than our original ones. There is, besides, a
malice in mankind, which not only prevents all sympathy with little uneasinesses, but
renders them in som measure diverting."
Par contre au delà de la sympathie (agréable ou désagréable), se manifeste le sentiment
d'approbation qui est toujours agréable. La sympathie n'est pas forcément la bienveillance ce
que répéte Dupuy (ibid.) à de nombreuses reprises.
On retrouve dans la partie VI, section II, l'idée (cf. Hume) d'une bienveillance
universelle au delà de la sympathie: notre bienveillance n'est circonscrite par aucune borne et
elle peut embrasser tout l'univers. Mais les vertus , en général sont recommandées par la
"convenance": à savoir "l'attention aux sentiments d'un spectateur supposé impartial. ( p.
308)". L'inconvenance ( de la passion par exemple) sera modérée par les sentiments plus
modérés de ce spectateur.
L'amour propre (Self love ) est supérieur à la bienveillance ....dans certains domaines.
Smith critique Hutcheson selon lequel l' amour- propre "ne peut jamais être le motif d'
aucune action vertueuse" (ibid, p. 355)
La bienveillance peut dans certains cas n'être pas adapté à son objet et l'homme
"créature imparfaite" "doit souvent agir selon un autre principe que la bienveillance". Ainsi
l'amour de soi peut être la cause d'une action vertueuse. (p. 356). Tel est le cas de économie,
de l'industrie ou dans un autre genre, de la "discrétion et de le reflexion". On pourra ainsi
blâmer le manque d'attention convenable à notre intérêt personnel.
Ainsi l'économie fait partie des exceptions où peut s'exprimer le "self love", ce que
montrera Adam Smith dans la Richesse des Nations.
Tout ceci montre que la bienveillance est un cas particulier; notre "sympathie" est
acompagnée d'une dose de morale ( Sidgwick, 1874, p. 502) de telle sorte qu' elle ne donne
pas lieu forcément à de la bienveillance. Tout dépend de la proportion entre la dose de
sympathie et la dose de morale. Nous apprécions donc l'autre et ses préférences avec l'idée
que les jugements de valeur ( y compris les jugements de second ordre) sont des données que
le processus de décision ne peut modifier. Arrow (1951) nous rappelle que " C'est
naturellement le point de vue classique en théorie économique".
La malveillance tient place dans nos sentiments:
The hatred and dislike, in the same manner, which grow upon habitual disapprobation,
would often lead us to take a malicious pleasure in the misfortune of the man whose conduct
and character excite so painful a passion." II,1,8
Bienveillance et malveillance sont en relation très instable, mais la nature nous pousse
à la bienveillance:
« Nature, however, when she implanted the seeds of this irregularity in the human
breast, seems, as upon all other occasions, to have intended the happiness and perfection of
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the species. If the hurtfulness of the design, if the malevolence of the affection, were alone the
causes which excited our resentment, we should feel all the furies of that passion against any
person in whose breast we suspected or believed such designs or affections were harboured,
though they had never broke out into any action. Sentiments, thoughts, intentions, would
become the objects of punishment.
En conclusion, la théorie des sentiments moraux est l'objet d'une relecture récente de
la nouvelle théorie économique de l' interaction sociale. Selon Becker ( 1974), l’ hypothèse
d’« envie et de haine » est soit minimisée, au nom de la protection apportée par la société
(Smith 1776), soit exagérée au point de devenir la raison d’être de la vie (Veblen, 1899) .
En fait, cette hypothèse de comportement est généralement minimisée dans le
raisonnement économique tant le comportement y est déterminé par l' hédonisme pour soi et
pour les autres. Cette tendance a été renforcée par l’importation en économie du concept
sociologique de l'altruisme, restreint par son fondateur Auguste Comte à la bienveillance.
1.2.2. Les idées économiques de Smith : bonté de la Nature --> RDN
a. Smith, continuateur des physiocrates ?
Très influencé, Smith est très critique ( voir tome II de la RDN) par rapport au système
mercantile et au "système ingénieux" des physiocrates dont il dénonce les erreurs mais "qui ne
fera aucun mal en aucun lieu du monde."
Dans l'histoire des "Théories sur la plus value" ( Marx, Livre IV du Capital ?), Marx
insiste sur les idées physiocrates de Smith, " tout imprégné des idées des physiocrates".
" Adam Smith défend encore une conception physiocrate qui corresponde à la période
précédant directement la grande industrie.". Sa conception de la richesse est directement
héritée des physiocrates ( somme des choses commodes, agréables et utiles à la vie)."
La bonté de la nature
Ricardo d'ailleurs dénonçait déjà dans les Principes le préjugé physioicratique de
Smith selon lequel une somme donnée de travail productif donne toujours une reproduction
supérieure dans l'agriculture par rapport à l'industrie car dans l'agriculture la nature intervient.
Prix et répartition: la rente première
D'où son erreur , dénoncée à la fois par Ricardo et Marx selon lequel le profit n'est
qu'un prélèvement sur la rente. Par exemple quand Smith examine le prix de la dentelle, il
déduit la consommation ouvrière , une autre partie du prix allant de la poche du propriétaire
foncier à celle de l'entrepreneur. Alors, Smtih envisage l'accumulation du capital comme une
privation que s'impose le capitaliste, cette privation sur sa consommation représentant sa
contribution à la richesse nationale.
Un même libéralisme ?
On retrouve la même idée sur le le rôle de la liberté des échanges sur la baisse du prix
des marchandises qui permet la hausse du prix relatif des biens agricoles....réciproquement
toute hausse du prix des marchandises non agricoles décourage l'agriculture. Il reprend enfin
chez les physiocrates l'idée de salaire moyen qu'il appelle le prix naturel du salaire. Si le
salaire effectif dépasse ce niveau naturel, la population augmente, à 'linverse la productivité
augmente.
b. Les grands axes de la pensée économique Smithienne.
Ils sont développés dans les " Recherches sur la nature et les causes de la richesse des
nations".
18
- La division du travail (ch. 1) et ses conséquences
Dès les notes de cours on trouve l'idée que l'"opulence naît de la division du travail".
La division du travail est illustrée par la manufacture d' épingles (GF p. 72), dite manufacture
"homogène" ( Marx ) où la "puissance productive" (l'habileté artisanale) des travailleurs est
augmentée, étant réunis ( au contraire de la manufacture hétérogène où ils sont dispersés).
Le fait de commencer son magnum opus par la division du travail est significatif de
l'importance accordée au social et à la socialisation préfigure ce que l'on trouvera chez Emile
Dürkheim en 1893 avec " De la division du travail"; oeuvre majeure fondatrice de la
sociologie et du déterminisme ( l'acteur est déterminé par le système ) associé au holisme ( le
tout l'emporte sur les parties).
On pourrait encore pousser la comparaison entre l'état stationnaire ( Smith) et l'
anomie social (Durkheim ) qui guette une société dont la division du travail se désagrège.
"Le principe qui donne lieu à la division du travail " ( ch. 2 de la RDN) est l'intérêt
réciproque; "donnez moi ce dont j'ai besoin et vous aurez de moi ce dont vous avez besoin
vous mêmes... ce n'est pas de la bienveillance du boucher, du marchand de bière et du
boulanger, que nous attendons notre dîner mais bien du soin qu'ils apportent à leurs intérêts.
Nous ne nous adressons pas à leur humanité, mais à leur égoïsme". (ibid. p. 82).
Conséquence 1: l'accumulation du capital
L'accumulation du capital détermine la division du travail et réciproquement. On
retrouve ici ce qui deviendra une thèse majeure du développement du capitalisme avec Marx (
fin de la section du Livre I du capital ) : l'accumulation primitive du capital. Cette thèse est au
centre de la thèse de Michel Aglietta sur la régulation du capitalisme.
Conséquence 2: La différence entre travail productif et non productif : ( GF,pp. 417421, 424, 429)
Le travail productif permet de reproduire le fonds de capital ( par ex. dans l'agriculture
et la manufacture) "ou encore à renouveler la portion de vivres, de matières, ou d'ouvrage fait
qui a été retirée d'un capital".. Il faut donc que la division du travail permette l'augmentation
de ces travailleurs.
Le travail improductif concerne ce qui ne sert qu'à former un revenu ( salaire , profit
ou rente)
Il existe donc une proportion critique entre la somme des capitaux et celle des revenus
qui est la "proportion dans laquelle se trouveront l'industrie et la fainéantise" .
Conséquence 3 : la main invisible.
Il ne suffit pas de mettre en valeur les intérêts personnels, comment les harmoniser ?
Dans la recherche de l'intérêt personnel , l'individu cherche à augmenter le revenu
national, il est "conduit par une main invisible à remplir une fin qui ne rentre nullement dans
ses intentions" ( ibid, tome II, pp. 40- 41). Cette idée, réputée, est à remettre dans le contexte
d'un chapitre consécré au commer international ( Livre IV ch.II: Des entraves à
l'importation..). La main invisible coïncide avec le libre échange.On retrouvera cette idée chez
Hayek: les actions privées aboutissent inentionnellement à un ordre social spontané, complexe
et donc difficile à connaître et à réglementer.
- 222- Répartition, prix et valeurs.
Les trois composantes du prix ( GF, pp. 118- 120 et 122).
19
Le prix se résout en ses trois composantes: salaires rentes, profits. Cette théorie du prix
par ses composantes sera reprise par J.B. Say et sa théorie des services productifs.Marx
critiquera cette composition en montrant qu' elle se heurte à un problème de récurrence à
l'infini: le prix dépend par ex. de l'amortissement qui dépend du prix de la machine qui
dépend de son amortissement... etc.....
Autre difficulté ( Deleplace p. 123): le prix exige la connaissance du profit qui ... est la
différence entre la quantité du travail commandée par les marchandises produites et quantité
de travail qu'elles incorporent.
Prix naturel et prix de marché.( GF,pp. 125- 128).
Le prix naturel correspond au coût de production qui lui même résulte des taux
naturels des salaires, profits, rentes....le prix de marché correspond au jeu de l'offre et de la
demande ( effective, différente de potentielle, appellée par Smih, "absolue". Il existe une
gravitation du prix de marché autour du prix naturel
Valeurs d'usage et valeurs en échange: l'apparition des grandes difficultés logiques de
la pensée classique.
Si la richesse est somme de valeurs en usage, la valeur d'échange repose sur la quantité
de travail qu'elle peut acheter sur le marché. Mais, la quantité de travail commandé est le
résultat d'un échange qui .....suppose que l'on connaisse le salaire ( et donc les biens salaires)
correspondant à cette quantité de travail. Il faut donc connaître préalablement la valeur
d'échange des biens salaires.
Cette théorie sera réhabilitée par Sraffa : celui ci montre que pour un taux de profit
donné, il existe dans un système de production une quantité de travail qui rétablit l'unité des
prix. Si ce système est étalon ( des autres systèmes de production), alors il contient un salaire
étalon qui peut commander une quantité de travail "étalon" .
- La théorie de l'Etat et l'avantage absolu en commerce international.
L'Etat doit respecter la liberté naturelle des citoyens et il est donc l'Etat gendarme,
préfigurant les théories de Friedman ( Capitalisme and Freedom): protégeant les citoyens
contre eux mêmes et contre l'étranger.
Si les trois premiers livres traitent de l'économie ( travail productif et distribution de
produit entre classes ( Livre I), nature des capitaux ( Livre II), histoire comparée de l'opulence
selon les nations ( Livre III), les deux autres livres traitent plutôt de l'Etat soit par rapport aux
systèmes précédents d'économie politique ( Livre IV) et surtout le " Revenu du souverain ou
de la politique" ( Livre V).
Dans ce cadre ( GF, p.11), l'économie politique est "une branche des connaissances du
législateur et de l'homme d'Etat" et " se propose d' enrichir à la fois le peuple et le souverain".
Ce dernier aspect est souvent méconnu, or les propos de Smith sur les dépenses et les
recettes de l'Etat sont très actuels.En particulier, la section sur les impôts ( GF,tome II, p. 456)
donne les quatre règles modernes de l'impôt: égalité ( % au revenu de chacun), certitude,
commodité, économie.
- La théorie du commerce international de Smith est en cours de réhabilitation (
Siroen, Cahiers Français, Le commerce international, Oct/dec. 1991).
- 1) par son concept d'avantage absolu, Smith préfigure la compétitivité et met en
évidence les phénomène monétaires, en particulier les pbs de salaire et taux de change.
L'avantage absolu a trait au coût d'un même bien dans deux pays ( au lieu des avantages
comparatifs d'un même bien dans un seul pays).
20
- 2) En introduisant les rendements d'echelle croissants préfigure les théories
contemporaines ( Lancaster, Becker, Krugman) de l' échange international où il n 'est plus
nécessaire que les pays soient différents pour s'échanger des biens. En définitive, derrière une
pensée agrarianiste, apparaissent des élèments importants de l'analyse économique
contemporaine: prix, valeur, impôt...dans ce qui reste une économie politique. La même
remarque pourrait être faite à propos de Malthus ( 1776-1836) qui derrière un naturalisme
social (in Essai sur le principe de population, 1738) et un agrarianisme marqué ( cf. sa
controverse avec Ricardo) améliore la loi de l'offre et de la demande, suggère une
amélioration de la répartition.et développe un théorie très moderne de la demande effective.
Conclusion
Adam Smith est d'abord un professeur de logique, de philosophie morale et politique,
avant d'être un économiste. Il le deviendra à la faveur d'un séjour sur le continent et
développera ainsi l'économie comme un cas d'exception à sa théorie des sentiments moraux.
A. Smith adopte le point de vue de l'anthropologie économique en s'interrogeant
préalablement sur la nature de l'homme dans sa relation aux autres.
Cette économie reste très marquée par les physiocrates et un préjugé agrarien sur la
bonté de la nature et la priorité de la rente. Mais elle dépasse ce cadre en analysant plus
généralement la division du travail et ses conséquences sur la richesse, aussi bien la richesse
comme un "stock " de valeurs d'usage que la richesse comme "pouvoir " dans la société
d'échange (voir Deleplace 1999 ).
Il existe plusieurs conceptions économiques intéressantes, particulièrement dans le
domaine de la valeur, de la répartition et des prix. Notamment la distinction entre travail
incorporé et travail commandé permet de fonder le profit comme rapport entre les deux. Mais
ce profit dépend du coût du travail, par exemple du salaire et donc du prix naturel
Cette idée, selon Benetti ( 1974) et Deleplace ( 1999), est contradictoire avec la théorie
naïve de la formation du prix par rapport à ses coûts, selon laquelle le profit déterminerait le
prix naturel….ainsi le prix naturel détermine le profit qui détermine le prix naturel…
La principale critique vient de Marx, à la fois sur l'agrarianisme de Smith et le fait
qu'une théorie du prix fondée sur la répartition en ses composantes revient à une régression à
l'infini…(ou encore le prix dépend de la répartition).
De nombreuses théories sont imputées par la suite à Smith, par exemple la conception
moderne des finances publiques ou encore de la demande effective, capable de satisfaire les
prix naturels (fermages + profits + salaires) différente des désirs ou de la demande absolue (le
pauvre qui veut des carrosses !).
Le prix de marché est déterminé par la "proportion " entre la quantité d'une
marchandise sur un marché et sa demande effective. Cette proportion est déjà chez Cantillon (
1687-1734).
1.2.3. Smith fondateur de l'anthropologie économique ?
Un homme fragmenté (l'homo oeconomicus) dans la microéconomie, un homme
englobé, dans les catégories et les agrégats de la macroéconomie. Un homme
outrageusement
universel
dans
la
théorie
économique
pure
(audelà du temps et de l'histoire), un homme discriminé selon sa capacité à se développer dans
les théories du développement. On pourrait multiplier les images souvent trop faciles de
l'homme « éclaté » par la science économique, en particulier celles développées par Polanyi
(1944) et son préfacier Louis Dumont (1977).
21
Cette fragmentation serait inhérente à la naissance de l'économie
politique et aux idées contenues dans son livre fondateur, la Richesse
des Nations (Smith, 1776) ; cet ouvrage isole la propension de l'homme économique
sous l'influence de la division du travail, à « pratiquer le troc, transporter et échanger des
marchandises ». Une ère commence où, selon L.Dumont, l'individualisme égoïste fait
triompher les rapports naturels aux choses sur les rapports entre les hommes. Selon
l'anthropologie économique revue par Polanyi, l’homo oeconomicus est un avatar de
l'échange marchand alors que l'homme peut se passer du marché ; en témoignent les
exemples
«
anthropologiques
»
de
réciprocité
et
de redistribution (la Kula des îles Trobriand et le Potlatch des Kwakiutl).
Dumont
prolonge
l’idée
selon
laquelle
l'économie
politique
classique
éliminerait de sa théorie de la valeur les éléments relationnels et subjectifs au profit des
choses.
Cela est tout à fait vrai du traitement effectué par Sraffa de l'analyse du prix
des marchandises par les marchandises. Il en serait de même de l'analyse néo-classique qui
reprend l'homo oeconomicus et la main invisible dans ses modèles paradigmatiques,
notamment l'équilibre général de Walras et de Arrow/Debreu. Ainsi Walras, veut
obstinément étudier les « relations entre les choses, non les gens, et a cherché, avec un succès
notable, à éliminer les relations humaines de son point de vue ». (Bowles, Gintis, 1993).
Ces écrits méconnaissent les conditions historiques qui font naître simultanément à la fin
du XVIIIe siècle, l'anthropologie (Smith, 1759 et Kant, 1768-1798) et l’économie politique
(Smith, 1776). Ainsi, la théorie économique est une conséquence de la réflexion
anthropologique.
Dans
l'œuvre
de
Smith,
les
Sentiments
Moraux
(1759) conditionnent la Richesse des Nations (1776). Le premier ouvrage étudie comment
les règles de la morale favorisent la sympathie mutuelle ; règles générales que
l'individu déforme par ses passions et auxquelles il tente de répondre par son « self
command ». Cet homme socialisé peut alors être étudié dans son comportement économique.
Kant note, dans ses réflexions sur l'anthropologie, que Smith « va vers la racine des choses
» et « touche à chaque sujet non de son seul point de vue, mais du point de vue
de la communauté ». Smith dans la Théorie des Sentiments Moraux traite d’un objet tout
à fait similaire à celui de Kant dans les rapports entre les hommes. Les deux auteurs traitent
du même sujet : l'anthropologie, « une doctrine de la connaissance de l'homme, formulée de
manière systématique ».
Les deux ne traitent pas d'une anthropologie « physiologique » qui vise à
l'exploration de ce que la nature fait de l'homme, mais, selon Kant, de « la connaissance
pragmatique, celle de ce que l'homme, comme être agissant par liberté, fait ou peut et doit
faire de lui-même ». Pourtant, traditionnellement, la pensée économique n'a jamais
abandonné l'idée que les mœurs économiques soient conduites par des hommes raisonnables.
Ils sont des êtres autonomes, capables de comprendre les normes universelles,
de les adapter à leur personnalité et à leur environnement social, en fondant leur altérité.
Comment pourrait-on nier que l’analyse des rapports entre les hommes fonde la
plupart des théories dites « néo-classiques» ? Les rapports intersubjectifs constituent l'objet
de l'économie publique et de ses différents domaines (choix, optimum, exter-nalités,
équité, justice, etc.).
Aussi, curieusement, l'analyse des comportements économiques, objet
d'une majeure partie de la littérature économique, est au centre de l'anthropologie
22
tout en ayant tendance à s'en éloigner. Il existe de nombreuses déviations antianthropologiques. A ce titre, la rupture entre Smith et Ricardo est totale. Les préoccupations
anthropologiques de Smith sont absentes du texte de Ricardo et le prolongement sraffaien
sera l'un des textes les plus a-anthropologiques de la littérature économique, comme pur
rapport entre les choses. Néanmoins, cette tradition a souvent amené à dissocier les actes
économiques positifs, comme modalités de la maximisation sous contraintes, des normes qui
leur préexistent. En effet, si l'homme est social (d'où l'idée que l'économie est publique),
il doit trancher dans les normes qui émanent de cet environnement social, de ce
que l'on appellera plus tard, sa « communauté ». En effet, le réseau social d'un individu
est bien la résultante de l'attitude et des choix effectués par rapport à cet
environnement. Ces choix sont liés au comportement économique de chacun et non
uniquement au problème de l'agrégation des choix. Enfin, en économie publique, les principes
sont rédigés formellement comme s’ils étaient réalisés, perdant ainsi leurs modalités
normatives.
2. Le matérialisme de David Ricardo à Piero Sraffa
2.1. D. Ricardo
2.1. Biographie, écriture et oeuvre
a. Brefs repères biographiques
David Ricardo est né en 1772 à Londres, dans une famille de financiers sépharades. Il
est le troisième d'une famille de 17 enfants. Éduqué principalement par des précepteurs, il
apprend le métier d' agent de change à la Bourse de Londres où son père le fait entrer dès
quatorze ans. Son mariage avec une quaker, en 1793, l'oblige à rompre avec sa famille et la
religion juive. Sa réussite financière tient alors à ses relations et à un grand talent. Découvrant
l'économie en 1799, après lecture des travaux d'Adam Smith, il se met à polémiquer sur les
problèmes économiques du moment et décide de se retirer partiellement des activités
financières. Cette semi- retraite est assise sur une bonne fortune et une solide réputation
politique .
Sa fortune vient de son travail et de son sens des affaires. Intuitif quant aux
retournements de tendance, il gagne gros en pariant sur la victoire de Waterloo. Il se retire des
affaires pour gérer, en bon père de famille, une fortune bien répartie en propriétés foncières, et
placements financiers, anglais et français. Sa réputation politique nait de ses articles (dès 1799
dans le Morning Chronicle) et de ses pamphlets. Elle se traduit par son entrée au Parlement en
1819. Il y manifeste un esprit critique et soutient les réformateurs radicaux dans leur volonté
de mieux exprimer les problèmes populaires.
Ayant largement étendu ses propriétés foncières, il publie les Principes en 1817, puis
effectue un Grand Tour d' Europe en 1822. Il meurt en 1823.
b. L'écriture
L'écriture de Ricardo est typique d'un travail à deux niveaux. Les "discours" , réponses
relatives aux problèmes de son temps et au delà les "Principes", universels. Les " discours",
alimentés par les lectures et les discussions, se traduisent par des lettres, des pamphlets, des
23
interventions politiques. Ces discours "clôts" par les problèmes de leur temps, donnent lieu à
des Principes de nature "scientifique", que Ricardo posera au delà du contexte de son époque.
L'universalité du Principe des profits devient manifeste dans le Chapitre VI sur les
profits:
"En tous temps et en tous lieux, les profits dépendent de la quantité de travail requise
pour produire les biens salaires sur la terre qui ne produit pas de rente"
La période des "papiers" et pamphlets
Après la "révélation" scientifique de 1799 , Ricardo parfait ses connaissances en
économie politique. Deux auteurs jouent un rôle déterminant: Jean Baptiste Say, dont le
"Traité d'économie politique" est publié en 1803 et Thomas Robert Malthus, auteur de l'"Essai
sur le Principe de Population" en 1798, et dont deux pamphlets en 1815 à propos de la
controverse sur les importations de blé stimuleront la plume de Ricardo.
En février 1814, Ricardo a déjà produit plusieurs " papiers sur les profits du capital"
dont il a discuté avec Malthus , Trower et Mill, notamment par correspondance; ainsi selon
Sraffa la lettre de Ricardo à Trower du 8 Mars 1814, développe déjà "complètement" la
théorie des profits .
Les pamphlets de Ricardo sont suscités par les problèmes politiques du moment:
- les effets de la suspension du système de l'étalon -or (1797- 1809) sont à l'origine d'
une publication anonyme "The price of Gold" dans le Morning Chronicle du 28 Août 1809.
Sous sa signature, un premier pamphlet, en 1810, tente de démontrer " The high price of
bullion, a proof of the depreciation of bank notes". Il influencera ainsi la rédaction du
"Bullion Report" par la commission ad hoc de la Chambre des Communes. Il interviendra
encore à de nombreuses reprises sur ce thème dans sa réponse à Mr Bosanquet, ou encore en
écrivant ses "Proposals for an economical and secure currency" en 1816. - la controverse sur
les importations de blé et les prises de position de Malthus lui font écrire un pamphlet en
Février 1815 "Essay on the influence of a low price of corn on the profits of stock; shewing
the inexpediency of restrictions on importation". Ce débat (qui aura lieu au Parlement du 17
février au 10 Mars 1815), particulièrement délicat, met en cause l'agriculture anglaise et le
statut privilégié des Landlords.
Ces pamphlets suscitent un futur ouvrage auquel Ricardo ne s'était pas préparé, les "
Principes de l'économie politique et de l'impôt"
En accumulant les démonstrations, les notes de lecture, Ricardo transformera ses
essais pamphlétaires, en particulier l' "Essai sur l'influence d'un bas prix du blé sur les profits"
en "Principes" assurés, par superposition, approfondissement, généralisation, et élargissement.
Les Principes: une composition difficile.
Depuis 1814, David Ricardo partage son temps entre la politique à Londres et la
réflexion économique en son manoir de Gatcomb Park. Sous la pression de James Mill et les
encouragements de Malthus, il reprend ses articles, ses pamphlets, ses discours et tente d'en
faire un ouvrage. Les Principes seront écrits, difficilement, de 1815 à 1817; à plusieurs
reprises Ricardo avoue son incapacité , se décourage et s'arrête "dans cet art difficile de la
composition" .
Les sept premiers chapitre seront remis à Mill en Octobre 1816; puis la dizaine de
chapitres sur les impôts et le reste, en 1817. Après une seconde édition, en 1819, l'ouvrage
sera remanié pour la troisième édition de 1821.
24
Sa façon d'aborder l'économie est typique d'une forme de pensée qui, depuis les
Révolutions du 17°siècle, donne , en Grande Bretagne, la priorité aux Tradesmen. Sa
connaissance autodidacte de la pensée économique est impressionnante et se traduit par une
foule de notes critiques sur les théories concernées. Celles-ci n'ont d'intérêt que parce qu'elles
ont un lien avec les affaires politiques en cours.
Sa formation sur le tas, selon son frère:
" ...lui permit de développer les sujets les plus abstraits et les plus compliqués et d'être
l'auteur d'importantes découvertes plutôt que de recevoir passivement les idées des autres".
Il eut la chance de fréquenter les grands économistes anglais du moment ,surtout
Malthus, de correspondre avec les étrangers ,sinon d'aller les voir sur le Continent. A ce titre
Jean-Baptiste Say occupe une place majeure dans les Principes, particulièrement dans la
troisième édition (1821); à la mesure des soins que le grand auteur français apporte à
commenter les "Principes" dans la première édition française (Constancio) de 1819.
Cherchant à convaincre, Ricardo remanie la version initiale de 1817, particulièrement
dans une troisième édition en 1821. Cette volonté conduit encore à donner un aspect plus
désordonné à l'ouvrage; à multiplier encore les redites et les disgressions. Soulignant à quel
point les propositions théorique ne paradent pas toujours en ordre !
Les Oeuvres de Ricardo Le cours élevé du lingot, preuve de la dépréciation des billets de ¦ banque. (1810). Réponse aux observations pratiques de M. Bosanquet sur le "Rapport du Bullion Comittee".
(1811). - Essai sur l'influence d'un bas prix du blé sur les profits du capital montrant
l'inefficacité des restrictions sur l'importation avec des remarques sur les deux dernières
publications de Mr Malthus "Une enquête sur la nature et le progrès de la rente" et" Les
fondements d'une opinion sur la politique de restriction à l'importation de blé étranger. (1815)
Propositions pour un étalon économique et sûr; avec des observations sur sur les profits de la
Banque d'Angleterre, dans la mesure où ils concernent le public et les propriétaires du capital.
(1816)
Des principes de l'économie politique et de l'impôt. (1817) " Le système de
consolidation" , un article du supplément aux quatrième, cinquième et sixième éditions de
l'Encyclopaedia Britannica. (1820) De la protection de l'Agriculture. (1822) Plan pour
l'établissement d'une Banque Nationale. (1824)
c. La dynamique grandiose
Cette dynamique ambitieuse (Baumol, Economic dynamics, 1951) englobe les
schémas de croissance et de développement d'économies entières sur de longues périodes. La
dynamique "classique" désigne le passage fatal de l'économie progressive à l'état stationnaire
sous l'impulsion de facteurs exogènes: la population, les qualités du sol, le progrès technique,
la politique publique.
La première version ricardienne de la dynamique économique est simple, presque
visionnaire: le fonctionnement à perte du capitalisme agraire provoque la perte du capitalisme
dans son ensemble. Elle aboutira dans les "Principes" à un modèle plus élaboré tel que le
capitalisme évolue fatalement vers l' état stationnaire, compte tenu des lois de la valeur et de
la répartition .
25
Le principe fondamental de 1814: la péréquation des taux de profit
Ricardo construit progressivement cette dynamique grandiose en associant sa théorie
du profit aux théories de Malthus sur la rente. Déjà une théorie primitive du profit était
contenue dans la lettre de Ricardo à Trower de 1814:
" ...Les taux de profit sont déterminés par la facilité ou la difficulté à se procurer de la
nourriture. C'est un principe très important et qui a été pratiquement toujours négligé dans les
écrits des économistes".
Derrière ce "principe fondamental", se trouve aussi l'idée implicite d'une péréquation
automatique des taux de profit. Si le taux de profit réalisé sur la dose de capital agricole la
moins productive diminue de 50 à 43 % puis à 36 %, il en sera de même pour le taux de profit
moyen qui s'aligne sur ces taux.
Dans l'"Essai sur les Profits" de 1815, ce principe se précise: les profits du fermier
déterminent les profits de toutes les autres activités. Derrière ce principe de la détermination
agraire du taux de profit moyen, se trouve l'idée d'une péréquation des taux de profit que
Ricardo esquisse dans l'"Essai", mais de façon non satisfaisante. Ricardo allie ce principe à
l'influence de la "véritable doctrine de la rente" de Malthus, pour bâtir une dynamique
grandiose de la répartition du produit. Cette dynamique forme l'axe central de son oeuvre. Les
mouvements de la rente propres au capitalisme agraire sont tels qu'ils provoquent une perte du
capitalisme dans son ensemble. En effet, les rendements décroissants particuliers à
l'agriculture, entraînent une diminution du taux de profit agricole, une augmentation du prix
des biens salaires et par conséquent une baisse du taux de profit moyen.
La rente selon Ricardo
La rente a un aspect explicite: elle correspond à la rémunération du propriétaire foncier
pour l'usage du pouvoir originel de la terre. La découverte géniale de Ricardo revient à
transformer la rente en mécanisme de péréquation des taux de profit en agriculture. Si les taux
de profit varient du fait de la difficulté à produire, sur des terres inégalement fertiles, la rente
alignera le profit moyen sur le profit obtenu sur la terre marginale: celle qui ne paie pas de
rente. Le taux de profit est ainsi prioritaire et la rente n'est que déduite des variations du taux
de profit; on est loin de l'idée si souvent émise d'un profit résiduel, laminé par le prélèvement
antérieur de la rente. Ainsi, si le profit tend vers un niveau unique, la rente est différentielle
car elle est au service de cette péréquation; mais ce faisant, elle aligne toujours par le bas,
entraînant le taux de profit des autres activités et ainsi le taux moyen.....
Le Tableau
" Montrant le Progrès de la Rente et du Profit, compte tenu d'une augmentation du
Capital", il analyse le profit et la rente en "quarters" de blé, rapportés au capital investi, estimé
lui ausi en "quarters" de blé.
Le Tableau est remarquable car il conduit à une estimation physique du taux de profit;
le principe "fondamental" de 1844 est pleinement appliqué: le taux de profit agricole
détermine mécaniquement le taux de profit moyen dans la mesure où, au stade évolutif de la
société, il existe une particularité des rendements agricoles décroissants.
L'originalité du Tableau apparaît dès les premières hypothèses du raisonnement:
absence de progrès technique, augmentation du capital et de la production dans la même
proportion, fixité des salaires réels. Dans ce cadre, Ricardo fait rentrer les principes généraux
de réaffectation du capital et de péréquation des taux de profit. Le Tableau comporte deux
parties: la première montre en détail comment l'accumulation du capital de façon extensive
26
sur huit doses de terre entraîne une baisse récurrente du profit et une hausse de la rente sur les
doses de capital antérieures. Le rapport du produit net physique au capital investi physique, le
"profit" selon Ricardo est donné en série décroissante , au nom du préjugé agronomique. La
seconde partie donne les résultats globaux du profit et de la rente (quantités globales et taux
moyen) et de la production pour l'ensemble du capital investi par période. Elle souligne la
relation inversement proportionnelle entre le profit et la rente, quand il y a accumulation du
capital agricole au stade "évolutif" de la société.
Ricardo est convaincu de l'originalité de sa découverte:
" C'est une vision des effets de l'accumulation qui est extrêmement curieuse et n'a, je
pense, jamais été évoquée jusqu'à présent".
Conclusion et préjugés
La conclusion politique à tirer est qu'il faut donc sacrifier les intérêts particuliers des
propriétaires fonciers à l'intérêt général de la Nation, en favorisant les importations de blé.
Jusqu'au dernier chapitre des "Principes", Ricardo évoque son admiration pour les travaux de
Malthus, autant pour son préjugé démographique (L'"Essai sur la population" ), que pour son
préjugé agronomique (développé dans ses pamphlets de 1815, l'"Inquiry "et les "Grounds").
Mais l'admiration du maître a ses limites...L'art de Ricardo consiste à détourner les préjugés
malthusiens vers ses propres conclusions. Malthus considère l'ensemble de l'agriculture pour
souligner qu'elle fournit non seulement le profit moyen, mais aussi la rente des propriétaires
fonciers; par conséquent, Malthus rejoint Smith pour réaffirmer qu'aucun travail productif ne
fournit une reproduction aussi grande que celui utilisé en agriculture. Ricardo restreint le
raisonnement de Malthus sur l'agriculture au cas de la terre marginale; celle qui ne fournit
jamais de rente. Sa conclusion devient alors tout à fait opposée à celle de ses prédécesseurs: le
travail productif employé sur la terre marginale "ne fournit jamais une reproduction aussi
considérable que le même travail productif employé dans l'industrie" . ("Essai sur les Profits"
,p.33) Ce préjugé anti- physiocratique est alors allié au préjugé démographique de Malthus.
Sous la pression de la population et de la demande, les fermiers accumulent continuellement
dans un secteur dont la particularité est d'être de moins en moins rentable. En effet les terres
sont de plus en plus mauvaises et de plus en plus éloignées; la baisse du taux de profit sur la
dose de terre utilisée, la plus mauvaise ,entraine une baisse du taux de profit dans l'ensemble
du capitalisme agraire. A l'intérieur de ce type de capitalisme, il est au moins aussi rentable
d'intervenir sur la dernière dose que sur la première dose de terre; la rationalité du fermier
dans le capitalisme agraire est préservée.
Mais à quel prix ! L'uniformité des taux de profit provient du fait que la rente est la
différence entre le produit réalisé sur les terres anciennes et celui réalisé sur la terre
marginale; en considérant un secteur agricole à salaire uniforme et à produit ( et donc à prix
de vente) unique. Dans ce cadre simplifié, l'uniformité du taux de profit est réalisée par le
propriétaire foncier qui accapare les différences de productivité. Dans le capitalisme tout
entier, il reste à comprendre comment le fermier, entrepreneur rationnel comme les autres,
peut continuer à investir dans une "industrie" agricole, apparemment non rentable. Là encore
intervient un mécanisme de péréquation des taux de profit. Le taux de profit moyen est
déterminé par le taux de profit agraire. De ce fait, dans l'ensemble du capitalisme, il est au
moins aussi rentable d'investir en agriculture que dans tout autre secteur. Cette uniformisation
des taux de profit dans l'ensemble du capitalisme reste à justifier. Il est possible d'avancer la
péréquation des taux de profit comme un postulat; mais dans ce cas, il serait normal que les
entrepreneurs retirent leur capital de ce secteur plutôt que l'inverse.. Autrement, il faut
27
démontrer qu'il existe un lien particulier entre la difficulté croissante de production, les
hausses du prix du blé et les salaires; ce qui entraîne ,par le jeu de la répartition, une baisse du
taux de profit moyen. Le lien peut être imaginé par les prix relatifs: dans la mesure où la
productivité marginale dans l'agriculture baisse, tandis que les rendements du secteur
industriel sont constants, le prix relatif des biens industriels par rapport au prix des biens
agricoles tend à diminuer. Cette dévalorisation sera encore accentuée si, avec l'amélioration
des techniques de production, la productivité moyenne augmente dans l'industrie. Ainsi cette
baisse du prix relatif des biens industriels provoquera une baisse du taux de profit moyen. Un
tel lien est au centre des "Principes". Mais il est complexe, faisant intervenir la valeur et les
prix. Il est de plus aléatoire, dans la mesure où un ordre exogène de fertilité, et donc la
difficulté de production associée, devront entraîner une hausse du prix du blé , apte à
provoquer une baisse du taux de profit moyen coïncidant exactement avec la baisse du taux de
profit en agriculture. Enfin le lien serait incomplet s'il ne posait pas les problèmes du
réinvestissement de la rente, et de l'introduction du progrès technique.
Ricardo ne s'interroge pas sur l'utilisation possible de la rente à des fins
d'accumulation. Celle-ci par exemple, pourrait être réinvestie; mais cette reprise de
l'accumulation ne ferait qu' acheminer l'économie vers un état stationnaire. Une telle
interrogation avaliserait les idées de Say, sur la possibilité d'un profit foncier et un mélange
des genres, entre propriétaire et fermier.
La baisse des rendements agricoles est- elle compensable par le progrès technique en
agriculture ? A l'évidence, celui-ci provoquera une diminution des prix relatifs des produits
bruts et permettra une hausse du taux de profit. Le répit sera de courte durée,car les pressions
sur l' agriculture reprendront de plus belle; l'embellie du taux de profit réactivera
l'accumulation du capital, l'augmentation de la demande de travail et des salaires,
l'augmentation de la population et la nécessité d'obtenir plus de produits bruts.
Dans les "Principes", Ricardo assouplit sa position sur la détermination agraire des
profits de l'ensemble des activités. Il existe toujours une détermination agraire, en dernier
ressort, du taux de profit moyen; la dose de terre qui ne paie pas de rente est toujours l'acteur
privilégié. Mais, cette fois, ce n'est plus le taux de profit du fermier qui détermine le taux de
profit moyen, mais la productivité du travail sur la terre qui ne paie pas de rente.
L'universalité du principe de détermination des profits devient manifeste dans le
Chapitre VI sur les profits: "En tous temps et en tous lieux, les profits dépendent de la
quantité de travail requise- sur cette terre ou avec ce capital qui ne rapporte pas de rente- pour
fournir au travailleur les biens nécessaires."
Cette nouvelle relation implique une analyse de la valeur et de la répartition, que
Ricardo tente d'établir dans les "Principes".
- 3- LA THEORIE DE LA VALEUR.
Si la hausse des salaires provoque au sein de la dynamique grandiose une baisse des
profits, entraîne - t-elle une hausse des prix des marchandises concernées ?
Dans l'"Essai", Ricardo adoptait une hypothèse forte : l'effet de la dynamique
grandiose réside dans l'élévation du prix des produits de base et du travail, laissant toutes les
autres marchandises à leur prix d'origine, et ensuite dans la baisse de l'ensemble des profits
consécutive à la hausse générale des salaires. Cette absence de liaison entre la variation du
prix des matières premières et du prix des biens manufacturés est corrigée peu de temps après
la publication de l'"Essai", à la suite des critiques de Malthus ( Lettre de Ricardo à Malthus du
9 mars 1815). Ricardo énonce dans le chapitre VI des Principes que "rares sont les
28
marchandises dont le prix ne soit plus ou moins affecté par la hausse du prix des produits
bruts".
Cette correction importante se comprend mieux dans le cadre d'une généralisation de
la difficulté de production agricole à l'ensemble de l'activité économique; cette nouvelle
théorie est moins marquée par le particularisme agricole de Malthus, Ricardo s'intéressant
cette fois à l'ensemble des biens salaires. Une des idées premières de l'Essai reste préservée
dans le chapitre premier des Principes (Section III,p.xx): " Aucune modification des salaires
ne pourrait changer la valeur relative de ces marchandises;car,en supposant qu'ils augmentent,
aucune de ces activités n'exigerait une plus grande quantité de travail". La détermination des
prix par le rendement de la dose marginale de capital est réaffirmée , devenant un principe des
"Principes" : "..le prix est partout déterminé par le rendement de cette dernière part de capital
pour laquelle aucune rente n'est payée. S'il s'était reporté à ce principe, il [Adam Smith]
n'aurait jamais fait de distinction entre la loi qui règle la rente des mines et celle qui règle la
rente de la terre."
Le prix constitue le problème premier de Ricardo , dès qu'il envisage de tranformer
l'"Essai" en "Principes". Il avoue à James Mill dans une lettre du 30 décembre 1815:
"Je sais que je serai bientôt arrêté par le mot prix"
En effet dès 1816, Ricardo découvre un "curieux effet" : pour certaines marchandises
,compte tenu de la proportion de capital fixe au sein du capital, une hausse des salaires peut se
traduire par une baisse des prix. Compte tenu de cet "effet Ricardo", mieux vaut déterminer la
valeur d'une marchandise par la quantité de travail requise par sa production, que par la
rémunération de celui-ci. La théorie de la valeur aurait du parachever la théorie de Ricardo.
Elle constitue le principal motif de la troisième édition ( 1821)des "Principes" et reste l'objet
d'un de ses derniers écrits, notamment "Valeur absolue, valeur d'échange" ( été 1823). Ce
dernier texte développe l'idée d'une "valeur réelle ou absolue" qui contraste avec la valeur
d'échange ou relative. Il donne ainsi les définitions comparées des deux conceptions de la
valeur, mais souligne l'incapacité de Ricardo à résoudre le problème qu'il se pose.
Encore une fois, Ricardo se situe dans le débat avec ses protagonistes de l'époque:
- A.Smith, qui constitue le point de départ du chapitre des "Principes" - J.B.Say , dont
il critique l'édition du Traité de 1819 dans un nouveau chapitre de la 3° édition, "Les
propriétés distinctives de la valeur et de la richesse".
- T.Malthus, dans "Valeur Absolue, Valeur d'Echange".
On suggère ainsi l'ordre de lecture suivant: la théorie de la valeur du premier chapitre
des Principes, le chapitre XX "Des propriété distinctives de la valeur et de la richesse", les
définitions finales de Valeur Absolue Valeur d'Echange (VAVE).
1. La théorie de la valeur dans les Principes.
Simplifiée, la loi ricardienne de la valeur- travail est telle que les marchandises
s'échangent en rapport des quantités de travail qui ont été nécessaires pour les produire. Seule
une modification des conditions de production, et donc de cette quantité de travail, peut
changer la valeur. Mais si l'on observe des variations des valeurs d'échange de deux biens, une
telle loi ne permet pas de savoir où se situe la transformation des conditions de production:
dans l'une ou l'autre marchandise, ou dans les deux à la fois. Il est donc nécessaire de
distinguer la valeur d'échange ou valeur relative, de la valeur absolue; celle- ci implique un
étalon invariable par rapport aux variations des salaires, et plus généralement de la répartition,
et dont les conditions de production ne varient jamais.
Que pourrait être cette marchandise invariable ? Jusqu'à ses derniers écrits, Ricardo ne
résoudra pas la question et devra se contenter de la mesure "la moins imparfaite " : une
marchandise produite dans des conditions moyennes du point de vue de la combinaison entre
capitaux fixes et capitaux circulants; l'or par exemple. La recherche inachevée d'un étalon des
29
valeurs est une difficulté théorique inhérente à la dynamique grandiose, mais ne saurait s'y
substituer. L'absence d'une mesure parfaite n'empêche pas le modèle de la dynamique
grandiose de simuler les changements sociaux suscités par les modifications de
l'environnement économique, en particulier ceux introduits par la politique économique.
1.1.Ricardo reprend la distinction de Smith dans la Richesse des Nations.
La valeur d'usage reflète "l'utilité de quelque objet particulier". La valeur d'échange
exprime" le pouvoir d'acheter d'autres biens que confère la possession de cet objet". L'utilité
est "essentielle" à une marchandise, sinon elle ne serait pas échangée; mais ne peut mesurer sa
valeur. Les marchandises "tirent leur valeur d'échange de deux sources: leur rareté et la
quantité de travail nécessaire pour les obtenir". Si certaines créations artistiques et les produits
de luxe peuvent être déterminés uniquement par leur seule rareté, il faut considérer plus
généralement des "marchandises dont la quantité peut être accrue par l'industrie de l'homme et
dont la production est soumise à une concurrence sans entrave".
1.2. Le principe général de détermination de la valeur relative des marchandises.
Dans ce cadre, la valeur d'échange ou" la règle qui détermine la quantité d' une
marchandise à échanger contre une autre, est une valeur relative; elle dépend
presqu'exclusivement de la quantité relative de travail consacré à leur production respective.".
La valeur est donc fonction de l'augmentation ou de la diminution de la quantité de travail
incorporée dans la marchandise.
Ricardo critique la valeur "travail commandé" de Smith car la quantitéde travail que
l'on peut acheter est une quantité variable , contrairement à la quantité de travail incorporée.
Le travail est ainsi le fondement, et la quantité relative de travail, le déterminant de la valeur
relative des marchandises. Les différences de qualité de travail ont déjà joué au moment de la
détermination de la valeur relative et ainsi les différences de qualité ou encore d'intensité
dutravail ne joueront pas ( Section II).
1.3. L'anthropologie ricardienne
Aux premiers stades de la société, les mécanismes de la valeur servent de référence
pour les sociétés plus développées.... "Supposons" avec Ricardo une économie primitive,
consacrée à la chasse et la pêche: si les moyens utilisés et le temps nécessaire incorporent la
même quantité de travail, alors les deux produits (cerf et poisson par exemple) ont une valeur
relative, indépendante de la quantité produite et de la répartition. Admettons que les arcs, les
flèches du chasseur d'une part, le canoë et les instruments du pêcheur d'autre part, aient
nécessité la même quantité de travail. Supposons encore que le cerf chassé et le poisson pêché
aient exigé une journée de travail. "La valeur relative du poisson et du gibier serait
entièrement réglée par la quantité de travail matérialisée en chacun, quels qu'aient pu être la
quantité produite et le niveau général des salaires et des profits. Ainsi, normalement dans une
économie donnée ( chasse, pêche, mines) "aucune modification des salaires ne pourrait
changer la valeur relative des marchandises" si la hausse de salaires ne produit pas
d'augmentation de la quantité de travail.
Si, pour produire, les hommes n'employaient aucune machine, mais uniquement du
travail, et qu'il s'écoule pour tous les deux le même laps de temps avant qu'ils ne mettent leur
marchandise sur le marché, alors la valeur d'échange de leurs biens serait exactement
proportionnelle à la quantité de travail employée. Mais le raisonnement se complique dès que
l'on tient compte du capital,
30
1.4. Les problèmes de l'incorporation du capital( Sections III et IV)
Distinguons avec Ricardo, le travail immédiatement appliqué aux marchandises, du
travail consacré aux intrants nécessaires ( instruments, outils, bâtiments) qui assistent ce
travail. Il existe donc un travail immédiat et un travail nécessaire à la constitution du capital
utilisé dans sa production. La prise en compte des machines et d'autres éléments du capital
fixe et durable "modifie considérablement le principe selon lequel la quantité de travail
consacrée à la production des marchandises règle leur valeur relative."
David Ricardo différencie les capitaux selon leur durée de vie:
- le capital circulant qui "disparaît rapidement et demande à être fréquemment
reproduit".
- le capital fixe qui "se consomme lentement".
Il existe selon les activités, de grandes différences dans les combinaisons possibles de
ces deux sortes de capital. Une activité qui emploie très peu de capital circulant, entretient très
peu de travail, par exemple la brasserie. A l'inverse Ricardo donne l'exemple du fabricant de
chaussures "dont le capital est principalement consacré à payer des salaires dépensés en
nourriture et en vêtements".
1.5. L'effet Ricardo.
Compte tenu de la différence de la composition du capital, une hausse des salaires ne
manque pas d'influer de façon inégale sur les marchandises produites dans des conditions si
différentes.
En effet, si les salaires varient, les valeurs relatives des marchandises se modifient
quand on les compare avec d'autres marchandises produites avec une proportion de capital
fixe différente."L'orge relativement aux cotonnades, et l'avoine relativement au drap,
pourraient gagner ou perdre de la valeur"( p.71). L'importance de cette modification de valeur
relative des biens provoquée par une augmentation ou une diminution de la valeur du travail,
dépendra de la part de capital fixe dans l'ensemble du capital employé. Si cette part est
importante, la valeur relative diminuera tandis que toutes celles produites principalement par
du travail, ou rapidement mises sur le marché, verront leur valeur relative augmenter" .
1.6. La question lancinante de la marchandise/étalon invariable.
Il faudrait pouvoir mesurer la valeur. Ricardo pose la question à de multiples reprises.
En effet une mesure de la valeur relative de deux marchandises obéit à la force attractive de
chacune. Ricardo multiplie les suppositions: "S'il existait une marchandise dotée d'une valeur
invariable" et " Si nous disposions de cet étalon invariable, nous pourrions facilement préciser
dans quelle mesure agit chacune de ces causes". Cet étalon invariable permettrait de montrer
que la modification de la valeur relative est imputable à la modification de la quantité de
travail requise, non à l'augmentation des salaires. Supposons que la monnaie soit cet étalon,
sans augmentation du travail utilisé, une hausse des salaires n'augmentera pas plus la valeur
monétaire des marchandises que leur valeur relative.
1.7. Difficultés occasionnées par une telle recherche (Sections VI et VII du chapitre I
des Principes)
L'étalon invariable de mesure de la valeur des marchandises ne doit pas subir les
fluctuations auxquelles sont exposées les autres marchandises. Ricardo avoue la difficulté
31
sinon l'impossibilité d'une telle réalisation, " car il n'existe aucune marchandise qui ne soit pas
soumise aux mêmes variations que les biens dont nous voulons déterminer la valeur".
Pourquoi ? Quatre circonstances interviennent:
- 1- quelles que soient les marchandises, la quantité de travail nécessaire à la
production varie.
- 2- la proportion de capital fixe nécessaire à la production ( cf. l'"effet Ricardo") rend
aléatoires les effets d'une fluctuation de la répartition.
- 3- l'étalon peut varier , compte tenu de la durée de vie relative du capital fixe
employé à sa production et des marchandises produites auxquelles on souhaite le comparer.
- 4- il faut plus ou moins de temps pour amener l'étalon sur le marché,
comparativement aux marchandises à mesurer.
La conjonction de ces quatre obstacles fait qu' "aucune marchandise pressentie" n'a
qualité pour constituer une mesure de la valeur parfaitement exacte. Ainsi l'or, en admettant
qu'une même quantité de travail soit toujours nécessaire à sa fabrication, ne répondrait pas
aux trois dernières objections.
1.8. Faut- il abandonner un tel projet
On peut se contenter d'un demi- projet en admettant qu'une variation des profits n'a
qu'un "effet relativement modéré" sur le prix relatif des biens, et que l'essentiel vient des
variations de la quantité de travail nécessaires à la production. On pourrait donc se satisfaire
de l'or en éliminant cette cause de "variation majeure" en supposant que la combinaison du
capital ( fixe et circulant) soit la plus proche possible de la combinaison moyenne employée
dans la plupart des marchandises, c'est à dire " entre les deux extrêmes".
L'or peut être supposé " étalon aussi proche d'"une mesure invariable", mais en sachant
que cet étalon est variable.
- La monnaie est une marchandise variable; si la valeur de la monnaie baisse, les
salaires monétaires augmenteront et donc le prix des marchandises.
- Cette augmentation des salaires a donc des effets sur les prix, mais n'influence pas les
profits; au contraire, aussi grande soit -elle, la variation de la valeur de la monnaie n'influe pas
sur le taux de profit. Si les marchandises du manufacturier augmentent ainsi que son capital
dans la même proportion, alors le taux de profit reste inchangé. Il en est de même si le produit
( qui est réparti entre rente, salaire et profit) et le capital nécessaire augmentent dans la même
proportion.
La monnaie a -t-elle la possibilité d'être un palliatif à l'étalon des valeurs ?
2. Chapitre XX: Des propriété distinctives de la valeur et de la richesse.
Ricardo n'a pas approfondi cette distinction dans le premier chapitre. Or, selon lui,
"beaucoup d'erreurs" en économie politique, proviennent d'une assimilation erronée de
l'augmentation de la richesse à l'augmentation de la valeur.. et de "notions dénuées de
fondement" sur ce qui peut constituer un étalon de mesure de la valeur.
Ces erreurs proviennent de la confusion effectuée par Smith entre richesse et valeur et
à l'incapacité de Say à envisager la valeur d'échange.
Smith définit initialement la richesse ( définition "correcte" selon Ricardo), comme les
moyens d'obtenir les biens nécessaires, commodes et nécessaires à la vie. Mais le même
auteur donne, par la suite, une définition de la richesse, différente et inexacte, en la faisant
reposer sur la quantité de travail que l'homme peut acheter.
En effet, selon Ricardo, la richesse peut augmenter grace à la facilité de production,
mais pendant ce temps la valeur de certaines marchandises ( fondée sur la difficulté de
32
production) diminuera.. L'effet de richesse ( masse de valeurs d'usage) peut se traduire par une
perte de valeur d'échange. Jean Baptiste Say retombe dans cette même confusion entre
richesse et valeur, rappelant dans ses notes sur les Principes que "la richesse n'est que la
valeur courante des choses que l'on possède" . Say reproche à Ricardo de ne considérer que le
travail et de négliger le "premier" élément, le "véritable" fondement de la valeur, l'utilité. Say
confondant richesse et valeur, néglige ainsi la différence fondamentale entre valeur d'usage et
valeur d'échange..
Le caractère hypothétique de l'étalon.
Si nous ne pouvons déterminer quelle marchandise a la capacité d'être un étalon,
faisons " comme si" il existait, pour en tirer toutes les conséquences. Cette méthode sera
développée ultérieurement par Sraffa ( p.41); celui ci montrera que les salaires et le prix des
marchandises peuvent être exprimés en termes d'un produit net étalon, "sans savoir de quoi il
est fait" et dont la construction est "purement auxiliaire".
Pour Ricardo, citant Destutt de Tracy ( p. 299), il faut rechercher comment mesurer
une chose avec une quantité donnée de cette autre chose qui nous sert de comparaison,
d'étalon, d'unité.
3. "Valeur absolue et valeur d'échange".
L'objectif de la mesure de la valeur est réitéré: une mesure de la valeur est parfaite si
"elle a elle- même une valeur et que cette valeur soit invariable". La difficulté est toujours la
même. La difficulté ou la facilité de production n'est pas l'unique cause de la variation de la
valeur: il y en a une autre, à savoir l'accroissement ou la diminution des salaires.... Tout irait
bien" si toutes les marchandises étaient produites dans des circonstances rigoureusement
identiques.." en étant par exemple produites par le seul travail ou si exigeant des avances ,
celles- ci étaient mises sur le marché exactement au même moment. Mais on se trouve dans
des circonstances diverses de production du point de vue du travail par rapport au capital; par
exemple les crevettes incorporent exclusivement du travail, ce qui n'est pas le cas de l'étoffe et
donc les effets d'une augmentation des salaires sur le prix de ces deux marchandises sera très
différente.
La difficulté du sujet est telle "qu'il est impossible de trouver quelque marchandise que
ce soit qui puisse constituer une mesure parfaite de la valeur".
Cependant, Ricardo ( curieusement s'autocitant par des "Monsieur Ricardo"), préfère
une mesure " manifestement imparfaite, mais permettant de savoir si ce sont les marchandises
ou la valeur du travail qui ont augmenté", un" moyen terme entre deux extrêmes". Ces
extrêmes étant dans la répartition, soit à raison de 90 % pour le travail, soit de 40 % pour le
travail et 60 % pour le capital. Sraffa s'inspirera de cet étalon de mesure de la valeur comme
"moyenne entre deux extrêmes" pour construire une proportion critique entre travail et
moyens de production de telle sorte à résoudre l'"effet Ricardo" (voir supra 1.15).
La mesure la moins mauvaise semble être cette fois "le travail"; ainsi " une
marchandise produite dans un temps donné par le travail de cent hommes a une valeur double
de celle d'une marchandise produite par le travail de cinquante hommes dans le même temps".
(Valeur Absolue Valeur d'Echange ,p.243). S'il y a vingt ans," le travail de 80 hommes
suffisait,.., alors que maintenant il en faut une centaine, nous serions en droit d'affirmer que la
marchandise a augmenté de 25%" Le travail employé pendant un an peut être un "moyen
terme entre les extrêmes que sont les marchandises produites par le travail avec des avances
de plusieurs années et le travail employé pendant une journée seulement."
33
Mais...on peut encore faire appel à la monnaie, si sa production nécessite la même
quantité de travail que le blé: "Supposons que la monnaie soit produite pendant le même
temps que le blé, c'est la mesure que je proposerai, pourvu que sa production nécessite
toujours la même quantité de travail."
- 4- LE COMMERCE EXTERIEUR.
Le commerce extérieur constitue la solution la plus radicale à la baisse fatale du taux
de profit. Déjà dans l'"Essai sur les Profits", Ricardo avait mis son préjugé libre-échangiste au
service de la lutte contre les lois sur le blé (Corn Laws). La lutte contre le protectionnisme a
pour but d'obtenir une alimentation à bas prix. Dans le chapitre VII, "Du commerce
extérieur", ce préjugé libre échangiste repose désormais sur un principe général du commerce
extérieur , fondé sur les avantages comparatifs. Adam Smith avait montré qu'une nation
possède un avantage absolu dans le commerce international, si elle produit certains biens au
moindre coût. Chaque nation a donc intérêt à se spécialiser dans la production des biens pour
lesquels elle a l'avantage absolu, et à les échanger contre d'autres biens, avec d'autres nations.
La spécialisation, dans le cadre de ce raisonnement en valeur travail et à coûts
constants, serait facilitée si le capital circulait entre les deux protagonistes. Mais faudra- t-il
aller jusqu'au libre échange au point où la circulation des facteurs de production entre le
Portugal et l'Angleterre soit du même ordre qu'entre Londres et le Yorkshire ? Ce serait
oublier la peur de l'autre et le désir de ne pas prendre de risques à l'étranger. A partir d'un
exemple très court, Ricardo montrera que l'avantage absolu sur toutes les productions ne prive
pas une nation de participer à l'échange international; seul compte l'avantage relatif, ou
comparatif. Il va de soi que le principe des avantages/ coûts comparatifs est immédiatement
applicable aux relations entre l'Angleterre et les pays producteurs de biens agricoles. Ainsi les
partenaires à l'échange international forment un agent composite pouvant perturber le jeu fatal
de la dynamique grandiose.
1. Les mystères du commerce international: les avantages comparatifs
1.1. Sur le plan international, le "Capital Withdrawall" est impossible
"La règle qui détermine la valeur relative des marchandises dans un pays ne détermine
pas la valeur de celles échangées entre deux ou plusieurs pays". Des écarts de profit peuvent
subsister:
- par exemple le Portugal fabrique le vin avec plus de profit que l'Angleterre et les
draps et ustensiles avec moins de profit.
- réciproquement, l'Angleterre produit plus avantageusement les ustensiles et les draps
que le vin.
L'échange entre marchandises (vin portugais/ drap anglais) implique une modification
plus avantageuse de l'allocation interne du travail. Si en Angleterre le drap coûte le travail de
100 hommes et le vin, le travail de 120; et si au Portugal, le coût est respectivement de 90 et
80, il est intéréssant de procéder à une réallocation du travail. Ainsi en se spécialisant dans le
vin, le Portugal obtiendra, en échange de vin, plus de draps que l'Angleterre, qu'il n'en aurait
eu en autarcie; et cela, bien que le coût en travail du drap soit dans l'absolu, inférieur au
Portugal. Dans le cadre international (bilatéral), un produit de 100 hommes (le drap ) pourra
ainsi s'échanger contre produit de 80 hommes ( le vin ); ce qui n'aurait de sens dans un cadre
national: " Le travail de 100 anglais ne peut être échangé contre le travail de 80 anglais".
34
Le raisonnement de Ricardo est à la fois macro et microéconomique sinon
"inclassable" ( Machlup,1963s). En effet, le raisonnement sur deux nations peut être transposé
à deux individus, que ce soit pour le commerce international, mais aussi la dette ( ch. 17).
Ainsi, afin de montrer qu'un pays riche de ses machines et de son savoir- faire ,
disposant d'une terre fertile peut avoir interêt à importer son blé, Ricardo prend l'exemple
classique de deux hommes fabricant des chaussures et des chapeaux.
Un des deux hommes est plus productif que l'autre dans les deux productions:
- De 20 % pour les chapeaux
- De 33 % pour les chaussures
"Ne serait- il pas dans l'intérêt des deux que l'individu le plus compétitif se consacre
exclusivement à la fabrication de chaussures et le moins compétitif, à la fabrication des
chapeaux ?"
Quel est le critère utilisé sinon le surcroît d'utilité pour tous les consommateurs: "la
recherche de son avantage propre s'accorde admirablement avec le bien universel....en
augmentant la masse totale des productions, elle répand partout le bien être, et réunit par le
lien de l'intérêt et du commerce réciproque". Dans ce dernier cas, il existe seulement un "gain
statique" et les termes de l'échange sont nécessaires à la compréhension.
1.2.
Les
avantages
comparatifs:
clef
du
mystère
Reprenons l'exemple de Ricardo: deux pays, l'Angleterre et le Portugal qui produisent
chacun deux biens: le drap et le vin, mais dans des conditions techniques différentes qui sont
résumées dans le tableau suivant:
Tableau 2 Quantité de travail par unité de bien (en hommes- année)
Vin Drap
Angleterre 120 100
Portugal 80 90
Les avantages comparatifs sont exprimés chez Ricardo à partir des prix relatifs
internes ou coûts d'opportunité.
Tableau 3
Prix relatifs internes
vin/drap drap/vin
Angleterre 1,2 0,83
Portugal 0,88 1,125
En Angleterre, une unité de vin vaut 1,2 unité de drap et une unité de drap vaut 0,83
unités de vin.
Au Portugal, une unité de vin vaut 0,88 unités de drap et une unité de drap vaut 1,125
unités de vin.
- Le Portugal a intérêt à se spécialiser dans la production de vin.
Produire une unité de vin supplémentaire l'oblige à renoncer à 0,88 unités de drap.
Mais, produire une unité supplémentaire de drap le fait renoncer à 1,125 unités de vin. S'il
produit plus de vin pour en exporter en Angleterre, chaque unité vendue lui rapporte 1,2
unités de drap contre 0,88 en autarcie. Ainsi, en produisant 2 unités de vin, soit 160 h/année,
le Portugal peut garder une unité de vin et obtenir de l'Angleterre 1,2 unités de drap. Soit un
gain de 10 h et plus de bien à consommer.
35
- L'Angleterre a intérêt à se spécialiser dans la production de drap et à en exporter une
partie au Portugal.
Chaque unité vendue lui rapporte 1,125 unités de vin contre 0,83 en autarcie. Produire
une unité supplémentaire de drap supplémentaire l'oblige à renoncer à 0,85 unité de vin. Par
contre, produire une unité supplémentaire de vin coûterait 1,2 unités de drap. Ainsi, selon le
même schéma, l'Angleterre, en produisant 2 Unités de drap soit 200 h obtient 1 unité de drap
et 1,125 unités de vin. Elle gagne ainsi 20 h et plus de biens à consommer.
Chacun des pays gagne à se spécialiser dans la production du bien pour lequel il a
l'avantage comparatif le plus élevé, soit le coût comparatif le plus faible ou encore la
productivité du travail la plus élevée.
Il y a donc réallocation du travail dans le secteur où sa productivité est la plus élevée
et les deux pays gagnent à l'échange:chacun dispose d'un supplément de marchandise par
rapport à la situation d'isolement, tout en ayant un coût de travail moindre (10 h pour le
Portugal + 20 h pour l'Angleterre = 30 h pour la combinaison retenue).
1.3. Des échanges régulés par la monnaie
Au- delà de la loi des coûts comparatifs, Ricardo reprend l'idée de Hume, d'une
"répartition naturelle de métaux précieux". Ce mécanismes non seulement équilibre le
commerce international, mais encore intervient dans le niveau des prix relatifs d'un pays à
l'autre. Il sera perfectionné par Stuart Mill. En définitive, il serait préférable que le capital
circule, mais des raisons à la fois psychologiques (aversion au risque) et institutionnelles (lois
sur l'immigration) freinent un tel mouvement. Si les exportations croisées de vin et de drap
s'effectuent, il faudra que les prix internationaux pratiqués permettent une rentabilité
minimale ; celle- ci ne peut s'exprimer qu'en monnaie. La monnaie joue alors le rôle de
"moyen général de circulation", dont la répartition entre les pays s'ajuste à la circulation
naturelle des marchandises. On peut imaginer une accumulation de monnaie en Angleterre et
une diminution de sa quantité à l'étranger.
"Mais la réduction de la quantité de monnaie dans un pays et son augmentation dans
un autre agissent non seulement sur le prix d'une seule marchandise, mais aussi sur le prix de
toutes les marchandises".
On peut admettre que l'Angleterre emploie le plus grand savoir- faire et les meilleures
machines, dans la fabrication des marchandises d'exportation. Elle pourra ainsi importer une
grande quantité de monnaie en échange de ses biens. Mais si l'Angleterre accumule de la
monnaie, celle-ci perd de sa valeur et les prix augmentent; à l'inverse au Portugal, les prix
diminuent et les prix baissant, les exportations sont favorisées. Il existe donc une tendance
cyclique du développement du commerce international. Un pays très favorisé du point de vue
du commerce international, aura tendance à subir une rentrée de monnaie et par conséquent
des prix plus élevés et une perte de compétitivité.
1.4. Une monnaie dépendante de facteurs réels.
Le commerce extérieur permet de voir comment la monnaie est déterminée par des
facteurs réels à savoir l'imposition relative, le savoir faire des travailleurs, les avantages du
climat ou des productions naturelles, et "beaucoup d'autres causes"; elle ne peut ainsi avoir la
même valeur dans deux pays quelconques. Ces variations de la monnaie n'ont cependant pas
d'influence sur le taux de profit. Ce dernier dépend du salaire réel.
- Or si les salaires réels augmentent du fait d'une augmentation de la monnaie, cela n'a
pas d'importance car toutes les marchandises augmenteront. Il y a aura par contre
rétablissement automatique de l'équilibre du commerce international.
36
- Si les salaires augmentent du fait d'une augmentation de la difficulté de production,
les profits baisseront et nous retrouvons le processus de la dynamique grandiose.
2. Les effets du commerce extérieur.
2.1. Le commerce extérieur ne peut modifier la valeur globale et le taux de profit:
La démonstration de la possibilité d'un gain réciproque à l'échange entre partenaires inégaux
est , selon Samuelson (1971), un des plus beaux théorèmes de l'économie politique.
- Globalement le commerce extérieur ne change pas la dynamique grandiose; ni le
mouvement de la valeur et de la répartition.
Il n'a pas d'effet immédiat sur le total de la valeur dans un pays car celle- ci repose
d'abord sur la valeur du produit de la terre et du travail dans "notre" pays. Si avec ce produit,
on obtient en échange de l'étranger deux fois plus de biens, la valeur globale mise à la
disposition des habitants du pays ne change pas. Le négociant qui effectue ce commerce
obtient le taux de profit moyen; s'il gagne plus, la péréquation des taux de profit s'effectuera
par le bas, résultant de l'afflux du capital; il n'existera pas de péréquation où la hausse du
profit dans le commerce extérieur tirerait vers le haut l'ensemble des profits.
Il existe une limite globale à la demande , correspondant au revenu et au capital d'un
pays. Cette demande se divise en une composante domestique et une composante étrangère: "
si l'une augmente, l'autre doit diminuer" .
En aucun cas, "l'augmentation du taux de profit n'est due à l'extension du marché".
Néanmoins le commerce extérieur peut jouer sur le profit, au même titre que le
perfectionnement des machines, en abaissant le prix de la nourriture et des biens nécessaires
consommés par les travailleurs.
2.2. Le commerce international, pourvoyeur de biens salaires à bas prix.
Le seul cas où le commerce international est profitable est celui où les importations ne
portent pas sur des marchandises achetées par les salaires. Lassudrie-Duchêne (1987)
distingue ainsi l'échange de biens finals qui ne rentrent dans aucun processus de production,
de l'échange de biens intermédiaires qui créent, eux un "gain dynamique". Cette dernière
forme de gain est évidente parce que l'échange apporte à meilleur compte les biens salariaux,
abaisse ainsi les salaires et élève les profits. On peut généraliser cette théorie à l'ensemble des
biens intermédiaires ou encore des "marchandises qui servent à en fabriquer d'autres" (Sraffa).
Il existe ainsi un gain spécifique d'échange de segments de produits ou encore de biens
intermédiaires (Lassudrie, 1987; Fontagné, 1991).
Les conclusions à retirer des propos ricardiens sur le commerce extérieur pourraient
être les suivantes:
- Le commerce international ne perturbe pas la dynamique grandiose car il n' a pas
d'influence sur le taux de profit.
- Il peut avoir une influence sur le taux de profit dans le cas précis des biens de
subsistance. De ce point de vue une importation de biens de subsistance par l'Angleterre peut
être avantageuse pour le taux de profit; cela peut être justifié par la théorie des avantages
comparatifs.
- Les positions dans le commerce international se manifestent par des mouvements
monétaires qui corrigent les déséquilibres. Les pays avantagés temporairement par leur
supériorité réelle ( savoir faire, machines) seront désavantagés par la hausse des prix résultant
de l'importation de monnaie.
37
- Ces mouvements de monnaie n'ont rien à voir avec le taux de profit qui dépend
uniquement de la hausse des salaires au sein de la dynamique grandiose. Ricardo renforce à
plusieurs endroits l'idée qu'une répercussion des hausses de salaires sur les hausses de prix est
impossible.
- Une politique mercantiliste de l'Etat par primes à l'exportation et prohibitions à
l'importation sera inefficace.
- 5- IMPOT ET EMPRUNT.
L'impôt est -il inefficace ?
Il n'a d'incidence sur la valeur et la répartition que s'il suscite une difficulté
supplémentaire de production; s'il modifie la valeur et le prix, le consommateur en sera
victime au profit de l'Etat. Il n' a qu'un effet temporaire sur le commerce international compte
tenu de ses capacités automatiques de rééquilibrage
L'emprunt public pourrait être assimilé à une transaction privée entre contribuable et
rentier de l'Etat; on pourrait même concevoir des fonds portant intérêt et permettant de
rembourser automatiquement la dette. Les abus de l'Etat amènent à douter que de telles
régulations financières soient encore possibles.
1. Une problématique de l'Etat.
L'Etat est un grand perturbateur de la dynamique, au même titre que le commerce
extérieur . Dans le but de comprendre son efficacité, Ricardo passe en revue les différents
types d'impôt et leur rôle dans la dynamique; problème effleuré dans l'"Essai". Onze chapitres
se succèdent sur ce thème, sans compter l'"appendice", notamment les discussions avec J.B
Say à propos de l'impôt sur le producteur .
Mais le plus intéressant, selon la préface de Ricardo à la troisième édition, est le
dernier chapitre sur les opinions de Malthus quant à la rente. Il y établit plus solidement la
doctrine selon laquelle un pays peut payer des impôts monétaires plus élevés et voir
cependant baisser la valeur monétaire de l'ensemble de ses marchandises. Il s'agit d'un "point
fondamental" qui étudie les effets de la libre importation de blé dans un pays accablé de dette,
à la suite des guerres napoléoniennes. Ricardo reprend la discussion entamée dans ses
pamphlets sur la dette (notamment à la fin de l'"Essai") et apporte ainsi, la solution
synthétique au double problème des importations de blé et de la dette nationale.
Afin d'en évaluer l'efficacité, Ricardo énumère brièvement les différents types d'impôt
pour montrer en quoi la dynamique ne saurait être contrariée par une fiscalité normale. Les
impôts sont , en règle générale, payés par les revenus et n'ont pas d'incidence s' ils sont
compensés par une augmentation de la production consécutive à l'accumulation du capital.
S'ils doivent frapper le consommateur, on veillera à ne pas aggraver les problèmes posés par
la rente différentielle ( et donc la dynamique grandiose). Cette dynamique s'inscrit dans une
logique de classes ( que ne percevait pas Adam Smith) et crée une inéquité croissante. Ce mal
sera aggravé par les impôts s'ils sont mal conçus: le peuple, les capitalistes ( en particulier les
fermiers) seront taxés au profit des propriétaires fonciers. La dynamique grandiose sera ainsi
renforcée si les impôts frappent le capital lui-même et son accumulation, en favorisant la rente
et les propriétaires fonciers. L'impôt devient nocif quand il frappe les capitaux , par exemple
en s'attaquant aux successions.
L'impôt doit respecter les règles ( équité, commodité, certitude, économie) émises par
A.Smith. Ricardo les invoque pour montrer comment un impôt foncier qui ne prendrait pas en
compte les différences de qualité foncière, pénaliserait le peuple au profit des propriétaires
fonciers. L'impôt foncier, ce que ne voit pas Say, doit tenir compte de la rente différentielle.
38
Pour les biens dont la quantité mise sur le marché est rigide, l'impôt a surtout un effet sur les
prix. Par exemple, selon Ricardo, le loyer des maisons augmente et donc la demande diminue;
ainsi ce sont les propriétaires qui en subiront les conséquences. Si l'impôt sur les produits
bruts provoque une augmentation de prix, il ne placera pas l'Angleterre dans une position
désavantageuse du point de vue du commerce international. Le prix peut être temporairement
modifié, mais la valeur ne change pas. Ce même raisonnement qui est repris à propos de la
dîme amène à s'interroger sur la portée réelle de la politique fiscale. L'impôt porte donc sur le
consommateur, mais aussi sur le producteur. Ce dernier peut répercuter le montant de l'impôt
sur le prix de ses marchandises, mais risque de diminuer ses ventes. L'impôt peut ainsi
conduire à une réallocation du capital.
2. La complication de la dynamique grandiose par l'impôt.
Au chapitre IX, l'analyse de l’impôt permet d’approfondir le mécanisme de
l’augmentation des prix des produits agricoles dans le cas type du "fermier" représentatif,
dont l'emploi du capital ne paie pas de rente.
2.1. Le consommateur paie l'impôt sour la forme d'une augmentation de prix.
L'impôt n'est qu'une cause parmi d'autres d' augmentation des prix.
L'impôt sur le producteur agricole ( impôt foncier, dîme, prélèvement sur la récolte)
élève le coût de production et donc le prix des produits agricoles. Cette augmentation des prix
permet de "dédommager le cultivateur de l'impôt". Autrement, celui- ci abandonnerait une
activité dans laquelle les profits ne seraient plus au niveau moyen. De ce fait, la réduction de
l'offre conséquente à ce retrait entrainerait à terme une augmentation des profits.
Le cultivateur ne peut faire autrement; si, par exemple, il déduisait l'impôt de ses
profits, il ne disposerait plus du profit moyen et n'aurait aucune raison de continuer; dans la
mesure où le fermier représentatif cultive la terre marginale, il ne peut déduire cet impôt de la
rente due au propriétaire foncier. En définitive, le consommateur paiera l'impôt sous la forme
de cette augmentation de prix.
2.2. L'impôt ne change pas la rente en monnaie, mais altère la rente en blé.
Admettons trois terres qui offrent des productions et rentes selon les modalités
suivantes, avant et après impôt. Si un impôt est fixé par quarter (par ex. de 8 shillings, cad 0,4
l.), les trois terres sont frappées proportionnellement et la rente monétaire ne change pas.
Cet impôt monétaire a une contrepartie en blé: ainsi 180 qrs paient 16,3 qrs, 170 qrs,
15,4 et enfin 160 qrs, 14,5 qrs. Mais dans ce cas, la production est frappée de l'impôt à la
source qui sera proportionnellement plus lourd sur les meilleures terres.
La rente en blé de la terre N° 1 passe de 20 qrs à 18,2 qrs; en effet, le produit net de la
terre N° 1 passe de 180 à 163,7 qrs (- 16,3) le produit net de la terre marginale passe de 160 à
145,5 qrs (- 14,5).
L'impôt sur la terre n° 1 est plus lourd car levé sur une plus grande quantité de blé,
donc la rente en blé diminue car le produit net de la terre N° 1 diminue plus rapidement que
celui de la terre marginale.
2.3. Un impôt sur les produits bruts risque de faire augmenter les salaires
Admettons que les salariés soient au minimum de subsistance; si le coût de leur
alimentation augmente, alors les salaires doivent augmenter ce qui se répercutera sur les
39
employeurs. Donc, les profits en subiront les conséquences Au total les consommateurs ( ce
qui est équitable) et les entrepreneurs ( ce qui ne l'est pas) subiront les conséquences de
l'impôt sans pour autant que le propriétaire foncier et le porteur de titres soient atteints. Ainsi,
les revenus du fermier, du négociant et du manufacturier sont atteints, mais aucune personne (
propriétaire foncier, porteur de titres) dont le revenu est fixe. Rétablir un impôt direct sur ces
catégories reviendait à fouiller dans leurs affaires, ce qui serait hostile aux libertés.
Mais l'impôt n'est qu'une des causes possibles d'une hausse des prix des biens
nécessaires.D'autres causes peuvent intervenir:
- Offre insuffisante.
Lorsque l'offre est insuffisante, la misère du travailleur est inéluctable. Il ne peut que
réduire sa consommation et ce renoncement permettra un rééquilibre du marché. Toute
mesure sociale visant à réévaluer les salaires sans agir sur le marché ( cf. les importations) ne
pourra que renforcer la misère du travailleur.
- Demande croissante entraînant une augmentation des coûts de production.
Une telle augmentation de la demande de travail provoque la hausse des salaires ; "elle
encourage le mariage et permet de subvenir aux besoins des enfants" . Mais, il se peut que la
population ,ainsi accrue, ait augmenté plus que proportionnellement au fonds des salaires.
Dans ce cas l' l'équilibre sera rétabli par une baisse des salaires au dessous de leur niveau
naturel. Une telle adaptation est rapide dans le cas du capital, "Mais il n'en va pas de même
avec les hommes".
- Baisse de valeur de la monnaie.
Marché des biens nécessaires et marché du travail déterminent le salaire; une
augmentation de la monnaie augmentera à la fois les salaires et les biens à acheter; en
conséquence, la quantité de biens nécessaires mise à la disposition du travailleur restera la
même, sans plus.
En définitive, toute forme d'impôt n'est qu'un choix entre plusieurs maux ; peu importe
qu'il frappe les profits ou la dépense pourvu qu'il n'entrave pas la reproduction. Il n'aura pas
d'effet sur la position concurrentielle du pays considéré.
En effet, une augmentation des prix des produits locaux ne se produit que s'il y a
afflux d'or. Il peut alors se produire une dévalorisation de l'or en tant que marchandise par
rapport aux marchandises à fournir aux étrangers. En effet, si l'or est bon marché, les
marchandises sont chères.
Mais, si les prix des marchandises anglaises sont relevés du montant de l'impôt, la
monnaie anglaise fuiera vers l'étranger. Ainsi la monnaie restante sera réévaluée et donc le
prix des marchandises exportables diminuera; ce qui sera favorable au commerce extérieur.
Au total, l'effet d'un impôt sur les produits bruts est très différent selon les
marchandises,
leur
composition
en
matières
premières
et
en
travail.
2.4. L'impôt peut-il contrarier durablement le développement ?
L'impôt ne peut contrarier durablement le développement. Il existe donc une sorte
d'inefficacité de l'impôt public. Il ne peut empêcher la production d'échangeables et l'échange
international . On retrouve ici une dynamique de long terme; toute protection effective ( par
un impôt sur les matières premières par exemple) ne peut avoir d'effets à terme . En effet, elle
ne change rien au phénomène de la rente en argent (du point de vue de la répartition sociale
des revenus) et à terme elle provoque une baisse de compétitivité et une sortie de devises. La
dévalorisation des marchandises exportables par la réévaluation de l'or sortant, tend à
rééquilibrer la position du pays.
40
On retrouve encore l'idée d'un rééquilibrage démographique face aux problèmes du
lien entre population et fonds d'entretien. Cette proportion démo- économique évolue en
fonction du marché des matières premières et de la population.
En définitive, il existe ainsi une cyclicité et une tendance au rééquilibrage à long
terme. Cette tendance tend à confirmer l'idée d'une adaptation "automatique" du marché du
travail aux perturbations de la dynamique grandiose. Et donc à confirmer l'idée de Morishima
(1989) d'une loi de Say qui ne serait pas réduite au marché des capitaux.
2.5. Des impôts en particulier.
Le chapitre X sur les "impôts sur la rente" traite surtout du problème posé par la vision
extensive de la rente ,"en général" qui inclut "la totalité de la valeur versée par le fermier à
son propriétaire" et peut inclure la rémunération du capital du propriétaire foncier sous la
forme de bâtiments, etc..... Dans ce cas, il y aurait une pénalisation du capital et en définitive
du consommateur. Autrement, la mise en valeur de la terre marginale qui ne paie pas de rente
est donc extérieure à cet impôt. La dîme ( 1/10°du produit brut ) est un impôt au profit de
l'église et a des effets similaires à l'impôt sur les produits bruts.
On peut comme pour ce dernier type d'impôt examiner:
- les conséquences sur la répartition: le propriétaire foncier sera atteint si la dîme agit
comme un impôt sur la production intérieure de blé, tout en laissant libre l' importation de blé
étranger.
- sur le commerce international: l'impôt crée de nouveaux obstacles à la production.
Ainsi dans le cas du drap, il risque de rendre plus compétitive la production étrangère, d'où la
nécessité d'imposer les draps étrangers. Mais dans ce cas, le consommateur paie plus cher.
En conclusion de ses propos sur la dîme, Ricardo rappelle que l'impôt implique une
difficulté de production plus grande et donc joue sur la valeur et les prix. Tout nouvel impôt
est une charge sur la production et entraîne une hausse du prix naturel. En augmentant ainsi la
valeur d'échange d'une marchandise, dont la demande est générale, tout impôt décourage à la
fois la culture et la production. L'impôt foncier est du même type: il peut être assimilé à un
impôt sur la rente.
3. L'emprunt.
3.1. L'efficacité de l'emprunt
L'emprunt est -il plus efficace ? Citant Melon, Ricardo rappelle que les intérêts passent
directement du contribuable au rentier de l'Etat. Apparemment le remboursement de l'emprunt
public est une transaction privée entre A et B. Elle pose simplement le problème de
l'opportunité d'un tel transfert et de ce qu' aurait pu être son utilisation productive.
Peut-on être sûr de son efficacité ou non ? Certes, Ricardo affirme "Que les intérêts de
l'emprunt soient payés ou non, la nation s'en trouvera ni plus ni moins riche"; mais, si Ricardo
assimile deux nations à deux individus, A et B, l'effet de l'emprunt dépend des caractéristiques
de A et B, de l'utilisation productive qu'ils pourraient effectuer de cet argent. La justice
politique ne saurait s'accommoder d'une spoliation des créanciers, et dans tous les cas, mieux
vaut que le gouvernement et les particuliers ne dépensent pas de façon inconséquente: la
profusion de leurs dépenses ,en développant l'emprunt , appauvrira le pays.
3.2. La méthode des fonds d'amortissement (sinking funds).
41
Ricardo éprouve une déception croissante face à ce système, de l'"Essai" (1815) au
pamphlet sur le "Funding system" (1820). En cas de guerre, la méthode des fonds
d'amortissement permet d'emprunter la somme désirée et de faire payer l'intérêt, sinon de
rembourser l'emprunt lui-même, par un fonds également emprunté et rendu productif. Cette
méthode permet d'éviter l 'affectation de taxes au remboursement de l'emprunt ; à la façon des
taxes "vertueuses" souvent utilisées dans les systèmes contemporains de caisses
d'amortissement de la dette.
Ainsi comme le propose Pitt (en Mars 1786) au Parlement anglais, un million au bout
de 28 ans, rapporterait quatre millions par an. Dans les Principes, Ricardo rappelle qu'un tel
fonds devrait être fourni par l' excès du revenu public sur la dépense publique. Or le "fonds
d'amortissement n'est qu'un mot", car le revenu n'excède pas les dépenses et ,à la fin de la
guerre, la nation sera en faillite.
Dans le pamphlet de 1820, Ricardo n'y croit plus. Le sinking fund a, au contraire,
stimulé la dépense au profit des administrateurs du Fonds. "Sans garanties , nous serions
mieux sans un tel fonds" .
- 6 - LA MONNAIE.
Les positions monétaires de Ricardo les plus connues s' insèrent dans la discussion
entre la "Currency school" et la "Banking school" à la suite de la décision d'inconvertibilité du
papier monnaie en or en 1797 ( Bank Restriction Act). Cette controverse se prolongera au delà du rétablissement de la convertibilité en 1819.
L'inconvertibilité crée une divergence entre le "Mint price" (le prix officiel de l'Hôtel
des Monnaies) et le cours du marché. Ceci amène la Chambre des Communes à créer une
commission ( Bullion comittee) pour "enquêter sur les causes du cours élevé des lingots d'or
et prendre en considération l'état des moyens de circulation du change entre la Grande
Bretagne et l'étranger".
Mais les positions les moins connues ont trait au rapport entre la monnaie et la valeur
des marchandises; à la limite, faute de mieux, la monnaie peut servir d'étalon des valeurs. A
ce titre, elle ne peut changer le cours de la dynamique grandiose. Les premiers écrits
monétaires de Ricardo donnent l'impression d'un strict quantitativisme, mais ce serait oublier
ses réflexions plus approfondies sur la valeur de la monnaie dans les Principes. Enfin, Ricardo
se montre particulièrement original dans la mise au point d'une régulation monétaire.
1. Les controverses sur la convertibilité
1.1. Les" Ecrits Monétaires" de Ricardo (1809 - 1811)
Currency et Banking School
La Currency School (Ricardo) pense que les fluctuations des billets doivent suivre
l'évolution des cours de l'or. Comptant entre autres Robert Torrens, cette école recommande la
convertibilité métallique intégrale de la monnaie et triomphera avec la Charte Bancaire de
1844.
La Banking School ( Tooke, Fullarton, Wilson, Gilbart) est favorable à ce que les
banques réglementent l'émission de billets , sauf à convertir les billets en pièces métalliques
sur demande. Ce sont les besoins du commerce qui déterminent la masse de biens
convertibles, en particulier les prêts consentis pour financer des transactions réelles de biens
et services ( doctrine des effets réels).
42
Cette querelle débouchera sur le Peel Act de 1844 et la création de deux départements
indépendants à la Banque d'Angleterre:
- le département de l'émission (liée au stock d'or) qui joue le rôle de Banque de
premier rang.
- le département de la Banque qui s' occupe des crédits et des dépôts et joue le rôle de
Banque de second rang.
La Currency School sous- estime la possibilité d'une expansion des crédits et la
Banking School , notamment avec Tooke, surestime le rôle du taux de l'intérêt. Tooke tente
encore de différencier le rôle différentiel des titres d'Etat et des prêts commerciaux sur
l'émission de billets, en estimant qu'une restriction de l'escompte aux effets réels garantira la
stabilité de la monnaie.
La controverse bullioniste.
Les écrits monétaires de Ricardo commencent avec les controverses dans le Morning
Chronicle sur le cours élevé de l'or sur le marché.
La guerre avec la France a donné lieu à l'inconvertibilité des billets en 1797, mais
aussi à d'importants transferts de fonds vers les alliés de l'Angleterre, à des emprunts publics
importants et enfin à des importations de blé. Il en résulta une hausse progressive des prix et
une surcote de l'or, la valeur du lingot sur le marché étant plus grande que sa valeur faciale.
Deux explications s'affrontent alors: l'une affirme que la surcote est due au déséquilibre du
commerce extérieur, à la baisse de la livre à l'étranger et par conséquent à une hausse du prix
de l'or. A l'inverse, on peut penser que cette hausse est une preuve d'inflation due à des
imprudences de la Banque Centrale.
Ainsi Ricardo dénonce, en 1809, l'émission excessive de billets par la Banque
d'Angleterre qui résulte de la libre convertibilité. Pour ce faire, il engage une controverse avec
un correspondant soit -disant anonyme( Trower) "l'ami des billets de banque" jusqu'en 1811,
et lui consacre sa brochure de 1810 "Le cours élevé de l'or, une preuve de la dépréciation des
billets de banque". Ricardo jusqu'à la "Réponse aux observations pratiques de M. Bosanquet
sur le rapport du Bullion Committee" (1881), rappelle que la seule solution réside dans la
réduction de la quantité de billets de banques.
Dans la "querelle bullioniste", Ricardo en dénonçant l'émission excessive de monnaie,
s'oppose à la thèse des "difficultés du commerce extérieur". Les premiers écrits ricardiens
publiés dès 1809 marquent, dans le cadre d'une polémique sur le cours de l'or, un strict
quantitativisme. L' augmentation des billets provoque une surcote de l'or, et une augmentation
des prix des marchandises des denrées alimentaires et diminue les revenus fixes. Si,
conformément aux suggestions de Ricardo, on retire la monnaie en excès, l'or et les
marchandises retrouveront leur "juste niveau". On peut alors revenir à la convertibilité du
billet de la Banque d'Angleterre; convertibilité limitée par Ricardo aux lingots ( cf. l'Ingot
plan de 1816) pour les billets supérieurs à 20 Livres. Les bases du futur système de l'étalon or,
le Gold Bullion standard, seront ainsi établies.
1.2. Les Principes
Dans les "Principes", Ricardo replace ses considérations pratiques sur la monnaie,
dans le débat théorique, notamment avec Adam Smith.
-Le bimétallisme et la rationalité du débiteur
43
Dans le cadre du bimétallisme de l'Angleterre de la fin du XVIII ° siècle, l'or est
monnayé en pièces, les guinées. Ces pièces de 21 shillings coexistent avec les pièces d'argent.
Que se passe- t-il en cas de coexistence de deux monnaies, d'or et d'argent ? Adam
Smith estime que si le rapport entre leurs valeurs n'est pas fixé, la valeur d'une guinée est alors
soumise à un certain hasard, par exemple osciller entre "tantôt 22 shillings ou plus, tantôt 18
shillings ou moins"; Le hasard n'a rien à faire dans les situations courantes que Ricardo
illustre avec l'exemple suivant.
Admettons un débiteur qui doit régler ses dettes au moindre frais. S'il dispose de cinq
quarters de blé: - il peut se procurer une quantité d'or valant 20 guinées à l'Hôtel des
Monnaies, ou 420 shillings;
- il peut encore se procurer une quantité d'argent, dont l'Hôtel des Monnaies tire 430
shillings.
Il préférera éteindre sa dette en argent en gagnant 10 shillings.
Le débiteur choisit, dans un perpétuel changement, entre le paiement en or ou en
argent selon les variations de leur valeur relative. Ces variations s'expliquent pour des raisons
quantitatives. Tout dépend de la quantité de monnaie en circulation ( contrairement à Smith
qui pense qu'un métal tel que l'or peut disposer de qualités inhérentes afin de régler la valeur
des pièces d'argent). Cette incertitude a été réglée par la session parlementaire de 1816: "Seul
l'or devait disposer d' un pouvoir libératoire pour toute somme supérieure à 40 shillings".
Bullionisme et bullionisme
Dans le très court chapitre XXVIII, Ricardo répond à Smith sur deux principaux
arguments:
- Dans un pays riche, l'or et l'argent s'échangent contre une plus grande quantité de
biens de subsistance que dans un pays pauvre.
Mais un pays riche subit la dynamique grandiose; compte tenu d'une difficulté accrue
de la production agricole il subit une élévation du prix relatif du prix de la nourriture.....
- La quantité d'or produite dans un pays ne fait pas sa richesse.
Selon A. Smith, en Espagne et au Portugal détenteurs des mines d'or, le prix des
métaux précieux est nécessairement inférieur aux autres parties d'Europe. Mais dans ces pays,
la faible valeur de la monnaie est préjudiciable au commerce et aux manufactures et , constate
Ricardo, ces deux pays sont les plus misérables d'Europe.
-2 . - Monnaie et Valeur.
2.1 L'application de la théorie de la valeur travail à la monnaie
Le thème de la monnaie est peu développé dans les Principes, sinon dans le chapitre
XXVII, où Ricardo ne fait que récapituler brièvement certaines des lois générales qui règlent
sa quantité et sa valeur et qu'il avait développé dans son pamphlet de 1816, " Propositions
pour un étalon économique et sûr". L'or et l'argent sont des marchandises comme les autres,
qui "n'ont de valeur qu' en proportion de la quantité de travail nécessaire pour les produire et
les mettre sur le marché". Au delà, la monnaie est frappée d'un droit de seigneuriage, ce qui
peut permettre de leur donner plus de valeur quitte à restreindre le nombre de pièces. La
totalité de la valeur du papier monnaie résulte d'un droit de seigneuriage. Il existe donc bien
un lien entre la valeur de la monnaie et sa quantité. Mais les banques, en plus de l'Etat, ont le
droit d' émettre du papier monnaie et peuvent accroître la quantité globale en circulation. Il
faut donc éviter qu'un Etat ou une banque ait un pouvoir illimité d' émission de papier
monnaie. Pour ce faire, Ricardo rappelle sa proposition de garantir la valeur de la monnaie
44
avec de l'or et de l'argent au prix et au titre pratiqués par l'Hotel des Monnaies. Il souligne les
vertus du papier monnaie, dont la dépréciation, comme pour toute monnaie,
dépendentièrement du caractère excessif de sa quantité en circulation.
- Deux analyses de la valeur de la monnaie tendent ainsi à se compléter:
- A court terme, une théorie quantitative explique la valeur de la monnaie. Celle- ci
peut varier en fonction de la quantité en circulation de papier monnaie.
- A long terme, la valeur de la monnaie s'explique par le coût de production du métal
précieux.
2.2 La parité des pouvoirs d'achat
Le taux de change entre les monnaies dépend -t-il seulement de leur pouvoir d'achat
relatif sur des biens échangeables identiques ? Cette idée est sévèrement critiquée par Ricardo
à la fin du chapitre VII sur le commerce extérieur. La valeur de la monnaie peut varier dans
un pays par rapport à de nombreuses marchandises ( de 5 à 20 % par exemple) "mais le
change se fera au pair". Le seul étalon reste l'or, autrement il faudrait pouvoir trouver une
marchandise étalon....permettant de mesurer la dépréciation.
2 3 La monnaie peut- elle jouer un rôle dans la dynamique grandiose ? La monnaie ne
détermine pas la dynamique grandiose
La Section VII du premier chapitre sur la valeur affirme que la monnaie ne peut
influer sur la dynamique grandiose:
- mieux vaut la considérer comme invariable (hypothèse relâchée dans le chapitre sur
le commerce extérieur).
- une augmentation des prix consécutive aux effets d'une hausse de la valeur de la
monnaie sur les salaires, n'a pas d'effet sur les profits.
Si le prix des marchandises manufacturées augmente, par exemple du double, et si la
valeur du produit, des machines, des bâtiments et des stocks double également, le taux de
profit reste inchangé.
Si à la suite d'un afflux de métaux précieux ou par suite de privilèges accordés aux
banques, le prix des vivres augmente, les salaires monétaires augmenteront; mais ils
permettront seulement au travailleur de se procurer la même quantité de biens nécessaires
qu'auparavant, "sans plus"; cette dernière dépend des rapports quantitatifs entre offre et
demande de travail d'une part et offre et demande de biens nécessaires d'autre part. "La
monnaie n'est que le moyen par lequel on exprime la quantité"; il en serait de même de la
valeur relative des chaussures et des chapeaux qui dépend de leur marché spécifique. La
monnaie ne fera encore que refléter cette valeur relative, issue de rapports quantitatifs.
L'inflation n'est pas créatrice de croissance, même si l'expansion monétaire peut
contribuer à diminuer le taux d'intérêt à long terme. Le crédit ne peut créer du capital , pas
plus que l'épargne forcée car la réduction de la consommation augmente le prix des biens de
consommation. Ce n'est pas un avantage "monétaire", accidentel qui peut favoriser les
producteurs, mais " les difficultés réelles rencontrées par le producteur le moins favorisé".
Le montant des prêts ne modifiera pas durablement le taux d'intérêt du marché ;
"celui- ci n'est pas déterminé par le taux pratiqué par les Banques, qu'il soit de 5, 4 ou 3 pour
cent, mais par le taux de profit" qui peut être tiré de l'emploi du capital. La demande de
monnaie dans les banques dépend donc de la comparaison entre le taux de profit que l'on peut
tirer de l'emploi de cette monnaie et le taux d'intérêt que les banques pratiquent sur les prêts.
45
Ce n'est pas la quantité de monnaie, mais la quantité de capital réel qui détermine
l'activité. La monnaie n'a pas de raison d'être fournie à bas prix, comme toute marchandise, et
cela favoriserait injustement ceux qui en profiteraient. Ricardo condamne donc les politiques
étatiques visant à empêcher l'établissement d'un "taux d'intérêt de marché juste et libre". En
effet, si le taux d'intérêt tend à s'aligner à long terme sur le taux de profit, "il subit toutefois
des variations temporaires provoquées par d'autres causes ". Par exemple le manufacturier
peut se tromper sur l'état du marché en faisant, compte tenu du bas prix attendu sur ses
produits, une rétention de stock. Obligé d'emprunter, il acceptera ainsi un taux d'intérêt plus
élevé; s'il ne peut résister au cours des affaires, il se rendra à l'évidence et le taux d'intérêt
reviendra à sa valeur réelle. Le taux pratiqué sur les emprunts publics n'est d'aucune fiabilité
pour évaluer le taux d'intérêt. En effet l'urgence du financement public conduira, par exemple
en temps de guerre, à pratiquer des taux artificiellement élevés et à favoriser l'éviction des
négociants; ces derniers ne pourront plus emprunter de la monnaie et escompter leur lettre de
change.
"Qui voudrait prêter à 5 % à l'agriculture, aux fabriques, au commerce, lorsqu'on
trouve un emprunteur toujours prêt à payer un intérêt de 7 ou 8 pour cent ?" se demande Say...
"Je réponds" ,dit Ricardo, "tout homme prudent et raisonnable".
Le taux d'intérêt élevé recoupe des risques importants, y compris ceux provenant des
emprunts publics; il existe donc une limite naturelle à l'éviction. Le taux d'intérêt dépend du
taux de profit et "il est impossible" d'intervertir leur rôle.
- 3 - Comment gérer la monnaie ?
L'originalité de la pensée monétaire de Ricardo ( Diatkine, 1994) consiste à concilier
le contrôle de la Banque Centrale par la Nation avec un mécanisme de stabilisation
monétaire..lui laissant une capacité d'initiative
31- Le contrôle de la Banque Centrale.
Plus généralement (Diatkine,1994), la position privilégiée de la Banque d'Angleterre
peut l'entrainer à abuser de ses pouvoirs: à tirer des profits de son pouvoir de seigneuriage, de
sa gestion des dépôts publics et des intérêts tirés de ses prêts à l'Etat.
L'opposition de Ricardo au statut de la Banque d'Angleterre qui confie,en fait,
l'émission et la gestion de la monnaie à une "compagnie de marchands" est très forte. Il y voit
le poids d'un monopole privé sur les intérêts de la Nation. Devenu député, il refusera le
renouvellement de la Charte de la Banque d' Angleterre devant la Chambre des Communes en
1822.
Ses "Proposals for an Economical and Secure Currency" (1816), incluent la
nationalisation des profits tirés du seigneuriage et la direction de la circulation monétaire par
des commissaires responsables devant le seul Parlement. De cette façon, l'Etat est le seul
émetteur de papier monnaie, mais la Nation le contrôle par son Parlement. Un monopole
d'Etat centraliserait ainsi l'émission monétaire en se substituant non seulement à la Banque
d'Angleterre, mais aux Banques locales (Country Banks) qui avaient gardé un droit
d'émission.
Que resterait-il à la Banque ? Dans son "Plan for the Establishment of a National
Bank" (1823), Ricardo propose que la Banque d'Angleterre gère les prêts et avances, y
compris au gouvernement; cette fonction étant dissociée de l'émission. Ainsi on évitera de
financer les dépenses publiques l'Etat en rachetant à intérêt des billets émis par cette même
puissance publique. Ces réformes mènent à un problème: si la monnaie consacrée aux
46
paiements effectifs est faite exclusivement de papier, ce dernier représente l'or qui sert à
réguler la circulation. Mais, comment réguler cette circulation ?
32 - La régulation du système monétaire.
Comment éviter une régulation trop rude, obligeant par exemple les banques à retirer
15 % des billets en circulation en deux ans ?
Ricardo imagine dès 1811, un mécanisme génial de politique monétaire inspiré du
modèle hollandais. Son but est d'éviter un écart trop important entre le prix du marché et le
prix légal de l'or tout en autorisant la convertibilité des billets en lingots.
Si le prix de marché est supérieur au prix légal, les agents sont incités à acheter de l'or
contre leurs billets et à le revendre avec profit. Dès lors, la quantité de billets se contracte et le
prix de marché tend à rejoindre le prix légal. Seule une petite quantité d'or est nécessaire à
l'institut d'émission afin de réguler le mécanisme, la monnaie papier servant à l'ensemble des
paiements effectifs. Ainsi le coût de fonctionnement du système monétaire est réduit et il
réalise la "perfection de l'art bancaire" (Ricardo, 1811). Ce mécanisme repose sur le
comportement des agents économiques et deux normes officielles limitant la variation du prix
de l'or, un prix d'achat et un prix plafond.
Dans les versions de 1816 et 1823, ces deux limites sont les suivantes:
- Prix de vente du lingot d'or par la Banque au Mint: 3 Livres 17 shillings 10,5 pence
l'once. ( calcul établi par réduction de 15% du montant des billets en circulation en 1809).
- Prix d'achat par la Banque au Mint," légèrement inférieur" soit 3 Livres,17 shillings.
Les commissaires publics doivent fournir les billets pour un prix fixe de l'or. La
Banque Centrale organise le marché de l'or avec ses réserves. Observant les signaux du
marché, elle peut accroître ou restreindre ses émissions lorsque le prix de l'or approche du
prix plancher et ou tend vers le prix plafond.
Ainsi, l'étalon monétaire ( l'or en la circonstance) a un prix de marché à peu près
constant en toutes circonstances et ainsi exprime le prix monétaire d'une marchandise
(Deleplace, 1994).
Le rôle principal de la monnaie est de servir d'étalon monétaire; dans cette fonction ,
elle doit ne pas être dépréciée pour les raisons pratiques énoncées par Ricardo au début de sa
recherche (1809 /1811).
Plus avant, l'analyse monétaire de Ricardo associe l'analyse théorique de la monnaie
(du rôle de ses variations de valeur dans la dynamique grandiose) à des plans pratiques de
"pure monnaie gérée" (Keynes, 1930).
- 7 - LA PRISE EN COMPTE DU SOCIAL.
Il est une idée tenace, suscitée par Marx (1857) et encore entretenue (Boudon, 1991),
d'une "loi d'airain des salaires" de Ricardo, à mettre au même niveau que son hostilité vis à vis
des pauvres. Ricardo aborde à la fois un problème spécifique de l'époque, les lois sur les
pauvres (dans la ligne de Malthus) et de façon atypique le problème des conséquences du
progrès technique sur les travailleurs au sein d'une société de classes. S'il est franchement
hostile aux pauvres, " assistés", il manifeste une bienveillance pour les travailleurs, et entend
montrer que la dynamique grandiose leur est favorable.
1. Les pauvres
1.1. Hostilité vis à vis de l'assistance aux pauvres.
47
Ricardo est connu par sa critique des lois sur les pauvres dans le chapitre V des
Principes consacré aux salaires: sa demande d'abolition s'aligne sur les positions de Malthus.
Il souligne les effets pervers de ces lois, en insistant sur la propension des pauvres à
augmenter leur nombre et à effectuer des"mariages précoces et imprévoyants".
L'argument est classique: si le pauvre a la certitude d'obtenir une aide en cas de
difficultés , "et même une aide qui lui assurerait des conditions de vie suffisamment aisées", il
connaîtra une dépendance et un abandon de l'effort.
L'aide aux pauvres a été limitée par le fait qu'elle a été collectée et gérée par chaque
paroisse; autrement, "la théorie nous amène à prévoir une réduction de l'importance relative
de tous les autres impôts face à la seule et unique taxe des pauvres." Ricardo consacre un
autre chapitre (XVIII) à cette taxe des pauvres et souligne que celle- ci pèse beaucoup plus sur
le fermier que sur le manufacturier. En effet, le fermier est imposé sur sa production et le
manufacturier sur la valeur des bâtiments qu'il utilise. Donc , le fermier augmentera le prix
des produits bruts afin de compenser la rentabilité inférieure de son capital. S'il ne le peut pas,
il aura intérêt à retirer son capital, ou au moins une partie de celui- ci. Si le pays est en
stagnation ou en déclin, la difficulté sera encore plus grande pour les fermiers , le temps de
leurs baux.
1.2 L'assistance aux pauvres peut -elle contrarier la dynamique grandiose ?
Dans les Principes, la question est abordée dans le chapitre sur la Rente et montre la
possibilité de transposer le raisonnement sur la rente agricole au domaine du travail. Cette
question fait l'objet d'un débat particulièrement vif avec J.B.Say. Ce dernier est convaincu
dans son Traité, que le bon marché des marchandises anglaises, vient de la multitude
d'institutions charitables. Mais il en est des manufactures comme des doses de terre ou des
mines, ce sont celles qui sont le moins favorisées qui déterminent par la quantité de travail
nécessaire, le prix de la marchandise concernée.
Si les ouvriers favorisés subvenaient à tous les besoins de la communauté , aucune
manufacture sans facilité sociale ne pourrait se maintenir. Mais si le manufacturier "
défavorisé" persiste dans son activité, il retire le taux de profit moyen du capital et son prix est
proportionnel à la quantité de travail consacrée à sa production. Le prix dépend donc de la
quantité de travail nécessaire dans la manufacture "marginale" qui peut encore bénéficier du
taux de profit moyen. Il n'est pas directement proportionnel au montant des salaires,
contrairement à la logique de J.B.Say.
2. Les travailleurs
2.1 Le faible prix du blé et les machines
Selon Malthus (Grounds,1815), le faible prix monétaire du blé ne serait pas favorable
aux plus basses classes de la société. En effet, leur capacité à acheter des biens de nécessité,
différentes commodités, sinon même des biens de luxe diminuerait. Ricardo est persuadé dans
l'"Essai sur les Profits" qu'une vision plus optimiste peut être avancée. En effet, grace aux
importations de blé,une meilleure répartition du capital sera possible; l' accumulation du
capital permettra d'employer plus de bras et d'accorder des salaires plus élevés.
Ricardo procède par analogie: la libération des importations de blé aura les mêmes
effets que le progrès technique, elle permettra d'élever les salaires réels. En fait, comme le
note Sraffa, Ricardo défendra cette opinion dans son discours au Parlement de 1819 et en
critiquant dans sa correspondance Mc Culloch, sensible aux "Observations" de Barton (1817)
sur la condition de la classe ouvrière.
48
Distinguons le prix naturel du travail ( son coût en biens essentiels) et son prix courant
( déterminé par l'offre et la demande). Say , dans ses annotations aux Principes,remarque
qu'en Angleterre, les lois sur les pauvres permettent aux familles ouvrières de se perpétuer, et
ainsi de disposer d'une classe ouvrière et à bon marché. Say ajoute que la suppression de tels
secours augmentera les salaires, les prix d'offre vis à vis de l'étranger et donc provoquera une
diminution de la demande, sauf à tricher sur la qualité.
Néanmoins, Ricardo est convaincu, en rédigeant son chapitre sur les salaires, que si le
prix naturel des biens salaires qui composent le train de vie du travailleur reste inférieur au
prix de marché du travail, la marche de la civilisation leur sera favorable. Il existe donc un
mécanisme dynamique qui doit être favorable aux travailleurs et leur permettra, en renonçant
à une unité de produit nécessaire, de se procurer de nombreux autres biens.
La valeur du salaire dépend encore du rapport entre deux types de capital :
- le capital physique avancé pour la production est composé des biens salaires, des
machines.
- le capital "valorisé" par la demande en travail.
Si ce capital en valeur augmente plus rapidement que le capital physique,
l'amélioration du sort du travailleur est notable; son salaire monétaire augmente pendant que
le coût de sa famille se déprécie; le prix courant du travail est supérieur au prix naturel
"déprécié". Le principe consiste donc dans le fait ( Principes p. 84 ) "que toute amélioration
dans la société et toute augmentation de capital feront hausser le prix courant des salaires".
Cette augmentation ne risque- t-elle pas de se traduire par des licenciements ?
2.2. Les anciens arguments
Si des licenciements sont inévitables, la demande de travail ne changera pas, car le
capital qui a employé les travailleurs existe encore, et il est de l'intérêt des capitalistes de
l'utiliser de manière productive; d'autant plus que la demande à satisfaire est, au delà de
l'alimentation, sans bornes et sans limites. Les salaires ne baisseront pas pour autant, car les
machines permettront une baisse du prix général des marchandises. Les travailleurs pourront
acheter plus de marchandises avec le même salaire monétaire. En bref, les machines
permettront par la stimulation de la demande, une reprise des emplois perdus dans un premier
temps.
2. 3 . L'erreur
Elle consiste à croire que tout accroissement du revenu net de la société s'accompagne
d'une augmentation du revenu brut. Le revenu net est le fonds d'où les propriétaires fonciers et
les capitalistes tirent leurs revenus. Le produit brut de la nation ou revenu brut détermine la
capacité d'entretenir la population et l'emploi du travail.
Ricardo s'est exprimé dans le chapitre XXVI sur cette distinction, que Say attribue aux
Physiocrates. Il existe dans un pays un produit brut de la terre et du travail, lequel est divisé
en trois parties, entre les salaires,les profits et la rente. Ces deux derniers éléments font seuls
l'objet de prélèvement pour les impôts et l'épargne. Or, l'emploi d'un plus grand nombre de
travailleurs ne changera rien au principal problème qui se confond avec l'intérêt réel de la
nation. Qu'importe le nombre d'habitants de la nation pourvu que le revenu réel, la rente et les
profits soient les mêmes.
2.4 .La rectification
Ricardo démontre qu'avec les hypothèses précédentes, - maintien du produit net et
augmentation de la capacité d'acheter- la valeur du produit brut peut baisser; en particulier, si
49
maintenir le produit net est la finalité du capitaliste, peu lui importe le montant du produit brut
qui lui est nécessaire. Mais ce maintien du produit net, associé à la baisse des prix, ne peut
manquer de provoquer une augmentation de l'épargne; si cette épargne est transformée en
capital, chaque augmentation du capital entraînera une augmentation de l'emploi des
travailleurs. Tout dépend en définitive du type de dépense du propriétaire foncier ou du
capitaliste, par exemple en entretien de domestiques ou en biens de luxe. L'impôt pendant la
guerre peut ainsi favoriser la demande de matelots et de soldats, au détriment de la dépense de
luxe.
Cependant, dès la fin des hostilités, cette demande de travail s'arrêtera accentuant le
chômage. De même, l'emploi massif de chevaux sur les fermes, permettra une augmentation à
la fois du produit brut et du produit net tout en diminuant la demande de travail en agriculture.
Cependant l'augmentation du produit brut de la terre permettra l'emploi du surplus de main
d'oeuvre dans les manufactures ou la domesticité.
Le chômage engendré par les machines met- il en cause le progrès technique ?
2.5 .Il ne faut pas décourager le progrès technique.
Les machines n'ont de conséquences négatives sur l'emploi que dans l'hypothèse d'une
"découverte soudaine". Autrement, si les découvertes sont "graduelles", l'épargne et
l'accumulation du capital permettront d'éviter un détournement du capital déjà employé. En
fait, cette augmentation du capital renforce la dynamique grandiose; compte tenu de la
difficulté de production, le prix de la nourriture augmente, impliquant l'emploi toujours
croissant de machines. Le ratio rapportant la demande de travail à l' accroissement du capital
décroit... et on voit mal comment inverser cette tendance.
Cette dynamique sera accélérée par tout découragement de l'emploi des machines qui
favorisera le départ du capital vers l'étranger et ainsi un chômage encore plus grand. Enfin,
l'usage de machines permettant de produire à coût moindre, le rejet de leur emploi entraînera
une perte de compétitivité et ainsi des exportations de monnaie à l'étranger, jusqu'au retour du
prix naturel des marchandises au niveau des autres pays.
L'introduction des machines est donc la conséquence fatale de la dynamique
grandiose; mais, vouloir empêcher ce mouvement aggravera encore plus la situation des
travailleurs. Ceux- ci ne peuvent espérer qu'une "juste épargne" consécutive à l'augmentation
de la productivité et ainsi une reprise de l'accumulation du capital et de la demande de travail;
ce simple palliatif ne permettrait pas d' éviter la fatalité du mécanisme. Les comportements
des acteurs (détenteurs de produit net) ne sauraient contrecarrer efficacement la dynamique
fatale de la baisse des taux de profit si le prix de la nourriture continue à augmenter.
- 8 - RICARDO et les autres ( Smith, Say,Malthus).
"Le système de Ricardo est un système de discorde...Sa tendance est de créer l'inimitié
entre les classes et les nations...Son livre est le véritable manuel des démagogues qui aspirent
au pouvoir par la confiscation de la terre, la guerre et le pillage. ( Carey, The past, the present
and the future, Philadelphie, 1848, p.74).
Contrairement à Smith qui ne citait guère ses prédécesseurs, Ricardo s'appuie
largement sur la pensée économique de son époque en la citant largement. Il en est ainsi
depuis l'"Essai sur les profits" jusqu'aux "Principes". Ricardo modifie d'ailleurs ses
commentaires, en fonction de l'évolution des idées de ses partenaires.
L'association de principes théoriques sur la valeur et la répartition, à des
considérations pratiques sur l'impôt est largement inspirée du plan adopté par Adam Smith
pour la "Richesse des nations". Mais l'ouvrage ricardien est éclaté, partagé entre des principes
50
généraux et des considérations particulières, des raisonnements positifs et une foule de notes
critiques, adressées prioritairement à Adam Smith, Thomas Malthus et Jean- Baptiste Say.
Si la "Richesse des Nations" forme le point de départ des réflexions économiques
ricardiennes, les écrits de Malthus représentent le fil conducteur des premiers essais. Say joue
par contre un rôle capital dans la transformation des "Essais" en "Principes".
1 Adam Smith, le point de départ.
Adam Smith est le premier auteur de référence, avec lequel Ricardo commence ses
lectures en économie politique et appuie sa critique afin de mieux valoriser son apport
scientifique. Cela ne fait que renforcer le statut exceptionnel du fondateur de l'économie
politique de 1776; en permettant d'asseoir la critique, il fonde un mode de production
scientifique.
1. 1 La valeur
A. Smith a donné les premières réponses au problème de la valeur des marchandises. Il
en examine les significations et origines possibles:
- deux significations différentes: valeur d'usage ou valeur d'échange.
Smith pose avec quelque confusion ( cf. supra, chapitre 3) la richesse en tant que
somme de valeurs d'usage, "abondance de biens nécessaires, commodes et agréables" et la
valeur. Ainsi les machines et les agents naturels peuvent enrichir, mais "l'assistance qu'ils
nous portent ne change rien à la valeur d'échange". Smith "n'aurait point convenu qu'ils
modifient en quoi que ce soit la valeur de la richesse". (ibid); erreur que fait J.B.Say selon
Ricardo.
- les deux origines possibles de la valeur d'échange: travail commandé et travail
incorporé.
A.Smith donne deux origines possibles à la valeur travail: la quantité de travail
incorporée dans la production d'une part et la quantité de cet étalon contre laquelle peut
s'échanger la marchandise, dont on recherche la valeur. Le fait de définir initialement un
étalon fondé sur la quantité de travail permet d'en imaginer un autre, fondé sur la capacité
d'échanger avec l'étalon.
-1. 2 "Du prix naturel et du prix de marché"
Cette question correspond à l'intitulé du chapitre IV des "Principes", le plus court.. car
" Tout ce qui touche à cette question est traitée de la meilleure façon dans le chapitre 7 de la
Richesse des Nations" . Du fait de la mobilité du capital vers les emplois les plus productifs,
le prix de marché tend à s'aligner sur le prix naturel ou valeur d'échange. Si l'on transpose cet
exemple à l'échange international, on reconnaîtra que le prix de vente d'un produit est fixé par
le prix naturel du pays exportateur. Smith fait cependant l'erreur d'imaginer une exception
dans le cas du prix du blé, en croyant que si les hollandais et les gênois ne peuvent acheter,
cela provoquera une hausse du prix du blé dans les pays. Ainsi le prix de marché du blé
"augmentera pour atteindre un niveau de famine" . Smith croit que " le prix réel des biens
nécessaires augmente en période de pénurie et de misère et baisse en période d 'opulence". Or,
dans le premier cas, l'inverse se produit( et encore de façon temporaire); plus généralement,
en période d'opulence, le prix du blé augmente si la difficulté de production s'élève.
-1. 3 Les deux catégories du travail: productif et improductif.
51
Adam Smith reste étonnamment physiocrate en affirmant que le travail appliqué au
capital est "particulièrement productif" en agriculture, compte tenu de l'assistance de la
nature.
" La nature ne fait- elle rien pour l'homme qui travaille dans les manufactures ?"
demande Ricardo ?
Il n'y a donc pas de raison de chercher dans cette productivité exceptionnelle de
l'agriculture la source de la rente. D'où l'"illusion" de Say sur la valeur qu'accorderaient au
travail les agents naturels... alors que " l'assistance qu'ils nous portent n'ajoute rien à la valeur
d'échange". Et pourtant.... Ricardo continue à cultiver la particularité du secteur agricole en lui
attribuant des problèmes spécifiques de structure et de comportement.
1. 4 La concurrence du capital
Adam Smith croit qu'il y a des problèmes d'accumulation du capital et leur impute la
tendance à la baisse des profits. Ricardo consacre à ce problème le chapitre XXI pour
s'appuyer sur Say: " M. Say a cependant très bien montré qu'il n'est aucun montant de capital
qui ne puisse rester inemployé dans un pays, car la demande n'est limitée que par la
production".
-1.5 Adam Smith le grand théoricien de l'impôt.
Ricardo se réfère aux règles de l'impôt énoncées par Smith (cf. supra) pour mieux le
critiquer à propos de l'impôt foncier. En effet, contrairement à ce que pense Smith, l'impôt
foncier n'est pas déduit de la rente; il est donc supporté par les propriétaires fonciers. Il est en
fait, répercuté, comme la plupart des impôts, par une augmentation du prix qui pèsera sur le
consommateur.
2 Malthus: le fil conducteur
Ricardo suit pas à pas dans l'"Essai" les deux brochures dans lesquelles Malthus
développe ses arguments protectionnistes face aux importations de blé.
- An Inquiry into the Nature and the Progress of Rent and the Principles by which it is
regulated ( 3 février 1815)
- The Grounds of an Opinion on the Policy of Restricting the Importations of Foreign
Corn ( 10 Février 1815).
2. 1. Divergences théoriques
L'"Essai sur les Profits" est une réponse successive à ces deux textes:
- Initialement, Ricardo répond à l'"Inquiry" en élargissant la théorie malthusienne de la
rente: il montre la baisse fatale du taux de profit moyen sous la double détermination du profit
et des prix agricoles.
-Puis, il répond pratiquement aux "Grounds", texte beaucoup plus pamphlétaire que
l'"Inquiry", où Malthus a radicalisé son protectionnisme en soulignant les risques d'explosion
sociale et de dépendance politique de l'Angleterre.
Malthus dans les "Principes" .
La réponse à ces deux textes fonde encore le chapitre XXXII des "Principes":
"L'opinion de M. Malthus sur la rente". Ricardo y reprend ses arguments précédents et ajoute
des paragraphes ayant trait à l'édition des "Principles of Political Economy" de 1820. Ricardo
renouvèle son admiration pour le maître et sa théorie de la rente. La définition de la rente est
52
donnée une fois pour toutes dans l'"Inquiry": " Cette part de la valeur du produit total restant
au propriétaire de la terre, une fois payées les dépenses de toute nature relatives à sa culture, y
compris les profits du capital employé". (Principes de l'économie politique ,p.414). La rente
est ainsi un revenu secondaire, établi après le taux de profit. Ricardo inscrit la rente dans le
conflit entre rentiers et capitalistes: "la rente est donc dans tous les cas une proportion du
profit déjà obtenu sur la terre" et "il s'ensuit que l'intérêt du propriétaire terrien est toujours
opposé à ceux de toute autre classe de la communauté". Reprenant à son compte la
périodisation historique de Malthus ( de la "période reculée" au "stade progressif"), Ricardo
développe l'idée d'une "machinery of land". Cette "heureuse illustration de Malthus" est
détournée par Ricardo afin de mieux souligner le cas de la terre marginale; " la machine qui a
les caractéristiques et les potentialités les moins performantes" .
Malthus reconnaît que les meilleures machines sont en nombre insuffisant face à une
population croissante, ce qui implique, pour éviter l'augmentation du prix du blé, soit des
solutions intermédiaires ( le progrès technique et la réaffectation du capital) soit la solution
radicale des importations de blé. Le fait pour un pays relativement plus riche, mais démuni en
sol fertile, de recourir aux importations de blé est un principe que Malthus, selon Ricardo a
"parfaitement établi" dans l'Inquiry.
Ricardo prolonge les acquis malthusiens en montrant que les conclusions pratiques
doivent être différentes ; il souligne encore les différences d' analyse en ajoutant des
réflexions sur la valeur.
Les deux auteurs divergent totalement sur la dynamique des emblavements; comment
justifier la mise en culture de terres de plus en plus mauvaises ?
Selon Malthus, la rente est l'élément déterminant de la mise en culture des terres car
propriétaires fonciers et fermiers ( surtout dans un faire valoir mixte !) ont un intérêt commun
à la mise en valeur des terres. On peut ainsi imaginer que le prix des produits agricoles
augmente proportionnellement plus vite que les coûts de production.
Cette convergence supposée des intérêts du propriétaire foncier et du fermier est au
centre des divergences théoriques:
- Pour Malthus, la rente est la différence entre la valeur d'échange du blé et les coûts
de production, y compris le profit; rente et profit pouvant varier dans le même sens.
- La rente, selon Ricardo est une fraction du profit et les deux varient en sens opposé.
"Une rente élevée s'accompagne invariablement de bas profits" .
2. 2 Mais les divergences les plus connues des deux auteurs sont pratiques.
Selon Malthus, la libération des importations de blé aggravera la dépendance de
l'Angleterre et les risques associés à cette situation:
- risques politiques ( relations avec les puissances continentales)
- risques agronomiques ( mauvaises récoltes à l'étranger)
- risques sociaux (ruine de certains fermiers, perte de pouvoir d'achat pour les
travailleurs)
- risques financiers ( alourdissement artificiel du service de la dette et donc des
impôts).
Ces dangers ne sont qu'"affaire d'opinion" et ne peuvent être correctement estimés,
selon Ricardo, qui admet néanmoins la possibilité de mesures transitoires.
Les divergences "pratiques" portent sur les leçons à tirer de la particularité de la terre
par rapport aux autres "machines". Cette activité est sur- rentable pour Malthus et par contre ,
dans la dynamique ricardienne, pénalise l'ensemble de l'activité économique par les bas
profits réalisés sur les terres marginales. La dynamique grandiose associe ainsi les préjugés
53
malthusiens ( démographiques et agronomiques) à la loi sur la péréquation des taux de profit
et suscite ainsi le mouvement fatal qui lie le taux de profit agricole au taux de profit moyen.
3 Ricardo et Say: incompréhensions et oppositions
Le débat initial de l'Essai, étroitement lié à Malthus, est internationalisé dans les
Principes, avec la place grandissante accordée à Jean- Baptiste Say.
Ricardo cite et le plus souvent critique les idées de Say dans les différentes éditions
des Principes.
Le "Traité" , le "Catéchisme", les "Lettres à Malthus" de Say sont traduits en anglais
et, de son côté Say, accordera une place importante aux "Principes" de Ricardo.
Les deux hommes se rencontrent lors de la visite de Say en Grande -Bretagne (1814)
et lors du "Grand Tour " de Ricardo en Europe de 1822. Leur correspondance comporte dix
sept lettres, écrites entre décembre 1814 et mai 1822.
Mais l'importance qu'ils s'accordent mutuellement n'est-elle qu'un faire valoir ? Ou
traduit- elle une influence réciproque ?
Stuart Mill juge le "Traité" de Say , "supérieur à celui d'Adam Smith" et lui trouve le
"génie de faire progresser la science". Mac Culloch sera plus restrictif en limitant l'apport de
Say à la loi des débouchés.(Mac Culloch, 1863).
Ricardo est réservé dès sa lecture du "Traité" de Say en 1814 où "de nombreux points
ne sont pas établis avec satisfaction" (Lettre à Malthus du 18 décembre 1814) et ajoute "
cependant l'homme est simple et je le considère comme un compagnon instructif". L'éloge de
J-B. Say est appuyé dans la préface de la première édition anglaise de 1817; il y est question
des "excellents ouvrages de J-B.Say, premier écrivain du continent (ou parmi les premiers) à
apprécier les principes de Smith à leur juste valeur et à les appliquer".
Les divergences entre les deux auteurs sur la valeur et la rente, s'accentuent par la
suite.
3. 1 Divergences sur la valeur
Dès la lecture du "Catéchisme" de J-B Say, Ricardo lui oppose sa conception de la
valeur:
" Une marchandise doit être utile pour avoir de la valeur, mais sa difficulté de
production est la vraie mesure de la valeur." ( Lettre de Ricardo à J-B.Say, du 18 août 1815)
Quelques jours après ( le 10 septembre suivant), Say tente un compromis en traduisant
"difficulty of production" par frais de production, c'est à dire prix des facteurs. " Je dis donc
comme vous, que les frais de production d'une chose déterminent la plus basse limite de son
prix; mais ils ne sont pas la cause première du prix qu'on en offre."
L'incompréhension devient manifeste avec le chapitre sur la valeur des "Principes".
Elle se traduit par des notes sévères de Say lors de la traduction française de 1819 : Ricardo a
"tort", "est dans l'erreur", "ne comprend pas" ..et le lecteur aura intérêt à se reporter au
"Traité" de Jean- Baptiste Say.
En définitive, selon une autre note de Say " Une mesure invariable des valeurs est une
chimère parce qu'on ne peut mesurer les valeurs que par des valeurs, c'est à dire par une
quantité essentiellement variable".
Dès les notes connues et avant même leur publication, le clan ricardien, en particulier
J. Mill, est indigné. " Je suis plein de mépris pour ces notes de Say..Il n'y a pas une seule de
vos doctrines qu'il ait saisie ou dont il ait perçu quelque signification" (Lettre de Mill du 24
décembre 1818 ).
54
Ricardo tente cependant à plusieurs reprises de préciser sa position, par exemple dans
cette lettre du 11 janvier 1820: " Je ne dis pas que c'est la valeur du travail qui règle la valeur
des marchandises..Je dis que c'est la quantité relative de travail nécessaire à la production des
marchandises qui règle leur valeur". Say répond immédiatement en mars 1821 qu'il ne
comprend pas la différence entre " la valeur du travail qui ne détermine pas la valeur des
produits et la quantité de travail nécessaire à leur production qui détermine la valeur des
produits".
Malgré cette incompréhension, Ricardo, en mars 1821, dans la préface de la troisième
édition, essaie de répondre aux "doctrines" de Say "à partir des modifications qu'il a
introduites dans la quatrième et dernière édition de son ouvrage".
Le ton change "M.Say me semble avoir été singulièrement maladroit dans sa définition
de la richesse et de la valeur" . Mr Say, "se contredit", "a tort" et, surtout , effectue des
critiques déplacées envers la théorie de la richesse de Smith: " Les conclusions auxquelles
aboutit M.Say lui appartiennent, ce ne sont pas celles du Dr Smith." Néanmoins Ricardo tente
d'accomoder Say en interprète "malgré lui" de la pensée ricardienne: " ...Mr Say soutient à
peu de choses près la doctrine que je défends sur la valeur". " Quand vous dites que les
marchandises ont de la valeur en proportion de la quantité de travail qu'elles contiennent, vous
exprimez en fait la même opinion que moi en d'autres termes" ( Lettre de Ricardo à Say du 5
mars 1822)
Si l'incompréhension caractérise les échanges théoriques entre Say et Ricardo à propos
de la valeur, une opposition totale se développe entre eux sur le problème de la rente.
3. 2 Divergences sur la rente
Le contraste national entre l'économie politique française et anglaise commence par
une incompréhension linguistique.
Lorsque Ricardo cite Say, il traduit profit foncier ou fermage par "rent" ou "revenue".
A son tour, Say annotant Ricardo conteste l'usage du mot rente, arguant qu'en français, le
terme s'applique non au revenu des biens-fonds mais à une "annuité, une charge hypothéquée
sur le bien-fonds, et donc sur le propriétaire". Constancio suit l'avis de Say dans la traduction
de 1819 et avoue en note du chapitre II: " J'ai donc été forcé de rendre le mot anglais très
vague "rent" tantôt par profit des fonds de terre, et tantôt par fermage".
Say explique dans son cours d'économie politique qu'un fonds de terre est, de la même
manière qu'un capital, un "instrument" qui seconde l'action de l'industrie. Dès lors, à travers la
"coopération du sol", il existe un "service foncier" qui doit être rétribué par un " profit
foncier". Ce profit foncier dépend de l'offre et de la demande de services fonciers. La
demande d'un service foncier est supposée illimitée, dans la mesure où les besoins des
consommateurs et leur enrichissement ne connaissent eux-mêmes pas de limite; l'offre est
bornée par l'étendue des terres cultivables.
Fort de ses conceptions, Say développe sa propre théorie dans ses notes au chapitre II
des "Principes": "Il m'a paru plus simple d'exposer ce que je crois être le véritable état des
choses, que de combattre, paragraphe par paragraphe, la doctrine de M. Ricardo".
En effet l'opposition est totale. Pour Ricardo, la notion de profit foncier rétribuant le
propriétaire est inadmissible; elle correspond à une fausse perception des classes. Un
propriétaire foncier ne peut avoir le même revenu qu'un capitaliste ou un fermier. Ainsi en
1821 ( Sraffa I-187), Ricardo répond à Say qu'un propriétaire foncier "n'a aucun moyen
d'employer ses soins, son économie et son savoir-faire sur sa terre, à moins de l'exploiter luimême, c'est alors en sa qualité de capitaliste et de fermier qu'il réalise ces améliorations, non
en sa qualité de propriétaire".
55
L'erreur de Say s'inscrit dans une tradition française qui tente, au contraire de Ricardo,
d'estomper l'opposition entre propriétaires et capitalistes. Si le revenu du propriétaire foncier
n'est qu'un revenu de monopole, le statut particulier de la rente différentielle ne peut être
compris et ainsi toute la dynamique grandiose.
3. 3 Ricardo et la loi de Say.
Dès la préface, Ricardo salue les "excellents ouvrages de M.Say, premier écrivain du
continent", en particulier les "discussions originales fécondes" de la première partie du
Chapitre XV , "Des débouchés". de son "Economie Politique" (2 ° edit, 1814). Reconnaitre ,
sinon renforcer la loi de Say, permet à Ricardo de mieux mettre en valeur l'idée que la
"facilité avec laquelle on produit la nourriture et les produits nécessaires au travailleur" est le
facteur essentiel de baisse et de hausse des profits. En d'autres termes, la diminution du taux
de profit ne provient pas d'un problème de débouchés ou de thésaurisation, mais de la
difficulté croissante à se procurer de la nourriture.
Dans le chapitre XXI ( les effets de l'accumulation sur le profit et l'intérêt), Ricardo
s'oppose initialement à la théorie smithienne des profits.
Smith croit que la baisse des profits est limitée par le nombre d'occasions
d'investissement, venant de la concurrence des capitaux dans une même branche d'activités.
Or, en l'absence d' accélération des hausses de salaires, la pleine utilisation du capital est
possible, ce que comprend J.B. Say.
On peut imaginer une limite à la production de nourriture et une situation stationnaire
où chaque homme renonce à la consommation de biens de luxe afin de se consacrer à
l'accumulation de capital. Mais la demande de blé fait exception par son inélasticité.
Le taux de profit ne dépend pas plus d'un éventuel sous emploi des capitaux que du
taux d'intérêt du marché monétaire. En effet, si le marché monétaire est équilibré, les forces
monétaires n'agissent pas. Il faut donc voir que la force première est le taux de profit du
capital qui, pour utiliser l'expression de Wicksell, est le "taux naturel". Le "taux de marché"
doit donc s'aligner sur le taux naturel. De ce point de vue, selon Ricardo, l'épargne signifie la
même chose que "accumulation du capital" et il n'est besoin de justifier l'épargne des
"landlords" à la façon de Malthus (1820) (sur ce point ,cf.Pasinetti, 1974).
Considérant les produits accumulés de façon capitalistique, Ricardo reprend la loi de
Say dans son esprit initial afin de montrer que l'offre s'adapte toujours à la demande, sauf dans
le cas des biens de subsistance. Cette exception provoquant la marche inéluctable vers
l'économie stationnaire.
3. 4 Cette extension vaut- elle pour le marché du travail ?
Cette idée est reprise par plusieurs auteurs contemporains, notamment Morishima
(1992). Morishima voit dans le chapitre sur les machines et l'idée d'une substitution de la
machine au travail humain, une contradiction avec la version ricardienne de la loi de Say.
Cette interprétation fait l'objet d'une sévère critique de Kurz et Salvadori dans le
Cambridge Journal of Economics ( 1992,16, 227-247). Selon eux, dans la version ricardienne
de la loi de Say, la demande peut être assumée par l'offre grace au retrait (withdrawall) du
capital, mais cela n'assure pas le plein emploi du travail.
En définitive, Ricardo reprend l' idée de Barton (1817): la demande de travail est
régulée par l'accroissement du capital circulant, et non de celui du capital fixe.
L'économie politique fait constamment référence à Ricardo dans ses recherches sur la
valeur, le commerce international et plus récemment sur les impôts. Si certains thèmes
constitutifs de sa pensée sont provisoirement délaissés ( la rente, la monnaie,les salaires), ils
56
peuvent redevenir, à tout moment, les lieux d'anticipations géniales dans le cadre de
développements scientifiques ultérieurs. Et pourtant curieux destin pour un auteur
autodidacte, né dans la bourse, et parvenu à l'économie politique par le hasard d'un séjour à
Bath ! Ses pamphlets , ses discours, une correspondance avec les grands économistes du
moment, l'amènent à une ouverture permanente.
2.1. Piero Sraffa.
2.1. Généralités : un néo- ricardianisme avec Sraffa (1960) ?
Piero Sraffa en collaboration avec Maurice Dobb, a réédité l'œuvre de Ricardo de 1951
à 1973 sous la forme de quinze volumes publiés par Cambridge University Press de 1951 à
1973. Déjà les commentaires et la présentation de Sraffa laissent présager l'avènement en
1960 ,d'une œuvre néo- ricardienne majeure , "Production des marchandises par des
marchandises" .
Ce néo- ricardianisme ,en radicalisant le cadre originel, apporte la solution au
problème posé par Ricardo: peut- on trouver un étalon des valeurs, à la fois invariable par
rapport aux prix et aux variations de la répartition ? La radicalisation dans l'interprétation de
l'"Essai sur les Profits" est déjà très nette. Sraffa s'en tient essentiellement au Tableau de
l'"Essai" et à une interprétation mécanique du principe de péréquation des taux de profit.
Le "principe fondamental" selon lequel les profits du fermier déterminent les profits de
toutes les autres activités (Principe de la Lettre de Trower en 1814) trouve son fondement
rationnel dans l'expression purement physique du taux de profit (cf. le Tableau de l'"Essai" de
1815). La péréquation automatique des taux de profit constitue un "lien mécanique" entre la
particularité du secteur agricole et le fonctionnement général du taux de profit.
A ce stade, selon Sraffa ( note sur l'"Essai sur les Profits", W.C.R. vol.IV, p.3), la
théorie ricardienne est "entièrement constituée".
L'intervention des prix est exclue, et cette exclusion donnera lieu à une très grande
critique par Hollander (1983) de la thèse d'un "taux matériel de profit" dans l'analyse
ricardienne.
- Sraffa donne une solution au problème de la valeur et de la répartition; que Ricardo
se pose jusqu' au manuscrit de "valeur absolue, valeur d'échange". Pour ce faire, il utilise le
procédé tautologique d'un système de production des marchandises par des marchandes,
réduit et proportionnel par rapport au au système de production à étudier.
Ce procédé tautologique souligne l'influence de la logique déductive , en particulier de
Wittgenstein sur Sraffa. Mais cette proportionnalité ne résout pas l' "effet Ricardo" (cf. supra)
à savoir les conséquences d'une augmentation des salaires sur les prix, compte tenu de
l'inégale composition du capital ( travail /machines ) utilisé dans les différentes branches.
Selon Sraffa (1960), " la clef du mouvement relatif des prix relatifs, consécutifs à un
changement dans le niveau des salaires tient à l'inégalité des proportions dans lesquelles le
travail et les moyens de production sont employés dans les différentes branches".
La solution extrême à ce problème consiste à poser un taux de profit maximum R au
sein d'une relation r = R ( 1 - w) et ainsi à envisager l'absence de problème de répartition avec
w = 0.
La méthode de Sraffa implique l'abandon d'un cycle des avances, en particulier
d'avances en salaires. En effet, une avance dans le système de production considéré serait
57
incompatible avec l'idée que ce système puisse être invariable par rapport aux variations de la
répartition.
- Une solution logique est - elle compatible avec la dynamique ricardienne ? Si
Ricardo fut critiqué pour son abus de la "méthode abstraite et déductive", sa méthode reste
dynamique et fondée sur des forces externes.
Or un système logique est à la fois fermé ( sans force extérieure) et atemporel. La
rente par exemple qui témoigne à la fois de préjugés agronomiques externes et d'une poussée
de la demande ne peut jouer dans un système logique qu'un rôle accessoire. D'où dans
l'ouvrage de Sraffa (1960), un chapitre bref et controversé sur la terre.
Et pourtant " une croissance graduelle de la demande qui entraîne, en définitive, une
augmentation des coûts de production" ( index de Ricardo, PEP,p.454) représente une des
causes incontournables du haut prix des vivres.
L'intérêt de la méthode tautologique est d'aboutir à des équivalences à la manière de
Sraffa (1960) et de Debreu (1966).Dans les deux cas,la démonstration principale a trait à un
théorème d'existence: existence d'un équilibre général de marché dans une économie de
propriété privée chez Debreu, la distribution des ressources étant spécifiée, existence d'un
étalon des valeurs chez Sraffa dont on peut spécifier la composition.
Ce théorème d'existence joue un rôle intermédiaire. Il autorise à des équivalences qui
permettent de s'en débarrasser par la suite. Ainsi, il est possible dans la théorie de Debreu
d'analyser directement l'optimum et l'équilibre de marché qui lui correspond en abandonnant
les contraintes et les spécifications de l'économie de propriété privée.
De même chez Sraffa, la spécification de l'étalon peut être abandonnée. Le salaire n'est
plus qu'un pur nombre (de même que le prix dans la théorie de Debreu) et l'on peut raisonner
directement sur une quantité de travail. "Une quantité de travail qu'on peut acheter avec le
produit net étalon " "sans qu'il soit besoin de définir sa composition". La déduction sur la
théorie ricardienne de la valeur aboutit à une retour à la théorie smithienne du travail
commandé.
Ricardo ne s'exprimant pas sur sa méthode, ses choix méthodologiques ont alimenté de
nombreuses controverses à caractère récurrent, chacun trouvant dans cette œuvre fondatrice
les prémisses de sa propre méthode. Sraffa lui même estime que l'idée de la marchandise
homothétique, "méthode imaginée par Ricardo" (Sraffa, 1960, Appendice D) a peut être pris
corps après qu'il ait mis au point le système étalon et la distinction entre produits
fondamentaux et non fondamentaux. Il en est de même pour l'étalon de valeur comme
moyenne entre deux extrêmes.
Sraffa a radicalisé la logique ricardienne quitte à exclure certains traits caractéristiques
des choix ricardiens. Mais peut on exclure si facilement la dynamique ricardienne ( Baumol,
Hicks) ou encore l'influence des prix ( Hollander) pour ne retenir qu'une analyse statique de la
valeur et de la répartition ?Sraffa montre que l'obtention d'un étalon de la valeur des
marchandises qui soit invariable par rapport à la valeur des autres marchandises et à la
répartition, est en contradiction avec un certain nombre de choix, en particulier les avances en
salaires ou une dynamique des prix.
Nous nous limiterons à deux propositions centrales du modèle de Sraffa, la
construction de l'étalon et l'équivalence entre l'étalonnage et la relation salaire/profit ; cette
dernière proposition aboutissant au dépouillement de l'étalon construit initialement.
58
2.2. La construction de l'étalon
Sraffa propose une analyse tautologique du même ( le système) par le même ( un
réduit proportionnel de ce même système). De ce fait, il rompt avec les analyses séquentielles
de la valeur-répartiton et notamment avec la recherche de solutions exogènes.
Le système de départ est un système viable (SEV) obéissant à certaines conditions :
techniques ( le système au moins s'autoreproduit et ne peut être déficitaire) ,économiques ( la
péréquation des taux de profit), temporelles ( fixité des conditions de production),
systémiques ( les marchandises sont " fondamentales " car elles servent à en produire d'autres
; les salaires ne sont pas avancés).
Ce système dit " actual economic system " selon Sraffa est bâti sur trois notions
économiques conventionnelles : les marchandises, les salaires ,et le profit ou taux de surplus.
Suivant la notation de Sraffa, nous désignons par A,B,..,K, les quantités produites au
cours de la période des marchandises a,b,..,k.
Aa, Ba,…, Ka les quantités utilisées des marchandises a,b,..k, afin de produire la
marchandises a.
Ab,Bb,..Kb, les quantités de marchandises a,b,..k, afin de produire la marchandise b et
ainsi de suite.
le taux de surplus, r, ou taux de profit.
La,Lb,…Lk les quantités de travail utilisées dans les branches produisant a,b,..,k.
Le taux de salaire : w
La production de la marchandise A peut être représentée avec des intrants de
marchandises a,b,c, de la façon suivante ;
( Aa + Ba + Ca ) ( 1 + r) + Law = A
De même pour les branches Bet C.
Les marchandises sont utilisées dans certaines proportions les unes par rapport aux
autres : proportions déterminées les unes par les conditions de production, invariables au
cours de la période étudiée. Ces proportions physiques (ex. 15 quintaux de blé pour une tonne
de fer) représentent des valeurs d'échange ou encore des prix relatifs. Désignons par pa, la
valeur d'échange de la marchandise a, pb la valeur d'échange de la marchandise b, et ainsi de
suite.
Un système de production se présente selon le modèle suivant :
(Aapa + Bapb + … + Ka pk) ( 1 + r ) + Law = Apa
(Abpa + Bbpb + … + Kbpk) (1 + r) + Lbw = Bpb
……………………………………………………….
(Akpa + Bkpb + … + Kkpk) ( 1 + r) + Lkw = Kpk
A chaque système de production est associé un produit net ou un revenu, obtenu en
retranchant de chaque produit brut, A, B, C,.., K, les quantités consommées de la même
marchandise.
Soit en posant que le produit net du système est égal à 1 :
A - (Aa + Ab + .. Ak) pa + B - ( Ba + Bb +… Bk) pb + …= K - ( Ka + Kb + … Kk) pk
=1
Etant donné la condition technique d'autoreproduction, il existe ainsi k+ 1 équations et
k + 2 inconnues ( k prix, w et r).
Le système de production sera déterminé si on donne une inconnue, par exemple le
taux de profit.
59
De ce système économique viable, on peut déduire un système étalon ( des salaires et
des prix) qui soit invariable par rapport aux variations de la répartition et aux variations
induites des prix relatifs.
Le problème des variations de la répartition est esquivé en considérant un taux de
surplus maximum tel que les salaires sont nuls ;
Soit R = produit net/ moyens de production = r et w = O
Ainsi l' " effet Ricardo " peut être éliminé ; Selon cet effet ( cf. le cours supra), les
changements du taux de salaire, du fait des différents proportions existant entre travail et
moyens de production correspondant aux différentes branches, ont des effets aléatoire sur les
prix.
L'invariabilité par rapport aux variations induites de prix est obtenue simplement en
construisant un système tel que les différentes marchandises apparaissent dans les mêmes
proportions du côté des intrants et du côté des extrants.
Le système étalon est obtenu en appliquant aux équations du système économique
viable, de multiplicateurs appropriés ; on déduit un produit net étalon et un rapport étalon R
comme rapport du produit net étalon aux moyens de production. Ce produit net est une
marchandise composite et " équilibrée " ; elle est un étalon de mesure des salaires et des prix
qui demeure invariable par rapport aux modifications de la répartition et aux variations
induites de prix. Son prix est égal à l'unité.
S'il existe un rapport R, rapport étalon ou taux maximum des profits, il existe une
relation linéaire entre taux de salaire et taux de profit. En effet, on peut supposer que w est la
part du produit net étalon ( égal à 1) qui va aux salaires de telle sorte que :
1 - w = profit/ produit net étalon.
1 - w = r . prix des moyens de production/ prix du produit net étalon.
1 - w = r . 1 / R et donc r = R ( 1 - w) ; il existe ainsi au sein du système étalon, une
relation linéaire entre les salaires ( comme % du produit net) et le taux de profit.
Selon Sraffa ( IV, 30) : " ainsi à mesure que le salaire est progressivement réduit de 1 à
0, le taux de profit augmente en proportion directe de la déduction faite du salaire "
Cette relation peut être représentée par une droite de la façon suivante :
Du fait de cette relation, si l'on connaît le niveau du taux de profit ( donné par exemple
par le niveau du taux d'intérêt monétaire), on peut déterminer le niveau du salaire (en tant que
% du produit net) et la quantité de travail correspondante. Le résultat final de cette chaîne de
60
déductions est paradoxal : " ainsi toutes les propriétés d'un étalon invariable des valeurs se
trouvent dans une quantité variable de travail ".
Sraffa invite à ce raccourci en soulignant que " le système étalon est une construction
purement auxiliaire " et que l'on peut présenter les éléments essentiels du mécanisme " sans
avoir recours à lui.
Certes, pour connaître la mesure en travail, il est nécessaire de connaître w en tant que
fraction du produit net étalon, compte tenu du taux de profit. Néanmoins, selon Sraffa, il est
possible de considérer w comme fraction du de R, comme un " pur nombre " permettant de
connaître la quantité de travail qui peut être achetée avec le produit net étalon. Cette mesure
en travail permet d'exprimer le prix des marchandises. Réciproquement, le prix de cette
quantité de travail, peut être exprimée par rapport au prix de n'importe quelle marchandise du
système.
On constate ainsi le rôle auxiliaire du système étalon et le résultat du processus
déductif, la relation entre le système économique viable et la quantité de travail.
2.3. L'équivalence entre étalonnage et la relation salaire- profit.
Initialement , l'étalonnage est posé en admettant un taux maximum de profit R et donc
w = 0. Une fois le système étalon admis, Sraffa étudie la relation entre les variations du
salaire en % du produit net étalon ( 0 < w < 1) et le taux de profit ( 0<r<1).
Ce changement apparent de prémisse en cours du même raisonnement peut paraître
surprenant. En fait, les conditions de production restent indépendantes du partage du produit
net dans le raisonnement de Sraffa :
" Alors dans le système étalon, le ratio du produit net aux mayens de production
restera le même quelles que soient les variations intervenant dans la division du produit net
entre salaires et profits, et quelles soient les variations induites de prix " ( Sraffa, IV, 26).
La possibilité d'un tel changement de prémisse est très importante dans le
raisonnement de Sraffa. Elle autorise à poser une relation logique fondamentale, à savoir
l'équivalence entre :
- l'étalonnage, le fait de pouvoir mesurer les prix et les salaires au moyen du produit
net étalon ( soit la proposition R),
- et la relation linéaire entre r et w au sein de R, qui implique que r soit différent de R.
Sraffa démontre dans le chapitre V que pour un système économique viable, il existe
un et un seul système étalon et donc une valeur et une seule du rapport net étalon pouvant être
obtenu par un ensemble de multiplicateurs positifs.
Sous la réserve de cette démonstration, il existe une relation d'équivalence entre
l'étalonnage ( au moyen du produit net étalon) et la relation inverse entre r et w : l'étalonnage
implique cette relation inverse et cette relation inverse implique l'étalonnage.
Selon Sraffa ( V , 43) cette proposition " est suffisante pour garantir l'expression du
salaire et des prix des marchandises en terme de produit net étalon…et il est curieux de noter
qu'on serait ainsi capable d'utiliser un étalon sans savoir de quoi il est fait ".
Cette relation d'équivalence étant posée, Sraffa propose immédiatement que l'on
substitue à la relation d'étalonnage, la relation linéaire entre r et w au sein de R. Dès lors, il
n'est plus nécessaire de connaître le produit net étalon, il suffit de déterminer le taux
maximum de profit à partir des équations de production du système étalon. Le taux de profit
étant fixé, w peut être déterminé et ainsi la quantité de travail correspondant au produit net
étalon.
61
Sur la base de cette équivalence, la mesure des marchandises et du salaire par le
produit net étalon n'est plus qu'une voie alternative selon Sraffa ( V, 43) :
" On dispose cependant d'une mesure plus tangible pour le prix des marchandises qui
permet d' évincer le produit net étalon de cette fonction secondaire ", à savoir mesurer le prix
des marchandises et les salaires. Cette mesure est la " quantité de travail qui peut être achetée
par le produit net étalon ".
Curieusement, il n'est pas nécessaire de connaître le produit net étalon pour déterminer
cette quantité de travail, mais seulement le taux maximum de profit R et le taux de profit r
déterminé de façon exogène. La quantité de travail est inversement proportionnelle au taux de
profit. Si le travail utilisé dans le système est égal à l'unité, la quantité de travail
correspondante est :
1/w = R'/ R' - r
Cette quantité est égale au travail annuel quand r = 0 et augmente sans limite quand le
taux de profit ,r, approche le taux maximum R. Par l'intermédiaire de cette mesure en travail,
le prix de la quantité de travail, du salaire ( s) peut , cette fois, être exprimé par rapport à
n'importe quelle marchandise.
La relation d'équivalence permet ainsi d'établir un va et vient déductif entre le système
économique viable (SEV) , le système étalon, et le système économique viable.
- soit un système économique viable,
- soit R, rapport étalon du système étalon correspondant à ce système (SEV).
- soit la relation r = R (1- w)
A ce stade, deux démarches sont possibles.
-Soit on fixe de façon exogène w afin de déterminer r. Sraffa adopte initialement ce
procédé dans la tradition ricardienne d'un minimum de subsistance. Mais si l'objet du
raisonnement est d 'obtenir la quantité de travail " étalon ", w n'est plus qu'un pur nombre et
n'a plus de signification concrète par rapport à des produits de subsistance. Il n'acquiert de
sens qu'après la détermination de la mesure en travail.
- soit, on se donne le taux de profit, indépendamment des prix, à partir d'un indicateur
concret tel que le taux d'intérêt monétaire. Telle est la démarche qu'adopte Sraffa à partir du
paragraphe 44 du chapitre V, comme prolongement de la ligne de raisonnement qui conduit à
la quantité de travail " étalon ".
Le taux w, soit fixé préalablement, soit déduit de r, est appliqué au produit net du
système économique viable. Ce qui permet de déduire la masse des salaires et la masse des
profits en valeur. Cette masse des profits, rapportée aux moyens de production, doit être égale
au taux de profit. Ceci nécessite un ajustement par les prix relatifs afin de rétablir un système
économique viable. Dans ce cadre, on applique la loi de la valeur de la façon suivante ; si la
taux de profit r est fixé de façon exogène, on peut déduire la quantité de travail commandée
par le produit établi à partir du pur nombre w. Cette quantité de travail permet de mesurer les
prix des marchandises. Le salaire peut alors être évalué concrètement par rapport au prix de
n'importe quelle marchandise.
Le système déductif de Sraffa peut être résumé en trois étapes :
1) Du système économique viable, on déduit un système étalon, un produit net étalon,
un rapport étalon. Le produit net étalon a la double propriété de mesurer les prix et les
salaires.
62
2) Une équivalence est instaurée entre cette possibilité d'étalonnage et la relation
linéaire entre salaire et taux de profit.
3) A partir de cette relation, le produit net étalon est dépouillé de ses deux propriétés :
- les prix peuvent être mesurés au moyen de la quantité de travail commandé par le
produit net étalon sans avoir à connaître ce dernier.
- les salaires peuvent être exprimés par rapport au prix de n'importe quelle
marchandise.
Ainsi la logique déductive conduit Sraffa ( 10960, appendice B, note 2) à déduire de
l'étalon des valeurs " à la Ricardo " une mesure par le travail commandé " à la Smith ",
mesure à laquelle Ricardo était fermement opposé.
La mesure du prix des marchandises par le travail commandé ( fin du chapitre V) ,
mais aussi par le travail incorporé ( fin du chapitre IV) rend possible in fine, la mesure des
prix et des salaires en terme de n'importe quelle marchandise.
Quelques complications :
Le modèle initial de Sraffa est composé de branches à produit unique et capital
circulant. Il permet de solutionner le problème de l’étalon des valeurs. Ce modèle est très
simplifié en ne retenant que des branches à produit unique et capital circulant.
Un élargissement peut être effectué en considérant un système de branches à produits
multiples et avec du capital fixe. On y retrouve les propriétés d’un étalon avec de multiples
complications. La critique de l’économie marginaliste s’en trouve renforcée, notamment sur le
problème du changement de méthodes de production.
Dans le cas de la production conjointe, 2 marchandises sont produites conjointement
par une branche unique ou un processus de production. Cela fait qu’il y a plus de prix que de
procès. Il faut dans ce cas rétablir un processus parallèle et faire en sorte que les processus
soient en nombre égal à celui des marchandises afin que les prix soient déterminés.
Le système avec des produits conjoints peut s’écrire :
(A1 pa + B1 pb + … + K1 pk) ( 1+ r ) + L1 w = A(1) pa + B(1) pb + … + K (1) Pk
(A2 pa + B2 pb + … + K2 pk) ( 1+ r ) + L2 w = A(2) pa + B(2) pb + … + K (2) Pk
……………………………………………………………………………………..
(Ak pa + Bk pb + … + Kk pk) ( 1+ r ) + Lk w = A(k) pa + B(k) pb + … + K (k) Pk
Complications
L’obtention d’un système étalon semble devoir être le même que celui déjà observé.
Mais une complication intervient : il devient indispensable de créer des multplicateurs
négatifs car la marchandise a par exemple peut être en input beaucoup plus utilisée que b,
comparativement à sa proportion en output.
Le critère de distinction entre biens fondamentaux ou non, a évolué car si une
marchandise est produite par plusieurs branches, cette même marchandise peut rentrer
seulement dans les moyens de production d’une seule de ces branches !
La réduction d’une marchandise à du travail daté devient impossible. En effet, on
pouvait admettre avec le système simple que si r = 0, la valeur relative des marchandises soit
63
% à la quantité de travail utilisée directement ou indirectement pour la produire. Désormais
cela est impossible avec la production conjointe
Le capital fixe ( les machines) représente la principale espèce de produit conjoint et il
est particuièrement hétérogène…..Il se laisse cependant intégrer au système étalon sans trop
de difficultés ,sauf à résoudre le problème de sa temporalité.
Sraffa propose de le traiter comme rentrant annuellement dans un procès productif et
de traiter ce qui reste comme une production. Enfin la même machine à des âges différents
sera traitée comme autant de produits différents ayant son propre prix.
La terre pose des problèmes particuliers, elle est normalement une ressource naturelle
et non un bien fondamental. La rente est payée hors système et n’ a pas d’influence sur les
prix et le taux de profit.
Comment insérer la terre dans le système ?
On peut dans le cas d’uns système extensif intégrer sans problème la terre sans rente ;
dans un système intensif, on fera « comme si » existaient deux systèmes de production…en
faisant en sorte que les deux équations soient munis de coefficients de signes opposé et de
valeurs telles qu’elles éliminent la terre du système.
Enfin le système de la production conjointe fait apparaître le problème passionnant du
reswitching des techniques ou des méthodes de production. Soient deux systèmes, chacun
produisant plusieurs marchandises avec une de ces marchandises qui soit commune aux deux
systèmes. Si on fait figurer les deux systèmes sur comme relation décroissante entre w et r, il
existe( Bharadwaj, , 1970) autant de points de transition entre les deux systèmes que de
marchandises entrant directement ou indirectement dans la production de cette marchandise.
La critique de l’économie politique atteint alors un sommet car elle montre
l’impossibilité d’une théorie de la productivité marginale reliant la quantité de capital par
travailleur et leur rendement ( r ).
Conclusion
La pensée classique analyse prioritairement la séquence valeur- répartition - prix. Elle
pose derrière des questions pratiques , des relations contre intuitives, particulièrement avec
Ricardo: péréquation des taux de profit, rente différentielle, effet Ricardo etc....Cette théorie
abstraite trouve sa forme la plus achevée avec Sraffa qui résout par la logique des tautologies
le problème de la valeur légué par Ricardo quitte à admettre des prix ou des rentes négatifs. A
la limite le réel n'est plus que l'ombre de la logique selon une expression de Wittgenstein.
Les questions posées par la théorie classique restent d'actualité notamment son
questionnement logique sur la théorie économique de l'échange ( dite "néoclassique") et n'est
pas surmonté. Même si Frank Hahn (1970) démontre de façon brillante que la théorie de
Sraffa n'est qu' un cas particulier de l'analyse économique.
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