Le 26 avril 2005 Madame Sibylle du BUS INSTITUT DES ADMINISTRATEURS Rue d’Egmond, 11 1000 BRUXELLES Chère Madame, J’espère être utile en vous faisant part des remarques suscitées par la lecture du projet de recommandations faites aux entreprises non cotées en matière de gouvernance d’entreprise, projet également qualifié de « Code Buysse ». 1. Ma première remarque touche au mélange des genres. Convaincre de la nécessité d’une bonne répartition des pouvoirs et compétences entre les organes et d’une information honnête et transparente dans un but d’efficacité de fonctionnement, de pérennité de l’entreprise mais aussi pour lui conserver des actionnaires motivés a son propre mérite sans qu’il soit nécessaire d’y mêler des opinions, des conseils divers en gestion, des vœux ou encore des principes supportés par des qualifications positives pas toujours convaincantes. On servirait, à mon sens, mieux la cause des entreprises petites et moyennes en s’en tenant au sujet et en identifiant plus clairement les pratiques prouvées comme meilleures à l’expérience. Sur le plan de la structuration du travail, on imaginerait bien qu’on positionne, relativise ou renforce certaines recommandations en les positionnant sur la ligne de temps de développement d’une entreprise. Ainsi, le reporting pourrait se borner aux strictes obligations légales et à un outil analytique rudimentaire pour une modeste épicerie pour, lorsqu’elle est devenue une groupe de distribution coté, mettre en place un Comité d’Audit et adopter les normes IFRS. 2. Il y aurait aussi intérêt à ne pas confondre les objectifs et les moyens pour y parvenir. Pour appuyer cette remarque, je renvoie au point 1. intitulé « Généralités ». 2.- On comprend parfaitement que la fixation de la mission que se donne une entreprise et son adaptation dans le temps figurent dans les règles de bonne gouvernance. Je m’étonne par contre d’y voir figurer « le recours à des conseillers externes » … ou encore « l’appui d’actionnaires impliqués ». Des questions comme la répartition des pouvoirs et compétences ou encore la nécessité d’un reporting auraient plus de raison de figurer parmi ces règles jugées comme essentielles. Qui plus est, et si on veut prôner le recours à des conseillers extérieurs, ne faudrait-il pas d’abord attirer l’attention sur la nécessité de vérifier de façon régulière si l’entreprise dispose des compétences qui lui sont nécessaires à chaque stade de son développement pour déduire ensuite que le recours à des conseillers externes peut souvent constituer une réponse adéquate. Des entreprises sont mortes pour avoir confier leurs assurances à un ami rotarien s’occupant accessoirement d’assurance et d’autres pour avoir signé des contrats désastreux sans consulter un avocat. Le recours à des conseillers externes ne peut pas être défendu en soi mais bien comme la conséquence réfléchie d’une recommandation visant à l’évaluation régulière des ressources disponibles de l’entreprise.. Tout le monde souhaite s’appuyer sur des actionnaires motivés mais si on veut convaincre à agir, il serait sans doute utile de donner quelques exemples réussis de solutions qui ont conduit des entreprises (Solvay, D’Ieteren, autres) à traverser de longues périodes en maintenant un actionnariat soudé. Le texte parle d’actionnaires « impliqués ». Existe-t-il réellement une volonté des rédacteurs d’ « impliquer » les actionnaires plutôt que les garder motivés à conserver leur soutien financier par une gouvernance appropriée ? 3. Rôle et composition du Conseil Là où il eut été indispensable d’expliquer que dans notre droit des sociétés, le Conseil d’Administration doit au minimum répondre de la définition de la stratégie, de l’arrêté des comptes et de la nomination ou de la révocation de la haute Direction, le texte fait l’impasse pour immédiatement recommander l’engagement d’administrateurs externes par analogie à ce qui se fait dans les grandes entreprises… et considérer que ces administrateurs indépendants auraient le privilège « du regard objectif », « du conseil impartial », « du sens des responsabilités », etc. Expliquer les rôles et compétences du Conseil de façon argumentée devrait occuper une place centrale tant il est reconnu « que le pouvoir corrompt et que le pouvoir absolu corrompt absolument » (cit.). 3.- Pour le reste, ne faut-il pas relativiser la recommandation du recours à des administrateurs externes en fonction du stade de développement de l’entreprise et reconnaître que lorsque survient un moment délicat comme la disparition du fondateur, il faut peut-être privilégier la cohésion de l’actionnariat, c’est-à-dire souvent et aussi, l’équilibre de représentation entre les héritiers. 4. Rôle du Président La recommandation de ne pas cumuler la fonction de Président de Conseil et celle d’Administrateur Délégué est, dans le texte soumis, relativisée par la nature, la taille et la phase de développement de l’entreprise. Pour les raisons exposées ci-dessus, je crois que le texte devrait, sur ce plan, adopter une attitude plus tranchée. A la base d’une bonne gouvernance, il doit y avoir la conviction qu’il ne faut pas concentrer tout le pouvoir dans les mêmes mains. 5. Tâche du Conseil d’Administration Une partie du projet reprise sous n° 4.2.1. devrait à mon sens être profondément revue sur le plan du fond et de la forme. Ainsi : - « se focaliser sur des affaires importantes ( ?) et stratégiques » : ne faut-il pas dire que le Conseil porte la responsabilité de la définition de la stratégie ? - « dirige le management » : quel est le sens à donner à cette formulation ? Parle-t-on ici des axes stratégiques ou vise-t-on à influencer les moyens mis en œuvre par le patron, voire son comportement ? - « dirige les actionnaires » : ne devrait-on pas déjà être satisfait de pouvoir les convaincre de maintenir leur soutien financier à l’entreprise ? - « oriente l’Administrateur Délégué » : s’agit-là d’actions distinctes ou simplement d’une formulation autre de l’obligation de définir la stratégie ? - « effectue le contrôle financier et opérationnel » : est-on sûr qu’il s’agit là réellement d’une tâche du Conseil ? D’une façon plus générale, la formulation est parfois floue, voire malheureuse comme au point 6.1. où il est dit que « l’entreprise doit pouvoir s’appuyer sur des actionnaires prêts à prendre un engagement commercial personnel … ». Elle est parfois également peu réaliste comme par exemple au point 6.2. où on considère qu’il revient aux actionnaires de « fixer les valeurs …, les objectifs financiers …, le niveau de risque acceptable ». Il me semble qu’il s’agit là de devoirs dont est chargé soit le management, soit le Conseil ! 4.- Le projet s’accompagne de recommandations spécifiques mais non exhaustives qui recommandent entre autres l’établissement d’une charte familiale et de soigner les relations avec les fournisseurs et les collaborateurs. A force de vouloir mettre tout dans tout, on risque de distraire ou de lasser ! Ne servirait-on pas mieux la cause des PME en limitant le texte en ce qui concerne le « Gouvernement d’entreprise » dans son acception restreinte mais en le faisant de façon argumentée avec l’ambition de convaincre le plus grand nombre possible de destinataires et faire un usage réfléchi de principes éprouvés. Croyez, Chère Madame, à mes meilleurs sentiments. Dominique Collinet, Président du groupe Carmeuse