Les déterminants du secteur informel au Burkina Faso* Jean Abel Traoré†, Université Ouaga II, Burkina Faso Résumé L’objectif principal de ce papier est de mettre en relief les déterminants du secteur informel tout en opposant l’autoemploi informel au salariat informel. Pour cela, nous construisons un modèle théorique démontrant l’importance de l’éducation dans le choix du statut professionnel. Afin de tester notre hypothèse relative à ladite importance de l’éducation, nous estimons un logit emboité et dégénéré à deux niveaux après avoir rejeté l’hypothèse de l’Indépendance des Alternatives Non Pertinentes. Nos résultats attestent que la probabilité de travailler dans le secteur formel augmente avec le niveau de l’éducation. Dans le secteur informel, l’éducation tend à réduire la probabilité de l’auto-emploi par rapport au salariat. Mots clés : secteur informel, éducation, logit emboité JEL: J24, J31, O12 Revisiting the determinants of informal sector in Burkina Faso Abstract The main objective of this paper is to highlight the determinants of informal sector activity with a special focus on informal self-employment opposed to informal wage employment. For this purpose we build a theoretical framework to show the important role of education in occupational choice. To empirically test our hypothesis, we estimate a two-stage degenerated nested Logit model after rejecting the IIA hypothesis. Our results show that the probability of formal sector employment increases with the level of education. In the informal sector education attainment tends to reduce the probability of self-employment as opposed to wage employment. Keywords: informal sector, education, nested logit L’auteur remercie chaleureusement Pr Idrissa Ouédraogo et Dr Flaubert Mbiekop pour leurs commentaires. L’auteur salue également le support du Centre de Recherches pour le Développement International (CRDI) à travers son Initiative de Programme « Croissance Pour Tous ». † Doctorant en Economie, Université Ouaga II. Laboratoire d’Analyse et de Politique Economique (LAPE). Boursier de Recherche de l’Initiative de Programme « Croissance Pour Tous », CRDI durant 2012. [email protected]/[email protected] * 1 1. Introduction L’émergence d’activités hétérogènes de production de biens et services en dehors du cadre formel habituel de l’économie est à l’origine du concept de secteur informel apparu dans les années 1970 (ILO, 1970 ; Keith Hart, 1972). Pourtant, ce concept fait toujours l’objet de débats florissants tant sur sa définition, ses déterminants, que sur ses liens avec l’économie formelle, l’emploi et la croissance économique. S’il y a un consensus sur la distinction entre les activités informelles et celles dites « illicites », des auteurs maintiennent tout de même que le développement de l’informalité est imputable à l’idée de se dérober face à une pression fiscale jugée trop élevée (Loayza et al, 2006). Selon Botero et al (2003), la régulation du marché du travail à travers la fixation d’un salaire minimum par exemple, contraint le système économique à n’absorber qu’une partie de la main d’œuvre, obligeant les « rescapés » à se réfugier dans l’informel. Dans les Pays en Développement, l’un des faits ayant marqué le courant de l’informalité s’avère la crise socioéconomique des années 1970 suivie des Programmes d’Ajustement Structurel (Roubaud et Seruzier, 1991). En effet, les gouvernements des Pays en Développement, subissant un redressement de leurs finances publiques, ont été contraints de réduire leur offre d’emplois publics. De plus, les privatisations afférentes ont délégué à un secteur privé embryonnaire la lourde tâche d’occuper une population active de plus en plus croissante. Ainsi, face à la défaillance des secteurs public, privé et face à un secteur agricole tributaire des aléas climatiques, de nouvelles formes d’activités dites de « survie » mais tout de même génératrices de revenus se sont intensifiées surtout dans les zones urbaines. De ce fait, l’informel a très souvent fait référence à des activités marginales très peu productives et vouées à disparaitre au fur et à mesure que les pays se développeraient (Schneider et Enste, 2000). Pourtant, durant cette dernière décennie, l’informel remarquable par sa persistance dans les économies subsahariennes, semble plutôt s’être positionnée comme une source potentielle de revenus et un mode d’insertion socioprofessionnel. Cela s’illustre par le fait que l’informel, second secteur pourvoyeur d’emplois après le secteur agricole occupe désormais plus de 70% de la population active non agricole et contribue en moyenne à 42%u PIB de ces économies1. Au Burkina Faso, la sphère informelle2 représente 25% du PIB et emploie environ 70% de la population active non agricole3. De plus, l’enquête 1-2-3 réalisée dans la capitale de ce pays, a révélé que seulement 9,3% des chefs des Unités de Production Informelles (UPI) ont choisi ce secteur parce qu’ils n’ont pas trouvé un emploi dans le formel. En d’autres termes, la majorité d’entre eux ont présenté le secteur informel comme un mode privilégié d’insertion sur le marché du travail. En effet, comme le montre Günther et Launov (2006), dépendants de leurs caractéristiques socioéconomiques certains individus pourraient avoir un avantage comparatif en travaillant dans le secteur informel. Selon cette même enquête, l’auto-emploi représentait 72,2% des Unités de Production Informelles en 2001 et constituait plus de 81,5% des emplois nouvellement créés dans l’informel dans les années 1990 contre seulement 52% à partir de 2001. L’informel révèle donc, de plus en plus sa capacité à incorporer une nouvelle main d’œuvre sous forme de salariat. Cette réalité suscite à nouveau la question de savoir quels sont les facteurs qui conduisent les individus dans le secteur informel ? Vu le rôle central des entreprises monocéphales (ou individuelles), principale porte d’entrée dans l’informel mais incorporant progressivement des salariés, connaître les déterminants du secteur informel implique nécessairement la mise en relief des déterminants de l’auto-emploi informel opposé au salariat informel. A cet effet, il importe de se demander quelles sont les différentes caractéristiques, tant intrinsèques à l’individu que liées à son environnement économique et social, qui le conduisent ou « l’obligent » à s’auto-employer dans l’informel. La réponse à cette question devrait contribuer à une meilleure compréhension de la persistance et de la tendance de l’informalité au Burkina Faso afin d’éclairer les politiques économiques ciblées sur ce secteur. Organisation Internationale du Travail : 12e Réunion régionale africaine. Johannesburg, Afrique du Sud, 11-14 octobre 2011 8L’Institut National de la Statistique et de la Démographie (INSD) au Burkina Faso définit le secteur informel comme l'ensemble des unités de production qui ne possèdent pas de numéro d’identifiant fiscal unique (IFU) et/ou qui ne tiennent pas de comptabilité formelle officielle (ayant une valeur administrative). 3 INSD (2003) 1 2 2 De nombreuses études focalisées sur les pays développés mettent en exergue les caractéristiques socioéconomiques de l’individu, le climat des affaires et la politique gouvernementale comme principaux déterminants de l’auto-emploi (Millàn et al 2010). Certains auteurs comme Yamada (1996), Combarnous (1999), tenant compte de la distinction entre économie formelle et informelle lorsqu’ils analysent le marché du travail en Afrique Subsaharienne retrouvent également les mêmes facteurs ci-dessus. Au Burkina Faso, les études abordant les facteurs de l’informalité (Lachaud, 1997 ; Ouédraogo, 1996 ; Zerbo, 2001) souffrent surtout d’une contrainte spatiale car axées essentiellement sur les principales villes de ce pays. Ce papier, utilisant l’Enquête Annuelle sur les Conditions de Vie des Ménages de 2007 (EACVM) qui constitue une source de données couvrant tout le territoire et une source beaucoup plus récente, apporte un plus en révélant non seulement les caractéristiques de l’informalité non agricole dans les zones rurales mais aussi en fournissant des explications plus récentes de la tendance de l’informalité au Burkina Faso. En somme, l’objectif général de cette étude est de mettre en relief les déterminants du secteur informel au Burkina Faso. Spécifiquement, il s’agit de mettre l’accent sur les déterminants de l’auto-emploi informel par rapport à l’emploi salarié formel et l’emploi salarié informel. Pour mener à bien notre analyse, la première section de ce papier présente une revue de littérature sur les facteurs de l’auto-emploi informel tandis que la seconde aborde le modèle théorique. Ensuite, la section 3 fait l’objet de la description des variables et des données issues de l’Enquête Annuelle sur les Conditions de Vie des Ménages de 2007. Enfin, les résultats des estimations sont discutés dans la section 4. 2. Revue de littérature Les modèles de choix occupationnel, fondés sur l’hypothèse de rationalité des individus avancent l’idée que le choix entre l’auto-emploi informel et l’emploi salarié formel est guidé par la différence d’utilités entre ces deux statuts. Ainsi, un individu opterait pour l’auto-emploi informel si l’utilité espérée, captée généralement par le revenu espéré, de ce statut excède celui du salariat formel et vice versa (Johansson, 2000). Pourtant, El Aynaoui (1997) étudiant le cas du Maroc aboutit à des résultats contraires. Selon son analyse, le statut occupationnel des individus ne dépend pas de la différence de revenus escomptés mais plutôt d’un ensemble de caractéristiques intrinsèques à l’individu telles que le genre, l’âge, l’éducation et extrinsèques comme l’environnement familial, social et économique. Do et Duchene (2008), épousent cette idée en montrant qu’au Vietnam, malgré les revenus plus élevés qu’offre le salariat formel, les femmes sont plutôt contraintes de s’auto-employer du fait de la faiblesse de leur capital humain. En Afrique Subsaharienne, la faiblesse relative du niveau d’éducation des femmes par rapport à celui des hommes, ajoutée au poids des normes sociales, confèrent à ces dernières les tâches familiales (ménage, soins des enfants) non rémunérées. A titre illustratif, l’enquête 123 réalisé dans les capitales des pays de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) a révélé que 64% des femmes avaient le niveau d’éducation primaire contre 45% des hommes (Kuepie, Nordman et Roubaud, 2009). Dans ces conditions, mener des activités génératrices de revenus dans le domaine familial ou au bord des voies publiques demeure la seule alternative pour elles de participer au marché du travail. Dans la capitale du Burkina Faso (Ouagadougou), les femmes représentaient 47% de l’auto-emploi informel œuvrant essentiellement dans les activités de restauration, de commerce de détail avec les revenus les plus précaires (Institut National de la Statistique et de la Démographie-INSD-, 2003). Au contraire, les femmes dotées de capital humain ont tendance à se retrouver dans le salariat formel (Kabubo-Mariara, 2003). Mais Hammouda et Lassassi (2011) apportent une nuance en montrant que le type de formation suivie pourrait également contrebalancer le choix du salariat formel. D’après leur étude, les femmes ayant suivi une formation professionnelle ont plus de chance de s’auto-employer dans l’informel. Ce rôle primordial et controversé que joue le capital humain dans les modalités d’insertion professionnelle des femmes est également valable pour les hommes (adultes) et les jeunes. En effet, dans la vague des études axées sur le marché du travail des Pays Développés, ignorant généralement la distinction entre formel et informel, deux tendances théoriques se dégagent à propos du rôle de l’éducation. La première affirme qu’un niveau d’éducation élevé favorise l’auto-emploi (Congregado et al, 2009). L’éducation serait donc un canal favorable pour acquérir des compétences managériales requises pour se lancer dans l’entrepreneuriat. Pourtant, Casson (2003) réfute cette hypothèse en montrant que l’éducation formelle ne donne pas forcément les capacités managériales nécessaires pour être « entrepreneur ». Il renforce ainsi la seconde tendance théorique qui suggère qu’un niveau d’éducation élevé accroît plutôt la probabilité de choisir un emploi salarié moins risqué procurant de meilleures conditions de travail (Destré et Henrard, 2004). 3 Plusieurs analyses portant sur le marché du travail des économies subsahariennes et intégrant l’informalité semblent plutôt corroborer la seconde tendance théorique (Rankin, Sandefur et Teal, 2010). En effet, dans la majorité des capitales des pays de l’UEMOA, le secteur structuré favorise les individus les mieux qualifiés (Kuepie, Nordman et Roubaud, 2009) tout en les offrant une meilleure rémunération et d’autres avantages sociaux tels que la protection sociale, la pension retraite et l’accès facile aux services financiers. Les moins qualifiés se réfugient donc dans l’auto-emploi ou le salariat informel étant donné que l’alternative de la création d’une entreprise dans le secteur structuré fait appel à des coûts administratifs et financiers onéreux. Cependant, Cogneau (2001) et Zerbo (2006) mettent en évidence le rationnement de l’offre d’emploi formel qui rend le secteur structuré incapable d’absorber toute la main d’œuvre qualifiée. De ce fait, l’on retrouve progressivement des diplômés à majorité jeune dans le secteur informel. Mais même dans l’économie non structurée, le niveau d’instruction reste capital pour le statut de l’emploi. Les individus les mieux qualifiés ont plus de chance d’être des patrons (employeurs) ou des indépendants ayant les revenus les plus élevés (Kuepie, Nordman et Roubaud, 2009; Nguetse Tegoum, 2009). Par contre, la main d’œuvre essentiellement jeune, dépourvue de capital humain se contentait du statut d’employés, d’apprentis ou d’aides familiales avec des revenus précaires ou quasi-inexistants. Ainsi, les jeunes rencontrent des difficultés notables pour s’insérer sur le marché du travail. Défavorisés du fait de leur faible niveau d’instruction et/ou d’expérience, la majorité d’entre eux a tendance à s’occuper dans l’informel dans la perspective d’acquérir un emploi formel plus tard (Zerbo, 2006). Pourtant, la sphère informelle, à son tour, ne donne pas toujours aux jeunes un meilleur traitement au regard des chiffres suivants : à Ouagadougou, l’âge moyen des acteurs de l’informel les plus nantis (patrons, indépendants, associés) était de 38 ans alors que les jeunes de moins de 26 ans ne représentaient que 1,4% des patrons mais environ 59,5% de la main-d'œuvre (INSD, 2003). A ces caractéristiques intrinsèques à l’individu se greffent d’autres facteurs extrinsèques dans la détermination de l’occupation professionnelle. Le milieu de résidence, l’environnement économique et financier et le contexte institutionnel en sont les principaux facteurs. A propos du milieu de résidence, il faut reconnaître que les activités informelles (non agricoles) sont à l’origine un phénomène urbain. Les individus résidant en zone urbaine ont donc une plus grande propension à s’auto-employer ou être employés dans l’informel que ceux des zones rurales. Cependant, l’on remarque une présence grandissante de l’informalité dans les zones rurales à travers les activités de commerce, de transport et de manufacture. Ces activités représentent une opportunité de diversification des sources de revenus face à une agriculture vulnérable tout en s’inscrivant également dans la dynamique de développement des campagnes. L’environnement économique et financier de l’individu fait d’abord appel à ses dotations en capital physique et financier. S’il est admis que l’accès au salariat formel est conditionné par le niveau de qualification, l’informalité est très souvent caractérisée par son entrée dite libre. Pourtant, établir une unité de production informelle nécessite un minimum de capital physique et financier. Le niveau de ce capital conditionne non seulement le type, la branche d’activités de l’unité informelle mais aussi le statut d’emploi. En effet, le commerce ambulant ou de détail hors magasin requiert certainement moins de capital que l’installation d’un atelier de soudure par exemple. De plus, les statuts de patrons, associés sont réservés aux individus les mieux fournis en capital tandis que les moins riches sont principalement employés, apprentis ou aides familiales. Ainsi, les contraintes de liquidité constituent une barrière à l’entrée dans l’auto-emploi informel comme c’est le cas pour l’auto-emploi formel (Congregado et al, 2009). Cette idée est renforcée par le fait que la majorité du capital de l’informel est financée par l’épargne individuelle, l’héritage et les dons familiaux, à hauteur de 96,2% à Ouagadougou, étant donné la réticence du secteur financier (INSD, 2003). Au-delà de la richesse individuelle, la conjoncture économique, pourrait favoriser l’entrée dans le secteur non structuré. Comme le démontre bien Zerbo (2006) en période de récession économique, l’altération de l’offre de travail dans le secteur structuré conduit une partie des travailleurs à chercher des alternatives dans l’informalité. Mais en période d’expansion les effets sont mitigés. Effectivement, en suivant le raisonnement précédent, l’expansion économique donnerait la capacité au secteur structuré d’absorber une nouvelle main d’œuvre ce qui diminuerait les pressions sur le bloc non structuré. Pourtant, l’émergence de nouveaux débouchés pourrait attirer davantage d’individus dans l’auto emploi informel .Quant au contexte institutionnel il fait référence à la législation régulant le marché du travail, aux droits de propriétés intellectuelles et au climat des affaires. De nombreux auteurs (Donor Committee for Enterprise Development-DCED-, 2009 ; Andrews et al, 2011) stipulent que l’entrée dans l’informalité est fondée sur une analyse coût/bénéfice. Un individu opterait pour l’informalité si le bénéfice net tiré de ce secteur excède celui du secteur structuré. Au-delà du revenu procuré par l’activité informelle, les bénéfices 4 associés se résument essentiellement à la possibilité d’échapper aux coûts administratifs, financiers liés à l’enregistrement officiel et au paiement ou non de taxes fiscales relativement faibles tandis que les coûts sont représentés par la privation de l’accès aux services publiques de soutien à la production (électricité, télécommunications...), au système de protection sociale (sécurité sociale, assurance, pensions...) et de l’accès aux services financiers bancaires. Cependant, d’autres auteurs désapprouvent l’approche coût/bénéfice en avançant que cette analyse nécessite la disponibilité d’informations parfaites et de certaines capacités « cognitives », conditions que la grande majorité non qualifiée des acteurs de l’informel ne réunissent pas (Jütting et al, 2008). A titre illustratif, 60 à 80% des chefs des unités de production informel (à Ouagadougou) ignoraient comment s’enregistrer administrativement tandis que seulement 1 à 3% indiquaient que la démarche était compliquée et coûteuse. L’entrée dans l’informalité n’est donc pas toujours volontaire comme le sous-entend cette approche. Pour pallier cette insuffisance de l’analyse coût/bénéfice, le « empowerment approach » accuse la faillite institutionnelle des gouvernements qui exclut les plus démunis du système de production structuré (Perry et al, 2007). En effet, en amont, les inégalités d’accès aux services sociaux de base tels que la santé, l’éducation défavorisent en aval les pauvres sur le marché du travail de l’économie structurée. En plus, de cette faiblesse des « capabilities », l’existence d’un système de justice, de services financiers et de protection sociale discriminatoires oblige les individus à se lancer dans l’informalité et à y demeurer. Cette approche mettant en exergue l’aspect non volontaire de l’informalité semble mieux coller avec les réalités des économies subsahariennes au regard des disparités en termes d’accès aux services, aux opportunités, entre l’informalité et l’économie structurée. 3. Modèle théorique Soit une petite économie fermée parfaitement concurrentielle composée d’un secteur formel (F) et un secteur informel (I). Le secteur formel bénéficiant de la disponibilité des infrastructures de soutien à la production et d’une facilité d’accès aux services financiers est supposé utiliser une technologie nettement supérieure à celle du secteur informel. En d’autres termes, la productivité globale des facteurs de l’économie structurée est supérieure à celle de l’économie non structurée. 3.1. La production Supposons que la production dans le secteur formel est donnée par une fonction de production néoclassique4: avec (1) : production totale de biens et services dans le formel capital humain (quantité et qualité de travail) utilisé dans le formel capital physique utilisé dans le formel facteur technologique (ou productivité globale des facteurs) dans le secteur formel En raisonnant dans le très court terme le capital physique est fixe soit et la relation (1) devient : A l’équilibre concurrentiel, la productivité marginale du capital humain est égale au taux de salaire réel5 : (2) (3) La production dans l’économie non structurée est également traduite par la même fonction néo-classique telle que : (4) production totale de biens et services dans l’informel capital humain (quantité et qualité de travail) utilisé dans l’informel : capital physique utilisé dans l’informel facteur technologique (ou productivité globale des facteurs) dans le secteur informel La différence technologique entre les deux secteurs implique Dans le très court terme est fixe tel que et (4) devient : (5) i) F(.) est au moins de classe C2 ; ii) dérivées partielles strictement décroissantes ; iii) concavité ; iv) homogène de degré 1 (rendements constants) ; v) satisfait les conditions d’INADA 4 5 Soit une fonction dérivable au moins deux fois. Dans ce papier sera notée et 5 A l’équilibre concurrentiel la productivité marginale du capital humain est égale au taux de salaire réel : (6) Ainsi à capital humain identique, le secteur structuré offre une rémunération salariale supérieure à celle de l’économie non structurée. En effet : car d’où (7) En d’autres termes, du fait de la différence technologique entre le formel et l’informel, un individu qualifié devrait récolter un revenu plus élevé s’il est employé dans le formel. Nous faisons l’hypothèse que la rémunération salariale offerte dans le secteur structuré représente le salaire brute incluant les cotisations destinées à la protection sociale (pension retraite, assurance maladie, maternité…). 3.2. La consommation Soit un individu offrant son travail en contrepartie d’un revenu essentiellement alloué à la consommation de biens et services. Si est employé dans le formel alors son utilité s’écrit : (8) : niveau d’éducation (proxy du capital humain) de l’individu : caractéristiques intrinsèques et familiales (genre, âge, situation matrimoniale…) : revenu brut de l’individu dans le formel Par analogie si est employé dans l’informel alors son utilité s’écrit : (9) Par conséquent, l’utilité de l’individu dans l’ensemble de l’économie se traduit par : (10) avec 6 (11) Informel Formel En fait, les employés de l’informel et du formel peuvent être regroupés dans différentes classes socioprofessionnelles hiérarchisées selon l’importance des revenus et avantages sociaux qu’elles procurent. Par exemple, dans le formel l’on peut distinguer les employeurs ou patrons, les salariés, les stagiaires et dans l’informel les employeurs, les indépendants, les salariés, les apprentis et les aides familiales. Ainsi est une variable qui représente les différentes catégories socioprofessionnelles possibles sur le marché du travail. Lorsque croît, l’individu progresse vers le secteur formel qui lui offre une rémunération plus importante et donc une utilité plus élevée. A l’opposé, lorsque décroît, l’individu évolue vers le secteur informel avec une précarité et une vulnérabilité croissante. D’où : (12) Aussi, intuitivement, à niveau d’éducation et autres caractéristiques socioéconomiques invariant, la satisfaction supplémentaire tirée du passage d’une catégorie professionnelle à une autre relativement plus avantageuse, devrait se réduire lorsque le consommateur se retrouve dans une des classes du formel qui lui procure déjà un certain nombre d’avantages sociaux. D’où l’hypothèse suivante : L’utilité marginale associée à est décroissante (13) Mais lorsque le niveau d’éducation s’accroît (ou est élevé) les individus pourraient atteindre les classes professionnelles les plus aisées dans le formel. Ainsi, l’utilité marginale associée au passage d’une classe à une autre aura tendance à augmenter également. D’où l’hypothèse : L’utilité marginale associée à est croissante avec le niveau d’éducation (14) En supposant qu’il est rationnel, le consommateur, étant donné son niveau d’éducation, ses caractéristiques intrinsèques et familiales, préfèrera la classe qui maximise son utilité. Ce qui se traduit par le programme : (15) Cette définition s’inspire fortement de l’approche adoptée par Mbaye et Benjamin (2012) qui considèrent l’informalité comme une continuité définie par une combinaison de critères : registre officiel, comptabilité écrite, nombre d’employés, accès au crédit… 6 6 (.)7 est la fonction des coûts d’entrée dans le formel c’est-à-dire des coûts liés à la quête de l’information, aux démarches administratives entre autres, nécessaires pour acquérir un emploi dans le formel. L’on pourrait aisément admettre que ces coûts augmentent au fur et à mesure que le consommateur progresse de l’informel vers le formel. D’où : (16) Par ailleurs, les individus de niveau d’éducation élevé pourraient avoir un avantage relatif par rapport aux moins qualifiés en termes de quête d’information (accès à l’internet), de démarches administratives (rédaction de CV, entretien d’embauche…). D’où l’hypothèse selon laquelle le coût d’entrée dans le formel diminue au fur et à mesure que le niveau d’éducation du consommateur s’accroît : (17) De même, intuitivement nous admettons que : le coût marginal d’entrée dans le formel est croissant avec la classe professionnelle (18) le coût marginal d’entrée dans le formel est décroissant avec le niveau d’éducation (19) : représente la valeur maximale des actifs (richesse) que le consommateur pourrait allouer à la recherche d’un emploi dans l’économie structurée. Le lagrangien associé à ce programme s’écrit : avec (20) Les CPO8 impliquent que (21) Soit une fonction définie par : D’après le théorème des fonctions implicites si tel que et (22) alors il existe une fonction notée (23) or d’après (14) et (19) d’où Ainsi en appliquant le théorème des fonctions implicites : avec et et (24) or d’où Finalement nous établissons que : (25) (26) Interprétation : les individus dotés d’un niveau d’éducation élevé préfèrent le secteur formel qui procure un niveau d’utilité plus élevé. Découlant du cadre théorique ci-dessus l’hypothèse à tester empiriquement dans la section suivante s’écrit ainsi: : la probabilité d’être employé dans le secteur formel s’accroît avec le niveau d’éducation. En d’autres termes, un faible niveau d’éducation accroît la probabilité d’être employé dans l’informel. 4. Cadre empirique L’Enquête Annuelle sur les Conditions de Vie des Ménages(2007) classe la main d’œuvre active non agricole et effectivement occupée en 5 catégories socioprofessionnelles : salariés du public, salariés du privé structuré, indépendants ou employeurs non agricoles, salariés du privé non structuré et les aides familiaux bénévoles et apprentis. Etant donné que ce papier s’intéresse généralement sur l’informalité et spécifiquement sur l’auto-emploi informel, ces 5 catégories ont été regroupées en 3 catégories socioprofessionnelles :i) salarié du formel: salarié du public et du privé ; ii) indépendants ou employeurs non agricoles : auto-emploi informel ; iii) salarié de l’informel. Les aides familiaux, les apprentis forment avec les chômeurs le groupe des « Sans revenus » Selon la relation (11) peut-être définie par : 7 8 La fonction avec Conditions du Premier Ordre est un exemple de fonction vérifiant les hypothèses (16) (17) (18) et (19) 7 Sans revenus Salarié informel Auto-emploi informel Salarié formel Ainsi les facteurs influençant le choix de ces catégories professionnelles pourraient être mis en exergue à travers un modèle multinomial. L’utilité associée au choix est une fonction linéaire de caractéristiques individuelles observables : Les caractéristiques individuelles font principalement référence au niveau de l’éducation, l’âge, le genre et le revenu provenant de la catégorie professionnelle. A ce niveau le premier obstacle que nous rencontrons est relatif au fait que les revenus des individus sont observés seulement après le choix du statut professionnel. Il y a donc un risque potentiel de biais d’endogénéité lié aux revenus observés. Pour y remédier nous estimons les équations de gains de chaque classe professionnelle afin de prédire les revenus espérés afférents. Ensuite ces revenus espérés sont utilisés comme variables explicatives dans une seconde étape. Cependant l’estimation des équations de gains se confronte au risque du biais de sélection. Le biais de sélection provient du fait que le revenu est observé seulement lorsque l’individu travaille or tous les individus ne travaillent pas et tous ceux qui travaillent ne sont pas forcément rémunérés. De plus, certains travailleurs rémunérés, du fait de certaines caractéristiques non observables pourraient avoir un avantage comparatif à être employés dans le formel ou l’informel. Pour pallier le biais de sélection, nous utilisons l’estimation en deux étapes de Heckman généralisée par Lee (1983) pour le cas du logit multinomial (Voir Annexe). La première étape consiste à générer à partir du logit multinomial les termes de correction du biais de sélection . Ensuite dans une seconde étape, les , forme généralisée de l’inverse du ratio de Mill sont introduits dans les équations de gains de chaque catégorie professionnelle. La méthode de Lee a été critiquée car fondée sur l’hypothèse forte selon laquelle il y a indépendance entre la distribution conjointe des termes d’erreur des équations de gains et de ceux du choix occupationnel et les variables explicatives du modèle de choix occupationnel (Bourguignon, Fournier and Gurgand, 2007). Malgré cette critique nous avons préféré la méthode de Lee à celle de Dubin et McFadden et à celle de Dahl du fait de la petite taille de nos sous-échantillons. En effet, en utilisant les simulations de Monté Carlo, Bourguignon and al. (2007) arrivent à la conclusion que la méthode de Lee est adaptée pour les petits échantillons. Par ailleurs le modèle multinomial pourrait souffrir de la violation de l’hypothèse des alternatives non pertinentes. Nous avons effectué le test de Hausman qui confirme la violation de l’IIA. De ce fait, un modèle logit emboité et dégénéré a été utilisé pour pallier cette insuffisance. L’estimation de ce modèle a été facilitée par le fait que les différentes catégories professionnelles peuvent être représentées par un arbre à deux niveaux comme suit : Population non agricole occupée Informel Auto-emploi informel Salariat informel Formel Salariat formel Niveau 2 Niveau 1 Figure 1 : Configuration des options d’occupation Ainsi au niveau 1 il s’agit de mettre en relief les déterminants de l’auto-emploi informel par rapport aux salariats formel et informel. Au niveau 2 les facteurs influençant la probabilité de travailler dans le secteur informel opposé au secteur formel sont également mis en exergue. 4.1 Définition des variables du modèle Les variables indépendantes dichotomiques sont définies telles que : Au Niveau 1 la variable « Auto-emploi informel » (AE_INF) est: 8 Au Niveau 2 la variable « Emploi »: Les variables exogènes considérées à ces deux niveaux peuvent être regroupées comme suit: 4.1.1 Caractéristiques intrinsèques, contexte familial et lieu de résidence Le genre du chef de ménage (GENRE) prend la valeur 1 s’il est du genre masculin et 0 s’il est du genre féminin. La variable âge du chef de ménage (AGE) est décomposée en 4 variables muettes suivantes : 1524 ans, 25-34 ans, 35-44 ans et 45-64 ans afin de voir l’impact selon les générations. La tranche de 45-64 ans est considérée comme la variable de référence. Ensuite, la situation matrimoniale du chef de ménage (SMAT) prend la valeur 1 s’il est marié (en couple ou union libre) et 0 s’il est célibataire. En plus de la variable taille du ménage (TAILLE), le niveau d’éducation du chef de ménage est également appréhendé par 4 variables muettes9 : Aucun niveau (AUC), Primaire (PRIM), Secondaire (SEC) et Supérieur (SUP). La variable AUC est considérée comme la variable de référence. Enfin le milieu de résidence (RESID) prend la valeur 1 si le chef de ménage réside en milieu urbain et 0 s’il réside en milieu rural. 4.1.2. Revenus espérés et branches d’activités Les revenus espérés sont les revenus prédits à partir des équations de gains relatives à chaque catégorie professionnelle. On note E_Wfwe le revenu espéré que procure le statut de salarié du formel, E_Wse pour l’auto-emploi informel et E_Wiwe pour le salariat informel. Afin de minimiser les risques de colinéarité nous utilisons les effets croisés entre les revenus espérés et les différents niveaux d’éducation. Les branches d’activités du chef de ménage sont appréhendées par 4 modalités muettes : Industries (IND), les Services non financiers marchands (SNFM), les Services non marchands (SNM) et les Services financiers marchands (SFM). Les industries rassemblent les activités extractives, de fabrication, production et de construction tandis que les SNFM font allusion au commerce, réparation, restauration, transport, artisanat. Les SNM se composent principalement de l’administration, l’éducation, la santé. La variable SFM est la variable de référence. 4.1.3. Accès aux services publics, financiers et à la protection sociale La possession de téléphone fixe (PTF) prend la valeur 1 si le chef de ménage possède un téléphone fixe et 0 sinon. De même l’accès à l’électricité (AEL) prend la valeur 1 si le chef de ménage a accès à l’électricité et 0 sinon. La variable « accès à l’eau potable desservie par l’Office nationale de l’eau et de l’assainissement » (AEP) est égale à 1 si le chef de ménage en a accès et 0 sinon. Cette variable prend en compte non seulement les raccordements individuels ou partagés dans les domiciles mais également les fontaines publiques installées par l’Office nationale de l’eau. Ensuite, l’accès au crédit prend la valeur 1 si le chef de ménage a sollicité et obtenu un crédit et 0 sinon. Quant à l’accès à la protection sociale il est mesuré par les variables muettes suivantes : le droit à une pension retraite (DPR) qui prend la valeur 1 si le chef de ménage en a droit et 0 sinon et le droit à des congés payés (DCP) égale à 1 si le chef de ménage en a droit et 0 sinon. 5 Résultats des estimations et discussions 5.1. Les équations de gains Le niveau d’instruction, la taille du ménage et le milieu de résidence affectent positivement et significativement à 1% les revenus espérés relatifs au statut d’auto-emploi informel. En effet, acquérir le niveau d’éducation primaire accroît de 13,15% ces revenus tandis que les niveaux secondaire et supérieur l’augmentent respectivement de 38,48% et 99,18%. Ces résultats suggèrent la convexité des taux de rendement de l’éducation pour l’auto-emploi informel et sont conformes aux conclusions de Rankin, Sandefur et Teal (2010) pour les cas du Ghana et de la Tanzanie. De plus, Kuepie et al (2009) étudiant le cas des pays de l’UEMOA et NguetseTegoum (2009) pour le Cameroun, aboutissent à des résultats similaires. Aussi, vivre en milieu urbain relativement au milieu rural accroît de 44.9% les gains espérés. Si l’âge et le statut matrimonial ne sont pas des variables significatives, le genre affecte à 10% les revenus espérés provenant de l’auto-emploi informel. En fait, être un homme relativement à être une femme L’indisponibilité de données suffisantes relatives à l’éducation professionnelle explique l’absence de cette dimension dans la définition de la variable « Education » 9 9 augmente de 11,5% les gains espérés. Ainsi dans l’auto-emploi informel les hommes perçoivent des profits supérieurs à celui des femmes. Selon les résultats ci-dessus, les revenus espérés sont une fonction croissante du niveau d’éducation. Or les femmes ont un niveau d’éducation faible par rapport aux hommes. De ce fait elles ont tendance à percevoir les revenus les plus précaires. De plus, les femmes sont majoritairement confinées dans les activités très peu productives (restauration, commerce de détail) tandis que les hommes travaillent dans les branches à haute valeur ajoutée (manufacture). Quant au coefficient des termes de correction du biais de sélection, il est négatif mais non significatif. Ainsi les facteurs inobservables qui sélectionnent les individus dans l’auto-emploi informel n’influent pas leurs gains espérés. Au regard de l’équation de gains du salariat informel, le terme de correction de Lee est positif et significatif à 10%. Cela implique que les individus sélectionnés en tant que salariés dans l’informel possèdent des caractéristiques inobservables les attribuant un avantage comparatif par rapport aux autres à occuper ce type d’emploi. La faiblesse de leur salaire de réserve pourrait être l’un de ces caractéristiques. En fait, les statistiques descriptives ont montré que les salariés de l’informel sont relativement mieux qualifiés que les auto-employés. De plus le secteur formel offre les revenus les plus élevés. Ainsi l’on peut avancer l’idée selon laquelle les salariés de l’informel après l’échec d’obtention d’un emploi dans le formel acceptent finalement des salaires moins élevés dans le secteur informel. L’âge, la taille du ménage, le statut matrimonial et le niveau d’éducation primaire n’ont pas d’effet significatif sur les gains espérés du statut de salarié informel. Par contre les niveaux d’éducation secondaire et supérieure augmentent respectivement ces gains espérés de 39,52% et 76,01%. Ainsi les taux de rendement de l’éducation sont également convexes pour le salariat informel. Rankin, Sandefur and Teal (2010) trouvent des résultats similaires pour le cas du Ghana mais des résultats contraires pour celui de la Tanzanie. Par ailleurs, le genre affecte significativement le profil des gains du salariat informel. En effet, être un homme accroît de 190% le revenu espéré relativement à être une femme10. De même résider en milieu urbain par rapport au milieu rural augmente de 71,41% les gains espérés. Contrairement au milieu rural, un meilleur accès aux infrastructures, suivi d’une forte demande stimule la production urbaine ainsi capable de générer de meilleurs revenus. Concernant le profil des gains espérés du salariat formel, les taux de rendement de l’éducation perdent leur convexité en présence du terme de correction de Lee. Ces taux deviennent même négatifs tout en restant significatifs suggérant ainsi que dans le salariat du formel les gains espérés ne sont pas une fonction croissante du niveau d’éducation. De plus le terme de correction de Lee est significatif à 1%. Ce qui appuie l’idée que les facteurs inobservables sélectionnant les individus dans le salariat formel semblent affecter négativement leurs revenus espérés. Ces conclusions sont conformes à celles de Rankin, Sandefur et Teal (2010) pour le cas de la Tanzanie mais contraires à celles de Kuepie and al (2009) and Nguetse Tegoum (2009). Ces résultats qui paraissent paradoxales peuvent trouver une explication dans le fait que le secteur public constitue la principale porte d’entrée dans le secteur formel qu’il domine d’ailleurs. Or l’entrée dans le secteur public est conditionnée par le succès aux concours nationaux de la fonction publique. Du fait de la faiblesse de l’offre des emplois publics, les individus dotés d’un niveau d’éducation supérieure compétissent très souvent pour des postes requérant seulement le niveau secondaire. Ainsi ayant été recruté pour ces types de poste ces individus hautement qualifiés percevrons des revenus inférieurs aux revenus que pourrait offrir des postes correspondants à leur niveau d’éducation. Par ailleurs, dans le secteur public, les revenus ont plutôt tendance à augmenter avec les années d’expérience (ancienneté), les qualifications professionnelles qu’avec le niveau d’éducation classique (enseignement général). A propos du genre, les estimations montrent que les hommes ont tendance à percevoir de meilleurs revenus par rapport aux femmes. Aussi, la taille du ménage et le milieu urbain affectent positivement les gains espérés du salariat formel. Nous utilisons ces trois équations de gains pour prédire les revenus espérés de chaque travailleur (rémunéré) pour chaque catégorie professionnelle. Ensuite ces revenus sont inclus en tant que variables explicatives dans le modèle logit emboîté. 5.2 Les déterminants de l’auto-emploi informel opposé au salariat informel Comme le Tableau 1 (Annexe) le montre, le niveau d’instruction se révèle un des facteurs les plus importants de l’auto-emploi informel. En effet les niveaux d’éducation primaire et secondaire sont des variables significatives à 1% tandis que le niveau secondaire l’est à 5%. De plus tous les coefficients de ces Ce résultat pourrait être biaisé dû à la grande faiblesse du nombre des femmes dans le sous-échantillon des salariés de l’informel (seulement 0,4%) 10 10 variables capturant le niveau de qualification sont négatifs. De ce fait la probabilité de travailler à son propre compte dans l’informel (relativement au salariat informel) décroît avec le niveau d’éducation. A titre illustratif, acquérir le niveau d’éducation supérieur réduit de 5,73% la probabilité de l’auto-emploi informel tandis que le niveau secondaire la réduit de 7,18%. Rankin et al (2010) utilisant un modèle logit multinomiale aboutissent à des conclusions similaires. En se fondant sur le cadre théorique de la section 2, ces résultats sous-entendent que le salariat informel offre un revenu supérieur à celui de l’auto-emploi informel. Il faut rappeler que dans cette étude l’auto-emploi informel regroupe les indépendants et les patrons ou employeurs largement minoritaires. Il est donc évident que les salariés de l’informel ne sauraient acquérir une rémunération supérieure à celle de leurs employeurs. En fait, les employeurs préfèrent embaucher les individus qualifiés, du fait de leur productivité, en leur offrant des revenus relativement supérieures à celles de la majorité des indépendants de faible niveau d’instruction exerçant très souvent des activités de subsistance. En d’autres termes, les individus qualifiés victimes du rationnement de l’emploi dans le secteur formel, dépourvus de capital pour se lancer dans l’entreprenariat, ont tout de même des chances notables d’acquérir un emploi salarié dans les unités informelles les plus performantes. Concernant le genre, les femmes, relativement aux hommes, ont une probabilité plus forte de mener à leur propre compte des activités informelles conformément à l’idée soutenue par Do et Duchene (2008) dans le cas du Vietnam et de Kabubo-Mariara (2003) dans le cas du Kenya. En effet, être un homme réduit de 11,68% la probabilité d’être occupé dans l’auto-emploi informel. Dotées de faibles qualifications et soumises aux normes sociales, l’auto-emploi informel à travers les activités de restauration, de commerce de détail, demeure l’alternative la plus accessible pour les femmes de s’insérer dans le marché du travail. Contrairement à l’âge, la taille du ménage le statut matrimonial constitue un déterminant de l’auto-emploi informel. En effet, les individus mariés par rapport aux célibataires ont une probabilité plus forte de travailler à leur propre compte dans l’informel comme le trouvent Rees et Shah (1986). De même résider en milieu rural relativement au milieu urbain accroit la probabilité de l’auto-emploi informel. En fait, de petites unités de production artisanale, de commerce de biens alimentaires, de produits manufacturés prolifèrent dans les campagnes pour faire face à la vulnérabilité et à la saisonnalité des activités agricoles. Ces unités constituent généralement des installations de fortune et de subsistance. A propos des branches d’activités, travailler dans les industries et les services non financiers marchands accroît la propension à se retrouver dans l’auto-emploi informel relativement aux services financiers marchands. De même l’accès au crédit favorise la probabilité de l’auto-emploi par rapport au salariat informel. Cela se comprend aisément car la création d’une entreprise nécessite un minimum de capital qui pourrait être financé par le crédit. Concernant les variables captant l’accès aux services publics, seule la variable accès à l’eau potable est significative et semble réduire la probabilité d’être auto-employés dans l’informel. Enfin les individus bénéficiant de congés payés ont tendance à être des salariés de l’informel plutôt que des travailleurs à leur propre compte. La variable droit à la pension retraite ne constitue pas un déterminant pertinent de l’auto-emploi par rapport au salariat informel. Afin de mettre en relief les effets des gains espérés relatifs à l’auto-emploi informel (tout en minimisant le risque de colinéarité), nous réitérons les estimations du premier niveau du logit emboité en croisant les variables muettes appréhendant l’éducation par ces gains espérés. Cette réitération montre clairement que les revenus espérés associés à chaque niveau de l’éducation réduit la probabilité de l’auto-emploi par rapport au salariat informel. Par exemple, les revenus que peuvent espérer les individus dotés d’un niveau d’éducation supérieur en s’auto-employant réduit de 0,03% l’occurrence de l’auto-emploi informel. L’effet croisé gains espérés et niveau secondaire est également réducteur à hauteur de 0,05%. 5.3 Les déterminants du secteur informel opposé au secteur formel D’après le Tableau 2 (Annexe), le niveau d’éducation réduit la probabilité de travailler dans le secteur informel. Effectivement le niveau d’éducation supérieur réduit de 47,95% cette probabilité tandis que le niveau secondaire la réduit de 34.51%. Ainsi nous ne pouvons pas rejeter l’hypothèse découlant du cadre théorique de la section 2 qui stipule que le niveau d’éducation favorise les chances de travailler dans le secteur structuré. Kuepie et al, (2009), Rankin et al (2010), et NguetseTegoum (2009) aboutissent à des résultats semblables. Contrairement au milieu de résidence, à la taille du ménage, et au statut matrimonial, la tranche d’âge de 25-34 ans et le genre sont des déterminants pertinents du secteur informel. En fait, les individus ayant un âge compris entre 25 et 34 ans ont moins de chance de travailler dans le formel par rapport à ceux de 45 à 64 ans. De même les hommes ont plus de chance que les femmes d’accéder au secteur formel. Cela 11 pourrait s’expliquer par le désavantage des jeunes et des femmes en termes de qualification et d’expérience. Quant aux branches d’activités, œuvrer dans les services non financiers marchands (commerce) semble favoriser la probabilité de travailler dans l’informel relativement à la branche des services financiers marchands. En fait le commerce de détail limité au marché domestique constitue l’activité de prédilection des indépendants non agricoles. Par ailleurs, les variables mesurant l’accès aux services publics et au crédit n’ont pas d’effet significatif sur la propension à s’occuper dans l’informel. A l’opposé, les individus qui ont droit à des congés payés et à la pension retraite ont une faible probabilité de se retrouver dans le secteur informel. Ces résultats fortifient le « empowerment approach» qui stipule une certaine exclusion des acteurs de l’informel imputable à la faillite institutionnelle des gouvernements (Perry et al, 2007). Enfin l’effet croisé revenus espérés et éducation est positif et significatif sur la probabilité de travailler dans le formel. En effet les gains que peuvent espérer les individus dotés d’un niveau d’éducation supérieur si jamais ils travaillaient dans le secteur formel augmentent de 15,69% la probabilité de travailler dans ce secteur contre seulement 0,05% pour le niveau secondaire. Ainsi le secteur formel valorise le niveau d’éducation. 6. Conclusion Cette étude avait pour objectif général de mettre en évidence les déterminants du secteur informel au Burkina Faso. Spécifiquement, il s’agissait de mettre également en relief les facteurs de l’auto-emploi informel par rapport au salariat informel en croissance. Pour cela ce papier a développé un modèle théorique mettant en exergue le rôle primordial de l’éducation dans le choix des différentes catégories professionnelles. L’on montre ainsi que les individus les mieux qualifiés préfèrent le secteur formel qui pourvoie les catégories procurant les avantages pécuniaires et sociaux les plus élevés. Ensuite cette hypothèse a été testée empiriquement à travers un modèle logit emboîté utilisant les données de l’enquête annuelle sur les conditions de vie des ménages de 2007. Les résultats attestent que le niveau de l’éducation réduit la probabilité de travailler dans le secteur informel. Aussi dans le secteur informel, l’éducation tend à décroître la probabilité de l’auto-emploi informel au profit du salariat informel. Ainsi, les individus qualifiés n’ayant pas pu s’insérer dans l’économie formelle ont tout de même une chance considérable d’être embauchés par les patrons de l’informel. Ainsi, l’informel valorise également le capital humain à l’instar du secteur formel. Concernant le genre, les femmes ont relativement moins de chances de travailler dans le formel que les hommes. Mais dans l’informel, elles ont tendance à s’auto-employer qu’à être salariées. Quant au milieu de résidence, il révèle que l’auto-emploi informel devient de plus en plus un phénomène rural par rapport au salariat informel. Enfin, le droit à la protection sociale semble être réservé au secteur formel uniquement. 12 Annexe Tableau 1: Les déterminants de l’auto-emploi informel opposé au salariat informel Auto-emploi 15-24 ans 25-34 ans 35-44 ans 45-64 ans (ref) Genre Statut matrimonial Taille du ménage Aucun Niveau (ref) Niveau Primaire (1-6 ans) Niveau Secondaire (7-14 ans) Niveau Supérieur (+14) Milieu de résidence Industries SNFM SNM SFM (ref) Accès au crédit Accès au téléphone fixe Accès à l’électricité Accès à l’eau potable Accès à la pension retraite Accès à des congés payés Constante Number of obs = 1770 Wald chi2(19) =239,80 Prob> chi2 =0,0000 Pseudo R2 =0,2682 Log pseudolikelihood = -546,87291 Coefficients 0,0075017 (0,02) -0,1105696 (-0,47) -0.0596904 (-0,27) -4,522155 (-4,23***) 0,77483 (3,48***) 0,0305217 (0,84) -0,3813448 (-1,86*) -0.9259177 (-4.36***) -0.7310485 (-2.10**) -1.314027 (-4.10***) -4.10 (2.30**) 1.237836 (4.15***) 0.2941083 (0.85) 0,8456315 (2,49**) 0,0813634 (0,24) 0,2349714 (1,30) -0,5010378 (-1,71*) -0,6012056 (-1,34) -1.931864 (-6,90***) 6,112622 (5,34***) *** 1%;** 5%;* 10%. 13 Tableau 2: Les déterminants du secteur formel opposé au secteur informel Auto-emploi 15-24 ans 25-34 ans 35-44 ans 45-64 ans (ref) Genre Statut matrimonial Taille du ménage Aucun Niveau (ref) Niveau Primaire (1-6 ans) Niveau Secondaire (7-14 ans) Niveau Supérieur (+14) Milieu de résidence Industries SNFM SNM SFM (ref) Accès au crédit Accès au téléphone fixe Accès à l’électricité Accès à l’eau potable Accès à la pension retraite Accès à des congés payés Constante Number of obs =2513 Wald chi2(19) =647,89 Prob> chi2 =0,0000 Pseudo R2 =0,8274 Log pseudo likelihood =-263,3733 Coefficients -0,3950061 (-0,56) -0,8804565 (-2,27**) -0,5465154 (-1.49) (2,820918) (1,76*) (-0,6633913) (-1,78*) 0,1196081 (2,57**) 1,039589 (2,46**) 3,112254 (7,94***) 3,130433 (6,16***) 0,1210718 (0,25) -0,7271668 (-1,38) (-1,135806) (-2,17**) (0,7501837) (1,57) -0.2577847 (-0,77) -0,2212572 (-0,55) 1,132036 (3,40***) -0,1324575 (-0,31) 3,877862 (8,89***) 2.905785 (7,07***) 0,7150867 (1,99**) 0,2071439 (0,72) -8,410456 (-3,55***) *** 1%;** 5%;* 10%. : Valeur inclusive du nœud dégénéré du secteur formel : Valeur inclusive du nœud du secteur informel Les deux valeurs inclusives sont comprises dans l’intervalle [0-1] ce qui renforce la pertinence du modèle logit emboité. 14 Bibliographie Andrews D, Caldera S. 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