RSCA n°5 : Grossesse et précarité Actuellement en 5ème semestre de médecine générale, j’ai la chance de faire mon stage en SASPAS. Je suis chez deux médecins généralistes de ville, et j’ai également un tiers temps d’une journée en centre de planification. Cette journée se déroule dans un centre à la Goutte d’Or à Paris, où les enjeux de précarité occupent une place majeure. Ce planning se situe au sein d’un centre médical comprenant un centre de vaccination et une PMI. Ce jour-là, nous recevons une patiente qui n’avait pas pris rendez-vous, mais qui nous est adressée par la PMI où elle vient d’amener son fils de 9 mois en consultation. Elle a déclaré à la pédiatre avoir des douleurs abdominales ainsi que des métrorragies depuis la veille. Aussi, la pédiatre l’a adressée vers nous pour que nous l’examinions, d’autant plus que cette patiente est connue de la sage-femme de notre planning. Elle est accompagnée de sa maman, qui garde l’enfant en salle d’attente. Il s’agit d’une patiente de 23 ans, vivant à l’hôtel avec sa maman, sans emploi, ayant arrêté l’école en 3ème. Etant donné qu’il s’agit de sa première consultation, je reprends ses antécédents : absence d’antécédents médico-chirurgicaux, antécédents gynécologiques : G1P1, pas de prise de contraception, rapports sexuels jamais protégés. Elle est séparée du père de son enfant de 9 mois, dont elle indique qu’il la maltraitait physiquement et psychologiquement. Il est parti du domicile en volant les papiers d’identité de notre patiente afin qu’elle ne puisse pas déclarer l’enfant et qu’il ne soit pas reconnu comme le père. Depuis la naissance de son fils, elle est en couple avec un autre homme vivant en appartement social, travaillant dans la restauration. Elle nous explique que leurs rapports sexuels ne sont jamais protégés, mais qu’ils ont parlé ensemble du fait qu’ils garderaient l’enfant si elle venait à tomber enceinte. Concernant son motif de consultation, elle nous décrit des douleurs pelviennes EVA 3-4/10 depuis la veille, des traces de métrorragies, ainsi que des nausées. Nous lui demandons immédiatement la date de ses dernières règles, qui est le 10 septembre, alors que nous sommes le 1er décembre. Nous envoyons donc la patiente faire un test de grossesse urinaire. Celui-ci est positif, et la patiente semble contente. Nous réalisons une échographie afin d’évaluer si la grossesse est bien évolutive et intra-utérine, ce qui est le cas. Il y a bien un embryon avec une activité cardiaque, dont la mesure de la longueur cranio-caudale semble correspondre à un terme de 8 SA et 6 jours. Il n’y a par ailleurs pas de complication décelée à l’échographie. Nous en profitons pour réaliser une recherche de Chlamydia et Gonocoque en auto-prélèvement, qui reviendront positifs à Chlamydia quelques jours plus tard. Nous annonçons donc sa grossesse à la patiente, et lui programmons la suite de la prise en charge, à la fois médicale (prescription du bilan biologique de début de grossesse, traitement symptomatique des signes l’ayant amené à consulter), mais aussi sociale, par une prise de rendez-vous avec une conseillère conjugale et familiale du planning, ainsi qu’avec la sage-femme de notre planning qui la connaissait. Lorsqu’elle sort de notre bureau de consultation, elle annonce sa grossesse à sa maman, qui semble plus consciente que sa fille des difficultés que cela va provoquer. Suite à son prélèvement positif à Chlamydia, la patiente devait nous reconsulter pour son traitement, mais n’est pas venue à deux rendez-vous successifs. Elle a en revanche consulté notre sage-femme, qui m’a résumé leur consultation, et a pu éclaircir certains points que nous avions commencé à aborder : - Elle avait rencontré cette patiente lors de maraudes à la Gare du Nord avec une association d’aide aux femmes victimes de violences. Elle avait réussi, en nouant un lien de confiance au fil des rencontres, à faire consulter cette patiente pour son fils qui n’avait initié aucune prise en charge médicale. Le contexte social est précaire puisque cette patiente vit en hôtel via le SAMU social avec sa maman, et que ses démarches sociales sont difficiles étant donné qu’elle s’est fait voler ses papiers d’identité et ne les a pas refaits. - Le père de son premier enfant est en prison pour des faits de délinquances et a menacé à la sortie de récupérer l’enfant. Entre sa consultation du 1er décembre et celle où la sage-femme la revoit, le père du 2eme enfant dont la patiente est enceinte a lui aussi été incarcéré pour trafic de drogue. - La patiente souhaite poursuivre sa grossesse, aller en foyer maternel et reprendre une formation. J’ai choisi de développer ce cas en RSCA car il permet d’aborder un thème auquel j’ai été beaucoup confrontée durant mon internat et qui me tient à cœur : la précarité et sa gestion en médecine de ville. J’ai déjà abordé la thématique des violences faites aux femmes dans ma trace de ce semestre. Le deuxième axe traitera donc du suivi des grossesses en médecine générale, avec les éléments de suivi. Ce RSCA serait ainsi l’occasion de développer les deux axes suivants : 1) Axe 1, médical et administratif : Prise en charge de la grossesse en médecine de ville. Première consultation, prescriptions types : médicales, paramédicales et conseils de prévention ; Éléments administratifs à compléter ; Entretien prénatal ; Surveillance ; Compétences développées : → Premier recours, Urgences. → Continuité, Suivi, Coordination des soins. → Éducation en santé, Dépistage, Prévention individuelle et communautaire. 2) Axe 2, médico-psycho-social : Précarité en médecine générale. État des lieux de la précarité et de son retentissement sur la santé ; Éléments de repérage en cabinet ; Possibilités d’intervention et d’accompagnement : organismes, subventions, travailleur social. Compétences développées : → Approche globale, Complexité. → Approche centrée patient, Relation, Communication. → Professionnalisme. → Continuité, Suivi, Coordination des soins. → Éducation en santé, Dépistage, Prévention individuelle et communautaire. Axe 1, médical et administratif : Prise en charge de la grossesse en médecine de ville Le médecin généraliste a un rôle primordial dans la gestion des grossesses en villes. D’une part d’un point de vue médical, il est acteur de prévention dans le cadre des désirs de grossesse, mais aussi tout au long de leur suivi. Il peut répondre aux questions que se posent les femmes et les orienter en cas de besoin. D’autre part, il agit également en aidant les patientes dans leurs démarches administratives parfois compliquées. Suivre les patientes tout au long de leur grossesse permet d’établir un lien de confiance et ensuite de suivre l’enfant à naitre, ce qui permet une prise en charge globale de la famille. Voici donc une sorte de « carnet de route » à l’attention du médecin généraliste afin de prendre en charge de manière optimale une patiente au fil de sa grossesse. Partie 1 : Mesures Médicales 1) Désir de grossesse → La première étape de cette consultation pré-conceptionnelle est l’examen clinique : - Interrogatoire : Antécédents médico-chirurgicaux-obstétricaux personnels et familiaux Traitement(s) en cours Statut vaccinal Profession Recherche de facteurs de risques : facteurs sociaux et environnementaux, toxiques Statut gynécologique : Frottis de dépistage <3 ans ? Symptômes gynécologiques ? - Examen physique : Calcul de l’IMC (Poids/Taille²) Prise de la tension artérielle Palpation mammaire Palpation thyroïdienne → La seconde étape est la prescription d’examens complémentaires : - Systématiques : Groupe A, B, O, Rhésus Sérologie rubéole Sérologie toxoplasmose - À proposer : Sérologie hépatite B et hépatite C Sérologie varicelle si statut inconnu Sérologie VIH TPHA-VDRL TSH si signes cliniques évocateurs, ou contexte thyroïdien personnel ou familial FCV si dernier frottis > 3 ans → La troisième étape est la prescription/réévaluation médicamenteuse : Acide folique 0,4mg/j, à débuter à l'arrêt de la contraception, et à poursuivre jusqu'à 12 SA, permettant la prévention du Spina Bifida. En cas d’obésité (IMC>30), certaines recommandations préconisent d’augmenter la dose d’acide folique à 5mg/j. Ajustement des traitements pris au long cours, via la consultation du site du CRAT et le recours à un avis spécialisé au moindre doute. Vaccinations : aucun rappel vaccinal n'est nécessaire si la patiente : o Est à jour pour la rubéole ; sinon 2 doses de vaccin trivalent Rougeole-Oreillons-Rubéole sont recommandées (1 dose si patiente née avant 1980), à au moins 1 mois d’intervalle, chaque dose de ROR devant être suivie de 2 mois de contraception. o A présenté la varicelle : si sérologie négative, le schéma vaccinal comprend deux doses, espacées de 4 à 8 semaines (Varivax®) ou de 6 à 10 semaines (Varilix®). Toute grossesse doit être évitée dans le mois suivant la vaccination. o A été vaccinée à l'âge adulte et il y a moins de 10 ans contre la coqueluche. Il faut aussi vérifier que le futur père est aussi à jour pour la coqueluche (stratégie du cocooning) → La quatrième et dernière étape de cette consultation est de fournir à la patiente des informations utiles à la suite de sa grossesse : • Alimentation et activité physique : proposer une alimentation variée et équilibrée associée à une activité physique régulière. Des conseils visant à prévenir la listériose et le cas échéant la toxoplasmose doivent être donnés. En cas de surpoids, augmenter l’activité physique associée au suivi de conseils diététiques. En cas d’obésité, de grande maigreur voire d’anorexie, compléter le recueil d’informations et l’examen clinique et proposer une prise en charge adaptée. • Automédication : souligner les risques de l’automédication et expliquer à la femme que la prise de médicaments sans prescription est déconseillée dès que le projet de grossesse est envisagé. • Alcool : en cas de consommation régulière, compléter le recueil d’informations et proposer des modalités de sevrage si besoin. En cas de consommation, arrêter la prise d’alcool dès le début de la grossesse. • Tabac (consommation active et passive) : proposer une aide au sevrage tabagique si besoin. Souligner les effets négatifs du tabac sur le développement de l’enfant durant la grossesse et expliquer au couple l’intérêt de cesser de fumer avant la grossesse. • Cannabis et autres substances psychoactives : identifier l’ensemble des consommations (produits, doses), compléter le recueil d’informations et l’examen clinique et proposer une aide au sevrage. • Pénibilité du travail, risques professionnels : connaître le métier et le poste de travail de la patiente, la distance entre le domicile et le travail. Déterminer l’exposition éventuelle à des produits tératogènes en prenant contact avec le médecin du travail si besoin. • Recherche des situations de précarité : identifier des difficultés d’accès aux soins, un isolement social, un emploi précaire, ou encore un risque d’exposition au plomb. Compléter le recueil d’informations et proposer à la patiente ou au couple de les orienter vers des dispositifs visant à améliorer l’accès aux soins et l’accompagnement psychosocial. • Recherche des situations de maltraitance, de violence domestique ou autres facteurs de vulnérabilité pouvant être source de difficultés ultérieures : mettre la femme en confiance afin qu’elle puisse s’exprimer en toute liberté lors d’un entretien singulier si possible. 2) Première consultation de début de grossesse : idéalement avant 10 SA → Renouveler l’examen clinique en reprenant les énoncés de la consultation pré-conceptionnelle, et en cherchant des signes sympathiques de début de grossesse et d’éventuelles complications. → Prescrire les examens biologiques adaptés : - Confirmer la grossesse : test de dosage quantitatif de Béta-HCG sériques en laboratoire, remboursé par l’assurance maladie. - Réaliser le bilan pré-conceptionnel si non fait au préalable (Toxoplasmose, Rubéole, Groupe Rhésus RAI, TPHA-VDRL, Protéinurie Glycosurie, VIH, NFS). - Ajouter à ce bilan le dépistage combiné de la trisomie 21 à faire entre 11 SA et 13 SA+6j (PAPP-A et B HCG libre), avec signature d’un formulaire de consentement. En fonction des facteurs de risque identifiés, il faudra également ajouter : Electrophorèse de l’hémoglobine chez femme originaires d’Afrique, du pourtour méditerranéen, des Antilles Glycémie à jeun si facteurs de risque de diabète gestationnel (antécédent personnel de diabète gestationnel, antécédent d’enfant macrosome > 4kg, antécédent de diabète chez les apparentés au 1er degré, IMC > 25, âge > 35 ans) TSH si signes cliniques évocateurs, ou contexte thyroïdien personnel ou familial Plombémie si risque d’exposition au plomb. - Prescrire l’échographie du 1er trimestre, à faire entre 11 SA et 13 SA + 6 jours → Prescrire les médicaments adaptés : - Poursuivre la prescription d’acide folique jusqu’à 12SA ; - Pour les nausées, on peut prescrire du Donormyl, qui agit bien sur les nausées gravidiques ; - Si une anémie est détectée, prescrire une supplémentation en fer de 30 à 60 mg/j et prévoir une nouvelle NFS de contrôle 6 semaines plus tard ; - Prévoir une vaccination antigrippale en période d’endémie ; - Proposer une contention veineuse en cas d’œdèmes invalidants, le plus souvent de classe 2. → Remettre à la patiente un “calendrier de grossesse”, avec les dates clés de sa grossesse (date d’accouchement, des échographies et autres examens complémentaires, congés...) : un modèle est disponible à l’adresse suivante : https://www.mgfrance.org/images/utilitaires-medicaux/calendrier-grossesse.htm → Donner à la patiente les feuilles d’information sur la prévention de la Toxoplasmose et Listériose. Toutes ces fiches d’information sont disponibles via le lien suivant : http://gestaclic.fr/public/pdf/fiches-conseils-gestaclic.pdf 3) Suivi de la grossesse en ville Le suivi se fait via 7 consultations prises en charge à 100%. Le guide ci-dessous reprend les éléments de suivi à surveiller : Partie 2 : Mesures administratives Au-delà de la partie purement médicale, le médecin généraliste aide la patiente dans ses démarches administratives, et l’assiste pour faire valoir ses droits. 1) Déclaration de grossesse La déclaration à la Sécurité Sociale et à la CAF se fait avant la fin du 3ème mois (14 semaines) de grossesse : deux feuillets roses pour la CAF, un feuillet bleu pour la CPAM. La salariée enceinte n'est pas obligée de révéler son état de grossesse à l'employeur : le Code du Travail rend obligatoire cette annonce uniquement avant de partir en congé de maternité. Néanmoins, certains avantages étant accordés à la salariée enceinte, cette annonce précoce peut être utile pour bénéficier de droits spécifiques à l'état de grossesse. Il existe par ailleurs des restrictions au licenciement de la femme enceinte. 2) Congé maternité Les durées légales de congé de maternité dépendent des enfants composant la famille avant l'accouchement et du nombre d'enfants à naître : Le congé prénatal Sa durée est de 6, 10, 12 ou 24 semaines, comme visible dans le tableau ci-dessus. La période prénatale peut être augmentée de deux semaines sans justification médicale, mais le congé postnatal sera réduit d'autant. Le congé prénatal augmentable de quatre semaines en cas de naissance de jumeaux et plus, avec les mêmes conditions de possibilité de report. La durée minimale du congé est de 8 semaines (2 semaines avant l'accouchement et 6 semaines après). En cas d'accouchement avancé par rapport à la date prévue, les jours non-utilisés sont reportés en post-natal sans dépasser le nombre total de semaines autorisées sauf indication médicale. En cas d'accouchement tardif (accouchement survenant après la date prévue) les jours supplémentaires ne sont pas déduits du congé postnatal. Le congé postnatal Il débute dès l'accouchement. Sa durée est de 10, 18 ou 22 semaines selon les cas et sa durée minimale est de 6 semaines. Un report des semaines prénatales non-utilisées (accouchement précoce, souhait de la mère) peut être fait en postnatal sans dépasser la durée légale sauf indication médicale. Ce congé peut être reporté à la fin de la 6ème semaine post-accouchement en cas d'hospitalisation de l'enfant. Le congé pour grossesse pathologique Un état pathologique lié à grossesse donne le droit à un congé supplémentaire de 14 jours. Il est à prendre obligatoirement avant la date prévue de l'accouchement, par exemple avant les 6 semaines du congé prénatal et ne peut pas être reporté après l'accouchement. Ce congé peut être pris dès la déclaration de grossesse. Il est établi sur prescription médicale et est rémunéré et comptabilisé en congé de maternité. Le congé pour suites de couches pathologiques Il persiste un flou important à propos de ce congé, les textes de loi ne sont pas clairs mais énoncent : "en cas d'état pathologique attesté par un certificat médical, le congé de maternité peut-être prolongé de 2 semaines avant la date prévue de l'accouchement et de 4 semaines après celui-ci”, lié à des suites d'accouchement ayant perturbé la santé de la mère. Il peut être pris dans les 3 ans qui suivent l'accouchement. Il est également établi uniquement sur prescription médicale et ne fait pas partie du congé de maternité proprement dit. Il n’y a pas de délai de carence (les 3 premiers jours sont payés) si l'arrêt débute le lendemain de la fin du congé de maternité (sans reprise de travail) et l'assurée percevra des indemnités journalières de maladie (et non en maternité) Le congé pour allaitement Il n'est plus reconnu par la Sécurité Sociale et ne justifie pas un congé. En revanche, l'allaitement est autorisé sur le lieu de travail et la mère dispose alors d'une heure par jour durant ses horaires de travail, pendant jusqu’à un an après l'accouchement. Conclusion Le médecin généraliste peut donc être un acteur majeur du suivi des femmes enceintes, véritable pilier de prévention mais aussi de premier recours si nécessaire. Il fait aussi le lien entre la ville et l’hôpital et aide la patiente dans ses démarches. On comprend bien par l’exemple de ce RSCA que dans certains cas où les patientes sont en situation de forte précarité, le suivi des femmes à risque doit être d’autant plus rapproché, et se faire au sein d’une équipe pluridisciplinaire médico-psycho-sociale avec sages-femmes, assistantes sociales, ou encore conseillères conjugales et familiales. Ce maillage pluridisciplinaire permettra d’entourer au mieux la patiente et de détecter précocement toute situation à risque. Sources - Fiches d’information HAS : http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2010-01/projet_de_grossesse_informations_ messages_de_prevention_examens_a_proposer_-_fiche_de_synthese.pdf http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/infos_femmes_enceintes_rap.pdf http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/suivi_orientation_femmes_enceintes_synthe se.pdf - Droits et prestations sociales « Un enfant arrive dans votre foyer ». Assurance maladie : www.ameli.fr - Caisse d’allocations familiales : www.caf.fr - Site Gestaclic : http://gestaclic.fr/ - Calendrier de grossesse : https://www.mgfrance.org/images/utilitaires-medicaux/calendrier-grossesse.htm - Thèse “Suivi de grossesse par le mé~decin généraliste : expériences et vécus des femmes” : http://docnum.univ-lorraine.fr/public/SCDMED_T_2010_YILDIZ_HABIBE.pdf - Consultations de suivi : http://inpes.santepubliquefrance.fr/CFESBases/catalogue/pdf/1310-4c.pdf Axe 2, médico-psycho-social : Précarité en médecine générale. Durant mon internat, j’ai pu travailler dans des hôpitaux comme Nanterre ou Saint-Denis dans lesquels la gestion de la précarité dans les soins occupait une place importante. Actuellement en SASPAS notamment à Stalingrad et à la Goutte d’Or à Paris, j’ai aussi pu gérer des consultations avec des patients socialement fragiles, et en tire une expérience pour ma future pratique. La précarité de nos patients est souvent sous-estimée en médecine générale. Pourtant, il s’agit d’un facteur majeur de santé, et son évaluation et l’aide à sa prise en charge permettent d’améliorer les conditions de vie et l’état de santé des patients. Le médecin peut être un acteur majeur d’amélioration de ces conditions de vie, en agissant via un réseau pluridisciplinaire. Il faut néanmoins pour cela qu’il se donne les moyens, de l’évaluer puis savoir comment agir. Cet axe de RSCA va donc s’attacher à faire dans un premier temps un état des lieux de la précarité et de son retentissement sur la santé, puis recenser les éléments de repérage en cabinet et enfin les moyens d’actions du médecin. Partie 1 : État des lieux de la précarité et de son retentissement sur la santé 1) Définition La précarité est l’absence d’une ou plusieurs des sécurités permettant aux personnes et familles d’assumer leurs obligations professionnelles, familiales et sociales, et de jouir de leurs droits fondamentaux (logement, emploi, niveau scolaire, santé). L’insécurité qui en résulte peut être plus ou moins étendue, et avoir des conséquences plus ou moins graves et définitives. Elle conduit à la grande pauvreté quand elle affecte plusieurs domaines de l’existence, qu’elle devient persistante, qu’elle compromet les chances de réassumer ses responsabilités et de reconquérir ses droits par soi-même, dans un avenir prévisible. Les inégalités sociales de santé (ISS) correspondent aux différences d’état de santé observées entre des groupes sociaux. Elles font référence aux liens observés dans la relation entre l’état de santé d’un individu et sa position sociale selon des indicateurs comme ses revenus, son niveau d’études ou encore sa profession. Les ISS concernent toute la population selon un gradient social. Dans tous les pays où les inégalités sociales sont bien mesurées, chaque catégorie sociale présente un niveau de mortalité et de morbidité plus faible que le groupe social inférieur. 2) Concept de charge allostatique (CA) Ce concept renvoie à l’idée d’une usure biologique globale, découlant de l’adaptation à l’environnement via les systèmes de réponse au stress. La CA représente ainsi le prix payé par l’organisme au cours du temps pour s’adapter aux demandes de l’environnement. En pratique, il correspond à une mesure composite de divers systèmes physiologiques. Il permet de prédire la santé future de manière meilleure que chacun des biomarqueurs la composant pris séparément, ou que d’autres scores composites comme le syndrome métabolique. Le stress lié à la précarité est un facteur majeur d’usure biologique. 3) Retentissements Le retard d’accès aux soins et la difficulté d’observance conduisent à une aggravation de pathologies qui auraient pu être traitées à un stade précoce sans complication au long cours. Parmi les pathologies les plus importantes, on peut noter : - la mauvaise prise en charge des maladies chronique comme le diabète ou l’hypertension artérielle, avec augmentation du risque cardio-vasculaire ; - les troubles métaboliques liés aux carences et à la dénutrition ; - les pathologies psychiatriques, venant parfois sur un terrain pré-existant, souvent liées à l'état d'exclusion ou de précarité, secondaires à l'abus de substances psychoactives et des conduites addictives. Il existe aussi ce que l’on appelle le “syndrome d’exclusion” : honte (repli sur soi), désespérance (état dépressif) et inhibition affectivo-cognitive (déni de sa précarité) ; - les pathologies infectieuses, notamment virales type IST (VIH, Syphilis ou Hépatites) ou Tuberculose, souvent détectées à un stade tardif ; - les pathologies rhinopharyngées et broncho-pulmonaires, liées au tabagisme ou associées aux conditions de vie, notamment en période hivernale ; - les problèmes dentaires pouvant se compliquer d’infections ; - les pathologies dermatologiques : gale, pédiculose, plaies, ulcères ; - les pathologies de la cellule familiale, avec une fréquence plus élevée de violences, divorce, maltraitance infantile ou encore délinquance. Partie 2 : En pratique en cabinet 1) Éléments de repérage : → Triple évaluation globale : médico-psycho-sociale Une évaluation du patient est possible sur ces trois axes : -Sociale : emploi (présence ou non, type, stabilité, pénibilité), formation (études, langues parlées), logement (présence ou non, type, salubrité), revenu, entourage familial/support social, couverture maladie et éventuellement situation administrative pour les étrangers -Médicale classique : interrogatoire, examen clinique et paraclinique -Psychologique : rechercher un trouble dépressif, anxieux, une addiction ou encore une vulnérabilité psychologique (estime de soi, attention portée à sa santé) → le Score EPICES Ce score d’Évaluation de la Précarité et des Inégalités de santé dans les Centres d’Examens de Santé (EPICES) est un indicateur individuel de précarité qui prend en compte le caractère multidimensionnelle de la précarité. Ce score a été construit en 1998 à partir d’un questionnaire de 42 questions qui prenait en compte plusieurs dimensions de la précarité : emploi, revenus, niveau d’étude, catégorie socio-professionnelle, logement, composition familiale, liens sociaux, difficultés financières, évènements de vie, santé perçue. Les méthodes statistiques d’analyse factorielle des correspondances et de régression multiple ont permis de sélectionner, parmi les 42 questions, 11 questions qui résument à 90% la situation de précarité d’un sujet. La réponse à chaque question est affectée d’un coefficient, la somme des 11 réponses donne le score EPICES. Le score est continu, il varie de 0 : absence de précarité, à 100 : maximum de précarité. Le seuil de 30 est considéré comme le seuil de précarité selon EPICES. Il ne s’agit bien entendu pas de réaliser ce questionnaire à chaque patient, mais d’être vigilent à ses différentes questions lorsque l’on suspecte un problème de précarité, sous formes de questions intégrées à l’examen clinique et donc non stigmatisantes. 2) Freins à la prise en charge du patient précaire en cabinet Selon une thèse de médecine générale s’intéressant à la prise en charge des patients précaires, la principale difficulté pointée par 2/3 des médecins était celle d’avance de frais pour les consultations spécialisées et les examens complémentaires, suivie de façon presque équivalente par l’éducation hygiéno-diététique (58,2 % des médecins) et les problèmes de communication (54,8 %), avant les pathologies chroniques (49,6 %), les soins dentaires (47,4 %) puis la pathologie psychiatrique (42 %) et les addictions (42 %). Partie 3 : Possibilités d’intervention et d’accompagnement. La loi du 29 juillet 1998 a initié des programmes de lutte contre les exclusions, à travers les Programmes Régionaux d’Accès à la Prévention et aux Soins (PRAPS) qui proposent notamment la mise en place des Permanences d’Accès aux Soins de Santé (PASS). Elle est à l’origine de la Couverture Maladie Universelle (CMU) et de l’Aide Médicale d’État (AME), puis de l’Aide Complémentaire Santé (ACS) en 2004. La mise en application de ces programmes a été relayée par les Agences Régionales de Santé (ARS), dans le cadre de la loi HSPT du 21 juillet 2009. Cette dernière partie va s’attacher à présenter brièvement ces différents moyens d’actions permettant d’aider les patients précaires : 1) Dispositifs médico-sociaux → Consultations PASS : Permanence d’Accès aux Soins de Santé Elles comprennent permanences de consultations variées, adaptées aux personnes en situation de précarité, visant à faciliter leur accès au système de santé, et à les accompagner dans les démarches nécessaires à la reconnaissance de leurs droits. En cas de nécessité, il y a possibilité de prise en charge des consultations externes, des actes diagnostiques et thérapeutiques ainsi que des traitements qui sont délivrés gratuitement. → CeGIDD : Centre Gratuit d’Information, de Dépistage et de Diagnostic des infections par les virus de l’immunodéficience humaine, des hépatites virales et des infections sexuellement transmissibles. → CLAT : Centre de Lutte Anti-Tuberculeuse, avec dépistage et délivrance des médicaments. → Centre de Vaccinations : vérification et délivrance des vaccinations. → PMI : Protection Maternelle et Infantile, permettant un accompagnement des femmes enceintes, prévention et éducation des parents et enfants de moins de 5 ans. → CPEF : Centre de Planning Familial, proposant un accès à la contraception et à la gynécologie. → EMPP : Équipes Mobiles Psychiatrie-Précarité, qui interviennent à l’extérieur des établissements, au plus près des lieux de vie des personnes défavorisées et des acteurs sociaux qui les suivent. Elles peuvent ainsi accompagner ces personnes dans leurs parcours de soins mais également former et conseiller les acteurs sociaux pour leur permettre de mieux appréhender les troubles psychiques ou les situations de détresse sociale. 2) Aides financières Elles sont composées d’allocations et d’aides à la couverture médicale → Allocations : minima sociaux - Le RSA : Revenu de Solidarité Active Il se substitue au RMI depuis 1999. Il peut être versé à toute personne âgée d'au moins 25 ans résidant en France, ou sans condition d'âge pour les personnes assumant la charge d'au moins un enfant né ou à naître, ou ayant travaillé au moins deux années au cours des trois dernières années. - L’APA : Allocation Personnalisée à l'Autonomie Destinée aux personnes âgées d'au moins 60 ans, résidant en France de manière stable et régulière, ayant besoin d'une aide pour l'accomplissement des actes essentiels de la vie ou dans un état nécessitant une surveillance régulière (groupes 1 à 4 de la grille Aggir). - L’AAH : Allocation Adulte Handicapé Destinée aux adultes à partir de 20 ans résidant de façon permanente en France, dont les ressources ne dépassent pas un plafond annuel, et atteints d'un taux d'incapacité permanente d'au moins 80%. → Couverture médicale - la CMU : Couverture Maladie Universelle de base Elle permet l'accès à l'Assurance Maladie pour toute personne, quelle que soit sa nationalité, résidant en France de façon stable (depuis plus de 3 mois) et régulière, avec ou sans domicile fixe, et qui n'est pas déjà couvert par un régime de Sécurité sociale à un autre titre (professionnel ou ayant-droit). - CMU-c : CMU complémentaire Définition : La CMU-c offre une protection maladie complémentaire gratuite aux personnes disposant de faibles ressources. Elle couvre les dépenses restant à charge après l’intervention des régimes de base de la Sécurité sociale. Conditions d’éligibilité : elle est accordée pour un an et doit être renouvelée chaque année. Pour bénéficier du dispositif, il faut être en situation régulière et stable sur le territoire français et disposer de ressources inférieures à 720 euros mensuels. Dépenses prises en charge : - tiers-payant : dispense d’avance des frais - prise en charge du ticket modérateur (100%) - prise en charge du forfait hospitalier journalier - exonération de la participation forfaitaire de 1 euro - l’ACS : Aide au Paiement d’une Complémentaire Santé C’est une aide qui ouvre droit à une réduction sur le montant de la cotisation à une complémentaire santé, et concerne toutes les personnes dont les ressources sont faibles, mais légèrement supérieures au plafond fixé pour l'attribution de la CMU-c. Son coût varie en fonction de l’âge du bénéficiaire. L'ACS donne droit : - au bénéfice des tarifs médicaux sans dépassement d'honoraires ; - à la dispense totale d'avance des frais pour vos dépenses de santé ; - à l'exonération de la participation forfaitaire de 1 € et des franchises ; - aux tarifs sociaux de l'électricité et du gaz. - l’ AME : Aide Médicale d'État Elle donne droit à la prise en charge des dépenses de santé pour toute personne étrangère en situation irrégulière et résidant en France depuis au moins 3 mois de manière ininterrompue, ayant des ressources inférieures à un plafond annuel de référence (environ 8500 Euros). La date d'ouverture du droit est la date de dépôt de la demande. L'AME est accordée pour une durée d'1 an, renouvelable. Conclusion Malgré la grande offre de mesures que nous venons de voir (CMU, AME, PASS...), le renoncement aux soins ne cesse d’augmenter pour atteindre près d’un français sur cinq. Il apparait que les difficultés d’accès aux soins sont liées au manque de diagnostic et de prise en compte par les médecins généralistes de la précarité et des structures médico-sociales existantes, qui ne savent pas vers quelles structures adresser et donc comment aider au mieux le patient. Une plus large diffusion des informations est donc essentielle pour aider à une meilleure prise en charge des patients précaires, afin que le médecin généraliste puisse aider au mieux ces patients. Les autres moyens d’actions du médecin sont de se constituer un réseau au sein duquel il pourra adresser ses patients dans le besoin : assistance sociale (via la mairie ou un hôpital), circuit de soins sans dépassement d’honoraire et acceptant les CMU et AME (dentistes, confrères médecins...). Il peut aussi, si besoin, contacter un service de traduction pour palier à la barrière de la langue. Enfin, il est indispensable de réévaluer fréquemment les conditions de vie de nos patients, et de les réinterroger notamment sur leur profession/scolarité, logement, situation maritale, leur couvertures maladies et ressources actuelles ou aides déjà mises en place, afin de pouvoir les aider si besoin, et, le cas échéant, pratiquer le tiers-payant ou encore adapter le prix des consultations. Sources - Score EPICES : http://gemto.free.fr/gemstoprecarite18dec07epicesbeh14-2006.pdf - Ouvrage sur les inégalités de santé : https://www.cairn.info/innover-contre-les-inegalites-de-sante--9782810900794.htm - Thèse “Le patient précaire au cabinet de médecine générale : le point de vue des généralistes ayant une expérience de soins auprès des populations précaires” : https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-01063596/document - BEH sur la précarité : http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2005/43/beh_43_2005.pdf et BEH n°16-17 de juin 2016 “Les inégalités de santé au carrefour de la veille, de la prévention et de la recherche” : http://invs.santepubliquefrance.fr//beh/2016/16-17/index.html - Site internet du CNLE (Conseil National de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale) : http://www.cnle.gouv.fr/Sante-et-precarite.html - Dossier Solidarité Santé : Renoncement aux soins pour raisons financières (N°66, Juillet 2015) : https://www.cmu.fr/fichier-utilisateur/fichiers/DREES_DossiersSolidarite_n66.pdf CONCLUSIONS DU RSCA 1) Diagnostic de situation Découverte de grossesse chez une patiente de 23 ans dans un contexte de précarité. Enjeux de l’annonce du diagnostic et de l’alliance thérapeutique pour une prise en charge bio-médico-psycho-sociale la plus optimale possible. 2) Compétences développées → Premier recours, Urgences : Il a fallu ajouter d’un créneau d’urgence pour voir cette patiente qui n’avait pas rendez-vous, mais dont les symptômes étaient inquiétants, et gérer l’incertitude diagnostique initiale devant les douleurs abdominales de la patiente. Après le diagnostic de la grossesse par Bhcg urinaires, l’échographie pelvienne réalisée en urgence a permis d’éliminer une grossesse extra-utérine. → Approche centrée patient, Relation, Communication. Après la réalisation du diagnostic de la grossesse est venu le temps de l’annonce à la patiente. Il a alors fallu trouver les mots compréhensibles et adaptés pour communiquer au mieux avec la patiente et sa maman, avec un temps d’écoute active et empathique puis de réponse aux questions des deux femmes. C’est alors que nous avons repris les conditions de vie de cette patiente en tentant d’identifier les actions d’aides qui pouvaient être mises en place, via la mise en contact avec les conseillères conjugales et familiales du planning. → Approche globale, Complexité. Ce cas illustre parfaitement la notion de prise en charge globale du patient : ne pas seulement faire le diagnostic de grossesse mais savoir dans quelles conditions cette dernière sera menée, via la prise en compte des dimensions psycho-sociales. C’est ce qui fait la complexité mais la beauté de notre métier de médecin généraliste : ne pas être limité à la prise en charge d’un organe ou d’une pathologie mais voir le patient dans sa globalité, en synthétisant les données recueillies et en proposant une prise en charge adaptée au patient et à ses conditions de vie. → Continuité, Suivi, Coordination des soins. Un des points importants de la prise en charge de cette patiente était réussir à garder la patiente dans un réseau de soin, afin que sa grossesse soit suivie au mieux. Il fallait donc assurer la continuité des soins avec les autres professionnels de santé utiles au suivi de sa grossesse, en collaborant avec les partenaires médico-sociaux au sein d’un réseau ville-hôpital. → Éducation en santé, Dépistage, Prévention individuelle et communautaire. La grossesse de cette patiente faisait suite à des rapports non protégés avec un partenaire de statut sérologique inconnu, il a donc fallu aborder avec la patiente la notion de dépistage des infections sexuellement transmissibles. Nous avons aussi été vigilantes à dépister la notion de violences, ce qui n’était plus le cas chez cette patiente puisque ses rapports avec le père du futur enfant étaient bons. Il a aussi fallu expliquer à la patiente les principales étapes du suivi normal d’une grossesse, en lui proposant une sorte de projet de soins, permettant de construire une alliance thérapeutique avec elle et ainsi ne pas la perdre de vue. → Professionnalisme. Au fil de l’internat, j’ai pu progresser dans l’acquisition des compétences citées ci-dessus, en continuant de me former et de réévaluer ma pratique afin d’essayer d’acquérir les compétences permettant de gérer au mieux des cas complexes comme celui-ci. 3) Conclusion Nous avons réussi à établir un lien de confiance avec la patiente, qui a continué son suivi au planning familial puis à l’hôpital. Sa grossesse se déroulait bien lors de la dernière consultation début avril 2016, et une place en foyer mère-enfant avait même été trouvée. C’est dans des situations comme celles-ci que l’on mesure l’importance de cette prise en charge globale afin d’offrir les meilleures chances aux patients.