Collection « Dossiers Sciences Humaines et Sociales» dirigée par Isabelle GARABUAu-MouSSAOUI Série « Consommations et sociétés» Sous la direction de Eric REMY, Isabelle GARABUAU-MouSSAOUI, Dominique DESJEUX, Marc FILSER SocIErFB,CONSOMMATIONETCONSOMMATEURS Marketing et sciences sociales à la rencontre de la consommation Sélection d'articles issus des lères Journées Normandes de Recherche sur la Consommation « Sociétés et consommation» Rouen -26 et 27 mars 2002 L'Harmattan 5-7, rue de l'École-Polytechnique 75005 Paris FRANCE L'Harmattan Hongrie Hargita u. 3 1026 Budapest HONGRIE L'Harmattan Italia Via Bava, 37 10214 Torino ITALIE La série «Consommations et sociétés» souhaite développer les approches pluridisciplinaires sur la consommation et l'interculturel. Elle fonctionne sous forme de cahier, avec un comité de lecture qui sélectionne les articles, autour d'un thème construit par un (ou des) coordinateur(s). Responsable: Dominique Desjeux Comité de lecture et d'aide à la rédaction Olivier Badot (Paris), Anne-Sophie Boisard (Guangzhou, Paris), Sophie Bouly de Lesdain (Paris), Mathilde Bourrier (Paris), Sophie Chevalier (Besançon, Paris), Laure Ciosi-Houcke (Marseille), Fabrice Clochard (Paris), Frank Cochoy (Toulouse), Séverine Dessajan (Paris), Nicoletta Diasio (Strasbourg, Rome), Judith Ferrando y Puig (Paris), Gérald Gaglio (Paris), Isabelle Garabuau- Moussaoui (Paris), Stéphanie Giamporcaro-Saunière (Paris), Isabelle Hanifi (Montréal, Paris), Ray Hom (Paris, Tampa), Nicolas Hossard (Paris), Pascal Hug (Paris), Magdalena Jarvin (Paris, Suède), JeanFrançois Lemoine (Nantes), Jean-Sébastien Marcoux (Montréal), Olivier Marty (Paris), Anne Monjaret (Paris), Elise Palomares (Paris), Magali Pierre (Paris), Eric Remy (Rouen), Mélanie Roustan (Paris), Christine Sitchet (NewYork), Nina Testut (Paris), Karen Twidle (Paris, Londres), Yang Xiao-Min (Paris-Guangzhou). Réseau international, scientifique et professionnel Isabel Andreen (Grande Bretagne), Eric Arnould (Etats-Unis), Soren Askegaard (Danemark), Gary Bamossy (Etats-Unis), Russel Belk (EtatsUnis), Ampelio Bucci (Italie), Jean-Pierre Corbeau (France), Bernard Cova (France), Sophie Dubuisson-Quellier (France), Mary Douglas (GrandeBretagne), Guliz Ger (Turquie), Georges Hénault (Canada), Isabelle Favre (Australie), Marc Filser (France), Tine Vinje François (Danemark), Karim Kacem (France), Brigitte Grandjean (France), Benoit Heilbrunn (France), Patrick Hetzel (France), David Howes (Montreal), Alexandre Mallard (France), Eric Marchandet (France), Mohamed Mebtoul (Algérie), Joël Meissonier (Istanbul, Paris), Daniel Miller (Grande-Bretagne), Jean-Philippe Neuville (France), Mark Neumann (Etats-Unis), Emmanuel Ndione (Sénégal), Isabelle Orhant (France), Lionel Panafit (France), Bruno Péquignot (Paris), Jean-Pierre Poulain (France), Georges Ritzer (Etats-Unis), Agnès Rocamora (Grande Bretagne), Jean-Claude Ruano-Borbalan (France), Annick Sjogren (Suède), Don Slater (Grande Bretagne), Anne Valendru (Grande-Bretagne), Jean-Pierre Warnier (France), Zheng Lihua (Chine). Pour toute proposition de publication écrire à : Dominique Desjeux - Tél: 01.42.23.56.25 E-mail: [email protected] ou Isabelle Garabuau-Moussaoui : [email protected] Cette série est publiée avec le concours du Magistère de Sciences Sociales de Paris 5. SOMMAIRE 9 PRESENTATION DES AUTEURS INTRODUCTIONS Vingt ans de recherche consommateur Marc Filser La consommation en sociétés DominiqueDesjeux PREMIERE P ARTIE - REGARDS CROISES en comportement du 15 21 SUR LA CONSOMMATION Le marketing élargi à la sphère sociale Angélique Rodhain Une anthropologie 41 Isabelle Garabuau-Moussaoui DEUXIEME PARTIE - GROUPES ET CONSOMMATIONS Groupes de référence et communautés sur Internet: Quels modes d'influence interpersonnelle au sein des groupes de discussion? RenaudGarcia-Bardidia Pourquoi parler de tribus qui consomment? Bernard Cova TROISIEME 29 par la consommation PARTIE -CONSOMMATIONS 57 69 D'EXPERIENCES Les modalités de l'appropriation de l'expérience de consommation: le cas du tourisme urbain RichardLadwein Les supporters de football: De grands consommateurs de symboles ChristianDerbaix,AlainDecrop,OlivierCabossart La valorisation de l'expérience de restauration horsdomicile: l'apport des théories de la recherche de variété et du réenchantement Lucie Sirieix,Marc Filser L'expérience de consommation de spectacles vivants: de nouvelles perspectives de recherche DominiqueBourgeon,PatrickBouchet,MathildePulh CONCLUSION Joël Brée 85 99 113 127 143 COMPTE-RENDU De l'ouvrage Alternatives Marketing Par OlivierBadot 147 PRESENTATION DES AUTEURS Olivier BADOTest Professeur à ESCP-EAP et chercheur au centre de recherche spécialisé en distribution et commerce électronique de cette même école, le CERIDICE. Il est également Fellow au Centre on Governance de l'Université d'Ottawa et chercheur associé au CERLIS (Université René Descartes-Paris V Sorbonne/CNRS). Patrick BOUCHET est Maître de Conférences à l'Université de Bourgogne. Ses thématiques de recherche sont axées sur la compréhension des comportements dans le domaine de la consommation récréative, notamment dans les domaines des loisirs et du tourisme sportifs. Dominique BOURGEON-RENAULTest Professeur en Sciences de Gestion à l'Université de Franche-Comté, membre permanent du CURE GE, et membre associé du CERMAB (LATEC - Université de Bourgogne). Ses centres d'intérêt concernent le comportement du consommateur et le marketing des activités de services, particulièrement dans le domaine des arts et de la culture. Joël BREE est Professeur à l'Université de Caen et au groupe ESC Rouen Directeur du CIME (Caen-Innovation-Marché-Entreprise) et de l'IREM (Institut de REcherche et d'Etudes Marketing). E-mails:[email protected]@esc-rouen.fr Olivier CABOSSART est assistant-chercheur au département marketing des Facultés Universitaires Catholiques de Mons (FUCaM) et membre du LABACC. Ses centres d'intérêts portent sur l'Analyse du Comportement du Consommateur et les recherches basées sur la méthodologie interprétative. Bernard COY A est professeur de marketing à l'ESCP-EAP. Ses recherches s'inscrivent dans le courant dit postmoderne ou interprétatif de l'étude de la consommation. E.mail: [email protected] Alain DECROP est Notre-Dame de la Paix l'Université Catholique LABACC. Ses intérêts chargé de cours aux Facultés Universitaires (FUNDP) à Namur, chargé de cours invité à de Louvain (UCL) et membre associé du de recherche portent sur le comportement du consommateur, les méthodes de recherche qualitatives et le marketing des loisirs. Dominique DESJEUXest Professeur d'anthropologie sociale à la Sorbonne (université Paris 5), animateur du réseau Argonautes, coresponsable de l'axe «Cultures, consommations et sociétés» au CERLIS (CNRS). Il est également professeur invité à USF en Floride (USA), et à l'Université des Etudes Etrangères du Guangdong (Canton, Chine). Il est directeur de collection aux PUF et rédacteur en chef de la revue Consommations et sociétés. Il était également coprésident des 1ères Journées Normandes de Recherches sur la Consommation. Site: www.argonautes.fr Christian DERBAIX est Professeur Ordinaire aux Facultés Universitaires Catholiques de Mons (Belgique) où il dirige le Laboratoire d'Analyse du Comportement du Consommateur (LABACC). Il est actuellement Président de l'Association Française du Marketing. Ses recherches sont centrées sur l'impact des réactions déclenchées par les annonces publicitaires sur l'attitude envers les marques, l'étude des réactions affectives, la problématique de l'enfantconsommateur et la consommation symbolique. Marc FILSER est Professeur de Sciences de gestion à l'IAE de Dijon (Université de Bourgogne). Il y dirige le CERMAB, Centre de Recherche en Marketing de Bourgogne, membre du LATEC (UMR CNRS 5118), et le programme doctoral de marketing. Ses travaux de recherche et publications concernent le comportement du consommateur, la distribution, et les activités marketing des institutions culturelles. Isabelle GARABUAU-MouSSAOUIest sociologue/anthropologue de la consommation. Elle a effectué un doctorat d'anthropologie sociale à Paris 5, au CERLIS, sous la direction de Dominique Desj eux. Elle a été responsable d'études puis directrice de la recherche à Argonautes SARL. Elle est chargée de cours dans différentes universités et écoles de commerce (sur l'alimentation et la consommation) et mène une activité de recherche appliquée sur la consommation. E-mail: [email protected] 10 Renaud GARCIA-BARDIDIAest ATER. à l'Université d'Evry Val d'Essonne et doctorant à l'Université Paris I Panthéon Sorbonne. Ses recherches portent sur les interactions sociales sur Internet et leur impact sur la consommation (OSES SIM Paris I). Richard LADWEINest Professeur à l'Institut d'Administration des Entreprises de l'Université de Lille où il est directeur-adjoint de l'équipe de recherche en marketing (EREM). Spécialisé dans l'étude du comportement du consommateur et de l'acheteur, il est l'auteur de plusieurs ouvrages et articles sur cette thématique. E-mail: [email protected] Site: http://www.culture-materielle.com Mathilde PULH est ATER à l'Université de Bourgogne. Ses recherches sont consacrées à l'analyse de la valorisation de l'expérience de consommation, notamment dans le domaine du spectacle vivant, ainsi qu'à l'étude du caractère social de cette expérience. Elle a soutenu en décembre 2002 une thèse de Sciences de Gestion, préparée dans le cadre du CERMAB, traitant de la valeur de consommation, attachée à la fréquentation des festivals d'arts de la rue. Éric REMY est Maître de Conférences à l'Université de Rouen. Ses recherches, dans le cadre du CREGO, portent sur la consommation et la socialisation de l'offre des entreprises. E-mail: [email protected] Angélique RODHAINest doctorante en marketing à Montpellier (CREGO). Sa thèse, sous la direction des professeurs Pierre-Louis Dubois et Philippe Aurier, porte sur « le rôle de l'école dans la formation d'une relation entre l'enfant et la marque ». E-mail: [email protected] Lucie SIRIEIX est Professeur à l'ENSA, Montpellier. E-mail: [email protected]). Il INTRODUCTIONS VINGT ANS DE RECHERCHE EN COMPORTEMENT DU CONSOMMATEUR Marc FILSER Cette conférence introductive a pour objet l'analyse de l'évolution de la recherche en comportement du consommateur dans le champ du marketing. Cette analyse, portant sur les vingt dernières années, montre comment les fondements théoriques du modèle dominant en marketing se sont trouvés bousculés par trois ruptures maj eures : l'expérience de consommation (Holbrook et Hirschman, 1982), la diversité théorique et méthodologique (Hirschman et Holbrook, 1992) et le structuralisme de la consommation exploré empiriquement par le projet "Consumer Odyssey", et théorisé notamment par Holt (1995). Afin de bien comprendre I'hétérodoxie de ces travaux, il convient de revenir préalablement sur la description du modèle dominant. LE MODELE DOMINANT Le cadre théorique de ce modèle repose sur un fondement microéconomique implicite mais très présent. On y décrit ainsi un consommateur maximisant une fonction d'utilité sous contraintes (temps/budget) en recourant à l'information. Se faisant, on se fixe sur une vision essentiellement cognitiviste du consommateur. Malgré des enrichissements successifs, par des emprunts massifs à la psychologie, et marginalement à la sociologie et l'anthropologie, la recherche demeure focalisée sur l'achat plutôt que sur la consommation. A ce carcan théorique vient s' ajouter une contrainte opérationnelle forte caractérisée par: Une subordination à une conception kotlerienne d'un marketing reposant essentiellement sur l'identification de la demande et la construction d'une offre en réponse à cette demande, La primauté latente de la mesure, Une orientation vers la formulation de stratégies par la segmentation et le positionnement, suivie d'une opérationalisation au travers des variables du mix. Ces formulations stratégiques se focalisent principalement sur le produit ou la marque plutôt que sur les univers de consommation. Malgré d'indéniables résultats dans la compréhension du comportement d'achat du consommateur, il semble que ce modèle dominant se heurte, ces dernières années, à une double limite. D'un côté, ayant de plus en plus de difficultés à tester globalement les interactions entre les variables mises en avant dans ce type d'analyse . .. du comportement, on assiste à des eXIgences méthodologiques croissantes en termes de mesure. D'un autre côté, l'évolution vers la modélisation de relations ponctuelles autour de la énième équation structurale, testée bien souvent sur un échantillon d'étudiants, s'avère dans ce contexte intéressante au plan méthodologique, mais reste la plupart du temps très limitée en matière de compréhension générale du comportement de consommation et de transposition à de groupes de "vrais" consommateurs. La référence à un nouveau cadre théorique s'avère alors nécessaire. C'est ici qu'interviennent les ruptures les plus profondes par rapport au modèle dominant. PREMIERE RUPTURE: L'EXPERIENCE DE CONSOMMATION La première rupture face à ce modèle dominant fait référence au modèle de recherche d'expérience proposé par Holbrook et Hirschman (1982). Dans cette première étape, l'objet est moins la quête d'un modèle substituable que la définition de propositions complémentaires. Ainsi, si le modèle dominant repose sur le traitement de l'information lors de la situation d'achat, il semble possible dans certaines situations de penser que le consommateur favorise plus la recherche d'expérience. Dans ce cas, il convient de reformuler la hiérarchie des effets (Cognition! Affect/Comportement), notamment en insistant sur la dimension affective et ses agrégats: Fantasies/Feelings/Fun. Les variables explicatives du comportement de consommation trouvent alors leur source principale dans le paradigme de la stimulation. L'attention des chercheurs doit se focaliser sur les jugements esthétiques ainsi que sur la recherche de sensations et le besoin de stimulation. Si cette approche par l'expérience augmente et précise tout d'abord la compréhension de la consommation de certaines catégories de produits spécifiques (culture, loisirs, tourisme ), elle va surtout renouveler le champ théorique, ouvrant ainsi la voie à une radicalisation qui marquera la seconde étape. On regrettera néanmoins la faiblesse du nombre d'applications empiriques de ce modèle, d'autant plus paradoxale que le cadre théorique lui-même est fréquemment évoqué dans les revues de littérature. 16 SECONDE RUPTURE: « POSTMODERN CONSUMER RESEARCH» La seconde rupture, illustrée par la publication de l'ouvrage «Postmodern consumer research» est plus flagrante. Hirschman et Holbrook (1992) viennent en quelque sorte élargir la remise en cause théorique initiée par la proposition du modèle de recherche d'expériences. Ils ne se contentent plus de proposer une alternative à la formulation des étapes du processus de décision d'achat, mais ils entreprennent d'évaluer les apports à l'exploration de la sphère de la consommation que peuvent procurer des conceptions épistémologiques radicalement nouvelles, et généralement antagonistes. Ceci permet de reconnaître le caractère structurant de toute une série d'oppositions: Individu/groupe; Information/expérience; Produit/catégorie. Mais l'apport principal de cet ouvrage reste la justification de la diversité méthodologique. Avec ce programme de recherche et l'émergence d'une spécialisation des supports académiques autour du Journal of Consumer Research, on assiste à une légitimation de l'analyse de la consommation comme texte. La recherche sur le comportement de consommation doit s'ouvrir à la mobilisation des approches ethnographiques, sémiotiques, herméneutiques ou anthropologiques. TROISIEME RUPTURE: LE STRUCTURALISME DE HOLT La troisième rupture fait quant à elle référence au structuralisme de Holt (1995). Il s'agit en fait de revenir sur le statut de la consommation et notamment sur la pluralité des structures de consommation. Cette réflexion théorique trouve en partie son fondement dans les apports empiriques du projet "Consumer Odyssey" (Belk, Wallendorf et Sherry, 1988) A partir d'une distinction entre, d'une part une consommation qui poursuit une orientation extrinsèque (comme moyen d'une fin) ou intrinsèque (comme une fin en soi) et, d'autre part une consommation aux motifs individuels (orientée vers soi) ou sociaux (orientée vers les autres), Holt propose une classification des rôles potentiels que peut jouer la consommation. L'objet d'analyse se déplace ainsi vers la prise en compte d'un système de consommation (Holt, 1997) dans lequel l'individu n'achète pas des produits isolés, mais des éléments qui composent ce système. Il convient alors de partir des manifestations de la consommation pour remonter aux explications des décisions. On trouve aujourd 'hui de nombreux prolongements de cette réflexion autour du statut de la consommation dans notre société, par exemple dans les théories de la "Macdonaldisation" et du réenchantement développées par Ritzer 17 (1995, 1999). L'évolution postulée de notre société, notamment dans des références postmodernes, comme une société des "moyens de consommation", des "cathédrales de la consommation" ou bien encore, la consommation comme fer de lance du réenchantement du quotidien. CONCLUSION Ce qu'ont permis de révéler ces trois ruptures peut se résumer en trois points: 1. Tout d'abord, ces différents travaux mettent bien en avant que la consommation est devenue l'activité majeure de notre société, et qu'en ce sens, elle s'est substituée à la production comme moteur de la crOIssance. 2. Au plan du marketing, ces ruptures marquent l'épuisement du paradigme "proctero-kotlerien", expression proposée par Yves Evrard en 1997 lors de la 1ère Journée de Recherche en Marketing de Bourgogne pour résumer la conjonction de pratiques opérationnelles faisant référence au cadre théorique développé par Kotler. A ces dimensions d'un marketing désormais classique, viennent s' ajouter d'autres problématiques: . Au marketing de la demande vient s'ajouter un marketing de l'offre, A l'individualisation de l'offre s'oppose un marketing tribal, Au marketing transactionnel peut se substituer à des degrés divers un marketing relationnel (Marion, 2001). Le marketing de la prescription peut laisser la place à un marketing de l'appropriation (Cova et Cova, 2001). .. . Enfin, une question est désormais posée, et c'est dans ce sens que doit s'orienter une grande partie des recherches à venir: quel cadre théorique peut rendre compte de l'évolution des comportements de consommation et de pratiques des entreprises? Les journées de recherche en marketing de Bourgogne depuis quelques années, et désormais celles de Normandie marquées par une volonté pluridisciplinaire, semblent bien ainsi s'inscrire dans ce champ de recherche aux contours des plus prometteurs. 18 RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES Belk Russell W., Melanie Wallendorf et John F. Sherry, 1989, "The Sacred and the Profane in Consumer Behavior: Theodicy on the Odyssey" , Journal of Consumer Research, 16, June, 1-38 Cova Véronique et Bernard Cova, 2001, Alternatives Marketing, Dunod, Paris Hirschman Elizabeth C. et Morris B. Holbrook, 1992, Posmodern Consumer Research. The Study of Consumption as Text, Sage, Newbury Park Holbrook Morris B.et Elizabeth.C.Hirschman, 1982, "The Experiential Aspects of Consumption: Consumer Fantasies, Feelings and Fun", Journal of Consumer Research, 9, 2, 132-140 Holt Douglas B., 1995, "How Consumers Consume: A Typology of Consumption Practices", Journal of Consumer Research, Vo1.22, June, 1-16 Holt Douglas B., 1997, "Poststructuralist Lifestyle Analysis: Conceptualizing the Social Patterning of Consumption in Postmodernity", Journal of Consumer Research, Vo1.23, March, pp.326-350 Marion, Gilles, 2001, "Le marketing relationnel existe-t-il?", Décisions Marketing, 22, Janvier-Avril, 7-16 Ritzer George, 1996, The McDonaldization of Society, Pine Forge Press, Thousand Oaks, Ca Ritzer George, 1999, Enchanting a Disenchanted World. Revolutionizing the Means of Consumption, Pine Forge Press, Thousand Oaks, Ca 19 LA CONSOMMATION Dominique EN SOCIETES DESJEUX Le titre même du colloque «Sociétés et consommation» peut paraître évident ou anodin. En réalité, il marque une évolution significative dans la façon d'aborder les questions de consommation, de consommateur et de société 1. En premier lieu, il signifie que les recherches sur la consommation ne se limitent plus aux seules approches individuelles, orthodoxes et hétérodoxes, même si elles restent touj ours pertinentes, mais qu'elles prennent aussi en compte les approches sociétales aussi diverses soient-elles. En deuxième lieu, il symbolise le rapprochement entre une partie des sciences de gestion et une partie des sciences sociales, et tout particulièrement ici l'anthropologie et la sociologie, au moins celles qui s'intéressent à la consommation et aux usages des biens et serVices. Travailler ensemble, - ce qui est un réel plaisir par le décentrement qu'il permet, mais aussi parfois une vraie souffrance intérieure face au choc que représentent les différences de point de vue, de méthode et de critères de scientificité -, demande de rechercher à la fois ce qui est commun aux différentes approches et ce qui les distingue. Ce qui est commun c'est l' objet consommation; ce qui varie c'est son extension, ses échelles d'observation et à chaque échelle, ses angles d'approches ou ses découpages. Il me semble que les principales distinctions portent aujourd'hui sur la place que chacun accorde dans ses recherches aux décisions individuelles ou aux décisions collectives. Quand le chercheur se focalise sur I'individuel, les distinctions portent sur la place du conscient et du rationnel d'un côté, et de l'affectif, de l' expérientiel, voire de l'inconscient, de l'autre. Comme décision individuelle, la consommation est plus analysée comme un arbitrage entre des préférences matérielles ou symboliques à un moment donné; comme décision collective dans l'espace domestique, elle est plus considérée comme un processus dans le temps tout au long d'un itinéraire ou dans le cadre d'un système d'action dans lequel des acteurs organisent la rencontre de l'offre et de la demande, comme les « agents hybrides» chargés de mettre en place des dispositifs d'arbitrage visant le consommateur/ Ane de Buridan de Frank Cochoy (2002). 1 Je remercie tout particulièrement Eric Rémy sans qui ces journées n'auraient pas vu le jour. Les distinctions portent aussi sur la place que chacun accorde aux comportements centrés soit sur l'achat de biens et services, et à travers les explications des comportements d'achat les enquêtes se focalisent sur la marque, ses représentations, son imaginaire, ses signes, son identité et sa dimension patrimoniale pour l'entreprise; soit sur les usages et les effets d'appartenance sociale ou de situation qui participent des pratiques de consommation, et dans ce cas l'analyse porte plus sur des objet concrets que sur la marque. Ceci veut bien souvent dire que dans le premier cas, celui de l'analyse centrée sur la marque, le chercheur travaille plus pour les services du marketing et de la communication, et que dans le second cas il travaille plus pour la recherche développement, les études et la prospective. Ceci montre que, d'un point de vue sociologique, la connaissance n'existe pas en soi mais qu'elle est encastrée dans un jeu social, celui du processus de production de l'entreprise ou de l'organisation, qui conditionne sa production, ses résultats et donc sa pertinence. C'est ce qui explique une partie des clivages entre sciences sociales et sciences de gestion. L'anthropologie de la consommation et la microsociologie du quotidien mettent l'accent sur la dimension sociétale, au moins sur trois plans, celui de la société, celui des interactions sociales et celui de la critique de la société. LA CONSOMMATION EST UN ANALYSEUR DE LA SOCIETE La consommation est un marqueur des appartenances et des différenciations sociales (classes, genres, générations et cultures). Elle est donc un marqueur des distinctions sociales entre groupes sociaux. A une échelle macro-sociale, la consommation permet de bien faire apparaître les habitus, les normes incorporées par les groupes sociaux. Cependant il faut noter que l'effet appartenance sociale, notamment l'effet classe, ne fonctionne pas de façon mécanique. Comme le montre Fabien Ohl dans son HDR sur la consommation sportive, en 2002, l'effet classe ne semble pas jouer au moment des grandes manifestations sportives qui sont multi classes, alors que l'effet classe joue sur les pratiques sportives, le golf en étant un bon exemple en France. De même si on prend un autre concept d'appartenance comme celui de tribu, nous voyons qu'il fonctionne bien, sur un autre registre, celui de l'émotion, dans le cas des raves, des slams ou d 'Halloween, mais qu'il est peu explicatif des comportements de la «ménagère de moins de 50 ans» et des comportements des salariés en entreprise qui travaillent sous contrainte forte de productivité. 22 La consommation est aussi marqueur des exclusions sociales, comme l'a montré Halbwachs dès 1912 pour les consommations ouvrières, et des mouvements sociaux. Je suis frappé de constater que souvent dans les journaux, ce sont les supermarchés et les lieux symboliques de la consommation, comme McDonald's, qui font l' objet de destruction et de dégradation, en France et dans le monde. Les supermarchés en particulier et les lieux de commercialisation en général, comme l'a déjà évoqué Olivier Badot, deviennent des institutions qui symbolisent l'inclusion si l'on peut consommer, et l'exclusion si l'accès à la consommation est interdit ou difficile. La consommation est un analyseur des rapports de pouvoirs et de l'action des groupes de pression autour du contrôle de la définition des règles, des droits et de la nature des informations qui sont associées à la consommation et aux pratiques des consommateurs. Les Etats nationaux et Bruxelles y jouent un rôle important comme l'a démontré Adam Burgess dans «Flatering consumption: Creating a Europe of Consumer» (Journal of Consumer Culture, june 2001). La consommation est aussi un analyseur des étapes du cycle de vie: les objets sont des marqueurs de passage et d'appartenance à une génération ou au groupe des pairs, et au mode de vie qui lui est associé: l'alcool, le diamant, le permis de conduire, les j eux de rôle, etc. C'est ce que montre tout particulièrement Isabelle GarabuauMousaoui dans sa recherche sur la jeunesse et l'alimentation, Cuisine et indépendances (2002). Enfin, la consommation est un analyseur des mobilités urbaines: acheter demande de se déplacer. La consommation représente donc une des sources non négligeables des déplacements urbains, ce qui vient d'être analysé par Alain Metton (Paris 12) et son équipe pour le ministère de l'Equipement. En ce sens, la consommation participe à la fois de la compétition pour l'occupation des espaces de circulation urbains suivant que l'on fait ses courses en voiture, en transport collectif, en vélo, en roller, en bateau ou à pieds, ceci variant beaucoup suivant les cultures, et dans les stratégies d'implantation des lieux d'approvisionnement auprès des gares hier pour les grands magasins à Paris, et dans la périphérie pour les grandes surfaces aujourd 'hui. 23 LA CONSOMMATION EST UN ANALYSEUR DES INTERACTIONS SOCIALES: ELLE EST AU FONDEMENT DU LIEN SOCIAL ET DE L'ECHANGE MARCHAND ET NON MARCHAND La consommation comme lien social et donc comme forme de l'échange social, renvoie à trois débats. Le premier débat porte sur la nouveauté du phénomène. Le lien entre bien et lien est-il nouveau? Pour Bernard Cova, le fait que le « lien l'emporte sur le bien» est un phénomène post moderne nouveau. Au contraire, en anthropologie c'est un phénomène ancien. Consommer, de façon marchande ou non, c'est créer, entretenir, renforcer du lien social, et ceci depuis les débuts de 1'histoire de 1'humanité, et principalement autour de la consommation alimentaire, comme l'a montré Mary Douglas et Baron Isherwood dans The World of Goods, en 1979. Le deuxième débat est historique. Les travaux de McKendrick, Brewer et Porter, en histoire de la consommation, comme dans Consumption and the world of Goods, ou de Colin Campbell sur The Romantic Ethic and the Spirit of Modern Consumerism dans les années quatre vingt et quatre vingt dix discutent des transformations de la société de consommation. Le problème est de déterminer à quel moment est née la société de consommation marchande. Pour la plupart des historiens, c'est au milieu du 18ème siècle quelle est née en Angleterre, en France, aux Pays Bas et aux USA, même si les explications varient depuis les explications démographiques jusqu'aux explications wébériennes de C. Campbell. Ensuite, la question est de savoir à quel moment la société s'est transformée en société de « grande consommation », soit semble-t-il, vers les années vingt aux USA, et les années soixante en Europe. Le troisième débat porte sur la place des rapports marchands et du don à l'intérieur des échanges sociaux, notamment avec Alain Caillé et sa critique anti-utilitariste. L'anthropologie montre que les deux peuvent se recouper en fonction des étapes de circulation des objets : un même objet en fonction de sa vie sociale, pour reprendre Appadurai et Kopitoff, peut changer de valeur et de sens, marchandise ou don, comme le réfrigérateur qui circule au sein de la famille. A ce débat est associé celui de l'imaginaire et de l'intérêt qui là encore varie en fonctions des situations. Ce débat touche à la question de la rationalisation et du désenchantement du monde qui lui est associé selon Max Weber, et qui sera repris par George Ritzer et sa théorie de la mcdonalisation. Nous pouvons comprendre cette théorie comme une nouvelle forme de rationalisation pris au sens d'un nouveau fordisme, et donc qui demande que le monde soit réenchanté pour lui 24