Mise au point Mise au point Lamines A/C et anomalies métaboliques Lamins A/C and metabolic disorders A. Decaudain*, B. Donadille*, O. Lascols*,**, V. Béréziat*, J. Capeau*,***, C. Vigouroux*,*** points FORTS ▲ Les lamines A/C, issues du gène LMNA, présentes dans le noyau de toutes les cellules différenciées, possèdent un double rôle, structural et fonctionnel. ▲ Les mutations du gène LMNA sont responsables de différentes “laminopathies”, schématiquement regroupées en trois groupes de pathologies : les dystrophies neuromusculaires, la lipodystrophie partielle familiale de Dunnigan (et ses formes apparentées) et les syndromes de vieillissement accéléré. ▲ La physiopathologie des laminopathies est complexe et encore mal connue, mais l’analyse de nombreux phénotypes mixtes (ou chevauchants) suggère l’existence d’un continuum pathologique. ▲ La lipodystrophie partielle familiale de Dunnigan associe cliniquement une lipoatrophie sous-cutanée postpubertaire des membres et du tronc (épargnant la région cervicofaciale), une hypertrophie musculaire et un hirsutisme (inconstant) chez la femme. ▲ Les troubles métaboliques sont caractérisés par une insulinorésistance souvent majeure, se compliquant fréquemment de diabète, et par une dyslipidémie prédominant sur les triglycérides, auxquelles s’associent souvent une stéatose hépatique et un syndrome des ovaires polykystiques chez la femme. L es laminopathies, maladies liées à des mutations dans le gène LMNA, codant les lamines A et C, font depuis une dizaine d’années l’objet d’une attention particulière de la part de la communauté scientifique. En effet, de façon fascinante et rare en génétique humaine, les mutations du gène LMNA sont responsables de plusieurs pathologies très différentes. L’attention des endocrinologues est tout particulièrement attirée par le fait que l’une de ces maladies, la lipodystrophie partielle familiale de Dunnigan, est responsable d’un syndrome d’insulinorésistance sévère. Cette découverte a plusieurs * INSERM U680, faculté de médecine Pierre-et-Marie-Curie, site Saint-Antoine, Paris. ** Laboratoire de biologie moléculaire, Fédération de biochimie, hôpital Saint-Antoine, Paris. *** Service de biochimie et hormonologie, hôpital Tenon, Paris. 74 Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (X), n° 2, mars/avril 2006 ▲ La lipodystrophie partielle familiale de Dunnigan expose à un risque immédiat de pancréatite aiguë secondaire aux poussées d’hypertriglycéridémie ainsi qu’à un risque accru de complications cardiovasculaires précoces. ▲ Il existe des formes atténuées de lipodystrophie de Dunnigan, parfois très proches du syndrome métabolique banal, de dépistage difficile. ▲ Des signes de dystrophie musculaire, de cardiomyopathie et/ou de vieillissement accéléré peuvent être observés dans les lipodystrophies liées aux mutations des lamines A/C. ▲ C’est donc un faisceau d’arguments cliniques et paracliniques qui fera évoquer le diagnostic de laminopathie et motivera la réalisation d’une enquête génétique, la notion de cas similaires dans la famille avec une transmission dominante potentielle étant essentielle. ▲ Le dépistage des complications éventuelles et des atteintes associées, particulièrement des troubles du rythme et de la conduction cardiaques, est indispensable chez tout patient porteur d’une mutation LMNA, ainsi que le dépistage des apparentés, permettant une prise en charge précoce. conséquences. D’une part, l’étude de la physiopathologie de cette lipodystrophie est particulièrement intéressante pour mieux comprendre l’implication des lamines dans la répartition du tissu adipeux et ses conséquences métaboliques ; ces travaux sont également importants pour comprendre le syndrome métabolique commun, dont la lipodystrophie de Dunnigan représente une forme clinique caricaturale. D’autre part, les progrès récents dans l’analyse génotype-phénotype des laminopathies permettent de mettre l’accent sur la variabilité des présentations cliniques de ces lipodystrophies. Étant parfois atypiques, parfois associés aux signes musculaires, cardiaques ou de vieillissement accéléré des autres laminopathies, les syndromes d’insulinorésistance liés aux mutations des lamines A/C sont probablement sousdiagnostiqués. Les lamines A/C Les lamines A et C, produites par épissage alternatif du gène LMNA (situé sur le chromosome 1q), sont les principales isoformes des lamines de type A, protéines ubiquitaires exprimées dans le noyau de presque toutes les cellules différenciées. Ces protéines de la famille des filaments intermédiaires sont composées d’un domaine central de dimérisation hélicoïdal flanqué de domaines globulaires N et C-terminaux. Les lamines A/C s’homo- et s’hétéropolymérisent avec les lamines de type B, issues d’un gène distinct, pour former la lamina, réseau filamentaire qui tapisse la face interne de l’enveloppe nucléaire. De par leur position périphérique dans le noyau, les lamines ont été proposées très tôt comme support mécanique de l’enveloppe nucléaire et point d’ancrage pour l’hétérochromatine. Mais les lamines A/C ne possèdent pas seulement ce rôle structural au sein du noyau. En effet, elles interagissent avec de nombreux composants nucléaires (protéines de la membrane interne du noyau, pores nucléaires permettant les transferts de molécules entre le cytoplasme et le noyau, facteurs transcriptionnels régulant l’expression des gènes, ADN et ses protéines associées telles que les histones, etc.) jouant ainsi un autre rôle, encore incomplètement élucidé, dans de nombreuses fonctions cellulaires. Les laminopathies (tableau) Mise au point Mise au point La responsabilité des mutations du gène LMNA en pathologie a d’abord été mise en cause en 1999 dans la dystrophie musculaire d’Emery-Dreifuss (Emery-Dreifuss muscular distrophy [EDMD]) (1). Cette pathologie, transmise le plus souvent sur un mode autosomique dominant, est caractérisée par une atrophie et un déficit musculaires d’apparition progressive dans l’enfance, débutant aux par- Tableau. Les laminopathies. Syndromes Dystrophie musculaire d’Emery-Dreifuss, autosomale dominante ou récessive (EDMD) Dystrophie musculaire des ceintures, autosomale dominante (LGMD, type 1B) Cardiomyopathie dilatée avec troubles conductifs, autosomale dominante (DCM-CD) Neuropathie axonale de Charcot-Marie-Tooth, autosomale récessive (CMT, type 2B1) Lipodystrophie partielle familiale de Dunnigan, autosomale dominante (FPLD) Dysplasie acromandibulaire, autosomale récessive (MAD) Principales caractéristiques cliniques et biologiques – contractures (chevilles, coudes, nuque) – déficit musculaire et amyotrophie des membres – troubles de la conduction cardiaque constants à l’âge adulte – déficit musculaire prédominant aux ceintures – contractures absentes ou tardives – troubles de la conduction cardiaque fréquents à l’âge adulte – troubles de la conduction et/ou du rythme cardiaques – cardiomyopathie dilatée – insuffisance cardiaque – déficit musculaire et amyotrophie distales avec aréflexie – vitesse de conduction nerveuse normale ou peu diminuée – dégénérescence axonale – lipodystrophie partielle d’apparition postpubertaire avec lipoatrophie des membres et du tronc et accumulation facio-tronculaire des graisses – insulinorésistance, hypertriglycéridémie, stéatose hépatique – retard de croissance postnatal, hypoplasie mandibulaire et claviculaire, ostéolyse distale, retard de fermeture des fontanelles, limitations articulaires – papules cutanées hypo- et hyperpigmentées – lipodystrophie, insulinorésistance, hypertriglycéridémie Progéria de Hutchinson-Gilford, autosomale dominante [apparition de novo] (HGPS) – retard de croissance postnatal, micrognatie, ostéodysplasie généralisée – alopécie, aspect sclérodermiforme de la peau – lipoatrophie généralisée, athérosclérose précoce responsable de la mortalité avant l’âge adulte – retard de croissance intra-utérin, gangue cutanée érosive hyperkératosique, micrognatie, défaut de minéralisation osseuse, hypoplasie claviculaire – hypoplasie pulmonaire – contractures articulaires – mortalité néonatale (première semaine de vie) Dermopathie restrictive, autosomale dominante ou récessive Mutations du gène LMNA en cause Nombreuses mutations différentes réparties tout au long du gène, majoritairement hétérozygotes de type faux-sens R298C homozygote (domaine central) Principalement mutations hétérozygotes faux-sens au codon 482 (domaine C-terminal) R527H ou A529V homozygote (domaine C-terminal) Un cas décrit avec mutation hétérozygote composite de la protéase de maturation de la prélamine A, ZMPSTE24 Principalement G608G (GG C> GGT) hétérozygote conduisant à une prélamine A tronquée et mal maturée Mutation hétérozygote G608G ou du site donneur d ‘épissage de l’intron 11 (IVS11 + 1G >A) conduisant à une prélamine A tronquée et mal maturée ; ou mutation des deux allèles de ZMPSTE24 Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (X), n° 2, mars/avril 2006 75 Mise au point Mise au point 76 ties proximales des membres, associés à des contractures musculaires et tendineuses précoces, puis à des troubles conductifs cardiaques chez l’adulte. Des mutations hétérozygotes du gène LMNA ont ensuite été découvertes dans deux autres maladies : une forme de cardiomyopathie dilatée (dilated cardiomyopathy and conduction-system disease [DCM-CD]) et une forme de dystrophie musculaire des ceintures (limb-girdle muscular dystrophy, type 1B [LGMD]). Ces trois pathologies, EDMD, DCM-CD et LGMD, ont en commun des troubles conductifs cardiaques de sévérité variable, exposant parfois au risque de mort subite et pouvant nécessiter la pose d’un pacemaker ou d’un défibrillateur implantable. Ces phénotypes musculaires et/ou cardiaques peuvent être de sévérité très variable, allant de formes asymptomatiques à des formes gravissimes de dystrophies musculaires congénitales. Les mutations, très diverses, peuvent affecter chacun des domaines protéiques des lamines A/C. Le même gène LMNA a ensuite été impliqué dans la lipodystrophie partielle familiale de Dunnigan (FPLD, appelée aussi FPLD de type 2), de transmission autosomique dominante (2). Les mutations, le plus souvent faux-sens, affectent dans plus de trois quarts des cas le codon 482 dans l’exon 8 du gène, qui code pour la partie globulaire C-terminale de la protéine, impliquée dans la liaison à l’ADN et à certains facteurs de transcription dont SREBP-1, qui intervient dans la différenciation adipocytaire. Survenant de manière encore inexpliquée à la puberté, la FPLD est caractérisée par une disparition du tissu adipeux souscutané au niveau du tronc et des membres, associée à une accumulation de tissu adipeux dans la région intra-abdominale périviscérale et cervicofaciale (donnant parfois un aspect pseudo-cushingoïde au patient), et à une hypertrophie musculaire, en particulier des mollets (figure). Les anomalies biologiques sont marquées par une insulinorésistance souvent sévère, pouvant se traduire cliniquement par un acanthosis nigricans, c’est-à-dire par un aspect de peau épaissie et brunâtre aux plis de flexion, en particulier axillaires. L’insulinorésistance se complique progressivement de troubles de la tolérance au glucose puis de diabète, souvent difficile à contrôler. La dyslipidémie est fréquente et précoce, associant une hypertriglycéridémie souvent majeure et une baisse du HDL-cholestérol. Enfin, sont fréquemment retrouvés une Figure. Patiente atteinte stéatose hépatique, une hypertension artérielle et un syndrome des de lipodystrophie ovaires polykystiques avec hyperde Dunnigan. Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (X), n° 2, mars/avril 2006 androgénie chez la femme. La sévérité des troubles semble être dépendante du sexe, les femmes présentant une lipodystrophie et des anomalies métaboliques plus sévères (3). Les complications dégénératives du diabète, la pancréatite aiguë secondaire aux poussées d’hypertriglycéridémie, la cirrhose hépatique et les complications cardiovasculaires (secondaires à une athérosclérose précoce) sont les principales causes de morbimortalité dans la FPLD (4). Une forme de neuropathie axonale (Charcot-Marie-Tooth disorder, type 2 [CMT2]) a été ensuite montrée comme associée à la mutation homozygote R298C du gène LMNA, dans le domaine central de dimérisation (5). Cette maladie s’exprime dès l’enfance, associant fatigabilité musculaire bilatérale et symétrique, atrophie musculaire distale des quatre membres, aréflexie et raréfaction des fibres axonales myélinisées périphériques en histologie. De façon inattendue, le gène LMNA a été impliqué en 2002 dans deux syndromes de vieillissement accéléré : la dysplasie acromandibulaire et la progéria, syndrome de Hutchinson-Gilford. Cette dernière, extrêmement rare (moins d’un cas pour un million de naissances), se développe progressivement après la naissance, dès l’âge de 6 mois, et associe retard de croissance, lipoatrophie généralisée, faciès typique (avec micrognathie, exophtalmie et nez crochu [bird-like facies], atteinte sclérodermiforme de la peau, ostéolyse claviculaire et phalangienne, et signes évoquant un vieillissement précoce (alopécie, ostéoporose, atteinte dégénérative des cartilages, athérosclérose, calcifications artérielles, etc.). Le décès est précoce, en moyenne vers l’âge de 14 ans, du fait de l’atteinte cardiovasculaire. La mutation la plus fréquemment retrouvée est hétérozygote ; elle apparaît de novo et concerne spécifiquement la région C-terminale de la seule isoforme A de la lamine. Par activation d’un site cryptique d’épissage, cette mutation entraîne la production d’une forme tronquée de la lamine A, appelée “progérine”, incapable de subir la maturation protéolytique normale de la protéine (6, 7). Des signes cliniques très similaires, mais moins sévères et plus tardifs, caractérisent la dysplasie acromandibulaire, dans laquelle on retrouve aussi une lipodystrophie partielle, une insulinorésistance, une hypertriglycéridémie et une baisse du HDL-cholestérol. Ce syndrome est dû soit à des mutations LMNA homozygotes touchant, comme dans la lipodystrophie de Dunnigan, le domaine globulaire C-terminal des lamines A et C, soit à une mutation inactivatrice homozygote du gène codant l’enzyme ZMPSTE24, métalloprotéase impliquée dans la maturation post-traductionnelle de la prélamine A en lamine A. Enfin, la dermopathie restrictive est la laminopathie à la fois la plus grave et la plus récemment individualisée. Cette pathologie extrêmement rare s’exprime par un retard de croissance intra-utérin sévère et une dysplasie majeure de la peau, rigide et tendue, réalisant une véritable gangue restrictive. Une hypoplasie pulmonaire entraîne le décès au cours de la première semaine de vie, chez des enfants qui présentent aussi les signes osseux caractéristiques de la progéria. Les anomalies génétiques en cause sont soit une mutation hétérozygote du gène LMNA de novo conduisant à l’expression d’une prélamine A tronquée, soit des mutations homozygotes ou hétérozygotes composites concernant le gène de l’enzyme ZMPSTE24 (8). Des signes de laminopathies musculaires et/ou cardiaques, ainsi que des signes de vieillissement accéléré, peuvent être observés dans les lipodystrophies liées aux lamines A/C La position des mutations sur le gène LMNA est un élément qui détermine indiscutablement le phénotype des diverses laminopathies. Cependant, des associations de phénotypes (phénotypes croisés ou chevauchants) ont été décrites. Ainsi, des lipodystrophies partielles associées à des dystrophies musculaires et/ou à des cardiomyopathies dilatées avec troubles de la conduction ont été décrites, les mutations en cause touchant le domaine central ou C-terminal de la lamine A/C (9). Un patient de 30 ans, exploré pour une lipoatrophie généralisée avec diabète insulinorésistant, hypertriglycéridémie et stéatose hépatique sévère, présentait aussi une atteinte cutanée et certains signes de vieillissement accéléré (sans que les critères diagnostiques de la progéria ou de la dysplasie acromandibulaire soient réunis) liés à une mutation hétérozygote R133L apparue de novo (10). Enfin, la lipoatrophie, généralisée ou partielle, fait partie du tableau clinique habituel de la progéria et de la dysplasie acromandibulaire. La forme typique du syndrome de Dunnigan, décrite plus haut, est liée à une mutation LMNA faux-sens au codon 482, considérée comme pathognomonique, aucune autre forme clinique de laminopathie n’ayant été associée à une mutation à ce site. Néanmoins, il faut savoir que les patients qui en sont atteints peuvent présenter, en plus des signes lipodystrophiques et des conséquences métaboliques qu’ils engendrent, une atteinte musculaire de sévérité variable évoquant une dystrophie musculaire des ceintures : faiblesse musculaire proximale, amyotrophie des ceintures scapulaires et/ou pelviennes contrastant avec l’hypertrophie musculaire des mollets et élévation modérée des créatines phosphokinases (CPK). Des troubles de la conduction cardiaque (bloc auriculoventriculaire) peuvent aussi se manifester (3). Ces observations montrent la nécessité de rechercher chez tout patient porteur d’une mutation LMNA, quel qu’en soit le signe initial d’appel, les signes de chacune des laminopathies. Le Holter-ECG, à la recherche de troubles rythmiques ou conductifs cardiaques, est particulièrement indispensable pour dépister et traiter d’éventuelles atteintes infracliniques. Certaines mutations des lamines A/C peuvent conduire à des syndromes lipodystrophiques moins typiques et plus modérés que le syndrome de Dunnigan Toutes les laminopathies décrites plus haut peuvent être de sévérité variable, ou se présenter sous des formes cliniques atypiques. Il en est ainsi pour certaines dystrophies musculaires, certaines neuropathies, ainsi que des syndromes de vieillissement accéléré atypiques dits “progéroïdes”. De même, à côté de la forme caricaturale du syndrome de Dunnigan décrite plus haut, il est important de noter qu’il existe de nombreux phénotypes atypiques et modérés de lipodystrophie de Dunnigan, parfois très proches du syndrome métabolique banal. Ainsi, l’équipe de S. O’Rahilly a rapporté les observations de plusieurs patients porteurs de mutations situées dans le domaine C-terminal de la lamine A/C, mais n’affectant pas le codon 482, chez lesquels la lipoatrophie des membres et surtout la lipoatrophie sous-cutanée abdominale sont beaucoup moins sévères que dans la forme classique. De la même façon, les troubles métaboliques, et en particulier l’hypertriglycéridémie, étaient beaucoup moins marqués chez ces patients (11). Nous avons rapporté le cas d’une patiente dont la laminopathie a été révélée par un syndrome des ovaires polykystiques de forme sévère avec insulinorésistance, mais sans lipodystrophie clinique (12). Mise au point Mise au point La physiopathologie des laminopathies reste mal connue L’analyse des nombreux phénotypes décrits, et notamment des formes mixtes, suggère l’existence d’un continuum pathologique au sein des laminopathies. Les anomalies cellulaires semblent aussi rapprocher ces maladies, pourtant cliniquement éloignées. En effet, les fibroblastes de patients atteints de lipodystrophie de Dunnigan, de dystrophie musculaire d’Emery-Dreifuss, de dysplasie acromandibulaire ou de progéria présentent des anomalies nucléaires similaires, à la fois morphologiques et fonctionnelles, le pourcentage de cellules affectées étant plus ou moins important selon la mutation (6, 10, 13). Deux principales hypothèses, non exhaustives, sont actuellement avancées pour expliquer les laminopathies. La première hypothèse est mécanique et suggère une fragilité nucléaire accrue in vivo. Les lamines mutées entraîneraient une désorganisation du réseau de lamine, responsable d’une susceptibilité accrue des noyaux et des cellules au stress mécanique. Cette hypothèse est confortée par les études de fibroblastes de patients en culture Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (X), n° 2, mars/avril 2006 77 Mise au point Mise au point 78 (13), ainsi que par l’étude des cellules fibroblastiques de souris Lmna-/- qui montrent une plus grande sensibilité nucléaire au stress mécanique par rapport à des cellules fibroblastiques de souris sauvages (14). Cette hypothèse physiopathologique mécanique expliquerait plus volontiers les atteintes musculaires et cardiaques des laminopathies, du fait des contraintes mécaniques importantes engendrées par la contraction musculaire. De plus, les mutations responsables des laminopathies musculaires (squelettiques et cardiaques) ont la particularité d’affecter la structure tridimensionnelle des lamines A/C, entraînant ainsi une désorganisation du réseau de lamines et une fragilisation du noyau. La seconde hypothèse physiopathologique est celle de l’altération de la fonction de certains gènes exprimés de façon tissu-spécifique par les lamines mutées. La délocalisation et la fragmentation de l’hétérochromatine observées dans des fibroblastes de patients pourraient ainsi perturber le programme d’expression de certains gènes. Les mutations du gène LMNA pourraient également altérer les interactions des lamines A/C avec certains facteurs de transcription. Ainsi, la mutation R482W, associée à la forme typique du syndrome de Dunnigan, affaiblit l’interaction de la lamine A avec le facteur de transcription adipocytaire SREBP1 in vitro, ce qui pourrait être à l’origine des troubles de la différenciation adipocytaire et de la résistance à l’insuline observés dans les lipodystrophies (15). L’hypothèse actuellement privilégiée pour expliquer les troubles métaboliques est celle d’une dysfonction primitive du tissu adipeux devenu atrophique, qui n’assurerait plus ni ses fonctions métaboliques (stockage des triglycérides) ni ses fonctions endocrines (sécrétion de leptine et d’adiponectine, en particulier), conduisant à une insulinorésistance par excès de lipides dans les tissus non adipeux, foie et muscle en particulier (16). L’augmentation du tissu adipeux intra-abdominal contribue aussi, de par son activité lipolytique physiologiquement plus marquée que celle du tissu sous-cutané, à l’afflux d’acides gras libres au foie, qui active la néoglucogenèse et la synthèse des VLDL. Cependant, d’autres hypothèses physiopathologiques méritent d’être étudiées plus avant. En effet, nous avons mis en évidence des anomalies primitives de la transmission du signal insulinique dans les fibroblastes d’une patiente atteinte de laminopathie avec insulinorésistance, mais sans lipodystrophie clinique (12). Concernant les syndromes de vieillissement accéléré, des études récentes ont montré le rôle toxique de l’accumulation nucléaire de la progérine, prélamine A tronquée dont la maturation en lamine A est bloquée. Celle-ci agirait de façon dominante-négative en perturbant la réparation des lésions de l’ADN induites par des agents mutagènes (17). La progéria et les syndromes progéroïdes seraient ainsi associés à une instabilité génomique. Ces hypothèses physiopathologiques ne sont pas exclusives, et des facteurs supplémentaires, génétiques et acquis, modulent probablement les conséquences des Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (X), n° 2, mars/avril 2006 mutations des lamines A/C, comme en témoignent la variabilité phénotypique intrafamiliale et la complexité de certains phénotypes mixtes. Éléments thérapeutiques Dans la lipodystrophie de Dunnigan, le principal risque à court terme est la pancréatite aiguë secondaire à une poussée d’hypertriglycéridémie : la limitation de l’alcool, des sucres à index glycémique élevé, et la maîtrise du poids sont au premier plan des recommandations pour l’éviter. Les patients doivent connaître les signes de pancréatite aiguë dont l’apparition doit les inciter à consulter très rapidement. Les hypolipémiants, principalement les fibrates, sont souvent indiqués. À long terme, il convient de limiter les complications du diabète et le risque cardiovasculaire, très préoccupant chez ces patients. Aucun traitement spécifiquement adapté aux laminopathies n’est actuellement disponible. Le diabète est traité en priorité par les insulinosensibilisateurs, metformine et glitazones ; parfois, il nécessite de très fortes doses d’insuline. La leptine, efficace à la fois sur le diabète, la dyslipidémie, l’infiltration lipidique du foie et du muscle dans les lipoatrophies généralisées, l’est probablement aussi dans les lipodystrophies partielles, au moins chez les patients clairement déficients en leptine, mais seules les observations de quelques patients traités ont été rapportées dans la littérature. Le problème de la disponibilité du produit pour ces indications limitées est majeur. Enfin, la stéatose hépatique peut aussi bénéficier des insulinosensibilisateurs et de la leptine. L’effet de ces traitements sur la fonction ovarienne n’a pas été étudié dans la lipodystrophie de Dunnigan. Conclusion La lipodystrophie familiale partielle de Dunnigan est caractérisée par une lipoatrophie sous-cutanée postpubertaire des membres et du tronc, épargnant la région cervicofaciale, associée aux troubles métaboliques habituels des lipoatrophies : troubles de la tolérance au glucose avec insulinorésistance (mise en évidence par une hyperinsulinémie à jeun, mais surtout postprandiale ou à deux heures d’une hyperglycémie provoquée par voie orale), hypertriglycéridémie, et également stéatose hépatique et syndrome des ovaires polykystiques. Si cette forme caricaturale est assez facile à évoquer cliniquement chez les femmes, en raison de la lipoatrophie marquée qui exacerbe les reliefs musculaires, elle est plus difficile à reconnaître chez les hommes. De plus, l’existence de phénotypes lipodystrophiques très atténués illustre la difficulté du dépistage de ces laminopathies “métaboliques” et la probable sous-estimation de leur prévalence. Le point d’appel chez les femmes peut être un syndrome des ovaires polykystiques et un hyperandrogénisme, avec ou sans lipodystrophie. C’est donc un faisceau d’arguments qui motivera la réalisation de l’enquête génétique, la notion de sujets apparentés ayant un phénotype semblable étant essentielle. La découverte d’une mutation LMNA doit aboutir à une prise en charge adaptée, avec dépistage des atteintes associées et des complications potentielles, en particulier des troubles de la conduction et/ou du rythme cardiaque. Enfin, la recherche de la mutation chez les apparentés permet une prise en charge précoce. Références 1. Bonne G, Di Barletta MR, Varnous S et al. Mutations in the gene encoding lamin A/C cause autosomal dominant Emery-Dreifuss muscular dystrophy. Nat Genet 1999;21:285-8. 2. 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Quel est le principal risque à court terme de la lipodystrophie partielle familiale de Dunnigan ? 3. Quelle est l’exploration paraclinique indispensable chez tout patient porteur d’une mutation dans le gène LMNA ? 4. Faut-il réaliser une enquête génétique chez tous les apparentés d’un patient porteur d’une mutation LMNA ? 1. – Lipoatrophie sous-cutanée des membres et du tronc soulignant le réseau veineux et les masses musculaires, et épargnant le visage, donnant un aspect plutôt cushingoïde ; – hypertrophie musculaire bien visible au niveau des mollets ; – apparition pubertaire ou postpubertaire ; – acanthosis nigricans des plis de flexion ; – diabète ou intolérance au glucose avec insulinorésistance – hypertriglycéridémie, baisse du HDL-cholestérol ; – stéatose hépatique ; – syndrome des ovaires polykystiques ; – athéromatose précoce. 2. L’hypertriglycéridémie majeure avec risque de pancréatite aiguë. 3. Électrocardiogramme (ECG) et Holter-ECG à la recherche de troubles cardiaques du rythme et de la conduction. 4. Oui, en raison de la variabilité phénotypique intrafamiliale et des atteintes graves potentiellement associées, telles que les troubles de la conduction et du rythme cardiaques. Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (X), n° 2, mars/avril 2006 79