Tribune de Genève du jeudi 3 mars 2005 page 5 Journaliste Pascale Zimmermann Dépistage sur l'embryon: Berne se confronte à l'eugénisme Médecine Toujours interdit, le diagnostic préimplantatoire pourrait passer la rampe au parlement. PASCALE ZIMMERMANN Avec un embryon dans une éprouvette, on peut tout faire. Choisir son sexe, sélectionner ses caractéristiques génétiques, favoriser les préférences de ses parents. En théorie, tous les fantasmes sont possibles. Aussi, le débat sur le diagnostic préimplantatoire (DPI) qui occupe aujourd'hui le Conseil national promet-il d'être vif. La crainte de l'eugénisme va déchaîner plus d'un parlementaire contre cette méthode permettant, dans le cadre d'une fécondation in vitro, le tri des embryons présentant des anomalies génétiques avant leur implantation dans l'utérus. La finalité du DPI est claire: éviter à des couples porteurs de maladies héréditaires graves comme l'hémophilie, la mucoviscidose ou l'amyotrophie spinale type 1 - de commencer une grossesse qu'ils choisiront ensuite d'interrompre si l'embryon est atteint. Cette technique de dépistage précoce est interdite en Suisse. Ce n'est pourtant pas faute d'en avoir débattu. Lors de la préparation de la Loi sur la procréation médicalement assistée, en 1996, le diagnostic préimplantatoire, tout comme le don d'ovules, a sciemment été prohibé pour calmer les esprits, affolés par les dérives possibles. Les Chambres sont ensuite revenues sur la question en 2002, et le DPI a de nouveau été refusé à une courte majorité (83 voix contre 74). Les sensibilités sont-elles différentes cette fois-ci? Cadre serré indispensable Les parlementaires débattent aujourd'hui d'une initiative du radical zurichois Felix Gutzwiller. En septembre dernier, la Commission de la science du National a estimé (par treize voix contre onze et 1 abstention) qu'il convenait de trancher la question une fois pour toutes. Formellement, les députés pourraient demander au Conseil fédéral de construire une loi autorisant le diagnostic préimplantatoire, mais le cadrant serré. Tout le monde est d'accord sur ce point, les conditions dans lesquelles le DPI serait possible doivent être énumérées avec une extrême précision. Les Verts toujours divisés «Je comprends les gens préoccupés par la sélection des embryons», concède la socialiste vaudoise Géraldine Savary, rapporteuse de la Commission de la science du National. «Ils craignent qu'on supprime tout accident dans la procréation, ce qui conduirait à une attitude de rejet face aux handicapés. Si nous autorisons le diagnostic préimplantatoire, nous devons nous montrer très stricts et très pragmatiques. Sans quoi nous allons au devant d'un référendum. Le débat sur la place publique s'enlisera alors dans la peur de l'eugénisme.» Le DPI devrait être accepté cette fois-ci. Mais les votes seront comptés. Radicaux et libéraux lui sont favorables comme un seul homme. Parmi les socialistes, le diagnostic préimplantatoire devrait passer la rampe, malgré les réticences des Alémaniques. Il glanera en outre des voix en sa faveur dans les rangs de l'UDC, ainsi que quelques suffrages épars chez ses ennemis de toujours, les Verts et les démocrateschrétiens. «Nous sommes divisés», fait remarquer l'écologiste vaudoise Anne-Catherine Ménétrey. «Le sujet suscite chez nous un conflit de valeurs. Nous sommes opposés à toute manipulation de la vie. Mais implanter un embryon qui a de forts risques de présenter une maladie génétique grave est inacceptable. C'est pourquoi je pense personnellement voter en faveur du DPI.» De nombreuses abstentions devraient colorer les rangs des Verts. Voir aussi • • Le DPI mode d'emploi (page 3) Le parcours du combattant (page 4) Problème de cohérence L'interdiction du diagnostic préimplantatoire un autre problème, celui de la cohérence. Comment prohiber cette méthode de dépistage qui intervient avant la grossesse, alors que l'avortement est autorisé en Suisse depuis deux ans? «Ce n'est absolument pas logique», souligne l'avocate Odile Pelet. «Depuis la votation sur le régime du délai, qui permet l'interruption de grossesse librement dans les douze premières semaines et ensuite sur avis médical, l'interdiction du DPI ne tient plus.» Pour la spécialiste en droit médical, «la population suisse a clairement manifesté son ouverture lors de la récente votation sur les cellules souches» et les gens sont «moins effrayés par tous ces fantasmes de manipulations génétiques.» Tribune de Genève du jeudi 3 mars 2005 page 5 Journaliste Pascale Zimmermann DPI Mode d'emploi # Le diagnostic préimplantatoire (DPI) permet d'effectuer l'analyse génétique d'un embryon de 6 à 8 cellules, produit par fécondation in vitro. On fait une biopsie sur une ou deux cellules et l'on en détermine le caryotype. Le but est de dépister des anomalies pouvant induire de graves maladies héréditaires, avant l'implantation de l'embryon dans l'utérus. Ne sont implantés que les embryons ne présentant pas les anomalies génétiques recherchées. # Cette méthode est interdite en Suisse, en Italie, en Allemagne, en Autriche et en Irlande. Elle est autorisée à des conditions très strictes en France, en Espagne, en Norvège et au Danemark. # En Suisse, c'est la Loi sur la procréation médicalement assistée (LPMA), entrée en vigueur le ler janvier 2001, qui interdit le diagnostic préimplantatoire. # Contrairement au DPI, le diagnostic prénatal - autorisé en Suisse - n'est possible que lorsqu'une femme est enceinte. Il se fait par le biais de l'amniocentèse ou par prélèvement de villosités choriales (choriocentèse), Si des anomalies génétiques graves sont constatées, le diagnostic prénatal peut conduire à un avortement thérapeutique à un stade avancé de la grossesse. (pz) Le parcours du combattant Pour le Dr Pascal Mock, spécialiste genevois en médecine de reproduction, l'interdiction du diagnostic préimplantatoire est avant tout synonyme de détresse. «J'ai actuellement parmi mes patients un couple qui a perdu un premier bébé atteint d'amyotrophie spinale type 1. Cette maladie génétique grave entraîne le décès de l'enfant dans ses premiers mois. Comme le DPI est interdit en Suisse, je leur propose un traitement de procréation médicalement assistée. Puis,en cas de grossesse, un dépistage prénatal précoce (choriocentèse) afin de rechercher la mutation du gène responsable. Avec risque de fausse couche et éventuellement un avortement thérapeutique si l'enfant est atteint de la maladie.» Autre solution, la France où le DPI est autorisé. Trois centres le pratiquent: Paris, Strasbourg et Montpellier. «Ce couple devra prévoir des dizaines d'aller-retour; peut-être prendre un pied-à-terre sur place. Vous imaginez le coût? A Paris, un diagnostic préimplantatoire avec fécondation in vitro coûte 10 000 francs par tentative. Seuls les plus nantis peuvent se permettre ça. C'est une réelle injustice sociale.» Le Dr Mock relève que les cas où le DPI s'impose sont rares: «Je fais environ 70 fécondations in vitro (FIV) chaque année. Un dépistage de maladies génétiques ne serait nécessaire que dans un ou deux cas. En outre, il ne faut pas croire que les couples passent par là de gaieté de coeur. Le taux de réussite d'une FIV est de 35%; il tombe à 25% si l'on intervient sur l'embryon pour un DPI Les chances pour une femme de mener à bien sa grossesse sont minces; elle devra probablement faire deux ou trois tentatives. Cela n'a rien à voir avec une méthode de confort.» (pz)