Diagnostiquer les maladies chez l`embryon, médecine ou

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Diagnostiquer les maladies chez l’embryon, médecine ou eugénisme? - ...
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Bioethique Mardi 12 mai 2015
Par Denis Masmejan
Les Suisses se prononcent sur la première étape vers une légalisation
du diagnostic préimplantatoire. Des associations de défense des
handicapés militent pour le non. Les partisans du oui y voient un
progrès pour la médecine
C’était en 2000. Valentin était le premier bébé à naître en France après un diagnostic préimplantatoire
(DPI), une pratique autorisée par la législation française depuis 1994. Ses parents s’étaient découverts
porteurs d’une maladie héréditaire mortelle à l’occasion du décès de leur premier enfant. La
fécondation in vitro à partir des ovules de la mère et des spermatozoïdes du père leur avait permis de
sélectionner puis d’implanter un embryon sain grâce à une analyse des gènes – et Valentin était né.
Un tel scénario est pour l’heure impossible en Suisse, pratiquement le dernier pays européen à
interdire le DPI. Mais les citoyens diront le 14 juin s’ils veulent que cela change. Ils sont appelés à se
prononcer sur une modification de la Constitution proposée par le Conseil fédéral et les Chambres.
Le texte soumis au verdict populaire est un préalable indispensable à une future légalisation du DPI. Il
a pour but de supprimer la limite qui, dans l’actuelle Constitution, empêche de développer hors du
corps de la femme plus que le nombre d’embryons pouvant être immédiatement implantés.
Concrètement, ce nombre est fixé à trois. Beaucoup trop peu pour réaliser un DPI dans les règles de
l’art médical.
Il faut dès lors changer la Constitution. La loi d’application, elle, est déjà prête. En votant le 14 juin sur
la révision constitutionnelle uniquement, les citoyens peuvent donc déjà connaître avec précision les
conditions auxquelles la loi soumettra la pratique du DPI.
Même si le peuple – et les cantons – dit oui, il pourrait bien être appelé une seconde fois aux urnes sur
le même sujet. Car les adversaires du DPI ont promis de ne pas désarmer et de lancer un référendum
dirigé cette fois contre la loi si la révision de la Constitution est acceptée.
Felix Gutzwiller, lui, reste optimiste. Le conseiller aux Etats PLR zurichois est l’un des pères de la
légalisation du DPI. Les votations sur des sujets comparables, rappelle-t-il, ont montré que «le peuple
est plus progressiste que le parlement». Pour lui, un référendum ultérieur contre la loi n’est même pas
certain. «Tout dépendra du résultat de la votation du 14 juin.» Si le projet est très largement accepté, il
sera difficile pour les adversaires de remonter la pente.
Le DPI occupe le parlement depuis près de quinze ans. Le sujet reste toujours aussi controversé. Pour
ses contempteurs, cette technique – du moins telle qu’elle est réglementée par la loi proposée – est la
porte ouverte à un eugénisme qui ne dit pas son nom et risque d’accroître la stigmatisation et
l’intolérance à l’égard des personnes handicapées. «Non à la sélection des êtres humains», clame le
slogan du comité des opposants – où l’on ne compte toutefois que très peu de personnalités de
gauche, à la notoire exception de la conseillère nationale PS de Bâle-Campagne Susanne Leutenegger
Oberholzer.
En général libérale sur des questions telles que l’avortement ou la recherche sur les cellules souches de
l’embryon, la Fédération des Eglises protestantes de Suisse, cette fois, recommande le non. «Nous ne
12.05.2015 10:17
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sommes pas fermés à toute forme de DPI dans des cas particuliers, mais la réglementation envisagée
va trop loin», explique Anne Durrer, porte-parole de la FEPS. «Les dérives ne sont pas certaines, mais
le risque est trop grand», note-t-elle, rappelant qu’au regard des valeurs chrétiennes, «toute vie a la
même valeur».
Les défenseurs du DPI, eux, rétorquent que cette technique s’adresse à des couples souvent déjà
confrontés eux-mêmes à la souffrance du handicap et qui aspirent légitimement à l’épargner à leur
futur enfant.
«L’argument de l’intolérance qui risquerait de s’accroître n’est pas nouveau», se rappelle Felix
Gutzwiller. On l’entendait exactement sous la même forme, se souvient l’élu, dans la bouche de ceux
qui, à l’époque, combattaient les tests prénataux effectués sur le fœtus durant la grossesse. «En vingt
ou vingt-cinq ans, personne ne peut affirmer que les discriminations des handicapés se sont accrues.
Au contraire, de nombreux progrès ont été réalisés, par exemple dans le domaine de l’assurance
invalidité.»
Le débat transcende largement les clivages traditionnels. Les organisations de défense des handicapés,
aux premières lignes, sont elles-mêmes divisées. Certaines recommandent le non le 14 juin pour
mieux combattre la loi ensuite, d’autres acceptent la révision constitutionnelle mais diront non dans le
cadre d’un futur référendum.
L’orientation très libérale de la loi finalement adoptée par le parlement a bouleversé l’approche
beaucoup plus prudente du Conseil fédéral. Par rapport au projet du gouvernement, les Chambres ont
étendu les possibilités de recourir au DPI sur deux points fondamentaux.
D’abord, la trisomie 21 fera partie des maladies qui pourront être dépistées, ce que voulait exclure le
Conseil fédéral. Ensuite, ce ne sont pas seulement les couples qui se savent porteurs d’une anomalie
génétique qui pourront y recourir, mais aussi tous ceux qui, parce qu’ils ne peuvent pas avoir
d’enfants autrement, passent par une fécondation in vitro.
Médecin, directeur des Editions Médecine et Hygiène et rédacteur en chef de la Revue médicale suisse,
Bertrand Kiefer est un partisan convaincu du DPI. Il regrette néanmoins un débat «trop polarisé», qui
risque de passer à côté de l’essentiel. «Ce n’est pas en interdisant une technique plutôt qu’une autre
que nous y répondrons, mais nous devons vraiment réfléchir à la société que nous construisons,
obsédée par le contrôle, où les êtres humains deviennent eux-mêmes objets d’un contrôle de qualité.»
Partisan «d’un discours complexe», Bertrand Kiefer en appelle à une réflexion plus vaste. «Si l’on
supprime tous les individus affectés par un facteur de risque génétique, on ignore quelles en seraient
les conséquences en termes de diversité humaine. Or c’est cette diversité qui fait la richesse de notre
destin. Le rôle de la médecine n’est pas de normaliser les êtres humains, mais de les rendre libres.»
© 2015 Le Temps SA
12.05.2015 10:17
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