Publicité pour l`alcool et Internet : le Jury de déontologie publicitaire

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MARKETING, INTERNET & DISTRIBUTION • COMPLÉMENT D'ENQUÊTE & EXPERTISES
Publicité pour l’alcool et Internet :
le Jury de déontologie publicitaire,
nouveau juge de la communication ?
Sur un marché fortement concurrentiel comme celui des boissons alcoolisées, la publicité constitue
l’un des principaux vecteurs de concurrence entre entreprises. En conséquence, la question des
modalités du contrôle par le Jury de déontologie publicitaire de la licéité des publicités diffusées
constitue un enjeu majeur pour ce secteur.
SUR L’AUTEUR
Avocat au Barreau de Paris et de Bruxelles,
Jean-Louis Fourgoux est spécialiste en droit
de la concurrence et de la consommation.
Il intervient à ce titre tant en conseil qu'en
contentieux. Le cabinet Fourgoux & Associés
regroupe des experts du droit économique
(concurrence, distribution, consommation).
Il est classé incontournable parmi les équipes
en droit de la distribution.
Jean-Louis Fourgoux, avocat
P
a r plu sieu r s dé c i sion s
récentes, le Jury de déontologie publicitaire a sanctionné
des fournisseurs de boissons alcoolisées pour avoir diffusé des publicités
diffusées notamment sur internet
alors que, dans le même temps, les
juridictions judiciaires validaient la
communication pour des boissons
alcoolisées sur les réseaux sociaux.
L’encadrement de la publicité
en faveur de l’alcool
La publicité pour les boissons alcoolisées fait l’objet d’une réglementation très spécifique et donne lieu à un
contentieux nourri devant les tribunaux, très souvent saisis en référé par
L’Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie.
Récemment, le Jury de déontologie
publicitaire, instance de l’Autorité
de régulation professionnelle de la
publicité (ARPP) en charge de l’autorégulation du secteur a, à son tour,
été saisi de plusieurs publicités qu’il a
déclarées non conformes à ses règles
déontologiques.
On rappellera que si la publicité
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COLLECTION GUIDE-ANNUAIRE 2014
pour les boissons alcoolisées n’est pas
interdite, elle doit toutefois se limiter
strictement aux mentions autorisées
par l’article L.3323-4 du Code de
la santé publique. Cette disposition
prévoit ainsi que seules des mentions relatives notamment à l’ori-
« Le Jury de déontologie
publicitaire peut mettre
fin à une publicité
non conforme »
gine, la composition ou les qualités
gustatives d’un produit peuvent être
admises dans une communication
en faveur d’une boisson alcoolisée,
ainsi que l’indication de son mode
de consommation ou de commercialisation.
Toute mention ou illustration ne se
DÉCIDEURS : STRATÉGIE FINANCE DROIT
rapportant pas à l’un de ces éléments
limitativement énumérés entraîne
ainsi l’illicéité de la communication
et, par voie de conséquence, le retrait
de la publicité.
De même, le législateur a souhaité
limiter les supports sur lesquels pouvaient être diffusées des publicités
en faveur de boissons alcoolisées en
énumérant limitativement ceux-ci à
l’article L.3323-2 du code de la santé
publique. Celui-ci, modifié en 2008,
prévoit désormais qu’Internet est un
support de communication autorisé,
à l’exception des sites internet principalement destinés à la jeunesse et à
condition que la publicité ne soit ni
intrusive, ni interstitielle.
Des décisions divergentes
entre le JDP et le juge judiciaire
Très récemment, le juge judiciaire
a eu l’occasion d’apporter d’importantes précisions sur l’application de
ces dispositions et a fait preuve d’une
interprétation souple de la loi.
S’agissant des mentions et des illustrations accompagnant les publicités pour des boissons alcoolisées,
la Cour d’appel de Versailles a,
sur renvoi de la Cour de cassation,
estimé que « la présentation du produit à promouvoir suppose donc que
ce dernier, et sa consommation, soient
présentés sous un jour favorable et de
façon attractive » puisque, selon elle,
« par nature, toute publicité ne peut
avoir comme objectif que de modifier
le comportement de son destinataire
en provoquant l’achat du produit
présenté, soit en provoquant le désir
d’acheter et de consommer » (CA Versailles, 3 avril 2014, n°12/02102,
ANPAA c/CIVB).
Par Jean-Louis Fourgoux, avocat.
Cabinet Fourgoux & Associés
LES POINTS CLÉS
La publicité pour l’alcool est autorisée mais strictement encadrée notamment sur Internet.
Le jury de déontologie publicitaire et les tribunaux ont des approches divergentes de la licéité
des publicités en faveur de boissons alcoolisées.
Ces divergences d’interprétation défavorables aux annonceurs ont été récemment exploitées
par les associations de protection contre l’alcoolisme, au détriment des actions devant le juge judiciaire.
Le Jury de déontologie publicitaire peut ainsi devenir le nouveau juge de la communication.
La Cour d’appel validait ainsi une
série de publicités représentant des
professionnels de la filière viticole,
souriants et détendus, présentant
différents vins de Bordeaux.
De même, le juge des référés du TGI
de Paris, saisi de l’appréciation de la
validité d’une publicité pour une
bière, a confirmé que la représentation stylisée des agrumes, participant
à l’aromatisation de cette bière, était
licite puisque relative à sa composition et à ses qualités gustatives (TGI
Paris, 20 février 2014, n°13/59661).
A contrario, le Jury de déontologie
publicitaire a, par une série de trois
décisions rendues presque coup sur
coup, déclaré illicites des publicités
pour le Martini royale, la vodka Grey
Goose et la bière La Goudale (décisions du 27 janvier et 2 avril 2014).
Le Jury, interprétant de façon particulièrement restrictive les dispositions du code de la santé publique,
a en effet estimé pêle-mêle que le
slogan « fly beyond » (« s’envoler
au-delà ») « induit nécessairement
une association à l’idée de voyage et,
plus encore, à celle de dépassement de
limites, qu’elles soient physiques, sensorielles ou psychologiques » incitant
donc à une consommation excessive d’alcool, que le terme « royale »
associée à la marque Martini « est de
nature à conduire le consommateur à
imaginer qu’acheter, offrir ou boire le
Martini royale pourrait lui permettre
d’accéder à une forme de supériorité
sociale » et enfin que le slogan « de
l’amitié à partager » était illicite car
ne se rapportant à aucune des mentions autorisées par le Code de la
santé publique.
Force est alors de constater que la
pratique décisionnelle du Jury de
déontologie publicitaire semble
encore plus rigoureuse que celle déjà
restrictive des tribunaux.
Le Jury de déontologie publicitaire
dispose de pouvoirs non négligeables
puisqu’il peut recommander aux
membres de l’ARPP de cesser ou
modifier une campagne publicitaire
ou empêcher qu’elle soit à nouveau
diffusée. Ainsi, loin d’être purement
consultatif, le Jury de déontologie
publicitaire jouit d’une réelle autorité vis-à-vis des annonceurs, des
supports et des agences.
Il s’agit donc pour les plaignants
d’un recours alternatif aux tribunaux
permettant d’obtenir une décision
au terme d’une procédure particulièrement rapide pour laquelle les
garanties procédurales pourraient
être améliorées, la décision n’étant
notamment pas susceptible de
recours.
On ne saurait exclure que l’appréciation très restrictive de la
réglementation par le Jury de déontologie publicitaire aboutisse à une
autocensure encore plus rigoureuse,
préjudiciable aux entreprises.
Ne conviendrait-il pas de s’interroger sur les pouvoirs et la procédure du Jury de déontologie
publicitaire afin que celui-ci ne
devienne pas le véritable juge de
la communication en matière de
boissons alcoolisées, notamment
sur internet, susceptible de restreindre la concurrence par médias
interposés dans le secteur ?
27 janvier 2014 :
par deux décisions rendues le même jour, le Jury
de déontologie publicitaire sanctionne les publicités
pour le Martini royale et la Vodka Grey Goose en
se fondant sur l’aspect incitatif à la consommation
d’alcool des slogans utilisés : « fly beyond »
et « Martini royale ».
JANVIER
2 avril 2014 :
le Jury de déontologie publicitaire
censure le slogan d’une publicité
faisant mention du terme « amitié »
du fait de son caractère incitatif.
FÉVRIER
20 février 2014 :
le TGI de Paris rejette les demandes d’interdiction
des publicités diffusées sur les réseaux sociaux en
estimant que celles-ci se rapportent uniquement aux
caractéristiques de la boisson alcoolisée en cause.
MARS
2014
AVRIL
MAI
3 avril 2014 :
la Cour d’appel de Versailles rappelle que la publicité
peut présenter les boissons alcoolisées sous un jour
favorable et de façon attractive pour provoquer le désir
de consommation chez le consommateur.
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