congrès congrès Écho des congrès Approches interdisciplinaires dans le domaine des sciences cognitives École thématique du département des sciences humaines et sociales du CNRS Roscoff : 9-13 octobre 2000 Elisabeth Bacon* positifs de cette définition de culture sont que la culture ’objet des sciences cognitives est de décrire, expliquer et, le laserait une similarité, la trans(Pascal Boyer, Lyon) cas échéant, simuler les principales dispositions et capacités mission culturelle ne serait Les représentations cul- de l’esprit humain : mémoire, langage, raisonnement, percep- pas intentionnelle, et les turelles varient d’un tion, coordination motrice, classification et catégorisation. Les grandes tendances seraient groupe à l’autre et sont sciences cognitives connaissent, dans les pays à haut niveau le résultat de petites variatransmises comme résul- scientifique, un développement considérable. La compréhension tions. Toutefois, la réplication des memes pose protat d’un input intérieur des mécanismes par lesquels s’opère la cognition humaine est un blème : en fait, elle ne suit pas au groupe. L’anthropologie cognitive s’inté- nouveau défi auquel sont confrontés les chercheurs, qu’ils exer- les modalités de la transmisresse à tout ce qui cent leurs activités dans les domaines des sciences humaines et sion génétique. On peut concerne les fondements sociales, des neurosciences et de la psychologie cognitive, ou prendre l’exemple de la p s y c h o s o c i a u x d e s dans les recherches en intelligence artificielle. L’objet de cette morale : dès l’âge de 3 ans, les enfants ont clairement la connaissances culturelles et de leur acquisi- école thématique était de voir comment peut se réaliser l’articu- conscience que les règles de tion. Les chercheurs qui lation entre les différentes disciplines des sciences humaines et morale sont différentes des établissent des compa- sociales (SHS), des sciences de la vie (SDV) et des sciences pour conventions sociales. Selon raisons transculturelles l’ingénieur (SPI), qui composent le champ des sciences cogni- le modèle “indice plus inférence”, qui fonctionne plutôt des modes de raisonnetives. Elle a permis à chacun de se familiariser avec les acquis sur le mode épidémioloment, qui mettent en relief les différences sont méthodologiques et théoriques des sciences cognitives qui res- gique, acquérir le langage, la des anthropologues sortissent à d’autres disciplines, de comprendre les probléma- grammaire et les concepts au cognitivistes. Ceux qui tiques, concepts et outils propres à chaque discipline, afin cours du développement, procèdent de la manière d’établir une base commune de connaissances. Petit aperçu d’un consiste, pour l’enfant, à développer des inférences à opposée, en cherchant à identifier des processus état de l’art récent dans quelques-unes de ces disciplines qui, partir d’entrées limitées, le cognitifs universels, et pour certaines, se développent actuellement à un rythme accélé- discours de ses parents en qui regardent comment ré, aussi bien dans les techniques et les méthodes utilisées que particulier. La manière dont ces inférences sont ces derniers affectent dans les résultats obtenus. construites est différente l’acquisition et le savoir selon les divers domaines dans des environnements conceptuels. divers le sont aussi. De Notre catalogue de “ce qu’il y a dans le tions mentales communes à un groupe, que quoi est faite une culture ? Elle est constimonde”, de comment nous savons “ce les anthropologues cognitivistes appellent tuée d’un certain nombre d’unités de réplidont il s’agit” (how we know what it is) des memes. Ces unités de culture fonctioncation culturelle, ensembles d’informadépend d’un système d’inférences. Toute nent bien et sont transmissibles ; on consicommunication est inférencielle ; par dérait jusqu’à récemment que cette transconséquent, une structure est nécessaire mission suivait un mécanisme apparenté à pour l’acquisition de l’information, et le une transmission génétique : on observe, en développement requiert des inférences effet, des variations au hasard, des rétencontraintes. tions sélectives de variables, etc. Les points * Inserm, Strasbourg. Anthropologie L Act. Méd. Int. - Psychiatrie (17) n° 10, décembre 2000 350 congrès congrès Écho des congrès Modélisation cognitive (Frédéric Alexandre, Nancy) L’intelligence artificielle est le domaine qui étudie comment faire faire par une machine des tâches dans lesquelles, aujourd’hui, l’homme est encore le meilleur. Deux grands courants de pensée s’intéressent à la modélisation cognitive : l’approche symbolique, ou experte, et l’approche connexionniste, encore appelée numérique ou statistique. L’approche symbolique décrit explicitement les phénomènes cognitifs à partir de connaissances que l’on peut obtenir des différents domaines des sciences cognitives. Elle intègre ainsi les données de la logique, de la psychologie cognitive ou de la linguistique. Dans son acception la plus récente, elle concerne les techniques qui permettent de résoudre des problèmes exponentiellement ardus en temps polynomial en exploitant la connaissance du domaine : l’homme est en effet un “satisfaiseur” plutôt qu’un “optimiseur”. L’intérêt de l’approche symbolique est qu’elle est formelle, structurée, extensible et explicable. Toutefois, elle ne manque pas d’inconvénients : restent ainsi posées les questions de sa cohérence, de savoir si elle permet vraiment l’approche du monde réel, et de comment définir l’expertise. L’approche connexionniste essaie de construire des modèles numériques à partir de l’observation des phénomènes cognitifs. Cela renvoie, par exemple, aux statistiques ou aux réseaux de neurones artificiels. Il est important de garder à l’esprit que le neurone artificiel est une métaphore : c’est une petite unité de calcul numérique, avec des entrées et des sorties. Son activation est transmissible, et il peut donc activer d’autres neurones. Le neurone a des facultés adaptatives, ce qui est obtenu en modifiant son “poids”. La modification du poids du neurone artificiel, soit l’apprentissage, peut se faire selon deux modalités : une modalité d’inspiration biologique ou neuronale et une modalité d’inspiration mathématique. Selon l’apprentissage neuronal (loi de Hebb), deux neurones sont reliés et leurs poids sont modifiés par activation pré- et postsynaptique. Une application en est, par exemple, le “perceptron”, capable d’apprentissage supervisé par correction d’erreurs. Selon l’apprentissage mathématique, il y a minimisation d’une fonction de coût mesurant la distance entre le comportement observé et le comportement souhaité, que ce comportement souhaité le soit implicitement ou explicitement. Tant avec l’apprentissage neuronal qu’avec l’apprentissage statistique, on cherche à extraire des invariants. Parmi les chercheurs en intelligence artificielle, le débat symbolique/connexionniste reste ouvert. On s’intéresse toujours à un traitement de l’information numérique, distribué et adaptatif. Mais le problème de l’ancrage et de l’émergence reste posé pour les neurones artificiels. Par ailleurs, l’approche symbolique est fondée sur les connaissances, alors que l’approche connexionniste l’est sur les données. Il s’agit de qualités différentes, indispensables toutes les deux, et l’avenir semble être promis à l’intégration neurosymbolique. Linguistique (Stéphane Robert, Paris – Jean-Luc Nespoulos, Toulouse) Le langage est une faculté émergente (non innée, non autonome), relevant de mécanismes cognitifs généraux, relié à l’expérience perceptuelle et sensorimotrice. Le langage est fondamentalement sémiologique, puisque le sens et les fonctions communicatives en déterminent les structures. Par ailleurs, la syntaxe participe du système symbolique général, et les catégories grammaticales ont une signification. Enfin, les catégories linguistiques sont des systèmes non statiques qui sui- 351 vent une dynamique de construction. Le modèle de linguistique cognitive doit être psychologiquement plausible et compatible avec les théories des neurosciences cognitives concernant le fonctionnement du cerveau en général. Si, dans certaines disciplines, le développement des sciences cognitives a donné naissance à un champ spécifique (comme les neurosciences cognitives ou la psychologie cognitive), il n'en va pas de même pour la linguistique. Au sein de cette discipline, plusieurs courants théoriques se réclament d'approches “cognitives” de la langue, qui divergent sur la façon d'articuler le verbal et le conceptuel, ou d’aborder la question des universaux linguistiques face à la diversité des langues. Toutefois, le traitement du langage fait l’objet de nombreuses études en sciences cognitives (en neurosciences, en psychologie, en informatique), qui s’appuient de façon plus ou moins explicite sur des concepts empruntés à la linguistique. Dans le domaine de la pathologie du langage, trois disciplines se trouvent ainsi impliquées : la linguistique, la psycholinguistique et la neuropsycholinguistique. La linguistique spécifie les propriétés structurales de telle ou telle langue naturelle à chacun de ses niveaux d’organisation : phonologique, morphologique, syntaxique. La psycholinguistique a pour objectif de caractériser les processus cognitifs présidant au traitement des structures linguistiques par l’esprit humain et, si possible, en temps réel. On s’intéresse aux processus cognitifs mis en œuvre dans la production du langage ainsi que dans sa compréhension, à l’oral comme à l’écrit. La neuropsycholinguistique, quant à elle, tente de “réconcilier le corps et l’esprit” (le cerveau), dans un effort d’identification des structures cérébrales ou réseaux neuronaux mobilisés lors du traitement cognitif de telle ou telle composante de l’architecture fonctionnelle du langage. En étudiant le fonctionnement du langage perturbé de certains patients, comme des cérébrolésés, l’approche neuropsycholinguistique va tenter d’échafauder congrès congrès Écho des congrès l’architecture structurale et fonctionnelle du langage dans le cerveau/esprit humain. L’observation, chez divers patients, des dissociations existantes de tel système, sous-système ou composante de la fonction linguistique, permettra de mieux distinguer, dans les langues naturelles, les composantes qualitatives différentes (phonologie, morphologie, syntaxe), mais aussi la variabilité de complexité intrinsèque de chaque composante. À titre d’exemple, on peut observer chez des aphasiques diverses perturbations du comportement verbal : traitement différentiel du lexique et de la syntaxe, traitement différentiel des noms et des verbes, traitement différentiel de certaines catégories lexico-sémantiques. Parallèlement, les résultats en imagerie fonctionnelle cérébrale semblent parvenir à des résultats similaires, puisqu’on observe, par exemple, l’implication du lobe frontal gauche dans le traitement des verbes et du lobe temporal inférieur dans le traitement des noms. Économie (Paul Bourgine, Paris) L’objet de l’économie cognitive est de prendre en compte les dimensions de la cognition dans la théorie économique, tant au niveau des individus impliqués qu’à celui de leurs interactions dynamiques et des formes institutionnelles qui en résultent. Elle applique un modèle de rationalité individuelle : en psychologie cognitive, l’individu rationnel raisonne bien. En économie cognitive, l’individu rationnel maximise une fonction, la fonction d’utilité : on parlera alors de rationalité substantive. Les incertitudes qui structurent la plupart des marchés sont liées au caractère incomplet des informations dont disposent les acteurs de l’activité économique, et à la manière dont ceux-ci l’obtiennent, la traitent et l’utilisent. L’économie cognitive pose les questions de savoir comment vivre dans un monde infi- niment complexe en ne disposant que de capacités cognitives limitées et de comment expliquer qu’un expert soit capable d’atteindre une rationalité remarquable en n’explorant que peu de possibilités (par exemple le joueur d’échecs), et cela en utilisant des connaissances procédurales. Pour l’expert, la rationalité se situe dès lors davantage dans la procédure que dans son résultat. Mais d’où viennent ces connaissances procédurales et comment les sujets changent-ils ces connaissances procédurales sur une trajectoire temporelle ? La place des sciences cognitives en économie reste marginale, malgré des travaux précurseurs comme ceux de Simon et Hayek. Pourtant, les apports des sciences cognitives à la compréhension profonde des concepts centraux des sciences économiques (croyances, normes, conventions, préférences, rationalité limitée et procédurale) sont essentiels. Inversement, les sciences cognitives se sont longtemps intéressées à la cognition des agents individuels, indépendamment de leur insertion sociale. C’est pourquoi une interaction forte entre l’économie et les sciences cognitives est à la fois nécessaire et souhaitable. L’objet de l’économie cognitive est de prendre en compte les dimensions de la cognition dans la théorie économique, tant au niveau des agents qu’à celui de leurs interactions dynamiques et des phénomènes institutionnels émergents qui en résultent. Philosophie (Élisabeth Pacherie, Paris) La philosophie de l’esprit est la branche de la philosophie qui a pour objet l’étude conceptuelle de la nature de l’esprit et des phénomènes mentaux : Quels sont les critères du mental ? Comment caractériser différentes catégories mentales, comme la perception, la mémoire, les croyances, l’imagination ? Quels sont les rapports du physique et du mental ? L’idée générale est que l’étude des pouvoirs et facultés de l’es- Act. Méd. Int. - Psychiatrie (17) n° 10, décembre 2000 352 prit devrait permettre de révéler le contenu ou au moins les limitations de la connaissance humaine en général et de la théorie de la nature en particulier. Longtemps avant la naissance des sciences cognitives, la philosophie a proposé des analyses de la nature du mental et contribué, de manière non expérimentale, à la compréhension des mécanismes de formation des connaissances. Toutefois, les sciences cognitives conduisent à reposer ces questions dans un cadre théorique nouveau. Elles considèrent l’esprit comme un objet d’étude susceptible d’être abordé avec les méthodes des sciences de la nature et récusent ainsi l’idée d’une dualité irréductible entre le physique et le mental. Avec le développement de la théorie des systèmes de traitement de l’information et de l’intelligence artificielle, on s’affranchit des limitations imposées jusque-là par l’absence d’un accès direct au mental par des méthodes objectives. Une étude expérimentale et théorique des processus cognitifs devient possible. Cela lance trois défis majeurs à la philosophie de l’esprit. L’esprit présente, en effet, trois caractéristiques centrales dont il n’est pas évident, de prime abord, qu’elles puissent recevoir un traitement naturaliste : l’intentionnalité, ou capacité à représenter : nous construisons des représentations de notre environnement et les exploitons pour guider nos actions. Mais d’où vient cette capacité à représenter et comment un système physique peut-il être intrinsèquement capable de représentation ? La rationalité : une définition classique des êtres humains est d’être rationnels. Mais la capacité à raisonner et à penser rationnellement est définie comme capacité à suivre des règles, à obéir à des normes de rationalité. Comment concilier l’ordre des normes qui régit le mental et l’ordre des causes qui règne dans le domaine du physique ? La conscience : une partie importante de notre vie mentale est consciente. Non seulement, nous sommes conscients d’une partie au moins de nos pensées, mais nos congrès congrès Écho des congrès perceptions internes (proprioception, douleur, etc.) et externes (vision, audition, toucher…) s’accompagnent de certaines expériences qualitatives. Est-il possible de rendre compte des phénomènes de la conscience en supposant que l’esprit est un système matériel ? Au XXe siècle apparaît l’idée de séparabilité de la conscience et de l’intentionnalité. Dans les sciences cognitives, la conscience n’est pas supposée constitutive de la pensée. Il est important aussi de bien distinguer l’inconscient freudien de l’inconscient cognitif : l’inconscient freudien au sens strict consiste en désirs et pensées qui cherchent sans cesse à se manifester mais sont rendus inaccessibles à la conscience par l’action constante de mécanismes de refoulement. L’inconscient freudien n’est en principe pas inaccessible à la conscience, grâce aux méthodes psychanalytiques de levée du refoulement. L’inconscient cognitif est une conséquence de la manière dont notre système perceptivo-cognitif est constitué et nous est en principe inaccessible. Il s’agit d’un inconscient structurel et non dynamique. La démarche générale des sciences cognitives a pour présupposé fondamental la possibilité d’une théorie matérialiste de l’esprit. Or, deux des caractéristiques essentielles de l’esprit sont la conscience et l’intentionnalité. Pour que la possibilité d’une théorie matérialiste de l’esprit soit avérée, il faut donc que l’on puisse apporter des réponses convaincantes aux deux questions suivantes : Comment un système matériel peut-il avoir des propriétés intentionnelles ? Comment un système matériel peut-il être conscient ? Les philosophes de l’esprit ont beaucoup travaillé sur ces questions au cours des trente dernières années. “À défaut d’unanimité, constate Élisabeth Pacherie, l’opinion majoritaire semble être qu’on a progressé relativement à la première question et qu’il existe des pistes prometteuses pour la naturalisation de l’intentionnalité. En revanche, en ce qui concerne la naturalisation de la conscience, le pronostic est pour l’instant beaucoup plus réservé, et la conscience phénoménale en particulier demeure un obstacle que l’on ne voit pas encore comment surmonter.” Les philosophes de l’esprit sont aussi là pour réfréner les scientifiques dans leur tendance à formaliser un peu hâtivement des relations de cause à effet et pour leur rappeler l’existence du fossé explicatif : quelle que soit la quantité d’informations nouvelles que nous découvrirons sur la structure physique des neurones, sur les transformations chimiques ou les activations de zones cérébrales qui se produisent quand les neurones sont activés, etc., nous ne pourrons jamais expliquer pourquoi ces processus et changements physico-chimiques produisent tel comportement ou telle sensation subjective, ou pourquoi ils produisent des sensations subjectives plutôt que rien. Annoncez-vous ! 75 ▲ PARIS MÉDECINS DU MONDE RECHERCHE pour son Centre Méthadone (Espace Parmentier – Paris 11e) UN(E) MÉDECIN PSYCHIATRE CDI–MI-TEMPS Prise en charge médicale des patients toxicomanes (suivis psychothérapeutiques, mises en route et suivis des traitements psychotropes et de substitution...) Son profil : Médecin psychiatre expérimenté/expertise dans le champ de la Réduction des Risques liés à l’usage de drogues. Adresser candidatures sous référence MedPsyMéthaParis à : Médecins du Monde – Bureau du Personnel 62 rue Marcadet – 75018 PARIS (rémunération approximative : 10 000 F brut/mois pour mi-temps) (aucun traitement par téléphone) Le caractère résolument pluridisciplinaire de cette école, qui couvrait l’essentiel des disciplines impliquées dans les sciences cognitives, a clairement contribué à structurer et renforcer une communauté scientifique interdisciplinaire dans le domaine des sciences cognitives et à définir des orientations pour de futurs programmes de recherche. 353