Admettons un instant que Darwin se soit trompé... Que dit la Bible

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SCIENCE & RELIGION
Admettons
un instant que Darwin
se soit trompé...
Que dit la Bible à
propos de la Genèse?
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ALLEZ
SAVOIR
! / N°43 DÉCEMBRE 2008
Photo by J. Cameron, 1869
A
double titre, 2009 sera l'année Charles
Darwin. Nous célébrerons le bicentenaire de
sa naissance, le 12 février 2009, et les 150
ans de son ouvrage «L'Origine des espèces».
La polémique avec les créationnistes est programmée.
Profitons-en pour relire l'Ancien Testament avec
Thomas Römer, un spécialiste de l'UNIL. Surprise :
on découvre que la Bible raconte deux origines du
«La Création d'Adam», une fresque de Michel-Ange, 1509-1510, Vatican, chapelle Sixtine
monde inconciliables. Bonne nouvelle pour Darwin!
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SAVOIR
! / N°43 DÉCEMBRE 2008
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Admettons un instant que Darwin se soit trompé... Que dit la Bible à propos de la Genèse?
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E
t si Darwin avait tort? Et si la
Bible disait vrai sur la création du
monde? En vérité, plusieurs arguments
très sérieux militent pour ce point de vue.
D’abord, le Livre Saint a 2500 ans; c’est
beaucoup plus ancien que «L’Origine des
espèces», qui fut publié le 24 novembre
1859 et dont on célébrera l’an prochain
les 150 petites années d’existence.
Ensuite, l’Ancien Testament est à lui
seul trois fois plus gros que le petit pavé
de Darwin : plus de 2000 pages dans une
traduction courante, contre à peine plus
de 600 pour le pensum du biologiste
anglais.
Troisièmement, la Bible est au sommet des ventes depuis des temps immémoriaux. C’est même l’ouvrage le plus lu
dans le monde entier, loin devant Harry
Potter, «Millenium» ou le «Da Vinci Code». Et si loin des livres de Darwin que
c’en est humiliant. D’ailleurs, «L’origine
des espèces» n’apparaît dans aucun classement commercial.
Il y a deux Genèses
dans la Bible
Malgré ces évidences, des esprits chagrins doutent encore. Parmi eux, Thomas Römer, qu’on dit grand spécialiste
de l’Ancien Testament et qui enseigne à
la Faculté de théologie de l’UNIL et au
Collège de France. Ce professeur affirme
que la Genèse est incohérente; que si on
la lit à la lettre, l’histoire de la naissance
du monde ne tient pas debout.
Son argument principal est le suivant :
la Genèse propose deux récits de la création du monde et non pas un. Le premier
va jusqu’au chapitre II, verset 4; le
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«Le jardin d'Eden», une peinture des frères Limbourg,
tirée du livre «Les très riches heures du duc de Berry», 1412-16,
Musée Condé, Chantilly
deuxième commence à ce point jusqu’à
la fin du chapitre III. Entre ces deux
récits, et parfois même à l’intérieur de
chaque récit, il y aurait une série de
contradictions et de bizarreries flagrantes dans la Bible.
L’homme a-t-il été créé avant la
femme ou en même temps?
Au chapitre I verset 27 de la Genèse,
il est écrit : «Dieu créa l’homme à son
image, à l’image de Dieu il le créa; mâle
et femelle il les créa.» Une dizaine de versets plus loin, dans le chapitre suivant,
il est écrit : «Le Seigneur Dieu modela
l’homme avec de la poussière prise du sol.
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Il insuffla dans ses narines l’haleine de
vie, et l’homme devint un être vivant.»
Eh bien, dans ces deux brefs passages,
Thomas Römer parvient à voir cinq éléments contradictoires.
Contradiction n° 1 : ces deux passages
racontent la naissance de la femme à deux
moments différents. «Dans le premier,
l’homme et la femme apparaissent en
même temps; Dieu crée le couple humain,
relève le professeur. Or, dans le deuxième passage, le Seigneur commence par
créer un seul être.»
Dans ce que Thomas Römer appelle
«le deuxième récit», la femme arrive en
dernier. Adam commence par s’ennuyer
«La création d'Eve», une fresque de Michel-Ange, 1509-1510, Vatican, chapelle Sixtine
▲
Eve a-t-elle bien été créée après Adam? Pas sûr. Certains versets de la Bible prétendent au contraire
que Dieu a fait apparaître l'homme et la femme en même temps
La création de
l'homme, imaginée par
Darwin en 1837.
Sur ce croquis, le
scientifique a esquissé
un premier arbre
généalogique. La
théorie de l'évolution
des espèces est en train
de naître
dans le jardin d’Eden, puis Dieu compatit et cherche à lui faire «une aide». Il
pense d’abord à créer les animaux pour
lui tenir compagnie; mais le pauvre homme ne trouve pas chaussure à son pied.
Alors Dieu l’endort et lui enlève une côte
qu’il «transforme» en une femme.
Adam a-t-il été créé avant ou
après les animaux?
Wikimedia Commons
Contradiction n° 2: dans le premier
passage, le couple humain est créé «à
l’image de Dieu» – le texte dit aussi selon
sa «ressemblance»; dans le deuxième,
lorsque le Seigneur crée Adam seul, cette
référence n’apparaît plus.
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Admettons un instant que Darwin se soit trompé... Que dit la Bible à propos de la Genèse?
«Caïn et Abel», une peinture du Titien, vers 1570-1576, Santa Maria della Salute, à Venise
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Comment l'humanité a-t-elle fait pour ne pas disparaître, puisque Eve n'a eu que des garçons,
et que Caïn a tué Abel?
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© N. Chuard
simplement que le Créateur «établit»
l’être humain dans le jardin d’Eden «pour
cultiver le sol et le garder».
Une différence qui suscite ce commentaire au professeur : «Dans le premier
récit, le texte instaure une supériorité des
hommes sur les animaux. Dieu attribue
une sorte d’ascendance royale à l’homme
sur le règne animal. Dans le deuxième
récit, Dieu donne aux animaux un rôle
de compagnon pour Adam. Cela signifie
qu’homme et animaux ne sont pas si différents, qu’ils sont au même niveau.»
Pourquoi, pourquoi, pourquoi?
Thomas Römer, spécialiste de l’Ancien Testament à l’UNIL
et professeur au Collège de France
→
Contradiction n° 3: dans le premier
récit, Dieu s’appelle «Dieu», soit «Elohim» dans le texte original; dans le
deuxième récit, il s’appelle «Yahvé»,
qu’on traduit en français par «le Seigneur».
Contradiction n° 4: lorsque le couple
humain apparaît dans le premier récit,
tous les animaux sont déjà créés; les êtres
humains arrivent donc en dernier. Mais
dans le chapitre suivant, lorsqu’Adam
émerge de sa glaise, il n’y a sur la Terre,
dit le texte, «encore aucun arbuste des
champs et aucune herbe n’avait encore
germé».
Contradiction n° 5, enfin : le couple
humain prend vie par la seule parole
divine, tandis que l’homme solitaire est
modelé par les mains du Créateur «avec
de la poussière prise du sol».
L’homme est-il vraiment
supérieur aux animaux?
La chasse aux contradictions de Thomas Römer ne s’arrête pas là. Il examine
d’autres passages et s’amuse à pointer
une foule de problèmes supplémentaires.
Lorsque le Créateur s’apprête à créer
l’homme et la femme d’un seul coup, il
décrit la mission de l’être humain en
disant «qu’il soumette les poissons de la
mer, les oiseaux du ciel, les bestiaux,
toute la terre et toutes les petites bêtes
qui remuent sur la terre!»
Mais lorsque «le Seigneur Dieu» crée
Adam dans le deuxième récit, le texte dit
Et puis, comment se fait-il que le jour
et les plantes sont créés avant le soleil?
Comment l’humanité a-t-elle pu se reproduire puisqu’Adam et Eve n’ont fait que
des garçons? Caïn a-t-il couché avec sa
mère après avoir tué son frère? Pourquoi
Caïn a-t-il peur d’être tué par quelqu’un
après avoir tué Abel, alors que ne vivent
encore que trois êtres humains sur terre?
Pourquoi Dieu protège-t-il Caïn le meurtrier quelques lignes après l’avoir maudit?
Et encore : qui sont ces «géants», qui
apparaissent au chapitre VI et habitent
la Terre au moment où Dieu décide pour
la première fois d’anéantir l’humanité?
Pourquoi les humains parlent-ils plusieurs langues au chapitre X, puis une
seule au chapitre XI? Pourquoi est-il
écrit que le Déluge a duré 50 jours dans
une ligne et 140 jours dans une autre?
Etc., etc... «Si l’on dressait la liste de
toutes les incohérences de la Bible, on
pourrait écrire un livre entier», dit Thomas Römer avec malice.
Même l’Eglise hésite à prendre
la Bible au pied de la lettre
Il y a longtemps que cette façon de
mettre en doute la vérité biblique a com-
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Admettons un instant que Darwin se soit trompé... Que dit la Bible à propos de la Genèse?
Charles Gleyre (1806-1874) / «Le Déluge», 1856 / Huile et pastel
sur toile, 98,5 x 197 cm / Musée cantonal des Beaux-Arts, Lausanne /
Photo : J.-C. Ducret, Musée cantonal des Beaux-Arts, Lausanne
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Le récit du Déluge (imaginé ici par le peintre Charles Gleyre) n'est pas une exclusivité de la Bible.
On le trouve aussi dans plusieurs textes écrits avant l'Ancien Testament
La Genèse n'aurait pas été rédigée
par Moïse sur le mont Sinaï, mais elle serait
une compilation de plusieurs histoires
racontant l'origine du monde
Moïse, une huile de José de Ribera, 1638, Musée de San Martino, Naples
mencé. Au début du XVII e siècle déjà,
Galilée s’acharne à instiller le doute. Il
affirme que la Terre n’est pas un simple
plateau surmonté d’une cloche à fromage,
comme le racontent les Ecritures.
«Après lui, l’Eglise a commencé à se
dire qu’on ne pouvait peut-être pas
prendre toute la Bible à la lettre, dit
Thomas Römer. Au XVIII e siècle, on
s’intéresse à la formation du Pentateuque, et on s’aperçoit que les cinq premiers livres de l’Ancien Testament se
composent de différents documents.
Cette constatation est à l’origine de l’hypothèse, ultérieure, que la Bible a été
écrite par plusieurs rédacteurs à différentes époques.»
▲
→
Un pot-pourri de récits
antérieurs
Thomas Römer affirme ainsi que la
Genèse n’a pas été rédigée par Moïse
sous la dictée de Dieu sur le mont Sinaï.
«Comme le Pentateuque et l’ensemble de
l’Ancien Testament, le récit de la création est une compilation de plusieurs histoires, un pot-pourri de toutes sortes de
conceptions de l’origine du monde.»
Un exemple parmi d’autres : la Bible
raconte que Dieu crée le monde à partir
d’un océan primordial, dont il partage les
eaux. «L’idée que la naissance de l’uni-
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vers a passé par une séparation se retrouve dans les traditions égyptiennes,
babyloniennes et grecques. Chez les
Egyptiens, le ciel et la terre forment un
couple qui fait l’amour continuellement
et qu’il faut séparer pour que le monde
puisse naître.»
Chez les Grecs, le ciel Ouranos étouffe
la Terre Gaia de son poids avant que les
Titans, les toutes premières divinités de
la mythologie, ne coupent son sexe pour
pouvoir sortir du ventre de leur mère.
Quant au récit du Déluge, on le trouve
dans plusieurs histoires antérieures à la
Bible: «Le récit biblique reprend de nombreuses traditions tout en les réinterprétant, dit Thomas Römer. Dans l’épopée
de Gilgamesh, les dieux déclenchent le
déluge par pur caprice, comme pour
s’amuser. La Genèse reprend la même
histoire en donnant une raison moins
arbitraire. Dieu détruit l’humanité parce
qu’elle est devenue mauvaise.»
La vérité peut-elle avoir des
zones d’ombre?
Que répondre à tout cela? L’intention
du professeur de théologie lausannois est
claire: selon lui, «il est totalement absurde
de prendre la Bible à la lettre». Que peut
bien rétorquer un créationniste contre
cette vision, qui enlève à la Bible toute
Creation Museum, Cincinnati
Voici comment les créationnistes américains présentent la Genèse,
au Creation Museum de Cincinnati. Ils y expliquent notamment que, si la Bible ne parle pas des dinosaures,
c'est parce que ces animaux ont disparu durant le Déluge
réalité? Thomas Römer donne lui-même
des pistes : «Contrairement aux Anciens
ou à la tradition juive, la tradition chrétienne refuse que la Bible puisse comporter des faits ou des idées contradictoires. Pour les fondamentalistes, la
vérité est forcément cohérente. Elle ne
peut pas avoir de zones d’ombre.»
Voilà donc ce qu’un bon lecteur de la
Bible doit faire, lorsqu’il est confronté au
mitraillage de remises en question des
spécialistes : trouver la logique obligatoire des textes; révéler une cohérence
qui n’apparaît pas aux sceptiques. La
Genèse comprend deux récits? «Les lecteurs littéraux de la Bible répondent que
la première partie raconte la naissance
du monde dans ses grandes lignes, tandis que la deuxième reprend l’histoire en
donnant plus de détails.»
Le récit de la création ne parle pas des
dinosaures et de leur disparition scientifiquement prouvée? «Cela veut dire que
ces animaux ont disparu pendant le
Déluge.» Comment Caïn a-t-il pu avoir
un fils dans un monde sans autre femme
que sa mère? «Dieu a créé des femmes
à un moment donné...»
Une intime conviction
Le fidèle qui croit en la lettre biblique
n’a cependant pas besoin d’aller trop loin
pour défier les chercheurs de contradictions. De la bouche même de Thomas
Römer, «les créationnistes ont un argument imbattable : tout est possible à
Dieu». Pourquoi donc se casser la tête
davantage? Pourquoi même s’attarder
sur les textes plus qu’il ne faut? «Le créationnisme n’a pas véritablement de théo-
ALLEZ
SAVOIR
rie, dit Thomas Römer, et la plupart des
personnes qui croient en une lecture littérale de la Bible ne connaissent pas le
texte avec précision. Ils n’estiment pas
en avoir besoin. Ils sont simplement
convaincus que la Bible a raison et que
la science a tort.»
Mais la science elle-même n’a-t-elle
pas montré son imperfection? «La théorie de l’évolution a connu plusieurs corrections après Darwin, les créationnistes
jouent aussi sur ces remises en question.»
Eh oui, si la science elle-même démontre que la science se trompe, pourquoi la
croire...?
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Pierre-Louis Chantre
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Admettons un instant que Darwin se soit trompé... Que dit la Bible à propos de la Genèse?
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Darwin, plus fort que jamais
Le 24 novembre 1859, il y a bientôt 150 ans, paraissait l’ouvrage
révolutionnaire de Darwin, «L’Origine des espèces»
Depuis sa publication en 1859, la théorie de l’évolution des espèces a elle-même évolué.
Spécialiste en philosophie des sciences à l’UNIL, Christian Sachse montre comment la
génétique a fourni de l’eau au moulin du scientifique.
Wikimedia Commons
D
▲
Darwin «singé» par
le magazine Hornet, en 1871
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arwin tient le coup. Cent cinquante
ans après la publication de «L’origine des espèces», la théorie de l’évolution n’a pas perdu beaucoup de plumes.
Au contraire même : philosophe et épistémologue à l’UNIL, Christian Sachse
raconte que «le XX e siècle a permis de
confirmer et de renforcer la vision darwinienne».
La domination de cette théorie est
d’ailleurs devenue si grande que ses idées
sont progressivement sorties de la sphère
biologique pour conquérir des domaines
auxquels on ne l’appliquait pas initialement.
L’homme et le singe
On peut résumer la théorie de Darwin en deux thèses principales. La première avance que tous les êtres vivants
ont évolué à partir de quelques ancêtres
communs. Exemple : l’homme et le singe
partagent le même ancêtre, qui lui-même
partage le même ancêtre que d’autres
espèces, etc...
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La deuxième thèse postule que les
individus porteurs d’un avantage sur
leurs semblables finissent par dominer
leur espèce. C’est la théorie bien connue
de la sélection naturelle. Schématiquement, elle signifie que les plus faibles se
voient progressivement minorisés, puis
éliminés par les plus forts. Elle implique
aussi que la physionomie des êtres
vivants se modifie en changeant d’environnement.
Christian Sachse donne un exemple :
«Si on prend une population d’oiseaux
et qu’on la déplace dans un endroit totalement différent de son environnement,
la forme de son bec va peut-être changer. Si ce type de changements s’accumule, cela finit par donner un nouveau
type d’oiseau, une nouvelle espèce.»
Ces combinaisons qui font de
Darwin un génie
Mais lorsque le naturaliste anglais
élabore sa théorie, il n’invente pas réellement de concepts révolutionnaires.
«Avant Darwin, l’évolution était une idée
courante en biologie, dit Christian
Sachse, elle n’était simplement pas encore admise par la science.»
L’idée de sélection était aussi dans l’air
avec Malthus et ses réflexions sur la
croissance des populations, dont le biologiste s’est inspiré. «Si l’on prend individuellement chaque élément de sa théorie, Darwin n’a rien amené de nouveau
pour son époque, dit Christian Sachse,
c’est surtout son sens de la combinaison
qui fait de lui un génie.»
«L’Origine des espèces» puise dans
les idées récentes de Georges Cuvier en
paléontologie et de Charles Lyell en
géologie. Autrement dit : «Darwin applique des théories non biologiques au
domaine biologique.» Après son voyage
aux îles Galápagos, il amène aussi une
foule de données empiriques, soigneusement récoltées, longuement validées,
qui imposent finalement la thèse de
l’évolution naturelle auprès du monde
académique.
La théorie génétique au
secours de Darwin
Une reconnaissance planétaire
Dès lors, la voie est ouverte pour une
reconnaissance planétaire du génie de
Darwin : «Dans les années 1930, on opère une grande synthèse entre la théorie
génétique et la théorie de l’évolution, dit
Christian Sachse. Ce travail a beaucoup
renforcé l’œuvre de Darwin.»
Pris au sens strict, le principe de sélection naturelle avait un gros défaut : en
postulant la sélection permanente des
meilleurs, il impliquait une uniformisation progressive de la nature : «Les choses
ne se passent cependant pas comme ça.
© N. Chuard
La théorie darwinienne révèle cependant bientôt certaines lacunes. «Le principe de la sélection naturelle ne suffit pas
à tout expliquer, dit Christian Sachse.
Darwin postule l’apparition de changements au sein des espèces, mais il ne dit
pas de façon concluante comment la
transmission héréditaire se produit.»
La théorie génétique viendra combler
ce manque. Au début du XX e siècle, on
redécouvre le travail du botaniste autrichien Gregor Mendel, tout premier
théoricien de la transmission génétique
en 1865. Dans les années 1930, tout en
parachevant la théorie des gènes, l’Américain Thomas Morgan découvre que les
chromosomes sont capables de se modifier. Le concept de mutation génétique
est né.
La nature montre au contraire beaucoup
de variété.»
L’apport de la génétique a donc permis de mieux comprendre le rôle de
la sélection : «Si la mutation d’un gène
apporte un avantage, la modification
subsiste. Dans le cas contraire, elle
disparaît.» Sélection et diversification se
combinent ainsi sans cesse dans la
construction de la vie.
En 1953, la découverte de l’ADN de
Crick et Watson apporte encore sa pierre
à l’édifice. La biologie moléculaire peut
décrire l’évolution génétique avec plus
de précisions encore. La théorie de Darwin reçoit alors une nouvelle confirmation. «Plusieurs expériences l’ont encore
confirmée depuis, dit Christian Sachse.
On a aussi pu voir la sélection naturelle
à l’œuvre en observant les bactéries qui
augmentent leur résistance par mutation
face aux médicaments.»
Les modèles darwiniens
se généralisent
Aujourd’hui, l’approche évolutionnaire sert à de multiples domaines de
recherche. La sociobiologie utilise la
théorie de la sélection pour comprendre
des comportements d’ordre psychologique.
L’histoire des idées cherche à expliquer la reproduction d’une pensée en
s’inspirant du modèle darwinien : «Par
exemple, si je raconte une blague à ma
sœur et qu’elle la raconte ensuite à quelqu’un d’autre en y ajoutant quelque
chose qui la rend meilleure, cette blague
a plus de chances de se transmettre à
beaucoup de personnes», dit Christian
Sachse.
Après l’évolution naturelle, Darwin
peut donc servir à expliquer notre évolution culturelle. Permet-il donc de tout
comprendre des êtres vivants? Pas tout
à fait. Sachse avoue que «la théorie de
l’évolution n’explique pas l’apparition de
la vie en tant que telle». Pourquoi y a-til de la vie plutôt que rien? Voilà une faille
dans laquelle peuvent toujours s’engouffrer les créationnistes.
P.-L. Ch.
Christian Sachse, philosophe et épistémologue à l’UNIL
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